Tribunal canadien des droits de la personne

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DECISION RENDUE LE 30 JUILLLET 1981

D. T. 08.81

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE DANS L’AFFAIRE de la plainte présentée par Philip Foucault contre les Chemins de fer nationaux du Canada alléguant un acte discriminatoire en matière d’emploi

ON COMPARU les avocats: Y. TARTE - pour le plaignant L. L. BAND - pour le défendeur

DEVANT: M. WENDY ROBSON, chargée d’enquêter sur ladite affaire par la Commission canadienne des droits de la personne, conformément au paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

(Traduction- original en anglais) >

L’audition de la présente affaire a débuté le 7 juillet 1981, l’avocat des Chemins de fer nationaux du Canada déclarant au départ qu’il soulèverait une objection concernant le motif de distinction illicite. Il a été décidé d’entendre le point de vue de la Commission avant de passer aux objections.

L’avocat de la Commission étant donc intervenu, celui des Chemins de fer nationaux du Canada a soulevé une objection sous forme de résolution qui se lit, en substance, comme suit:

"... le défendeur demande que la plainte soit rejetée pour le motif qu’il n’y a aucune preuve comme telle ou bien aucune preuve démontrant selon toute vraisemblance, que M. Foucault soit handicapé et qu’il fasse partie d’une catégorie de personnes protégées par la Loi."

L’avocat de la Commission a insisté pour que le tribunal demande à M. Band de faire son choix, mais je lui ai signalé que je n’étais pas d’accord.

A mon avis, il s’agissait donc de déterminer si la Commission s’était acquittée de l’obligation qui lui incombait de démontrer, selon toute vraisemblance, que la Loi avait été violée. Les deux avocats ont convenu que s’il était établi qu’il s’agissait d’un cas recevable de discrimination en matière d’emploi fondée sur un handicap physique, il incomberait alors à l’employeur de prouver qu’entraient en ligne de compte des exigences professionnelles normales conformément à l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

A cette étape de la procédure, je n’ai pas à tenir compte de cette dernière responsabilité.

La plainte de M. Foucault, qui a été versée au dossier à titre de pièce à conviction no C- 4, se lit comme suit:

"J’ai subi une opération au dos au mois d’août 1971. A cette époque, je travaillais pour la compagnie National Steel à Capreol. J’ai continué de le faire jusqu’en juin 1979, date de fermeture de la mine. Au cours de ces années, l’état de mon dos ne m’a jamais empêché de travailler. Par la suite, j’ai été engagé dans l’équipe de construction des ponts et bâtiments, et j’ai subi un examen médical à Capreol. Je travaillais depuis presque trois semaines à Hornepayne en Ontario lorsque j’ai reçu une lettre m’avisant que j’étais incapable de travailler, du point de vue médical, et que j’étais sans plus attendre, remercié de mes services. Cette lettre était signée par le docteur Hunter de Toronto (médecin des Chemins de fer nationaux du Canada) qui ne m’avait jamais examiné et qui ne l’a pas fait depuis ce temps. Je crois avoir été victime de discrimination en raison d’une opération au dos qui date de huit ans. Ci- joints, une radiographie de mon dos reçue au mois de juin et l’avis de licenciement. Merci. Philip Foucault."

A cette pièce à conviction était joint un avis qui, en substance, est le suivant:

Le 10 septembre 1979 Monsieur Philip Donat Foucault Préposé à l’entretien des ponts a/ s de D. Holmes Contremaître - Ponts et bâtiments Hornepayne (Ontario)

Le bureau de Capreol m’apprend que, selon le docteur Hunter de Toronto, vous êtes incapable de travailler pour des raisons médicales. A partir de maintenant, vous ne faites donc plus partie de nos effectifs.

Le Chef adjoint Ponts et bâtiments, V. H. Bauer Personne ne s’est opposé à ce que cette lettre soit versée au dossier des pièces à conviction et j’en ai conclu qu’il s’agissait bien d’un avis qu’un employé des Chemins de fer nationaux du Canada avait envoyé à M. Foucault.

Les articles pertinents de la Loi sont les suivants: Alinéa 2 a):

"Tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques;"

Article 7: Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu,... directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

ArticLe 20: handicap physique désigne toute infirmité congénitale ou accidentelle, y compris l’épilepsie, la paralysie, l’état d’amputé, l’atonie, les troubles de la vue, de l’ouïe ou de la parole, et s’entend de la nécessité d’avoir recours à des prothèses ou, notamment, à un fauteuil roulant ou à un chien d’aveugle;"

M. Foucault est âgé de trente- et- un ans. Il a commencé à travailler à l’âge de dix- sept ans comme ouvrier d’une équipe de travail des Chemins de fer nationaux du Canada. Ayant exercé cet emploi pendant environ cinq mois, il a été transféré à l’usine où il a travaillé comme gardien de locomotives. Au cours des dix mois qui suivirent, les périodes de travail pour les Chemins de fer nationaux et de mise à pied se sont succédées.

FAITS

En octobre 1968, M. Foucault a été engagé par la compagnie National Steel pour travailler dans une mine située à environ 15 milles au nord de Capreol. Embauché comme ouvrier, il a toutefois travaillé également en qualité de conducteur de concasseur, de camion et de matériel lourd.

En 1971, après sa période de relève à la National Steel, il a glissé sur le revêtement en céramique du plancher de la douche et n’a rapporté cet incident que plusieurs jours plus tard. Il se plaignait alors de douleurs dans la partie inférieure du dos. Il a par la suite consulté un médecin qui l’a soigné avec des analgésiques et des décontractants. Il est retourné au travail mais, la douleur persistant, on l’a référé en fin de compte au docteur Sutherland. La douleur s’était alors logée dans sa jambe gauche. Après avoir suivi des traitements sans succès, il a été admis à l’hôpital. Il a subi un myélogramme, après quoi on l’a opéré. Selon M. Foucault, cette opération visait à enlever le fragment qui s’était détaché d’un disque de sa colonne vertébrale.

Au cours de la période où il connut des difficultés avec son dos, il a touché des indemnités destinées aux victimes des accidents de travail. Il est retourné au travail en janvier ou en février de l’année suivante, c’est- à- dire en 1972, et il est demeuré au service de la National Steel sans trop de problèmes jusqu’en 1979, date de fermeture de la mine.

Il a alors posé sa candidature pour divers emplois, y compris un poste auprès des Chemins de fer nationaux du Canada. Sa formule de demande d’emploi a été versée au dossier à titre de pièce justificative no C- 3 et elle est datée du 24 août 1979. Dans la partie de cette formule qui traite de la santé, l’une des questions se lit comme suit:

"Autres blessures ou maladies sérieuses?" Ce à quoi M. Foucault a répondu: Disque fracturé. Tout est rentré dans l’ordre. > - 4 Par la suite, les Chemins de fer nationaux du Canada ont décidé d’accepter la candidature de M. Foucault. M. Cappadocia lui annonça qu’il ferait partie de l’équipe des ponts et bâtiments, et il a été référé au docteur Pinkney à Capreol pour subir un examen médical. En autant que M. Foucault se souvienne de sa conversation avec le médecin, celui- ci lui a fait savoir que les résultats de l’examen médical n’avaient rien révélé d’anormal mais qu’ils seraient envoyés à Toronto. Le médecin, pour sa part, ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’il soit engagé.

Au cours de son contre- interrogatoire, M. Band a posé à M. Foucault la question suivante:

"Q. ... avant de commencer à travailler pour les Chemins de fer nationaux du Canada, saviez- vous qu’il était possible qu’on ne vous accepte pas en raison de votre opération au dos et, par conséquent, que vous ne puissiez pas conserver votre emploi. Vous a- t- on dit cela?

R. ... Très bien, d’accord, oui." Le médecin a remis une fiche à M. Foucault qui a travaillé du 27 août au 10 septembre 1979, date à laquelle il a reçu la lettre versée au dossier à titre de pièce justificative no C- 4.

DÉCISION

Les plaidoyers ont été bien approfondis et je remercie les avocats du soin qu’ils ont mis à faire valoir leurs positions respectives. Ils m’ont signalé - chose qui a confirmé mon étude des décisions déjà rendues - qu’il s’agit du premier cas où l’on conteste la validité du motif de distinction illicite invoqué.

La Commission devait en occurence prouver qu’il s’agissait, de la part des Chemins de fer nationaux du Canada, d’un cas recevable de discrimination en matière d’emploi fondée sur un handicap physique. A mon avis, elle s’est acquitté de cette tâche.

Il importe peu de savoir ce qui constitue un handicap physique pour M. Foucault. C’est la perception qu’ont les Chemins de fer nationaux du handicap physique et leur refus d’engager l’intéressé qui constituent le motif de distinction illicite. En ce qui a trait à M. Foucault, les faits sont les suivants: il a été opéré au dos, il a travaillé par la suite en qualité d’ouvrier pendant environ sept ans et, après avoir subi un examen médical à la demande des Chemins de fer nationaux du Canada, il a reçu un avis de cessation d’emploi lui signifiant qu’il était incapable de travailler pour des raisons médicales.

Fait à Peterborough, dans la province de l’Ontario, ce 27 juillet 1981.

La présidente, M. Wendy Robson

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