Tribunal canadien des droits de la personne

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DÉCISION RENDUE LE 28 OCTOBRE 1981

DT- 10- 81

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE LITIGE METTANT EN CAUSE:

Douglas Campbell - Plaignant

- et

Air Canada - Défendeur

Devant: Un tribunal des droits de la personne constitué par F. D. Jones, C. R. en vertu de l’article 39 de la Loi.

Ont comparu: R. G. Juriansz, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne et Douglas Campbell. R. Patrick Saul, avocat d’Air Canada.

Audiences tenues à Vancouver, Canada, le 12 août 1981.

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: Frank D. Jones

LITIGE METTANT EN CAUSE:

Douglas Campbell - Plaignant - et Air Canada - Défendeur Les parties ont présenté un exposé des faits sur lesquels elles s’entendent.

EXPOSÉ DES FAITS

  1. Le plaignant est né en Angleterre le 30 décembre 1918.
  2. Le plaignant est entré au service d’Air Canada le 17 novembre 1947 et y a travaillé sans interruption jusqu’à sa retraite à l’âge de 60 ans, laquelle a pris effet le 1er janvier 1979.
  3. Au cours de ses douze premières années d’emploi, le plaignant était agent de bord. Pendant les douze années suivantes, il a occupé un poste d’administration au bureau central d’Air Canada. Puis, au cours des sept années suivantes, il a été de nouveau agent de bord.
  4. Le 18 septembre 1978, E. M. Zakala, gestionnaire chargé de l’administration du personnel et des horaires chez Air Canada, informe le plaignant, par courrier interne, de ce qui suit:

"Selon la politique de la compagnie, les personnes affectées aux vols doivent obligatoirement prendre leur retraite le premier jour du mois suivant celui pendant lequel elles ont atteint soixante ans.

Vous devrez donc prendre votre retraite le 31 décembre 1978*."

5. Le 23 mai 1979, conformément à l’article 32 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, chap. 33, M. Campbell s’est plaint auprès de la Commission canadienne des droits de la personne d’avoir été victime d’un acte discriminatoire fondé sur l’âge, ayant été contraint par son employeur de prendre sa retraite à l’âge de 60 ans. Voici les arguments invoqués par le plaignant:

"Conformément à la politique de la compagnie, j’ai pris ma retraite à l’âge de 60 ans. J’ai le sentiment que cette politique est complètement arbitraire et n’a aucun rapport démontrable avec les fonctions du poste d’agent de bord*."

6. Après avoir été mis à la retraite, le plaignant a travaillé pour Mohawk Oil Co. Ltd. de Burnaby, C.- B., où il avait été employé à temps partiel pendant qu’il travaillait pour Air Canada.

7. Le plaignant est décédé le 15 octobre 1980. 8. Le 31 décembre 1978, le nombre d’agents de bord employés par les principales compagnies aériennes ainsi que les âges de retraite obligatoire sont les suivants:

  1. Transporteurs canadiens Age de la Nombre d’agents retraite de bord Air Canada 60 3131 C. P. Air 60 1200 Eastern Provincial Airways 65 120 (aucun agent de plus de 40 ans) Great Lakes Airlines 65 21 (Air Ontario depuis avril 1981) (aucun agent de plus de 40 ans) Nordair 65 220 Pacific Western Airlines 65 650 Québecair 65 120 (l’agent le plus âgé a 36 ans) Wardair 60 650
  2. Transporteurs américains Alaska Airlines 62 Aloha Airlines 60 (Les renseignements American Airlines 65 concernant les autres Braniff Airlines 55 transporteurs ne sont Continental Airlines 60 pas disponibles.) Delta Airlines 65

b) Transporteurs américains - suite

Age de la Nombre d’agents retraite de bord

Eastern Airlines 62 Frontier Airlines 60 Hawaiian Airlines 60 Hughes Airwest 60 National Airlines 65 Northwest Airlines 65 Ozark Airlines 65 Pan American Airlines 60 Republic Airlines 65 Trans World Airlines 60 United Airlines 60 U. S. Air 65 Western Airlines 65

c) Transporteurs européens Air France 50 British Airways 55 Lufthansa 55 3520

9. Au cours de l’année 1978, le plaignant a touché un salaire brut de $20,098.40. Il travaillait à plein temps pour Air Canada.

10. En 1978, il a touché un salaire brut de $6,831.34 pour son travail à temps partiel pour le compte de la Mohawk Oil Co. Ltd.

En 1979, il a touché un salaire brut de $10,559.57 de la Mohawk Oil Co. Ltd.

De janvier à octobre 1980, il a touché un salaire brut de $9,730.16 de la Mohawk Oil Co. Ltd.

11. Au moment de sa retraite, le plaignant versait des cotisations au régime d’assurance- vie d’Air Canada, en vertu duquel il était assuré pour les montants suivants: a) Assurance- vie de groupe obligatoire (Great- West Life) Assurance à caractère non contributif Montant 1) Décès au cours de la période d’emploi ou dans les 31 jours suivant la date de la retraite 2) Décès survenant après le 31e jour suivant la date de la retraite, 25% de la valeur pour la période d’emploi

Bénéficiaire: Épouse

Droit: Dès le moment de la retraite, droit de transformation de l’assurance souscrite en une assurance- vie personnelle de valeur égale, avec la Great- West Life, sans devoir fournir de preuve qu’il est assurable, au taux en vigueur à la date de la retraite.

b) Assurance- vie de groupe additionnelle (Empire Life Insurance Company) Assurance à caractère contributif Montant 1) Décès au cours de la période d’emploi 2) Décès au cours de la période de retraite Nul

Bénéficiaire: Indéterminé Droit: Dès le moment de la retraite, droit de transformation de l’assurance souscrite en une assurance- vie personnelle de valeur égale avec la compagnie Empire Life Insurance, sans devoir fournir de preuve qu’il est assurable, au taux en vigueur à la date de la retraite.

Au décès du plaignant en 1980, ses ayants droit ont touché les indemnités suivantes:

  1. Régime d’assurance de la Mohawk Oil Co. Ltd. - $33,000
  2. Régime des employés à la retraite d’Air Canada (Great- West Life) - Police de groupe no 4745GL - $6,250

12. Suivant les stipulations du régime de pension d’Air Canada, le plaignant a touché $920 par mois à titre de pension, de janvier 1979 à octobre 1980.

13. Nous convenons que les faits énoncés précédemment sont véridiques. Selon l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou
  2. de défavoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

L’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule:

"3. Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée et, en matière d’emploi, sur un handicap physique."

L’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne énonce quant à lui que:

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires... c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné; ..."

Il a été reconnu par les deux parties en cause que l’exception mentionnée à l’article 14 qui précède comprend deux éléments distincts. Il y est question de l’âge de la retraite en vigueur et du secteur professionnel concerné.

L’avocat représentant la Commission canadienne des droits de la personne a concédé que la compagnie Air Canada s’était conformée aux exigences liées au premier élément, donc qu’elle a exigé de M. Campbell qu’il prenne sa retraite à l’âge de la retraite en vigueur. Voici un extrait des pages 51 et 52 de la transcription:

" M. JURIANSZ: C’est exact. M. Campbell a pris sa retraite à l’âge de la retraite en vigueur mais il y a deux membres de phrase que nous devons considérer, ’âge de la retraite en vigueur et dans le secteur professionnel concerné. Je ne veux pas dire par là que si l’on exige de quelqu’un qu’il prenne sa retraite à l’âge de retraite en vigueur, l’on tombe sous le coup de l’exception. Vous avez deux

M. LE PRÉSIDENT: Vous avez deux éléments, deux aspects à cette question.

M. JURIANSZ: Exactement.

M. LE PRÉSIDENT: Mais allez- vous maintenant

M. JURIANSZ: Je vais aborder le deuxième aspect, expliquer où je veux en venir.

M. LE PRÉSIDENT: Très bien. J’aimerais toutefois M. JURIANSZ: Je concède que la compagnie Air Canada s’est conformée aux exigences liées au premier élément.

M. LE PRÉSIDENT: Bien. C’était justement la question que j’allais vous poser*."

Et à la page 56 également de la transcription nous retrouvons ce qui suit: "M. LE PRÉSIDENT: Je vous suis, et pour en revenir aux deux conditions qui doivent être remplies en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pourquoi la compagnie Air Canada n’a- t- elle pas rempli la condition première, ou bien l’a- t- elle remplie?

M. JURIANSZ: Elle l’a remplie, elle l’a remplie.

M. LE PRÉSIDENT: Elle l’a remplie?

M. JURIANSZ: Elle l’a remplie.

M. LE PRÉSIDENT: Alors, en ce qui a trait aux deux aspects de la question dont vous faites état dans votre plaidoyer, Air Canada s’est donc conformée aux exigences liées à la première partie?

M. JURIANSZ: Air Canada a mis M. Campbell à la retraite à l’âge de la retraite en vigueur.

M. LE PRÉSIDENT: Je vous remercie. Je ne parvenais pas à comprendre*."

L’avocat de la Commission des droits de la personne a fait valoir l’utilité d’élargir l’interprétation de ces termes, ce qui pourrait nous aider dans la mesure où leur signification prête à controverse.

Si je comprends bien l’argument de la Commission, les mots âge de la retraite en vigueur sont utilisés en tant que termes techniques avec une signification spéciale. On a également fait valoir que l’industrie de l’assurance reconnaît que ces mots ont une signification spéciale dans le domaine particulier de l’assurance. En fait cette expression signifierait âge de la retraite avec pension complète.

* Traduction

Sauf votre respect, je ne vois pas ces mots comme étant des termes techniques, et je ne crois pas que l’usage que l’industrie de l’assurance en fait puisse être admis dans la Loi canadienne sur les droits de la personne sans mention expresse. Selon les règles usuelles d’interprétation des textes législatifs, il faut donner aux mots leur signification claire et normale, à moins que quelque chose n’indique qu’ils sont utilisés dans un sens spécial. A mon avis, rien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne n’indique que ces mots sont utilisés dans un sens spécial quelconque, ce qui rend nul et non avenu l’argument selon lequel ce sont des termes techniques avec un sens particulier ou spécial.

Concernant le deuxième aspect de l’exception, dans le secteur professionnel concerné, on se demande à quels employés et à quels postes on devrait porter attention afin de vérifier si une pratique donnée tombe sous le coup de l’exception de l’article 14. L’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a fait valoir que l’expression similar positions en anglais devrait être interprétée au sens le plus large. Par contre, l’avocat de la compagnie Air Canada a fait valoir que la comparaison devrait être restreinte à la compagnie Air Canada à cause de l’usage du mot employés qui, dans son plaidoyer, désignait dans ce cas les employés d’Air Canada.

Je rejette l’argument selon lequel il faut se restreindre à rechercher des points de comparaison uniquement chez Air Canada. Cela pourrait mener à une situation absurde où, par exemple, Air Canada pourrait exiger de tous ses employés qu’ils prennent leur retraite à l’âge de 30 ans et si cette condition était acceptée, cela signifierait que 30 ans serait l’âge de la retraite en vigueur dans cette compagnie.

Je rejette également la proposition voulant qu’on cherche les éléments comparables à l’échelle mondiale. A mon avis, il existe un contexte social dont la loi tient compte. La loi tente de déterminer dans quelles circonstances une exception à ce qui autrement serait considéré comme un acte discriminatoire, pourrait être tolérée. Comme il s’agit ici d’une loi canadienne, à mon avis, il faut tenir compte du contexte canadien.

Après en être arrivé à cette conclusion, et eu égard à l’information donnée en page 3 touchant l’âge de la retraite chez les transporteurs canadiens, il se pose un problème courant: comment interpréter ces statistiques. Si l’on établit l’âge de la retraite d’après la politique de chaque transporteur pour les employés travaillant dans des postes similaires à celui du plaignant, celui- ci serait fixé à 65 ans, l’âge de la retraite étant de 60 ans chez 3 transporteurs et de 65 ans chez 5 autres. Toutefois si l’on prend le nombre d’agents de bord dans l’industrie au Canada, la grande majorité des employés (81.49 pour cent) prennent leur retraite à l’âge de 60 ans, soit 4981 sur 6112.

Selon l’alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la base statistique à adopter devrait être le nombre de postes. Donc, la norme devrait être fonction du nombre de postes. Par conséquent dans le cas présent l’âge normal de la retraite est 60 ans. Cette conclusion est étayée par le fait qu’il ne serait pas raisonnable qu’une très petite compagnie aérienne telle que la Great Lakes Airlines soit considérée sur un pied d’égalité avec une société de l’importance d’Air Canada ou de C. P. Air, lorsque l’on établit une norme pour l’industrie.

Le principal danger de prendre le nombre d’agents de bord comme base statistique tient au fait qu’une compagnie influente puisse imposer sa norme dans cette industrie, quoique dans les circonstances actuelles, cela soit rendu plus difficile par le fait que l’âge de la retraite est un élément négociable par le syndicat et la compagnie. Quand la Déclaration canadienne des droits faisait l’objet d’un examen en comité, M. Basford a déclaré:

" Quelques membres du parlement et je songe plus particulièrement à celui de Fundy Royal, M. Fairweather, M. Green, auraient exprimé une certaine préoccupation à l’égard de l’alinéa 14c) voulant qu’il ne soit pas discriminatoire de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné. Je ne suis pas certain de bien comprendre pourquoi cette question les préoccupe. J’invite les honorables membres à clarifier ce point obscur pour moi. J’aimerais également inviter les membres du comité à proposer des solutions de rechange aux dispositions de ce paragraphe. J’aimerais souligner que l’âge de la retraite au sein de la fonction publique fédérale est déterminé suivant une loi ou un règlement. Dans le secteur privé, cette question a traditionnellement été laissée à la discrétion de l’employeur et de l’employé. Ces décisions, qui, selon certains membres, devraient être prises par la Commission canadienne des droits de la personne, sont liées à des facteurs socio- économiques complexes. Je me demande s’il est souhaitable que la Commission intervienne de la sorte sur le marché du travail*."

M. Strayer a, en outre, fait remarquer au comité ce qui suit: La clause 14c) signifie que tant qu’une personne est obligée de prendre sa retraite au même âge que tout autre employé occupant un poste similaire, il n’est pas discriminatoire de lui demander de prendre sa retraite. Le problème reste de savoir quoi faire quand la question déborde ce cadre. Comme le ministre l’a dit, la fonction publique, l’un des plus grands secteurs tombant sous le coup du projet de loi, est déjà régie par une loi en ce qui concerne l’âge de la retraite. Pour ce qui est du reste, je crois que l’âge de la retraite est souvent établi par voie de négociations collectives. C’est également une question pouvant faire l’objet de négociations individuelles, et à notre connaissance, la deuxième solution serait de permettre à la Commission de faire une étude pour déterminer un âge raisonnable pour la retraite dans cet emploi en particulier. Je crois que c’est la vraie*...

* Traduction

Et M. Fairweather de reprendre:

"Je crois que vous avez raison. Peut- être les esprits critiques essaient- ils ici de s’immiscer dans les affaires relevant des droits de la personne, et de traiter d’une question qui devrait relever de la législation concernant la pension de retraite à la fonction publique ou d’autres lois touchant la main- d’oeuvre. Je crois qu’il est important de soulever cette question maintenant, alors que nous examinons ce projet de loi*."

JUGEMENT Pour les raisons mentionnées précédemment, je rends la décision suivante: la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans qu’impose Air Canada à ses agents de bord tombe sous le coup de l’exception mentionnée à l’alinéa 14c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et dès lors il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire.

Jugement rendu à Edmonton, Alberta, ce 19e jour d’octobre 1981.

F. D. Jones, C. R.

* Traduction

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