Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

TERRY BUFFETT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION

2006 TCDP 39
2006/09/15

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

I. LES FAITS

A. La plainte de M. Buffett

B. Pourquoi M. Buffett a-t-il demandé des fonds pour la procédure de reproduction?

C. Qu'est-ce que la FIV et l'IICS?

D. Les régimes provinciaux d'assurance-maladie financent-ils la FIV et la FIV combinée avec l'IICS?

E. Le régime de soins de santé des FC

F. Les FC fournissent-elles des services de santé à des personnes qui, comme Rhonda Buffett, sont des membres de la famille d'un militaire?

G. Le régime de soins de santé des FC finance-t-il les traitements de FIV combinée ou non avec une IICS des militaires?

H. Qu'a fait M. Buffett lorsqu'il a appris le changement apporté à la politique des FC?

II. ANALYSE

A. Comment M. Buffett doit-il faire la preuve de la discrimination?

B. A-t-on établi une preuve prima facie qu'il y a discrimination fondée sur le sexe suivant l'article 7 de la Loi?

(i) La thèse de M. Buffett et de la Commission

(ii) La thèse des FC

(iii) Analyse comparative

C. Les FC ont-elles une explication raisonnable pour justifier leur acte par ailleurs discriminatoire?

(i) Les FC ont-elles adopté leur politique dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail ou des fonctions en cause?

(ii) Les FC ont-elles adopté leur norme de bonne foi?

(iii) La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser le but des FC de sorte que celles-ci ne peuvent composer avec M. Buffett et les autres militaires de sexe masculin qui sont infertiles sans subir une contrainte excessive?

a) Le témoignage du Major Weisgerber

b) Le témoignage de la Bgén Jaegar

c) Le coût additionnel constituera-t-il une contrainte excessive?

D. A-t-on fait la preuve d'un acte discriminatoire fondé sur la déficience, visé à l'article 7?

E. L'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille

F. La plainte relative à l'article 10

G. Quelles mesures de redressement M. Buffett et la Commission demandent-ils?

(i) L'octroi de l'avantage en matière d'emploi à M. Buffett

(ii) Une indemnité pour préjudice moral - alinéa 53(2)e) de la Loi

(iii) Les intérêts

(iv) La cessation de l'acte discriminatoire

(v) La formation de sensibilisation

I. LES FAITS

A. La plainte de M. Buffett

[1] Le plaignant, Terry Buffett, est un adjudant des Forces canadiennes (FC). Il allègue que les FC l'ont privé d'un avantage en matière d'emploi en refusant de payer une procédure médicale de reproduction (fécondation in vitro). Il prétend que ce refus constitue un traitement différent et préjudiciable fondé sur sa déficience (infertilité masculine), son sexe et sa situation de famille, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Il allègue également que le refus des FC reposait sur une politique discriminatoire contraire à l'article 10 de la Loi.

[2] De leur côté, les FC soutiennent que la discrimination n'a joué aucun rôle dans leur décision de refuser le financement. Elles offrent une assurance-maladie financée par des deniers publics à leurs membres seulement. Or, c'est la conjointe de M. Buffet, qui n'est pas une militaire, qui ferait l'objet de la procédure médicale en question. M. Buffett n'a donc pas le droit de recevoir des fonds pour cette procédure dans le cadre du régime de soins de santé des FC.

[3] Pour les motifs exposés ci-dessous, j'estime que la plainte de M. Buffett est fondée.

B. Pourquoi M. Buffett a-t-il demandé des fonds pour la procédure de reproduction?

[4] M. Buffett, qui est âgé de 44 ans, fait partie des FC depuis 1979. Lui et sa femme, Rhonda Buffett, sont mariés depuis 1985. Mme Buffet est maintenant âgée de 45 ans. Le couple ayant de la difficulté à avoir un enfant, il a consulté des professionnels du domaine de la fertilité. En 1995, M. Buffett a reçu un diagnostic d'infertilité masculine. Il a été établi que le nombre de spermatozoïdes dans son sperme était faible et que leur mobilité était inférieure à la normale. Il a également été établi que la morphologie de ses spermatozoïdes (leur forme et leur structure) était bien inférieure à la normale.

[5] M. Buffett a subi, en juillet 1995, une intervention médicale appelée embolisation de varicocèle, dans le but d'améliorer la qualité de son sperme. La technique consiste à traiter une veine dilatée entourant le testicule, dont la présence peut modifier les paramètres du sperme. Les analyses de suivi du sperme de M. Buffett n'ont toutefois révélé qu'une légère amélioration de la mobilité et de la morphologie des spermatozoïdes, ainsi que de leur nombre. En février 1996, l'urologue de M. Buffett, le docteur Mark Nigro, qui est un expert en infertilité masculine, a recommandé le recours à des [traduction] techniques de reproduction avancées, à savoir la fécondation in vitro (FIV) et l'injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (IICS), ce qu'il considérait être la [traduction] prochaine étape à laquelle devait logiquement passer le couple pour satisfaire son désir de procréation.

C. Qu'est-ce que la FIV et l'IICS?

[6] La FIV est une technique qui consiste à féconder dans une éprouvette les ovules d'une femme avant de les transférer dans son utérus. Au début du processus (ou cycle), la femme s'auto-administre des injections d'un médicament pendant dix jours afin de stimuler le fonctionnement de ses ovaires et la maturation de ses ovocytes et follicules. Une échographie est réalisée tous les 2 ou 3 jours afin de suivre la croissance des ovocytes dans ses ovaires. Lorsqu'au moins trois follicules ont atteint une taille donnée, la femme s'auto-injecte un médicament qui permet aux ovocytes de terminer leur maturation. Trente-six heures plus tard, la femme subit une intervention appelée récupération des ovocytes par voie vaginale. On administre à la femme un sédatif et on introduit une aiguille dans l'ovaire. Les ovocytes sont extraits des follicules. Ils sont ensuite mis en présence du sperme (qui contient environ 6 500 spermatozoïdes) dans une éprouvette incubée, où la fécondation a lieu naturellement. On vérifie chaque jour les ovocytes et, s'ils ont été fécondés, on introduit les embryons ainsi obtenus dans l'utérus de la femme, trois à cinq jours après la fécondation, à l'aide d'un cathéter. Si les règles ne se déclenchent pas dans les 17 jours qui suivent, un test de grossesse est réalisé.

[7] Lorsque le sperme utilisé contient trop peu de spermatozoïdes normaux et mobiles, le taux de réussite de la FIV s'est avéré jusqu'ici très faible, oscillant entre 4 et 6 p. 100. Le docteur Nigro a déclaré dans son témoignage que les endocrinologues spécialisés en médecine de la reproduction ne recommandent pas d'utiliser uniquement la FIV dans les cas d'anomalies des spermatozoïdes. La solution privilégiée est le recours combiné à la FIV et à l'IICS, procédé qui consiste à isoler des spermatozoïdes normaux, par leur aspect et leur mobilité, à partir d'un éjaculat de l'homme. Un de ces spermatozoïdes est injecté directement dans l'ovocyte à l'aide d'un microscope et d'une aiguille fine qui permet des micromanipulations. La méthode d'incubation et de transfert des embryons dans l'utérus de la femme est la même que celle employée dans la FIV.

[8] Le docteur Arthur Leader, qui est professeur d'obstétrique, de gynécologie et de médecine (endocrinologie) à l'Université d'Ottawa, a témoigné à titre d'expert en endocrinologie de la reproduction et en infertilité. Il a expliqué qu'il faut mobiliser jusqu'à 30 personnes pour réaliser un seul cycle de traitement de FIV. D'où le coût non négligeable de l'intervention. Selon le docteur Leader, le coût actuel de la FIV se situe entre 5 500 et 6 000 $ par cycle, auquel s'ajoute une somme de 1 100 à 1 300 $ par cycle si on fait également appel à l'IICS. Il a ajouté qu'en 1997, peu après que la technique eut été recommandée pour la première fois au couple Buffet, le coût s'élevait à environ 3 000 $ par cycle de FIV, plus un montant supplémentaire de 1 500 $ par cycle de FIV en cas de recours à l'IICS. Les estimations des coûts actuels des interventions faites par le docteur Nigro rejoignaient celles du docteur Leader (6 000 $ par cycle de FIV et une somme additionnelle de 1 500 $ par cycle de FIV en cas de recours à l'IICS).

[9] En général, le docteur Leader ne recommande pas plus de trois cycles de FIV ou de FIV combinée avec l'IICS à ses patientes, lesquelles ont 35 ans en moyenne. Les recherches montrent que chez les femmes dans la trentaine avancée ou plus âgées qui ne deviennent pas enceintes au terme de trois tentatives, il est peu probable que l'intervention donne un jour des résultats.

[10] D'après le docteur Leader, grâce à l'introduction de l'IICS, le taux de grossesse obtenu lorsqu'on utilise des spermatozoïdes de piètre qualité est maintenant comparable au taux de grossesse associé à la FIV pratiquée avec du sperme de qualité normale, soit environ 30 p. 100 par cycle.

[11] Trente pour cent des cas où un embryon est implanté dans l'utérus d'une femme aboutissent à la naissance d'un enfant. Ce pourcentage chute à mesure que la femme, ou l'homme qui fournit les spermatozoïdes, avance en âge, en raison d'un risque accru de fausse couche, surtout après 40 ans. Le docteur Leader est d'avis qu'il n'est pas recommandé aux femmes de plus de 42 ans de recourir à la FIV et à la FIV combinée avec l'IICS. Il a déclaré dans son témoignage qu'il n'existe aucun cas recensé de traitement réussi chez des femmes de plus de 43 ans.

D. Les régimes provinciaux d'assurance-maladie financent-ils la FIV et la FIV combinée avec l'IICS?

[12] Lorsque le docteur Nigro a recommandé la FIV combinée avec l'IICS, M. Buffett était en poste à la Station des Forces canadiennes Aldergrove en Colombie-Britannique. Les Buffett résidaient donc dans cette province à l'époque. En 1996, M. Buffett a été affecté à la base de Gagetown, au Nouveau-Brunswick, où le couple s'est installé. Les régimes de santé publics de ces provinces ne payaient pas le coût des traitements de FIV. En fait, à part le régime de santé de l'Ontario, aucun des régimes de santé provinciaux au Canada n' a jamais financé les traitements de FIV.

[13] Jusqu'en 1993, l'assurance-santé de l'Ontario (OHIP) payait la FIV pour les femmes, sans égard à la cause de l'infertilité. En 1993, la province a retiré la FIV de sa liste de services assurés, sauf pour les femmes ayant les deux trompes de Fallope obstruées, un trouble connu sous le nom d'obstruction bilatérale des trompes de Fallope.

[14] La FIV combinée avec l'IICS n'a jamais été assurée par un régime provincial. Toutes les provinces payent cependant le coût des examens reliés aux problèmes d'infertilité.

[15] C'est donc dire que toute personne désirant avoir recours à la FIV ou à la FIV combinée avec l'IICS qui réside à l'extérieur de l'Ontario ou tout Ontarien souhaitant recourir à ces traitements qui n'est pas une femme souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope devra en assumer les coûts. Le docteur Leader a indiqué dans son témoignage que ces interventions sont habituellement effectuées dans des cliniques privées; il y a 24 cliniques de ce genre au Canada.

E. Le régime de soins de santé des FC

[16] Au Canada, le système public d'assurance-maladie relève de la compétence des provinces selon la Loi constitutionnelle de 1867. Le gouvernement du Canada contribue cependant au coût de la prestation des services de santé dans chaque province, sous réserve de certains critères et de certaines conditions, conformément à la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C-6. L'une de ces conditions veut que tout habitant d'une province soit réputé être un assuré dans le cadre du régime de santé de la province, à l'exception de certaines catégories de personnes désignées. Les membres des FC constituent l'une de ces catégories (article 2). Ceux-ci ne sont donc assurés par aucun régime de santé provincial au Canada.

[17] Afin que ses membres ne soient pas privés d'une assurance-maladie financée par l'État, les FC se sont chargées de fournir des soins de santé à leurs membres. Selon le chapitre 34 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), publiés en application du paragraphe 12(2) de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5, les FC doivent fournir à leurs membres des soins de santé financés par des deniers publics. On entend par soins de santé les traitements médicaux et chirurgicaux, les traitements relatifs au diagnostic et aux examens, l'hospitalisation, les traitements relatifs à la médecine préventive, le transport du patient, ainsi que la distribution et l'entretien des appareils prothétiques (article 34.01 des ORFC). En fait, les FC fournissent des soins de santé à leurs membres selon une échelle semblable aux régimes de santé provinciaux. On pourrait même considérer que la protection offerte par le régime des FC est plus étendue que celle assurée habituellement par les régimes provinciaux. Par exemple, les FC paient tous les médicaments, les traitements de physiothérapie, les services sociaux et les soins dentaires. Le régime est tellement généreux que certains l'ont qualifié de 14e régime de soins de santé du Canada, après ceux des dix provinces et des trois territoires.

[18] Les Services de santé des Forces canadiennes (SSFC), un groupe existant au sein des FC, constituent le fournisseur désigné des services médicaux aux militaires. Les SSFC ont créé une vaste infrastructure pour la prestation des services à l'intérieur et à l'extérieur du Canada. Ils comptent un groupe de professionnels de la santé en uniforme, notamment des omnipraticiens, des spécialistes, des infirmiers, des pharmaciens, des administrateurs, des travailleurs sociaux, des adjoints médicaux et des techniciens médicaux. Les FC emploient également un certain nombre d'experts médicaux civils, sur une base contractuelle, pour fournir des soins à leurs membres.

[19] Lorsqu'un militaire a besoin des services d'un professionnel de la santé civil, ce dernier facture ses services aux FC. Ainsi, dans le cas de M. Buffett par exemple, un médecin des FC employé à l'hôpital de la Base des Forces canadiennes à Chilliwack l'a dirigé vers le docteur Nigro, un spécialiste de Vancouver. Le docteur Nigro n'est pas employé par les FC. Il a facturé aux FC ses services professionnels, y compris les frais du traitement et des examens subis par M. Buffett.

[20] La Brigadière-générale Hillary Frances Jaeger a témoigné à l'audience au sujet du régime de soins de santé des FC. En qualité de chef des SSFC, elle doit notamment s'occuper des normes et de la déontologie professionnelles, répartir le travail entre les membres du personnel médical et élaborer une politique clinique. Elle voit son rôle comme celui du chef du personnel médical d'un hôpital civil typique. Elle a expliqué dans son témoignage que le régime de santé des FC vise deux grands objectifs : offrir aux militaires des soins de santé qui sont [traduction] à peu près comparables à ceux auxquels ils auraient droit s'ils n'étaient pas membres des FC et faire en sorte qu'ils soient [traduction] en aussi bonne forme que possible pour pouvoir s'acquitter de leurs tâches d'une façon qui répond aux attentes des FC.

F. Les FC fournissent-elles des services de santé à des personnes qui, comme Rhonda Buffett, sont des membres de la famille d'un militaire?

[21] Les FC ne fournissent généralement pas de soins de santé financés par des fonds publics aux familles de leurs membres. Aux termes de l'article 34.23 des ORFC, des services médicaux peuvent être prodigués aux personnes à charge des militaires (c.-à-d. leurs conjoints et enfants) dans certaines circonstances exceptionnelles, notamment en cas d'urgence ou lorsque ces personnes accompagnent le membre des FC dans un lieu où il n'y a aucune installation médicale civile qui soit appropriée, par exemple à Goose Bay, à Terre-Neuve-et-Labrador. Vu la taille relativement petite de cette communauté et son isolement géographique, il arrive régulièrement que les personnes à charge des militaires qui y sont stationnés reçoivent des soins de santé des SSFC. Ces personnes étant des habitants de Terre-Neuve-et-Labrador pendant qu'elles vivent sur la base, les FC facturent directement le coût des services qui leur sont fournis au régime de santé de la province.

[22] Sauf dans ces circonstances exceptionnelles, les personnes à charge des militaires doivent recevoir des services de santé assurés du gouvernement de la province où ils habitent. Les membres des familles des militaires sont cependant admissibles à la protection supplémentaire offerte par le Régime de soins de santé de la fonction publique (RSSFP). Le RSSFP est un régime d'assurance-maladie financé par l'employeur auquel tous les militaires peuvent participer et qui offre une protection supplémentaire aux membres de leur famille. Il est financé au moyen de contributions versées par l'employeur et les militaires. Il fournit une couverture partielle additionnelle pour les services qui ne sont pas assurés par les régimes de santé provinciaux, comme les médicaments sur ordonnance, les soins dentaires et les lunettes. M. Buffett s'est procuré cette protection pour sa femme.

G. Le régime de soins de santé des FC finance-t-il les traitements de FIV combinée ou non avec une IICS des militaires?

[23] Jusqu'en 1997, le régime de soins de santé des FC ne défrayait pas le coût des traitements de FIV ou de FIV combinée avec une IICS. Cette politique a été modifiée en septembre 1997. Une femme membre des FC cantonnée en Ontario avait demandé le remboursement du coût de son traitement de FIV, faisant valoir qu'elle aurait eu droit, en tant que civile habitant en Ontario, à ce que le coût de l'intervention soit défrayé par l'État. Elle prétendait qu'il était injuste que la politique des FC en matière de soins de santé soit plus restrictive que celle appliquée par le régime provincial correspondant, soit l'OHIP.

[24] Sa demande ayant été rejetée, la militaire a déposé un grief. Celui-ci a été accueilli et le financement lui a été accordé. Les FC ont ajouté par la suite la FIV à leur liste de services assurés. Elles prennent en compte différents facteurs avant d'ajouter un service de santé à leur liste de services assurés, notamment la possibilité que les régimes de santé provinciaux défrayent le coût du service en question. Comme la Bgén Jaeger l'a expliqué, cette mesure a pour but de voir à ce que les membres des FC ne soient pas privés de services de santé auxquels ils auraient normalement droit, simplement parce qu'ils sont des militaires.

[25] Selon la Bgén Jaeger, c'est notamment pour cette raison que les FC ont décidé d'ajouter la FIV à leur liste de services assurés. Le grief a mis en évidence le fait que l'OHIP assurait déjà ce traitement dans certaines circonstances particulières (obstruction bilatérale des trompes de Fallope). Les FC ont modifié leur politique pour offrir la même protection à leurs membres.

[26] Les fournisseurs de soins de santé au sein des FC ont été informés de ce changement par un message écrit envoyé par le chef des SSFC au Quartier général de la Défense nationale le 15 septembre 1997. Le message indiquait que la FIV était dorénavant autorisée et pouvait être approuvée par des responsables au sein de l'unité si elle était recommandée par un spécialiste des techniques de reproduction. Le coût de trois séances, au maximum, serait défrayé, comme le prévoit également la politique de l'OHIP. Fait intéressant, le message ne précisait pas si, comme c'était le cas sous le régime de l'OHIP après 1993, les nouvelles règles s'appliquaient seulement aux femmes ayant une obstruction bilatérale des trompes de Fallope.

H. Qu'a fait M. Buffett lorsqu'il a appris le changement apporté à la politique des FC?

[27] Peu de temps après que le docteur Nigro eut proposé, en février 1996, d'examiner la solution de la FIV combinée avec une IICS, M. Buffett a rencontré un médecin des FC pour discuter de la question. Le médecin des FC lui a dit que ce type d'intervention n'était pas assuré par le régime de santé des FC. Les Buffett habitaient en Colombie-Britannique à l'époque. Ils ont déménagé au Nouveau-Brunswick plus tard au cours de la même année. Comme les régimes de santé de ces deux provinces ne défrayaient pas le coût de cette procédure, il aurait fallu que le couple en assume lui-même le coût. M. Buffett et sa femme ont décidé qu'ils n'en avaient pas les moyens et ils se sont résignés à n'avoir peut-être jamais d'enfant biologique.

[28] Leurs attentes ont cependant radicalement changé quand un infirmier des FC, travaillant à la BFC de Gagetown, que M. Buffett connaissait, lui a transmis une copie du message envoyé par le Quartier général de la Défense nationale en septembre 1997, annonçant la modification apportée à la politique concernant le financement des traitements de FIV. M. Buffett a alors communiqué avec un médecin des FC travaillant sur la base et a présenté une demande de financement en bonne et due forme. La demande a été transmise au médecin-chef de la base, qui a refusé d'accorder les fonds demandés parce que [traduction] la FIV n'est assurée que dans une province (l'Ontario) et que le financement était offert [traduction] seulement dans les cas d'obstruction bilatérale des trompes.

[29] Le 10 novembre 1998, M. Buffett a déposé un grief contestant cette décision. Il a fait valoir que le message original envoyé par le Quartier général de la Défense nationale pour annoncer la modification apportée à la politique ne mentionnait pas que la protection était offerte seulement aux patientes ayant une obstruction bilatérale des trompes de Fallope. Selon lui, cette restriction créait de la discrimination fondée sur le sexe. Les militaires de sexe masculin se voyaient privés d'avantages auxquels leurs collègues féminines avaient droit étant donné que les hommes ne peuvent physiologiquement être atteints d'affections touchant les trompes de Fallope.

[30] Conformément à la procédure des FC, le grief de M. Buffett a été examiné et commenté par ses officiers supérieurs à différents niveaux. Le pouvoir d'accorder le redressement demandé appartenait cependant, en dernier ressort, au chef d'état-major de la Défense. Certains des officiers qui ont examiné le grief de M. Buffett appuyaient sa demande. Son commandant, le Lieutenant-colonel J. M. Duhamel, a écrit, le 30 novembre 1998, que les prétentions de M. Buffett étaient fondées, ajoutant que [traduction] le fait de faire dépendre l'admissibilité à une FIV financée par des deniers publics d'une condition applicable uniquement aux militaires de sexe féminin équivaut à exclure les militaires de sexe masculin à cause de leur sexe.

[31] Le Bgén D. W. Foster, commandant de la Force terrestre dans la région de l'Atlantique, a adopté une position semblable lorsqu'il a examiné le grief à son tour. Il a indiqué que l'[traduction] argument de deux poids deux mesures [invoqué par M. Buffett] est bien fondé, ajoutant qu'il croyait, [traduction] en toute justice, que la FIV devrait être offerte à M. Buffett [traduction] comme elle le serait à la famille d'une militaire.

[32] D'autres personnes n'étaient pas de cet avis. Le Lieutenant-général W. C. Leach, chef d'état-major de l'Armée de terre, par exemple, ne pensait pas que la question en était une d'égalité des sexes. Selon lui, il s'agissait plutôt [traduction] simplement d'une réalité médicale que seules les femmes peuvent souffrir d'une obstruction des trompes de Fallope. À son avis, la politique des FC prévoyant le financement de la FIV pour les militaires de sexe féminin avait pour [traduction] seul but d'apporter une solution à ce problème.

[33] Pendant l'examen du grief de M. Buffett par les différentes instances, un changement important est survenu concernant la politique des FC en matière de soins de santé. Jusqu'en décembre 1998, la seule façon de déterminer si un acte médical était assuré par le régime de santé des FC était de consulter les nombreux messages envoyés par le Quartier général de la Défense nationale, comme celui transmis en septembre 1997 concernant la FIV. Certains médecins militaires avaient commencé à classer les messages dans des relieurs afin qu'il leur soit plus facile de prendre ces décisions. Pour que leurs membres comprennent mieux l'étendue de la protection à laquelle ils avaient droit, les FC ont publié, le 21 décembre 1998, un document intitulé Gamme de soins garantis par les Forces canadiennes (la Gamme de soins) qui, essentiellement, regroupait dans un seul document les différents messages et décisions envoyés au fil des ans relativement aux services de santé.

[34] Les FC ont profité de la publication de la Gamme de soins pour clarifier certaines ambiguïtés concernant les services assurés. La Bgén Jaegar a reconnu dans son témoignage que le message diffusé par le Quartier général de la Défense nationale en septembre 1997, énonçant les restrictions relatives au financement des traitements de FIV, était peut-être ambigu. La Gamme de soins mentionnait alors expressément ce qui suit concernant les traitements de FIV :

  1. les traitements de FIV n'étaient assurés que si l'infertilité était attribuable à une obstruction des trompes de Fallope;
  2. le traitement était autorisé pendant trois cycles au maximum;
  3. le traitement était offert uniquement aux militaires en service actif et non aux personnes à leur charge, à leur conjoint ou à leur partenaire.

Ces conditions n'avaient pas été mentionnées dans le message de septembre 1997. La Bgén Jaegar s'est cependant empressée d'ajouter dans son témoignage que, même si ces renseignements ne figuraient peut-être pas dans le message original, l'un des aspects de la politique a toujours été clair : selon l'article 34 des ORFC, seuls les membres en service actif ont droit aux avantages en matière de soins de santé des FC. Elle a souligné qu'il s'agit d'une ordonnance émanant du niveau le plus élevé (c.-à-d. les ORFC), qui [traduction] l'emporte sur toutes les autres.

[35] En juin 2000, le grief de M. Buffett a été renvoyé au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC) afin que celui-ci l'examine et transmette ses conclusions et ses recommandations au chef d'état-major de la Défense, conformément à l'article 7.12 des ORFC. Le CGFC a fait connaître ses conclusions et recommandations le 4 avril 2001. Il a recommandé que le grief soit rejeté, faisant remarquer que les personnes à charge des membres des FC ne sont généralement pas assurées en vertu de la politique des FC sur les soins de santé et que la demande de financement présentée par M. Buffett relativement à une FIV avait été rejetée conformément à cette politique. Il a conclu que le fait que [traduction] la plupart des membres de groupes autres que ceux indiqués [dans la politique] n'avaient pas droit à la protection concernant les traitements de FIV [traduction] pouvait être discriminatoire selon la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), mais que l'accès limité au financement dans ce domaine constituait une limite raisonnable et justifiée au sens de l'article premier de la Charte.

[36] Le 30 janvier 2002, le chef d'état-major de la Défense, le général R. R. Henault, a fait connaître ses conclusions concernant le grief de M. Buffett. Le Gén Henault a mentionné qu'il souscrivait [traduction] à l'essentiel des conclusions du CGFC et que, par conséquent, il n'appuyait pas la demande de redressement de M. Buffett.

[37] Le 23 mai 2002, M. Buffett a déposé sa plainte concernant les droits de la personne dans laquelle il alléguait avoir été victime d'un acte discriminatoire visé à l'article 7 de la Loi. Il a modifié sa plainte le 3 février 2004 pour ajouter l'allégation selon laquelle les FC avaient appliqué une politique discriminatoire au sens de l'article 10 de la Loi.

II. ANALYSE

A. Comment M. Buffett doit-il faire la preuve de la discrimination?

[38] En matière de droits de la personne, le plaignant doit établir une preuve prima facie qu'il y a discrimination. La preuve prima facie de discrimination est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (O'Malley)). En l'espèce, la Commission et le plaignant doivent établir :

  1. soit que, en refusant de payer le traitement de FIV, les FC ont défavorisé M. Buffett en cours d'emploi pour un motif de distinction illicite (article 7);
  2. soit que, en refusant de payer ce traitement, les FC ont fixé ou appliqué des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de M. Buffett ou d'une catégorie d'individus, pour un motif de distinction illicite (article 10).

Pour l'application de la Loi, les membres des FC sont réputés être employés par la Couronne (article 64).

[39] Une fois que la preuve prima facie de discrimination est établie, il incombe à l'intimé de fournir une explication raisonnable de l'acte discriminatoire (Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 18). La conduite d'un employeur ne sera pas considérée comme discriminatoire s'il peut démontrer que les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences découlent d'exigences professionnelles justifiées (EPJ) (alinéa 15(1)a) de la Loi). Pour qu'un acte soit considéré comme une EPJ, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins de la personne ou de la catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi).

B. A-t-on établi une preuve prima facie qu'il y a discrimination fondée sur le sexe suivant l'article 7 de la Loi?

(i) La thèse de M. Buffett et de la Commission

[40] Selon M. Buffett et la Commission, il ne fait aucun doute que le régime de soins de santé des FC défavorise, en raison de leur sexe, M. Buffett et les autres militaires de sexe masculin qui sont infertiles. Dans le cadre du régime, les traitements de FIV sont assurés pour les militaires de sexe féminin qui souffrent d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope, une forme d'infertilité qui ne touche que les femmes. Par contre, le régime n'offre aucune protection à M. Buffett, un militaire de sexe masculin souffrant d'infertilité.

[41] La Commission et M. Buffett soutiennent que les services médicaux assurés par le régime de santé des FC constituent, pour les membres des FC, un avantage qui doit être offert à tous les militaires d'une manière non discriminatoire et véritablement égale. Comme la Cour suprême l'a affirmé dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, au paragraphe 34, dès qu'un employeur décide de fournir un régime d'avantages sociaux à ses employés, il ne peut pas faire d'exclusions de façon discriminatoire.

(ii) La thèse des FC

[42] Les FC soutiennent de leur côté que l'avantage en question est, en fait, offert à leurs membres de façon non discriminatoire. Comme les militaires sont exclus des régimes de soins de santé provinciaux et territoriaux, les FC ont créé leur propre programme de soins de santé financé par des fonds publics à l'intention de leurs membres uniquement, non de leur famille. Les FC n'ont pas le mandat, en vertu de la loi, d'offrir une protection médicale aux personnes qui ne font pas partie des FC et, aux termes de l'article 34.23 des ORFC, des soins de santé peuvent être prodigués à des personnes à charge (conjoint et enfants), mais seulement dans des circonstances exceptionnelles, par exemple en cas d'urgence ou dans des régions éloignées. Ces services sont ensuite facturés aux régimes de soins de santé provinciaux ou territoriaux de la personne à charge. Ces services ne sont donc pas réellement financés par les FC.

[43] Les FC soulignent que la FIV et la FIV combinée avec l'IICS sont des techniques médicales qui permettent à une femme de tomber enceinte. À part le sperme fourni par le partenaire masculin, la technique ne touche que la femme. L'OHIP (le seul régime de santé provincial qui finance l'intervention) facture le traitement au numéro d'assurance-maladie de la femme et non pas à celui de son partenaire masculin. En l'espèce, lorsqu'il est devenu évident que la FIV combinée avec l'IICS constituait la prochaine solution de rechange qui s'offrait au couple, l'urologue de M. Buffett, le docteur Nigro, a cessé de s'occuper de l'affaire. Il a plutôt conseillé au couple de consulter l'endocrinologue spécialisé en médecine de la reproduction de Mme Buffett pour savoir si la FIV combinée avec l'IICS constituait une solution envisageable. M. Buffett a reconnu dans son témoignage que, même s'il a accompagné sa femme chez son endocrinologue, il n'a jamais été le patient de ce médecin.

[44] Le docteur Leader a indiqué dans son témoignage qu'il a l'habitude de rencontrer les deux partenaires avant de commencer les traitements. Il a besoin de savoir si le partenaire masculin souffre d'allergies. Il doit également soumettre le sperme de l'homme à des tests. Ce sperme pourrait être infecté, auquel cas il devrait prescrire un traitement avant d'aller plus loin. Le docteur Leader a parlé de l'infertilité comme d'un [traduction] problème de couple. Il a mentionné cependant que, malgré la participation du partenaire masculin, au bout du compte, seul le consentement de la femme est requis avant d'entreprendre les traitements.

[45] En conséquence, les FC font valoir que la preuve est claire : la FIV, avec ou sans IICS, est un service médical qui est reçu exclusivement par une femme. En l'espèce, la femme qui recevrait le service médical demandé par M. Buffett est sa femme, laquelle n'est pas un membre des FC. À ce titre, elle n'est pas admissible à la protection offerte par le programme de soins de santé des FC. La distinction touchant la fourniture des services médicaux est fondée sur la question de savoir si le bénéficiaire est un militaire ou non, et non sur le sexe de celui-ci.

(iii) Analyse comparative

[46] Les FC soutiennent qu'il faut effectuer une analyse comparative pour savoir si un acte discriminatoire visé à l'article 7 de la Loi a été commis. Cette analyse doit faire ressortir une différence de traitement par rapport à un autre groupe pertinent.

[47] Je suis prêt à reconnaître que, dans le contexte de la présente plainte et compte tenu de la façon dont les allégations ont été formulées, qu'il est utile de comparer des individus ou des groupes pertinents pour savoir si un traitement différent et préjudiciable a été établi prima facie. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154, aux paragraphes 23 et suivants, le critère juridique applicable à la preuve prima facie de discrimination est souple et variera en fonction des faits de chaque cas. En l'espèce, M. Buffett a allégué que les FC l'ont traité différemment des militaires féminines qui souffrent d'une forme d'infertilité. Par conséquent, il serait approprié et instructif d'établir une comparaison entre lui et ses collègues féminines.

[48] Il est nécessaire de trouver l'élément de comparaison approprié pour déterminer l'existence d'une différence de traitement et les motifs de la distinction (McAllister-Windsor c. Canada (Développement des ressources humaines) (2001), 40 C.H.R.R. 48, au paragraphe 40 (T.C.D.P.)). Lorsqu'on définit le groupe de comparaison, il faut tenir compte de l'objet du régime qui confère l'avantage en cause (Battlefords and District Co-operative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, au paragraphe 33).

[49] Les FC font valoir que leur régime de soins de santé a pour but de fournir des soins médicaux à leurs membres. Elles estiment que M. Buffett devrait être comparé aux militaires de sexe féminin qui demanderaient des traitements de fertilité pour leur conjoint non militaire, ou alors aux militaires de sexe masculin et de sexe féminin qui demandent un traitement pour leur conjoint relativement à des problèmes qui ne sont pas liés à la fertilité. Dans les deux cas, le résultat de la comparaison serait le même : le conjoint qui n'est pas membre des FC n'aurait droit en aucun cas de recevoir des FC des services médicaux financés par l'État. Peu importe le sexe du conjoint, la nature du problème ou le type de traitement demandé, la protection ne s'étend pas aux traitements médicaux fournis aux conjoints. M. Buffett n'a donc pas été traité différemment en vertu du régime de santé que les autres militaires, hommes ou femmes. La différence de protection est fondée sur l'appartenance aux FC, laquelle n'est pas un motif de distinction illicite prévu par la Loi.

[50] Les FC soutiennent en outre que, si une distinction est faite entre les hommes et les femmes dans leur régime de soins de santé, cette distinction est fondée uniquement sur les différences biologiques existant entre les deux sexes. Seules les femmes sont physiquement capables de tomber enceintes. Par conséquent, il ne peut être discriminatoire de verser de l'argent seulement à des femmes pour un traitement faisant en sorte qu'elles tombent enceintes. À l'inverse, le régime de santé des FC finance des traitements de fertilité comparables pour les hommes en conformité avec leurs caractéristiques physiologiques. Ainsi, le coût de l'embolisation de varicocèle de M. Buffett, qui aurait pu le rendre fertile, a été défrayé par les FC. Ces dernières font valoir en conséquence que la limitation concernant le financement de la FIV tient compte d'une réalité biologique : seules les femmes peuvent recevoir ce type de traitement et tomber enceintes. La politique n'est donc pas discriminatoire.

[51] Je ne partage pas cet avis. Selon moi, une distinction peut être faite entre les interventions qui pallient l'infertilité et celles qui favorisent ou facilitent la conception. Les premières sont clairement des procédures médicales qui sont appliquées exclusivement à la personne en cause, comme, par exemple, une intervention chirurgicale visant à reconstruire les trompes de Fallope obstruées d'une femme. Selon le docteur Leader, cette procédure était souvent pratiquée dans le passé, avant l'apparition des techniques de reproduction avancées. L'embolisation de varicocèle que M. Buffett a subie constituerait un autre exemple de ce type de procédures médicales.

[52] La FIV et l'IICS sont tout à fait différentes, par contre. Ces techniques ne pallient pas l'infertilité d'un homme ou d'une femme. Elles donnent plutôt à un couple la possibilité de concevoir et d'avoir un enfant qui est biologiquement le leur, peu importe que ce soit l'homme ou la femme qui est infertile. Comme le docteur Nigro l'a dit dans son témoignage, [traduction] vous n'avez recours à la FIV que si vous voulez un enfant. À mon avis, les FC ont donné une interprétation trop étroite aux faits en l'espèce. Elles considèrent que, comme presque tous les aspects de la FIV et de la FIV combinée avec l'IICS touchent la femme, il s'agit de procédures médicales qui ne concernent qu'elle. Or, les FC oublient que les procédures de reproduction assistée sont différentes de toutes les autres procédures médicales, y compris celles palliant l'infertilité, en ce sens que, par nécessité biologique, il faut la participation de deux personnes.

[53] La politique de soins de santé des FC est conçue de façon à fournir à la militaire qui souffre d'une forme d'infertilité féminine un service financé par des fonds publics qui lui permettra d'avoir un enfant. Physiologiquement, cette procédure ne peut être effectuée qu'avec la participation d'une personne du sexe opposé. Les FC financent le service pour la militaire, même si la personne du sexe opposé dont la participation est requise n'est pas un membre des FC. Elles n'offrent toutefois pas le même avantage à ses membres de sexe masculin souffrant d'infertilité, simplement parce que la participation de la personne du sexe opposé qui n'est pas membre des FC est beaucoup plus complexe sur le plan médical. Cependant, la même réalité physiologique existe : il ne peut y avoir conception qu'avec la participation de deux partenaires.

[54] Cette réalité est un facteur important de la comparaison qu'il faut faire en l'espèce. Le fait est que la FIV n'est pas simplement une procédure médicale offerte aux militaires de sexe féminin. Ces femmes ont une véritable chance d'avoir un enfant. C'est là le but fondamental de cette procédure. À mon avis, compte tenu du contexte, la comparaison exige que l'on se demande si les FC offrent le même avantage aux militaires de sexe masculin ayant des problèmes d'infertilité qu'aux militaires de sexe féminin ayant des problèmes d'infertilité.

[55] Il ne fait aucun doute que cette question appelle une réponse négative. Il n'est pas important que les FC aient ajouté les traitements de FIV à leur liste de services médicaux assurés pour les militaires de sexe féminin qui ont un certain problème médical, afin que la protection offerte par leur régime de santé soit équivalente à celle d'un régime provincial (l'OHIP en l'occurrence). Compte tenu du véritable but de la politique et de son effet, le résultat est que M. Buffett se voit refuser un avantage dont jouissent les militaires de sexe féminin, à savoir l'accès à une conception assistée par FIV. Le traitement est donc inégal.

[56] Les FC font valoir que, comme M. Buffett ne peut pas bénéficier de la procédure normale de FIV, il ne peut pas prétendre avoir fait l'objet d'un traitement inégal de leur part. Cette procédure aide les femmes souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope à tomber enceinte et à avoir des enfants, mais la FIV seule ne serait pour ainsi dire d'aucune aide pour les hommes comme M. Buffett qui souffrent d'une forme d'infertilité grave. Le taux de grossesse dans ces cas ne dépasse pas 6 p. 100. Le docteur Nigro et le docteur Leader ont déclaré dans leur témoignage que la FIV conventionnelle n'est pas recommandée dans ces cas. Par conséquent, les FC soutiennent que les militaires de sexe féminin qui ont une obstruction bilatérale des trompes de Fallope ne jouissent pas d'un avantage qui est injustement refusé à leurs collègues masculins. Comme ces hommes ne pourraient pas tirer profit de la procédure normale de FIV, ils ne sont, en fait, privés de rien.

[57] M. Buffett a affirmé au Tribunal à l'audience qu'il était disposé à accepter qu'un traitement normal de FIV pour lui et pour sa femme soit financé, même si ce traitement avait peu de chances de réussir. À mon avis cependant, cette affirmation ne fait pas progresser l'analyse en l'espèce. Même si M. Buffett est peut-être prêt à accepter n'importe quel traitement dans l'espoir d'avoir un enfant, la preuve médicale dont je suis saisie est claire; la FIV ne peut médicalement, à elle seule, apporter ce résultat à une personne dans son état. Les deux experts ont affirmé qu'ils ne recommanderaient pas le traitement dans le cas de M. Buffett. Ce traitement serait voué à l'échec.

[58] M. Buffett ne pourrait obtenir le résultat qu'il recherche qu'en recourant à la FIV combinée avec l'IICS. Selon les FC, si le coût de ces traitements était défrayé, M. Buffett recevrait, dans les faits, un avantage additionnel auquel n'ont pas droit les autres militaires, hommes ou femmes. De plus, il n'y a pas un seul régime de santé public au Canada qui assure les traitements de FIV combinée avec une IICS. Par conséquent, si M. Buffett avait gain de cause, il jouirait d'une plus grande couverture que celle à laquelle ont droit les militaires de sexe féminin.

[59] Cependant, traitement égal ne signifie pas toujours traitement identique (voir Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872). À l'occasion, un traitement différent peut s'avérer nécessaire pour atteindre une véritable égalité entre les groupes de comparaison. Le témoignage du docteur Leader est très instructif à cet égard. Il a mentionné que, jusqu'à l'apparition de la technique de l'IICS, l'efficacité de la FIV variait considérablement selon que c'était l'homme ou la femme qui était infertile. Grâce à l'IICS, les taux de grossesse ont été [traduction] normalisés à environ 30 p. 100 par cycle pour les deux types d'infertilité.

[60] Ainsi, pour que les militaires de sexe masculin reçoivent un avantage égal à celui dont jouissent leurs collègues féminines souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope, il faudrait qu'ils aient accès à la FIV combinée avec l'IICS. Je sais évidemment que l'IICS entraîne des frais additionnels (qui varient entre 1 100 $ et 1 500 $ selon les témoins experts). À mon avis cependant, il sera préférable de prendre ces frais additionnels en considération lorsque la question de la contrainte excessive sera analysée dans le cadre de l'examen des motifs des FC justifiant la politique.

[61] L'avocate des FC a mentionné dans sa plaidoirie finale que l'inégalité qui serait créée si les militaires de sexe masculin avaient droit à des traitements de FIV avec IICS payés par l'État équivaudrait à leur fournir un service [traduction] atteignant une norme de qualité à laquelle n'auraient pas droit les militaires de sexe féminin. L'ajout de l'IICS à leurs traitements de FIV serait profitable aussi pour les femmes puisque l'IICS leur assurerait de tomber enceinte. Avec respect, je n'ai trouvé aucune preuve à cet effet dans le dossier. Au contraire, le docteur Leader, qui a été le seul à aborder cette question, a affirmé dans son témoignage que l'IICS a pour effet de placer sur un pied d'égalité l'infertilité masculine et l'infertilité féminine. Il n'a pas affirmé que les femmes bénéficieraient de l'ajout de l'IICS à leurs traitements de FIV normale, lorsque le sperme utilisé est normal.

[62] En résumé, la Commission et M. Buffett ont produit une preuve qui, à mon avis, démontre qu'une distinction défavorable fondée sur le sexe a été faite entre M. Buffett et ses collègues féminines. La preuve de discrimination a donc été établie prima facie.

C. Les FC ont-elles une explication raisonnable pour justifier leur acte par ailleurs discriminatoire?

[63] Comme je l'ai mentionné plus tôt, une fois la preuve prima facie de discrimination établie, il incombe à l'intimé de donner une explication raisonnable. En l'espèce, les FC doivent démontrer que leur refus de conférer à M. Buffett l'avantage en matière d'emploi en cause (le financement de la FIV combinée avec une IICS) était fondée sur une EPJ (alinéa 15(1)a) de la Loi). À cette fin, elles doivent démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins de M. Buffett ou de la catégorie de personnes comme lui constitueraient pour elles une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi).

[64] La Cour suprême a élaboré une méthode en trois étapes pour déterminer si une EPJ a été établie (voir Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer)). Un intimé peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail ou des fonctions en cause;
  2. qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l'intimé doit démontrer qu'il est impossible de composer avec le plaignant ou avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que lui sans subir une contrainte excessive. Il incombe à l'intimé de démontrer qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement.

(i) Les FC ont-elles adopté leur politique dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail ou des fonctions en cause?

[65] Les FC soutiennent que la norme ou la politique en cause en l'espèce est rationnellement liée aux buts de la protection médicale offerte dans le cadre de leur régime de soins de santé. Elles ont modifié leur politique sur les traitements de fertilité pour qu'elle englobe maintenant les traitements de FIV pour les militaires de sexe féminin souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope, afin que leurs membres reçoivent le même niveau de soins que les non-militaires assurés par des régimes provinciaux, à savoir l'OHIP.

[66] Je reconnais que la politique des FC était rationnellement liée à son but de remplir son obligation de fournir à ses membres des soins de santé payés par l'État d'un niveau égal à celui des soins de santé assurés par les régimes de santé provinciaux du Canada. Le premier élément de la défense a été établi.

(ii) Les FC ont-elles adopté leur norme de bonne foi?

[67] Je suis convaincu que les FC ont adopté leur politique de bonne foi. Leur intention était d'égaler le niveau des services de santé assurés par le régime de santé provincial de l'Ontario. La décision a été prise après qu'un grief déposé par une militaire résidant en Ontario eut été accueilli. Au lieu de considérer que le grief ne concernait que cette personne, les FC ont choisi de modifier leur politique et d'étendre cette décision aux autres militaires. À mon avis, ces mesures ont clairement été prises de bonne foi. Le deuxième élément de la défense a également été établi.

(iii) La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser le but des FC de sorte que celles-ci ne peuvent composer avec M. Buffett et les autres militaires de sexe masculin qui sont infertiles sans subir une contrainte excessive?

[68] Les FC soutiennent que la modification du niveau de protection aurait des incidences financières [traduction] importantes et se répercuterait sur sa capacité d'offrir des services médicaux à ses membres. Elles affirment que, compte tenu du coût élevé en cause, le financement des traitements de FIV combinée avec une IICS leur imposerait une contrainte excessive.

[69] La Commodore Margaret Kavanagh est la commandante et la directrice générale des SSFC. Elle a déclaré dans son témoignage que les SSFC reçoivent leur financement du ministère de la Défense nationale. Les SSFC ont reçu une somme de 270 millions de dollars en 2004-2005, dont environ 193 millions ont été consacrés aux soins directs aux patients ou à la [traduction] prestation de services, ce qui comprendrait les interventions chirurgicales, l'achat de services de santé au secteur privé et l'achat de médicaments. Le reste de la somme a servi à défrayer les coûts opérationnels comme la formation du personnel, le soutien technologique, la fonction de contrôleur et d'autres [traduction] frais généraux. Le budget de 270 millions de dollars ne comprend cependant pas le coût des salaires des professionnels et des autres employés à temps plein des SSFC; ce coût est compris dans d'autres budgets des FC. Si l'on tient compte de tous les coûts, le budget total des FC pour ce qui est de la prestation des soins médicaux dépasse 700 millions de dollars.

[70] La Cmdre Kavanagh a déclaré dans son témoignage que, si les SSFC devaient financer les traitements de FIV ou d'autres interventions qui coûtent [traduction] cher, cela aurait une incidence sur le niveau de services offerts. Elle a signalé que les sommes d'argent dont les FC disposent ne sont pas [traduction] inépuisable et, en conséquence, que des choix devront être faits quant aux services qui pourraient être assurés. Il est peu probable que des traitements médicaux soient retirés de la liste des services offerts aux militaires, mais la formation des professionnels de la santé pourrait devoir être réduite. Elle a ajouté que, même si le ministère de la Défense nationale augmentait le financement des SSFC pour tenir compte des coûts additionnels des traitements de FIV, cela aurait pour conséquence que le budget opérationnel des FC serait réduit.

[71] Selon les FC, la preuve présentée au Tribunal montre que le changement demandé par la Commission et M. Buffett leur imposerait un coût additionnel important, ce qui aurait des répercussions directes et néfastes sur les services qu'elles sont en mesure de fournir. Des décisions difficiles fondées sur les [traduction] restrictions financières qui en résulteraient devraient être prises et auraient pour effet de diminuer les sommes d'argent disponibles pour d'autres secteurs. Les FC sont d'avis que ces répercussions leur causeraient une contraire excessive.

a) Le témoignage du Major Weisgerber

[72] Mais quelle preuve les FC ont-elles produite pour démontrer l'incidence réelle d'un tel financement? Le Major Chris Weisgerber a témoigné pour les FC. Jusqu'à tout récemment, il travaillait au sein des Services de soins primaires de la Direction générale des prestations des soins de santé des SSFC. Il a préparé un rapport démontrant les répercussions financières du changement de politique qui étendrait la protection aux traitements de FIV à tous les militaires et à leur partenaire [traduction] dans tous les cas. Il a conclu que le coût [traduction] initial d'un tel changement pour les FC [traduction] pourrait atteindre 180 millions de dollars.

[73] Avant de faire ses calculs, le Maj Weisgerber a consulté un site web appelé myfertility.ca, où il est indiqué que le coût d'une FIV en 2003 se situait entre 6 000 et 8 000 $ par cycle, médicaments inclus. De plus, le site indiquait apparemment que l'on estimait que l'infertilité pouvait [traduction] toucher jusqu'à 15 p. 100 des couples dans l'ensemble.

[74] Le Maj Weisgerber a utilisé ces chiffres pour faire ses calculs. Il a estimé à 50 000 le nombre de personnes admissibles au régime de soins de santé des FC. Ce nombre devait comprendre les nombreux réservistes qui travaillent pour les FC sur une base contractuelle. Le Maj Weisgerber a déclaré dans son témoignage qu'[traduction] il serait très difficile d'essayer de déterminer combien de militaires en uniforme auraient droit à des services de fertilité à un moment donné. Selon lui cependant, son estimation est [traduction] raisonnable et prudente.

Le Maj Weisgerber a ensuite effectué le calcul suivant :

50 000 militaires admissibles x 15 p. 100 (taux d'infertilité) x 24 000 $ (3 cycles de FIV à 8 000 $/cycle) = 180 000 000 $.

[75] Dans son contre-interrogatoire, le Maj Weisgerber a reconnu que son estimation était fondée sur le [traduction] pire des scénarios. Je relève plusieurs failles importantes dans son analyse qui, à mon avis, font que son rapport est peu utile pour déterminer l'incidence qu'un changement de la politique pourrait avoir sur les FC.

[76] D'abord, on suppose que chaque traitement de FIV nécessitera trois cycles. Or, la preuve médicale fournie par les experts établit clairement qu'il est fort possible qu'une femme tombe enceinte dès le premier cycle. Le taux moyen de grossesse par cycle de FIV est d'environ 30 p. 100 selon le docteur Leader, ce qui signifie qu'il en coûtera probablement, par couple, beaucoup moins que le montant de 24 000 $ avancé par le Maj Weisgerber. C'est d'ailleurs ce qu'indique d'une certaine façon un tableau figurant dans son rapport, qui montre les [traduction] honoraires professionnels versés par les FC pour traiter leurs membres de sexe féminin qui étaient déjà admissibles aux traitements de FIV conventionnels et qui avaient reçu des fonds en vertu de la politique en vigueur, entre 2001 et 2005. Le coût moyen annuel du traitement de chaque personne semble avoir varié entre 3 375 et 5 738 $. Ces montants sont beaucoup plus bas que ceux utilisés par le Maj Weisgerber dans son rapport. Ces chiffres ne comprennent pas le coût des médicaments, les frais d'enquête accessoires, les frais de déplacement ou les coûts liés à la productivité au travail, mais, dans le cas des conjoints non militaires, une grande partie de ces frais seraient couverts par leur régime de santé provincial ou par un tiers assureur (p. ex. le RSSFP). Il n'est pas certain que ces frais ou une partie de ceux-ci seraient assumés par les FC, et les FC n'ont produit aucune preuve démontrant en détail ce que ces frais leur coûteraient réellement.

[77] De plus, le Maj Weisgerber a utilisé des données qui ne sont pas contemporaines de la date de l'acte discriminatoire allégué. Il a supposé que le coût de chaque cycle d'un traitement FIV en 2003 était de 8 000 $, un montant qu'il a trouvé sur Internet. Or, la plainte de M. Buffett a trait à la décision des FC de rejeter sa demande de financement qui a été rendue cinq ans plus tôt, en 1998. Selon le docteur Leader, le coût était d'environ 3 000 $ en 1997.

[78] En outre, le Maj Weisgerber a supposé dans ses calculs que chaque couple ayant un problème d'infertilité choisira la FIV. Il n'est toutefois pas réaliste de penser que toutes les personnes ayant ce problème veulent avoir un enfant, ou un enfant qui leur est biologiquement lié. Par exemple, les femmes ne sont peut-être pas toutes prêtes à se soumettre au traitement, même si le coût de celui-ci est entièrement défrayé par le régime de soins de santé. La procédure exige de la femme qu'elle s'injecte elle-même pendant plusieurs jours des médicaments que le docteur Leader a qualifié de [traduction] très puissants. Les ovocytes doivent être retirés de la femme et les embryons doivent être placés subséquemment dans son utérus à l'aide d'un cathéter. Le docteur Leader a affirmé que le traitement constitue une [traduction] source constante d'émotions fortes pour la femme. Il a expliqué que la procédure comporte certains risques physiques (p. ex. une trop grande stimulation des ovaires, des hémorragies et des infections bactériennes). La probabilité qu'un problème survienne est plutôt faible, mais le risque sur le plan émotionnel pour la patiente peut être important. Si elle ne tombe pas enceinte après s'être autant investie sur le plan physique et émotif, cet échec peut avoir des effets psychologiques [traduction] extrêmement graves sur elle, selon le docteur Leader. Compte tenu de ces risques et d'autres considérations, il est loin d'être certain que toutes les femmes ayant droit au paiement complet de cette procédure par l'État y auront recours.

[79] De plus, comme le témoignage du docteur Nigro et du docteur Leader l'indiquent, il y a plusieurs autres moyens de concevoir un enfant autres que les techniques de reproduction avancées. Par exemple, certains hommes peuvent parvenir à régler leurs problèmes d'infertilité en subissant une embolisation de varicocèle, une procédure déjà assurée par le régime de santé des FC et les régimes de santé provinciaux. Dans d'autres cas, lorsque le sperme comporte relativement peu d'anomalies, un couple peut concevoir un enfant en ayant recours à l'insémination artificielle, dont le coût est défrayé par le régime de santé des FC et les régimes de santé provinciaux. Le docteur Leader a déclaré dans son témoignage que certains problèmes de fertilité peuvent être traités avec des hormones, administrées aux hommes et aux femmes, ou même par des changements apportés aux habitudes de vie, comme la perte de poids, la décision d'arrêter de fumer et l'élimination de certains risques professionnels.

[80] Ainsi, il n'a pas été établi que tous les couples infertiles recourront inévitablement à la FIV.

[81] L'estimation du Maj Weisgerber semble également présupposer que chaque couple fera une demande de FIV au cours de la première année suivant la modification de la politique. Cela est hautement improbable. Comme la Cmdre Kavanagh l'a affirmé dans son témoignage, ce ne sont pas tous les bénéficiaires potentiels qui réclament le service auquel ils ont droit dès que les SSFC modifient une politique. Elle a ajouté avec beaucoup de franchise : [traduction] Je ne devrai pas tout à coup dépenser une somme de 180 millions de dollars si nous modifions cette politique demain. De fait, quand les FC ont modifié leur politique pour ajouter aux services assurés les traitements de FIV pour les femmes souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope, toutes les militaires ayant ce problème n'ont pas immédiatement demander ces traitements. Le tableau figurant dans le rapport du Maj Weisgerber indique qu'un nombre relativement constant de militaires de sexe féminin ont demandé ce type de traitements d'année en année. Ainsi, sept femmes ont reçu des traitements payés au cours de l'exercice 2001-2002, six en 2002-2003, deux en 2003-2004 et sept en 2004-2005.

[82] En outre, le Maj Weisgerber a supposé, aux fins de ses calculs, que la politique serait élargie pour permettre à tous les militaires, hommes et femmes, qui ont de la difficulté à concevoir un enfant avec leur partenaire de se faire payer des traitements de FIV. Les femmes ayant des problèmes d'infertilité qui ne sont pas attribuables à l'obstruction bilatérale des trompes de Fallope seraient également comprises dans la politique élargie. Dans sa plainte cependant, M. Buffett ne conteste pas l'impossibilité d'obtenir des traitements de FIV dans ces circonstances. Il allègue seulement que les FC l'ont traité et ont traité les autres hommes qui, comme lui, sont infertiles, d'une manière discriminatoire. C'est la seule raison pour laquelle il demande un redressement.

[83] Finalement, comme le Maj Weisgerber l'a reconnu dans son témoignage, ses calculs étaient essentiellement des [traduction] estimations grossières. Il a ajouté que, à son avis, personne n'est réellement en mesure d'évaluer les coûts de manière fiable, compte tenu des variables et de l'impossibilité de prévoir dans quelle mesure le service sera utilisé. Il a déclaré que le coût réel de la modification de la politique pourrait être plus élevé ou moins élevé.

[84] Le Maj Weisgerber a nuancé ses commentaires en soulignant qu'il n'avait pas, dans son rapport, accordé une très grande importance aux coûts découlant d'une modification de la politique. Il a plutôt mis l'accent sur [traduction] certains des autres problèmes que causerait l'élargissement de la politique. Cependant, la plus grande partie du rapport est consacrée à l'analyse des [traduction] coûts financiers directs que les FC devraient supporter. Il est brièvement question, ailleurs dans le rapport, des [traduction] autres problèmes, au regard de la question des [traduction] coûts et des répercussions indirects. Ces coûts comprendraient les dépenses additionnelles qui pourraient découler des services supplémentaires de maternité et de néonatalité [traduction] rendus nécessaires par le taux de complication élevé associé à la FIV. Le Maj Weisgerber a reconnu cependant que, étant donné que ce serait un non-militaire qui recevrait les services dans un cas comme celui de M. Buffett, les coûts seraient supportés par les régimes de santé provinciaux et territoriaux et non par les FC.

[85] Il s'est également inquiété, dans son rapport, du fait que la modification de la politique pourrait inciter des personnes à demander aux FC d'assurer d'autres services destinés aux couples, comme les services de consultation familiale. Le Maj Weisgerber n'a rien dit de plus sur l'ampleur de ces coûts additionnels possibles pour les FC.

[86] Compte tenu de tout ce qui précède, je ne pense pas que le rapport du Maj Weisgerber donne une indication fiable des coûts additionnels qui découleraient de la modification de la politique concernant le financement de la FIV par les FC et de l'étendue de leurs répercussions, dans les circonstances contestées par M. Buffett.

b) Le témoignage de la Bgén Jaegar

[87] La Bgén Jaegar, a reconnu, dans son témoignage, que les chiffres du Maj Weisgerber illustraient le [traduction] pire des scénarios, en ce sens que ce dernier a supposé que toutes les personnes pouvant être infertiles demanderaient un traitement de FIV en même temps. Elle a donc tenté de présenter des chiffres [traduction] aussi réalistes [...] que possible.

[88] La Bgén Jaeger a d'abord relevé le nombre de membres des FC ayant moins de 45 ans. Comme les experts médicaux qui ont témoigné l'ont dit, la FIV n'est pas recommandée aux personnes de 45 ans et plus. La Bgén Jaeger a ensuite multiplié ce nombre par le pourcentage de membres des FC qui étaient mariés, qu'elle fixe à environ 67 p. 100. Elle a ensuite multiplié le produit obtenu - environ 39 000 personnes - par le [traduction] pourcentage prévu de personnes mariées ayant des problèmes de fertilité. Elle n'a pas précisé dans son témoignage quel pourcentage elle avait utilisé, mentionnant seulement que celui-ci se situait [traduction] entre 10 et 15 p. 100. Elle a mentionné dans son témoignage que le résultat de ce calcul était de 5 000 personnes, ce qui permet de croire qu'elle a utilisé un pourcentage de 13 p. 100.

[89] Pour poursuivre ses calculs, la Bgén Jaeger avait besoin d'une estimation du [traduction] taux d'utilisation probable des traitements de FIV nouvellement assurés. Pour déterminer ce taux, elle s'est servie des données concernant le nombre de femmes qui avaient demandé une FIV en vertu de la politique actuelle. Au moment où elle a fait ses calculs, elle a estimé que, des 9 600 militaires de sexe féminin, il y en avait 5 900 qui avaient moins de 45 ans et qui étaient mariées (le taux de mariage étant de 67 p. 100). Utilisant un taux d'infertilité [traduction] plutôt faible (10 p. 100), elle a conclu qu'il y avait environ 600 femmes infertiles dans les FC. Elle a affirmé que, dans 10 p. 100 de ces cas, le problème d'infertilité était dû à une obstruction bilatérale des trompes de Fallope. Elle n'a cependant pas expliqué clairement d'où venait ce chiffre. Elle a dit avoir consulté des sites Web sur Internet. C'est donc dire que 10 p. 100 des 600 femmes infertiles (soit 60 personnes) auraient eu droit à des traitements de FIV en vertu de la Gamme de soins actuelle des FC.

[90] Les chiffres réels du Maj Weisgerber révèlent cependant que, du milieu de 2001 au milieu de 2005, seulement 24 femmes ont demandé des traitements de FIV, soit une moyenne de six par année, ce qui signifie que seulement 10 p. 100 des femmes admissibles ont demandé le traitement chaque année.

[91] La Bgén Jaegar a donc appliqué ce pourcentage de 10 p. 100 au nombre de militaires admissibles, hommes et femmes, qui auraient droit au traitement de FIV pour eux-mêmes ou pour leur partenaire si la politique était élargie (5 000 personnes admissibles x 10 p. 100 = 500 personnes). Elle a ensuite multiplié ce chiffre par 24 000 $ (les trois cycles du traitement de FIV x 8 000 $). Le coût annuel total que devraient supporter les FC si la politique sur la FIV était élargie serait donc de 12 millions de dollars, que la Bgén Jaeger a choisi de ramener à 10 millions de dollars pour tenir compte du fait que ses chiffres étaient très [traduction] approximatifs.

[92] Ce chiffre est peut-être plus [traduction] réaliste que celui avancé par le Maj Weisgerber, il n'en reste pas moins que des erreurs importantes sont répétées dans les calculs de la Bgén Jaegar. Ainsi, elle s'est fondée sur le coût estimatif de 8 000 $ par cycle, soit le coût tel qu'il était en 2003, soit cinq ans après que M. Buffett eut présenté sa demande de financement. Elle a également supposé, comme le Maj Weisgerber, que trois traitements de FIV seraient nécessaires dans tous les cas. Comme je l'ai mentionné précédemment, trois traitements ne sont pas toujours nécessaires et les statistiques concernant les traitements de FIV financés dans le passé par les FC montrent que le coût moyen par militaire traité était d'environ 4 800 $, ce qui correspond à 20 p. 100 du montant de 24 000 $ utilisé dans les calculs de la Bgén Jaeger. Si l'on appliquait le même pourcentage au coût total estimé par cette dernière, le coût annuel découlant de la modification de la politique concernant les traitements de FIV serait d'environ deux millions de dollars.

[93] Il est vrai que les calculs de la Bgén Jaegar ne tiennent pas compte du coût additionnel de l'IICS, lequel, selon les témoignages du docteur Nigro et du docteur Leader, peut atteindre 1 500 $ par cycle. Toutefois, même si l'on adoptait le raisonnement de la Bgén Jaegar et que l'on supposait que chacune des 500 personnes susceptibles de demander la protection chaque année avait besoin de trois cycles, le coût de l'IICS serait de 2,5 millions de dollars, lequel s'ajouterait au coût des traitements de FIV de 10 millions de dollars. Je crois cependant que ce montant est exagéré. Au risque de me répéter, il est peu probable que trois traitements soient nécessaires dans tous les cas. En outre, une IICS ne sera pas nécessairement pratiquée dans tous les cas. La Bgén Jaegar a fondé ses calculs sur la même hypothèse que le Maj Weisgerber : la politique des soins de santé serait élargie pour tous les membres des FC, hommes et femmes. En vertu de cette nouvelle politique, des militaires de sexe féminin souffrant d'une forme d'infertilité qui ne leur donnait pas droit à des traitements de FIV financés en vertu de la politique actuelle, pourraient dorénavant demander de tels traitements. Une IICS ne sera pas requise dans ces cas. Selon le témoignage des experts médicaux en l'espèce, l'IICS n'est utilisée que pour compléter la FIV conventionnelle lorsque le partenaire masculin souffre d'un problème d'infertilité grave.

[94] En outre, tout comme le Maj Weisgerber, la Bgén Jaegar semble placer toutes les formes d'infertilité dans une seule catégorie, pour laquelle on choisira toujours la FIV. Comme je l'ai déjà expliqué cependant, il peut y avoir des cas où un membre des FC admissible à des traitements de FIV en vertu de la nouvelle politique choisira une autre solution. Aussi, le nombre annuel de demandes pourrait être inférieur aux 500 estimées.

[95] Par conséquent, je considère que les estimations de coût fondées sur les chiffres du Maj Weisgerber ou sur ceux de la Bgén Jaeger ne sont pas fiables.

c) Le coût additionnel constituera-t-il une contrainte excessive?

[96] Comme je viens tout juste de le mentionner, je suis d'avis que les estimations effectuées par le Maj Weisgerber et la Bgén Jaegar relativement aux coûts additionnels afférents à l'élargissement de la politique de façon que la FIV soit assurée dans les cas comme celui de M. Buffet et d'autres personnes comme lui ne sont pas fiables et sont exagérées. Toutefois, même si les chiffres plus prudents utilisés par la Bgén Jaegar étaient aussi [traduction] réalistes qu'elle le prétend, est-il démontré qu'il serait impossible d'élargir la politique à l'égard du plaignant et des autres personnes comme lui sans imposer une contrainte excessive aux FC?

[97] Les SSFC ont consacré 193 millions de dollars aux soins directs aux patients en 2004-2005. De ce montant, 15 millions ont été dépensés pour tous les services de santé mentale, deux millions pour les soins orthopédiques et 22 millions pour tous les médicaments. À la lumière de ces sommes, le coût de 10 millions de dollars qui, selon l'estimation de la Bgén Jaeger, résulterait de l'élargissement de la protection concernant la FIV, auquel s'ajouterait une somme de 2,25 millions de dollars pour les traitements d'IICS, semble plutôt important. Les FC ont prétendu que cette dépense additionnelle aurait une incidence directe et préjudiciable sur les services qu'elles seraient en mesure de fournir.

[98] Mais serait-il impossible, pour les FC, d'absorber ce coût additionnel sans subir de contrainte excessive? La Cmdre Kavanagh a déclaré dans son témoignage que, bien que les considérations financières soient prises en compte lorsque vient le temps de décider si un service médical doit être assuré, il ne s'agit pas du [traduction] facteur principal. Le bien-être et les besoins en matière de soins de santé des militaires sont les facteurs les plus importants. Elle a mentionné que son budget avait augmenté de manière importante mais constante au cours des dernières années, à un taux de 5 à 6 p. 100 par année, ce qui correspond à l'inflation dans le domaine des soins de santé. Les SSFC sont parvenus à obtenir des fonds additionnels pour supporter l'augmentation de leurs frais parce que, selon la Cmdre Kavanagh, [traduction] nous avons démontré à l'organisation que nous avions besoin de plus d'argent.

[99] La preuve ne démontre pas l'effet que l'augmentation des coûts associés à l'élargissement de la politique concernant la FIV aurait sur le budget global des FC. Aucune preuve claire du budget total antérieur ou actuel des FC n'a été produite. La Cmdre Kavanagh a déclaré dans son témoignage qu'elle ignorait le [traduction] montant exact, mais qu'il s'agissait de [traduction] milliards. Elle a été en mesure de confirmer que la somme de 270 millions de dollars allouée aux SSFC représente [traduction] moins de 10 p. 100 du budget total des FC. Plus important encore, les FC n'ont produit aucune preuve concernant leur financement ou leurs budgets à l'époque où la demande de financement de M. Buffett a été rejetée en 1998, et il est impossible d'évaluer de manière fiable les incidences des coûts additionnels qui auraient découlé à l'époque de l'élargissement de la politique.

[100] À mon avis, la preuve n'établit pas qu'il est impossible pour les FC de répondre à la demande de M. Buffet et des autres militaires de sexe masculin possédant les mêmes caractéristiques sans subir de contrainte excessive. La Bgén. Jaegar a qualifié les coûts annuels additionnels qu'elle a estimés à 10 millions de dollars - une somme que je considère exagérée - de [traduction] non négligeables, comparativement aux sommes que les SSFC consacrent aux autres formes de services. Cela est peut-être exact, mais il incombait aux FC de prouver que le coût additionnel serait tellement élevé qu'il leur imposerait une contrainte excessive. Or, les FC ne l'ont pas fait.

[101] Pour tous ces motifs, j'estime que le refus des FC d'accorder à M. Buffett des fonds pour une FIV l'a défavorisé en cours d'emploi à cause de son sexe. La plainte de M. Buffett est fondée à cet égard.

D. A-t-on fait la preuve d'un acte discriminatoire fondé sur la déficience, visé à l'article 7?

[102] Les FC n'ont pas contesté la prétention de M. Buffett voulant que son infertilité constitue une déficience.

[103] Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) et Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, la Cour suprême a mentionné, au paragraphe 79, qu'un handicap ou une déficience, au sens de la législation en matière de droits de la personne, peut résulter aussi bien d'une limitation physique que d'une affection, d'une construction sociale, d'une perception de limitation ou d'une combinaison de tous ces facteurs.

[104] En l'espèce, le docteur Leader a déclaré dans son témoignage que le désir d'avoir des enfants est [traduction] inscrit dans le patrimoine génétique de la majorité des gens. L'infertilité les empêche de satisfaire ce besoin. À son avis, le traitement de l'infertilité est une composante nécessaire des soins de santé et l'impossibilité de concevoir un enfant a un impact psychologique important autant sur le partenaire masculin que sur le partenaire féminin. M. Buffett a d'ailleurs expliqué dans son témoignage que son problème d'infertilité les affecte tellement, lui et sa femme, qu'ils évitent d'avoir des rapports avec des collègues et des amis ayant des enfants. Lors de son contre-interrogatoire, le docteur Leader a convenu que l'infertilité est une maladie et une déficience, ajoutant que l'Organisation mondiale de la santé la définit ainsi.

[105] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que l'infertilité de M. Buffett constitue une déficience au sens de la Loi.

[106] Le raisonnement menant à la conclusion qu'il y a discrimination fondée sur le sexe en l'espèce peut s'appliquer également à la discrimination fondée sur la déficience. La politique des FC a pour effet de conférer un avantage en cours d'emploi (le financement de la FIV) aux membres des FC atteints d'une certaine forme de déficience (l'obstruction bilatérale des trompes de Fallope) et de priver de cet avantage les militaires qui souffrent d'une forme différente d'infertilité (l'infertilité masculine). La question qu'il faut se poser dans ce contexte n'est pas très différente de celle qu'il faut se poser dans le cadre de l'analyse de la discrimination fondée sur le sexe : les FC offrent-elles le même avantage à ses membres souffrant d'une forme d'infertilité masculine qu'à ses membres dont l'infertilité est attribuable à une autre déficience (l'obstruction bilatérale des trompes de Fallope)?

[107] Il faut également répondre par la négative à cette question. Une différence de traitement préjudiciable entre des personnes ayant des formes différentes de déficience a été établie prima facie. Les arguments invoqués par les FC pour expliquer de manière raisonnable et non discriminatoire une telle conclusion ne sont pas différents de ceux invoqués relativement à la plainte de discrimination fondée sur le sexe. Aucune différence ne doit être faite entre les deux motifs de distinction en ce qui a trait à la contrainte excessive que les FC affirment qu'elles subiraient si elles devaient élargir leur politique de financement des traitements de FIV. En fait, les FC se sont fondées sur la même preuve et sur les mêmes arguments pour ce qui est de la discrimination fondée sur la déficience que pour ce qui est de la discrimination fondée sur le sexe.

[108] La défense des FC peut donc être considérée de la même façon dans les deux cas et mes conclusions sont les mêmes dans les deux cas. Je relève dans les deux cas les mêmes faiblesses quant aux estimations du coût de l'élargissement de la politique et ma conclusion est la même : toutes dépenses additionnelles liées à l'élargissement de la politique de financement de la FIV ne seraient pas élevées au point de constituer une contrainte excessive pour les FC.

[109] Je conclus par conséquent que le refus des FC de verser des fonds à M. Buffett pour des traitements de FIV l'a défavorisé à cause de sa déficience. La plainte de M. Buffett est fondée à cet égard également.

E. L'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille

[110] La Commission et M. Buffett n'ont présenté à l'audience aucun argument solide concernant ce prétendu motif de distinction, l'avocat de la Commission se contentant d'affirmer, dans sa plaidoirie finale, que la politique de financement de la FIV créait, [traduction] dans une certaine mesure, de la discrimination fondée sur la situation de famille. On ne m'a présenté aucun élément de preuve étayant cette allégation ou s'y rapportant, et il serait contraire à l'équité et à la justice naturelle que j'essaie de formuler des arguments au soutien de cet aspect de la plainte et que je tire des conclusions en conséquence. L'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille n'est pas fondée.

F. La plainte relative à l'article 10

[111] Compte tenu des mes conclusions concernant la plainte fondée sur l'article 7, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décider si la politique des FC sur laquelle repose la décision de ne pas financer le traitement de FIV contrevenait également à l'article 10. La preuve produite en l'espèce m'a amené à conclure qu'il y a discrimination fondée sur l'article 7. Lorsqu'il juge une plainte fondée, le Tribunal peut ordonner des mesures de redressement, notamment toutes celles demandées par la CCDP et M. Buffett en l'espèce, conformément à l'article 53 de la Loi. L'une des mesures demandées en l'espèce, la modification de la politique des FC concernant le financement de la FIV, peut être ordonnée, que la plainte soit fondée sur l'article 7 ou sur l'article 10 (voir Moore c. Commission canadienne des grains, 2006 TCDP 38, aux paragraphes 5 et 7 à 10; Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, aux paragraphes 15 et 16). Je ne vois donc pas la nécessité d'examiner l'allégation de discrimination fondée sur l'article 10 de la Loi.

[112] Je mentionne toutefois, en passant, qu'on pourrait se demander si le refus des FC de financer les traitements de FIV peut être interprété, aux fins de l'article 10 de la Loi, comme une décision susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement, ou employment opportunities dans la version anglaise de la Loi. Cette question n'a toutefois pas été soulevée ou débattue par les parties à l'audience et, vu mes conclusions exposées précédemment, je ne crois pas devoir me prononcer sur l'article 10.

G. Quelles mesures de redressement M. Buffett et la Commission demandent-ils?

(i) L'octroi de l'avantage en matière d'emploi à M. Buffett

[113] Aux termes de l'alinéa 53(2)b), le Tribunal peut ordonner à un intimé d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte discriminatoire l'a privée. Aussi, M. Buffett et la Commission demandent que les FC soient enjointes de financer les traitements de FIV combinés avec l'IICS pour lui-même et pour sa femme, Rhonda Buffett.

[114] La preuve des experts médicaux qui ont témoigné en l'espèce semblaient démontrer que les traitements de FIV peuvent ne pas convenir dans tous les cas. L'âge de l'homme et de la femme peut être un facteur important dans la décision de prescrire ces traitements. En l'espèce, M. et Mme Buffett sont tous deux dans la quarantaine. Par conséquent, toute mesure que le Tribunal pourrait ordonner relativement au financement de ces traitements devrait évidemment être conditionnelle aux recommandations et à l'opinion du spécialiste de la médecine de la reproduction du couple. Si ce spécialiste continue de recommander à M. et à Mme Buffett la FIV combinée avec l'IICS et qu'ils choisissent cette solution, le Tribunal ordonne aux FC de financer les traitements, pour un maximum de trois cycles. Les FC ont l'obligation de conférer des avantages en matière d'emploi à leurs employés d'une manière non discriminatoire et véritablement égale. La politique actuelle assure aux femmes souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope un maximum de trois cycles de traitement de FIV. M. Buffet a droit au même nombre de cycles de traitement de FIV combinée avec l'IICS.

(ii) Une indemnité pour préjudice moral - alinéa 53(2)e) de la Loi

[115] M. Buffett a déclaré dans son témoignage qu'il a été [traduction] très éprouvé par ce qu'il a vécu. Évidemment, comme les FC l'ont affirmé dans leur exposé final, une grande partie de ces épreuves était attribuable au simple fait que ses problèmes d'infertilité les empêchaient, lui et sa femme, d'avoir des enfants. M. Buffett a décrit la peine qu'ils ressentaient lorsqu'ils voyaient la joie que les membres de leur famille ou d'autres personnes autour d'eux partageaient avec leurs enfants, une joie à laquelle ils étaient incapables de participer. Les FC prétendent que, par conséquent, le préjudice moral de M. Buffet n'est pas lié à leurs pratiques en matière de financement de la FIV, que j'ai jugées discriminatoires, mais plutôt à sa propre situation personnelle et à son propre destin.

[116] La preuve d'expert semble cependant indiquer que, si les FC avaient accordé à M. Buffett le financement qu'il a demandé pour la première fois en 1998 (alors que lui et sa femme étaient dans la trentaine), il est fort possible qu'ils auraient eu des enfants il y a des années. Le préjudice moral qu'il continue de subir aurait cessé si lui et sa femme avaient subi le traitement avec succès. Évidemment, il n'est pas certain que les traitements auraient mené à la naissance d'un enfant, mais la possibilité existe tout de même.

[117] À mon avis, M. Buffett a droit à une indemnité pour le préjudice moral qui aurait pu cesser si les FC ne lui avaient pas refusé d'une manière discriminatoire le financement qu'il demandait.

[118] De plus, M. Buffet a parlé dans son témoignage des hauts et des bas qu'il a vécus sur le plan émotif à cause des décisions et des avis contradictoires des différentes instances jusqu'au chef d'état-major qui ont examiné son grief. La joie qu'il ressentait lorsqu'il apprenait qu'un officier supérieur l'appuyait était ensuite remplacée par une profonde tristesse quand un autre officier rejetait sa demande.

[119] Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, j'ordonne aux FC de verser à M. Buffett une somme de 7 500 $ pour le préjudice moral qu'il a souffert.

iii) Les intérêts

[120] Des intérêts sont payables sur l'indemnité accordée en l'espèce (paragraphe 53(4) de la Loi). Les intérêts sont calculés conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal et courent à compter de la date du grief de M. Buffet, soit le 10 novembre 1998.

(iv) La cessation de l'acte discriminatoire

[121] La Commission et M. Buffett ont demandé au Tribunal d'ordonner aux FC de mettre fin à l'acte discriminatoire et de prendre des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables. La Commission semblait laisser entendre que les FC devraient être tenues de modifier leur politique de manière à financer les traitements de FIV de tous leurs membres.

[122] À mon avis, une telle mesure serait inappropriée. Les FC ont été jugées coupables de ne pas avoir octroyé un avantage en matière d'emploi à tous leurs employés d'une manière non discriminatoire et véritablement égale. Il n'appartient pas au Tribunal en l'espèce de décider quels services les FC devraient assurer. Cependant, dans la mesure où les FC maintiennent leur politique de financer les traitements de FIV au bénéfice de tous leurs membres qui souffrent d'infertilité, elles doivent le faire d'une manière non discriminatoire, en conformité avec les conclusions en l'espèce.

[123] En conséquence, j'ordonne aux FC, en vertu de l'alinéa 53(2)a), de prendre des mesures, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, afin de modifier leur politique relative au financement des traitements de FIV de telle sorte que les militaires de sexe masculin souffrant d'infertilité reçoivent des avantages réellement égaux à ceux dont jouissent les militaires de sexe féminin souffrant d'une obstruction bilatérale des trompes de Fallope ou à ceux dont jouissent toutes les militaires, selon le cas.

(v) La formation de sensibilisation

[124] La Commission a demandé au Tribunal d'ordonner que tous les militaires qui sont chargés de l'élaboration et de l'application de la politique en matière de soins de santé des FC reçoivent une formation de sensibilisation quant aux aspects des droits de la personne qui ont un lien avec les décisions qu'ils prennent. La Commission a fait explicitement allusion à la preuve présentée au Tribunal démontrant que, en aucun temps pendant l'élaboration de la politique concernant le financement de la FIV ou de la Gamme de soins en général, les FC n'ont demandé l'avis d'un conseiller juridique. La Commission semblait laisser entendre que les décideurs des FC n'avaient pas tenu compte des incidences juridiques, en particulier en ce qui a trait aux droits de la personne.

[125] Le présent différend aurait peut-être pu être évité si les FC avaient demandé l'avis d'un conseiller juridique avant d'adopter leur politique de financement des traitements de FIV, mais je ne suis pas convaincu qu'il s'agit d'une raison suffisante d'ordonner la formation de sensibilisation demandée par la Commission. Il ne fait aucun doute que les présents motifs de décision permettront aux FC et à leur personnel de mieux comprendre les facteurs qui doivent être pris en compte dans le cadre de l'application de la politique des soins de santé. La demande de la Commission concernant la formation de sensibilisation est rejetée.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 15 septembre 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T976/9604
INTITULÉ DE LA CAUSE : Terry Buffett c. les Forces canadiennes
Les 7 au 9 septembre 2005
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 12 au 14 décembre 2005
Ottawa (Ontario)

Les 10 et 24 janvier 2006
Ottawa (Ontario) et Edmonton (Alberta) (par vidéoconférence)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 15 septembre 2006
ONT COMPARU :
Terry Buffett >Pour lui-même
Giacomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Elizabeth Richards Pour l'intimée
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