Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

KAREN SCHUYLER

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

NATION DES ONEIDAS DE LA THAMES

l'intimée

DÉCISION

2006 TCDP 34
2006/08/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : M. Paul Groarke

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. L'examen du rendement : Juillet 2000

B. Le cancer : juillet 2001

C. Le temps partiel : 6 mai 2002

D. Le retour au travail : 15 octobre 2002

(i) L'occupation : le 7 mars 2003

E. Le congédiement

III. LES QUESTIONS D'ORDRE JURIDIQUE

A. Les représailles

IV. L'ANALYSE

A. LA PREMIÈRE PLAINTE

(i) Mme Schuyler a-t-elle collaboré au processus?

(ii) La préclusion

(iii) Conclusions

B. LA DEUXIÈME PLAINTE

V. LES MESURES RÉPARATRICES

A. Les questions préliminaires

(i) L'offre de règlement

(ii) La demande de dépens présentée par l'intimée

B. Les réclamations de Mme Schuyler

(i) Les pertes de salaire

(ii) Le préjudice moral

a) La part de responsabilité occasionnée par la conduite de Mme Schuyler

b) CCDP

c) Conclusion

(iii) Conduite délibérée et inconsidérée

(iv) L'affichage de la décision

(v) L'examen des politiques

(vi) Les frais et les débours

(vii) Les questions laissées en suspens

I. INTRODUCTION

[1] Karen Schulyer est membre de la Nation des Oneidas de la Thames du sud de l'Ontario. Elle a quitté cette communauté lorsqu'elle était jeune, puis elle y est retournée afin d'occuper un poste administratif supérieur au sein de l'administration de la bande. Plus tard, un cancer fut diagnostiqué chez elle et elle a dû être hospitalisée.

[2] Après que Mme Schuyler eut quitté l'hôpital, elle a informé la bande qu'elle désirait retourner travailler à temps partiel. Sa demande n'a pas été acceptée et, le 20 janvier 2004, elle a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans laquelle elle a prétendu que la bande n'avait pris aucune mesure d'accommodement à son égard.

[3] Lorsque Mme Schuyler est retournée au travail, les relations entre elle et le conseil de bande ont continué à se détériorer. Mme Schuyler avait l'impression que le conseil était en colère contre elle en raison de son dépôt de la première plainte en matière de droits de la personne et que, en conséquence, il exerçait des représailles contre elle. Après une série d'évènements plutôt difficiles, Mme Schuyler a été congédiée. Cet événement a mené au dépôt d'une deuxième plainte en matière de droits de la personne, laquelle n'a été déposée que le 20 janvier 2004.

[4] Les deux plaintes ont été renvoyées au Tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). Une audience fut tenue en mai, septembre et décembre 2006 à London (Ontario). La décision qui suit analyse la preuve présentée par les deux parties et statue sur les plaintes.

II. LES FAITS

[5] Il serait d'abord utile d'en apprendre sur le fonctionnement de la bande avant d'analyser les faits. Pendant la durée des fonctions de Mme Schuyler, le poste d'administrateur exécutif était le poste le plus élevé au sein de l'administration de la bande. Ce poste a maintenant été remplacé par le poste de directeur des opérations, et ce, peut-être en raison des questions en litige qui ont été soulevées dans la présente instance.

[6] Randy Phillips a travaillé comme analyste des politiques pour la Nation des Oneidas et il a plus tard été élu chef de la bande. Il a affirmé dans son témoignage que, au sein de la bande, le pouvoir décisionnel relève d'ordinaire du conseil. Le conseil se réunit environ une fois par semaine, en soirée. Idéalement, les décisions sont prises par consensus. Lorsque cela ne fonctionne pas, un vote est tenu et la majorité statue sur la proposition. L'administrateur exécutif peut soulever des questions au conseil mais il ne participe pas d'une manière directe, sauf pour informer le conseil.

[7] M. Phillips a affirmé dans son témoignage que Mme Schulyer n'entretenait pas de bonnes relations avec le conseil. Il a eu l'amabilité d'affirmer que cela était en partie dû aux difficultés intrinsèques au poste. Le conseil avait tendance à blâmer l'administrateur exécutif lorsque ses politiques n'étaient pas mises en uvre.

A. L'examen du rendement : Juillet 2000

[8] Mme Schuyler a été embauchée par le conseil de bande comme administratrice exécutive en juin 1998. Elle a proposé qu'on lui fasse signer un contrat de gestion, ce qui ne fut pas accepté par le conseil. Le conseil lui a fait signer un de ses contrats-types en juillet. Ce contrat prévoyait une période probatoire de six mois.

[9] Le chef Harry Doxtator a occupé la fonction de chef des Oneidas pendant environ douze ans et a occupé la fonction de grand chef de l'Association des Iroquois et des indiens unis. Il a travaillé avec Mme Schuyler pendant quatre ou cinq ans. Il était le chef du comité de probation.

[10] Des problèmes sont apparus dès le début. Le chef Doxtator a affirmé dans son témoignage qu'un questionnaire avait été remis aux membres du personnel. On avait fixé une entrevue avec Mme Schuyler et celle-ci a annulé l'entrevue, apparemment parce qu'elle n'aimait pas l'idée qu'on se serve d'un questionnaire. Elle désirait voir le questionnaire.

[11] Il semble clair que le comité estimait que Mme Schuyler était une piètre gestionnaire. Celle-ci appliquait des [traduction] pratiques de gestion inhabituelles et elle omettait parfois de suivre les procédures adéquates. Le processus s'est rapidement transformé en confrontation. J'accepte le témoignage du chef Doxtator selon lequel Mme Schuyler a affirmé qu'il en coûterait beaucoup d'argent à la bande si elle désirait se débarrasser d'elle.

[12] Mme Schuyler, quant à elle, s'est plainte qu'on a mis trois ans à effectuer l'examen probatoire. On s'est beaucoup querellé. À un certain moment, le comité d'évaluation a écrit une lettre à Mme Schuyler dans laquelle il lui a demandé de répondre à un certain nombre de questions. Celle-ci lui a envoyé une réponse détaillée le 13 mai 1999.

[13] Ce n'est toutefois que le 20 juin 2000 que le comité a effectué l'examen. Mme Schuyler a été classée comme étant moyenne ou inférieure à la moyenne quant à tous les facteurs de rendement figurant dans l'évaluation personnelle. Mme Schuyler a cependant obtenu un pointage exceptionnel aux chapitres de l'initiative, de l'assertivité et de la confiance. La vérité, toutefois, est que le comité d'évaluation a exprimé des inquiétudes quant au rendement de Mme Schuyler.

[14] Mme Schuyler a refusé de signer l'évaluation. Dans une réponse écrite datée du 26 juin 2000, elle a adopté le point de vue que le fait que le conseil n'ait pas séparé son rôle de celui de l'administration avait pour conséquence de miner l'autorité et la crédibilité de l'administrateur exécutif. Il semble caractéristique qu'elle n'ait pas reconnu les difficultés qu'elle a éprouvées dans le cadre de ses relations de travail avec les autres personnes.

[15] Malgré les désaccords, un certain nombre de recommandations sont ressorties du rapport d'évaluation. L'une d'elles était qu'un comité ad hoc de grief soit créé afin d'examiner les problèmes relatifs au poste d'administrateur exécutif. Une autre était que Mme Schuyler obtienne l'équivalent d'une douzième année.

[16] Le rapport a été transmis au conseil le 25 juillet 2000. Il a été discuté par le conseil aux petites heures du matin, après la tenue de l'une des réunions régulières. Mme Schuyler a estimé que cela était injuste. Le chef Doxtator n'a pas souscris à cette opinion. L'affaire était urgente et il n'y avait aucun autre moment où on pouvait la régler.

[17] Les conseillers ont concentré leur attention sur les choses que les gestionnaires de programme avaient affirmées. Le comité avait envoyé des questionnaires au chef, au conseil et aux membres du personnel. Mme Schuyler affirme qu'elle n'a pas été capable de répondre de façon adéquate parce qu'elle ne disposait pas du questionnaire. On lui a dit que les questionnaires avaient été détruits.

[18] Le conseil a finalement accepté le rapport et a demandé un suivi de six mois. Ce suivi a été fixé mais n'a jamais eu lieu. Selon Mme Schuyler, le processus était unilatéral et incomplet. Elle affirme qu'elle a été obligée de consentir à des choses [traduction] sous la contrainte en raison de l'heure et de la pression émotive qui a été exercée sur elle.

[19] Mme Schuyler a estimé qu'on la traitait d'une manière différente parce qu'elle avait vécu à l'extérieur de la réserve pendant 35 ans. L'évaluation préliminaire faisait état qu'elle devait se réinsérer dans la communauté. Elle a demandé que l'on retire ce commentaire de l'évaluation finale. Elle ne sentait aucunement le besoin de se réinsérer dans la communauté. Il convient de souligner que Mme Schuyler a modifié sa position en contre-interrogatoire.

[20] Il semble clair que le problème trouvait principalement sa source dans les relations que Mme Schuyler entretenait avec les 25 gestionnaires de programme qui relevaient de son autorité. Les relations entre Mme Schuyler et ces gestionnaires étaient tendues, pour le moins qu'on puisse dire. Le 28 novembre 2000, un courriel controversé dans lequel on se plaignait du style de gestion de Mme Schulyer a été diffusé avec copie à cette dernière. La portée de ce courriel était tout simplement que l'insatisfaction régnait chez les membres du personnel.

[21] Mme Schuyler affirme que c'est le conseil qui était la source du problème. Elle entretenait une piètre relation avec le conseil et celle-ci a continué de se détériorer pendant toute la période des plaintes. L'autorité hiérarchique n'était pas claire et les gestionnaires de programme s'adressaient continuellement au conseil à l'insu de Mme Schuyler. À un certain moment, Mme Schuyler a déclaré que les membres du personnel ne l'aimaient pas en raison de mesures disciplinaires qu'elle avait prises à leur égard.

[22] Randy Phillips a pris la part des gestionnaires de programme et il se souvient d'une intervention de la part de la Commission canadienne des droits de la personne ou de la part de la Commission des relations de travail. On a tenté de régler le conflit par la médiation le 27 janvier 2001. Il semble qu'entre 15 et 20 personnes ont participé au processus de médiation. De ce nombre figuraient Mme Schuyler, un certain nombre de gestionnaires de programme, le chef et deux membres du conseil.

[23] Le processus de médiation fut éprouvant. Mme Schuyler était sur la défensive et a discuté du dépôt possible d'une plainte en matière de droit de la personne avec l'un des médiateurs. Une entente a été rédigée à la fin de la médiation. Seulement trois des gestionnaires de programme l'ont signée, les autres ont refusé. Ceux-ci étaient apparemment très mécontents du processus. L'examen du rendement au travail de Mme Schuyler s'est poursuivi.

[24] Le comité d'évaluation a rencontré Mme Schulyer le 22 mars 2001 afin de faire le suivi. Celle-ci a protesté. Le comité lui a demandé de faire part par écrit de ses préoccupations, ce qu'elle a fait au moyen d'un mémoire écrit daté du 25 avril 2001. Elle n'a reçu aucune réponse.

B. Le cancer : juillet 2001

[25] Mme Schuyler est tombée malade en juillet 2001. Elle a été hospitalisée pendant environ huit jours en raison d'un blocage de l'intestin. Elle était incapable de garder ses aliments et elle affaiblissait de plus en plus. On l'a nourrie par voie intraveineuse. En fin de compte, le problème de blocage s'est résorbé de lui-même. Après qu'elle eut quitté l'hôpital, Mme Schuyler a pris un congé de maladie, puis des vacances. Elle s'est absentée du travail jusqu'au début de septembre.

[26] Mme Schuyler a affirmé dans son témoignage qu'elle suivait actuellement un traitement pour un ulcère gastroduodénal et qu'elle perdait du poids. J'ai accueilli en preuve une lettre émanant du Dr McDonough mais j'ai exclu les notes de cas de ce dernier. Le médecin a semble-t-il déménagé en Irlande et il n'est plus disponible. Le Tribunal peut assouplir les règles de preuve en vue de mettre à jour la vérité.

[27] L'intimée n'a pas contesté les lignes sommaires de la situation décrite dans la lettre du médecin. La lettre fait état que Mme Schulyer souffrait de stress. Les détails du dossier médical de Mme Schuyler ne sont pas en cause en l'espèce. Il est manifeste que le mauvais climat de travail a eu une incidence sur elle au plan physique. Elle était fatiguée et elle était incapable de se concentrer.

[28] Mme Schuyler a subi un certain nombre d'examens médicaux entre septembre et novembre. En novembre, son médecin lui a ordonné de prendre deux semaines de congé. Cette ordonnance fut suivie d'une autre ordonnance dans laquelle le médecin demandait une autre fois à Mme Schuyler de demeurer en congé. Celle-ci a subi une coloscopie le 21 décembre.

[29] Les médecins de Mme Schuyler ont découvert qu'elle était atteinte d'un cancer du colon. On lui a fait subir d'autres examens et on l'a opérée au début de février. Elle a été hospitalisée pendant huit jours et elle s'est fait enlever une partie du colon. Elle est demeurée en convalescence à la maison jusqu'en mai 2002, puis elle a subi un traitement de chimiothérapie jusqu'en septembre.

C. Le temps partiel : 6 mai 2002

[30] Dans ses conclusions finales, Mme Schuyler affirme qu'elle était déterminée à retourner au travail.

[traduction]

Après avoir failli perdre la vie, je désirais retourner à une vie normale. Je croyais que retourner travailler à temps partiel serait un pas dans la bonne direction. Je savais que je ne pouvais pas accomplir tout le travail d'administratrice exécutive en ne travaillant qu'à temps partiel mais j'estimais que je pouvais toujours apporter une contribution importante.

En avril, le Dr McDonough a permis à Mme Schuyler de recommencer à travailler à temps partiel.

[31] Mme Schuyler est alors entrée en communication avec Holly Elijah, l'administratrice exécutive intérimaire, laquelle avait dû parler au chef Doxtator. Le chef a téléphoné à Mme Schuyler et lui a dit que le conseil était préoccupé par son retour au travail. La preuve révèle que le conseil estimait qu'elle ne serait pas capable de supporter la pression. Je suis d'accord avec Mme Schuyler lorsqu'elle affirme que le conseil ne voulait pas qu'elle retourne au travail.

[32] Le chef Doxtator a informé Mme Schuyler que le comité des ressources humaines devrait examiner la situation et qu'elle devrait rencontrer les membres du comité. Selon Mme Schuyler, le conseil tentait tout simplement de l'empêcher de retourner au travail. La bande avait toutefois une politique. Un employé devait rencontrer les membres d'un comité des ressources humaines avant de retourner travailler après une longue absence.

[33] Chacune des deux parties faisait preuve d'une certaine hostilité. Le 6 mai, Mme Schuyler aurait censément dit au chef Doxtator que son cancer constituait une déficience et que la bande devrait prendre des mesures d'accommodement à son égard, et ce, en conformité avec la Loi canadienne sur les droits de la personne( la Loi). Le chef Doxtator a répondu que le conseil avait besoin d'un billet du médecin.

[34] Mme Schuyler était très méfiante. Deux jours plus tard, elle a écrit une lettre au chef Doxtator dans laquelle elle a mentionné qu'elle était déçue du fait qu'on ne lui ait pas accordé un travail à temps partiel. Elle est allée porter la lettre au bureau du chef Doxtator le jour suivant. Elle a également rencontré les membres du comité des ressources humaines.

[35] La réunion fut marquée par la confrontation. Le comité a soulevé sept points, allant des documents médicaux aux nombres d'heures que Mme Schuyler désirait travailler. Le comité a également mentionné qu'il se sentait obliger de respecter les contrats qui avaient été conclus pendant l'absence de Mme Schuyler. Le comité estimait apparemment qu'il était déjà doté de tout le personnel nécessaire.

[36] Le comité a clairement affirmé à Mme Schuyler que son poste avait été confié à une autre personne. Le comité était très réticent à réintégrer Mme Schuyler dans ses fonctions. La réunion a duré une heure et demie. Le comité voulait que Mme Schuyler accepte un poste moins important. Le comité a convenu de créer un poste pour elle, mais il s'agirait d'un poste différent comportant une rémunération différente. Mme Schuyler a eu le sentiment que le comité livrait un message émanant du conseil. On ne voulait pas qu'elle retourne au travail.

[37] Mme Schuyler a fondu en larmes à la barre des témoins. Le comité lui a donné une terrible impression. Le comité a agi [traduction] comme si le cancer avançait ou quelque chose comme ça. Elle s'attendait à plus de compassion. Le comité ne s'est pas soucié de savoir si elle allait mieux ou non. Il ne s'est pas soucié de savoir si elle était en vie ou si elle était morte. Mme Schuyler a affirmé que le comité a estimé qu'elle était [traduction] mentalement incapable de s'acquitter de quelque charge de travail que ce soit.

[38] Il s'agissait d'une situation complexe. Malgré cela, je suis convaincu que, en dépit de leur indifférence apparente, le conseil et les membres du personnel se souciaient vraiment de l'état de santé de Mme Schuyler. Mme Elijah a affirmé dans son témoignage que tout le monde dans la réserve croyait que Mme Schuyler allait mourir. Cela ne voulait pas dire que le comité désirait l'accommoder.

[39] Le comité des ressources humaines a mentionné à Mme Schuyler qu'il allait faire une recommandation écrite au conseil. Charlie Cornelius a dit à Mme Schuyler que le comité lui montrerait la lettre en premier. Mme Schuyler a reçu le rapport le 14 mai. Elle en a discuté avec Lois Cornelius, la membre du comité qui lui a remis le rapport. Elle a dit à Mme Cornelius qu'elle n'était pas satisfaite de la déclaration figurant dans le rapport selon laquelle elle n'aurait aucun pouvoir.

[40] Mme Schuyler a obtenu un billet de la part de son oncologue le 15 mai et elle a rencontré le chef. Le billet faisait état qu'elle était la mieux placée pour décider quelle charge de travail serait convenable et elle a informé le chef qu'elle désirait être consultée quant à la détermination de ses tâches. Il semble qu'il s'agisse là d'une partie normale de tout processus d'accommodement raisonnable.

[41] Le rapport a été transmis au conseil de bande le 12 juin et celui-ci a accepté d'embaucher Mme Schuyler. Elle serait supervisée par Holly Elijah, l'administratrice exécutive intérimaire. Mme Elijah avait travaillé comme assistante de Mme Schuyler lorsque celle-ci avait été embauchée pour la première fois. Le conseil a adopté le point de vue, comme d'ailleurs le chef Doxtator, que le poste d'administrateur exécutif ne pouvait pas être doté à temps partiel. Ce poste ne pouvait pas non plus être comblé par deux personnes.

[42] Le même jour, Mme Elijah a répondu au nom de la bande et a envoyé à Mme Schuyler un contrat de travail dans lequel était décrit un poste à temps partiel comportant des tâches qui avaient été modifiées. Le poste qui a été offert à Mme Schuyler était un poste d'administratrice des projets spéciaux. Ce poste ne comportait pas les mêmes responsabilités ou le même pouvoir à l'égard des membres du personnel. Le nouveau contrat pour le poste faisait mention d'une période probatoire de trois mois.

[43] Le contrat stipulait que Mme Schuyler relèverait de l'administratrice exécutive intérimaire, du chef, du conseil ainsi que des directeurs de service. Les directeurs de service étaient des gestionnaires de programmes. Il s'agissait en quelque sorte d'une rétrogradation car ceux-ci avaient été sous la supervision de Mme Schuyler. Il est évident que celle-ci désirait conserver une certaine partie de ses pouvoirs.

[44] Mme Schuyler a affirmé dans son témoignage qu'elle aurait été heureuse d'aider Mme Elijah à temps partiel mais qu'elle désirait avoir son mot à dire quant à la décision relative au travail qu'on lui confierait. L'aspect le plus inquiétant de l'offre était qu'elle prévoyait une période de probation de trois mois. Je crois que Mme Schuyler a le droit d'affirmer que cela était inacceptable. Par ailleurs, elle craignait que cette disposition ne permette au conseil de la congédier.

[45] Mme Schuyler est allée consulter Adrian Cameron, un avocat. Après avoir discuté de l'offre d'emploi à temps partiel avec lui, elle a décidé de la rejeter. Elle n'était pas prête à retourner travailler dans les conditions que le conseil lui offrait. Elle croyait qu'il était préférable d'attendre jusqu'à ce qu'elle puisse retourner travailler à temps plein. Elle a mentionné à la compagnie d'assurances qu'elle ne retournerait pas travailler avant que ses traitements de chimiothérapie ne soient terminés.

[46] Mme Elijah a estimé que la bande suivait de bonne foi la politique en matière de personnel. Le chef Doxtator semblait l'appuyer. Le conseil a adopté le point de vue que Mme Schuyler avait tout simplement refusé de participer au processus. Il y a peut-être une attitude défensive dans cela : je crois que l'affaire est beaucoup plus nuancée et que la bande n'était pas particulièrement intéressée à accommoder Mme Schuyler.

[47] Le 19 juin 2002, l'avocat de Mme Schuyler a informé le conseil que celle-ci était incapable de retourner travailler et qu'elle recevrait des prestations d'invalidité à temps plein. Dans sa lettre, il a fait état de [traduction] nombreuses contraventions à la Loi canadienne sur les droits de la personne et il a déclaré que Mme Schuyler demanderait que l'on prenne des mesures d'accommodement à son égard lorsqu'elle retournerait travailler.

[48] Au début de juillet, alors qu'un nouveau conseil de bande venait d'être élu, Mme Schuyler a remis à Mme Elijah un chapitre tiré du livre écrit par Elise NeeDell Babcock et intitulé When Life Becomes Precious: A Guide for Loved Ones and Friends of Cancer Patients. Ce livre renferme des lignes directrices à l'intention des employeurs lorsque ceux-ci sont confrontés à des situations où un employé est atteint du cancer. Cet extrait de livre aurait semble-t-il été distribué au nouveau conseil car Rolanda Elijah et Luke Nicholas, deux nouveaux conseillers, se sont rendus chez Mme Schuyler afin d'en discuter avec elle.

[49] C'est le mois suivant que Mme Schuyler a déposé sa première plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Mme Schuyler a également déposé une plainte auprès de Travail Canada le 26 août 2002 en affirmant qu'elle avait fait l'objet d'un congédiement déguisé. Je crois comprendre que la dernière plainte a ultérieurement été retirée.

D. Le retour au travail : 15 octobre 2002

[50] Mme Schuyler s'est vu accorder une allocation d'invalidité à temps plein jusqu'au 15 octobre 2002. Elle a reçu des prestations d'assurance-emploi entre la fin de janvier et mai 2002. Elle a reçu des prestations de bien-être social pendant le mois de juin de la même année. Elle a éventuellement complété ses traitements de chimiothérapie et elle a participé à des séances de counseling traditionnel.

[51] Mme Schuyler a beaucoup réfléchi. Elle affirme qu'elle a pardonné à tout le monde quant aux problèmes du passé et qu'elle n'avait plus d'amertume. Elle avait décidé [traduction] d'oublier le passé. Elle prétend que c'est dans de bonnes dispositions qu'elle est retournée travailler à temps plein en octobre 2002.

[52] Cette situation fut transitoire. Mme Schuyler a éprouvé des difficultés avec le nouveau conseil et elle a été congédiée 11 mois plus tard. Selon elle, c'est avec le chef qu'elle a eu des problèmes. Elle a affirmé que c'était comme s'il ne voulait pas être proche d'elle physiquement. Il y avait un manque de communication. Elle s'est plainte de népotisme et elle a affirmé ce qui suit : [traduction] Je n'avais pas de lien de parenté avec lui.

[53] Le 15 octobre, Mme Schuyler a rencontré le chef Doxtator. Celui-ci voulait qu'elle lui remette un billet du médecin signé par son oncologue. Selon elle, elle rencontrait déjà un obstacle. Mme Schuyler s'est néanmoins rendue en automobile à l'hôpital, elle y a obtenu un billet du médecin, puis elle est retournée au bureau de la bande. Elle n'a pas trouvé le chef Doxtator et elle a eut l'impression que celui-ci l'ignorait.

[54] Mme Schuyler a rédigé une motion et elle a demandé au secrétaire du conseil de l'inscrire à l'ordre du jour de la prochaine réunion. Il était mentionné dans cette motion que le conseil acceptait [traduction] les documents médicaux qu'elle avait fournis et dans lesquels il était mentionné qu'elle était [traduction] médicalement apte à occuper son poste d'administratrice exécutive. La motion faisait état que tous les employés devaient coopérer à son retour au travail. Elle affirme que le conseil a retiré un paragraphe dans lequel elle demandait qu'on lui souhaite un bon retour au travail.

[55] La réunion s'est déroulée dans un climat d'inconfort. Mme Schuyler a affirmé dans son témoignage qu'il régnait une atmosphère étrange dans la pièce. Les gens remuaient des feuilles de papier et détournaient le regard. Mme Schuyler a affirmé ce qui suit : [traduction] On aurait dit que tout le monde regardait le plancher. La motion a néanmoins été acceptée. Mme Schuyler a plus tard été informée qu'Holly Elijah conserverait son poste d'administratrice exécutive pour le reste de l'année. Il y avait donc deux administratrices exécutives.

[56] Cette situation n'a jamais clairement été expliquée et elle semble allée à l'encontre de la position que la bande avait adoptée en rapport avec le travail à temps partiel. Mme Schuyler estime qu'on a permis à Mme Elijah de conserver son poste parce qu'on craignait qu'elle ne soit pas capable de s'acquitter de ses tâches. Je crois que les perceptions de Mme Schuyler n'étaient pas tout à fait erronées. Elle a néanmoins accepté cette situation. Elle ne voulait créer aucune animosité.

[57] Le chef Doxtator a adopté un point de vue différent de celui de Mme Schuyler. Il a affirmé dans son témoignage que la relation qui existait entre le conseil et Mme Schuyler lorsque celle-ci est retournée au travail était une relation de [traduction] cordiale bienvenue. Cette relation s'est estompée avec le temps, mais seulement parce que le conseil avait pris de plus en plus conscience que Mme Schuyler ne possédait pas les aptitudes personnelles pour s'occuper des aspects interpersonnels liés à son emploi.

[58] Mme Schuyler a passé la plus grande partie de novembre à faire les évaluations de rendement des gestionnaires de programme. Il s'agissait d'auto-évaluations. Elle n'a pas eu beaucoup de contacts avec le chef. Mme Elijah s'est principalement occupée de rattraper le retard accumulé avec les procès-verbaux du conseil. Une retraite pour le personnel a eu lieu au début de novembre. On y a discuté de la nécessité de séparer les fonctions politiques et les fonctions administratives de la bande.

[59] Toutefois, les vieilles animosités étaient toujours présentes. À un certain moment, on a demandé à Mme Schuyler de retirer sa plainte. À un autre moment, probablement au début de 2003, Mme Schuyler affirme que quelqu'un a collé sur la porte de son bureau un papillon adhésif sur lequel il était inscrit [traduction] Entrer à vos propres risques. Le degré de méfiance qui régnait au bureau était assez élevé pour que Mme Elijah affirme dans son témoignage que c'était l'écriture de Mme Schuyler qui figurait sur le papillon adhésif.

[60] Selon Mme Schuyler, les gens ne voulaient pas qu'elle retourne travailler. Elle a attribué cela au fait qu'elle avait déposé une plainte en matière de droits de la personne en juillet 2001. Elle a affirmé que le conseil n'aime pas être poursuivi. Elle a été témoin de l'attitude du conseil envers les parties dans d'autres instances. Mme Schuyler a affirmé ce qui suit : [traduction] Le conseil n'aimait pas le fait que quiconque puisse le défier. Même si personne n'osait l'affirmer, ce sentiment était présent.

[61] Les problèmes se sont multipliés. Une réunion spéciale du conseil fut tenue en décembre 2002 afin de séparer les fonctions politiques et les fonctions administratives de la bande. Cette activité comprenait la séparation du personnel politique d'avec le personnel administratif. Il semble que Mme Schuyler se soit opposée à cette réforme car elle aurait eu pour effet de soustraire certains membres de son personnel à sa supervision.

[62] Une réunion du conseil fut tenue le 7 janvier 2003 afin de régler les problèmes liés au personnel qui existaient au pavillon de ressourcement. Mme Schuyler croyait que la question avait été réglée en 2001. Le chef Doxtator ne savait pas pourquoi il avait fallu attendre si longtemps pour que ces problèmes soient portés à l'attention du conseil. Le conseil a donné un avertissement oral à Mme Schuyler quant à la manière selon laquelle elle avait réglé les problèmes. Mme Schuyler a reçu une lettre deux semaines plus tard.

[63] Il est évident qu'il y avait des problèmes plus profonds. Certains de ces problèmes étaient liés à la personnalité, mais il y avait plus que cela. L'intimée adopte le point de vue que Mme Schuyler n'était pas capable de faire son travail. Selon Mme Schuyler, le conseil cherchait des prétextes pour la réprimander. On la tenait responsable de tout. Elle était considérée comme un rien. Ce fut le début de son calvaire.

(i) L'occupation : le 7 mars 2003

[64] Puis, il y a eu l'occupation. La police provinciale avait obtenu la permission d'effectuer une enquête pour homicide sur la réserve. La police est arrivée le 7 mars 2003 avec au moins une douzaine d'hommes. Ce geste a irrité de nombreuses personnes. L'administration a reçu un déluge d'appels téléphoniques. À l'immeuble de l'administration, le chef traditionnel n'était pas capable de répondre à tous les appels et il a quitté l'immeuble sous le coup de l'exaspération.

[65] Il s'agissait d'une question de territoire. Les gens étaient en colère parce que des véhicules de la Sûreté provinciale de l'Ontario se trouvaient sur la réserve. Le chef Doxtator a affirmé dans son témoignage que quatre ou cinq membres de la bande ont fini par se rendre à l'immeuble de l'administration et ont dit à tout le monde de s'en aller. Ils ont laissé entendre que les membres du personnel avaient besoin d'un congé. L'un d'eux tenait une canne de six pieds de long et de deux pouces d'épais. Il en donnait des coups sur le plancher.

[66] Holly Elijah a les mêmes souvenirs. Elle a affirmé dans son témoignage que quatre hommes ont apporté une sorte de gros bâton, peut-être une canne des condoléances, et qu'ils ont commencé à en donner des coups sur le plancher. Ils avaient bu, ils criaient, ils menaçaient les membres du personnel et ils leur disaient de quitter l'immeuble de l'administration. Ils voulaient que la police quitte la réserve.

[67] Le chef Doxtator a refusé de s'en aller. Mme Elijah estimait que cela était dangereux. On a discuté et on a pris la décision de quitter l'immeuble. À 16 h 30, la majorité des membres du personnel avaient quitté l'immeuble. Le chef Doxtator a fait le tour des bureaux afin de voir si tout le monde était parti. Il était la dernière personne à se trouver dans l'immeuble. Il voulait fermer l'immeuble. Toutefois, les hommes sont revenus et ils ont annoncé qu'ils resteraient dans l'immeuble.

[68] La crise s'est aggravée et, en fin de compte, des douzaines de protestataires ont occupé le bureau principal de l'administration. Ils ont ensuite occupé l'ensemble de l'établissement. On était le vendredi. La situation ne s'est pas réglée avant le mardi ou le mercredi suivant. Environ 175 employés étaient en arrêt de travail. Mme Elijah a affirmé dans son témoignage que les membres du personnel furent traumatisés. Ils s'étaient sentis physiquement menacés.

[69] Mme Elijah se sent toujours traumatisée. Selon elle, le problème était que personne n'était responsable et elle jette le blâme sur Mme Schuyler, laquelle n'était pas rentrée au bureau cette journée-là. Mme Elijah trouve que cela était étrange : elle a affirmé que Mme Schuyler n'avait jamais mentionné à qui que ce soit qu'elle serait absente. L'adjoint était également absent.

[70] Après l'occupation, on a tenu de nombreuses réunions afin de s'occuper des problèmes soulevés par les membres du personnel. Mme Elijah a affirmé dans son témoignage que Mme Schuyler était rébarbative, voir même dédaigneuse. Elle a traité les employés de [traduction] victimes et a affirmé qu'ils n'avaient tout simplement qu'à retourner au travail. Mme Elijah affirme que ce fut le début de la fin. Les membres du personnel ont été irrités par le fait que Mme Schuyler ne les ait pas appuyés ou protégés.

[71] Une réunion du personnel fut tenue dans les salles du conseil, quelques jours après l'occupation. Mme Schulyer et M. Phillips ont discuté en privé avant la réunion. M. Phillips a déclaré que Mme Schulyer avait affirmé que les gens se conduisaient comme des victimes. Il existe deux versions quant à ce qui s'est passé lors de cette réunion. M. Phillips a affirmé que Mme Schuyler a ensuite répété ces remarques à la réunion. Cela a irrité un certain nombre des personnes qui étaient présentes. Mme Schuyler a affirmé que c'était M. Phillips lui-même qui avait fait cette remarque.

[72] Après l'occupation, on a offert des services de counseling personnel aux employés. On a également fait un cercle de guérison traditionnel, bien que, selon Mme Elijah, il ne s'agissait rien de plus que d'une occasion de se défouler. On n'a pas encore digéré que Mme Schulyer n'ait pas voulu y aller pour [traduction] se vider le cur devant tout le monde. Elle voulait élaborer un plan visant à faire face au genre de situation qui a mené à l'occupation.

[73] Il y a également eu un désaccord à propos des membres du personnel qui avaient participé à l'occupation. Mme Elijah voulait que ceux-ci fassent l'objet de mesures disciplinaires. Mme Schuyler estimait qu'il s'agissait d'une situation plus complexe et voulait que le conseil s'en occupe. La preuve n'est pas claire. Un témoin a déclaré que le conseil a dû ordonner à Mme Schuyler de s'occuper de l'affaire.

[74] Mme Schuyler, par contre, a témoigné que le conseil s'était occupé de la question des mesures disciplinaires sans la consulter. Cette situation a amené un certain nombre des membres de son personnel à croire qu'elle avait participé à l'occupation. Quoi qu'il en soit, l'occupation et les représailles qui ont suivi ont mené à une détérioration additionnelle des relations de travail de Mme Schuyler. Selon celle-ci, les membres de son personnel s'adressaient au conseil sans la prévenir.

E. Le congédiement

[75] Il est difficile de démêler ce qui s'est passé de ce que Mme Schuyler affirme qu'il s'est passé, mais la situation s'est détériorée des deux côtés. Il y avait quelque chose en toile de fond dont personne ne parlait vraiment. Mme Schulyer se sentait invisible. Ses recommandations n'ont pas été prises au sérieux. Les gens lui faisaient des sourires, mais il y avait toujours quelque chose d'autre qui arrivait.

[76] Mme Schuyler est convaincue que le conseil ne voulait pas la voir au travail, et ce, parce qu'elle avait déposé la plainte en matière de droits de la personne. Le conseil cherchait une manière de se débarrasser d'elle. Les membres du personnel sentaient que le conseil ne faisait pas confiance à Mme Schuyler. Ils ont donc perdu confiance en elle. Ils ont prétendu qu'elle ne les appuyait pas.

[77] Mme Schuyler a énuméré 30 incidents de représailles. Par exemple, il y a eu un conflit d'intérêts avec l'un des gestionnaires. Elle a eu de la difficulté à régler cette situation. Sa parole n'avait plus de pouvoir. Il y a un brin de vérité dans tout cela, mais cela est atténué par le fait que le chef et le conseil éprouvaient de véritables difficultés avec le rendement au travail de Mme Schuyler.

[78] Une réunion du conseil a été tenue le 6 mai 2003 afin de discuter du plan de séparation des fonctions politiques et des fonctions administratives de la bande. La première étape de ce plan, entreprise lors de cette même réunion, consistait à demander à l'administratrice exécutive, c'est-à-dire à Mme Schuyler, d'assister aux réunions du conseil le premier et le troisième mardi du mois. Mme Schuyler affirme que cette mesure visait tout simplement à l'écarter des réunions.

[79] Mme Schuyler a eu le sentiment que l'on se moquait d'elle lorsqu'elle posait des questions au conseil. Elle s'est fait traiter d'indisciplinée. Mme Schuyler estimait que la présence aux réunions faisait partie des responsabilités de l'administrateur exécutif. Le conseil a toutefois adopté le point de vue qu'il avait le pouvoir de modifier les responsabilités de l'administrateur exécutif et qu'il avait le droit de lui demander de ne pas assister aux réunions.

[80] Randy Phillips a affirmé dans son témoignage qu'on a demandé à Mme Schuyler de n'assister qu'à la dernière réunion du mois. Cela a mené à une altercation avec une conseillère, Faye Antone, laquelle riait. Mme Schuyler lui a demandé de ne pas se moquer d'elle. Mme Antone lui a répondu que le conseil était son employeur et qu'elle devait faire ce qu'on lui disait de faire. Il y a également eu un incident avec Mme Elijah.

[81] Mme Schuyler s'est plainte que le conseil de bande avait retiré Holly Elijah et Randy Phillips de sa supervision. M. Phillips a affirmé que cela faisait partie d'un processus continu. En tant qu'analyste des politiques, il avait proposé l'instauration d'un secrétariat des politiques qui relèverait directement du chef ainsi que du conseil. Cette idée était fondée sur le fait que ses responsabilités relevaient plus de la politique que de l'administration et n'étaient pas liées à la livraison de programmes et de services.

[82] Il est difficile de s'y retrouver dans l'exposé des faits. La pagaille régnait en maître. Par exemple, Mme Schuyler a eu des problèmes avec M. Stacey Phillips, lequel était un membre du personnel et un conseiller. Les deux se sont querellés. M. Phillips n'acceptait pas que Mme Schuyler soit sa superviseure et il a continué de s'adresser directement au conseil sans la consulter.

[83] Mme Schuyler prétend que le conseil a continué de s'occuper des questions administratives, et ce, malgré les discussions qu'on avait eues concernant la séparation des fonctions de la bande. Une partie du problème provenait indubitablement du fait qu'il était loisible aux membres du personnel de siéger au conseil, ce qui rendait leur supervision très problématique. Les problèmes qui existaient entre l'administratrice exécutive et les membres du personnel ont dû avoir des répercussions sur les affaires du conseil.

[84] Mme Schuyler désirait modifier la politique en matière de gestion du personnel afin d'empêcher que les conseillers puissent être employés par la bande. L'intimée affirme que l'article 5.8 du code électoral interdisait cette pratique. Mme Schuyler affirme que le code électoral n'a pas été adopté par référendum. Par conséquent, les dispositions de la Loi sur les Indiens s'appliquent.

[85] Il existe un projet de code électoral fondé sur la coutume dont le conseil a discuté périodiquement. Holly Elijah a affirmé que la bande tente de compléter le code depuis 12 ans. Une disposition, l'article 5.8, mentionne que les employés qui sont élus chef ou conseiller doivent quitter l'emploi qu'ils occupent auprès de la bande. Le code électoral n'a toutefois pas été adopté et, à l'époque pertinente, les membres du personnel avaient le droit de se porter candidat comme conseiller.

[86] Les mauvaises relations qui existaient entre plusieurs des différentes personnes mentionnées dans le récit ont été empirées par des rancunes personnelles. Il appert du témoignage du chef Doxtator qu'il existait une sorte de rivalité entre Randy Phillips et Mme Schuyler. Le conseil n'avait rien à voir avec cela. Mme Schuyler prétend que M. Phillips a donné des renseignements en matière de financement directement aux gestionnaires de programme sans passer par son bureau. Il semble que ceux-ci se disputaient l'allégeance des gestionnaires.

[87] Il semble qu'il y ait eu des problèmes semblables entre Mme Schuyler et Mme Elijah. On pouvait sentir cela dans le ton de la voix et dans le langage corporel de Mme Elijah lorsqu'elle se trouvait à la barre des témoins. À un certain moment lors du contre-interrogatoire, elle a refusé de regarder Mme Schuyler et elle a parlé de celle-ci à la troisième personne.

[88] Quoi qu'il en soit, tout cela était très personnel. Mme Schuyler s'est plainte, par exemple, que Randy Phillips avait été autorisé à faire une partie de son travail à la maison pendant un certain nombre de semaines afin de lui permettre de s'occuper de son père. Mme Schuyler a affirmé que la bande ne l'a pas accommodée comme elle l'avait fait pour M. Phillips.

[89] Le niveau de détail est ahurissant. Il y a eu un problème entre Mme Schuyler et un conseiller concernant le financement du Casino-Rama. Il y a eu des désaccords concernant les honoraires versés pour la présence aux réunions du conseil, concernant l'attribution d'emplois et concernant diverses autres questions.

[90] La confusion régnait en maître. La fille de Mme Schuyler était l'administratrice de l'emploi et de la formation. Le conseil a tout naturellement considéré cette situation comme constituant un conflit d'intérêts et il ne voulait pas que celle-ci relève de sa mère. Elle a donc été placée sous la supervision de M. Phillips, lequel relevait maintenant du conseil plutôt que de Mme Schuyler.

[91] On ne s'est pas entendu concernant la divulgation de lettres dans lesquelles on se plaignait de Verna Brown. Il y a eu des différends entre Cyndi White, la coordonnatrice en ressources humaines, et Mme Schuyler. Elles ne se faisaient pas confiance. Mme White croyait que Mme Schuyler, sa superviseure, révisait les rapports qu'elle faisait au conseil. Elle s'est donc adressée directement au conseil sans passer par Mme Schuyler.

[92] Les choses ont continué à se détériorer. Mme Schuyler n'était pas tenue informée de ce qui se passait au conseil. Elle n'avait plus accès au registre des procès-verbaux. La secrétaire du conseil, Mme Elijah, laquelle avait également été retirée de la supervision de Mme Schuyler, ne permettait pas à cette dernière de le consulter. Mme Elijah a affirmé qu'elle obéissait aux directives du conseil. Les procès-verbaux des réunions qui se tiennent à huis clos ne doivent jamais sortir de l'immeuble.

[93] Le chef Doxtator ne se souvient d'aucun conflit concernant le registre des procès-verbaux des réunions tenues à huis clos. Il ne voyait pas en quoi la directive selon laquelle Mme Schuyler ne devait se présenter aux réunions du conseil que pour faire son rapport constituait une tentative d'exclusion. Celle-ci devait toujours se présenter aux réunions lorsque l'on discutait de questions pour lesquelles on avait besoin de sa participation. Il ne considérait pas non plus la modification des exigences en matière de rapport auxquelles étaient soumis Holly Elijah et Randy Phillips comme constituant une tentative de miner l'autorité de Mme Schuyler.

[94] Mme Schuyler a décidé d'assister aux réunions en tant que membre de la collectivité. Cette stratégie n'a pas été bien acceptée. Ses relations avec le conseil se sont complètement détériorées. En juillet, elle s'est plainte de la situation dans son rapport mensuel. Elle avait discuté de la situation avec son avocat et elle a informé le conseil que la façon dont il s'était conduit équivalait à un congédiement déguisé. Le conseil n'a pas souscris à cette affirmation.

[95] La preuve révèle qu'il y avait beaucoup de querelles intestines. Toutefois, tout le monde semblait convenir que les conflits incessants et le litige en cours avaient empoisonné ce qu'il restait de relation entre Mme Schuyler et le conseil de bande. La preuve ne confirme pas l'allégation que le congédiement a eu lieu en représailles au dépôt de la plainte.

[96] En août 2003, des personnes âgées ont occupé le bureau du ministère de la santé, lequel est situé en face du bureau de l'administration, parce que la personne qui occupait le poste de coordonnateur des soins de longue durée avait été suspendue. Par conséquent, un certain nombre de personnes âgées, ainsi que d'autres personnes, ont occupé l'immeuble. Mme Schuyler n'a pas bien géré cette situation. On a dû appeler la police.

[97] Le 21 août 2003, Mme Schuyler a répondu à M. Peters, l'avocat de la bande, par une lettre de son avocat. Il était allégué dans cette lettre que le traitement de la plaignante par la bande constituait des représailles parce que celle-ci avait déposé une plainte en matière de droits de la personne.

[98] On s'est interrogé quant à savoir si Mme Schuyler faisait son travail à la suite de la question des réunions du conseil. L'affaire était assez sérieuse pour que, le 9 juillet 2003, le chef écrive une lettre à Mme Schuyler au nom du conseil dans laquelle il lui ordonnait de se présenter au conseil tel que demandé. Cette lettre servait de deuxième avertissement.

[99] Une réunion du conseil a été tenue le 28 août 2003 afin de discuter du rendement de Mme Schuyler. On a présenté une motion visant à congédier cette dernière de son poste d'administratrice exécutive. Le procès-verbal fait état de 11 cas de mauvaise conduite. On ne lésine pas sur les mots. Les deux premiers cas renvoient à des actes d'insolence. Le cas suivant renvoie à des actes d'insubordination. On renvoie également au manquement qu'elle aurait eu à son devoir de loyauté et de bonne foi envers le conseil et on renvoie à la manière selon laquelle elle traitait les membres du personnel.

[100] Ensuite, on fait mention de plaintes sérieuses, la plus importante étant une allégation que Mme Schuyler n'aurait pas accompli [traduction] au-delà de 100 tâches que le conseil l'aurait chargée d'accomplir au cours des cinq années précédentes. Une liste distincte, qui a été remise aux membres du conseil avant la réunion, fait état de 41 tâches administratives non accomplies entre 2002 et 2003, dont 38 exigeaient des actions de la part de l'administratrice exécutive. Les tâches allaient de la mise en place d'un programme insectifuge à une proposition d'achat d'un nouveau camion à incendie, à la distribution de listes du comité.

[101] Le chef Doxtator a présidé la réunion du 28 août. Il estime que les inquiétudes exprimées à la réunion étaient valables. Elles reflètent la situation plutôt désespérée qui existait à l'époque. Mme Schuyler était ergoteuse et contrariante lors de ses discussions avec le conseil. La confiance nécessaire à la préservation de bonnes relations de travail était complètement absente. Il y avait de l'insubordination. Il n'y avait aucune coopération. Il y avait des problèmes avec le moral des membres du personnel.

[102] Le chef Doxtator a convenu qu'il existait [traduction] un climat empoisonné au bureau. Il a toutefois tenu Mme Schuyler responsable de cette situation. On n'a aucunement tenté d'obliger cette dernière à quitter. Il y a eu un certain nombre de confrontations à la table du conseil mais, selon lui, le conseil n'a pas mal traité Mme Schuyler. Le conseil n'avait jamais autant reçu de plaintes concernant un administrateur exécutif. On n'a pas discuté de la maladie de Mme Schulyer ou de la plainte déposée à la Commission des droits de la personne.

[103] Le procès-verbal de la réunion n'a pas été signé par le conseil. Il semble que cela soit dû à un oubli. Mme Elijah, qui a consigné le procès-verbal, affirme que les mots utilisés dans le procès-verbal étaient appropriés. Ils décrivaient l'attitude de Mme Schuyler. Elle a affirmé dans son témoignage que le congédiement n'avait rien à voir avec la maladie de Mme Schuyler. M. Phillips a adopté le même point de vue.

[104] Le 4 septembre, après la fin de semaine de la Fête du travail, Mme Schuyler est retournée travailler. Le chef Doxtator lui a remis une lettre de congédiement. La lettre faisait état d'un certain nombre de raisons justifiant son congédiement. Le chef a affirmé à Mme Schuyler qu'il s'agissait d'une décision irrémédiable et celle-ci a été escortée jusqu'à la sortie. Ce geste a mis un terme à la relation troublée que Mme Schuyler entretenait avec le conseil.

[105] La lettre de congédiement était datée du 2 septembre 2003. Le ton de la lettre était très sévère. Celle-ci faisait état de 11 formes d'inconduite, dont des actes d'insolence continus et des manquements au devoir de loyauté et de bonne foi. Mme Schulyer rejette l'ensemble de ces allégations. On lui offrait, dans la lettre, une indemnité de départ de sept mois. On lui demandait de signer une renonciation dans laquelle il était mentionné que toute plainte qu'elle avait déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou du Code canadien du travail était frivole, vexatoire et constituait un abus de procédure.

[106] Toute cette histoire est bien triste. L'avocat de Mme Schuyler a suggéré à celle-ci d'accepter le règlement. Elle a refusé. Le problème n'était pas la question de l'argent. Selon elle, le problème était que les allégations étaient injustes. Elle avait fait l'objet d'une discrimination silencieuse. Elle a refusé de signer la décharge. Par la suite, elle s'est sentie isolée. Certains membres du personnel et certains membres de la collectivité ne lui parlaient plus.

[107] À l'automne 2003, Mme Schuyler a déposé une autre plainte, cette fois-ci en vertu du Code canadien du travail. Elle a déposé la deuxième plainte en matière de droits de la personne, laquelle comprenait des allégations de représailles, le 20 janvier 2004.

III. LES QUESTIONS D'ORDRE JURIDIQUE

A. Les représailles

[108] La deuxième plainte en matière de droits de la personne a été déposée en vertu du paragraphe 14.1 de la Loi canadienne sur le droits de la personne, lequel est ainsi libellé :

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

Il existe un débat juridique à propos des exigences relatives aux représailles.

[109] La jurisprudence a adopté deux positions. Je préfère celle qui a été adoptée par le membre Deschamps dans la décision Virk c. Bell Canada (Ontario), 2005 TCDP 2 (2005/01/20), paragraphe 156 :

[156] L'exercice de représailles comporte une certaine forme d'acte volontaire visant à infliger un préjudice à la personne qui a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour avoir déposé cette plainte. Ce point de vue déroge en partie à ceux qui ont été exprimés dans les décisions antérieures du Tribunal sur la question des représailles (Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] TCDP 11; Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 TCDP 40).

[157] Dans Wong et Bressette, les points de vue exprimés portent qu'un plaignant n'a pas à prouver une intention d'exercer des mesures de représailles et que si un plaignant perçoit raisonnablement que la conduite reprochée à l'intimé constitue des représailles contre la plainte relative aux droits de la personne, il pourrait également s'agir de représailles, nonobstant l'absence de toute preuve de l'intention de l'intimé.

[Non souligné dans l'original.]

Il serait peut-être possible de trouver un certain appui pour ce dernier point de vue dans le fait que la discrimination n'est pas une faute intentionnelle.

[110] En toute déférence pour les autres points de vue, je crois que l'interprétation de M. Deschamps est la bonne :

[158] C'est au plaignant qu'incombe le fardeau de prouver qu'il y a eu représailles et celui-ci doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qu'il prétend avoir exercé des représailles était au courant de l'existence de la plainte, que cette personne a agi d'une manière inopportune et que l'inconduite de cette personne a été motivée par le dépôt d'une plainte relative aux droits de la personne par le plaignant. Les représailles constituant une forme de discrimination en vertu de la Loi, le même fardeau de la preuve devrait s'appliquer aux allégations de discrimination et de représailles.

J'ajouterais que le mot représailles doit être interprété selon son sens ordinaire. On doit mettre en doute la crédibilité d'un processus qui est difficile à comprendre par une personne ordinaire.

[111] Bien que M. Deschamps conclue ensuite que les représailles constituent une forme de discrimination, il s'agit d'une forme particulière de discrimination qui comporte ses propres exigences. La seule observation que je ferais est que les règles d'interprétation des lois doivent être observées en l'espèce comme dans les autres instances. L'article fait mention d'une personne qui exerce des représailles dans le sens ordinaire de ce mot. La définition du mot représailles qui figure dans le dictionnaire en ligne Merriam-Webster met l'accent sur la notion de vengeance. Je crois que cela est suffisant aux fins de la présente instance.

IV. L'ANALYSE

A. LA PREMIÈRE PLAINTE

[112] La première question à trancher consiste à savoir si l'intimée a fait preuve de discrimination à l'égard de Mme Schuyler en mai 2002 en ne prenant aucune mesure d'accommodement à son égard? Il n'est pas nécessaire d'entreprendre une analyse de la preuve prima facie, laquelle a facilement été établie.

(i) Mme Schuyler a-t-elle collaboré au processus?

[113] L'intimée soulève deux défenses. La première est tout simplement qu'elle a agi de façon équitable et responsable, et ce, en conformité avec la loi.

[114] Mme Schuyler affirme qu'elle ne cherchait tout simplement qu'à retourner travailler à mi-temps. Elle était prête à accepter des projets individuels et ne désirait aucunement modifier les mesures d'ordre administratif provisoires. La bande affirme que c'est justement ce qu'elle lui a offert. Elle affirme que Mme Schuyler a alors cessé de communiquer avec elle.

[115] M. Peters affirme que la lettre de la bande des Oneidas du 12 juin 2002 répondait aux demandes de Mme Schuyler. On lui accordait dans cette lettre un horaire flexible. Il y figurait une description d'emploi afin que celle-ci puisse l'examiner attentivement. Il s'agissait-là d'une premier pas. Il y avait place à d'autres négociations. M. Peters a invoqué l'arrêt Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, dans lequel la Cour suprême a déclaré que le plaignant doit participer à la recherche d'un compromis et doit faciliter cette recherche. La recherche d'un compromis fait intervenir plusieurs parties.

[116] L'intimée affirme que Mme Schuyler était tenue de répondre à la lettre de la bande. Au lieu de faire cela, elle a retenu les services d'un avocat qui a informé la bande par écrit qu'elle était complètement invalide. Je crois que cela est trop simple : selon moi, Mme Schuyler s'est sentie rejetée, ce qui est tout à fait compréhensible. L'interprétation des faits de l'intimée ne tient pas compte du facteur le plus important du processus, c'est-à-dire du message clair que la bande a envoyé : elle ne voulait pas que Mme Schuyler retourne travailler.

[117] Il est tout simplement erroné de tenir Mme Schuyler responsable de l'échec des négociations. Légalement, c'est à l'intimée qu'incombait la tâche principale de trouver une manière de ramener Mme Schuyler au travail. Les négociations avec le comité du personnel et le contrat envisagé n'ont pas respecté ce fait. Le contrat ne reconnaissait pas l'ancienneté de Mme Schuyler et la clause relative à la période probatoire était tout à fait injustifiée. À part les difficultés naturelles que quiconque éprouverait après une intervention médicale importante, le processus était irrespectueux envers une personne qui occupe un poste aussi élevé.

[118] Je suis d'accord avec Mme Schuyler : la bande ne voulait pas vraiment qu'elle retourne travailler et elle lui a transmis ce renseignement de différentes manières. Un employeur qui aurait sincèrement voulu l'accommoder en aurait fait beaucoup plus pour tenter de trouver une solution qui satisferait les deux parties. Je réalise qu'il s'agissait d'une situation difficile pour les deux parties : Mme Schuyler était méfiante, hostile et voulait que les choses se règlent à sa façon. Je suis néanmoins convaincu que la bande ne s'est pas acquittée de l'obligation qui lui incombait d'accommoder Mme Schuyler.

[119] En l'espèce, comme dans d'autres instances, le différend relatif à l'emploi était ce qu'il y avait de plus important. Il ne fait aucun doute que la bande était insatisfaite du rendement de Mme Schuyler en tant qu'administratrice exécutive. L'examen du rendement a été interrompu et n'a jamais été terminé de manière satisfaisante. Plutôt que de s'occuper de ces aspects de l'affaire-d'une manière équitable, responsable et transparente-l'intimée s'est contentée de laisser Mme Schuyler prendre un congé d'invalidité. Il s'agissait d'une façon facile de se sortir de la situation.

(ii) La préclusion

[120] M. Peters invoque toutefois un autre argument. Il affirme que Mme Schuyler était complètement invalide. L'intimée n'était donc pas tenue de l'accommoder. Je suppose qu'il s'agit d'une forme de préclusion fondée sur la conduite. Mme Schuyler a reçu des prestations d'invalidité à temps plein. M. Peters affirme qu'elle ne peut pas accepter ces prestations et prétendre qu'elle était partiellement invalide et était capable de retourner travailler à temps partiel.

[121] Il n'y a pas lieu d'examiner tous les points de détail de l'affaire. Mme Schuyler n'a présenté une demande de prestations d'invalidité qu'après que les négociations furent rompues. À ce moment-là, Mme Schuyler se sentait rejetée, elle était méfiante et n'avait pas le cur à discuter davantage. Elle devait s'occuper de sa santé et le stress psychologique occasionné par des négociations avec la bande était trop lourd à supporter.

[122] Je ne veux pas dramatiser la situation et j'accepte qu'un certain nombre des personnes qui ont participé au processus se préoccupaient vraiment du bien-être de Mme Schuyler. L'indifférence et la mauvaise volonté l'ont toutefois emporté. En réalité, les actes de la bande ont contribué aux circonstances qui ont mené à l'invalidité complète de Mme Schuyler. On aurait tort de laisser l'intimée utiliser ce fait contre Mme Schuyler afin d'échapper à ses obligations.

(iii) Conclusions

[123] Je souscris à l'argument de M. Peters qu'il y a des limites à l'obligation d'accommodement. Selon lui, [traduction] l'intimée n'est pas tenue d'aider Mme Schuyler à récupérer de son cancer. Il y a des limites, et dans la plupart des cas, à tout le moins, le processus d'accommodement et le processus de récupération sont indissociables. Je ne suis pas disposé à affirmer qu'un employeur est tenu par la loi de faire preuve de considération, mais il est tenu d'être juste et raisonnable et, dans de nombreux cas, je pense que cela équivaut à la même chose.

[124] Il y a un aspect pratique à ceci : je suis d'avis que l'empathie, à un certain degré, constitue un élément indispensable du processus d'accommodement. Il résulte de ceci qu'un intimé est tenu de tenir compte de la situation du plaignant dans sa recherche d'une forme d'accommodement appropriée. Un employeur qui adopte une approche antagoniste envers une personne qui a subi une crise médicale ou psychologique importante et qui envoie un message clair à cette personne qu'elle n'est pas bienvenue contrevient probablement à son obligation de prendre des mesures d'accommodement à l'égard des personnes handicapées.

[125] La situation à laquelle les deux parties étaient confrontées en l'espèce était difficile pour chacune d'elle. Celles-ci sont sorties au beau milieu de l'examen du rendement et n'ont pas réglé leurs affaires. L'intimée était néanmoins obligée de participer de façon sincère au processus d'accommodement et de rechercher sérieusement une solution qui répondrait aux besoins de Mme Schuyler. L'intimée n'a pas fait preuve de la bonne foi la plus complète en négociant. Cela constitue de la discrimination et viole la Loi canadienne sur les droits de la personne. La première plainte est fondée.

B. LA DEUXIÈME PLAINTE

[126] La deuxième question à trancher consiste à savoir si l'intimée a exercé des représailles? Je ne sais trop quoi dire quant à la preuve prima facie dans ce contexte car j'ai déjà discuté de ce sujet en détails dans une autre instance. Y-avait-il une preuve prima facie de représailles? Peut-être. Cela transfèrerait-il le fardeau de la preuve à l'intimée? Aucunement. La seule question suscitée par la preuve est donc de savoir si la plaignante a prouvé selon la balance des probabilités qu'elle a été victime de discrimination?

[127] Mme Schuyler a fait environ 30 allégations dont la plupart suivent la longue série d'évènements qui ont mené à son congédiement. Mme Schuyler attribue apparemment tous ces évènements, ainsi que le congédiement, à son dépôt de la plainte initiale. Il est vrai qu'elle a apporté une certaine nuance lorsqu'elle a présenté ses observations et qu'elle a adopté le point de vue qu'il s'agissait de l'un des facteurs qui avait mené à la décision. Le résultat est le même : selon elle, s'il n'avait été du dépôt de la plainte en matière de droits de la personne, elle aurait pu s'asseoir avec le chef et le conseil et régler les autres problèmes.

[128] Selon moi, cette vue de la situation est plutôt naïve. Mme Schuyler a nié l'évidence. Selon M. Peters, les relations entre Mme Schuyler et le conseil de bande ont commencé dès le début à se détériorer de façon importante. La première évaluation était symptomatique. Les préoccupations de la bande n'ont jamais été examinées convenablement. Les choses allaient déjà mal lorsque Mme Schuyler a découvert qu'elle était atteinte du cancer et elles ne pouvaient qu'empirer. La relation a continué de se détériorer lorsqu'elle est retournée au travail.

[129] Le témoignage du chef Doxtator, que j'accepte, suffit à établir que les problèmes liés à l'emploi qui existaient entre les deux parties étaient réels. Ces problèmes ont été soulevés ailleurs et doivent être séparés des allégations portées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il existait un climat plus large qui était marqué par la rancur et il y a très peu d'indications que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne avait quelque chose à voir avec cette situation. Il n'y a aucune preuve de représailles, mis à part le témoignage de Mme Schuyler.

[130] La première allégation est que Mme Schuyler n'a pas retrouvé ses pleins pouvoirs lorsqu'elle est retournée travailler comme administratrice exécutive. Cela fait allusion au fait qu'elle a partagé l'emploi avec Holly Elijah pendant deux mois. Le conseil de bande offre une explication raisonnable : il affirme que Mme Elijah a conservé le poste pour son avantage ainsi que pour assurer une transition adéquate. Je comprends que Mme Schuyler ait eu des soupçons mais rien ne permet de lier cet événement au dépôt de la plainte initiale.

[131] La deuxième allégation avait trait à la mesure disciplinaire relative à ce qui s'était passé au pavillon de ressourcement. Cette affaire, qui n'a pas encore été réglée, date du mandat initial de Mme Schuyler en tant qu'administratrice exécutive. Il est vrai que Mme Schuyler entretenait une relation de plus en plus marquée par l'hostilité avec le conseil et cette relation ne s'est pas améliorée avec le dépôt de la plainte. Mais rien dans ces exemples précis ne peut être liés au dépôt de la plainte.

[132] Il n'est guère opportun que l'on examine les 30 allégations qui figurent dans la plainte de représailles et qui font toutes ressortir l'existence d'une relation très troublée. Il y avait par exemple un différend persistant quant à savoir s'il convenait que l'administratrice exécutive assiste au réunion du conseil. On peut se demander pourquoi le conseil exclurait l'administratrice exécutive des réunions. Mais le chef et le conseil avaient un point de vue différent : c'était parce que Mme Schuyler était obsédée par la question et qu'elle devait se concentrer sur son propre travail.

[133] La seule question dont je suis saisi consiste à savoir si cela constituait des représailles. Bien qu'il soit difficile pour un tiers de comprendre l'ampleur ou l'intensité du conflit existant entre Mme Schuyler et le conseil, j'accepte le témoignage que, selon le conseil, Mme Schuyler avait outrepassé ses limites. La décision d'ordonner à Mme Schuyler de ne pas assister aux réunions du conseil reflétait à tout le moins la relation de plus en plus hostile qui existait entre le conseil et Mme Schuyler. Ils ne pouvaient tout simplement pas travailler ensemble.

[134] Il importe peu combien on dilue le concept de représailles. La simple question dont je suis saisi dans le cadre de la deuxième plainte consiste à savoir si les mesures que la bande a prises contre Mme Schuyler, notamment le congédiement, constituaient une forme de représailles. La preuve indique le contraire. L'idée que le conseil s'est vengé d'elle lorsqu'il a traité les questions relatives au personnel, les plaintes émanant des membres du personnel, les questions relatives aux élections, les problèmes qui existaient au pavillon de ressourcement, les événements entourant l'occupation et une foule d'autres questions, n'est tout simplement pas crédible.

[135] J'accepte donc le point de vue suivant que l'intimée a avancé dans ses observations écrites :

[traduction]

Il ressort clairement du témoignage des deux parties qu'il y a eu rupture de la relation qui existait entre la plaignante et l'intimée. En conséquence de la détérioration de la relation, la plaignante a fait l'objet d'un congédiement motivé.

Et ailleurs :

[traduction]

En bout de ligne, la plaignante a été congédiée parce qu'elle ne répondait pas aux exigences continuelles de son poste et parce que les relations entre la plaignante et l'intimée s'étaient manifestement détériorées.

J'affirme ceci sans trancher aucune des questions relatives à l'emploi, lesquelles ne sont pas de mon ressort.

V. LES MESURES RÉPARATRICES

[136] Un certain nombre de questions ont trait aux mesures réparatrices. Deux de ces mesures sont de nature exceptionnelle.

A. Les questions préliminaires

(i) L'offre de règlement

[137] M. Peters affirme qu'il n'était pas nécessaire de tenir une audience. Il affirme cela parce qu'une offre de règlement a été faite et que, selon lui, cette offre suffisait à régler la question. Il prétend que l'on devrait tenir compte de cela en fixant le montant de l'indemnité. Cela comprend les dépenses liées à l'audience.

[138] La preuve relative à l'offre est fragmentaire et ne couvre que la réclamation relative à l'emploi. Elle figure dans une lettre datée du 2 septembre 2003 dans laquelle on offre à Mme Schuyler une indemnité de départ de 11 mois en plus des paiements prévus par la loi, malgré le fait qu'elle ait fait l'objet d'un congédiement motivé. Je ne sais rien ou presque rien quant aux circonstances de l'offre et la preuve a été déposée essentiellement par erreur. Mme Schuyler n'était pas représentée par un avocat.

[139] Mme Schuyler a apparemment rejeté l'offre. M. Peters prétend néanmoins que la renonciation annexée renvoie précisément à toute plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle constitue par conséquent une offre de règlement-ou comprend une offre de règlement-de la plainte en matière de droits de la personne. Je crois qu'il est exagéré de tirer cette conclusion.

[140] La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit un mécanisme de règlement des plaintes qui exige l'approbation de la Commission canadienne des droits de la personne. Il me semble que, à tout le moins dans les circonstances de l'espèce, on aurait tort de donner effet à une tentative de règlement d'une affaire connexe liée à l'emploi, sur une base contractuelle, qui ne tient pas compte de la Loi et dont les modalités ne traitent pas expressément de la question de la discrimination.

[141] Il semble clair que l'offre touche principalement la perte de salaire plutôt que le préjudice moral. L'offre serait peut-être pertinente si Mme Schuyler demandait à être indemnisée pour des pertes de salaire. Elle a toutefois renoncé à cette réclamation. Je suis également convaincu que l'offre ne satisfait pas aux exigences des principes de droit relatif aux dépens lesquels exigent une indication très explicite que l'on se fondera sur l'offre lorsque l'on traitera de la question des dépens. Après avoir examiné l'affaire, je ne crois pas qu'il serait juste ou approprié d'examiner l'offre de règlement en traitant de la question des mesures réparatrices.

(ii) La demande de dépens présentée par l'intimée

[142] Une autre affaire exceptionnelle mérite d'être examinée : l'intimée a également demandé à ce que la CCDP soit condamnée à payer les dépens. Le Tribunal est une instance constituée par la loi dont les pouvoirs sont attribués par la loi et il ne me paraît pas évident que je possède la compétence d'adjuger ces dépens.

[143] Les facteurs de principe qui s'appliquent dans le cas des plaignants ne s'appliquent pas dans le cas des intimés. Je crois qu'il ressort de la jurisprudence que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit un processus dans lequel les plaignants peuvent faire valoir leurs plaintes sans craindre d'être pénalisés par des dépens. La Loi vise à encourager les plaignants à déposer leurs plaintes.

[144] Bien que j'estime qu'il est injuste de refuser d'adjuger des dépens en faveur d'un intimé dans une instance où la plainte est de nature vexatoire et dépourvue de tout fondement, le pouvoir d'adjuger des dépens est un pouvoir prévu par la loi. Je crois qu'il est généralement reconnu que le législateur a sciemment décidé, en adoptant la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas accorder aux intimés le droit aux dépens. Il faudrait que la Loi soit modifiée pour que l'on puisse accorder des dépens aux intimés.

[145] La situation est aggravée par le fait que la CCDP n'a pas comparu devant le Tribunal et qu'elle n'a pas eu la possibilité de répondre à la demande de l'intimée. Peut-être suffit-il que j'affirme que je ne vois rien dans les faits qui me sont soumis qui justifierait une adjudication exceptionnelle des dépens, même si cela était prévu par la Loi. Je ne sais pas de quelle autre manière ce genre de dépens pourraient être recouvrés.

B. Les réclamations de Mme Schuyler

(i) Les pertes de salaire

[146] Mme Schuyler a initialement réclamé qu'on lui verse ses revenus à compter du jour où elle a perdu son emploi jusqu'au jour où la décision a été prise. Elle voulait également recevoir une forme d'indemnisation pour perte de possibilité. Toutefois, elle a maintenant trouvé un emploi auprès de l'Union of Ontario Indians et elle a renoncé à ces réclamations à la fin de l'audience.

(ii) Le préjudice moral

[147] La réclamation principale a trait au préjudice moral. J'accepte que Mme Schuyler a profondément souffert de la discrimination.

[148] Il y a un aspect personnel et un aspect social au préjudice moral que Mme Schuyler a enduré. Les actes initiaux de l'intimée ont été marqués par le manque de considération. L'intimée n'a pas fait preuve de la délicatesse et de la compréhension exigées par la situation. Mme Schuyler a vécu une situation de vie ou de mort. Elle avait droit à une certaine déférence, en ce qui avait trait à l'emploi, en tant qu'administratrice en chef. Cette expérience a été encore plus éprouvante compte tenu de l'âge de Mme Schuyler et compte tenu des épreuves physiques occasionnées par son cancer.

[149] Dans ses observations écrites, Mme Schuyler mentionne que le stress dont elle a été victime en mai 2002 a eu un effet négatif sur les traitements de chimiothérapie qu'elle recevait. Cela ne fait aucun doute : le stress a manifestement eu un effet négatif sur tout ce qu'elle a vécu. Je crois également que Mme Schuyler a droit à une certaine forme d'indemnité pour la perte de dignité qu'elle a subie, laquelle était manifeste. Selon elle, le processus a eu le même effet sur elle que si [traduction] on lui avait enlevé la peau morceau par morceau; il l'a rendue tout à fait vulnérable au point de vue émotif.

[150] Il y a eu les questions familiales qui ont accompagné tout cela. Mme Schuyler a subi une perte de statut social. Elle a découvert plus tard que les autres membres de la bande étaient sous l'impression qu'elle avait fait quelque chose de mal et qu'on l'avait congédiée. Elle se sent toujours mal à l'aise de sortir parce qu'elle croit que les gens fuient son regard ou cherchent à l'éviter lorsqu'elle approche d'eux. L'avocat de l'intimée a souligné qu'il n'existe aucune preuve objective de cela, mais je ne crois pas qu'il voulait mettre en doute les sentiments de Mme Schuyler.

a) La part de responsabilité occasionnée par la conduite de Mme Schuyler

[151] Tout ceci amène deux précisions. La première précision est que les émotions qui ont été générées par les questions de l'emploi sont une autre affaire. Je ne peux qu'estimer, de manière approximative, ce que Mme Schuyler a vécu à la suite de la discrimination.

[152] La deuxième précision est qu'il y avait un élément d'antagonisme dans le comportement de Mme Schuyler. Il n'y a pas à en sortir : Mme Schuyler doit assumer une part de responsabilité quant à la relation hostile qui s'est établie entre elle et la bande. L'attitude, d'une part comme de l'autre, était de nature hostile. Mme Schuyler a été prompte à retenir les services d'un avocat et a menacé d'intenter des poursuites.

[153] Mme Schuyler a soulevé des questions de nature politique en rapport avec les premières nations. Il ne fait aucun doute qu'elle s'est trouvée prise dans une sorte de lutte politique au sein de la bande des Oneidas. Les parties ont adopté des points de vue différents quant aux responsabilités du chef administrateur et quant à celles du conseil de bande. Cela fut aggravé par l'aversion mutuelle que les deux parties avaient l'une pour l'autre. Ces aversions se sont traduites, au dire de tous, par de l'indifférence, des intrigues politiques, voire même par de l'outrage.

[154] Aucune des deux parties n'a semblé faire preuve de dignité et de compréhension. Je comprends mal pourquoi car il ne semble pas y avoir de véritables raisons pour cela. J'ai été impressionné par le témoignage du chef Doxtator, lequel, j'en suis certain, comprend mieux la situation que moi. Il me semble que les parties n'ont pas respecté le fait que notre dignité repose, en fin de compte, sur la reconnaissance que chaque personne a une valeur et qu'elle mérite d'être traitée comme les autres, peu importe les désaccords que l'on peut avoir avec elle. Cette idée est consacrée dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

b) CCDP

[155] Une autre question est soulevée dans le contexte du préjudice moral. Le fait le plus troublant est que Mme Schuyler a tenu la Commission canadienne des droits de la personne en grande partie responsable de ce qui lui est arrivé. Elle se sent apparemment trahie par la CCDP et estime que celle-ci n'aurait pas dû la laisser s'engager seule dans ce litige. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle revivait son épreuve les soirs et les fins de semaine lorsqu'elle préparait sa cause. Elle a affirmé que cela fut très pénible. Elle a affirmé ce qui suit [traduction] : Cela était comme avoir le cancer. À bien des égards, je crois que c'est pire. J'ai survécu au cancer. Il me faudra encore beaucoup plus de temps pour survivre à cela.

[156] Je ne peux dire que très peu de chose quant à cet aspect de l'affaire. Je n'ai eu aucune nouvelle de la CCDP et le Tribunal n'a aucun pouvoir, pour autant que je sache, d'exiger que la CCDP comparaisse. Le point de vue le plus important, comme l'a mentionné M. Peters, est que l'intimée ne peut pas être tenue responsable de ce qu'a vécu Mme Schuyler lorsqu'elle se préparait pour l'audience. L'intimée avait le droit de se défendre et Mme Schuyler a reconnu qu'elle l'a fait dans des circonstances difficiles sans porter davantage atteinte à sa dignité.

c) Conclusion

[157] Compte tenu de toutes les circonstances un montant de 4 000 $ est adjugé à Mme Schuyler pour préjudice moral. Ce montant a été réduit afin de tenir compte de la part de responsabilité occasionnée par sa conduite.

(iii) Conduite délibérée et inconsidérée

[158] Mme Schuyler a également demandé qu'on lui accorde des dommages-intérêts en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel permet au Tribunal d'ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité spéciale s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré. Mme Schuyler demande qu'on lui accorde l'indemnité maximale de 20 000 $.

[159] La discrimination qui a été exercée en l'espèce est regrettable. Elle n'est toutefois pas de l'importance de ce que l'on voit régulièrement dans de nombreuses instances. La bande a à tout le moins fait ce qui était prévu dans la Loi. Il me semble également que la demande d'indemnisation présentée en vertu du paragraphe 53(3) découle principalement de l'allégation de représailles, laquelle a été rejetée.

[160] La présente instance était une affaire relative à l'emploi qui a engendré d'autres affaires. Les hostilités entre les parties avaient un côté extravagant, mais je suis convaincu que les comportements inacceptables peuvent être attribués au différend non réglé relatif à l'emploi. Ce n'est pas sur quoi porte la Loi. Le paragraphe 53(3) vise une situation dans laquelle la conduite délibérée et inconsidérée s'inscrit dans un contexte de discrimination plutôt que dans le contexte d'un différend indirect.

(iv) L'affichage de la décision

[161] Mme Schuyler a demandé à ce que ma décision soit affichée dans un endroit bien en vue. L'intimée affirme que le Tribunal n'a pas le pouvoir d'ordonner cet affichage.

[162] M. Peters prétend que le Tribunal canadien des droits de la personne tire son origine de la loi. Le seul pouvoir dont il jouit à cet égard doit donc être prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La seule disposition pertinente semble être l'alinéa 53(2)a), lequel mentionne que le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

[...] de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables [...]

M. Peters affirme que rien dans cette disposition n'accorde au Tribunal le pouvoir d'ordonner qu'une décision soit affichée dans un endroit bien en vue.

[163] Le pouvoir d'ordonner que l'intimée affiche la décision doit être prévu, s'il est prévu quelque part, dans la première partie de cette disposition, laquelle mentionne que le Tribunal peut ordonner à l'intimé de mettre fin à l'acte. La question de l'interprétation des lois se résume donc à la question de savoir si une directive qu'une décision soit affichée s'inscrit dans le cadre d'une ordonnance de mettre fin à l'acte discriminatoire.

[164] Je crois qu'il faut répondre par l'affirmative. La Loi canadienne sur les droits de la personne est de nature réparatrice. Elle traite de question d'importance fondamentale et devrait être interprétée d'une façon large et libérale. On affirme généralement que l'objet des mesures réparatrices prévues dans la Loi est de remettre la personne lésée dans la position où elle aurait été si le tort n'avait pas été commis. Je crois que cela s'applique, au même titre que toute autre chose, autant à l'état émotif qu'à l'état psychologique de la victime. L'affichage de la décision contribuera à atténuer en partie l'isolation et l'exclusion dont Mme Schuyler a fait l'objet en conséquence de la discrimination.

[165] Il y a un autre aspect à cela : la preuve dont je suis saisi indique clairement que les événements entourant la plainte déposée par Mme Schuyler et le congédiement ultérieur dont elle a été l'objet étaient d'intérêt public pour la bande. Je crois que Mme Schuyler a parfaitement le droit de se préoccuper de sa réputation et de vouloir rétablir les faits. La décision ne lui est pas entièrement favorable, mais une ordonnance d'afficher la décision, à tout le moins, mettra à la disposition de tous un compte rendu impartial du litige qui l'a opposée avec la bande.

[166] Puis, il y a le fait que l'affichage de la décision vise une fin éducative. Ma conclusion est étayée par l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, dans lequel le juge La Forest a déclaré que la Loi canadienne sur les droits de la personne comporte des fins éducatives. Je souligne qu'il déclare ensuite, au paragraphe 15, que l'un des objectifs visés par la Loi est d'informer les gens dans des milieux de travail précis :

Qui plus est, selon l'interprétation que je viens de proposer, l'éducation des gens doit commencer à se faire sur les lieux de travail, dans cette micro démocratie que constitue le milieu de travail, plutôt que dans la société en général

Cela est vrai, en l'espèce, à la fois en rapport avec l'administration de la bande et à la fois en rapport avec le processus démocratique élargie de la réserve.

[167] Il y a également la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt CN c. Canada (Commission des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, souvent appelé l'arrêt Action Travail des Femmes. Dans cet arrêt, le juge en chef Dickson a écrit à la page 1134 que la Loi canadienne sur les droits de la personne devrait être interprétée de manière à :

[...] reconnaître et [à] donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet.

Je crois que les arrêts Robichaud et Action Travail des Femmes peuvent être interprétés ensemble dans le contexte immédiat.

[168] Il y a lieu de souligner que dans l'arrêt Action Travail des Femmes, on parle de l'effet des droits consacrés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je crois que le mot effet comprend l'impact social d'une décision. Les plaintes dont il est question en l'espèce ont été engendrées dans une collectivité précise qui a un intérêt collectif dans la décision et qui a besoin d'être informée sur la situation. Il n'y a rien d'unilatéral dans ceci : les deux parties ont eu en partie gain de cause dans le litige et je ne vois pas ce que l'intimée a à craindre d'une telle directive.

[169] J'ai trouvé une décision qui semble donner une interprétation différente. Dans la décision Chopra c. Santé Canada 2004 TCDP 27 (décision qui a fait l'objet d'un contrôle judiciaire de la part de la Cour fédérale et qui fait présentement l'objet d'un appel pour d'autres motifs), au paragraphe 62, le Tribunal a rejeté une demande d'ordonnance enjoignant à l'intimée d'afficher sa décision, à l'échelle du pays, par voie de courrier électronique, à tous les employés du ministère. Je crois toutefois que la situation qui m'est soumise est très différente. Mme Schuyler ne demande pas que l'on fasse un envoi massif de courriel à une foule d'étrangers vivant un peu partout au pays.

[170] En même temps, je ne crois pas qu'il serait utile d'afficher la décision dans son intégralité. J'ordonne donc à l'intimée d'afficher un avis informant les membres de la bande qu'une décision a été rendue par le Tribunal. Cet avis devra être écrit en caractères suffisamment gros et devra être affiché sur le tableau d'affichage principal de l'immeuble de l'administration ou dans un endroit aussi en vue. L'avis doit mentionner que l'on peut se procurer des copies de la décision au comptoir de la réception ou à un autre endroit approprié. Les copies doivent être offertes gratuitement.

(v) L'examen des politiques

[171] Mme Schuyler désire également que la Commission canadienne des droits de la personne fasse un examen des politiques de la bande et négocie un protocole d'entente avec celle-ci afin d'établir un processus visant à régler les questions de droits de la personne. Elle veut qu'un défenseur des droits de la personne soit nommé et qu'un processus d'appel indépendant soit instauré.

[172] Je souligne que la présidente Mactavish s'est penchée sur une situation semblable dans Nkwazi c. Service correctionnel du Canada T.D. 1/01 2001/02/05, aux paragraphes 274 et 275, où elle a écrit ce qui suit :

[274] Mme Nkwazi demande que le Tribunal ordonne au SCC de prendre, de concert avec la Commission canadienne des droits de la personne, des mesures destinées à empêcher que de tels actes discriminatoires se reproduisent à l'avenir. Bien que le SCC ait mis en place des politiques et méthodes visant à empêcher la discrimination et le harcèlement au travail, il est évident, si l'on en juge par la façon dont la direction du CPR a réagi aux récriminations de Mme Nkwazi, qu'il y a place à amélioration. Par conséquent, j'ordonne que le SCC consulte la Commission au sujet de ses politiques et méthodes de lutte contre la discrimination et le harcèlement et de ses programmes d'éducation des employés dans ces domaines, et qu'il prenne des mesures pour empêcher que des actes identiques ou similaires se reproduisent à l'avenir.

[173] La situation dont je suis saisi est tout à fait différente car la preuve donne à penser que la discrimination exercée contre Mme Schuyler résultait d'une situation précise se rapportant à cette dernière. Il n'y a pas vraiment de preuve de discrimination systémique ou d'enjeux plus vastes.

[174] Comme le souligne Mme Mactavish, il y a également le problème que le Tribunal ne semble pas avoir le pouvoir d'ordonner à la Commission de participer à un tel processus. Il existe un mécanisme dans la Loi canadienne sur les droits de la personne dont l'intimé peut se prévaloir s'il désire consulter la CCDP. Il serait certainement louable si l'intimée en l'espèce s'en prévalait. Je ne suis toutefois pas disposé à accorder la délivrance du type d'ordonnance demandée par Mme Schuyler.

(vi) Les frais et les débours

[175] Mme Schuyler a également demandé l'adjudication des dépens. Cette demande est compliquée par deux faits. Le premier fait est que Mme Schuyler a retenu les services d'un avocat afin de s'occuper des aspects de l'affaire relatifs à l'emploi, lesquels ont été traités de façon distincte. Elle a réduit sa demande afin de tenir compte de cela. Le deuxième fait, toutefois, est qu'elle réclame des frais pour des services qui ont été rendus devant la Commission. Je ne crois pas qu'elle ait droit à ces frais.

[176] Dans la décision Brooks c. Ministère des Pêches et des Océans, 2005 TCDP 26 (2005/07/12), au paragraphe 39, j'ai conclu que la compétence du Tribunal en matière d'adjudication de dépens devrait être limitée au frais qui ont été engagés pour la poursuite de l'affaire devant le Tribunal. Cette décision a fait l'objet d'un contrôle judiciaire sans que cette question précise ne soit traitée. J'ai également discuté de la jurisprudence dans Brown c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 30 (2004/09/01). Je ne vois rien dans les circonstances qui me sont soumises qui justifierait que l'on revienne sur la question. Dans les circonstances, point n'est besoin de traiter de la question plus fondamentale de savoir si le Tribunal a compétence pour adjuger des dépens, question qui sera semble-t-il soumise à la Cour d'appel.

[177] Il y a toujours la question des frais que Mme Schuyler a encourus en consultant un avocat lorsqu'elle demandait que l'on prenne des mesures d'accommodement à son égard. Cette question est visée par une exception reconnue dans le droit relatif aux dépens et peut être qualifié de frais prévus à l'alinéa 53(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Mme Schuyler a également droit aux débours encourus quant aux frais liés à la plainte comme les frais de transport, les frais de photocopie, etc. Plutôt que d'ouvrir la porte à un autre différend entre les parties, je crois qu'il est préférable d'accorder un montant forfaitaire de 600 $, lequel, selon moi, constitue un montant raisonnable à accorder quant à ces diverses dépenses.

(vii) Les questions laissées en suspens

[178] C'est aux parties qu'il revient de décider si elles désirent soumettre une ordonnance écrite. Si tel est le cas, je suis d'avis qu'il serait plus pratique pour l'intimée de rédiger l'ordonnance car Mme Schuyler n'est pas représentée par un avocat. Il serait bon qu'elle examine l'ébauche d'ordonnance en compagnie d'un avocat qu'elle aura choisi.

[179] Les montants d'indemnités et de débours que j'ai accordés doivent être versés dans les trente jours de l'expiration de toute période de contrôle judiciaire ou d'appel. Je réserve ma compétence pour régler toutes questions laissées en suspens.

M. Paul Groarke

Ottawa (Ontario)

Le 18 août 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T980/10004 et T1014/13404

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Karen Schuyler c. la Nation des Oneidas de la Thames

DATE ET LIEU
DE L'AUDIENCE :

Les 2 au 6 mai 2005
Les 26 au 30 septembre 2005
Le 6 décembre 2005

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 18 août 2006

ONT COMPARU :

Karen Schuyler

Pour elle-même

Daniel Pagowski

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

John C. Peters

Pour l'intimée

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