Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

NANETTE HUNT

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TRANSPORT ONE LTD.

l'intimée

DÉCISION

2008 TCDP 23
2008/06/10

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] Nanette Hunt a déposé une plainte contre son ancien employeur, Transport One Ltd., dans laquelle elle allègue avoir été harcelée sexuellement par Harry Wadhwa, le directeur général de Transport One Ltd., et par Wayne Dibbley, un répartiteur chez Transport One Ltd.

[2] Personne n'a comparu à l'audience au nom de l'intimée, Transport One Ltd. En outre, l'intimée n'a pas participé aux conférences préparatoires qui ont eu lieu avant l'audience. Le Tribunal a envoyé de nombreuses lettres par messager et par la poste à deux adresses à Windsor, en Ontario, informant M. Wadhwa de la tenue des conférences préparatoires et de l'audience dans la présente affaire.

[3] Malgré les efforts du Tribunal visant à inviter un représentant de l'intimée à participer à la conférence de gestion d'instance et à l'instruction, l'intimée a choisi de ne pas répondre au Tribunal, de ne pas se présenter aux conférences de gestion d'instance et de ne pas comparaître à l'audience.

[4] Le paragraphe 9(8) des Règles de procédure du Tribunal autorise le Tribunal à procéder à l'audition d'une plainte même si une partie ne se présente pas devant lui, s'il est persuadé que ladite partie a été dûment avisée de la tenue de l'audience. Bien que les Règles ne puissent accroître le pouvoir conféré au Tribunal par la loi, elles servent bel et bien d'avertissement aux parties quant aux mesures que peut prendre le Tribunal dans le cadre de l'instruction d'une plainte.

[5] Le Tribunal a été convaincu que l'intimée a été dûment avisée de la tenue de l'audience et, par conséquent, qu'il était équitable de tenir l'audience en l'absence de l'intimée.

[6] À l'audience, Mme Hunt a témoigné au sujet des incidents qui ont mené au dépôt de sa plainte le 19 septembre 2005. Bien qu'elle n'ait pas été contre-interrogée puisque l'intimée n'a pas comparu à l'audience, j'ai trouvé le témoignage de Mme Hunt direct, sincère et cohérent; j'ai trouvé qu'elle était un témoin crédible. Il n'y a pas eu d'autres témoins.

[7] La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas participé à l'audience.

[8] Mme Hunt a témoigné que, le 14 juillet 2005, elle a été embauchée par M. Harry Wadhwa en tant que directrice de bureau pour une nouvelle entreprise de courtage dans le domaine du transport du nom de Transport One Ltd., située à Windsor, en Ontario. Mme Hunt a commencé à travailler le 25 juillet 2005. Au début, les seules personnes qui travaillaient chez Transport One Ltd. étaient Mme Hunt et M. Wadhwa. Cependant, peu après son embauche, M. Wadhwa a engagé M. Wayne Dibbley en tant que répartiteur. Par la suite, M. Wadhwa a embauché M. Mike Bronson à titre de directeur des ventes de Transport One Ltd.

[9] Mme Hunt, M. Wadhwa, M. Dibbley et, par la suite, M. Bronson, travaillaient tous dans une roulotte de 40 pieds. Le rapport juridique entre Harry Wadhwa et l'intimée Transport One Ltd. n'a pas été établi clairement. À l'audience, Mme Hunt a produit une preuve révélant que les parents de M. Wadhwa étaient propriétaires du terrain où était stationnée la roulotte. Mme Hunt était d'avis que M. Wadhwa partageait le titre de propriété de l'entreprise avec ses parents. Elle a affirmé que M. Wadhwa dirigeait les activités, et que ses parents ne participaient pas à l'exploitation quotidienne de l'entreprise. Compte tenu de cette preuve, je conclus que, à tout le moins, M. Wadhwa a agi à titre d'agent de l'entreprise intimée dans l'embauche d'employés et a dirigé les activités générales de Transport One Ltd.

[10] Le bureau de Mme Hunt était situé à l'extrémité est de la roulotte-bureau de Transport One Ltd. Son ordinateur était le seul qui avait un accès Internet. En conséquence, M. Wadhwa et M. Dibbley se penchaient souvent par-dessus son épaule pour voir l'écran ou demandaient à Mme Hunt de laisser sa chaise pour qu'ils puissent utiliser son ordinateur pour avoir accès à Internet.

[11] Le 18 août 2005, M. Dibbley et Mme Hunt travaillaient seuls dans la roulotte-bureau de Transport One Ltd. M. Dibbley a commencé à formuler des commentaires de nature sexuelle à propos de l'apparence physique de Mme Hunt, disant entre autres choses qu'elle était belle quand elle portait des jeans et qu'il aimait quand elle se penchait sur son bureau. Mme Hunt n'a pas réagi aux commentaires et a continué à faire son travail, en espérant que M. Dibbley s'arrête.

[12] Le 18 août, Mme Hunt portait un t-shirt sous un blouson. La fermeture éclair du blouson était baissée aux trois quarts. Après avoir formulé les commentaires cités ci-dessus, M. Dibbley s'est approché de Mme Hunt par derrière et a passé le bras autour d'elle. Il a saisi la fermeture éclair de son blouson et a commencé à la tirer vers le haut, ce faisant, il a frotté ses seins. Sur un ton fâché, Mme Hunt lui a demandé ce qu'il faisait. M. Dibbley lui a répondu que sa poitrine le [traduction] dérangeait. Il s'est ensuite dirigé vers la porte de la roulotte, l'a ouverte et s'est tenu dans le cadre en dévisageant Mme Hunt. M. Dibbley a dit à Mme Hunt qu'il avait besoin d'air frais [traduction] pour calmer ce qui se passait dans son pantalon. Après, il a quitté la roulotte quelques minutes.

[13] Quand il est revenu dans la roulotte plus tard ce même matin du 18 août 2005, M. Dibbley s'est encore approché de Mme Hunt et lui a dit d'ouvrir sa fermeture éclair en disant que [traduction] la vue était plus belle comme ça. Il a continué à fixer sa poitrine du regard et à passer des remarques à caractère sexuel. Mme Hunt a affirmé dans son témoignage qu'elle était visiblement bouleversée; elle pleurait et elle faisait la tête. Elle a affirmé qu'elle se sentait malade et sur le point de vomir au travail. Elle était outrée de la conduite de M. Dibbley.

[14] Dans l'après-midi du 18 août, M. Wadhwa a téléphoné à Mme Hunt au bureau et lui a demandé de se rendre en voiture jusque chez lui et de l'amener au travail. Mme Hunt a obtempéré à cette demande. Elle a affirmé que, à son retour au bureau avec M. Wadhwa, elle était encore très bouleversée des incidents du matin; elle pleurait et elle faisait la tête. À un certain moment au cours de l'après-midi du 18 août, Mme Hunt est sortie de la roulotte parce qu'elle était dans tous ses états. Pendant qu'elle se tenait à l'extérieur de la roulotte et qu'elle pleurait, M. Wadhwa s'est approché d'elle. Il lui a passé le bras autour des épaules et a dit à Mme Hunt que [traduction] tout ce dont elle avait besoin, c'était d'un homme bon pour lui faire sa fête.

[15] Mme Hunt n'a pas parlé dans son témoignage de sa réaction à l'étreinte et aux commentaires de M. Wadhwa. Elle n'était pas représentée à l'audience et, parfois, il était clair qu'elle éprouvait de la difficulté à raconter au Tribunal, sans aide, ce qui s'était passé. Également, à mon avis, il était apparent que Mme Hunt ne croyait pas qu'elle devait donner tous les détails de l'incident parce qu'ils figuraient au formulaire de plainte qu'elle avait soumis à la Commission.

[16] Dans sa plainte, Mme Hunt a affirmé avoir répondu à la suggestion de M. Wadhwa voulant que [traduction] tout ce dont elle avait besoin, c'était d'un homme bon pour lui faire sa fête en lui demandant s'il en connaissait un (un [traduction] homme bon). Il a répondu [traduction] plein, en se pointant du doigt pendant qu'il disait ces mots. Mme Hunt a déclaré dans sa plainte que, à ce moment, elle lui a tourné le dos et est retournée dans le bureau, a pris ses clés et est partie.

[17] J'accepte que les renseignements contenus dans la plainte de Mme Hunt sont suffisamment fiables pour combler les lacunes de son témoignage au sujet de sa réponse à M. Wadhwa. Bien que Mme Hunt n'ait pas demandé à ce que sa plainte soit introduite en preuve, le Tribunal a le droit, en vertu de l'alinéa 58(3)c) de la Loi, de recevoir des renseignements par le moyen qu'il estime indiqué, même si ces renseignements ne seraient pas admissibles devant un tribunal judiciaire. Le formulaire de plainte est signé par Mme Hunt et daté du 19 septembre 2005, peu après que les incidents se sont produits. Les renseignements dans la plainte ont donc été consignés alors qu'ils étaient encore frais à la mémoire de Mme Hunt. Pour ces motifs, j'ai accepté les renseignements qui y sont inscrits à propos de cet incident en particulier.

[18] Mme Hunt a témoigné que, le 19 août 2005, elle s'est encore trouvée à travailler seule avec M. Dibbley. Elle a déclaré que M. Dibbley n'arrêtait pas de venir à son bureau pour lui demander de bouger, tout en la frôlant ou en essayant de prendre un objet en passant son bras autour d'elle. Ce matin-là, M. Wadhwa a encore téléphoné à Mme Hunt pour lui demander de venir le chercher pour l'amener au travail. Quand Mme Hunt a tenté de sortir de la roulotte pour aller chercher M. Wadhwa, M. Dibbley lui a bloqué le chemin vers la porte avec son bras. Elle a tenté de le contourner plusieurs fois, mais il ne l'a pas laissée passer. Mme Hunt a ensuite usé de plus de force pour contourner M. Dibbley, mais M. Dibbley en a profité pour lui caresser les seins et le ventre. Mme Hunt était très bouleversée par cet incident.

[19] Une fois qu'elle eut pris M. Wadhwa chez lui, Mme Hunt lui a raconté ce qui s'était passé et à quel point elle en était bouleversée. M. Wadhwa lui a répondu : [traduction] Tout va s'arranger.

[20] À son arrivée au travail le 22 août 2005, Mme Hunt a appris que M. Dibbley avait été assigné à du travail de répartition en après-midi. Cela voulait dire qu'elle verrait moins M. Dibbley dans un avenir assez rapproché. Cependant, elle s'inquiétait encore de ce qui pouvait se produire avec M. Wadhwa.

[21] Le 24 août 2005, Mme Hunt a dit à M. Bronson, aujourd'hui directeur général, à quel point elle était perturbée du traitement qu'on lui réservait et qu'elle allait se chercher un nouvel emploi. M. Bronson l'a encouragée à rester chez Transport One Ltd., en affirmant que les choses allaient s'arranger. Il ne lui a pas expliqué ce qu'il voulait dire par là. Mme Hunt a décidé de mettre fin à son emploi chez Transport One Ltd. plus tard ce jour-là, quand M. Wadhwa l'a traitée de [traduction] putain d'idiote parce qu'elle n'arrivait pas à trouver un papillon adhésif qu'elle avait placé sur son ordinateur.

[22] Comme je l'ai mentionné, l'intimée n'a pas comparu à l'audience et, par conséquent, n'a pas répondu à la version des événements présentée par Mme Hunt au sujet de ses cinq semaines d'emploi chez Transport One Ltd.

Le harcèlement sexuel

[23] L'alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d'emploi. Aux termes du paragraphe 14(2), le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

[24] Le harcèlement sexuel a été défini comme une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail (Janzen c. Platy Enterprises, [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284). Afin de déterminer si la conduite est importune, le tribunal tient compte de la réaction de la plaignante au moment où l'événement en question s'est produit et détermine si celle-ci a expressément démontré, par son comportement, que la conduite était importune. Un refus verbal n'a pas à être exprimé dans tous les cas (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Franke, [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.), au paragraphe 36). Néanmoins, la plaignante doit établir, par exemple au moyen de son langage corporel ou en omettant à maintes reprises de répondre aux commentaires suggestifs, qu'elle a de quelque façon signalé à l'auteur du harcèlement que sa conduite était importune. La réaction à des avances sexuelles peut se traduire par un refus net ou de l'indignation ou encore par un silence de pierre ou une dérobade. Les deux réactions témoignent d'une conduite non sollicitée ou importune (Miller c. Sam's Pizza House, [1995] N.S.H.R.B.I.D. no 2 (Q.L.).

[25] Le deuxième élément de la définition exige que la conduite soit de nature sexuelle. Les tribunaux des droits de la personne ont reconnu une vaste gamme de conduites qui peuvent être visées par la définition du harcèlement sexuel, selon les circonstances, y compris les insultes d'ordre sexuel, les remarques sexistes, les commentaires concernant l'apparence d'une personne, sa tenue vestimentaire ou ses habitudes sexuelles (Franke, au paragraphe 37).

[26] Finalement, l'équité exige que l'employé avise, si possible, l'employeur de la présumée conduite offensante (Franke, au paragraphe 47).

[27] Le harcèlement exige généralement la présence d'un élément de persistance ou de répétition, même si dans certaines circonstances un seul incident suffit peut-être pour créer un milieu de travail hostile. Certaines formes de harcèlement sexuel, comme les agressions sexuelles, peuvent être suffisamment graves pour constituer en tant que telles du harcèlement sexuel même s'il n'y a qu'un seul incident. À cause de leur gravité, pareils incidents créeraient immédiatement un milieu de travail empoisonné. Plus la conduite est grave et ses conséquences manifestes, moins la répétition sera exigée; à l'inverse, moins la conduite est grave et ses conséquences manifestes, plus la persistance devra être démontrée (Franke, aux paragraphes 43 à 45).

[28] Par exemple, dans Goodwin c. Birkett, il n'y a eu qu'un incident à caractère sexuel, mais il y avait eu contact physique (Goodwin c. Birkett, 2004 TCDP 29, au paragraphe 22; conf. par 2007 CF 428). La plaignante s'est réveillée à 3 h pour trouver l'intimé dans son lit d'hôtel qui la caressait de manière inappropriée. Elle lui a dit d'arrêter et il a quitté la pièce. Le Tribunal a conclu que cet incident était suffisamment sérieux pour empoisonner le milieu de travail. Par conséquent, il constituait du harcèlement sexuel.

[29] En l'espèce, le témoignage de Mme Hunt décrivant la conduite de M. Dibbley répond aux critères du harcèlement sexuel. À deux reprises, il y a eu contact physique de nature sexuelle : tirer vers le bas la fermeture éclair du blouson de Mme Hunt et l'empêcher de sortir de la roulotte. Au cours des deux incidents, M. Dibbley a caressé les seins et le ventre de Mme Hunt. Lors du premier incident, il a formulé des remarques à caractère sexuel. Lors du second incident, M. Dibbley a tenté d'empêcher Mme Hunt de sortir de la roulotte afin de l'obliger à se soumettre à des attouchements sexuels. Cela lui a fait très peur.

[30] Mme Hunt a témoigné avoir laissé savoir à M. Dibbley que le contact sexuel était importun en lui demandant avec colère ce qu'il faisait lors du premier incident ainsi qu'en l'évitant, en pleurant et en refusant de lui parler. La conduite de M. Dibbley a bouleversé Mme Hunt; elle se sentait malade au travail et ses symptômes d'ulcère sont réapparus. Mme Hunt a avisé son employeur, M. Wadhwa, de ce qui s'était produit le 19 août 2005.

[31] Par conséquent, bien que M. Dibbley ne se soit mal conduit qu'en deux occasions, la nature très grave et physique de la conduite sexuelle et ses conséquences pour Mme Hunt suffisaient à créer un milieu de travail empoisonné.

[32] La proposition sexuelle grossière et l'étreinte de M. Wadhwa le 18 août 2005 constituent-elles du harcèlement sexuel? Selon le témoignage de Mme Hunt, M. Wadhwa a passé son bras autour d'elle alors qu'elle pleurait à l'extérieur de la roulotte et il lui a dit que tout ce dont elle avait [traduction] besoin, c'était d'un homme bon pour lui faire sa fête. Mme Hunt pleurait et était visiblement bouleversée avant que M. Wadhwa l'étreigne et lui fasse sa proposition. L'état de vulnérabilité émotive de Mme Hunt aurait représenté pour son employeur un premier indice révélant que ses avances, qui étaient clairement de nature sexuelle, ne seraient pas les bienvenues.

[33] Bien qu'il soit moins habituel d'analyser le comportement du plaignant avant l'incident en cause pour déterminer si l'attention était bienvenue ou non, j'estime qu'il convient de le faire lorsque, comme en l'espèce, le plaignant se trouve dans une relation de subordination en emploi par rapport au harceleur présumé et par conséquent peut ne pas être en position de faire clairement savoir sa réaction négative au comportement après qu'il a eu lieu. En outre, un examen de la conduite du plaignant tout juste avant l'incident en cause tient compte du fait qu'il incombe à ceux qui souhaitent faire des avances sexuelles à leur subordonné de s'assurer, avant de faire leurs avances, qu'elles seront probablement bienvenues.

[34] Plutôt que de s'informer de la source du désarroi de Mme Hunt quand elle se tenait à l'extérieur de la roulotte, M. Wadhwa a profité de sa vulnérabilité émotive et a fait une proposition sexuelle grossière. Compte tenu de l'autorité de M. Wadhwa sur Mme Hunt, ses avances sexuelles prenaient un caractère plus coercitif que s'il avait été un employé du même niveau que Mme Hunt. La remarque de M. Wadhwa a fait en sorte que Mme Hunt s'est sentie encore plus vulnérable au travail, puisque la personne même sur qui elle comptait pour redresser la situation avec M. Dibbley avait démontré qu'elle aussi cherchait à prendre avantage sexuellement de l'emploi de Mme Hunt chez Transport One Ltd.

[35] Après l'étreinte et la remarque au sujet du fait que Mme Hunt avait besoin d'un homme bon pour [traduction] lui faire sa fête, Mme Hunt a demandé à M. Wadhwa s'il connaissait un [traduction] homme bon. Elle lui a ensuite tourné le dos, est retournée dans la roulotte, a ramassé ses choses et est partie. Vue dans l'ensemble, cette suite d'actions indique que Mme Hunt ne voulait pas des avances sexuelles de M. Wadhwa.

[36] Je conclus que, bien qu'il n'y ait eu qu'un seul incident, la conduite de M. Wadhwa, la personne qui a embauché Mme Hunt, était suffisamment sérieuse et importune pour créer sans autre apport un milieu de travail hostile pour Mme Hunt. Par conséquent, cette conduite constitue du harcèlement sexuel.

La responsabilité de l'intimée pour le harcèlement sexuel

[37] Selon l'article 65 de la Loi, les actes commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie, sauf s'il établit que l'acte a eu lieu sans son consentement, qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets.

[38] Un employeur peut prendre un certain nombre de mesures pour éviter le harcèlement en milieu de travail : faire savoir aux employés nouvellement embauchés que le harcèlement ne sera pas toléré au travail; fournir des séances d'information sur le harcèlement aux employés, aux superviseurs et aux directeurs de l'entreprise; élaborer des politiques sur le harcèlement ainsi que des procédures d'enquête et les afficher dans un endroit public. Parmi les stratégies efficaces pour atténuer les effets du harcèlement, il y a : informer les individus concernés de la procédure qui sera suivie et des mesures qui seront prises pour mettre fin au présumé harcèlement; fournir des espaces de travail séparés pour le harceleur présumé et le plaignant; mener avec diligence et avec équité une enquête sur les plaintes de harcèlement; prendre les mesures disciplinaires appropriées contre les harceleurs et fournir aux victimes des renseignements sur les mesures disciplinaires qui ont été prises; offrir des services de soutien aux personnes impliquées. Il conviendra ou non de prendre certaines de ces mesures en fonction des circonstances de l'affaire.

[39] En l'espèce, rien ne prouve que Transport One Ltd. a pris une quelconque mesure pour prévenir le harcèlement sexuel. Aucune preuve ne montrait l'existence de politiques contre le harcèlement et de procédures d'enquête, de séances d'information pour les employés ou d'autres mesures préventives similaires.

[40] Selon le témoignage de Mme Hunt, certaines mesures ont été prises pour atténuer les effets du harcèlement de M. Dibbley sur Mme Hunt : le quart de travail de celui-ci a été changé pour celui de l'après-midi, ce qui diminuait le contact entre les deux employés. Cependant, Mme Hunt n'avait aucune garantie que les avances sexuelles importunes de M. Dibbley cesseraient de manière permanente, car il n'y avait eu aucune enquête ni aucune discussion sérieuse au sujet du problème avec M. Wadhwa. En outre, Mme Hunt n'a pas été informée que M. Dibbley avait été réprimandé ou qu'on lui avait dit que le harcèlement d'employés ne serait pas toléré. Finalement, rien n'a été fait en réaction au harcèlement sexuel de M. Wadhwa à l'endroit de Mme Hunt.

[41] M. Bronson, le directeur des ventes/directeur général de Transport One Ltd., a dit à Mme Hunt de ne pas démissionner le 24 août 2005. Il lui a dit que la situation s'améliorerait. Cependant, il n'y avait aucune indication quant au moment ou à la façon dont cette amélioration se ferait. En outre, M. Bronson n'a pas expliqué comment il serait en mesure de veiller à ce que la conduite de son supérieur, M. Wadhwa, ne se reproduise plus.

[42] Pour ces motifs, je conclus que Transport One Ltd. n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher le harcèlement sexuel à l'endroit de Mme Hunt et n'a pas tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets. Par conséquent, Transport One Ltd. est responsable, en vertu du paragraphe 65(1) de la Loi, des actes de M. Dibbley et de M. Wadhwa.

Les mesures de redressement appropriées

[43] Le Tribunal tire son pouvoir de prendre des mesures de redressement de l'article 53 de la Loi. Les mesures qui y sont prévues visent à mettre fin à l'acte discriminatoire, à prévenir la discrimination à l'avenir et à indemniser les victimes des actes discriminatoires passés ou actuels.

[44] Mme Hunt a affirmé dans son témoignage qu'elle croyait possible que l'entreprise Transport One Ltd. ne soit plus en activité. Elle croyait même que l'entreprise pût avoir fait faillite. Cependant, on ne m'a présenté aucune preuve révélant que Transport One Ltd. avait fait l'objet d'une procédure ou d'une ordonnance en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. En l'absence de tels renseignements, il demeure approprié pour le Tribunal d'exercer le pouvoir en matière d'indemnisation que lui confère l'article 53.

[45] Mme Hunt a demandé à titre de mesure de redressement que Transport One Ltd. soit tenue responsable de ce qui s'est produit et qu'elle prenne des mesures pour empêcher que d'autres personnes subissent le même harcèlement qu'elle a subi. Elle a demandé une indemnité d'un montant de 10 000 $ pour préjudice moral.

[46] Mme Hunt souffre d'un ulcère. Elle prend des médicaments pour soulager ses symptômes. Au cours des cinq semaines où elle a travaillé pour Transport One Ltd., ses symptômes d'ulcère sont réapparus. Elle avait constamment mal à l'estomac. Elle croit que le stress causé par les avances sexuelles importunes qu'elle a reçues de M. Dibbley et de M. Wadhwa était la cause de la réapparition des symptômes. Le médecin de Mme Hunt lui a prescrit un médicament plus fort pour traiter son ulcère.

[47] Bien qu'il soit clair que Mme Hunt ait subi un préjudice important en raison du harcèlement sexuel de M. Dibbley et de M. Wadhwa, je crois que d'autres facteurs dans le milieu de travail ont contribué aux souffrances physiques et émotionnelles, facteurs qui n'étaient pas liés à l'acte discriminatoire. Par exemple, Mme Hunt a affirmé dans son témoignage que le manque d'équipement de bureau et l'aspect concret du milieu de travail représentaient une source de frustration pour elle. Elle était également irritée du nombre de commissions personnelles que M. Wadhwa lui demandait de faire. Compte tenu du fait que le préjudice moral subi par Mme Hunt n'était pas entièrement attribuable à l'acte discriminatoire, j'estime qu'il convient d'accorder une indemnité de 6 000 $ dans les circonstances.

[48] Afin d'éviter que le harcèlement comme celui qu'a subi Mme Hunt se reproduise à l'avenir, il est nécessaire de rendre une ordonnance enjoignant à l'intimée de prendre certaines mesures. Au minimum, il faudrait fournir à toutes les personnes travaillant pour l'intimée des renseignements (que ce soit sous la forme de politiques et procédures, ou simplement d'une déclaration par un représentant de l'entreprise) lesquels expliquent en quoi consiste le harcèlement et que le harcèlement ne sera pas toléré et lesquels présentent les procédures qui seront suivies en cas de harcèlement. Il va sans dire que de tels renseignements ne préviennent efficacement le harcèlement que s'ils sont entièrement compris par toutes les personnes au travail. Dans ce but, des séances d'information ou des programmes de sensibilisation sont utiles pour transmettre aux employés, aux superviseurs et aux directeurs de l'entreprise les connaissances nécessaires pour que les politiques de prévention du harcèlement fonctionnent.

[49] Afin d'empêcher qu'un acte discriminatoire comme celui qu'a vécu Mme Hunt se reproduise à l'avenir, il convient de rendre l'ordonnance suivante, en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la Loi :

  1. Si l'intimée possède des lignes de conduite et des procédures concernant le harcèlement sexuel, elle doit fournir ces documents à la Commission canadienne des droits de la personne pour qu'elle les examine. Si l'intimée n'a pas élaboré de lignes de conduite ou de procédures portant sur la prévention et le traitement des plaintes de harcèlement sexuel, elle doit le faire en collaboration avec la Commission. Quand l'intimée aura la version définitive de ces documents, un exemplaire des lignes de conduite et procédures sera affiché de manière à ce que tous les employés y aient accès;
  2. L'intimée offrira, à ses frais, un programme pour les employés, les superviseurs et les directeurs de l'entreprise pour les sensibiliser à la question du harcèlement sexuel. Elle consultera la Commission canadienne des droits de la personne quant au contenu du programme et quant aux fournisseurs potentiels du programme.

[50] En outre, en vertu de l'alinéa 53(2)e), le Tribunal ordonne :

3. L'intimée versera 6 000 $ à Mme Hunt à titre d'indemnité pour le préjudice moral qu'elle a subi en raison de l'acte discriminatoire.

Signée par
Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)

Le 10 juin 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1191/0307

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Nanette Hunt c. Transport One Ltd.

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 28 avril 2008

Windsor (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 10 juin 2008

ONT COMPARU :

Nanette Hunt

Pour elle-même

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Aucune représentation

Pour l'intimée

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