Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Richard Warman

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Marc Lemire

l’intimé

- et –

 

Procureur général du Canada

Canadian Association for Free Expression

Canadian Free Speech League

Congrès juif canadien

Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

Ligue des droits de la personne de B'nai Brith

les parties intéressées

 

Décision

Numéro de dossier : T1073/5404

Membre instructeur : Edward P. Lustig

Date : 27 février 2014

Référence : 2014 TCDP 6



I.                   Le contexte

[1]               La présente affaire a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne consécutivement à un appel d’une demande de contrôle judiciaire entendu par la Cour d’appel fédérale (2014 CAF 18). Le Tribunal est à présent chargé d’exécuter l’ordonnance rendue par la Cour fédérale (2012 CF 1162), modifiée par le jugement de la Cour d’appel fédérale.

II.                La plainte de M. Warman contre M. Lemire

[2]               La plainte de M. Warman faisait uniquement état de documents trouvés sur Freedomsite.org. Il alléguait que M. Lemire était le propriétaire et l’administrateur du site Web. Les documents mentionnés dans la plainte étaient surtout des messages affichés par des utilisateurs inscrits sur le babillard du site Web.

[3]               Lors de l’audition de la plainte, M. Warman et la Commission ont toutefois élargi la portée de celle-ci pour inclure des documents trouvés sur JRBooksonline.com et Stormfront.org. Ils ont fait valoir que M. Lemire était le propriétaire inscrit de JRBooksonline.com et donc responsable de son contenu. À propos de Stormfront.org, ils ont fait valoir que M. Lemire affichait sur le babillard de ce site des messages qui violaient l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la LCDP ou la Loi).

III.             La décision du Tribunal canadien des droits de la personne (2009 TCDP 26)

[4]               Le membre instructeur Hadjis a conclu que M. Warman et la Commission n’avaient pu étayer leur prétention selon laquelle M. Lemire était le propriétaire de JRBooksonline.com (paragraphe 47). Il a de plus conclu que ce que M. Lemire affichait sur Stormfront.org ne constituait pas la propagande haineuse visée par la Loi. Il a enfin conclu que celui-ci n’avait pas fait transmettre de documents haineux sur le site Freedomside.org, dont il était l’administrateur, puisque c’était Craig Harrison qui avait affiché le contenu haineux (voir Warman c. Harrison, 2006 TCDP 30).

[5]               Seul l'article intitulé « Aids Secrets » [les secrets du sida] affiché sur Freedomsite.org a été reconnu comme un acte discriminatoire au sens du paragraphe 13(1), car il exprimait « des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation envers les homosexuels en particulier » (Warman c. Lemire, 2009 TCDP 26, au paragraphe 207). Selon l’article, « [l]es homosexuels sont des personnes dangereuses et immorales [...] qui, en étant motivées par un désire égoïste de se livrer à leurs pratiques sexuelles déviantes et en ne faisant pas analyser leurs dons de sang, sont responsables de la mort de milliers de personnes (au paragraphe 200). L’article citait de plus des statistiques hors contexte pour établir que le VIH/SIDA était une maladie propre aux Noirs (au paragraphe 195).

[6]               À propos de la question constitutionnelle de décider si l’article 13 viole l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, le Tribunal n’était disposé à s’écarter de la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 RCS 892, que si M. Lemire pouvait faire une distinction entre les circonstances de l'espèce et celles de l'arrêt Taylor (au paragraphe 221).

[7]               Le membre instructeur Hadjis a conclu que le libellé en vigueur de l’article 13 de la Loi, modifié après la décision de l’arrêt Taylor, ne portait plus une atteinte minimale à la liberté d’expression visée par la violation, car les peines en cas de verdict pour avoir transmis ou fait transmettre de la propagande haineuse — alinéa 54(1)c) et paragraphe 54(1.1) — ressemblent à présent trop à des sanctions criminelles plutôt qu’à des sanctions administratives. Il a également conclu que « [l]a disposition ne peut plus être considérée comme ayant le caractère exclusivement réparateur, préventif et conciliatoire, qui était au cœur de la conclusion tirée par la Cour dans l'arrêt Taylor selon laquelle la justification de la restriction apportée par le paragraphe 13(1) à la liberté d'expression peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique et, ainsi, elle est justifiée au regard de l'article premier de la Charte » (au paragraphe 279). Le Tribunal a en outre conclu que la décision de la Commission de renvoyer l’affaire au Tribunal pour instruction, même si le contenu offensant avait été retiré, et le fait que, de façon générale, la Commission a peu recours à des mesures de conciliation rendaient inconstitutionnelles, au regard de leur effet pratique, les dispositions légales contestées (aux paragraphes  283 et 284). Le Tribunal a donc refusé d’appliquer le paragraphe 13(1), l’alinéa 54(1)c) et le paragraphe 54(1.1) de la LCDP.

IV.             La décision de la Cour fédérale (2012 CF 1162)

[8]               En contrôle judiciaire et selon la norme de la décision correcte, la Cour a reconnu que les mesures de réparation visées à l’article 54 sont devenues punitives de façon inconstitutionnelle, mais que le Tribunal a commis une erreur en refusant d’appliquer la doctrine de la dissociation; il aurait dû dissocier les paragraphes 54(1) et (1.1), et conclure à la constitutionnalité de l’article 13 dans la mesure où elle a été confirmée dans l’arrêt Taylor. La Cour a donc déclaré l’inconstitutionnalité des paragraphes 54(1) et (1.1) et renvoyé l’affaire au Tribunal afin qu’il prononce en vertu de l’article 13 une déclaration à l’égard de la seule disposition discriminatoire et qu’il décide s’il y a lieu de prendre des mesures réparatrices en vertu des alinéas 54(1)a) ou b) (aux paragraphes 138 et 139).

[9]               La Cour a conclu que « [l]es articles 50 à 54 de la Loi, qui définissent les pouvoirs dont dispose le Tribunal au moment de mener une instruction, ne contiennent aucune disposition lui octroyant [le pouvoir d’examiner les décisions de la Commission] » (au paragraphe 52). Le Tribunal ne peut examiner que les questions portant sur des dispositions de la Charte qui sont soulevées en audience, car il n’a pas compétence pour examiner la façon dont la Commission rend des décisions dans ses fonctions administratives; seuls les cours peuvent examiner le processus décisionnel de la Commission, et cet examen doit prendre la forme d’un contrôle judiciaire (au paragraphe 57). L’examen du bien-fondé de la décision de la Commission de procéder par médiation et conciliation ou de renvoyer l’affaire au Tribunal outrepassait donc le mandat de celui-ci et n’aurait dû influer en aucune façon son analyse constitutionnelle.

V.                La décision de la Cour d’appel fédérale (2014 CAF 18)

[10]           Le juge Evans de la Cour d’appel fédérale a acquiescé sans réserve à la constitutionalité de l’article  13, de l’alinéa 54(1)c) et du paragraphe 54(1.1). Il a conclu à la constitutionnalité de l’article  13 — ainsi qu’à celle des dispositions sur les sanctions, en particulier au regard de l’objectif urgent et réel de l’État de prévenir la diffamation de groupes vulnérables. De surcroît, les sanctions pécuniaires possibles dans le cas où l’intimé est reconnu coupable de violation de l’article 13 ne sont pas réellement pénales, mais administratives, et donc également constitutionnelles. En annulant la déclaration d’inconstitutionnalité, il a modifié l’ordonnance de la Cour fédérale sans toutefois toucher à celle-ci (au paragraphe 107).

[11]           La Cour d’appel fédérale a convenu que [traduction] « les effets d’une disposition légale peuvent invalider cette disposition s’ils découlent nécessairement de ses termes », mais que des mesures administratives inconstitutionnelles n’ont pas les mêmes incidences que les dispositions légales inconstitutionnelles (au paragraphe 47). Elle a en revanche été en désaccord avec la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le Tribunal n’était pas compétent pour enquêter sur l’exercice par la Commission de ses pouvoirs administratifs. [traduction] « L’interprétation étroite par le juge de la compétence du Tribunal d’instruire la plainte minerait les raisons de lui conférer le pouvoir légal de se prononcer sur la validité constitutionnelle de sa loi habilitante » (au paragraphe 51). Le Tribunal peut enquêter sur les mesures prises par la Commission, pour autant qu’elles soient pertinentes à la décision quant à la question de droit dont il est saisi. En l’espèce cependant, les mesures prises par la Commission n’étaient pas pertinentes à la question constitutionnelle (au paragraphe 52).

[12]           Se fondant largement sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, 2013 CSC 11, [2013] 1 RCS 467, la Cour d’appel fédérale a tranché que l’existance des lois visant la propagande haineuse adresse aux Canadiens un message qui fait partie de la nécessaire œuvre de promouvoir l’égalité dans la société, et que l’efficacité réelle des dispositions légales dans les cas où le contenu Internet contesté est stocké dans des serveurs à l’étranger n’est pas pertinente pour la constitutionnalité de ces dispositions (aux paragraphes  60 à 63). Le paragraphe 13(2), qui le rend applicable à Internet – où, selon la Cour d’appel fédérale, les groupes visés ont amplement l’occasion de répondre – constitue aussi une atteinte minimale au droit de la liberté d’expression que garantit l’alinéa  2b) de la Charte, car la propagande haineuse empêche réellement des groupes opprimés de contribuer en égaux au débat social (aux paragraphes  64 et 70). La Cour d’appel fédérale a de plus rejeté la proposition qu’Internet facilite les échanges d’idées formateurs sur des sujets évoqués dans l’objet de l’article  13; [traduction] « du fait de la nature extrême de la propagande haineuse interdite, imaginer que les personnes qui s’y adonnent soient susceptibles d’être ouvertes aux échanges d’idées formateurs me paraît relever de la fantaisie » (au paragraphe 65).

[13]           Le juge Evans a affirmé ce qui suit à propos des sanctions pécuniaires en cas de violation de l’article 13 : 

[traduction] Il a été établi que les sanctions pécuniaires imposées pour violation d’un régime légal et payables au Trésor ne sont pas de nature pénale aux fins de décider de l’applicabilité des garanties procédurales de l’article 11 de la Charte … Les sanctions pour inobservation imposées par la réglementation pour la protection de la population conformément aux objectifs de la loi ne sont pas nécessairement de nature pénale aux fins de l’article 11. (Au paragraphe 78.)

[14]           Soulignant que les sanctions n’ont pas à être parfaites, le juge Evans a fait preuve de retenue à l’égard de la décision du législateur d’imposer une sanction pécuniaire pour inciter au respect de l’article 13 de la Loi et dissuader d’y porter atteinte (au paragraphe 91). En conjonction avec l’objectif de [traduction] « protection du statut social des groupes vulnérables et de prévention de la discrimination à leur égard » (au paragraphe 92) et le fait que la sanction empêche que les délinquants évitent la responsabilité quand ils visent des groupes plutôt que des personnes (au paragraphe 93), le juge Evans a affirmé ce qui suit :

[traduction] Considérée dans le contexte du régime de réparation que prévoit la LCDP, l’imposition d’une sanction en vertu de l’alinéa 54(1)c) et du paragraphe 54(1.1) n’est pas moralement plus répréhensible que la conclusion que la communication de la propagande haineuse a été délibérée ou inconsidérée [paragraphe 53(3) de la Loi, lequel n’a pas été contesté] et, en vertu de l’alinéa 54(1)b), elle vise à indemniser les personnes identifiées. (au paragraphe 98)

[15]           C’est pourquoi les sanctions pécuniaires ne sont pas pénales mais administratives, et  sont un moyen pour imposer [traduction] « la responsabilité des dommages causés par la diffamation de groupes visés et dissuader la communication de propagande haineuse, afin que diminue la discrimination à leur égard » (au paragraphe 104).

VI.             La réattribution de l’affaire

[16]           Il convient de mentionner que, postérieurement à l’ordonnance de renvoi, le président par intérim du TCDP a attribué l’affaire à un autre membre du Tribunal, le mandat du membre instructeur Hadjis ayant expiré au début 2010.

VII.          Les questions dont le Tribunal est saisi

[17]           Le Tribunal est actuellement saisi des questions suivantes, qu’il doit trancher :

1.      Le Tribunal devrait-il ajourner l’affaire jusqu’à ce que le litige concernant le contrôle judiciaire ait été finalement tranché, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’appelant épuise sa possibilité de demander l’autorisation de se pourvoir en appel, ou que la Cour suprême du Canada refuse l’autorisation ou qu’elle l’accorde et qu’elle se prononce sur l’appel?

2.      Le Tribunal devrait-il tenir une audience pour prendre connaissance des éléments de preuve et des observations relatives à la demande de suspension d’instance pour abus de procédure présentée par M.  Lemire?

3.      Le Tribunal doit-il exécuter l’ordonnance de renvoi, modifiée par la Cour d’appel fédérale?

1.      Le Tribunal devrait-il ajourner l’affaire jusqu’à ce que le litige concernant le contrôle judiciaire ait été finalement tranché?

[18]           L’intimé a soutenu que l’affaire devrait être ajournée indéfiniment en attendant l’issue finale de toutes les procédures d’appel dans le contrôle judiciaire susmentionné. L’affaire soulève selon lui d’importantes questions touchant l’une des libertés les plus fondamentales des Canadiens, la liberté d’expression. Ces questions n’ont pas encore fait l’objet d’une décision définitive, ce qui sera seulement le cas après que tous les appels auront été entendus. Je le cite : [traduction] « [l]’affaire peut encore être portée devant la Cour suprême du Canada. »

[19]           Je ne puis accepter les arguments de l’intimé.

[20]           Les décisions du Tribunal et les ordonnances de renvoi des Cours fédérales ne sont pas susceptibles d’ajournement automatique en attendant l’appel ou l’autorisation d’en appeler. Le Tribunal doit donner suite aux ordonnances d’une instance supérieure, sauf si les parties peuvent obtenir un sursis judiciaire. De plus, le Tribunal est tenu, en vertu du paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d’instruire les plaintes « sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. » En conséquence, le Tribunal n’ajournera pas l’affaire en attendant l’issue des appels du contrôle judiciaire dans le même dossier.

[21]           Les parties peuvent solliciter la suspension conformément à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, ou au paragraphe 65.1(1) de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26.

[22]           Dans ses observations sur une demande d’ajournement indéfini, M.  Lemire n’a pas établi que sans ajournement, il y aurait déni des principes de justice naturelle ou de l’équité procédurale. Ceci est important, car un manquement possible aux principes de justice naturelle aurait constitué un motif légitime pour que le Tribunal n’instruise pas de façon expéditive : paragraphe 48.9(1) de la LCDP.

[23]           Au vu de ce qui précède, la demande d’ajournement indéfini est refusée.

2.      Le Tribunal devrait-il tenir une audience pour prendre connaissance des éléments de preuve et des observations relatives à la demande de suspension d’instance pour abus de procédure présentée par M.  Lemire?

[24]           Subsidiairement, l’intimé demande que se tienne une audience pour traiter les « questions non réglées », notamment selon lui une requête en suspension pour abus de procédure. Il prétend à cet égard que la façon dont la Commission et le plaignant ont poursuivi la plainte a été oppressive, malveillante, méprisable et de mauvaise foi, de nature à déconsidérer l’application de la loi en matière de droits de la personne.

[25]           Si M.  Lemire voulait avoir gain de cause dans une requête en suspension pour abus de procédure, ce qui nécessiterait obligatoirement la remise en cause de l’affaire, il devrait satisfaire aux conclusions sur l’abus de procédure par voie de remise en cause des faits que la Cour suprême a exposées dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P. section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 (Toronto c. S.C.F.P.). Sinon, sa requête constituerait elle-même un abus de procédure. La Cour suprême a affirmé dans son arrêt :

Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte.  (au paragraphe 52)

[26]           La première instance s’est déroulée devant un membre instructeur qui ne siège plus au Tribunal. Dans sa décision, il a mené une analyse minutieuse des procédures de la Commission à la fois dans l’espèce dont le Tribunal était saisi et dans son mode de fonctionnement en général. Le membre instructeur a conclu que les méthodes administratives de la Commission contribuaient à l’inconstitutionnalité des dispositions relatives à la propagande haineuse. La Cour fédérale a conclu que le Tribunal n’avait pas compétence pour prendre ces méthodes en considération. La Cour d’appel fédérale n’a pas souscrit à cette question sur la compétence, mais a conclu qu’en l’espèce, ces méthodes administratives n’avaient simplement aucune pertinence. À présent que l’intimé se trouve de nouveau devant le Tribunal, il cherche à présenter les mêmes arguments, reformulés en [traduction] « requête en suspension d’instance pour abus de procédure ».

[27]           Il est inutile de poursuivre l’analyse. Le contexte dans lequel M. Lemire voudrait prétendre que la façon dont la Commission et M. Warman ont mené la présente affaire constitue un abus de procédure ne diffère en rien de l’audience initiale. Les faits et les preuves en cause ont été clairement présentés au membre instructeur initial; il n’y a aucun nouvel élément de preuve, qui n’avait pu être présenté auparavant; qui plus est, aucun contexte nouveau n’empêcherait la décision de la Cour d’appel fédérale de lier le Tribunal et les parties.

[28]           La requête pour abus de procédure de M. Lemire ne saurait être conforme aux exigences énoncées dans Toronto c. S.C.F.P. et constituerait elle-même un abus de procédure, car elle cherche à remettre en cause des questions tranchées antérieurement. Le fait d’entendre la requête porterait de plus atteinte au mandat d’instruire de façon expéditive que le paragraphe 48.9(1) confère au Tribunal. Il n’y aura donc ni audience ni observation touchant la demande de suspension pour abus de procédure déposée par M. Lemire.

[29]           Je souhaite ajouter, comme dernière observation sur cette question, qu’il était loisible à l’intimé de faire valoir à la fois devant la Cour fédérale et devant la Cour d’appel fédérale que les ordonnances qui renvoient les affaires au Tribunal devraient lui enjoindre d’examiner – ou en réalité de réexaminer – son argumentation sur l’abus de procédure. Peu importe que l’intimé ait ou non sollicité ou non une telle directive, car aucune ne figure dans l’ordonnance d’aucune des deux Cours. Je ne suis pas disposé à déduire une telle directive du libellé limpide du dispositif des deux jugements.

3.      Le Tribunal doit-il exécuter l’ordonnance de renvoi, modifiée par la Cour d’appel fédérale?

a)      Jugement déclaratoire

[30]           La Cour a ordonné que le Tribunal prononce un jugement déclaratoire à propos de la communication discriminatoire. Le Tribunal ne peut exercer aucun pouvoir discrétionnaire dans l’observation de cette partie de l’ordonnance. Par conséquent, le Tribunal déclare que M. Lemire a violé l’article 13 de la LCDP, pour avoir fait transmettre de la propagande haineuse en affichant l’article intitulé « AIDS Secrets » sur le forum public Freedomsite.org.

b)     Ordonnance de mettre fin à l’acte discriminatoire

[31]           Le Tribunal ordonne à M. Lemire, conformément aux alinéas 54(1)a) et 53(2)a) de la LCDP, de mettre fin à l’acte discriminatoire susmentionné, c’est-à-dire de mettre fin au fait de transmettre ou de faire transmettre par les moyens visés à l’article 13, à savoir Internet, des questions du type que contient l’article intitulé « AIDS Secrets », lequel est susceptible d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base d'un motif de distinction illicite. La Commission reconnaît que M. Lemire a retiré avant la première audience le contenu offensant qui avait été affiché, mais cela importe peu au regard de l’objectif d’une ordonnance d’interdiction rendue en vertu de la Loi. « L'objectif d'une ordonnance d'interdiction rendue en vertu de l'alinéa 54(1)a) de la Loi est de corriger un comportement qui contrevient au paragraphe 13(1) de la Loi et d'envoyer à tous le message qu'un tel comportement n'est pas acceptable » (Warman c. L’Alliance du Nord, 2009 TCDP 10, au paragraphe 57 (L’Alliance du Nord)). De surcroît, le fait de restreindre l’ordonnance au contenu qui est précisément reproché en l’espèce irait à l’encontre de l’objet de ces dispositions légales qui ont été conçues pour remédier à la discrimination systémique et persistante dans la société canadienne. L’ordonnance vise donc à garantir que l’intimé, M. Lemire, n’ait plus de comportement comme celui qui a été jugé discriminatoire en l’espèce (L’Alliance du Nord, au paragraphe 57).

c)      Indemnisation de la victime identifiée dans la communication pour discrimination inconsidérée ou délibérée

[32]           Aucune ordonnance ne sera rendue en vertu de l’alinéa 54(1)b), les parties n’en ayant pas demandé.

 

 

Signée par

 

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

 

Ottawa (Ontario)

27 février 2014


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1073/5404

Intitulé de la cause : Richard Warman c. Marc Lemire

Date de la décision du Tribunal : Le 27 février 2014

Parties au dossier :

Richard Warman                                 Pour lui-même

Margot Blight                                     Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Giacomo Vigna

Philippe Dufresne

Ian Fine

 

Barbara Kulaszka                                Pour l’intimé

 

Simon Fothergill                                 Pour le Procureur général du Canada

Alysia Davies

 

Douglas Christie                                 Pour la Canadian Free Speech League

 

Joel Richler                                         Pour le Congrès juif canadien

Ryder Gilliland

Charlotte Kanya-Forstner

 

Steven Skurka                                     Pour le Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies

 

Marvin Kurz                                        Pour la Ligue des droits de la personne de B’nai Brith          

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