Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Joselito Silva

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

l'intimée

Décision

Membre : Edward P. Lustig

Date : Le 8 avril 2011

Référence : 2011 TCDP 8



I.                   La plainte

[1]               Il s’agit d’une décision portant sur une plainte présentée par M. Joselito Silva, le plaignant, contre la Société canadienne des postes (Postes Canada), l’intimée. Dans sa plainte, déposée à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 6 janvier 2008, le plaignant a soutenu qu’en juin 2007, l’intimée, à titre d’employeur, a agi de façon discriminatoire envers lui en le défavorisant en cours d’emploi en raison de sa situation de famille, ce qui contrevient à l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les doits de la personne (la Loi). En particulier, le plaignant a soutenu que l’intimée lui avait refusé une promotion à un poste de superviseur pour lequel il était qualifié, en raison de deux griefs précédents que deux de ses sœurs, qui sont aussi des employées de l’intimée, avaient entrepris avec succès contre l’intimée.

[2]               La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au Tribunal d’enquêter sur la plainte, en application de l’alinéa 44(3)a) de la Loi, dans une lettre datée du 23 décembre 2009.           

[3]               La Commission ne s’est pas présentée à l’audition de la plainte devant le Tribunal.

II.                Les conclusions de fait

[4]               Le plaignant a commencé à travailler pour l’intimée au centre de traitement de courrier de Calgary en 1998 à titre d’employé occasionnel pour Noël. Il est ensuite devenu un employé temporaire et, finalement, en 2002, il est devenu un employé permanent de l’intimée, pour laquelle il travaille actuellement à titre de commis des postes syndiqué à plein temps à l’établissement postal. M. Greg Beauchamp du Service de ressources humaines de l’intimée a embauché le plaignant.

[5]               Le plaignant est arrivé au Canada en 1987 des Philippines, où il a étudié et a obtenu un diplôme en génie civil de l’Institut de technologie des Philippines en 1986. Avant de travailler pour l’intimée, il avait occupé plusieurs emplois, y compris des emplois avec Nortel Networks et Stanley Associates Engineering. Il a suivi divers cours d’autoperfectionnement depuis son arrivée au Canada. Il a aussi participé à diverses activités bénévoles dans sa communauté. Au fil des ans, il a fourni du soutien à divers membres de sa famille en plus de sa famille immédiate.

[6]               En 2004, le plaignant a suivi le Programme de perfectionnement en leadership de Postes Canada. Ce programme est un programme de leadership pour les employés internes de Postes Canada. Il s’agit d’un programme de trois jours qui est offert de temps à autre. Les candidats demandent à y participer avec l’appui de leur superviseur. Le programme est mené par un animateur et un certain nombre de gestionnaires (habituellement cinq) de l’intimée  provenant de divers services qui agissent à titre d’évaluateurs, observant les participants au cours du programme et évaluant leur rendement dans les tâches effectuées. Le programme exige que les participants effectuent des tâches en groupes, qu’ils fassent des présentations et qu’ils participent à la résolution de problèmes.

[7]               Après la participation du plaignant au Programme de perfectionnement en leadership de 2004, les évaluateurs ont conclu, à partir des observations qu’ils avaient recueillies lors du programme, que le plaignant n’obtiendrait pas de poste de supervision. Trois des évaluateurs qui assistaient au programme, y compris M. Greg Beauchamp du Service des relations avec les employés, ont fourni au plaignant une rétroaction sur son rendement lors du programme. Pendant la séance de rétroaction avec les évaluateurs, le plaignant a avisés ceux-ci qu’il désirait travailler en techniques du génie. On lui a suggéré de communiquer avec le gestionnaire responsable de l’amélioration des processus opérationnels afin qu’il puisse travailler dans le domaine des techniques du génie selon ses intérêts, si c’était là sa préférence réelle, plutôt que de devenir un superviseur dans son secteur. On a aussi fourni au plaignant une rétroaction au sujet de ses capacités en matière de communication et de ses aptitudes en anglais. On l’a avisé que, sur ces deux points, il avait besoin d’amélioration afin de pouvoir devenir un superviseur, dont les tâches comprennent la tenue de réunions avec des employés pour les diriger.

[8]               Mme Magdalena Silva est la sœur du plaignant. Elle a obtenu une offre d’emploi par lettre de l’intimée en novembre 2005, malgré le fait qu’elle avait échoué le test d’aptitudes générales et, qu’en raison de son résultat, elle n’aurait pas satisfait aux critères d’emploi de l’intimée. Lorsque l’intimée s’est rendue compte de cette erreur, l’offre a été retirée. M. Beauchamp a écrit une lettre en date du 18 novembre 2005 à Mme Silva pour mettre fin à son emploi. Mme Silva a présenté un grief au sujet du retrait de l’offre d’emploi et l’affaire a été résolue avant l’arbitrage : Mme Silva a été embauchée comme employée permanente en juin 2006, et sa date de début de service continu a été établie à novembre 2005.

[9]               Mme Rosalyn Trudel est aussi la sœur du plaignant. Mme Trudel a été embauchée en novembre 2005 pour la période de Noël et a obtenu un horaire de travail. Lorsque ses renseignements personnels ont été inscrits dans le système informatique du personnel de l’intimée, certaines divergences ont été découvertes en ce qui a trait à son nom marital (Trudel) et à son nom de jeune fille (Silva). Lorsque ces divergences ont été découvertes, l’intimée a mis fin à l’emploi de Mme Trudel. Cela a eu lieu quelques jours avant la date à laquelle elle devait se présenter pour son premier quart de travail. M. Beauchamp a écrit une lettre à Mme Trudel en date du 10 novembre 2005 pour confirmer son emploi temporaire auprès de l’intimée, puis lui a écrit une lettre en date du 24 novembre 2005 pour mettre fin à son emploi. Elle a présenté un grief au sujet du retrait de l’offre d’emploi et du congédiement. Une décision a été rendue en arbitrage en sa faveur. Mme Trudel a été rétablie dans ses fonctions et sa date de service continu auprès de l’intimée a été établie à novembre 2005.

[10]           Après avoir parlé à sa sœur, Rosalyn Trudel, le 24 novembre 2005, après que celle‑ci eut reçu sa lettre de congédiement, le plaignant a téléphoné à M. Beauchamp le 25 novembre 2005 pour lui poser des questions au sujet du congédiement de sa sœur. M. Beauchamp a refusé de fournir au plaignant des renseignements parce qu’il s’agissait d’information privilégiée personnelle et privée qu’il n’avait pas le droit de divulguer au plaignant en vertu des politiques et des lois en matière de protection des renseignements personnels. Le plaignant était agité et très mécontent pendant cet appel.

[11]           À partir de 2006 et pendant la période visée par la plainte du plaignant en juin 2007, l’intimée a lancé un programme afin d’augmenter de façon importante le nombre de superviseurs dans ses établissements au Canada. Afin de pouvoir gérer l’augmentation de la charge de travail pour cette mesure de dotation, l’intimée a embauché le fournisseur Spherion Corporation (Spherion) pour l’aider à mener son programme de recrutement national de superviseurs. Tant les candidats internes qu’externes pouvaient présenter leur candidature directement à Spherion pour participer au processus de placement pour la formation des superviseurs.

[12]           En janvier 2006, le plaignant a de nouveau présenté sa candidature pour un poste de superviseur dans son secteur de travail auprès de l’intimée. Sa candidature n’a pas été transmise à l’étape suivante parce qu’il n’y avait eu aucun changement dans son curriculum vitae depuis sa dernière candidature en 2004.

[13]           Plus tard en 2006, le plaignant a participé à un autre concours pour un poste de superviseur auprès de Spherion. À l’issue du processus comportant un examen en ligne et une entrevue en personne, le plaignant n’a pas atteint la note de passage minimale de 70 % requise pour avancer à l’étape suivante du processus.

[14]           Toujours en juin 2007, le plaignant a présenté sa candidature pour un poste de superviseur pour l’intimée auprès de Spherion. Il a traité avec Mme Leanne Nichol de Spherion pendant ce processus.

[15]           Le processus de recrutement de Spherion comprend un questionnaire de présélection par téléphone, un examen en ligne (dactylographie, connaissances en informatique, personnalité et compétences langagières), une entrevue de comportement en personne et une évaluation écrite, une vérification des références, suivie d’une deuxième entrevue auprès de l’intimée, si celle‑ci est justifiée par l’obtention de la note de passage minimale de 70 % dans le cadre du processus mené par Spherion.

[16]           Les candidats étaient portés à l’attention de Mme Nichol de diverses façons. Les candidats pouvaient présenter leur candidature directement à Spherion par un processus d’affichage public, ou leur candidature pouvait être présentée par la division temporaire de Spherion, ou les candidats pouvaient être référés directement à Spherion par l’intimée. De temps en temps, la personne‑ressource de l’intimée, Diana Cheys, du Service de ressources humaines, ou un autre superviseur de l’intimée, référait un candidat interne de l’intimée à Mme Nichol et lui fournissaient directement le curriculum vitae du candidat. Peu importe de quelle façon la candidature était présentée, le candidat devait suivre le même processus et participer aux mêmes examens auprès de Spherion.

[17]           En 2007, le plaignant a présenté sa candidature directement à Spherion après avoir vu une affiche sur le forum d’emploi public. À moins d’en avoir été avisée par le plaignant lui‑même, ni Mme Cheys ni toute autre personne liée à l’intimée n’aurait su que le plaignant avait présenté sa candidature par le forum d’emploi public, parce que Spherion ne donne pas les noms des candidats à l’intimée à l’étape de la présentation des candidatures.

[18]           L’examen en ligne de Spherion est effectué sur des logiciels sécurisés, soit Proveit et Prevue Systems, qui sont conçus afin d’être impartiaux à tout candidat qui subit l’examen. Les examens sont attribués par des organismes de dotation et ne sont pas accessibles à l’intimée ou à toute autre organisation. Les organisations pour lesquelles Spherion effectue du recrutement (en l’espèce, l’intimée) ciblent les types d’examens et d’évaluations que les candidats ont à effectuer pour le poste à combler. Lorsqu’un candidat a terminé l’examen, Mme Nichol reçoit un avis du bureau chef de Spherion afin de pouvoir obtenir l’accès aux résultats. Les logiciels sont utilisés par diverses agences de dotation et pour divers objectifs de recrutement, en plus du recrutement pour le poste de superviseur immédiat de l’intimée. Pour le programme de recrutement de l’intimée, le rôle de Mme Nichol était de faire passer aux candidats les examens, les évaluations et l’entrevue et d’appuyer tout candidat qui obtenait la note de passage minimale de 70 % pour que l’intimée reçoive le candidat pour une autre entrevue.

[19]           Mme Nichol a communiqué pour la première fois avec le plaignant dans le cadre de la demande qu’il a présentée à Spherion en juin 2007, lorsque le plaignant a présenté sa candidature pour obtenir un poste de superviseur immédiat pour l’intimée. Mme Nichol n’avait aucune connaissance des demandes précédentes du plaignant ni des résultats de toute présentation et évaluation de candidature précédentes. Le 6 juin 2007, le plaignant a effectué l’évaluation en ligne de son comportement, et il a obtenu une note de 66 %. Le plaignant a obtenu des notes moyennes pour son évaluation des connaissances informatiques, qui a aussi eu lieu le 6 juin. Les évaluations en ligne du plaignant n’étaient qu’une partie du processus et n’étaient pas suffisantes pour exempter le plaignant du reste du processus; par conséquent, Mme Nichol ne pouvait pas déterminer si le plaignant réussirait le processus ou non en fonction des évaluations en ligne. Mme Nichol devait tenir une entrevue en personne afin de déterminer le potentiel général du plaignant pour le poste et elle a laissé des messages sur la boîte vocale du plaignant l’invitant à une entrevue en personne immédiatement après qu’il eut terminé ses examens en ligne. Ses messages étaient très enthousiastes. Le plaignant a supposé de ces messages que sa candidature serait retenue, bien que rien n’ait été dit à ce sujet dans les messages de Mme Nichol.

[20]           Le plaignant a eu une entrevue en personne avec Mme Nichol le 7 juin 2007 et a subi une évaluation écrite au bureau de Spherion avant l’entrevue. Mme Nichol avait pour habitude de ne pas dire au candidat au cours de l’entrevue s’il serait recommandé à l’intimée pour une autre entrevue, parce que cela ne pouvait pas être déterminé tant que l’évaluation n’était pas complète. Après l’entrevue et l’évaluation écrite du plaignant, Mme Nichol a calculé les résultats des évaluations en ligne et les résultats des évaluations sur place du plaignant.

[21]           Le résultat du plaignant était en deçà de la note de passage. Mme Nichol a fait de son mieux pour trouver un scénario valable selon lequel elle pourrait donner au plaignant la note de passage de 70 % requise par l’intimée pour qu’un candidat du processus de Spherion puisse être recommandé pour la prochaine étape du processus, soit l’entrevue auprès de l’intimée. Cependant, Mme Nichol ne pouvait pas donner au plaignant cette note et, par conséquent, il n’a pas atteint la note minimale de 70 %. Mme Nichol se souvient que le résultat se situait aux environs de 65 %. Mme Cheys se souvient que Mme Nichol lui a dit que le résultat était de 66 %. L’intimée a établi une note de passage de 70 % pour le processus de Spherion pour tous les candidats. Mme Nichol a témoigné que bien que, de temps en temps, elle ait tenté d’encourager l’intimée à recevoir en entrevue des candidats, y compris le plaignant, qui avaient obtenu une note près de la note de passage de 70 %, ces tentatives n’ont jamais été fructueuses. Elle a reconnu que Spherion était payé pour le recrutement des candidats retenus, cependant, les seuls candidats à procéder à l’étape suivante étaient ceux qui obtenaient une note minimale de 70 %.

[22]           Mme Nichol a avisé l’intimée de la candidature du plaignant et de son évaluation qui ne satisfaisait pas aux critères. Mme Nichol a exprimé à Mme Cheys des préoccupations au sujet d’une barrière en matière de communications et de langues qu’elle croyait avoir décelée chez le plaignant. Mme Cheys a demandé à Mme Nichol de fournir des recommandations au plaignant pour des cours d’anglais langue seconde afin qu’il améliore ses aptitudes en communications, pour que sa candidature soit retenue pour un poste de supervision à l’avenir. Mme Nichol a recommandé au plaignant divers programmes d’anglais langue seconde à Calgary qui pourraient l’intéresser.

[23]           Bien que le plaignant ait reçu une rétroaction positive de l’entrevue, il n’a pas atteint la note minimale de 70 % pour l’évaluation complète et il ne pouvait donc pas procéder à l’étape suivante du processus. Le plaignant avait eu l’impression lors de son entrevue auprès de Mme Nichol qu’il participerait à l’entrevue auprès de l’intimée. Bien que la preuve montre que Mme Nichol avait discuté avec Mme Cheys et souhaitait que, puisque le plaignant avait une note près de la note de passage, il puisse passer à la prochaine étape, Mme Nichol n’a rien fait pour recommander que la note de passage minimale soit éliminée et Mme Nichol n’a jamais dit ou écrit au plaignant qu’il serait reçu en entrevue par l’intimée.

[24]           Sauf pour l’entrevue au sujet du comportement, quelques appels brefs au plaignant et des courriels au plaignant l’avisant qu’il ne procéderait pas à la prochaine étape du processus, Mme Nichol n’a pas eu d’autre interaction avec le plaignant au sujet de sa candidature auprès de l’intimée pour un poste de supervision.

[25]           Au cours du processus d’évaluation que Mme Nichol a effectué auprès du plaignant, cette dernière n’a jamais eu de renseignements ou de préoccupations au sujet des membres de la famille du plaignant. De plus, le témoignage non contredit de Mme Nichol était que M. Daryl Pinto et M. Prakash John, qui étaient des candidats pour le poste de supervision au même moment que le plaignant, ont tous les deux obtenu une note supérieure à la note de passage, contrairement à ce que le plaignant croit à ce sujet.

[26]           Mme Cheys a témoigné qu’elle ne savait rien des antécédents des sœurs du plaignant avec l’intimée avant que l’évaluation soit terminée et qu’une décision soit prise au sujet de la candidature du plaignant. Mme Cheys a témoigné que la candidature du plaignant auprès de Spherion n’a pas été recommandée à l’intimée parce que le plaignant n’avait pas obtenu la note de passage de 70 % et qu’il s’agissait d’une règle formelle à laquelle elle ne pouvait déroger. Mme Cheys a témoigné qu’elle n’avait jamais empêché la candidature du plaignant d’avancer en raison de préoccupations au sujet de ses sœurs. Mme Cheys a aussi confirmé le témoignage de Mme Nichol selon lequel l’intimée ne recevait pas en entrevue un candidat qui avait obtenu moins de 70 %, parce qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de le faire.

[27]           Après le rejet de la candidature du plaignant en juin 2007 par Spherion, le plaignant a demandé l’appui de son superviseur, Rick Watson, qui avait travaillé avec lui auparavant chez Nortel. M. Watson a envoyé une demande au directeur, Tom Dixon, lui posant des questions au sujet du processus de dotation pour le poste de superviseur. La demande a été portée à l’attention de Mme Cheys, qui l’a fait parvenir à M. Beauchamp. Ils ont décidé de rencontrer le plaignant pour lui expliquer pourquoi sa candidature n’avait pas été reçue pour le poste de superviseur.

[28]           Cette rencontre a eu lieu le 20 juin 2007. Pendant la rencontre, Mme Cheys et M. Beauchamp ont expliqué au plaignant que l’une des raisons pour lesquelles sa candidature n’avait pas été retenue était qu’il avait besoin d’améliorer ses compétences en anglais, parce qu’il s’agissait d’un point très important dans les interactions d’un superviseur avec ses employés dans le milieu de travail.

[29]           Pendant la rencontre du 20 juin 2007, M. Beauchamp a expliqué au plaignant des préoccupations qu’il avait déjà eues à son sujet en 2005 quant à sa réaction à des décisions d’embauche au sujet de ses sœurs, Rosalyn Trudel et Magdalena Silva. L’incident auquel M. Beauchamp a fait référence avait eu lieu en novembre 2005, lorsque le plaignant avait téléphoné à M. Beauchamp pour lui demander pourquoi ses sœurs n’avaient pas été embauchées par l’intimée. M. Beauchamp avait avisé le plaignant à l’époque qu’il s’agissait de renseignements personnels au sujet de ses sœurs et qu’en raison des lois en matière de protection des renseignements personnels, le plaignant ne pouvait pas avoir accès aux renseignements, peu importe son lien de parenté avec les personnes concernées. Pendant cette conversation de novembre 2005, le demandeur était devenu très agité et avait insisté pour qu’on lui donne des renseignements personnels au sujet des membres de sa famille.

[30]           Pendant la rencontre du 20 juin 2007 avec le plaignant et Mme Cheys, M. Beauchamp a utilisé la référence au comportement passé du plaignant en 2005 à titre d’exemple de l’une de ses lacunes au niveau des compétences pour illustrer que, si c’était là la façon dont le plaignant se comportait lorsqu’il s’agissait des membres de sa famille, comment le plaignant se comporterait‑il en milieu de travail si une situation semblable se présentait. Le plaignant divulguerait‑il de façon inappropriée des renseignements personnels, ou deviendrait‑il agité et insisterait‑il pour qu’on lui fournisse des renseignements qu’il n’avait pas le droit de demander? Les superviseurs ont un accès aux renseignements confidentiels et personnels des employés qu’ils supervisent et il était important pour M. Beauchamp que le plaignant reconnaisse les exigences des superviseurs lorsqu’ils ont à composer avec un employé qui vit une situation difficile et qu’il reconnaisse que les superviseurs doivent être discrets et savoir de quelle façon utiliser et protéger les renseignements confidentiels et personnels. Cependant, le plaignant a interprété cette référence de M. Beauchamp comme un signe clair qu’il rappelait au plaignant le fait que ses sœurs avaient présenté des griefs au sujet de leurs congédiements par le passé et que c’était pour cette raison qu’il n’avait pas obtenu de promotion. Je suis d’avis que le plaignant a mal compris la référence et que l’intention de M. Beauchamp était d’utiliser cette référence comme un exemple des lacunes au niveau des compétences du plaignant, et non de façon punitive ou discriminatoire.

[31]           En ce qui a trait aux candidatures du plaignant dans le processus de Spherion, M. Beauchamp n’a pas été impliqué dans les processus de candidature ou de présélection de Spherion. La seule participation de M. Beauchamp à la candidature du plaignant en juin 2007 a été lorsqu’il a rencontré le plaignant avec Mme Cheys le 20 juin 2007. Après 2005, M. Beauchamp n’a pas traité avec Magdalena Silva ou Rosalyn Trudel.

[32]           Au moment de l’audience, Mme Nichol ne travaillait plus pour Spherion, Mme Cheys ne travaillait plus pour l’intimée et M. Beauchamp avait pris sa retraite et ne travaillait plus pour l’intimée.

III.             Le droit

A.                Établissement d’une preuve prima facie de discrimination

[33]           L’article 7 de la Loi dispose ce qui suit

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

La situation de famille est un motif de distinction illicite au sens de l’article 3 de la Loi.

[34]           Le premier fardeau revient au plaignant, qui doit établir une preuve prima facie qu’il y a eu discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l’absence de réplique de la partie intimée. La réponse de l’intimé ne devrait pas être prise en compte dans la décision à savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination. (Voir Ontario (Commission des droits de la personne) et O’Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, et Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204.)

B.                 Renversement du fardeau de la preuve et justification

[35]           Une fois que la preuve prima facie de discrimination est établie, le fardeau de la preuve incombe par la suite à l’intimé, qui doit montrer, par des explications raisonnables (qui ne peuvent être considérées comme des prétextes), que l’acte discriminatoire allégué ne s’est pas produit tel qu’allégué ou que l’acte était d’une manière ou d’une autre non discriminatoire ou justifié. Il n’est pas nécessaire que la discrimination soit l’unique raison de l’acte reproché pour qu’une plainte soit accueillie. Il suffit que la discrimination ne soit que l’une des raisons de l’acte ou de la décision. (Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48, au paragraphe 4; LCDP, article 15.) Voir aussi Canada c. Lambie, 1996 CanLii 3940 (C.F.).

IV.             Les questions en litige

[36]           Deux questions doivent être tranchées en l’espèce :

(1)               Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille ?

(2)               L’intimée a-t-elle fourni une explication raisonnable qui ne constitue pas un prétexte à la discrimination ?

V.                Analyse et conclusions

[37]           La preuve du plaignant à l’audience était constituée du témoignage de ses deux sœurs, Magdalena Silva et Rosalyn Trudel, ainsi que de son propre témoignage. De plus, il a présenté en preuve divers documents.

[38]           Bien que les témoignages de Mme Silva et de Mme Trudel aient confirmé leurs congédiements, leurs griefs et leurs rétablissements tels que mentionnés ci‑dessus, ni l’une ni l’autre n’a fourni de preuve à l’appui de l’allégation du plaignant selon laquelle le fait qu’il n’ait pas obtenu de promotion au poste de superviseur dans le processus de Spherion en juin 2007 était lié d’une quelconque façon à elles ou à leurs griefs précédents.

[39]           La preuve du plaignant n’a pas établi qu’il avait réussi le processus de Spherion justifiant une entrevue auprès de l’intimée. En fait, il a produit des documents, sous forme de copies de résumés des étapes d’examen du processus, qui montrent qu’il avait obtenu 66 %, ce qui est plus bas que la note de passage de 70 % requise pour procéder à l’étape suivante. Il n’a pas fourni de preuve qui montrait que d’autres candidats avaient été embauchés à titre de superviseur alors qu’ils avaient obtenu une note générale de moins de 70 %.

[40]           Le plaignant avait supposé de sa conversation et de ses courriels avec Mme Nichol le 6 juin 2007 qu’il avait assez bien réussi dans son entrevue avec elle pour remonter sa note générale au‑dessus de la note de passage de 70 %. Cependant, il a reconnu en contre‑interrogatoire que ni Mme Nichol, ni personne d’autre ne lui avaient réellement dit ou écrit qu’il avait réussi cette étape et qu’il aurait une entrevue avec l’intimée. Il a reconnu que Mme Nichol l’avait avisé qu’il lui manquait certaines aptitudes nécessaires pour se rendre à l’étape suivante et qu’il avait besoin de plus de formation dans ces domaines.

[41]           Au sujet de la conversation du 25 novembre 2005 portant sur le congédiement des sœurs du plaignant, le témoignage de ce dernier n’était pas tellement différent de celui de M. Beauchamp. Le plaignant était mécontent au sujet des congédiements et il a téléphoné à M. Beauchamp, qui a refusé de discuter de la question en raison du fait qu’il devait protéger les renseignements personnels des sœurs du plaignant.

[42]           Le plaignant avait l’impression que Mme Cheys et M. Beauchamp avaient eu une influence négative sur le résultat de sa candidature auprès de Spherion en juin 2007 en raison des griefs précédents de ses sœurs. Cependant, il n’a présenté aucune preuve pour confirmer la validité de son impression à ce sujet. Il a reconnu, en contre‑interrogatoire, que ni Mme Cheys ni M. Beauchamp n’avaient participé au processus de Spherion, sauf pour la discussion qui a eu lieu entre Mme Nichol et Mme Cheys après la fin des examens et de l’évaluation du comportement par Mme Nichol. Il n’a présenté aucune preuve que Mme Nichol l’avait recommandé pour une entrevue auprès de Mme Cheys parce qu’il aurait obtenu la note de passage de 70 %.

[43]           Mme Cheys ne savait rien des griefs passés des sœurs du plaignant avant de rencontrer le plaignant et M. Beauchamp, après que le plaignant eut appris que sa candidature était rejetée. Son témoignage était très clair qu’elle n’avait jamais annulé l’exigence de la note de passage de 70 % pour qu’un candidat soit retenu.

[44]           Ni Mme Cheys ni M. Beauchamp n’ont été impliqués dans le processus de dotation du poste de superviseur de juin 2007 du plaignant, avant que celui-ci n’obtienne un résultat inférieur à la note de passage dans les examens et les entrevues de Spherion. Ils n’ont été impliqués dans le processus que lorsqu’ils ont rencontré le plaignant le 20 juin 2007. Pendant cette rencontre, ils ont essayé d’expliquer au plaignant pourquoi sa candidature n’avait pas été retenue et ont essayé de l’encourager à combler ses lacunes.

[45]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie et que l’intimée a fourni une explication complète et raisonnable (qui n’est pas un prétexte) au sujet de la discrimination alléguée.

[46]           Par conséquent, la plainte est rejetée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 8 avril 2011

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1456/0210

Intitulé de la cause : Joselito Silva  c. Société canadienne des postes

Date de la décision du tribunal : Le 8 avril 2011

Date et lieu de l’audience : Les 13 aux 15 décembre 2010

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Joselito Silva, pour lui même

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Laurie M. Robson et Debra Carrothers, pour l'intimée

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