Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

ALETA GAUCHER

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMEES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 40
2006/09/22

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

[1] Dans son exposé des précisions modifié daté du 15 juin 2006, la plaignante a fait part de son intention de faire témoigner la professeure Patrica Monture comme témoin expert dans la présente instance. Celle-ci témoignera quant à la discrimination dans le contexte des faits de l'espèce ainsi que dans le contexte de ses recherches et de ses publications.

[2] L'intimée s'oppose à ce que la plaignante présente ce témoignage.

[3] La professeure Monture est membre de la faculté de sociologie de l'université de la Saskatchewan. Elle expose le contenu du témoignage qu'elle se propose de donner dans un rapport d'expert qui a été rédigé sous forme d'un affidavit de trois pages. Aux paragraphes 1 à 3 de cet affidavit, elle explique que son domaine d'étude porte principalement sur le droit et la société ainsi que sur le droit constitutionnel, notamment sur les droits ancestraux ou issus de traités, les femmes autochtones et la criminologie. Elle fait également mention de son expérience pertinente dans le domaine.

[4] J'ai examiné l'affidavit et je suis d'accord avec l'intimée que le témoignage que la professeure Monture se propose de présenter est soit non pertinent, non nécessaire pour le Tribunal ou que dans celui-ci la professeure Monture se prononce de manière inappropriée sur la question fondamentale. Ce témoignage devrait donc être écarté.

Témoignage non pertinent

[5] La Cour suprême, dans l'arrêt R. c. Mohan [1994] 2 R.C.S. 9, a décrit les critères d'admissibilité des témoignages d'expert. La Cour a souligné, au paragraphe 18, que, comme pour toute autre preuve, la pertinence est une exigence liminaire pour l'admission d'une preuve d'expert.

[6] Selon moi, une partie du témoignage de la professeure Monture est manifestement non pertinente, en l'occurrence son opinion, laquelle figure au paragraphe 11 de son affidavit, selon laquelle la réponse à la plainte de la Commission canadienne des droits de la personne démontre un manque de compréhension manifeste de la situation des femmes autochtones, de la discrimination systémique et de l'intersectionalité.

[7] La question en litige en l'espèce consiste à savoir si la preuve déposée établit que l'intimée a commis un acte discriminatoire, et ce, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je ne vois pas en quoi la réponse de la Commission à la plainte sera pertinente quant à cette question.

Témoignage non nécessaire

[8] Dans l'arrêt Mohan, la Cour déclare également, au paragraphe 21, que le rôle d'un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. La Cour suprême a également mentionné que si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l'opinion de l'expert n'est pas nécessaire.

[9] Aux paragraphes 4 à 10 de son affidavit, la professeure Monture renvoie à des ouvrages portant sur la discrimination, puis elle tente de définir les concepts de discrimination individuelle et systémique, de même que l'intersectionalité de la discrimination fondée sur de multiples motifs de distinction illicite. Ces concepts sont des questions qui sont régulièrement abordées par le Tribunal canadien des droits de la personne dans le cadre de ses décisions. L'expertise supérieure d'un tribunal des droits de la personne en ce qui a trait à l'appréciation des faits et aux décisions dans un contexte de droits de la personne a été reconnue par les tribunaux (voir p. ex. R c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554).

[10] Selon moi, cette partie du témoignage que la professeure Monture se propose de présenter relève clairement de l'expérience et de la connaissance du Tribunal et, par conséquent, n'est pas nécessaire.

Preuve sur la question fondamentale

[11] Au paragraphe 8 de son affidavit, la professeure Monture affirme que, selon elle, les nombreux incidents allégués par la plaignante qui se sont produits alors qu'elle était membre des FC constituent [traduction] des exemples clairs et manifestes de discrimination individuelle. Il s'agit, en fait, de son opinion quant à la question fondamentale que le Tribunal décidera en l'espèce, c'est-à-dire, la question de savoir si la plaignante a été victime d'un acte discriminatoire.

[12] Comme le Tribunal l'a souligné dans la décision Brooks c. Ministère des Pêches et Océans, 2004 TCDP 20, bien qu'elle ait été assouplie ces dernières années, la règle qui empêche de fournir une opinion sur le point litigieux dont le tribunal est saisi doit tout de même être respectée. Tout organisme d'arbitrage a l'obligation de tirer ses propres conclusions sur les aspects fondamentaux d'une plainte, sans bénéficier de directives de la part des parties. Selon moi, cela est particulièrement vrai en matière de droits de la personne pour lesquelles le Tribunal possède la compétence susmentionnée et est donc capable de tirer les conclusions avancées par la professeure Monture dans son rapport, et ce, sans aucune aide.

Conclusion

[13] Pour l'ensemble de ces motifs, le témoignage d'expert que la professeure Monture se propose de donner ainsi que son affidavit sont exclus de la preuve en l'espèce.

Athanasios D. Hadjis

Ottawa (Ontario)

Le 22 septembre 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T903/2304
INTITULÉ DE LA CAUSE : Aleta Gaucher c. les Forces armées canadiennes
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 22 septembre 2006
ONT COMPARU :
Dennis Callihoo Pour la plaignante
Aucun représentant Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Doreen Mueller Peter Barber Pour l'intimée
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