Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DANNIE BERNATCHEZ

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DES MONTAGNAIS DE la ROMAINE

l'intimé

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Me Kathleen Cahill 2006 TCDP 37
2006/08/29

I. Introduction

II. Les faits

III. Cadre juridique

IV. Analyse

A. Le calcul des PSCM

B. Le remboursement des congés de maladie

V. Conclusion

I. Introduction

[1] Madame Dannie Bertnatchez (ci-après : la plaignante) a enseigné à l'école Olamen située à La Romaine sur la Basse-Côte-Nord. L'École Olamen relève du Conseil des Montagnais de Unamen Shipu (ci-après : l'intimé). Du 25 août 2003 au 27 décembre 2003 (une période de 18 semaines), la plaignante était en congé de maternité suivi d'un congé parental jusqu'au 21 juin 2004. Lors de son congé de maternité, la plaignante a reçu de l'intimé des prestations supplémentaires de congé de maternité (ci-après : les PSCM).

[2] La plaignante soumet que l'intimé a fait preuve de discrimination à son endroit en refusant que le calcul de son salaire annuel pour les fins des PSCM se fasse sur la base d'une rémunération journalière équivalent à 1/200 de sa rémunération annuelle. Or, l'intimé a fait le calcul en employant une rémunération journalière équivalent à 1/260 de sa rémunération annuelle. De plus, la plaignante conteste le refus de l'intimé de lui verser un montant équivalent aux journées de maladie accumulées et non utilisées pendant son congé de maternité. Elle soutient que ces refus contreviennent à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne 1 (ci-après : la Loi) parce qu'ils ont pour effet de la défavoriser en cours d'emploi sur la base d'un motif de distinction illicite, à savoir le sexe.

[3] À l'audience, la plaignante était représentée par avocat ainsi que l'intimé. La Commission n'a pas comparu. Trois témoins ont été entendus. Pour la plaignante : elle-même et une autre enseignante, madame Marie-Josée Chamberland. L'intimé a fait entendre monsieur Réjean Laberge, Directeur des services éducatifs à l'emploi de l'intimé.

II. Les faits

[4] La plaignante est à l'emploi de l'intimé depuis septembre 1998. Elle enseigne aux étudiants de niveau secondaire. Depuis août 1999, la plaignante est considérée comme une enseignante à temps plein régulière. La plaignante explique qu'à titre d'enseignante à temps plein régulière, elle est rémunérée pour 200 jours de travail correspondant à 40 semaines. Comme les enseignants réguliers ne sont pas éligibles à l'assurance-emploi pendant la période estivale, il a été convenu avec l'intimé d'étaler sur 26 paies (260 jours) le salaire annuel des enseignants réguliers et ce, afin de leur permettre de recevoir un salaire pendant la période estivale.

[5] Pour l'année scolaire 2003-2004, la plaignante a débuté son congé de maternité le 25 août 2003 suivi d'un congé parental du 29 décembre 2003 au 21 juin 2004. Lors de son congé de maternité (18 semaines), la plaignante a reçu de l'intimé des PSCM équivalentes à 93% de son salaire annuel basées sur 26 paies moins les prestations de maternité versées par l'assurance-emploi. À la fin de son congé parental, la plaignante est retournée au travail les 22 et 23 juin 2004. Pour chacune de ces deux journées, elle a été rémunérée par l'intimé sur une base de 1/200 de son salaire annuel plutôt que sur 1/260. La plaignante n'a pas reçu de rémunération de l'intimé pendant l'été 2004.

[6] La plaignante explique que la seule politique de l'intimé portée à sa connaissance durant toute la durée de son emploi est la Politique du personnel de l'école Olamen de la Romaine-mai 2001 (ci-après : La politique de l'école-mai 2001).

[7] Dans son témoignage, la plaignante relate ses rencontres et entretiens téléphoniques durant l'année 2003-2004 avec le Directeur des services éducatifs de l'intimé, monsieur Réjean Laberge. Ce dernier représente l'intimé en ce qui a trait à l'application des politiques portant sur les conditions d'emploi. Dans un premier temps, elle a dû clarifier avec monsieur Laberge le salaire annuel de base servant de calcul pour les PSCM. Monsieur Laberge a reconnu que ce salaire était de 57 960$ plutôt que 57 860$. Deuxièmement, la plaignante a réclamé que les PSCM lui soient versées pendant le délai de carence imposé par l'assurance-emploi à savoir les semaines 1 et 2 ainsi que la dernière semaine de son congé de maternité. L'intimé a fait droit à la demande de la plaignante. Cette dernière a également demandé à monsieur Laberge que l'intimé lui octroie les PSCM sur un salaire annuel basé sur une rémunération journalière calculée sur 200 jours plutôt que sur 260 jours. Selon le témoignage de la plaignante, monsieur Laberge aurait déclaré qu'il acceptait sa demande. Cependant, un mois plus tard, la plaignante recevait une lettre de monsieur Laberge refusant sa demande. Dans cette lettre, monsieur Laberge précise à la plaignante qu'il refuse de lui payer l'équivalent des journées de maladie accumulées pendant son congé de maternité.

[8] Le deuxième témoin entendu pour la plaignante fut madame Marie-Josée Chamberland, enseignante régulière à temps plein depuis septembre 2000 auprès de l'intimé. Dans son témoignage, elle déclare que la seule politique de l'intimé portée à sa connaissance fut la politique de l'école-mai 2001. Elle témoigne qu'en août 2004, monsieur Laberge a informé les employés que l'intimé avait décidé de ne plus offrir les PSCM pour l'année 2004-2005. À cette occasion, il a remis à tous les employés un exemplaire de la nouvelle politique de l'intimé. Cette politique n'a pas été déposée en preuve.

[9] Pour l'intimé, le seul témoin entendu fut monsieur Réjean Laberge. Ce dernier est à l'emploi de l'intimé depuis janvier 2001. Entre janvier 2001 et septembre 2003, il exerce la fonction de Directeur de l'école. En septembre 2003, il cumule la fonction de Directeur de l'école et celle de Directeur des services éducatifs. À compter de janvier 2004, les fonctions de monsieur Laberge seront exclusivement celles de Directeur des services éducatifs. À ce titre, monsieur Laberge est responsable de l'application des politiques portant sur les conditions d'emploi.

[10] Monsieur Laberge explique que le document de référence concernant les conditions de travail de tous les employés de l'intimé est la Politique du personnel Conseil des Innu d'Unamen-Shipu de novembre 2001 (ci-après : La politique du Conseil-novembre 2001). À son entrée en fonction en septembre 2003 à titre de Directeur des services éducatifs, la Directrice adjointe des services éducatifs de son prédécesseur lui a remis la Politique du personnel de l'École Olamen-mars 2003 (ci-après : La politique de l'école-mars 2003). Le témoin relate qu'antérieurement à la politique de mars 2003, existait une autre politique intitulée Politique de l'école Olamen-mai 2002 (ci-après : La politique de l'école-mai 2002). Du témoignage de monsieur Laberge, il ressort qu'il existe une politique de l'école et une politique du Conseil, laquelle s'applique à tous les employés de l'intimé. La politique de l'école qu'il a appliquée au dossier de la plaignante est celle de mars 2003.

[11] Dans son témoignage, monsieur Laberge a déclaré qu'avant le congé de maternité de la plaignante, deux autres enseignantes ont bénéficié des PSCM et il a appliqué le même calcul, c'est-à-dire 93% de leur salaire annuel sur 260 jours.

[12] Relativement aux congés de maladie, monsieur Laberge explique son refus comme suit:

Q. [Me José Rondeau] : Alors, au même titre, la réclamation pour des journées de maladie, vous lui refusez pour quelle raison ?

Il ne peut y avoir de congés de maladie monnayables, tu ne peux pas avoir accumulé des congés de maladie si tu n'as pas travaillé. Quelqu'un qui est en congé sans solde, il n'accumule pas de congés de maladie.

III. Cadre juridique

[13] La Loi énonce à son article 3 le sexe comme motif de distinction illicite en précisant qu'une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe. La Cour suprême du Canada a reconnu une situation de discrimination en cours d'emploi fondée sur la grossesse dans l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd.2 Dans cet arrêt, la Cour a conclu qu'il était discriminatoire que le régime d'assurance-salaire en vigueur chez l'employeur prive les salariées enceintes de prestations d'invalidité pendant dix-sept semaines commençant la dixième semaine précédent la semaine présumée de l'accouchement et finissant la sixième semaine après celle de l'accouchement.

[14] Il n'est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient le seul motif des actes reprochés pour que la plainte soit jugée fondée. Il suffit que la discrimination ait été l'un des éléments qui ont motivé la décision de l'intimé.3

[15] Il incombe à la personne qui allègue être victime de discrimination en matière de droits de la personne d'en faire la preuve devant le tribunal. Selon l'arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke (Municipalité), un plaignant doit prouver qu'il est, de prime abord, victime de discrimination.4 Autrement dit, un plaignant doit faire une preuve prima facie de discrimination. L'arrêt O'Malley c. Simpson Sears Ltd., précise que cette preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur.5

[16] Dans l'affaire Canada (Ministre de la Défense nationale) c. Mongrain 6 , la Cour d'appel fédérale a déclaré qu'il ne suffit pas pour le plaignant d'affirmer qu'il a des motifs raisonnables de croire qu'il est victime de discrimination pour déplacer le fardeau de preuve vers l'intimé. Il doit établir une preuve prima facie.

[17] Une fois que la preuve prima facie est établie, il incombe à l'intimé de fournir une justification raisonnable démontrant que la décision qui a été prise en rapport avec le plaignant n'était pas fondée sur un motif illicite de discrimination. La justification invoquée ne doit pas être un simple prétexte.7

IV. Analyse

[18] Le Tribunal est saisi de deux questions. La première concerne l'allégation de la plaignante selon laquelle l'intimé a fait preuve de discrimination à son endroit, en refusant d'établir le calcul des PSCM sur la base de sa rémunération annuelle divisée par 200 jours de travail. Plus précisément, la plaignante réclame à l'intimé: 93% de la différence entre mon salaire annuel divisé par 20 périodes de paie (200 jours de travail) et celui divisé par 26 périodes de paie (260 jours) et ce, pour 18 semaines.

[19] La deuxième question a trait à l'allégation de la plaignante selon laquelle l'intimé a fait preuve de discrimination à son endroit, en refusant de lui attribuer un montant équivalent aux journées de maladie monnayables accumulées pendant son congé de maternité. Selon la plaignante, elle aurait accumulé pendant la durée de son congé de maternité, 3,15 jours de congé de maladie.

[20] Dans un premier temps, le Tribunal procédera à l'analyse de la question portant sur le calcul des PSCM. Par la suite, le Tribunal examinera la question des congés de maladie.

A. Le calcul des PSCM

[21] Il ressort de la preuve que les PSCM sont octroyées aux employées régulières qui sont éligibles à l'assurance-emploi. Le but des PSCM, tel qu'énoncé aux politiques de l'école vise à compléter les prestations d'assurance-emploi lors de l'arrêt de travail temporaire causé par une grossesse seulement. Toutes les politiques de l'école prévoient que le régime des PSCM s'applique aux employées régulières qui deviennent enceintes. Enfin, toutes ces politiques précisent ce qui suit :

« La somme des prestations hebdomadaires payables en vertu du régime et des prestations hebdomadaires brutes d'assurance-emploi correspond à 93% de la rémunération habituelle de la salariée. »

[22] Pour la plaignante, la rémunération habituelle d'une employée régulière correspond à une prestation de travail de 200 jours dont la rémunération est étalée sur une période de 26 périodes de paie. Toujours selon la plaignante, dans le cas d'une employée à temps partiel, la rémunération n'est pas étalée sur une période de 26 paies. Ce ne sont que les employées régulières, qui pour s'assurer une rémunération durant tout l'été, acceptent un étalement de leur rémunération sur une période de 26 périodes de paie.

[23] D'entrée de jeu, le Tribunal constate que toutes les modalités du calcul des PSCM ne sont pas explicitement prévues aux politiques de l'école. Hormis le fait que toutes ces politiques prévoient que le calcul des PSCM correspond à 93% de la rémunération habituelle de la salariée, il n'est pas précisé si ce calcul doit être divisé par 20 ou 26 semaines. Cependant, toutes les politiques de l'école prévoient que le calcul 1/200 jours est utilisé pour déterminer le salaire des employés à temps partiel (politique de l'école mai-2001) ou pour déterminer le salaire des employés à temps partiel ou à contrat (politique de l'école mai 2002 et mars 2003). Toutes les politiques de l'école reconnaissent un caractère supplétif à la politique du Conseil. En effet, ces politiques énoncent :

Dans le cas de vides organisationnels du présent document, la Politique générale du Conseil de Bande fait force de loi.

[24] Or, la politique du Conseil-novembre 2001 prévoit ce qui suit pour les employés réguliers et occasionnels :

La rémunération de l'employé est établie selon une base annuelle ramenée sur une base de deux (2) semaines (ou soixante-dix (70) heures pour les employés à temps plein), en divisant le traitement prévu par un facteur de conversion de vingt-six (26).

[25] Le représentant de l'intimé, monsieur Laberge a écrit (Pièce P-8) que l'octroi des PSCM était discrétionnaire. Il a réitéré ce point lors de son témoignage. De l'avis du Tribunal, cette affirmation n'a pas d'incidence sur la présente affaire puisque l'intimé a accepté de verser les PSCM à la plaignante.

[26] La preuve révèle que le représentant de l'intimé a toujours considéré les PSCM comme un avantage reconnu aux employées régulières enceintes et que l'indemnité versée lui semblait équitable. Le Tribunal tient à préciser qu'il ne lui appartient pas de déterminer si la décision de l'intimé de calculer les PSCM en divisant par 26 semaines est équitable. Le Tribunal doit déterminer s'il y a eu discrimination. Pour répondre affirmativement à cette question, la plaignante doit établir par une preuve prima facie, qu'elle a été défavorisée en cours d'emploi pour un motif de distinction illicite, à savoir sa grossesse.

[27] En l'espèce, pour déterminer si la plaignante a été défavorisée pour un motif illicite, il faut une analyse comparative afin de déterminer si la règle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.8

[28] Ainsi, le Tribunal doit identifier le groupe qui est également visé par la même règle. La plaignante soutient qu'à titre de salariée régulière, sa situation doit être comparée au groupe auquel elle appartient, c'est-à-dire les employées régulières. Autrement dit selon la plaignante, il faut se poser la question suivante : est-ce que l'intimé, par son mode de calcul des PSCM, traite différemment la plaignante des employées salariées régulières qui ne sont pas enceintes ? Pour la plaignante, l'expression rémunération habituelle utilisée pour calculer les PSCM doit se comparer à la définition de rémunération habituelle reconnue et versée aux employées régulières qui ne sont pas enceintes et qui reçoivent une rémunération.

[29] Pour sa part, l'intimé prétend que la situation de la plaignante doit se comparer à un employé qui n'a pas travaillé. Or, un employé n'a droit au résiduel (montant prélevé en trop en raison de l'étalement sur 26 semaines), que s'il a travaillé et uniquement pour la proportion du temps travaillé. Pour l'intimé, la situation de la plaignante doit être assimilée à une employée en congé sans solde.

[30] Dans l'arrêt Brooks, le groupe auquel s'identifiaient les plaignantes était tous les employés visés par le régime d'assurance collective de l'employeur. Tel que déjà mentionné, ce régime comportait une couverture sélective en excluant les travailleuses enceintes des prestations hebdomadaires en cas de perte de salaire pour cause de maladie et d'accident pour une période de dix-sept semaines. Pendant ces dix-sept semaines, les femmes enceintes ne pouvaient toucher aucune prestation même si elles souffraient d'une maladie tout à fait étrangère à leur grossesse. Le régime avait donc pour effet de traiter différemment la grossesse des autres incapacités de travailler liées à des problèmes de santé. La Cour écrit :

Les avantages sociaux sont de plus en plus souvent intégrés dans les conditions de travail. Dès qu'un employeur décide de fournir un régime d'avantages sociaux, il ne peut faire d'exclusions de façon discriminatoire. Une indemnité sélective de cette nature reviendrait clairement à la discrimination fondée sur le sexe. Les avantages fournis dans le cadre de l'emploi doivent être fournis sans discrimination.9

[31] En l'espèce, les PSCM sont un avantage qui s'adresse exclusivement aux employées régulières enceintes. Les employées régulières non enceintes ne sont pas visées par la règle des PSCM. Dans l'arrêt Brooks, la règle d'exclusion des femmes enceintes était contenue dans un régime d'assurance santé qui s'appliquait à tous les employés. Les faits de la présente affaire sont différents.

[32] De l'avis du Tribunal, au-delà de l'interprétation que l'on peut donner à l'expression rémunération habituelle, il faut avant tout déterminer si la plaignante, lorsqu'elle reçoit les PSCM, doit être considérée comme une employée en congé avec ou sans solde. Ce n'est qu'une fois ce point établi, que le Tribunal pourra déterminer si la plaignante a raison d'invoquer comme groupe comparatif celui des employées régulières non enceintes qui reçoivent une rémunération.

[33] Or, à la lecture de toutes les politiques de l'école déposées en preuve, on constate que les PSCM sont qualifiées de prestations et non pas de salaire ou de rémunération. Certes, les prestations sont calculées sur la rémunération habituelle mais cela ne signifie pas qu'elles constituent de la rémunération ou qu'elles doivent être assimilées à du salaire ou de la rémunération. De l'avis du Tribunal, les PSCM visent à compenser une absence de rémunération pour congé de maternité, mais cela ne permet pas d'assimiler les PSCM à une rémunération.

[34] Au surplus, toutes les politiques de l'école utilisent également le terme allocation de congé de maternité pour qualifier les PSCM. Encore une fois, le mot rémunération ou salaire n'est pas utilisé.

[35] Dans l'affaire Dumont-Ferlatte 10, le Tribunal canadien des droits de la personne a rejeté la réclamation d'employées de la Fonction publique du Canada alléguant une discrimination fondée sur le sexe au motif qu'on a refusé de leur créditer des congés annuels, des congés de maladie et de leur payer des primes mensuelles au bilinguisme durant leur congé de maternité. Dans cette affaire, les plaignantes alléguaient que les PSCM reçues constituaient de la rémunération. Par conséquent, selon les plaignantes, aux fins d'établir le groupe comparatif approprié, elles devaient être considérées en congé de maternité avec traitement. Le Tribunal a conclu que les PSCM ne constituaient pas une rémunération et que l'existence ou non de discrimination devait s'analyser en comparant les conséquences rattachées aux différentes formes de congés sans solde. Le Tribunal écrit :

De par l'essence même du contrat de travail, le revenu ou la rémunération est directement lié à la prestation de travail. Or, pendant la prise de son congé de maternité, la femme enceinte ne fournit pas de prestation de travail et elle ne saurait être rémunérée.11

(...)

Comme la femme enceinte n'est pas en mesure, en raison de son absence en congé de maternité, de fournir une prestation de travail pour laquelle elle recevrait une rémunération, l'allocation de maternité versée par l'employeur vient combler la situation désavantageuse dans laquelle elle se retrouve et elle ne constitue pas une rémunération.12

[36] Le présent Tribunal est d'avis que cette décision s'applique aux faits du présent dossier. Il importe de préciser que la décision Dumont-Ferlatte a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada-Division de première instance. La juge Tremblay-Lamer a rejeté la demande. Au paragraphe 46 du jugement, elle écrit :

Il ressort de la preuve devant le Tribunal que le congé de maternité est un congé sans solde. Du fait de l'absence de prestation de travail en raison de la maternité, l'employée ne reçoit aucune rémunération. C'est donc à bon droit que le Tribunal a comparé le congé de maternité avec les autres congés sans solde prévus dans les conventions collectives, dont notamment le congé de paternité sans solde, le congé d'adoption sans solde, le congé sans solde visant les soins et l'éducation des enfants d'âge préscolaire, le congé sans solde pour réinstallation du conjoint, le congé sans solde pour besoins personnels, le congé de maladie sans solde, le congé sans solde pour études et perfectionnement, le congé militaire sans solde, le congé sans solde en vue de la participation aux activités d'un organisme international, le congé sans solde lors de la candidature à une élection et le congé sans solde pour activités syndicales.13

[37] Ainsi, le Tribunal conclut que la plaignante doit être considérée comme étant en congé sans solde. La plaignante ne peut se comparer aux employées régulières non enceintes qui ne sont pas en congé sans solde. Ce groupe ne constitue pas le groupe comparatif approprié.

[38] En l'espèce, il faut aussi considérer l'absence de prestation de travail de la plaignante. Dans l'affaire Cramm c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada 14, le Tribunal d'appel des droits de la personne écrit :

Selon nous, le raisonnement dans Dumont-Ferlatte est en outre plus cohérent avec la nature essentielle du contrat de travail. À titre de rappel : l'obligation de payer de l'employeur est conditionnelle au travail effectué. Il n'existe pas d'obligation générale pour les employeurs de rémunérer les employés qui ne fournissent pas de services.15

[39] L'affaire Cramm a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire qui fut rejetée. Dans cet arrêt, le juge MacKay écrit :

La Commission a soutenu que le Tribunal avait commis une erreur en examinant la nature du contrat d'emploi, pour conclure qu'il n'y avait pas de preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal d'appel l'a fait en examinant l'objet du RGER, élément essentiel à l'examen des règles relatives à l'emploi, conformément au raisonnement énoncé dans l'arrêt Gibbs. À mon avis, la nature de la règle, fondée sur le principe du contrat d'emploi selon lequel une personne est payée pour les services fournis, est un élément essentiel à l'examen de son objet. (...)16

[40] La plaignante ne reçoit pas de l'intimé des PSCM en considération d'une prestation de travail. Or, les employés réguliers ne sont pas dans la même situation que la plaignante, la raison étant que leur rémunération est en contrepartie d'une prestation de travail. Certes, l'employé régulier qui quitte en milieu de l'année scolaire aura droit au remboursement du montant qui a été retenu pour assurer l'étalement sur 26 semaines. Cependant, le calcul des sommes prélevées en trop est en considération du travail effectué pour lequel une rémunération X a été versée. En l'espèce, le Tribunal ne peut comparer la situation de la plaignante avec les employées régulières non enceintes qui fournissent une prestation de travail.

[41] Ainsi, le Tribunal conclut que la plaignante n'a pas établi par une preuve prima facie que l'intimé a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de sa grossesse.

B. Le remboursement des congés de maladie

[42] Pour ce volet de la plainte, la plaignante considère que l'intimé a fait preuve de discrimination à son égard en refusant de lui rembourser les congés de maladie accumulés pendant son absence pour congé de maternité. La plaignante s'appuie sur la politique de l'école-mai 2001. Cette politique prévoit ce qui suit :

22.1 L'employée en congé de maternité conserve ses jours de congé de maladie et demeure couverte par le régime d'assurance en vigueur.

[43] Pour l'intimé, la politique de l'école-mai 2001 soumise par la plaignante ne s'applique pas. L'intimé soutient que la politique en vigueur au moment où la plaignante a exercé son droit à un congé de maternité était la politique de l'école-mars 2003. Or, l'article 22.1 n'apparaît plus dans cette politique ni à celle antérieure, soit la politique de l'école-mai-2002.

[44] Par conséquent, l'intimé ne reconnaît plus à l'employée en congé de maternité le droit de monnayer ses congés de maladie qu'elle aurait accumulés pendant son absence.

[45] Pour la plaignante, c'est la politique de l'école-mai 2001 qui s'applique puisque l'intimé ne lui a jamais communiqué les politiques de l'école mars 2003 et mai 2002.

[46] Cela dit, la compétence du Tribunal consiste à déterminer si en refusant de lui rembourser les congés de maladie accumulés pendant son congé de maternité, l'intimé a fait preuve de discrimination à l'égard de la plaignante. Dans un premier temps, le Tribunal doit vérifier l'existence d'une preuve prima facie de discrimination.

[47] Il ressort de la preuve que l'intimé justifie son refus de rembourser à la plaignante les congés de maladie accumulés, car selon l'intimé, la politique de l'école-mai 2001 ne s'appliquait plus (Pièce P-11, p. 3). Or, il est établi que la plaignante n'a jamais reçu copie des politiques de l'école de mai 2002 et de mars 2003. En tenant pour acquis que l'intimé se devait d'appliquer la politique de l'école-mai 2001 à la plaignante puisqu'il n'avait pas notifié cette dernière qu'elle ne s'appliquait plus, le Tribunal ne peut conclure à une preuve prima facie de discrimination.

[48] Le refus de l'intimé d'appliquer la politique de l'école-mai 2001, ne constitue pas en soi, une preuve prima facie de discrimination envers la plaignante. Certes, il existe une mésentente entre les parties portant sur le bien-fondé ou non de la décision de l'intimé d'appliquer une politique jamais communiquée à la plaignante. Cependant, le Tribunal ne peut faire de lien entre cette mésentente et le motif de distinction illicite qu'est la grossesse.

[49] Malgré ce qui précède et en tenant pour acquis que la plaignante ait établi une preuve prima facie de discrimination, le Tribunal considère que l'ensemble de la preuve soumise ne démontre pas que l'intimé a fait preuve de discrimination envers la plaignante. Dans sa lettre adressée à la Commission canadienne des droits de la personne (Pièce I-3), le représentant de l'intimé écrit qu'une disposition leur permet de modifier une politique avant le début de chaque année scolaire. Les politiques de l'école de mai-2002 et de mars-2003 prévoient une telle disposition. La politique de l'école-mai 2001 précise ce qui suit : La présente politique peut être modifiée par le Conseil en place.. L'intimé s'était donc réservé le droit de modifier la politique de l'école-mai 2001. C'est ce qu'il a fait en révisant et modifiant cette politique à deux reprises. Par conséquent, le refus de l'intimé d'appliquer la politique de l'école-mai 2001 n'est pas un prétexte et constitue une explication raisonnable.

[50] Relativement au refus de l'intimé de reconnaître à une employée régulière enceinte la possibilité de monnayer les congés de maladie accumulés pendant son congé de maternité, le Tribunal a analysé le témoignage du représentant de l'intimé et la lettre qu'il a adressée à la plaignante (Pièce P-8). De cette preuve, le Tribunal comprend que lorsque le représentant de l'intimé écrit à la plaignante (Pièce P-8) et qu'il répond aux questions de Me José Rondeau, avocate de la plaignante, sur les congés de maladie, il se réfère à la politique qu'il considère applicable, à savoir la politique de l'école-mars 2003. Or, la raison pour laquelle cette politique de l'école-mars 2003 ne reconnaît plus cet avantage, réside dans le fait que, selon le représentant de l'intimé, les employées en congé de maternité sont considérées en congé sans solde. Comme ils n'ont pas travaillé, les employés en congé sans solde ne peuvent accumuler des congés de maladie pendant leur absence. De l'avis du Tribunal, la décision Dumont-Ferlatte 17 confirme le bien-fondé d'une telle justification.

[51] Certes, l'intimé aurait pu maintenir l'avantage reconnu à l'article 22.1 de la politique de l'école-mai 2001. Cependant, la décision de retirer cet avantage et les raisons invoquées au soutien de ce retrait constituent une explication raisonnable qui n'est pas un prétexte.

[52] Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante n'a pas établi une preuve prima facie de discrimination et que, advenant où elle l'aurait fait, l'intimé a donné une explication raisonnable qui n'est pas un prétexte ni contraire à la Loi.

V. Conclusion

[53] Le Tribunal conclut que la plaignante n'a pas établi qu'elle a fait l'objet de discrimination.

[54] Pour les motifs qui précèdent, la plainte est rejetée.

signée par

Kathleen Cahill

OTTAWA, Ontario
Le 29 août 2006

1 L.R. (1985), ch. H-6.

2 [1989] 1 R.C.S. 1219.

3 Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, par. 7, (C.A.F.).

4 [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208, par. 7.

5 [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558, par. 28.

6 [1991] 1 A.C.F. No 945 (Q.L.).

7 Lincoln c. Bay Ferries 2004 C.A.F. 204, par. 23 et Morris c. Canada (Forces armées canadiennes) 2005 CAF 154, par. 26 et 27.

8 Précitée, note 5, par 18.

9 Précitée, note 2, page 1240.

10 Dumont-Ferlatte c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1996] D.C.D.P., No 9, (Q.L.).

11 Id, par. 76.

12 Id, par. 80.

13 Dumont-Ferlatte c. Canada (Commission de l'emploi de l'immigration), 1997 F.C.J., No. 1734, par. 47. (Q.L.)

14 Cramm c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Terra Transport), T.A.D.P., [1988] D.C.D.P. No 4, (Q.L.).

15 Par. 63.

16 Commission canadienne des droits de la personne c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Terra Transport), C.A.F., D.T.E. 2000T-1007, par. 26.

17 Précitée, note 10.

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1060/4105
INTITULÉ DE LA CAUSE : Dannie Bernatchez c. Conseil des Montagnais de la Romaine
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 1er mai 2006

Sept-Îles (Québec)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 29 août 2006
ONT COMPARU :
Me José Rondeau Pour la plaignante
(Aucun représentant) Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Me Serge Belleau Pour l'intimé
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