Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

BRIGITTE LAVOIE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA

l'intimé

DÉCISION

2008 TCDP 27
2008/06/20

MEMBRE INSTRUCTEUR : Kathleen Cahill

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. Preuve de la plaignante, Mme Lavoie

B. Preuve de l'intimé

C. Preuve de la Commission

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

IV. RECEVABILITÉ DE LA PRÉSENTE PLAINTE

V. CADRE JURIDIQUE

VI. ANALYSE

A. Preuve prima facie de discrimination

(i) Les faits particuliers à Mme Lavoie

(ii) La nouvelle politique

B. L'intimé a-t-il fourni une explication raisonnable?

(i) Les tendances en matière de congé parental

(ii) Preuve statistique soumise à l'audience

(iii) L'exigence professionnelle justifiée

VII. LES REDRESSEMENTS DEMANDÉS PAR MME LAVOIE ET LA COMMISSION:

A. Modification de la politique pour éliminer les aspects discriminatoires

B. Perte de chances ou d'avantages et perte de salaire

C. L'indemnité pour préjudice moral

D. Les intérêts

VIII. LA DÉCLARATION DE COMPÉTENCE PAR LE TRIBUNAL

I. INTRODUCTION

[1] Le 19 janvier 2004, Mme Brigitte Lavoie (Mme Lavoie), a déposé une plainte contre le Conseil du Trésor du Canada (l'intimé), alléguant le caractère discriminatoire en raison du sexe de la nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée (la nouvelle politique).

[2] Mme Lavoie allègue que l'alinéa 7 (2)a) de la nouvelle politique constitue une violation des articles 7, 8 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), du fait que la durée d'un congé non rémunéré de maternité ou parental n'est pas comptabilisée comme temps de travail dans le calcul des trois années cumulatives de travail requises pour passer du statut d'employé nommé pour une période déterminée à celui d'employé nommé pour une période indéterminée (permanent) dans la fonction publique fédérale.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne (La Commission) a participé à l'audience qui s'est tenue à Ottawa les 24, 25, 27 et 28 septembre 2007 et du 21 au 25 janvier 2008.

[4] En raison d'une entente intervenue à l'occasion d'une première plainte de discrimination déposée par Mme Lavoie le 10 juillet 2007, l'intimé soutient que Mme Lavoie ne peut contester la nouvelle politique à titre personnel incluant celui de réclamer des redressements pour elle-même. Pour les motifs mentionnés dans la décision, je rejette ce moyen d'irrecevabilité.

[5] Pour les motifs ci-après énoncés, j'ai conclu que l'intimé a défavorisé Mme Lavoie en cours d'emploi lorsqu'il a refusé de comptabiliser le congé parental dans la détermination de son éligibilité pour la nomination à un poste à durée indéterminée (article 7 de la Loi). Pour la même raison, je conclus que la nouvelle politique a annihilé les chances d'emploi ou d'avancement de Mme Lavoie (article 10 de la Loi).

[6] En ne comptabilisant pas le congé de maternité ni le congé parental, la nouvelle politique de l'intimé défavorise en cours d'emploi (article 7 de la Loi) les femmes employées à durée déterminée qui prennent un congé de maternité et/ou parental et est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de ces employées en raison de leur sexe (article 10 de la Loi).

[7] J'ordonne également à l'intimé de modifier la nouvelle politique de manière à éliminer les aspects discriminatoires dans la mesure où il est maintenu une norme selon laquelle la durée des congés de maternité ou parental de plus de soixante (60) jours civils consécutifs n'est pas prise en compte dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste à durée indéterminée.

[8] La plainte de Mme Lavoie est par conséquent accueillie.

II. LES FAITS

A. Preuve de la plaignante, Mme Lavoie

[9] Historiquement, la Politique sur l'emploi pour une période déterminée de longue durée (l'ancienne politique) prévoyait le droit à la conversion d'un poste à durée déterminée à un poste à durée indéterminée pour toute personne qui avait travaillé dans un poste à durée déterminée pour une période de cinq (5) années. En vertu de l'ancienne politique, une période de congé non rémunéré, peu importe la longueur de la période, était prise en compte dans le calcul de la période cumulative de travail de cinq (5) années.

[10] À la fin de l'année 2002, l'intimé a adopté une nouvelle politique sur l'emploi pour une période déterminée (la nouvelle politique) selon laquelle la période cumulative de travail nécessaire pour convertir un poste est dorénavant de trois (3) années. Cette nouvelle politique exclut dans le calcul de la période cumulative de travail, une période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs.

[11] En vertu de la nouvelle politique, le congé de maternité et celui parental sont considérés comme des congés non rémunérés. Par conséquent, la durée de ces congés n'est plus prise en compte dans le calcul de la période cumulative de travail de trois (3) années.

[12] La nouvelle politique est entrée en vigueur à Industrie Canada le 1er avril 2003 et s'applique de façon immédiate aux contrats à durée déterminée déjà en cours. Ainsi à compter du 1er avril 2003, pour tous les contrats en cours, toute période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs n'était plus comptabilisée dans le calcul de la période cumulative de travail de trois (3) années.

[13] En application de la nouvelle politique, l'absence de Mme Lavoie en raison d'un congé parental, soit du 1er avril 2003 jusqu'à la fin de son contrat (5 août 2003), n'a pas été comptabilisée dans la période cumulative de travail de trois (3) années. Selon Mme Lavoie, si on avait comptabilisé la période d'absence à compter du 1er avril 2003, son poste à durée déterminée aurait été converti en un poste à durée indéterminée. Par conséquent, madame Lavoie aurait obtenu le statut d'employée à durée indéterminée.

[14] Mme Lavoie a obtenu son premier contrat d'emploi à durée déterminée à compter du 7 août 2000 à titre de programmeur-analyste à l'Office de la propriété intellectuelle à Industrie Canada. Ce contrat d'une durée d'une année fut successivement renouvelé au mois d'août 2001 et au mois d'août 2002, plus précisément à compter du 5 août 2002 jusqu'au 5 août 2003 inclusivement. Aucune interruption de service ne sépare les deux renouvellements de contrat.

[15] Lors d'un congé de maternité en décembre 2000, la plaignante a été remplacée dans ses fonctions par son conjoint, lui-même employé à durée déterminée et engagé après Mme Lavoie.

[16] Sur la nature de son travail au moment de la prise de son congé en août 2002, Mme Lavoie déclare qu'elle faisait le même travail que trois employés masculins à durée indéterminée, une femme employée à durée déterminée et deux consultants.

[17] Au début de l'année 2002, Mme Lavoie annonce à ses supérieurs son intention de prendre un deuxième congé de maternité. Vers le mois d'avril 2002, on l'informe qu'en raison de son absence éventuelle, elle allait changer immédiatement d'équipe, puisqu'on avait besoin d'une personne disponible pour le projet sur lequel elle travaillait. Après avoir indiqué qu'elle envisageait faire une plainte de discrimination, ses supérieurs se sont ravisés, s'excusant de l'imbroglio, l'avisant qu'elle allait continuer dans la même équipe.

[18] Le 19 août 2002, Mme Lavoie a pris un congé de maternité se terminant le 8 décembre 2002 (17 semaines) suivi d'un congé parental jusqu'au 19 août 2003.

[19] Initialement, Mme Lavoie s'était engagée à retourner au travail le 3 mars 2003.

[20] Le 21 février 2003, elle informait par courriel Industrie Canada de son obligation de prolonger son congé parental n'ayant trouvé personne pour s'occuper de son enfant et du fait qu'aucune place n'était disponible en garderie avant l'été.

[21] Le même jour, madame Sylvie Manseau, superviseur immédiate, envoyait à la plaignante le courriel suivant:

Comme tu comptes prolonger ton congé de maternité, je tiens à t'aviser que ton poste ne sera pas prolongé passé la date du 5 août 2003. Comme tu le sais déjà, il y a présentement des concours de CS-02 pour des postes indéterminés qui sont en cours et, tel que mentionné dans le courriel que je t'ai fait parvenir le 5 décembre 2002, les employé(e)s qui ne seront pas nommé(e)s dans un de ces postes verront leur terme se terminer à la fin du concours.

[22] Aux termes d'examens et d'entrevue (mars, avril et mai 2003) auxquels Mme Lavoie a participé, cette dernière est informée en mai 2003 qu'elle a terminé dernière dans le concours CS-02 soit la huitième pour une possibilité de sept postes à durée indéterminée. Mme Lavoie explique qu'elle s'est classée huitième au concours en raison du refus de sa superviseure, à l'époque madame Goulet, de lui permettre de participer gratuitement à une formation portant sur une nouvelle méthodologie de travail en langage électronique. Cette formation devait se tenir pendant son absence en congé de maternité. Mme Goulet lui a expliqué que si elle souhaitait bénéficier de cette formation, elle devait en assumer les coûts personnellement, ce qui selon Mme Lavoie correspondait à un montant d'environ 10 000.00$. Mme Lavoie ne pouvait assumer ce coût.

[23] Mme Lavoie sera la seule parmi les huit employé(e)s à durée déterminée à son lieu de travail à ne pas obtenir de poste à durée indéterminée. Son conjoint sera parmi les sept (7) personnes qui obtiendront un poste à durée indéterminée.

[24] Le 2 juin 2003, monsieur Marc Lalande, Superviseur, Section de la rémunération et avantages sociaux informait Mme Lavoie qu'en application de la convention collective, considérant qu'elle avait prolongé son absence au-delà du 3 mars 2003 et que son contrat se terminant le 5 août 2003 ne serait pas renouvelé, elle devait rembourser à Industrie Canada l'indemnité de maternité reçue en vertu du Régime de prestations supplémentaires de chômage (RPSC) soit une somme de 12,897.62$.

[25] Le 11 juin 2003, Mme Lavoie recevait une lettre de madame Sylvie Manseau, d'Industrie Canada, confirmant que son emploi allait prendre fin le 5 août 2003.

[26] Le 2 juin 2003, Mme Lavoie déposait un grief contestant le refus d'Industrie Canada de lui verser des indemnités parentales (RPSC) pour la période de janvier à août 2003.

[27] Le 10 juillet 2003, Mme Lavoie déposait une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne à l'encontre d'Industrie Canada fondée sur le sexe et invoquait les articles 7, 10 et 14 de la Loi.

[28] Le 18 juillet 2003, Mme Lavoie déposait un grief contestant le refus d'Industrie Canada de lui payer l'ajustement rétroactif à l'indemnité de maternité (RPSC) suite à l'augmentation salariale négociée entre le Conseil du trésor et son syndicat, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.

[29] Le 30 juillet 2003, une lettre signée par monsieur Mario Blais, conseiller en rémunération précisait que Mme Lavoie devait à titre de trop-payé d'indemnités de maternité (RPSC) un montant brut de 12,899.42$.

[30] Dans le cadre d'une séance de médiation intervenue le 20 octobre 2003, Mme Lavoie et Industrie Canada convenaient de régler la plainte déposée à la Commission le 10 juillet 2003. Il importe de préciser qu'à l'audience, les parties ont renoncé à toute immunité de divulgation se rattachant à l'entente.

[31] Les principaux éléments de cette entente sont les suivants:

  • Sans aveu de responsabilité relative à la plainte, Industrie Canada accorde à Mme Lavoie un poste à durée indéterminée devant débuter le 17 novembre 2003.
  • Mme Lavoie s'engage à rembourser les indemnités reçues en vertu du RPSC.
  • Mme Lavoie reconnaît que le présent règlement constitue une réparation complète et finale des incidents allégués et décharge en conséquence, Industrie Canada, de l'ensemble des réclamations et des causes d'action découlant des incidents en question.
  • Les griefs déposés par Mme Lavoie poursuivaient leur cours normal et n'étaient pas retirés.
  • La plaignante et son syndicat se réservent le droit de déposer une plainte contre le Secrétariat du conseil du trésor relativement à sa politique intitulée Politique sur l'emploi pour une période déterminée.

[32] La Commission a approuvé ce règlement le 27 octobre 2003.

[33] Mme Lavoie a débuté son nouvel emploi à durée indéterminée au sein d'Industrie Canada le 17 novembre 2003.

[34] Le 19 janvier 2004, Mme Lavoie a saisi la Commission d'une nouvelle plainte, cette fois, contre le Conseil du Trésor, alléguant le caractère discriminatoire de la nouvelle politique, réclamant des pertes pécuniaires découlant des avantages dont elle aurait été privée, en raison, selon Mme Lavoie, de l'application de la nouvelle politique à son égard.

[35] À l'audience, Mme Lavoie déclare que lors de la rencontre de médiation, toutes les mesures de redressement découlant de l'application de la nouvelle politique dont sa demande d'abolition de cette dernière n'ont pas été discutées.

[36] Mme Lavoie témoigne que les représentantes d'Industrie Canada n'ont jamais voulu discuter de toutes ses réclamations en relation avec l'application de la nouvelle politique, de sorte que seule l'obtention d'un poste à durée indéterminée fut réglée par l'entente.

[37] À l'audience, Mme Lavoie déclare que les représentantes d'Industrie Canada présentes à la médiation ont déclaré que ses réclamations découlaient de l'application de la nouvelle politique et que seul le Conseil du trésor avait l'autorité pour traiter de ces questions.

[38] Selon madame Lavoie, c'est dans ce contexte qu'il fut convenu et précisé à l'entente qu'elle se réservait le droit de déposer à la Commission une plainte contre le Conseil du trésor contestant la nouvelle politique.

[39] Suite à la perte de son emploi en août 2002, Mme Lavoie témoigne avoir vécu sur des prêts. En raison des dettes accumulées, elle a dû procéder à une cession de ses biens en 2006. La plaignante s'est séparée de son conjoint et a vendu sa maison. Elle a, conformément à ce qui était prévu à l'entente, remboursé les indemnités reçues en vertu du RPSC.

[40] Mme Isabelle Pétrin, agente de relations de travail pour l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, était présente lors de la séance de médiation tenue le 20 octobre 2003.

[41] Madame Pétrin témoigne qu'à cette séance, les représentantes d'Industrie Canada ont toujours affirmé que tout ce qui concernait la nouvelle politique n'était pas de leur ressort; de sorte qu'il n'a pas été discuté du contenu de la plainte de discrimination.

[42] Selon madame Pétrin, la date du début d'embauche, soit le 17 novembre 2003 était, du point de vue des représentantes d'Industrie Canada non négociable.

[43] Avant de déclarer sa preuve close, Mme Lavoie a précisé qu'elle incluait dans sa preuve, celle de la Commission.

B. Preuve de l'intimé

[44] Madame Lise Séguin a témoigné à l'audience.

[45] En 2002-2003, madame Séguin agissait comme Gestionnaire des ressources humaines de l'Office de la propriété intellectuelle à Industrie Canada. À cette époque, madame Séguin avait la responsabilité de toutes les plaintes déposées à la Commission à l'encontre du ministère.

[46] Madame Séguin a participé à la séance de médiation tenue le 20 octobre 2003 à titre de conseillère aux ressources humaines. À cette occasion, elle était accompagnée par madame Agnès Lajoie, directrice de l'unité des brevets à l'Office de la propriété intellectuelle.

[47] Madame Séguin explique que madame Lavoie a raconté son histoire. Par la suite, chacune des parties s'est retirée pour discuter. Au retour, madame Agnès Lajoie a déclaré qu'ils étaient prêts à offrir un poste permanent à Mme Lavoie, à savoir un poste à durée indéterminée.

[48] Madame Séguin témoigne que la date du 17 novembre 2003 s'explique par le fait que la gestion avait pris un risque d'augmenter ses ressources malgré l'absence de besoins opérationnels, mais prévoyait toutefois le départ d'une personne à compter du 17 novembre 2003. C'est dans ce contexte que la date du 17 novembre 2003 fut proposée.

[49] Selon madame Séguin, il n'y a pas eu de discussion par rapport à la nouvelle politique, sauf madame Pétrin qui aurait affirmé à un moment donné, que la nouvelle politique était discriminatoire envers les femmes enceintes.

[50] Pour madame Séguin, la nouvelle politique était hors de leur ressort, Industrie Canada n'était pas l'instigateur de cette nouvelle politique, mais plutôt le Conseil du trésor.

[51] Madame Séguin ne souhaitait pas discuter de la nouvelle politique. Au contraire, Industrie Canada se devait d'appliquer la nouvelle politique et c'est ce qu'ils ont fait.

[52] C'est Mme Lavoie et madame Pétrin qui ont demandé de faire préciser à l'entente le droit de déposer une plainte contre le Conseil du trésor. Pour madame Séguin, Mme Lavoie avait le droit de se plaindre sur n'importe quelle politique et cela n'était pas de leur ressort.

[53] Madame Séguin précise qu'il n'est pas dans sa pratique de réserver une demande d'indemnisation pour un autre ministère. Elle n'aurait pas signé une entente de cette envergure là, s'il n'existait pas une quittance comme celle mentionnée au paragraphe deux (2) de l'entente.

[54] En contre-interrogatoire, madame Séguin reconnaît qu'elle ne pouvait pas convenir de mesures de redressement incompatibles avec l'application de la nouvelle politique.

[55] Madame Ila Murphy, agente principale de projet au Secrétariat du Conseil du trésor a participé activement à l'élaboration de la nouvelle politique ainsi qu'aux consultations qui ont précédé son adoption.

[56] Madame Murphy explique que l'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) avait, dans le cadre des négociations collectives à l'automne 2001, demandé une réduction du nombre d'employés à durée déterminée.

[57] C'est ainsi, qu'en novembre 2001, l'AFPC et l'intimé ont convenu de former un comité mixte composé de représentants de l'AFPC et de l'intimé afin d'étudier la situation de l'emploi pour une période déterminée dans la fonction publique du Canada.

[58] Ce comité a conduit des recherches pour identifier les catégories de personnes visées par l'emploi à durée déterminée au sein de la fonction publique et a consulté divers intéressés, dont les employés et gestionnaires.

[59] Dans le cadre de son mandat, ce comité a organisé des séances de discussion à travers le Canada avec des employés engagés à durée déterminée ainsi qu'avec les gestionnaires.

[60] Un sondage auprès des employés nommés pour une période déterminée membres de l'AFPC a été réalisé. Madame Murphy précise que parmi les mille-deux-cent-cinquante-et-un (1251) employés à durée déterminée qui ont répondu au sondage, soixante-et-onze pourcent (71%) étaient des femmes.

[61] Ce taux de participation est représentatif du pourcentage de femmes occupant un poste à durée déterminée au sein de la fonction publique qui, selon le rapport, était de 61% au 31 mars 2002. En septembre 2001, l'âge moyen des employés engagés pour une durée indéterminée était de quarante-trois (43) ans alors que l'âge moyen des employés nommés pour une période déterminée était de trente-sept (37) ans.

[62] Le comité mixte a produit un rapport au mois d'août 2002 dans lequel sont énoncés plusieurs constats dont certains concernent le traitement des employés nommés pour une période déterminée.

[63] L'un des principaux constats est celui de la très grande insécurité ressentie par la majorité des employés nommés pour une période déterminée: impossibilité de faire des plans pour l'avenir, difficulté à obtenir des prêts et des hypothèques, hésitations à fonder une famille, stress relié aux responsabilités financières, angoisse annuelle à chaque renouvellement de contrat.

[64] Sans constituer une constatation majeure, le rapport note qu'on a suffisamment fait allusion aux emplois à durée déterminée qui n'avaient pas été renouvelés pour des raisons de maternité.

[65] En annexe du rapport sont reproduits les résultats des séances des quatorze groupes de discussion formés d'employés nommés pour une période déterminée, membres de l'AFPC. Les insécurités de ces employés sont rapportées dont celles de certaines femmes qui craignaient, si elles devenaient enceintes, que leur employeur ne décide dès la première occasion de ne pas renouveler leur nomination.

[66] L'une des principales recommandations est formulée comme suit:

Les employés de la fonction publique fédérale qui sont recrutés pour une période déterminée devraient automatiquement être nommés à un poste de durée indéterminée après une période cumulative de deux années de service, au sein du même ministère et sans interruption de service de plus de 60 jours civils consécutifs.

[67] Le rapport recommande une mise en uvre progressive de la réduction de la période cumulative de service soit :

  • À l'entrée en vigueur de la politique, les employés comptant trois années de service et plus seraient nommés à un poste à durée indéterminée;
  • Un an suivant l'entrée en vigueur de la politique, les employés comptant deux années de service et plus seraient nommés;
  • Par la suite, les employés à durée déterminée seraient nommés à un poste à durée indéterminée au moment où ils auraient accumulé les deux années de service requises.

[68] Madame Murphy explique à l'audience que l'une des préoccupations consistait à éviter des réajustements de la main-d'uvre au sein d'un département. Ainsi, il fallait considérer le risque de se retrouver avec un surplus d'employés à durée indéterminée dans une unité donnée, ce qui pourrait conduire éventuellement à des licenciements d'employés à durée indéterminée. Or, des licenciements impliquent des coûts.

[69] L'intérêt public et le fardeau supplémentaire sur les contribuables devaient être considérés dans le cadre de l'élaboration d'une nouvelle politique. Il fallait s'assurer que cette nouvelle politique n'impliquerait pas des coûts supplémentaires à l'État.

[70] Selon madame Murphy, il s'agissait de trouver un équilibre entre un traitement équitable pour les employés engagés pour une durée déterminée et le maintien d'une certaine flexibilité opérationnelle requise en faveur des gestionnaires.

[71] Par la suite, madame Murphy et un collègue, monsieur André Carrière, ont rédigé une première ébauche de politique qui a fait l'objet d'une consultation auprès de syndicats, dont l'AFPC.

[72] C'est dans cette ébauche qu'apparaît explicitement l'exclusion des congés sans traitement dans le calcul de la période cumulative de service. L'ébauche comportait également un changement par rapport à la recommandation faite par le Comité conjoint. Au lieu des deux (2) années mentionnées au rapport, la période cumulative de travail prévue au projet de politique était de trois (3) années, sans mention d'une mise en uvre progressive comme le prévoyait le rapport.

[73] Madame Murphy explique ce changement au niveau de la durée de la période de service en raison de résistances de la part de gestionnaires qui considéraient trop courte la période de deux (2) années. Une période de deux ans pouvait créer le risque d'inciter les gestionnaires à préférer l'embauche d'employés temporaires. Contrairement aux employés engagés pour une durée déterminée, les employés temporaires ont moins d'avantages, ne sont pas syndiqués ni évalués au mérite.

[74] Le 20 décembre 2002, la présidente du Conseil du Trésor, l'Honorable Lucienne Robillard, annonçait publiquement la nouvelle politique, précisant dans son communiqué que les administrateurs généraux des ministères disposeront d'une période du 1er avril 2003 au 1er avril 2004 pour la mettre en uvre.

[75] Le communiqué résume les changements, dont ceux-ci:

  • Le seuil pour qu'un employé recruté pour une période déterminée soit nommé pour une période indéterminée sera de trois années de service au même ministère sans interruption de plus de soixante (60) jours civils consécutifs.
  • Une période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs ne constituera pas une interruption de service, mais elle ne sera pas prise en considération dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste d'une durée indéterminée.

[76] Madame Murphy confirme dans son témoignage que la nouvelle politique ne fait aucune distinction entre les différentes catégories de congé sans traitement.

[77] Le Docteur Simon Langlois, professeur titulaire au Département de sociologie de l'Université Laval a témoigné à titre d'expert. Le Dr. Langlois a produit un rapport intitulé Les congés parentaux au Canada. Analyse sociologique de tendances.

[78] Dans un premier temps, le Dr. Langlois dresse un portrait sociologique des tendances en matière de congé parental, soulignant une évolution à la hausse de la prise de congé parental par les hommes. Selon le Dr. Langlois, cette augmentation de la prise de congé parental par les pères apparaît être en relation avec l'adoption de nouvelles politiques dans le Régime d'assurance emploi bonifié en 2001. Le Dr. Langlois rapporte que Statistique Canada qualifie la tendance d'augmentation significative.

[79] Une enquête démontre que les hommes ont tendance à prendre des congés plus courts, soit en général moins de six mois. En fait, plus des deux tiers seraient retournés au travail dans le mois suivant l'accouchement ou l'adoption de l'enfant.

[80] La même enquête révèle une volonté de la part des parents de prendre des congés plus longs dans un contexte de conditions plus favorables. Le Dr. Langlois souligne que l'adoption du nouveau régime d'assurance parentale au Québec (RQAP) illustre cette tendance sur le comportement des pères. En effet, les hommes représentent le tiers des prestataires du RQAP dès la première année de l'entrée en vigueur du programme. Ces résultats sont plus élevés que ceux notés par Statistique Canada dans l'ensemble du Canada.

[81] Reconnaissant que l'égalité entre hommes et femmes sur le plan de la prise des congés parentaux ne soit pas parfaitement atteinte, le Dr. Langlois conclut que de plus en plus de pères prendront des congés parentaux dans l'avenir.

[82] Dans un deuxième temps, le Dr. Langlois note une tendance émergente consistant à vouloir partager les tâches et responsabilités en matière familiale. La responsabilité traditionnellement dévolue aux mères en raison notamment de normes culturelles contraignantes est appelée à s'estomper pour donner place à un meilleur équilibre dans le partage des tâches et responsabilités au sein du couple.

[83] Le Dr. Langlois a analysé les statistiques fournies par l'intimé concernant la prise de congés non payés de plus de soixante (60) jours au sein des employés à durée déterminée à l'emploi de l'intimé. Il est d'avis qu'il n'est pas possible de tirer une conclusion ferme en terme de relation causale entre la prise de congés de maternité et parental par les femmes et l'effet de ces congés sur la conversion en poste indéterminé. Le Dr Langlois précise dans son rapport que, sauf pour l'année 2003-2004, les statistiques ne démontrent pas de manière systémique un effet disproportionné sur les employés à terme qui sont des femmes. Enfin, le Dr. Langlois est d'avis que les statistiques ne permettent pas de conclure à un effet sur le nombre de femmes ayant accès à un emploi à durée indéterminée.

C. Preuve de la Commission

[84] Le Docteur Jeffrey G. Reitz, professeur de sociologie à l'Université de Toronto a témoigné à titre d'expert. Le Dr. Reitz a produit un rapport dans lequel il évalue principalement si les données statistiques fournies par l'intimé à la demande de la Commission, révèlent un effet préjudiciable de la nouvelle politique envers les femmes engagées à des postes à durée déterminée au sein de la fonction publique du Canada.

[85] Dans un premier temps, le Dr. Reitz note qu'il y a plus de femmes parmi les employés à durée déterminée. Plus probablement que les hommes, les femmes deviendront des employées à durée déterminée au sein de la fonction publique du Canada. Selon les statistiques fournies par l'intimé, 59,8% étaient des femmes en 2003-2004, 59,8% en 2004-2005 et 59,4% en 2005-2006.

[86] Le Dr. Reitz est d'avis qu'un impact négatif de la nouvelle politique à l'égard des femmes peut être évalué sous deux (2) angles:

  • Est-ce que les femmes risquent d'être plus affectées du fait qu'on exclut de la période de travail cumulative les absences de plus de soixante (60) jours civils consécutifs?
  • Existe-il une réduction du nombre de femmes obtenant une conversion de leur poste ou peut-on constater une plus longue période nécessaire pour les femmes à l'obtention d'une conversion de leur poste?

[87] Après avoir analysé les statistiques fournies par l'intimé, le Dr. Reitz conclut que la nouvelle politique a un effet négatif sur les femmes et crée des obstacles à leur éligibilité à devenir des employées à durée indéterminée.

[88] Parmi les employés à durée déterminée, les chiffres révèlent que les femmes ont tendance à prendre des congés de plus de soixante (60) jours consécutifs. Cette différence entre les sexes s'explique notamment par la maternité, mais aussi par une prise de congé parental de longue durée plus élevée chez les femmes. Enfin, le nombre d'hommes prenant des congés parentaux de moins de soixante (60) jours est supérieur à celui des femmes.

[89] Sur le deuxième aspect de son analyse et bien qu'il soit plus difficile à évaluer en terme de relation causale, le Dr. Reitz observe entre autres, que le pourcentage de femmes qui obtiennent une conversion de poste après trois ans est plus bas de ce qui serait attendu, considérant qu'il y a plus de femmes au sein des employés à durée déterminée.

[90] Par ailleurs, il note qu'un pourcentage plus élevé de femmes obtient leur conversion de poste au bout de sept (7) années. Pour le Dr. Reitz, ce constat pourrait être le résultat de l'application de la nouvelle politique et révéler que la prise de congés de maternité et/ou parental de plus de soixante jours retarde significativement plusieurs femmes dans l'acquisition du statut d'employée à durée indéterminée.

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

[91] Le Tribunal a-t-il compétence pour entendre la plainte de Mme Lavoie déposée le 19 janvier 2004 en raison du règlement intervenu dans la plainte antérieure?

[92] Dans l'affirmative, Mme Lavoie a-t-elle fait l'objet de discrimination en raison du sexe au sens des articles 7 et 10 de la Loi?

[93] Les dispositions de l'alinéa 7(2)a) de la nouvelle politique sont-elles discriminatoires envers les femmes en congé de maternité et/ou parental en vertu des articles 7 et 10 de la Loi?

IV. RECEVABILITÉ DE LA PRÉSENTE PLAINTE

[94] L'intimé soumet que la plainte déposée par Mme Lavoie est irrecevable compte tenu qu'elle a renoncé, dans le cadre du règlement intervenu le 20 octobre 2003, à réclamer d'autres redressements. Plus précisément, l'intimé soutient que Mme Lavoie a transigé sur tous les aspects de la présente plainte contre l'intimé en acceptant l'entente intervenue le 20 octobre dernier.

[95] D'entrée de jeu, il faut rappeler que madame Karen A. Jensen, membre instructeur de ce Tribunal a rendu une décision sur requête le 5 février 2007 relativement à l'argument d'irrecevabilité présentée par l'intimé dans la présente affaire (Voir : 2007 TCDP 3).

[96] Madame Jensen a conclu que la requête de l'intimé demandant le rejet de la plainte parce que les questions soulevées auraient été réglées et seraient maintenant sans objet ne pouvait être accueillie.

[97] S'appuyant notamment sur les articles 40 et 53 de la Loi, madame Jensen a rejeté la requête de l'intimé au motif que la Loi n'exige pas qu'une plainte vise l'obtention d'une réparation individuelle ni que la partie plaignante soit victime des pratiques discriminatoires.

[98] Deuxièmement, madame Jensen écrit qu'à l'occasion du règlement intervenu, Mme Lavoie s'est réservé le droit de porter plainte contre l'intimé, le Conseil du Trésor à l'égard de la nouvelle politique. Madame Jensen conclut que le caractère discriminatoire de la nouvelle politique n'a donc pas été examiné.

[99] Enfin, madame Jensen laissait au présent Tribunal le soin de déterminer, dans l'éventualité où la plainte s'avérait fondée, si Mme Lavoie avait le droit de demander des redressements étant donné le règlement intervenu avec Industrie Canada.

[100] Dans la présente instruction, l'intimé reconnaît que Mme Lavoie peut contester la nouvelle politique. Il conteste cependant son droit de la contester sur une base personnelle incluant le droit de réclamer des mesures de redressement.

[101] Pour les raisons ci-après mentionnées, je conclus que dans tous les cas, Mme Lavoie s'est réservé le droit de contester la nouvelle politique à titre personnel incluant celui de réclamer des mesures de redressement pour elle-même. Il importe de répéter les principaux éléments de cette entente (Voir : Bushey c. Sharma, 2003 D.C.D.P. No 7, par. 20):

  • Sans aveu de responsabilité relative à la plainte, Industrie Canada accorde à Mme Lavoie un poste à durée indéterminée devant débuter le 17 novembre 2003.
  • Mme Lavoie s'engage à rembourser les indemnités reçues en vertu du RPSC.
  • Mme Lavoie reconnaît que le présent règlement constitue une réparation complète et finale des incidents allégués et décharge en conséquence, Industrie Canada, de l'ensemble des réclamations et des causes d'action découlant des incidents en question.
  • Les griefs déposés par Mme Lavoie poursuivaient leur cours normal et n'étaient pas retirés.
  • La plaignante et son syndicat se réservent le droit de déposer une plainte contre le Secrétariat du conseil du trésor relativement à sa politique intitulée Politique sur l'emploi pour une période déterminée.

[102] On note que l'entente est intervenue entre la plaignante et Industrie Canada et que la renonciation (article 2) vise précisément Industrie Canada. Mme Lavoie s'est expressément réservé le droit de porter plainte contre l'intimé, le Conseil du Trésor à l'égard de la nouvelle politique. Mme Lavoie n'a obtenu aucune compensation financière découlant de l'aspect discriminatoire allégué de la nouvelle politique.

[103] À la lecture de l'entente, je conclus que Mme Lavoie n'a pas renoncé à contester la politique à titre personnel ni à réclamer des mesures de redressement, dans l'éventualité où sa plainte était accueillie.

[104] À l'audience, les parties m'ont demandé de recevoir une preuve testimoniale concernant les discussions intervenues lors de la médiation. Selon les parties, l'entente est, à sa lecture claire, sans pour autant partager la même interprétation.

[105] Après avoir analysé la preuve testimoniale administrée à ce titre par Mme Lavoie et l'intimé, je conclus que les discussions intervenues entre les parties le 20 octobre 2003 confirment que l'entente ne visait qu'à régler les demandes qui étaient du ressort d'Industrie Canada.

[106] Madame Séguin confirme le témoignage de Mme Lavoie et celui de madame Pétrin, selon lesquels il n'y a pas eu de discussion sur la nouvelle politique parce que ce n'était pas de leur ressort, mais celui du Conseil du trésor. Bref, madame Séguin ne pouvait discuter de l'aspect discriminatoire allégué par la plaignante ni des mesures de redressement en découlant. C'est dans ce contexte que la plaignante s'est réservé le droit de contester la nouvelle politique.

[107] L'intimé soumet à l'audience l'argument de l'indivisibilité de la Couronne. Mme Lavoie répond que madame Jensen a déjà disposé de cette question lors de la première requête. Dans tous les cas, je conclus, qu'en l'espèce, Mme Lavoie et Industrie Canada ont convenu de laisser en litige toutes les allégations de Mme Lavoie portant sur la nouvelle politique et les mesures de redressement qui en découlaient. Les parties n'ont pas divisé la Couronne en deux personnalités juridiques distinctes, mais plutôt ont scindé les allégations. Par conséquent, la requête en irrecevabilité de l'intimé est rejetée (Voir: Bushey c. Sharma, 2003 D.C.D.P. No. 15, par. 143).

V. CADRE JURIDIQUE

[108] L'article 7 de la Loi prévoit que de refuser de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi pour des raisons fondées sur un motif de distinction illicite dont notamment, le sexe, constitue un acte discriminatoire.

[109] Selon l'article 10 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, le fait pour un employeur d'établir ou d'appliquer des lignes de conduite ou de conclure des ententes sur tout aspect d'un emploi, si ces lignes de conduite ou ces ententes sont fondées sur un motif de distinction illicite et si elles sont susceptibles d'annihiler les chances d'emploi d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

[110] Le fardeau de preuve, dans une affaire comme la présente, incombe tout d'abord à la plaignante, Mme Lavoie et à la Commission qui doivent établir une preuve prima facie de discrimination. (Voir : Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique (1983), 4 C.H.R.R.D/1616,1618; Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029; Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 2002/02/04; et, Lincoln c. Bay Ferries, [2004] C.A.F. 204).

[111] Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict favorable à la plaignante, en l'absence d'une réponse de la part de l'intimé. (Voir :Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke (Borough), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltée, [1985] 2 R.C.S. 536, au par. 28).

[112] Dans l'arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd (précité, au par. 22 de la décision), la Cour d'appel fédérale précise que pour répondre à la question de savoir si une preuve prima facie a été établie, le Tribunal ne doit pas, à ce stade, tenir compte de la réponse de l'intimé.

[113] Une fois que la preuve prima facie a été établie, il incombe à l'intimé de fournir des explications «raisonnables» ou «satisfaisantes» quant à la pratique par ailleurs discriminatoire (Voir : Lincoln c. Bay Ferries Ltd. (précité, par. 23 de la décision; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [2005] C.A.F. 154, aux paragraphes 26 et 27).

[114] Il faut préciser que la conduite d'un employeur ne sera pas considérée comme étant discriminatoire si celui-ci peut démontrer que ses refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences découlent d'exigences professionnelles justifiées (EPJ) (alinéa 15(1)a) de la Loi). Pour qu'une pratique soit considérée comme une EPJ, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi).

[115] La discrimination fondée sur la grossesse ou l'accouchement constitue de la discrimination fondée sur le sexe (paragraphe 3(2) de la Loi et Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219). L'article 3 (2) vise également la période qui suit l'accouchement (Voir par exemple: Tomasso c. Canada (Attorney General), 2007 FCA 265, par. 117 et 119).

[116] Dans l'arrêt Janzen c. Platy Entreprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, 1279 (j. Dickson), la Cour suprême du Canada a défini la discrimination fondée sur le sexe de la façon suivante:

(...) des pratiques ou des attitudes qui ont pour effet de limiter des conditions d'emploi ou les possibilités d'emploi de certaines employés en raison d'une caractéristique prêtée aux personnes de leur sexe.

[117] La jurisprudence reconnaît la difficulté de prouver les allégations de discrimination par le moyen d'une preuve directe. Il appartient au Tribunal de tenir compte de toutes les circonstances pour établir s'il existe ce qui a été décrit dans la cause Basi (affaire précitée) comme de subtiles odeurs de discrimination.

[118] Pour déterminer l'existence d'une discrimination fondée sur le sexe, je dois examiner la preuve présentée par Mme Lavoie en regard de l'effet de la politique sur sa situation personnelle. Je devrai aussi déterminer si la nouvelle politique a des effets discriminatoires sur les femmes employées à durée déterminée en raison du sexe. Il importe de préciser que même si la situation personnelle de Mme Lavoie n'établissait pas une preuve prima facie de discrimination, je devrai malgré tout déterminer, si la nouvelle politique de l'intimé opère des distinctions fondées sur le sexe.

[119] À l'audience, Mme Lavoie et l'intimé n'ont pas fait de représentations spécifiques en regard de l'article 8 de la Loi. J'en conclus que Mme Lavoie a abandonné cet argument. Par conséquent, mon analyse ne portera pas sur une violation alléguée de cet article.

[120] En l'espèce, Mme Lavoie et la Commission doivent établir:

  • L'intimé a défavorisé Mme Lavoie en cours d'emploi lorsqu'il a refusé de comptabiliser le congé parental dans la détermination de son éligibilité pour la nomination à un poste à durée indéterminée (article 7 de la Loi). Pour la même raison, la nouvelle politique a annihilé les chances d'emploi ou d'avancement de Mme Lavoie (article 10 de la Loi).
  • En ne comptabilisant pas le congé de maternité ni le congé parental, la nouvelle politique de l'intimé défavorise en cours d'emploi (article 7 de la Loi) les femmes employées à durée déterminée qui prennent un congé de maternité et/ou parental et est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de ces employées en raison de leur sexe (article 10 de la Loi).

[121] Mme Lavoie allègue qu'elle a été défavorisée en cours d'emploi en raison de l'application de la nouvelle politique pour la raison qu'à partir du 1er avril 2003, sa période d'absence n'était plus comptabilisée pour les fins du calcul de la période de travail cumulative. Par conséquent, il lui manquait quatre (4) mois pour atteindre les trois années de service continu, ce qui l'a privé du droit de devenir une employée à durée indéterminée.

[122] L'intimé soutient que l'ensemble de la preuve soumise par Mme Lavoie et la Commission n'est pas suffisant pour conclure à l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination pour les raisons que je résumerai comme suit :

  • L'alinéa 7(2)a) de la nouvelle politique s'applique à toutes les personnes qui sont en congé sans traitement, dont celles en congé de maladie ou d'invalidité, en congé pour études, prêt de service, congés pour obligations personnelles, etc. Par conséquent, ce ne sont pas que les congés de maternité et celui parental qui sont visés par la nouvelle politique. Compte tenu de ce qui précède, l'intimé soutient que Mme Lavoie ainsi que toutes les femmes employées à durée déterminée prenant des congés de maternité et/ou parentaux doivent être comparées aux autres employés qui sont en congé sans traitement;
  • Les hommes et les femmes sont également visés par l'alinéa 7(2)a) puisque, par exemple, autant les hommes que les femmes peuvent prendre un congé parental, de maladie ou d'invalidité. Dès qu'une mesure affecte autant les hommes que les femmes de la même façon, ce qui serait le cas en l'espèce, cette mesure ne peut être considérée comme discriminatoire du simple fait que plus de femmes que d'hommes risquent d'être affectées par cette mesure;
  • Seule une mesure qui aurait un effet disproportionné sur les personnes de sexe féminin pourrait être jugée discriminatoire en raison du sexe.

[123] Pour les raisons ci-après énoncées, je conclus que la plaignante, Mme Lavoie et la Commission ont établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe.

VI. ANALYSE

A. Preuve prima facie de discrimination

(i) Les faits particuliers à Mme Lavoie

[124] Mme Lavoie a obtenu son premier contrat d'emploi à durée déterminée au mois d'août 2000 à titre de programmeur-analyste auprès d'Industrie Canada. Ce contrat d'une durée d'une année fut successivement renouvelé au mois d'août 2001 et au mois d'août 2002. Aucune interruption de service ne sépare les renouvellements de contrats. Je souscris à la prétention de Mme Lavoie qu'elle avait acquis les trois années cumulatives de travail au 5 août 2003.

[125] La preuve de Mme Lavoie révèle que madame Manseau lui a indiqué qu'en raison de la prolongation de son congé de maternité, elle tenait à l'aviser que son contrat d'emploi ne serait pas prolongé au-delà du 5 août 2003. C'est donc qu'il existait un besoin jusqu'au 5 août. Je note par ailleurs que ce courriel ne fait aucunement référence à la disponibilité du travail et à la durée des fonctions à être accomplie. Au contraire, on y précise que des concours sont ouverts pour combler des postes à durée indéterminée. Par conséquent, j'en conclus que les besoins pour lesquels la plaignante avait été engagée existaient jusqu'au 5 août 2003 et continueraient d'exister au-delà de cette date.

[126] Je retiens également de la preuve qu'avant son départ pour son congé de maternité, sa non-disponibilité éventuelle a été remise en question à tel point qu'on a décidé de la changer d'équipe. Certes, les superviseurs se sont ravisés, mais on ne peut ignorer que la disponibilité de la plaignante en raison de son congé de maternité annoncé préoccupait les représentants d'Industrie Canada. Enfin, le refus d'accommoder Mme Lavoie en lui refusant la possibilité de participer à la formation, sauf si elle assumait les frais me semble renforcer l'idée que le départ de Mme Lavoie pour un congé de maternité ne semblait pas apprécié.

[127] Mme Lavoie a également témoigné qu'avant son départ pour le congé de maternité en 2002, elle effectuait le même travail que les employés à durée indéterminée.

[128] Tel que mentionné ci-haut, au cours de la période entourant l'entrée en vigueur de la nouvelle politique, on a procédé à des concours afin de combler sept (7) postes à durée indéterminée. Ces postes furent comblés, dont l'un par le conjoint de Mme Lavoie.

[129] De ce qui précède, je conclus qu'il existait en tout temps pertinent un besoin permanent pour le poste à durée déterminée de programmeur-analyste pour lequel la plaignante avait un contrat se terminant le 5 août 2003 et que ce besoin existait au-delà du 5 août 2003.

[130] La preuve de Mme Lavoie établit que n'eut été de l'application de la nouvelle politique, soit la non-comptabilisation de la durée du congé parental, Mme Lavoie aurait été nommée employée pour une période indéterminée à compter du 6 août 2003. La prochaine étape consiste à examiner la nouvelle politique.

(ii) La nouvelle politique

[131] Tel que déjà mentionné, la Politique sur l'emploi pour une période déterminée de longue durée (l'ancienne politique) prévoyait le droit à la conversion d'un poste pour toute personne qui avait travaillé dans un poste à durée déterminée pour une période cumulative de travail de cinq (5) années. En vertu de l'ancienne politique, une période de congé non rémunéré était prise en compte dans le calcul de la période cumulative de travail de cinq (5) années.

[132] Selon la nouvelle politique entrée en vigueur à Industrie Canada le 1er avril 2003, la période cumulative de travail pour convertir un poste d'emploi à durée déterminée à celle indéterminée est maintenant de trois (3) années. Cette nouvelle politique exclut dans le calcul de la période cumulative de travail, une période de congé non rémunéré.

[133] Les congés de maternité et les congés parentaux sont considérés comme des congés non rémunérés. Plus précisément, l'alinéa 7 (2) (a) se lit comme suit:

Pour établir si l'emploi pendant une période déterminée au sein d'un même ministère ou organisme peut être comptabilisé comme faisant partie de la période de travail cumulative, les ministères ou organismes doivent appliquer les règles suivantes :

a) Une période de congé non rémunéré de plus de soixante (60) jours civils consécutifs ne constitue pas une interruption de service, et elle ne sera pas prise en compte dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste à durée indéterminée aux termes de la présente politique;

[134] Mme Lavoie et la Commission soumettent que cet alinéa a un effet discriminatoire sur la plaignante et toutes les femmes employées à des postes à durée déterminée prenant un congé de maternité et/ou parental.

[135] Mme Lavoie avait droit à dix-sept semaines de congé de maternité et trente-sept (37) semaines à titre de congé parental. Dans les faits, la période d'absence de la plaignante a coïncidé avec celle pendant laquelle elle pouvait recevoir des prestations d'assurance-emploi soit dix-sept (17) semaines à titre de congé de maternité, deux (2) semaines de délai de carence et trente-sept (37) semaines à titre de congé parental.

[136] Afin de décider s'il existe une preuve prima facie de discrimination en raison du sexe, je dois déterminer dans un premier temps, l'objet du régime qui confère l'avantage ou le droit en cause (Voir: Battlefords and District Co-opérative Ltd. c. Gibbs, [1996] 3 R.C.S. 566, par. 33).

[137] L'objectif de la nouvelle politique consiste à maintenir l'équilibre entre le traitement des employés nommés pour une période déterminée et la nécessité d'une flexibilité opérationnelle. L'énoncé de politique précise que le recours à l'emploi à durée déterminée ne peut être utilisé pour répondre à un besoin continu.

[138] Dans le but de rencontrer cet objectif, l'intimé a convenu de reconnaître aux employés à durée déterminée qui ont complété une période cumulative de trois (3) années sans interruption de service de plus de soixante (60) jours civils consécutifs, le droit d'être nommé employé pour une période indéterminée au niveau égal à son poste d'attache. Pour les fins de l'analyse, je qualifierai le droit d'être nommé employé pour une période indéterminée de droit à la conversion.

[139] C'est ce droit à la conversion dont il est question dans la présente affaire. En matière de discrimination, il faut distinguer les droits découlant des bénéfices compensatoires de ceux que l'on qualifie de non compensatoires, c'est-à-dire ceux qui se rapportent au statut de l'employé. Ainsi, une prime au bilinguisme conditionnelle à une prestation de travail fait partie de la première catégorie. La prestation de travail est requise pour obtenir la prime. L'accumulation de l'ancienneté, le droit à l'emploi, le droit de maintenir son emploi, le droit à la permanence sont des avantages dits non compensatoires et se rapportent au statut de l'employé. Cette deuxième catégorie sous-tend que la prestation de travail n'est pas requise pour acquérir ou maintenir le droit. Ainsi, on parle d'un avantage ou d'un droit découlant du statut d'employé. (Voir principalement: Ontario Nurses Association c. Orillia Soldiers Memorial Hospital (1999), 42 O.R. (3d) 692, par. 63, 70 et 71, appliquant le même critère: Fernandes c. IKEA Canada, (2007) BCHRTD. No. 259, par. 24, 25, 26, 27 et 31).

[140] En l'espèce, le droit à la conversion fait partie de la deuxième catégorie. Il est intrinsèquement lié au statut de l'employé. Par conséquent, cela implique que Mme Lavoie et les autres femmes employées à durée déterminée qui prennent un congé de maternité et/ou parental doivent être comparées à l'ensemble des employés à durée déterminée qui ne se sont pas absentés plus de soixante jours consécutifs. (Voir: Ontario Nurses Association v. Orillia Soldiers Memorial Hospital, précité, aux paragraphes 63,70 et 71).

[141] L'intimé a soumis que le groupe comparatif pertinent était tous les employés en congé sans traitement. En conséquence, je ne pouvais conclure à une preuve prima facie de discrimination puisque tous les employés de cette catégorie étaient traités également. (Voir : Bernatchez c. La Romaine (Conseil des Montagnais), 2006 TCDP 37 et Dumont-Ferlatte c. Canada (Commission de l'emploi et de l'Immigration), 1996 D.C.D.P., No 9). Dans ces deux décisions, les plaignantes réclamaient des avantages dits compensatoires, c'est-à-dire ceux que j'ai qualifiés de la première catégorie. Ainsi, dans l'affaire Bernatchez, la plaignante contestait le fait que son employeur ne calculait pas les prestations supplémentaires de congé de maternité sur la base de la rémunération annuelle des personnes qui avaient fourni une prestation de travail. L'indemnité dont il était question était un avantage reconnu aux employées en congé de maternité et ne constituait pas de la rémunération. Par conséquent, la plaignante devait être comparée aux personnes en congé sans traitement. Dans l'affaire Dumont-Ferlatte, les plaignantes alléguaient qu'il était discriminatoire de priver la femme en congé de maternité du cumul des crédits de congés annuels et de congé de maladie et du droit de bénéficier d'une prime mensuelle au bilinguisme. Encore une fois, les droits dont ils étaient question sont des avantages dits compensatoires.

[142] L'intimé a également cité l'affaire Cramm (Voir : Cramm c. Compagnie des chemins de fer Nationaux du Canada, 1998 IIJCan 2938 T.A.D.P. et Commission canadienne des droits de la personne c. Compagnie des chemins de fer Nationaux (re Cramm), (2000) IIJCan 15544 (C.F., Juge MacKay). Contrairement à l'arrêt Ontario Nurses Association, je note que dans l'affaire Cramm, le débat porte principalement sur la nécessité d'une prestation de travail. Le Tribunal ne qualifie pas la nature du droit réclamé par monsieur Cramm. Autrement dit, s'agissait-il pour le Tribunal d'appel, d'un droit de la première ou de la deuxième catégorie? Je suis d'avis que cette question est fondamentale puisque la réponse détermine l'identification du groupe comparatif. Comme je l'ai déjà indiqué, je considère que le droit à la conversion fait partie de la deuxième catégorie. Pour les raisons exprimées aux paragraphes précédents, je conclus que le groupe comparatif est celui des employés qui ne s'absente pas plus de soixante jours consécutifs.

[143] Je dois souligner qu'il n'est pas toujours nécessaire de déterminer un groupe comparatif. En l'espèce, je suis d'avis que pour le congé de maternité, la détermination d'un groupe comparatif me semble inutile puisque seules les femmes prennent des congés de maternité. À ce titre, je souscris aux propos de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Commission des écoles catholiques du Québec c. Gobeil, (Voir: [1999] R.J.Q. 1883 (Juge Robert)) où la Cour statuait que le fait pour une commission scolaire de refuser d'embaucher une enseignante à temps partiel, non disponible en raison de sa grossesse, était discriminatoire:

Les femmes enceintes, si ce n'était de leur état de grossesse, seraient disponibles. Pour cette raison, je ne peux adhérer à une analyse comparative qui les assimilerait à des personnes non disponibles afin de déterminer s'il y a distinction ou non. Une règle qui a pour effet de priver du droit à l'embauche des femmes enceintes qui autrement y auraient accès viole nécessairement le droit à la pleine égalité. La distinction que crée la clause de disponibilité naît du fait que l'accouchement et le congé de maternité empêchent les femmes d'obtenir le contrat auquel elles auraient droit. (Mes italiques)

[144] À sa face même, l'exclusion des absences pour congé de maternité de plus de soixante (60) jours consécutifs dans le calcul de la période de travail cumulative, défavorise en cours d'emploi les employées à durée déterminée qui exercent leur droit à ces congés (article 7) et est susceptible d'annihiler leur chance d'emploi ou d'avancement (article 10). Pour reprendre la formulation utilisée par la Cour d'appel dans l'arrêt Gobeil (précité), le lien entre une discrimination fondée sur le sexe et la non-comptabilisation de la période du congé de maternité se constate de lui-même. En effet, seules les femmes prennent des congés de maternité. De plus, lorsqu'une femme prend un congé de maternité de dix-sept (17) semaines, durée du congé reconnu pour les employés à durée déterminée, son absence dépasse nécessairement les soixante (60) jours civils. Il en résulte pour la femme qui prend un congé de maternité, une prolongation du délai d'acquisition du droit à la conversion du poste et risque même, de la priver de ce droit, si le contrat à durée déterminée n'est pas renouvelé de manière à lui permettre de récupérer la période non comptabilisée. Cela est suffisant en soi pour établir une preuve prima facie de discrimination en raison du sexe.

[145] Pour le congé parental, la preuve prima facie doit comprendre la démonstration d'un effet négatif disproportionné sur les femmes puisque le congé parental s'adresse autant aux hommes qu'aux femmes. Pour cette raison, je dois examiner la preuve statistique (Voir: Walden c. Canada (Social Development), (2007) CHRD no. 54, par. 39, 40 et 41, Premakumar, affaire précitée, par. 80).

[146] Mme Lavoie et la Commission soumettent que les données statistiques démontrent clairement que ce sont les femmes qui prennent majoritairement un congé parental de plus de soixante jours consécutifs. Mme Lavoie et la Commission s'appuient sur le tableau 12 j (Octobre 2007), principalement sur les chiffres pour l'année 2003-2004. Pour cette période, 204 femmes ont pris un congé de maternité et 164 un congé parental dans les 52 semaines suivant la naissance ou l'adoption d'un enfant. Par ailleurs, on note que 49 hommes ont bénéficié d'un congé parental pour la même période. En 2004-2005, 151 femmes ont pris un congé de maternité, 169 femmes et 38 hommes ont pris un congé parental. Pour 2005-2006, 141 femmes ont pris un congé de maternité, 136 femmes et 36 hommes le congé parental. Pour les mêmes périodes, le tableau 12 d (Octobre 2007) révèle que les hommes sont majoritairement plus nombreux à prendre des congés parentaux de moins de 60 jours.

[147] Outre le fait qu'on constate que les données fournies par l'intimé à la demande de la Commission, indiquent qu'en 2003-2004, un homme aurait pris un congé de maternité, je suis d'avis que ces chiffres sont fiables. Par conséquent, je rejette la prétention de l'intimé selon laquelle, les statistiques manquent de fiabilité. Ces chiffres démontrent une preuve suffisante d'un effet négatif disproportionné de la nouvelle politique sur les femmes qui prennent un congé parental. En effet, il est manifeste que plus de femmes que d'hommes prennent des congés parentaux de plus de soixante (60) jours consécutifs. En 2003-2004, soixante-dix-sept pourcent (77%) des personnes qui prenaient un congé parental de plus de soixante (60) jours consécutifs étaient des femmes. C'est une réalité statistique que je ne peux ignorer. À l'instar de Mme Lavoie, il ne faut pas oublier que les femmes qui ont pris un congé parental suite à la naissance d'un enfant ont également pris un congé de maternité. Or, l'homme n'est pas susceptible de prendre les deux congés. Comme la femme qui prend un congé de maternité, celle qui prend un congé parental retarde le délai d'acquisition du droit à la conversion du poste et la prive de ce droit, si le contrat à durée déterminée n'est pas renouvelé de manière à lui permettre de récupérer la période non comptabilisée. Dans le cas de Mme Lavoie, cela a clairement eu pour effet de la priver du droit à la conversion de son poste.

[148] Dans l'analyse de la preuve prima facie, je considère aussi le témoignage de l'expert de la Commission, le Dr. Reitz dont les conclusions ont été relatées précédemment. Rappelons que le Dr. Reitz conclut, à l'analyse des statistiques, que la nouvelle politique a un effet négatif sur les femmes et crée des obstacles à leur éligibilité à devenir des employées à durée indéterminée et que certains chiffres semblent démontrer que la nouvelle politique retarde significativement plusieurs femmes dans l'acquisition du statut d'employée à durée indéterminée.

[149] Certes, je note que certaines données statistiques sur le délai d'obtention par les femmes d'un poste à durée indéterminée incluent les situations de conversion de poste, mais aussi celles où la personne obtient un poste permanent à travers un concours. Comme les chiffres ont été produits de consentement, des explications relatives à certains d'entre eux auraient été souhaitables.

[150] Cela dit, je suis d'avis que je dois prendre en considération toutes les circonstances pour déterminer si une preuve prima facie de discrimination est établie (Voir : Premakumar, par. 80 et 81). Comme je l'ai souligné, une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict favorable à la plaignante, en l'absence d'une réponse de la part de l'intimé. (Voir : Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke (Borough), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltée, [1985] 2 R.C.S. 536, au par. 28).

[151] L'intimé soumet que le Tribunal d'appel dans l'affaire Cramm (précité) a conclu qu'une preuve quantitative est insuffisante pour conclure que plus de femmes que d'hommes subissent des effets préjudiciables. Dans un premier temps, je note que le Tribunal d'appel a émis ces commentaires après avoir conclu qu'il devait comparer les autres employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessure au traitement accordé à d'autres employés absents du travail pour d'autres motifs. En l'espèce, j'ai rejeté la prétention de l'intimé selon laquelle le groupe comparatif était tous les employés à durée déterminée en congé sans traitement. Je n'ai donc pas à m'interroger si les femmes prenant des congés parentaux sont plus défavorisées que les autres personnes en congé sans traitement. Dans le cadre d'établir l'existence ou non d'une preuve prima facie de discrimination, je peux utiliser la preuve statistique pour déterminer s'il existe une preuve suffisante. Or, les données statistiques soumises en l'espèce démontrent clairement que contrairement aux hommes, une majorité substantielle de femmes prennent des congés parentaux de plus de soixante (60) jours consécutifs. Ce qu'indiquent les chiffres, c'est une preuve prima facie d'un effet préjudiciable disproportionné de la politique à l'égard des femmes qui prennent un congé parental.

[152] De la preuve présentée, je conclus que le refus de comptabiliser le congé de maternité et/ou le congé parental, établit une preuve prima facie de discrimination en défavorisant en cours d'emploi (article 7 de la Loi) les femmes employées à durée déterminée qui prennent un congé de maternité et/ou parental. Ce refus de comptabiliser établit également une preuve prima facie de discrimination sur la base de l'article 10 de la Loi, étant susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de ces employées en raison de leur sexe (article 10 de la Loi).

[153] Enfin, dans le cas de Mme Lavoie, je conclus que le refus de comptabiliser sa période d'absence pour congé parental, établit une preuve prima facie de discrimination en la défavorisant en cours d'emploi en vertu de l'article 7 de la Loi et en la privant de l'acquisition du statut d'employée à durée indéterminée, ce qui selon les termes de l'article 10 de la Loi, a annihilé ses chances d'emploi ou d'avancement.

[154] En conclusion, l'ensemble de la preuve soumise par Mme Lavoie et la Commission établit une preuve prima facie de discrimination en violation des articles 7 et 10 de la Loi. (Voir : Premakumar, par. 80 et 81).

[155] À l'audience, il a été soulevé la possibilité que la plainte aurait pu aussi être examinée sous le motif de discrimination en raison de la situation de famille. Toutefois, la plainte vise exclusivement la discrimination en raison du sexe et les observations à l'audience ont porté sur la proposition selon laquelle la conduite discriminatoire était fondée sur le sexe. Par conséquent, je ne formulerai aucune conclusion sur le motif de discrimination en raison de la situation de famille.

B. L'intimé a-t-il fourni une explication raisonnable?

[156] Tel que mentionné précédemment, une fois la preuve prima facie de discrimination établie, il incombe à l'intimé de donner une explication raisonnable. En l'espèce, l'intimé doit démontrer que le refus de comptabiliser la période d'absence d'une durée de plus de soixante (60) jours consécutifs, en raison d'un congé de maternité ou parental est fondé sur une EPJ (article 15 (1)a) de la Loi). À cette fin, l'intimé doit démontrer que la comptabilisation de ces absences pour les fins du droit à la conversion du poste constitue pour l'intimé une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi.). Avant d'entreprendre cette analyse, j'aborderai la preuve soumise par l'intimé au sujet des tendances en matière de congé parental et par la suite, l'argument de l'intimé sur la preuve statistique soumise à l'audience.

(i) Les tendances en matière de congé parental

[157] L'intimé soutient que dans mon analyse, je dois considérer que de plus en plus d'hommes prennent un congé parental. L'expert de l'intimé, le Dr. Langlois a témoigné d'une tendance émergente en cette matière. Au Canada, le Dr. Langlois est d'avis que les normes culturelles contraignantes à l'égard des femmes semblent diminuer ce qui augmenterait le nombre de pères prenant des congés parentaux d'une plus longue durée, et ce, en partie ou en totalité à la place de la mère. Cela dit, cette tendance ne signifie pas que les hommes prennent des congés parentaux dans la même proportion que les femmes et pour la même durée. Ainsi, le Dr. Langlois souligne qu'au Canada, une enquête démontre que plus des deux tiers des hommes seraient retournés au travail dans le mois suivant l'accouchement ou l'adoption de l'enfant.

[158] Pour les congés de maternité, cette nouvelle tendance n'est d'aucune utilité en raison de la réalité biologique associée à la naissance d'un enfant, y compris les composantes physiologiques et psychologiques pour la mère reliées à la grossesse et au fait de donner naissance à un enfant. (Voir: Tomasso c. Canada (Attorney General), 2007 FCA 265, par. 117 et 119).

[159] Je dois préciser que le droit à l'égalité de Mme Lavoie et des autres employées à durée déterminée prenant des congés parentaux, doit être évalué dans l'immédiat en fonction de la preuve soumise. Il ne peut se déduire d'une tendance, ni être différé en raison d'une tendance.

(ii) Preuve statistique soumise à l'audience

[160] Bien que je considère que cet aspect doit être traité dans le cadre de l'analyse portant sur la preuve prima facie, ce qui fut fait, j'ajouterai quelques commentaires au sujet de la preuve statistique soumise à l'audience. L'intimé soumet que selon l'affaire Cramm (précité), une simple supériorité numérique d'un groupe affecté par une règle neutre, n'établit pas en l'absence d'autres éléments que la règle a un effet négatif disproportionné sur le groupe numérique le plus nombreux. Je crois utile de préciser que ce commentaire s'inspire d'un arrêt de la Cour suprême portant sur l'article 15 de la Charte canadienne (Voir: Thibodeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627 et Thibodeau c. M.N.R., [1994] C.F. 189 (C.A.). Je suis d'avis qu'on ne peut appliquer systématiquement ce commentaire sans prendre en considération les enjeux propres à chaque affaire; particulièrement dans un contexte où le litige ne découle pas de la Charte mais d'une loi sur les droits de la personne. Dans l'arrêt Brooks (précité, par. 29), la Cour suprême du Canada a rappelé, dans une affaire de discrimination en raison de la grossesse, que la suppression des fardeaux injustes imposée aux femmes et aux autres groupes défavorisés dans la société, constitue un objet fondamental des lois sur les droits de la personne.

[161] Dans un contexte où il est reconnu par l'expert de l'intimé, l'existence de normes culturelles contraignantes à l'égard des femmes, on ne peut faire fi de ces normes ni des principes énoncés dans l'arrêt Brooks lorsque je constate qu'une majorité substantielle de femmes employées à durée déterminée sont les grandes utilisatrices des congés parentaux de plus de soixante jours consécutifs.

(iii) L'exigence professionnelle justifiée

[162] La Cour suprême a élaboré une méthode en trois étapes pour déterminer si une EPJ a été établie (Voir : Colombie-Britannique (Superintendant of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin)). Ainsi, l'intimé peut justifier la norme contestée, s'il établit:

  1. qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail ou des fonctions;
  2. qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l'intimé doit démontrer qu'il est impossible de composer avec la plaignante ou avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques qu'elle sans subir une contrainte excessive. Il incombe à l'intimé de démontrer qu'il a envisagé et rejeté raisonnablement toute forme possible d'accommodement.

(i) L'intimé a-t-il adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail ou des fonctions en cause?

[163] L'objectif de la nouvelle politique consiste à maintenir l'équilibre entre le traitement équitable des employés nommés pour une période déterminée et la nécessité d'une flexibilité opérationnelle. L'énoncé de politique précise que le recours à l'emploi à durée déterminée ne peut être utilisé pour répondre à un besoin continu. Ainsi, la justification de réduire la période de travail cumulative de cinq ans à trois ans est largement motivée par la preuve, particulièrement le témoignage de madame Murphy et le rapport produit par le comité mixte au mois d'août 2002. Ce rapport énonce plusieurs constats sur la situation des employés à durée déterminée dont principalement la très grande insécurité ressentie par la majorité des employés nommés pour une période déterminée. Dans la mesure où l'exclusion des congés sans traitement de plus de soixante (60) jours consécutifs de la période de travail cumulative doit être évaluée dans un contexte plus général tel celui de l'objectif de la nouvelle politique, je conclus que cette norme est rationnellement liée à l'exécution du travail et des fonctions en cause.

[164] Par conséquent, le premier élément de la défense est établi.

(ii) L'intimé a-t-il adopté sa norme de bonne foi?

[165] Sur ce point, je suis d'avis que l'intimé a adopté sa norme de bonne foi. Par conséquent, le deuxième élément de la défense est établi.

(iii) La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser le but de l'intimé de sorte qu'il ne peut composer avec la plaignante et les autres femmes qui prennent des congés de maternité et /ou parental sans subir une contrainte excessive?

[166] D'entrée de jeu, il faut souligner que la nouvelle politique s'applique aux employés comme Mme Lavoie, à l'emploi de l'intimé pour une période déterminée et qui ont été nommés en vertu de la Loi sur la fonction publique ou de tout décret d'exclusion pris en vertu de cette dernière. Bien que la nouvelle politique ait fait l'objet d'une consultation auprès de certains syndicats, cette consultation ne peut servir de justification aux effets discriminatoires identifiés.

[167] L'intimé soutient que l'exclusion des congés sans traitement de plus de soixante jours consécutifs de la période de travail cumulative doit être évaluée dans un contexte où en vertu de la nouvelle politique, on réduisait la période de cinq ans à trois ans. Dans son témoignage, madame Murphy explique que l'une des préoccupations consistait à éviter des réajustements de la main-d'uvre au sein d'un ministère. Le risque de se retrouver avec un surplus d'employés à durée indéterminée dans une unité donnée pourrait conduire éventuellement à des licenciements d'employés à durée indéterminée. Cela implique des coûts. Or, madame Murphy précise qu'il fallait s'assurer que cette nouvelle politique n'impliquerait pas des coûts supplémentaires à l'État.

[168] Madame Murphy a également déclaré que la nouvelle politique vise à trouver un équilibre entre un traitement équitable pour les employés engagés pour une durée déterminée et le maintien d'une certaine flexibilité opérationnelle requise en faveur des gestionnaires. Madame Murphy explique que pour certains gestionnaires, la durée de service de deux années était trop courte pour évaluer l'existence d'un besoin continu. Selon les gestionnaires consultés, une période de deux années aurait incité certains d'entre eux à retenir les services d'employés temporaires.

[169] Sur l'exigence de fournir une prestation de travail, madame Murphy précise que cette exigence était nécessaire afin de pouvoir évaluer les besoins permanents d'une fonction.

[170] Madame Murphy explique que toutes ces considérations ont fait en sorte d'adopter la nouvelle politique, tel qu'elle existe actuellement.

[171] À mon avis, ces considérations ne démontrent pas qu'il est impossible à l'intimé de composer avec Mme Lavoie et les autres femmes qui prennent un congé de maternité et /ou un congé parental sans subir une contrainte excessive.

[172] Au sujet de l'exigence de fournir une prestation de travail, je dois admettre que l'intimé ne m'a pas démontré l'existence d'un lien entre cette exigence et l'exclusion des congés non rémunérés de plus de soixante (60) jours consécutifs. Dans un premier temps, je constate que les congés rémunérés sont comptabilisés pour les fins du calcul de la période cumulative de travail. Ainsi, le fait que la personne soit absente du travail ne semble pas, du moins en partie, être toujours requis.

[173] De plus, l'ancienne politique ne comptabilisait pas les congés sans traitement alors que l'énoncé de cette politique précisait aussi que le recours à l'emploi pour une durée déterminée devait se limiter qu'à des situations où le besoin existe clairement pour une période limitée et qu'il n'est pas prévu que ce besoin se perpétuera. La nouvelle politique reprend essentiellement le même énoncé, en mentionnant que le recours à l'emploi à durée déterminée ne peut être utilisé pour répondre à un besoin continu. De ce qui précède, je dois conclure que c'est le poste dont on évalue les besoins et la prestation de travail de la personne qui occupe le poste ne détermine pas ce besoin. Les personnes peuvent, par exemple être remplacées. C'est ce qui s'est produit, lorsque le conjoint de Mme Lavoie a remplacé cette dernière à l'occasion d'un congé de maternité. Le besoin du poste était donc relié aux tâches à effectuer.

[174] La preuve ne démontre pas que l'intimé a procédé à une analyse visant à examiner la possibilité d'inclure la période de congé non rémunéré dans le calcul de la période cumulative de travail, précisément le congé de maternité et celui parental. L'intimé n'a fourni aucune preuve à ce sujet ni en quoi, l'inclusion de ces congés pouvait constituer une contrainte excessive pour l'intimé. Entre autres, je ne dispose d'aucune preuve quant au coût additionnel que pourrait comporter l'inclusion de ces congés dans le calcul de la période de trois années. La preuve soumise ne me permet pas d'évaluer l'existence de contraintes excessives. Bref, l'intimé ne m'a pas démontré qu'il est impossible d'inclure dans le calcul de la période cumulative de travail la durée des congés de maternité et parentaux.

[175] Cette même conclusion s'applique également à la situation de Mme Lavoie car la preuve de l'intimé ne démontre pas l'existence d'une contrainte excessive justifiant le refus de l'intimé d'inclure la durée du congé parental de la plaignante dans le calcul des trois années. Enfin, la preuve de l'intimé n'établit pas qu'il était impossible d'inclure la durée du congé parental de la plaignante.

[176] Pourtant, la convention collective applicable aux parties prévoit dans certaines situations que les congés de maternité et parentaux sont considérés comme des périodes de service. Ainsi, l'intimé semble reconnaître le bien-fondé du principe d'accommodement et la pertinence d'inclure ces congés dans la période de service.

[177] La preuve ne révèle aucune considération ni étude précise de la part de l'intimé sur la possibilité d'accommoder les femmes qui prennent des congés de maternité ou parental. Dans un contexte où l'emploi à durée déterminée auprès de l'intimé constitue une activité professionnelle plus vulnérable et qu'il est clairement reconnu que les femmes sont très largement majoritaires dans ce type d'emploi précaire, la possibilité d'accommoder les femmes prenant des congés de maternité ou parental devenait une question incontournable.

[178] L'intimé, pour utiliser l'expression de la juge McLachlin dans l'arrêt Meiorin a choisi une norme d'une rigidité absolue (précité, par 62). Une formule qui ne peut être acceptée qu'en bloc à savoir : trois années excluant les congés non rémunérés dont le congé de maternité et celui parental. Or, cette formule en bloc démontre une absence de flexibilité.

[179] Comme le soulignait madame Julie C. Lloyd, membre instructeur, dans l'affaire Hoyt c. Compagnie des chemins de fer du Canada 2006 TCDP au par. 33 : Les employeurs doivent être innovateurs dans leur recherche de l'accommodement à fournir à un employé. Ils doivent faire preuve de flexibilité et de créativité.

[180] Or, l'intimé ne m'a pas démontré avoir recherché la flexibilité et la créativité qui s'imposaient en l'espèce.

[181] Je conclus que l'intimé n'a pas examiné toutes les possibilités qui lui permettraient d'accommoder Mme Lavoie et les femmes à contrat à durée déterminée qui prennent un congé de maternité ou parental.

[182] L'intimé est un employeur important disposant des ressources humaines et techniques lui permettant de réaliser une analyse appropriée des mesures possibles qui ne lui imposent pas une contrainte excessive.

[183] En résumé, l'intimé n'a présenté aucun élément de preuve me permettant de conclure qu'il existe ou existait une contrainte excessive en incluant dans la période cumulative de travail, la durée du congé parental de Mme Lavoie, soit quatre mois, ni les périodes de congés de maternité ou parental qu'ont pris ou que prennent les femmes à l'emploi de l'intimé pour une durée déterminée depuis l'adoption de la nouvelle politique.

[184] Pour tous ces motifs, j'estime que la plainte est fondée et doit être accueillie.

VII. LES REDRESSEMENTS DEMANDÉS PAR MME LAVOIE ET LA COMMISSION:

A. Modification de la politique pour éliminer les aspects discriminatoires

[185] Mme Lavoie et la Commission me demandent d'ordonner à l'intimé de modifier la nouvelle politique de manière à éliminer les aspects discriminatoires. À mon avis, une telle demande est appropriée. Dans la mesure où l'intimé maintient une norme selon laquelle la durée des congés de maternité ou parental de plus de soixante (60) jours civils cumulatifs n'est pas prise en compte dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste à durée indéterminée, je suis d'avis qu'il y a lieu d'ordonner à l'intimé de modifier la politique, de manière à éliminer les aspects discriminatoires en raison du sexe.

[186] En conséquence, j'ordonne, suivant l'alinéa 53(2)a) de la Loi, que l'intimé mette fin aux actes discriminatoires et qu'il prenne, en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, et en particulier ordonne à l'intimé de modifier la nouvelle Politique sur l'emploi pour une période déterminée entrée en vigueur le 1er avril 2003, de manière à éliminer les aspects discriminatoires en raison du sexe, soit ceux reliés à l'exclusion de la durée des congés de maternité et/ou parental dans le calcul de la période de travail cumulative pour une nomination à un poste à durée indéterminée.

B. Perte de chances ou d'avantages et perte de salaire

[187] Aux termes de l'alinéa 53(2)b), le Tribunal peut ordonner à un intimé d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée.

[188] Aux termes de l'alinéa 53(2)c), le Tribunal peut ordonner à un intimé d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte.

[189] L'intimé a reconnu que si la plainte était accueillie, les redressements demandés par Mme Lavoie étaient admis, y compris le montant réclamé. Ces redressements sont les suivants:

  • Période du délai de carence de deux semaines pour l'assurance emploi (19 août au 1er septembre 2002): 2008.00$
  • Indemnités supplémentaires (PRSC) pour la période du 2 septembre 2002 au 5 août 2003: 28 959.00$
  • Indemnités supplémentaires (PRSC) pour la période du 6 août 2003 au 20 août 2003: 1864.26$

[190] Cependant, l'intimé conteste la perte de salaire réclamée par la plaignante pour la période du 19 septembre 2003 au 18 novembre 2003. Le montant réclamé pour cette période est admis soit 5790.99$. Toutefois, l'intimé soutient qu'en signant l'entente intervenue avec Industrie Canada, Mme Lavoie a renoncé à réclamer toute perte de salaire précédent sa date d'entrée en fonction à un poste à durée indéterminée, soit le 19 novembre 2003. Pour les mêmes raisons énoncées dans le cadre du moyen d'irrecevabilité soulevé par l'intimé, je conclus que Mme Lavoie n'a pas renoncé à réclamer la perte de salaire dont l'a privée la non-conversion de son poste.

[191] J'ajouterai qu'en reconnaissant le droit à l'indemnité pour la période du 6 août 2003 au 20 août 2003, l'intimé reconnaît que Mme Lavoie n'a pas renoncé à réclamer toute perte de revenu à compter du 6 août 2003, date à laquelle elle aurait obtenu le droit à la conversion de son poste.

[192] Par conséquent, je fais droit à tous les redressements demandés par Mme Lavoie en vertu des alinéas 53(2)b) et 53(2)c), y compris le montant de 5709.99$ correspondant à la perte de salaire pour la période du 19 septembre 2003 au 18 novembre 2003.

[193] Compte tenu de ce qui précède, j'ordonne à l'intimé de verser à la plaignante, Mme Lavoie, la somme de 38 622.25 $ à titre de perte d'avantages et de salaire aux termes des articles 53(2)b) et 53(2)c) de la Loi.

C. L'indemnité pour préjudice moral

[194] En vertu de l'alinéa 53(2)e), le Tribunal peut accorder une indemnité jusqu'à concurrence de 20 000$ pour la victime qui a souffert d'un préjudice moral.

[195] À mon avis, bien que la preuve ne soit pas étoffée quant aux répercussions morales que les actes de l'intimé ont eu sur la plaignante, il est évident par son témoignage que ces événements ont indéniablement affecté Mme Lavoie et ont porté atteinte à sa dignité. Le droit à l'emploi est fondamental dans notre société et constitue une composante importante de la dignité humaine. De plus, je retiens notamment, le stress relié aux responsabilités financières et au fait qu'elle savait que tout était fini à compter du 6 août 2003. Bref, les moments d'insécurité vécus par Mme Lavoie me semblent évidents dans une période où elle devait assumer ses responsabilités auprès de trois enfants.

[196] Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, j'ordonne à l'intimé de verser à la plaignante, Mme Lavoie, la somme de 5 000.00$ au titre de l'indemnité prévue à l'alinéa 53(2)e) de la Loi.

D. Les intérêts

[197] Des intérêts sont payables à l'égard de toutes les réclamations monétaires accordées en vertu de la présente décision suivant le paragraphe 53(4) de la Loi. J'ordonne que les intérêts soient payés sur les sommes accordées en vertu de cette décision, conformément à la règle 9 (12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne. Les intérêts sur les sommes accordées pour compenser les pertes d'avantages devront courir à partir du 6 août 2003, calculés en fonction du moment où les indemnités auraient été payables. Pour la perte de salaire correspondant à un montant de 5 790.99$, les intérêts devront courir à compter du 19 septembre 2003, également calculé en fonction du moment où le salaire aurait été payable à Mme Lavoie. Les intérêts sur l'indemnité devant être versée à titre de préjudice moral devront courir à compter de la date du dépôt de la plainte, soit le 19 janvier 2004.

VIII. LA DÉCLARATION DE COMPÉTENCE PAR LE TRIBUNAL

[198] Le Tribunal conservera sa compétence à recevoir des éléments de preuve, à entendre des arguments supplémentaires et à rendre des ordonnances supplémentaires dans l'éventualité où les parties ne s'entendent pas à l'égard de l'interprétation ou de la mise en application des redressements ordonnés.

[199] Je conserve ma compétence en vertu du paragraphe précédent pour une durée de soixante (60) jours à compter de la date de réception de la présente décision par les parties.

signée par

Kathleen Cahill

OTTAWA (Ontario)
le 20 juin 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1154/3606

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Brigitte Lavoie c. Conseil du Trésor du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 24, 25, 27 et 28 septembre 2007
Les 21, 22, 23, 24 et 25 janvier 2008

Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 20 juin 2008

ONT COMPARU :

Lise Leduc / Colleen Bauman

Pour la plaignante

Giacomo Vigna

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Nadine Dupuis/Vincent Veilleux

Pour l'intimé

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