Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

KATHLEEN MOORE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 38
2006/08/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

[1] Dans sa requête datée du 24 juillet 2006, la plaignante, Kathleen Moore, a demandé que sa plainte soit modifiée en vue d'ajouter des allégations de discrimination fondées sur l'article 10 et sur le paragraphe 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Quant à la modification relative au paragraphe 14.1, le point de vue de l'intimée est qu'il ne s'oppose pas, ni ne consent, à ce que l'on apporte cette modification. Les faits allégués à l'appui démontrent que les critères qui ont été énoncés par le Tribunal dans de nombreuses décisions pour qu'une telle modification puisse être apportée sont satisfaits. Par conséquent, la plainte est modifiée afin d'ajouter les allégations fondées sur le paragraphe 14.1 de la Loi.

[2] En s'opposant à la demande de modification relative à l'article 10, l'intimée prétend d'abord que, en vertu de l'article 51 de la Loi, c'est la Commission qui est le gardien de l'intérêt public. Seule la Commission, et non un plaignant, peut avancer des allégations de discrimination systémique fondées sur l'article 10 et demander une réparation systémique en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la Loi. La Commission s'est retirée des présentes procédures et n'a pas demandé que l'on apporte une telle modification.

[3] L'intimée invoque également la décision rendue par le Tribunal dans Toth et la Commission canadienne des droits de la personne c. Kitchener Aero Avionics, 2005 TCDP 19, plus particulièrement le raisonnement du Tribunal figurant au paragraphe 37 de cette décision. Dans ce paragraphe, le Tribunal a souligné que les réparations demandées par la plaignante sont personnelles et compensatoires et qu'elles ne mettent pas en cause l'intérêt public général.

[4] En examinant l'argument de l'intérêt public, il n'est pas nécessaire de définir l'expression intérêt public qui figure à l'article 51 de la Loi. Il suffit d'affirmer que l'article 51 est silencieux quant à la capacité d'un plaignant individuel de déposer une plainte dénonçant une pratique discriminatoire systémique. En fait, l'article 40 de la Loi permet expressément à un individu ou à un groupe d'individus de déposer une plainte auprès de la Commission. Cet article n'interdit pas le dépôt d'une plainte systémique individuelle.

[5] Il n'y a rien non plus dans l'alinéa 53(2)a) de la Loi qui assujetti le Tribunal à certaines restrictions lorsqu'il est question d'accorder une réparation systémique et que le plaignant est une personne et non pas la Commission. La Loi prévoit expressément les cas où le Tribunal est assujetti à des restrictions lorsqu'il accorde l'une des mesures réparatrices prévues à l'article 53. Pensons par exemple au paragraphe 54(1).

[6] Dans la décision Toth, le Tribunal devait se prononcer sur une requête en res judicata et non pas sur une requête en vue d'ajouter à la plainte une allégation fondée sur l'article 10. Selon moi, les commentaires du Tribunal figurant au paragraphe 37 doivent être interprétés dans le contexte des faits particuliers de l'espèce et il y a lieu d'établir une distinction d'avec la présente espèce.

[7] Même si la décision Toth peut être interprétée comme limitant le plaignant à une réparation personnelle et compensatoire, elle est incompatible avec la décision rendue par le Tribunal dans Aleta Gaucher et Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1.

[8] Dans la décision Gaucher, la Commission a demandé à modifier une plainte en vue d'ajouter une allégation fondée sur l'article 10. Le Tribunal a conclu qu'aucune modification n'était nécessaire mais il a accordé la modification visant à clarifier, comme il l'a affirmé, les aspects juridiques de la situation. Le Tribunal a estimé (au paragraphe 15) que l'alinéa 53(2)a) de la Loi ne fait pas de distinction entre les aspects personnels et les aspects systémiques d'une plainte et que c'est une erreur que de faire une dichotomie entre les plaintes déposées en vertu de l'article 7 et celles déposées en vertu de l'article 10 de la Loi.

[9] Je ne suis pas lié par la décision Toth et je préfère le raisonnement qu'a fait le Tribunal dans la décision Gaucher. Cette affaire porte sur la même question que celle dont il est question en l'espèce.

[10] Pour ces motifs, j'ai conclu que la plaignante en l'espèce peut, dans le cadre de sa plainte actuelle, prétendre que l'intimée s'est livré à des pratiques de discrimination systémique et peut demander une réparation systémique. Elle peut faire cela sans modifier sa plainte. Évidemment, c'est au Tribunal qui entend la plainte de décider si oui ou non il fera droit à ces allégations et, dans l'affirmative, si une réparation systémique constitue la réparation appropriée dans les circonstances.

[11] Je tiens à signaler que la requête de la plaignante et les observations faites par les deux avocats ont eu des résultats très bénéfiques. L'intimée a prétendu à maintes reprises et, à juste titre, qu'il ne sait pas exactement quelle preuve il doit réfuter.

[12] Dans les documents qu'elle a soumis à l'appui de sa requête ainsi que dans son énoncé des précisions modifié, la plaignante a maintenant clairement précisé les faits sur lesquels elle se fonde, les questions en litige soulevées par sa plainte et les réparations qu'elle demande. Tant mieux, cela devrait apaiser les craintes de l'intimée.

[13] Certaines questions incidentes ont également été soulevées à l'audience. La plaignante a demandé à l'intimée de fournir des documents supplémentaires tel que mentionné aux paragraphes 51 à 56 de son énoncé des précisions modifié. L'intimée examinera ces demandes et fera part de son point de vue à la plaignante au plus tard le 6 octobre 2006.

[14] Enfin, le Tribunal a fixé provisoirement une nouvelle date d'audience de la plainte. L'audience commencera à Thunder Bay dans la semaine du 2 au 5 avril 2007, elle se poursuivra dans la semaine du 10 au 13 avril et, si nécessaire, elle reprendra le 23 avril 2007.

J. Grant Sinclair

Ottawa (Ontario)
Le 30 août 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T967/8704
INTITULÉ DE LA CAUSE : Kathleen Moore c. la Commission canadienne des grains
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 22 août 2006

Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 30 août 2006
ONT COMPARU :
Craig Spencer Pour la plaignante
(Aucun représentant) Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Sid Restall Pour l'intimée
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