Tribunal canadien des droits de la personne

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DÉCISION RENDUE LE 30 JANVIER 1981 DT- 02- 81

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE CONCERNANT LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE,

S. C. 1976- 77, C. 33 MODIFIÉE ET CONCERNANT UNE AUDIENCE DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

CONSTITUÉ CONFORMÉMENT A L’ARTICLE 39 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE,

PARTIES:

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE - PLAIGNANT

- et

BELL CANADA - MIS EN CAUSE

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

Plainte déposée par la Commission canadienne des droits de la personne contre Bell Canada, pour discrimination en matière d’emploi.

DEVANT: Paul Lawrence Mullins, Jane Banfield Haynes, Gisèle Côté- Harper.

Constitués en tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne pour examiner la question exposée ci- dessus, conformément au paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ONT COMPARU: Me Linda Silver Dranoff Conseiller en matière juridique pour la Commission canadienne des droits de la personne
Me John Sopinka Conseiller en matière juridique pour Bell Canada

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DÉCISION

La présente audience est une conférence préliminaire accordée aux avocats du plaignant et du mis en cause pour qu’ils puissent présenter leurs arguments en ce qui a trait à trois objections préalables qu’a soulevées l’avocat du mise en cause relativement à une plainte déposée par la Commission canadienne des droits de la personne contre Bell Canada en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La première objection met en doute la compétence du tribunal: il s’agit de déterminer si une plainte a bien été déposée dans les formes prescrites avant la constitution du tribunal, conformément au paragrphe 39( 1) de la Loi.

La deuxième objection porte également sur la compétence du tribunal: le mis en cause soutient que, le contrat entre Bell Canada et le royaume d’Arabie Saoudite ayant été conclu avant la promulgation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, celle- ci ne saurait être invoquée contre ses dispositions.

La troisième objection concerne le pouvoir dont est investi le tribunal pour ordonner la production de documents avant l’audience.

Afin d’examiner la première question relative à la compétence, le tribunal a jugé nécessaire de déterminer d’abord quels sont les éléments essentiels d’une plainte. Il est d’avis que toute plainte, pour être valide, doit comprendre au moins les indications suivantes:

  1. l’identité du plaignant, qu’il s’agisse d’un particulier, d’un groupe ou de la Commission canadienne des droits de la personne,
  2. l’identité de la personne ou du groupe victime de discrimination le cas échéant,
  3. la date à laquelle le mis en cause est censé avoir contrevenu à la Loi,
  4. le lieu où la Loi est censée avoir été violée, (v) la nature de l’acte discriminatoire;
  5. l’article et le paragraphe relatifs à l’acte discriminatoire, et enfin,
  6. une déclaration du plaignant ou de la Commission affirmant que des motifs raisonnables l’amène à croire que la conduite du mis en cause constitue un acte discriminatoire aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’avocat de la Commission a fait savoir que la plainte était exposée dans un ensemble de lettres, lesquelles ont été déposées (pièce à conviction no C- 2). Nous citons les extraits pertinents de cette correspondance:

  1. Lettre du 23 juin 1978, adressée par M. R. G. L. Fairweather à M. L. J. Lugsden, conseiller général adjoint en matière juridique à Bell Canada (Ontario):

    "En premier lieu, nous avons reçu plusieurs plaintes selon lesquelles votre compagnie se serait rendue ou se rendrait coupable d’actes discriminatoires fondés sur la religion dans le recrutement des employés appelés à travailler en Arabie Saoudite. La Commission canadienne des droits de la personne doit être convaincue que ces plaintes sont fondées ou non avant d’accepter le rapport qui lui sera présenté conformément au paragraphe 36( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission vous est reconnaissante de la coopération que vous lui avez déjà apportée dans l’examen de cette plainte. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous aider à obtenir des informations supplémentaires auprès des responsables du recrutement.

    Parallèlement, au cours de l’examen de la trousse d’information que vous nous avez fournie sur le projet Bell Canada - Arabie Saoudite nous porte à croire que Bell Canada semble faire preuve de discrimination fondée sur motif du sexe dans le recrutement du personnel de gestion qui doit être affecté à ce projet. La Commission se propose par conséquent de mener une enquête approfondie sur les pratiques de recrutement relatives à ce projet, conformément au paragraphe 32( 3) de la Loi, ce dont elle vous avise par la présente."

  2. Lettre du 31 juillet 1978, adressée par M. R. G. L. Fairweather, Président de la Commission canadienne des droits de la personne, à M. L. J. Lugsden, conseiller général adjoint en matière juridique à Bell Canada (Ontario):

    "Je vous avise par la présente que la Commission canadienne des droits de la personne a terminé son enquête relativement aux actes discriminatoires qui auraient été commis par Bell Canada dans le recrutement des employés devant être affectés au projet Bell Canada - Arabie Saoudite.

En premier lieu, au sujet de la plainte déposée par l’honorable Herb Gray, C. P., député, selon laquelle votre compagnie se serait rendue ou se rendrait coupable d’actes discriminatoires fondés sur le motif de la religion dans le recrutement et l’emploi des personnes devant travailler en Arabie Saoudite, notre enquête n’a pas trouvé de preuve à l’appui des allégations du plaignant. La plainte de l’honorable Herb Gray n’étant donc pas fondée, la Commission l’a rejetée en vertu de l’alinéa 36( 3) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En second lieu, comme suite à ma lettre du 23 juin 1978, l’enquête a démontré que Bell Canada a commis des actes discriminatoires fondés sur motif du sexe, aux termes des alinéas 7b) et 10a) et b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission a par conséquent accepté le rapport de l’enquêteur, conformément à l’alinéa 36( 3) a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et charge par la présente Georges Carrier, employé de la Commission, d’agir en qualité de conciliateur pour essayer d’en arriver à un règlement de la plainte, en vertu de l’article 37 de la Loi. M. Carrier pourra vous rencontrer au moment qui vous conviendra, sur un avis de votre part.

Nous sommes disposés à convenir que la plainte ne doit pas nécessairement être exposée dans un document officiel et qu’elle peut être formulée dans une lettre, pourvu que celle- ci contienne les éléments essentiels d’une plainte. Or, les lettres que la Commission a soumises au tribunal à titre de plainte ne fournissent pas les indications suivantes:

  1. l’identité du plaignant, qu’il s’agisse d’un particulier ou de la Commission,
  2. la date à laquelle le mis en cause est censé avoir violé la Loi,
  3. le lieu où la Loi est censée avoir été violée. De fait, bien que les lettres indiquent que la plainte porte sur des actes discriminatoires fondés sur le sexe, elle ne précisent même pas contre quel sexe s’est exercée la discrimination. En outre, dans la lettre du 31 juillet 1978, la Commission fait savoir qu’elle a accepté le rapport de l’enquêteur, conformément à l’alinéa 36( 3) a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais elle n’ajoute pas qu’en conséquence elle a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu effectivement violation de la Loi.

Les principes les plus fondamentaux de l’équité exigent qu’une plainte soit formulée de façon que le mis en cause puisse savoir exactement ce dont on l’accuse afin de préparer sa défense. Dans le cas présent, les lettres qui nous ont été soumises à titre d’énoncé de la plainte contiennent bon nombre d’éléments superflus, par exemple, dans la lettre du 31 juillet 1979, deux paragraphes ayant trait au rejet d’une plainte tout à fait distincte et concernant la discrimination fondée sur la religion. Si ces lettres devaient véritablement constituer la plainte, nous ne pouvons que déplorer leur grave insuffisance.

En conséquence, même une interprétation très générale de ces lettres nous interdit d’y reconnaître une plainte en bonne et due forme. Il convient de citer ici le paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne:

"La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, constituer un tribunal des droits de la personne (ci- après dénommé, à la présente Partie, le tribunal) chargé d’examiner la plainte."

Nous admettons l’argument de l’avocat du mis en cause, qui soutient qu’étant donné l’absence de plainte dûment déposée, ce tribunal n’a pas été constitué conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et n’est donc pas compétent pour juger de l’affaire dont il est saisi.

Par suite de la conclusion que nous avons tirée sur cette première question relative à la compétence, nous estimons qu’il serait inutile d’examiner les deux autres objections présentées au tribunal.

Le tribunal estime par ailleurs qu’il se doit d’exprimer sa déception devant le fait qu’une plainte relevant de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être rejetée pour vice de forme sans qu’une audience ait été tenue pour juger du fond, en particulier dans le cas présent, où les défauts qui motivent notre décision sont imputables à la Commission canadienne des droits de la personne elle- même. Dans notre société, les questions relatives aux droits de la personne ne sauraient être traitées sans un respect absolu des principes de l’équité. Bien que les paragraphes 32( 1) et 32( 3) donnent à la Commission le pouvoir de prendre l’initiative de la plainte en une forme qui lui est acceptable, nous ne croyons pas qu’il ait été dans l’intention du parlement de lui laisser toute latitude. En outre, les objectifs de la Loi ne peuvent être atteints si nous nous permettons d’enfreindre les règles qui dans notre pays s’appliquent à toutes les questions litigieuses. En agissant autrement, nous contribuerions à saper la confiance, l’accueil favorable du public, fondements de toutes les lois de notre pays.

FAIT à Toronto, ce 27e jour de janvier 1981.

PAUL LAWRENCE MULLINS Président

JANE BANFIELD HAYNES

GISELE COTÉ- HARPER

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