Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

LORETTA KEEPER-ANDERSON

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOUTHERN CHIEFS ORGANIZATION INC.

l'intimé

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

2008 TCDP 26
2008/06/20

I. INTRODUCTION

A. La plainte en matière de droits de la personne de Mme Keeper-Anderson

II. LES FAITS

A. Le harcèlement allégué

(i) Le premier incident - le souper du tournoi de golf de la SCO - septembre 2002

(ii) Le deuxième incident - la réunion d'octobre 2003

(iii) Le troisième incident - la fête de Noël en décembre 2003

(iv) Le quatrième incident - les questions de Del Assiniboine au sujet du congé de maternité de Mme Keeper-Anderson - janvier-février 2004

B. La période de probation

C. MmeKeeper-Anderson quitte la SCO

D. Le deuxième relevé

E. Les procédures judiciaires

III. LES MOTIFS DE LA DÉCISION

A. Le harcèlement - l'article 14 de la LCDP

B. La fin de son emploi - l'article 7 de la LCDP

IV. LES MESURES DE REDRESSEMENT

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante est Loretta Keeper-Anderson. Sa plainte vise la Southern Chiefs Organization Inc. (SCO), un organisme cadre regroupant jusqu'à 36 collectivités de Premières nations du sud du Manitoba.

[2] Mme Keeper-Anderson est une femme autochtone de la Première nation Fisher River et est mère de sept enfants. Elle est titulaire d'un baccalauréat ès arts et possède plusieurs années d'expérience de travail auprès des Premières nations du sud du Manitoba.

[3] Mme Keeper-Anderson a été embauchée à l'origine par la SCO en mai 2001 à titre de chercheuse pour l'Initiative sur l'Accord-cadre (IAC), Services à l'enfance et à la famille (SEF). Elle a travaillé à titre de recherchiste jusqu'au 27 novembre 2001, date à laquelle elle est devenue gestionnaire de projets des SEF pour la SCO.

[4] L'IAC est une entente cadre de subventions conclue entre le Canada et l'Assembly of Manitoba Chiefs (AMC). En vertu de l'IAC, l'AMC a signé une entente auxiliaire avec la Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO) pour coordonner les programmes de SEF au nom de toutes les Premières nations du Manitoba. La MKO a signé une entente auxiliaire complémentaire avec la SCO pour qu'elle coordonne le programme de SEF pour toutes les Premières nations du sud du Manitoba.

[5] L'entente entre l'AMC et la MKO prévoit que la MKO présentera des rapports d'étapes et des rapports financiers à la direction de l'AMC au sujet des activités prévues des SEF conformément à un calendrier des rapports. Les rapports doivent être remis à temps pour que les fonds puissent être transmis du Canada à l'AMC, puis à la MKO et à la SCO.

[6] Dans le cadre du projet que Mme Keeper-Anderson gérait, celle-ci devait rencontrer chacune des collectivités de Premières nations du sud du Manitoba pour interroger les aînés ainsi que d'autres personnes des collectivités et recueillir des informations au sujet de l'éducation traditionnelle des enfants.

[7] Après la collecte des renseignements, ceux-ci devaient être traduits du cri et de l'ojibway vers l'anglais et ensuite compilés dans un rapport global devant être présenté à l'AMC et à la MKO afin d'être utilisé pour négocier une entente d'autonomie gouvernementale sur les services à l'enfance et à la famille avec le gouvernement fédéral.

[8] Le 12 février 2004, Mme Keeper-Anderson a quitté la SCO. Elle prétend être partie en congé de maladie à cause de complications liées à sa grossesse et ensuite en congé de maternité et en congé parental. Mme Keeper-Anderson invoque qu'elle avait tout à fait l'intention de retourner à la SCO à la fin de son congé.

[9] La position de la SCO est à l'inverse : la SCO affirme que Mme Keeper-Anderson n'a jamais demandé ni reçu l'autorisation de prendre un congé de maternité ou un congé de maladie comme l'exigeait la politique d'emploi de la SCO. De plus, selon la SCO, juste avant de prendre congé en février 2004, Mme Keeper-Anderson a dit à certains membres du personnel qu'elle démissionnait. La SCO soutient que Mme Keeper-Anderson a démissionné de son poste le 12 février 2004.

A. La plainte en matière de droits de la personne de Mme Keeper-Anderson

[10] La plainte en matière de droits de la personne de Mme Keeper-Anderson a deux volets. D'abord, elle prétend que la SCO ne lui a pas fourni un milieu de travail exempt de discrimination. Deuxièmement, elle prétend que la SCO a mis fin à son emploi de manière injustifiée et l'a défavorisée en cours d'emploi. Elle invoque le sexe (la grossesse) comme motif de distinction illicite pour fonder ces deux allégations de discrimination. Sa plainte déposée à la Commission canadienne des droits de la personne est datée le 13 octobre 2004.

II. LES FAITS

A. Le harcèlement allégué

(i) Le premier incident - le souper du tournoi de golf de la SCO - septembre 2002

[11] En septembre 2002, la SCO a tenu un tournoi de golf au Kingswood Golf & Country Club Ltd. à La Salle (Manitoba). Environ 75 personnes étaient présentes, dont des chefs et des conseillers, des partenaires d'affaires et des membres du personnel de la SCO.

[12] C'était l'anniversaire de Mme Keeper-Anderson et un farceur de Rent-A-Nerd avait été embauché pour le souper du tournoi de golf afin de lui faire une surprise à l'occasion de son anniversaire.

[13] Mme Keeper-Anderson a affirmé dans son témoignage qu'on avait communiqué au farceur et sans son autorisation des renseignements personnels à son sujet au farceur. À son avis, le farceur a utilisé ces renseignements pour l'humilier publiquement. Elle a affirmé que le farceur s'est moqué du fait qu'elle avait un grand nombre d'enfants et qu'elle les avait tous nourris au sein ainsi que de la grosseur de ses seins.

[14] Mme Keeper-Anderson a affirmé que, à la fin du souper du tournoi de golf, elle a dit à Elva McCorrister, directrice exécutive de la SCO, que les commentaires du farceur à son sujet l'avaient rendue très mal à l'aise. Elle ne mêlait pas vie personnelle et vie professionnelle et elle a senti qu'il était inconvenant de rendre public ce genre de renseignement.

[15] Mme Keeper-Anderson a parlé à son superviseur, Stuart Wuttke, immédiatement après l'incident et lui a dit à quel point elle était offusquée. Elle a également dit à Bethany Ettawacappo et à Eileen Doerksen, deux membres du personnel de la SCO qui étaient assises à sa table, qu'elle était embarrassée par la conduite du farceur.

[16] Elle n'a pas déposé de plainte formelle auprès de M. Wuttke ou de Mme McCorrister.

[17] Plus tard, Mme Keeper-Anderson a appris que Donna Hall, une adjointe administrative de la SCO, était la personne qui avait donné les renseignements au farceur.

[18] Mme McCorrister a affirmé que, avant le dîner, on lui a vaguement mentionné qu'un acteur ou un farceur ferait un spectacle lors du souper du tournoi de golf. Elle ne savait pas qu'il s'agissait d'un farceur.

[19] Mme McCorrister ne se rappelait pas que Mme Keeper-Anderson se soit plainte lors du souper. Le lendemain matin, elle a rencontré son personnel et lui a dit qu'elle n'avait pas autorisé cela et qu'elle refusait d'autoriser que la SCO paie pour le farceur.

(ii) Le deuxième incident - la réunion d'octobre 2003

[20] Mme Keeper-Anderson allègue que, peu après qu'elle eut informé la SCO en octobre 2003 qu'elle était enceinte, le grand chef Margaret Swan, Elva McCorrister et Stuart Wuttke ont tenu une réunion. Mme Keeper-Anderson n'était pas à la réunion. Cependant, elle a témoigné que, lors de cette réunion, ces trois personnes ont discuté de sa grossesse et le chef Margaret Swan aurait dit à M. Wuttke de [traduction] se débarrasser de Loretta parce qu'elle était enceinte. Selon Mme Keeper-Anderson, M. Wuttke lui a affirmé que le chef Swan lui avait dit de la congédier, mais qu'il avait refusé parce qu'il n'avait pas de bonne raison de le faire.

[21] Le chef Swan ne se souvenait pas de cette réunion. Toutefois elle se rappelait avoir eu des réunions avec Mme McCorrister au sujet du rendement au travail de Mme Keeper-Anderson. Quant à l'allégation de Mme Keeper-Anderson voulant qu'elle soit congédier parce qu'elle était enceinte, le chef Swan affirme que l'allégation est ridicule.

[22] Le chef Swan a sept enfants, est une mère seule et a travaillé lors de toutes ses grossesses. Elle croit qu'elle s'est montrée plus indulgente à l'endroit de Mme Keeper-Anderson parce qu'elle était enceinte et une mère seule.

[23] Selon les souvenirs de Mme McCorrister, la réunion avait eu lieu à la demande du chef Swan. Elle n'était pas satisfaite du progrès du programme des SEF. Il y avait eu peu auparavant une conférence de la SCO où Mme Keeper-Anderson était une des participantes. Sa présentation ne s'est pas bien déroulée et les chefs ont fait part de nombreuses plaintes à son sujet.

[24] Le chef Swan en était perturbée. Elle devait répondre aux chefs du projet des SEF et elle voulait que cela se déroule bien. De toute façon, Mme Keeper-Anderson n'a pas été congédiée et a continué à travailler à titre de gestionnaire de projets.

(iii) Le troisième incident - la fête de Noël en décembre 2003

[25] En décembre 2003, la SCO a tenu sa fête annuelle de Noël au restaurant Royal Crown à Winnipeg. À cette époque, Mme Keeper-Anderson était enceinte de quatre mois. Le chef Swan avait l'habitude, lors de la fête de Noël, d'inviter chaque employé à l'avant afin de lui remettre un cadeau de Noël.

[26] Quand Mme Keeper-Anderson s'est rendue à l'avant, le chef Swan lui aurait dit : [traduction] Je suis étonnée que vous n'ayez pas encore fait une fausse couche compte tenu de toute la pression que vous avez subie cette année à la Southern Chiefs. Mme Keeper-Anderson soutient qu'elle était visiblement perturbée par le commentaire du chef Swan.

[27] Mme McCorrister a affirmé qu'il était habituel pour le chef Swan de dire quelques mots à chaque membre du personnel quand il était appelé à recevoir son cadeau. Mme McCorrister ne se rappelait pas que Mme Keeper-Anderson l'ait approchée pour se plaindre du commentaire du chef Swan lors du souper de Noël ou déposé une plainte écrite.

[28] Le chef Swan ne se souvenait pas exactement de ce qu'elle avait dit à Mme Keeper-Anderson, mais elle peut être affirmée que Mme Keeper-Anderson n'ait pas fait de fausse couche à cause de tout le stress que chacun subissait à la SCO ou quelque chose du genre.

[29] Par sa remarque, elle ne voulait pas se montrer méprisante ou insultante. Quand elle donnait un cadeau à un membre du personnel, elle disait quelque chose de gentil ou parfois quelque chose de drôle à son sujet, quelque chose pour qu'il se sente bien, et non pour le rendre mal à l'aise. Elle formulait un commentaire personnalisé à chaque employé. Elle n'a pas visé précisément Mme Keeper-Anderson.

[30] Mme Keeper-Anderson n'a jamais dit au chef Swan qu'elle avait été offensée par son commentaire. Selon le chef Swan, si elle l'avait fait, elle se serait excusée.

(iv) Le quatrième incident - les questions de Del Assiniboine au sujet du congé de maternité de Mme Keeper-Anderson - janvier-février 2004

[31] Elva McCorrister est partie en congé de maladie en janvier 2004. Del Assiniboine a pris sa place à titre de directeur exécutif par intérim. Mme Keeper-Anderson prétend que, à au moins trois reprises en janvier et en février 2004, M. Assiniboine l'a interrogée au sujet des dates précises auxquelles elle prévoyait partir en congé de maternité et revenir au travail ainsi que si elle allait recommander quelqu'un pour la remplacer pendant son absence.

[32] Elle a assuré à M. Assiniboine qu'elle aviserait la SCO suffisamment à l'avance avant de prendre son congé de maternité. Elle a recommandé Jeff LaPlante, un analyste des politiques qui travaillait avec elle sur le projet et qui pourrait poursuivre le travail sans interruption.

[33] Mme Keeper-Anderson soutient que ses propos n'ont pas rassuré M. Assiniboine. Elle s'est sentie harcelée par M. Assiniboine, par ses questions sur la date à laquelle elle prévoyait prendre son congé de maternité.

[34] Le poste habituel de M. Assiniboine à la SCO était celui d'intervenant en matière de santé. Il a expliqué que, dans leur culture, les autochtones s'inquiètent toujours au sujet de leurs bébés, qu'ils soient nés ou non, et que cela se poursuit quand ils grandissent jusqu'à ce qu'ils deviennent adultes.

[35] Quand il est entré en poste, il s'est fait un devoir de rendre visite non seulement à Mme Keeper-Anderson, mais à tous les employés du bureau. Il a passé quelques minutes dans le bureau de chacun des membres du personnel, pour leur parler. Selon lui, c'est dans ce contexte qu'il demandait à Mme Keeper-Anderson comment elle se sentait, si elle allait bien et quand elle comptait prendre son congé de maternité.

B. La période de probation

[36] Mme Keeper-Anderson a reçu une lettre datée du 2 décembre 2002, de Stuart Wuttke, dans laquelle il lui annonçait qu'il la plaçait en période de probation du 2 décembre 2002 au 31 mars 2003. Il a énuméré un certain nombre de raisons expliquant sa décision. Parmi ces raisons, il a nommé son rendement insatisfaisant dans le cadre de la conférence de la SCO qui s'est tenue les 27 et 28 novembre 2002, lors de la présentation orale de son rapport; le fait qu'elle n'ait pas produit à temps des budgets mis à jour ainsi que les rapports trimestriels et annuels pour le projet des SEF; son absence lors de réunions mensuelles des directeurs des SEF pour le sud du Manitoba; son manque de participation aux réunions internes et conjointes concernant les SEF dans le cadre de l'IAC; le fait qu'elle n'agissait pas comme une gestionnaire et son incapacité à gérer son personnel. Sa gestion insuffisante du programme et l'incapacité de son équipe à produire du travail de qualité ont soulevé des doutes sérieux au sujet de la viabilité du projet.

[37] M. Wuttke a imposé certaines conditions à la période de probation, notamment l'obligation pour Mme Keeper-Anderson de se présenter aux réunions prévues des directeurs des SEF, la présentation d'un rapport additionnel sur l'état du projet des SEF ainsi que la remise de tous les rapports sur les collectivités et du rapport global avant le 30 mars 2003.

[38] Fait intéressant, une autre des conditions était que Mme Keeper-Anderson devait assister à ses cours de droit à un maximum de 1,5 jours par semaine. Mme Keeper-Anderson a été déroutée par cette condition parce que M. Wuttke lui disait qu'elle n'arrivait pas à s'acquitter de son travail tout en l'obligeant à assister à des cours de droit pendant 1,5 jour par semaine.

[39] À cette époque en 2002, Mme Keeper-Anderson étudiait le droit à temps partiel et travaillait à la SCO. M. Wuttke l'avait encouragée à étudier le droit et il lui avait assuré qu'on l'aiderait à s'acquitter de son travail.

[40] Elle a manqué certaines réunions parce qu'elle assistait à ses cours de droit. On ne l'aidait pas avec son travail. Elle était également critiquée par la haute direction parce qu'elle ne faisait pas son travail.

[41] Parfois, M. Wuttke lui téléphonait et l'informait de la tenue d'une réunion importante à laquelle elle devait assister. Cette situation s'est produite de plus en plus fréquemment et elle a manqué beaucoup de cours. Elle a donc abandonné ses cours de droit, elle n'a pas terminé la première session et elle est retournée travailler à temps plein.

[42] Mme Keeper-Anderson a refusé de signer la lettre par laquelle elle aurait reconnu les conditions de sa période de probation. Elle affirme avoir discuté de la lettre avec M. Wuttke et lui avoir dit que la lettre comportait des exigences contradictoires. Il lui a répondu que la lettre venait d'autorités supérieures et qu'il avait été obligé de l'écrire.

[43] Mme Keeper-Anderson a affirmé avoir parlé à Mme McCorrister de sa période de probation et lui avoir dit qu'elle voulait en appeler. Selon Mme Keeper-Anderson, Mme McCorrister lui a dit qu'elle n'avait pas à écrire de lettre et de ne pas prendre en considération la lettre de M. Wuttke. Mme Keeper-Anderson a demandé à Mme McCorrister ce qu'elle voulait dire et Mme McCorrister lui a répondu qu'elle ne serait pas placée en période de probation.

[44] Néanmoins, Mme Keeper-Anderson a écrit à Mme McCorrister le 5 décembre 2002, pour l'informer que, comme elle lui en avait fait part dans leur conversation, elle interjetterait appel par écrit de sa période de probation avant le 15 janvier 2003. Mme Keeper-Anderson n'a pas donné suite à sa lettre et n'a jamais interjeté appel.

[45] Dans son témoignage, Mme Keeper-Anderson a également parlé des échéances que lui imposait M. Wuttke. Elle a affirmé que, à cette époque, le personnel travaillant sur le projet était composé d'elle-même et d'une autre personne seulement. Mme Keeper-Anderson a discuté à de nombreuses reprises avec M. Wuttke et Mme McCorrister des difficultés qu'elle éprouvait à terminer les rapports. Elle devait renvoyer les rapports à chaque collectivité et à chaque personne qu'elle avait interrogée pour qu'elles les examinent. Les renseignements recueillis dans les collectivités étaient en ojibway ou en cri et devaient être traduits en anglais.

[46] En fin de compte, trois traducteurs ont été embauchés pour le projet quelques mois après la lettre de M. Wuttke. Le rapport global a été terminé en juillet 2003 et les rapports des collectivités ont été remis plus tôt.

[47] Il est à noter que, le 29 janvier 2003, peu après le début de la période de probation de Mme Keeper-Anderson, Dave Rundle, le directeur exécutif des Services à l'enfance et à la famille Anishinaabe pour les trois collectivités de Premières nations du sud du Manitoba, a écrit à Marlyn Bennett, coordonnatrice de la recherche, Site de recherche des Premières nations, le 23 janvier 2003.

[48] Dans sa lettre, M. Rundle recommandait Mme Keeper-Anderson pour le poste de recherchiste principal dans le cadre du projet de recherche sur les enfants et les déficiences au Canada. Il a désigné Mme Keeper-Anderson comme la gestionnaire de projets pour le projet de SEF dans le cadre de l'IAC à la SCO. Il a souligné que l'une de ses principales tâches était de procéder à des consultations auprès des collectivités de Premières nations du sud, ce que Mme Keeper-Anderson avait fait avec succès.

[49] Mme McCorrister a également écrit à Marlyn Bennett le 21 janvier 2003, pour recommander Mme Keeper-Anderson pour ce poste. Elle a également souligné que Mme Keeper-Anderson s'était bien acquittée des consultations auprès des collectivités pour les SEF dans le cadre de l'IAC pour les Premières nations du sud du Manitoba.

C. Mme Keeper-Anderson quitte la SCO

[50] Le mercredi 11 février 2004 était un jour de paye régulier. Mme Keeper-Anderson n'a pas reçu la sienne. Elle a téléphoné à M. Assiniboine le 12 février 2004 et lui a demandé pourquoi elle n'avait pas été payée. Selon son témoignage, il a répondu qu'il avait raison de retenir sa paye parce qu'il avait examiné son dossier et avait remarqué qu'elle avait été placée en période de probation en décembre 2002.

[51] La version de M. Assiniboine diffère quelque peu. Il dit avoir expliqué à Mme Keeper-Anderson que la SCO n'avait pas suffisamment d'argent à ce moment pour payer tous les membres de son personnel. La SCO n'avait pas reçu ses subventions de la MKO. La MKO ne pouvait recevoir son financement de l'AMC parce que la SCO n'avait pas remis à temps ses rapports.

[52] À titre de directeur exécutif par intérim, il a décidé que la haute direction ne serait pas payée et que l'argent que la SCO avait en banque la servirait à payer les adjoints administratifs. Les personnes qui n'étaient pas responsables des rapports ou des finances seraient payées en premier.

[53] Il n'a pas été payé ce jour-là, pas plus que le chef Swan ou Mme McCorrister. Cependant, M. Assiniboine a été en mesure de faire augmenter la marge de crédit de la SCO et tout le monde a été payé le 13 février 2004, y compris Mme Keeper-Anderson.

[54] La version de M. Assiniboine de leur discussion au sujet de sa période de probation diffère également considérablement de celle de Mme Keeper-Anderson. Il a affirmé dans son témoignage que Steve Clark, le directeur exécutif de la MKO, s'était inquiété lors d'une réunion avec la SCO le 9 février 2004 du fait que Mme Keeper-Anderson n'avait pas remis les rapports à temps et de son manque de participation aux réunions de comité des SEF.

[55] Après cette réunion, M. Assiniboine a examiné le dossier de Mme Keeper-Anderson et a remarqué qu'elle avait été auparavant placée en période de probation pour certaines raisons dont plusieurs correspondaient aux inquiétudes de M. Clark. Il a également remarqué que Mme Keeper-Anderson n'avait pas assisté à la réunion du 11 février 2004 parce qu'elle était trop occupée, alors que le chef Swan le lui avait demandé.

[56] M. Assiniboine prétend que, durant leur conversation téléphonique, il a abordé ces trois questions avec Mme Keeper-Anderson et lui a dit qu'il pensait la mettre encore en période de probation ou prendre des mesures disciplinaires quelconques. Cela n'avait rien à voir avec le fait qu'elle n'avait pas été payée. Sa réponse a été : [traduction] Ça suffit, je pars.

[57] Mme Keeper-Anderson convient qu'elle a dit à M. Assiniboine à la fin de leur conversation téléphonique : [traduction] Je pars. Mais elle affirme qu'elle n'a pas démissionné.

[58] M. Assiniboine a également affirmé dans son témoignage que, le 13 février 2004, il a parlé à Gladys Cochrane qui lui a dit que Mme Keeper-Anderson lui avait remis ses clés et son téléphone cellulaire et lui avait dit : [traduction] Je démissionne.

[59] Le 16 février 2004, M. Assiniboine a écrit à Mme Keeper-Anderson pour lui signaler qu'elle s'était absentée du travail sans l'autorisation de son superviseur. Cette absence serait interprétée comme un abandon d'emploi si elle continuait à s'absenter sans autorisation.

[60] Il a inclus dans sa lettre un exemplaire de la politique du personnel de la SCO pour qu'elle puisse suivre la procédure en bonne et due forme pour demander un congé. Il a également précisé que, si elle ne répondait pas avant le 1er mars 2004, il serait conclu qu'elle avait abandonné son poste et il prendrait les mesures nécessaires pour embaucher quelqu'un pour doter le poste.

[61] M. Assiniboine n'est pas certain que cette lettre ait été envoyée à Mme Keeper-Anderson. Elle affirme ne l'avoir jamais reçue.

[62] Quand Mme McCorrister est revenue de son congé de maladie, elle a appris que Mme Keeper-Anderson ne travaillait plus à la SCO. D'après son témoignage, Mme Cochrane lui a dit que, le 12 février 2004, Mme Keeper-Anderson lui avait remis ses clés et son téléphone cellulaire et lui avait dit qu'elle démissionnait.

[63] Mme Cochrane a donné à Mme McCorrister la note de service du 12 février 2004 qu'elle avait préparée à l'époque. Dans cette note de service, Mme Cochrane a écrit que Mme Keeper-Anderson avait remis ses clés des bureaux de la SCO, sa vignette de stationnement ainsi que son téléphone cellulaire et les chargeurs. Il n'était mentionné nulle part dans cette note de service que Mme Keeper-Anderson lui avait dit qu'elle démissionnait. Mme Keeper-Anderson a nié avoir affirmé cela à Mme Cochrane.

[64] Mme McCorrister a également affirmé dans son témoignage que, lors d'un dîner d'adieu qui a eu lieu le 13 février 2004 pour d'autres employés quittant la SCO, Mme Keeper-Anderson s'est approchée afin de lui donner une caresse. Quand Mme McCorrister lui a demandé comment elle se sentait, elle a répliqué : [traduction] Vous savez que je démissionne. Ne savez-vous pas que je démissionne?

[65] Le 22 mars 2004, Mme McCorrister a écrit à Mme Keeper-Anderson pour lui rappeler que la SCO n'avait pas eu de ses nouvelles depuis qu'elle avait remis ses clés et son téléphone cellulaire à Gladys Cochrane le 12 février 2004. Elle a fait mention de la politique et des procédures relatives aux congés de la SCO et a fait remarquer que Mme Keeper-Anderson n'avait jamais déposé de demande formelle de congé de maladie ou de maternité, que ce soit verbalement ou par écrit. Elle a terminé en affirmant que la SCO présumait qu'elle avait abandonné son poste et que la SCO embaucherait quelqu'un dans un proche avenir. Il est très curieux que Mme McCorrister ne mentionne nulle part dans sa lettre le fait que Mme Keeper-Anderson lui aurait dit plus d'un mois auparavant qu'elle démissionnait.

[66] Mme McCorrister a expliqué que tous les employés de la SCO ont droit à une séance d'orientation. Ils reçoivent un exemplaire de la politique du personnel de la SCO, dont les règles et procédures applicables aux congés de maladie, aux congés de maternité et aux congés parentaux.

[67] Les congés de maladie de plus de trois jours doivent être justifiés par une attestation du médecin remise au directeur exécutif. Pour les congés de maternité, l'employée doit aviser le directeur exécutif au moins quatre semaines avant le début du congé, lequel ne peut commencer plus de onze semaines avant l'accouchement. L'employée doit également fournir une attestation du médecin confirmant la grossesse ainsi que la date prévue d'accouchement.

[68] Pour ce qui est du congé parental, l'employé doit le demander par écrit au directeur exécutif au moins quatre semaines avant son début. Lorsqu'il quitte la SCO, l'employé doit rendre son téléphone cellulaire, les clés du bureau, ainsi que tout autre équipement qui appartient à la SCO.

[69] La version des faits de Mme Keeper-Anderson est qu'elle est partie en congé de maladie le 12 février 2004. Avant de partir ce jour-là, elle a remis les clés du bureau, son téléphone cellulaire et sa vignette de stationnement à Gladys Cochrane, la gestionnaire de bureau de la SCO.

[70] Mme Keeper-Anderson a reconnu ne pas avoir présenté de demande formelle de congé de maladie, de congé de maternité ou de congé parental. Elle ne l'a pas fait en partie en raison des commentaires formulés par le chef Swan lors de la fête de Noël. Elle a pris ces mots au pied de la lettre et elle s'est sentie mise sous pression. Elle ne voulait par leur dire qu'elle éprouvait des complications avec sa grossesse et que la direction utilise la situation contre elle.

[71] Mme Keeper-Anderson a bel et bien reçu une attestation de son médecin, datée du 13 février 2004, dans laquelle il est indiqué que Mme Keeper-Anderson était incapable de travailler pour des raisons de maladie et en raison de sa grossesse. Mme Keeper-Anderson a parlé à quelqu'un du bureau de l'assurance-emploi qui lui a dit que, si elle voulait obtenir des prestations d'assurance-emploi pendant son congé de maladie et son congé de maternité, elle devait présenter une attestation du médecin ainsi qu'un relevé d'emploi.

[72] Elle a rencontré Bethany Ettawacappo, à l'époque agente des finances de la SCO, et lui a remis l'attestation du médecin. Elle a demandé à Mme Ettawacappo de préparer un relevé d'emploi et lui a dit qu'elle reviendrait à la SCO à la fin de son congé.

[73] Mme Ettawacappo a préparé le relevé daté du 13 février 2004. Dans la section des commentaires du relevé, elle a écrit : [traduction] 16 - employée en congé de maladie du 16 février 2004 au 12 mai 2004, et congé de maternité, y compris congé parental, du 13 mai 2004 au 13 mai 2005.

[74] Mme Ettawacappo a confirmé dans son témoignage être la personne qui a préparé le relevé. Elle a également affirmé qu'on ne lui avait jamais dit que le relevé devait être approuvé par la direction. Au cours de son emploi à la SCO, elle n'a préparé que trois relevés et il s'agissait de son premier pour congé de maladie. Mme Ettawacappo ne savait pas que la SCO avait une politique sur le personnel. Elle n'était donc pas au courant que, lorsqu'un employé veut prendre un congé prolongé, il doit le demander par écrit. Cependant, elle a reconnu qu'il serait présumé qu'un employé aurait probablement à le faire.

[75] Mme Ettawacappo n'a pas dit à M. Assiniboine qu'elle avait préparé un relevé pour Mme Keeper-Anderson. Elle n'a pas discuté de cette question avec Mme McCorrister parce qu'elle a quitté la SCO le 24 février 2004, avant le retour au travail de Mme McCorrister.

[76] Mme Keeper-Anderson a remis le relevé et l'attestation du médecin à l'assurance-emploi et a demandé des prestations de maladie et des prestations de maternité. Sa demande a été approuvée le 8 mars 2004, les prestations de maladie étant versées pour la période allant du 15 février 2004 au 4 mai 2004, et subséquemment pour 50 semaines de prestations de maternité et de congé parental.

[77] Pour ce qui est de la lettre de Mme McCorrister du 22 mars 2004, dans laquelle celle-ci affirme que Mme Keeper-Anderson a abandonné son poste, la réponse de Mme Keeper-Anderson est qu'elle avait pris les mesures appropriées pour faire savoir à la SCO qu'elle partait en congé de maladie, comme elle en avait discuté avec Mme Ettawacappo.

[78] Elle n'a pas abandonné son poste à la SCO. Le relevé indique clairement qu'elle allait y revenir. Elle n'a pas demandé d'indemnité de vacances parce qu'elle avait tout à fait l'intention de retourner à la SCO. Elle a également nié avoir dit à Mme Cochrane qu'elle démissionnait.

[79] Mme Keeper-Anderson n'a pas discuté du relevé avec M. Wuttke, son superviseur, et ne l'a pas contacté après le 13 février 2004 pour lui dire qu'elle était partie en congé de maladie.

D. Le deuxième relevé

[80] Mme Keeper-Anderson a reçu une lettre de Mme McCorrister datée du 24 août 2004, qui l'informait que la SCO avait préparé un nouveau relevé parce que celui du 13 février 2004 était incorrect. Dans le nouveau relevé, il était écrit dans la section commentaires : [traduction] E : Démission - ne revient pas.

[81] La SCO n'était pas au courant de l'existence du relevé du 13 février 2004, jusqu'à ce qu'il soit découvert sous une pile de documents en août 2004 par la nouvelle agente des finances, alors qu'elle faisait le ménage du bureau. La SCO a été informée qu'un relevé avait été émis quand le bureau d'assurance-emploi a téléphoné au sujet des prestations de Mme Keeper-Anderson.

[82] D'après le témoignage de Mme McCorrister, la SCO a obtenu des conseils juridiques selon lesquels le premier relevé avait été préparé sans la période de probation de la direction de la SCO par Mme Ettawacappo à partir de renseignements fournis par Mme Keeper-Anderson elle-même. La SCO a été avisée de préparer un nouveau relevé qui présenterait les faits de façon exacte.

[83] D'après Mme McCorrister, la SCO délivre un relevé quand un gestionnaire ou le directeur exécutif informe l'agent des finances qu'un employé quitte la SCO. L'agent des finances détient alors le pouvoir de délivrer un relevé établissant la raison du départ de l'employé.

E. Les procédures judiciaires

[84] Après avoir reçu la lettre de Mme McCorrister datée du 22 mars 2004, le 29 mars 2004, Mme Keeper-Anderson a téléphoné à Mme McCorrister et lui a dit qu'elle n'avait pas abandonné son poste, qu'elle prévoyait retourner au travail dès que possible et qu'elle n'avait pas demandé d'indemnité de vacances parce qu'elle avait tout à fait l'intention de retourner au travail à la fin de son congé de maternité.

[85] Selon Mme Keeper-Anderson, Mme McCorrister lui a dit qu'elle ne reviendrait pas sur sa décision. Mme Keeper-Anderson a alors retenu les services d'une avocate qui a écrit à la SCO le 28 juin 2004. Son avocate a affirmé que, contrairement à la position de la SCO, Mme Keeper-Anderson n'avait pas abandonné son travail. Elle était plutôt partie en congé de maladie en raison de complications découlant de sa grossesse et cela était clairement établi dans le relevé du 13 février 2004. Son avocate a demandé que, conformément au Code des normes d'emploi, Mme Keeper-Anderson soit réintégrée à la fin de son congé de maternité.

[86] La SCO a répondu le 19 août 2004 par une lettre de son avocat. La position de la SCO était qu'une enquête interne avait confirmé que Mme Keeper-Anderson avait bel et bien démissionné de son poste le 12 février 2004.

[87] Les faits à l'appui de cette conclusion étaient sa conversation téléphonique avec M. Assiniboine le 12 février 2004, dans laquelle Mme Keeper-Anderson avait affirmé : [traduction] Ça suffit. Je pars, et avait raccroché.

[88] De même, après avoir parlé à M. Assiniboine, elle s'est rendue au bureau de Gladys Cochrane et lui a remis ses clés et son téléphone cellulaire et a affirmé qu'elle démissionnait et est sortie du bureau sans autre explication.

[89] L'avocate de Mme Keeper-Anderson a répondu le 25 août 2004, en affirmant qu'elle examinait les questions soulevées dans la lettre de la SCO. Rien a découlé de cet échange de lettres entre les avocats et Mme Keeper-Anderson n'a entamé aucune autre procédure judiciaire.

III. LES MOTIFS DE LA DÉCISION

A. Le harcèlement - l'article 14 de la LCDP

[90] Depuis un certain temps, la jurisprudence laisse entendre que l'élément de sexe relatif à l'harcèlement est suffisamment large pour englober toute conduite non sollicitée visant le sexe de la victime et empoisonnant l'environnement de travail.

[91] Le concept principal de harcèlement visé par l'article 14 de la LCDP a été établi pour la première fois par la Cour suprême dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252. Dans cet arrêt, la Cour suprême a affirmé que le critère du harcèlement sexuel est une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui empoisonne le milieu de travail.

[92] La Cour fédérale a davantage développé ce critère dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653 (Franke). Dans la décision Franke, la Cour a souligné qu'un acte ou des commentaires doivent être de nature sexuelle ou fondés sur le sexe. Les types de conduite pouvant être qualifiés de harcèlement comprennent les insultes d'ordre sexuel, les remarques sexistes ou les commentaires au sujet de l'apparence d'une personne. Ils incluent également les plaisanteries ou les commentaires qui causent un malaise ou de l'embarras.

[93] La conduite doit être importune. L'élément à examiner est la réponse ou la réaction de la plaignante au moment de l'incident. La plaignante a-t-elle fait savoir verbalement ou par son comportement que la conduite était importune? La plaignante a-t-elle informé l'employeur de la conduite importune alléguée? Si la conduite était de nature sexuelle ou fondée sur le sexe et qu'il a été démontré qu'elle était importune, il faut pousser l'enquête, c'est-à-dire examiner si la conduite a eu comme conséquence d'empoisonner le milieu de travail.

[94] Cela dépend de la persistance et de la gravité de la conduite. Dans Franke, la Cour a statué que plus la conduite était grave, moins l'élément de répétition était nécessaire pour prouver le harcèlement. Moins la conduite est grave, plus la persistance doit être démontrée. La Cour a également souligné que, lorsqu'elle examine si la conduite peut être qualifiée de sexuelle ou si elle est suffisamment grave ou persistante pour empoisonner le milieu de travail, la norme de la personne raisonnable s'applique.

[95] Mme Keeper-Anderson s'appuie sur quatre incidents pour démontrer qu'il y a eu violation de l'article 14. Il n'est pas clair si Mme Keeper-Anderson considère l'incident du [traduction] chèque de paye comme du harcèlement ou une différence de traitement défavorable. À mon avis, la façon de le qualifier importe peu. Comme il sera montré, je conclus qu'il ne s'agit ni de harcèlement ni d'une différence de traitement.

[96] Examinons donc les quatre incidents allégués de harcèlement. De toute évidence, les commentaires du farceur, tels que rapportés par Mme Keeper-Anderson, étaient fondés sur le sexe. Ils faisaient référence au grand nombre d'enfants de Mme Keeper-Anderson, au fait qu'elle les a allaités ainsi qu'à la grosseur de ses seins.

[97] Lors du souper, Mme Keeper-Anderson a dit tant à la directrice exécutive de la SCO qu'à son superviseur qu'elle était offusquée et humiliée par ces commentaires, que ces commentaires ne tenaient pas compte de la distance qu'elle avait établie entre sa vie professionnelle et sa vie privée et qu'ils étaient importuns.

[98] Cependant, je ne suis pas convaincu que la conduite du farceur était assez grave ou assez persistante pour créer un milieu de travail empoisonné pour Mme Keeper-Anderson. Les commentaires peuvent avoir été embarrassants ou offensants pour Mme Keeper-Anderson. Il s'agissait d'un incident isolé. La présence du farceur n'était rien de plus qu'un événement passager. Ce n'est pas devenu un aspect durable de l'emploi de Mme Keeper-Anderson. Il n'y a pas non plus de preuve montrant que cet incident a affecté négativement ses conditions de travail à la SCO.

[99] Je qualifierais de la même façon les remarques formulées par le chef Swan lors de la fête de Noël de décembre 2003. Les remarques étaient fondées sur le sexe dans la mesure où elles faisaient allusion à la grossesse de Mme Keeper-Anderson. Cette dernière a dit qu'elle en avait été perturbée. Toutefois, tant Mme McCorrister que le chef Swan ont affirmé dans leur témoignage que Mme Keeper-Anderson ne leur avait jamais dit que les commentaires du chef l'avaient offensée.

[100] Encore une fois, il s'agit d'un incident unique. Il s'est produit plus d'un an après l'incident du farceur. Le chef Swan a témoigné qu'elle n'a pas ciblé personnellement Mme Keeper-Anderson. Il est très difficile de conclure que cet incident a eu pour effet d'empoisonner le milieu de travail de Mme Keeper-Anderson.

[101] Pour ce qui est de la réunion d'octobre 2003, Mme Keeper-Anderson n'y était pas. Elle n'a pas précisé comment elle avait appris que le chef Swan voulait la congédier parce qu'elle était enceinte. La seule preuve est que M. Wuttke lui aurait expliqué que le chef Swan lui avait dit de la congédier, mais qu'il avait refusé parce qu'il n'avait pas de raison de le faire. Mme Keeper-Anderson n'a pas été congédiée. Elle a continué à travailler à la SCO.

[102] Finalement, il y a l'allégation voulant que M. Assiniboine lui ait demandé plusieurs fois, en janvier et en février 2004, quand elle allait prendre son congé de maternité. Selon le témoignage de M. Assiniboine, il occupait le poste d'intervenant en matière de santé à la SCO; il témoignait donc d'un intérêt sincère dans le bien-être de Mme Keeper-Anderson. En tant que directeur exécutif par intérim, il aurait à savoir quand Mme Keeper-Anderson comptait prendre son congé de maternité et agir en conséquence pour que le projet puisse se poursuivre. Je ne vois pas comment ces questions peuvent être qualifiées de harcèlement fondé sur le sexe.

[103] À titre d'observation finale, j'ajoute que ces incidents n'étaient pas liés, étaient isolés et se sont produits sur une période allant de septembre 2002 à janvier 2004. Ils n'étaient certainement pas persistants.

[104] Je conclus qu'une personne raisonnable ne considérerait pas, dans ces circonstances, que ces incidents sont suffisamment sérieux ou répétitifs pour empoisonner le milieu de travail de Mme Keeper-Anderson. Cette dernière n'a donc pas établi qu'il y a eu violation de l'article 14 de la LCDP.

[105] Mme Keeper-Anderson a fait mention de la conversation téléphonique qu'elle a eue avec M. Assiniboine le 12 février 2004. Elle prétend que M. Assiniboine lui a dit qu'elle n'avait pas reçu son chèque de paye parce qu'elle avait été placée en période de probation en décembre 2002.

[106] Il n'apparaît pas clairement si Mme Keeper-Anderson allègue qu'il y a eu harcèlement ou différence de traitement. À mon avis, compte tenu des faits, il ne s'agit ni de l'un ni de l'autre. J'accepte le témoignage de M. Assiniboine selon lequel la raison pour laquelle Mme Keeper-Anderson n'a pas été payée ce jour-là était que la SCO n'avait pas les fonds pour le faire.

[107] D'autres membres du personnel de la SCO, dont le chef Swan, Mme McCorrister et M. Assiniboine, n'ont pas été payés. Mme Keeper-Anderson n'a pas été ciblée personnellement à cette occasion. En plus, elle a été payée deux jours plus tard, comme les autres.

B. La fin de son emploi - l'article 7 de la LCDP

[108] En ce qui a trait à la fin de son emploi, Mme Keeper-Anderson a établi à première vue qu'il y a eu discrimination au sens de l'alinéa 7a) de la LCDP. N'eût été de sa grossesse et de sa maladie liée à sa grossesse, elle ne se serait pas absentée du travail; n'eût été de son absence au travail, la SCO n'aurait pas été d'avis qu'elle avait abandonné son poste. La conclusion de l'abandon a mené au refus de continuer à l'employer.

[109] Il incombe maintenant à la SCO de fournir une explication raisonnable et non discriminatoire de sa conduite. La SCO a d'abord prétendu que Mme Keeper-Anderson avait abandonné son emploi. Cependant, cette position est devenue indéfendable le 29 mars 2004 quand Mme Keeper-Anderson a téléphoné pour dire sans équivoque qu'elle n'avait pas démissionné de son poste et qu'elle prévoyait retourner au travail.

[110] C'est à ce moment qu'a eu lieu le véritable refus de continuer à l'employer. À ce moment, la position de la SCO était basée non pas sur une théorie d'abandon, mais apparemment sur l'omission précédente de Mme Keeper-Anderson d'avertir à l'avance de son absence du travail et d'en obtenir l'autorisation préalable. En outre, il semblerait que le refus était également fondé sur l'écoulement du temps, soit un laps de deux mois.

[111] À la lumière de la conversation du 29 mars 2004, était-il raisonnable d'invoquer le manquement préalable de Mme Keeper-Anderson à la politique sur les congés pour ne plus l'employer? Je ne le crois pas, pour les motifs suivants :

  1. au moment où la SCO a refusé de revenir sur sa décision, elle savait quelle était la véritable intention de Mme Keeper-Anderson, c'est-à-dire retourner au travail après son congé lié à sa grossesse;
  2. pendant un temps assez long avant le 29 mars 2004, la SCO savait que Mme Keeper-Anderson était enceinte et demanderait un congé de maternité bientôt.

[112] La SCO n'a pas tenté d'établir que le respect en temps opportun des politiques sur les congés constituait une exigence professionnelle justifiée. Par conséquent, la seule façon possible de réfuter la preuve prima facie était de démontrer que le refus d'employer n'était pas lié à la grossesse de Mme Keeper-Anderson. La SCO a été incapable de le faire.

[113] À partir du 29 mars 2004, la position de l'intimée revenait à refuser d'accorder rétroactivement à la plaignante le congé lié à la naissance de son enfant. Encore une fois, bien que ce refus puisse être entièrement justifié en invoquant l'exigence professionnelle justifiée, étant donné le temps écoulé et la possibilité que quelqu'un ait pu être déjà embauché, une telle justification n'a pas été offerte en l'espèce.

[114] En outre, la SCO n'a pas tenté de justifier son acte en affirmant que les moyens quelque peu subreptices utilisés par Mme Keeper-Anderson pour obtenir un relevé sans passer par les voies appropriées révélaient un manque d'honnêteté incompatible avec le maintien de la relation d'emploi.

[115] Il reste le fait que la SCO, lorsqu'elle a refusé de revenir sur sa conclusion d'abandon, l'a fait en connaissant parfaitement les raisons de l'absence de la plaignante, soit sa grossesse, ainsi que son intention de retourner au travail dès que possible. Dans ces circonstances, le refus de continuer à l'employer était fondé, du moins en partie, sur le motif de distinction illicite qu'est le sexe. Par conséquent, cet aspect de la plainte est fondé.

IV. LES MESURES DE REDRESSEMENT

[116] Mme Keeper-Anderson a demandé que le Tribunal lui accorde ce qui suit :

  1. une indemnité pour pertes de salaire pour la période entre mai 2005 et mai 2007, soit 90 000 $ à raison de 45 000 $ par année;
  2. une indemnité pour avantages perdus de 5 000 $;
  3. 5 000 $ pour préjudice moral;
  4. 15 000 $ d'indemnité pour l'acte délibéré et inconsidéré de la SCO;
  5. les frais engagés par la vente de sa maison;
  6. les frais juridiques;
  7. les intérêts sur les montants ci-dessus.

[117] Avant que je puisse décider de la somme que Mme Keeper-Anderson doit recevoir à titre de mesure de redressement, je dois connaître toutes les sources de revenus de Mme Keeper-Anderson ainsi que le montant de ces revenus de mai 2005 à mai 2007, et je dois établir si elle est tenue de rembourser l'assurance-emploi pour certaines prestations ou tout autre organisme gouvernemental pour des prestations d'aide au revenu qu'elle aurait touchées pendant cette période.

[118] Mme Keeper-Anderson doit également produire toute facture montrant les frais juridiques engagés dans le cadre de sa plainte.

[119] Mme Keeper-Anderson doit fournir au Tribunal et à l'avocat de la SCO ces renseignements d'ici le 15 juillet 2008. Entre-temps, je presse les parties d'essayer de s'entendre sur une indemnité à verser à Mme Keeper-Anderson.

[120] Je demeure saisi de la présente plainte jusqu'à ce que la question du redressement soit finalisée.

J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
Le 20 juin 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1167/4906

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Loretta Keeper-Anderson c. Southern Chiefs Organization Inc.

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 4, 5 et 6 juin 2007

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 20 juin 2008

ONT COMPARU :

Loretta Keeper-Anderson

Pour elle-même

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Harold Cochrane/Voula Kotoulas

Pour l'intimé

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