Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D. T. 11/ 84 Décision rendue le 16 octobre 1984

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée

ET DANS L’AFFAIRE d’une audience tenue devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE: FRANK E. McCREARY Plaignant - ET GREYHOUND LINES OF CANADA LTD. ET EASTERN CANADIAN GREYHOUND LINES LTD. Mis en cause

DÉCISION DU TRIBUNAL

DEVANT: Robert W. Kerr

ONT COMPARU: George Hunter et David Aylen, pour le plaignant et la Commission canadienne des droits de la personne

François Lemieux et K. Scott McLean, pour les mis en cause

AUDIENCES TENUES A TORONTO ET OTTAWA, LES 11, 12 ET 13 AVRIL, 29 SEPTEMBRE, 12, 13 ET 14 OCTOBRE, 7, 8, 9, 12 ET 13 DÉCEMBRE 1983 ET LES 28, 29 ET 30 MAI, 20, 21, 22 ET 23 AOUT 1984.

> - 1 LES PARTIES

Les compagnies mises en cause sont la Greyhound Lines of Canada Ltd., compagnie de transport interurbain par autobus sous contrôle d’une entreprise américaine similaire, la Greyhound Lines, Inc., et la Eastern canadian Greyhound Lines Ltd., compagnie de transport interurbain par autobus appartenant, à part entière, à la Greyhound Lines of Canada Ltd. Cette dernière dessert essentiellement l’ouest du Canada et le nord de l’Ontario, tandis que la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd assure des services de transport surtout dans le sud- ouest de l’Ontario. Outre les services réguliers qu’ils dispensent dans leurs secteurs respectifs, les deux mis en

cause offrent un service de location d’autobus à destination de diverses localités d’Amérique du Nord. Le personnel de direction est le même pour les deux entreprises qui partagent également le même siège social situé à Calgary en Alberta.

Au printemps 1980, le plaignant a présenté, sans succès, une demande d’emploi comme conducteur d’autobus pour la Greyhound au Canada. A l’origine, la plainte a été déposée contre la Greyhound Lines of Canada Ltd. Toutefois, étant donné que le plaignant avait présenté sa demande d’emploi au bureau de Toronto responsable des opérations régionales, y compris du recrutement des conducteurs, de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., un avocat représentant cette compagnie a demandé que, par le truchement d’une modification de procédure, le nom de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. soit substitué à celui de la Greyhound Lines of Canada Ltd. comme mis en cause.

> - 2 L’avocat du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne (ci- après appelée la Commission) était peu disposé à donner son acquiescement à cet égard, surtout qu’à cette étape de la procédure on ne savait pas très bien quels liens unissaient les mis en cause dans toute cette affaire. L’avocat de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. a précisé qu’en soulevant la question de savoir qui était le véritable mis en cause, il n’avait pas du tout l’intention de remettre en question la compétence du tribunal. Après une brève discussion, l’avocat de la Commission a donc accepté qu’on modifie la procédure afin, non pas de substituer mais bien d’ajouter le nom de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. comme mis en cause, ce qui fut ordonné par le tribunal. Il était entendu que le tribunal déciderait, en se fondant sur la preuve, lequel des deux mis en cause serait visé, le cas échéant, par son ordonnance. L’avocat de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. a donc comparu au non de la Greyhound Lines of Canada Ltd.

Après cette modification, aucune des parties n’a soumis d’autres observations touchant la question de savoir si la Greyhound Lines of Canada Ltd. ou la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., ou les deux, devaient être tenues responsables, le cas échéant, de l’infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée. D’après la preuve, la décision qui a donné lieu à la plainte a été prise par le personnel de direction du siège social que partagent les deux entreprises à Calgary, et ce, conformément, aux politiques communes aux deux mis en cause.

> - 3 Bien que non conscient de la distinction existant entre les entreprises mises en cause, le plaignant a adressé sa demande d’emploi à l’entreprise Greyhound desservant le sud- ouest de l’Ontario. Par conséquent, s’il avait été engagé, il serait devenu un employé de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. Dans son témoignage, le plaignant a indiqué qu’après avoir présenté sa demande, il avait téléphoné aux bureaux de Calgary et de Toronto pour signaler qu’il était prêt à accepter un emploi dans l’ouest du Canada. Il serait alors devenu un employé de la Greyhound Lines of Canada Ltd. Toutefois, son geste semble avoir été motivé par l’unique désir d’accroître ses chances d’être engagé. En d’autres termes, on peut supposer qu’il aurait accepté d’aller travailler ailleurs à condition

qu’aucun emploi n’ait été disponible dans le sud- ouest de l’Ontario. Étant donné que la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. envisageait effectivement d’engager des conducteurs à cette époque, les mis en cause avaient le droit, selon moi, de considérer que la demande du plaignant ne s’adressait, qu’à cette seule compagnie, ce qu’ils ont fait en l’occurrence, semble- t- il. J’en conclus que c’est la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. qui a en réalité rejeté la demande d’emploi du plaignant.

D’autre part, il est également évident que le refus de cette candidature a été inspiré par les politiques de la Greyhound Lines Inc. des États- Unis, lesquelles sont transmises à la Greyhound Lines of Canada Ltd. et, de là, aux autres entreprises Greyhound implantées au Canada, notamment la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. Qui plus est, la Greyhound Lines of Canada Ltd. applique ces politiques en collaboration avec les

> - 4 autres entreprises du réseau, y compris la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. On peut donc soutenir que la Greyhound Lines of Canada Ltd. est responsable, conjointement avec sa filiale la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., de toute pratique discriminatoire pouvant découler de la mise en oeuvre de ces politiques. D’autre part, aucune disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne traite de la question de la responsabilité conjointe.

En dernière analyse, cette question n’a peut- être aucune importance car il est probable que la Greyhound Lines of Canada Ltd. tiendra compte de toute décision concernant la mise en oeuvre, par la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., des politiques communes aux deux entreprises. Cela explique peut- être pourquoi les parties n’ont pas débattu plus longtemps ce point. A la lumière de ce qui précède, je n’ai pas l’intention de me pencher davantage sur la question de savoir si la Greyhound Lines of Canada Ltd. est bel et bien partie aux présentes instances en ce qui a trait à la détermination du bien- fondé de la plainte. Il faudra, bien sûr, tenir compte du rôle respectif des deux entreprises advenant qu’une ordonnance doive être rendue contre l’une ou l’autre ou les deux, mais il est encore trop tôt pour aborder cette question.

Étant donné l’unicité de direction et de contrôle des deux entreprises, il est souvent impossible de faire la distinction entre les actions de l’une et celles de l’autre. Pour cette même raison, la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., en sa qualité de personne morale ayant eu affaire au

> - 5 plaignant, doit être tenue responsable des mesures prises par les employés de l’une ou l’autre entreprise relativement à la demande d’emploi du plaignant. En autre, en supposant, sans trancher la question, que la Greyhound Lines of Canada Ltd. puisse être tenue responsable conjointement avec la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. en raison du contrôle qu’elle exerce sur les politiques d’emploi en question, le degré d’unicité de direction et de contrôle déterminerait de la même façon sa responsabilité en ce qui a trait aux actions des employés de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. dans le cas qui nous intéresse. Pour toutes ces raisons, je n’ai pas l’intention de tenter d’établir une distinction entre les mis en cause au cours de l’étude

du bien- fondé de la plainte. Au besoin, je reviendrai sur la question d’une éventuelle responsabilité conjoints au moment d’accorder, s’il y a lieu, des dommages- intérêts.

LA DEMANDE D’EMPLOI

Au moment où il a présenté sa demande d’emploi, le plaignant travaillait depuis six ans comme conducteur pour la Toronto Transit Commission (commission de transport de Toronto). Il avait déjà conduit les divers types de tramways ou d’autobus intra- muros de la TTC. En 1979, il avait travaillé pendant l’été pour la Grey Coach Ltd., filiale à part entière de la TTC, qui exploite un réseau d’autobus interurbains et d’autobus de location. La Grey Coach avait conclu avec la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. une entente de mise en commun des services, en vertu de laquelle les employés de la Grey Coach conduisaient, sur les parcours de cette

> - 6 compagnie, les autobus Greyhound au vice versa, afin d’éviter aux passagers de devoir changer d’autobus lorsque les trajets des deux entreprises communiquaient entre eux. Le plaignant était ainsi en contact avec des conducteurs de la Greyhound, dont il conduisait parfois les autobus. Cela semble d’ailleurs avoir influé sur sa décision de postuler un emploi de conducteur d’autobus pour la Greyhound.

La demande d’emploi du plaignant a suivi la filière qu’empruntent toutes les autres demandes du même type adressées aux mis en cause. Lorsque le plaignant est entré en communication avec le bureau de Toronto, à la fin de 1979, on l’a avisé qu’il n’y avait d’embauchage qu’une fois par année et qu’on communiquerait avec lui au moment propice s’il voulait bien laisser son nom, son adresse et son numéro de téléphone, ce qu’il fit. En février 1980, le bureau de Toronto l’a appelé pour limiter à une entrevue avec M. Tony Lind, directeur de district.

Au cours de l’entrevue, le plaignant a été mis au courant des exigences des mis en cause et de la nature du travail, et il a dû répondre à des questions concernant sa compétence. On lui a demandé de s’adresser à l’un des médecins désignés par les mis en cause, pour subir un examen médical à ses frais, de fournir une photographie et le rapport du ministère des Transports de l’Ontario concernant son dossier de conducteur, et de remplir une demande d’emploi. A la suite de cette entrevue, M. Lind a établi, à la main, un formulaire d’entrevue que sa secrétaire, Mme Wanda Borg, a plus tard dactylographié. Le plaignant a subi l’examen médical et réuni la

> - 7 documentation requise à la fin de mars 1980. Cette documentation, accompagnée de la version dactylographiée du formulaire d’entrevue, a alors été adressée au siège social de Calgary.

Il existe une différence majeure entre le formulaire d’entrevue rempli à la main par M. Lind et la version dactylographiée envoyée au siège social. M. Lind a en effet signalé sur son formulaire que le plaignant avait deux ans de trop, mention qui ne figure pas sur la version dactylographiée. Les seuls autres éléments pertinents dans la documentation sont la date de naissance du plaignant (1942) et le fait que, même si le rapport médical le

déclare apte au travail, il y est précisé que son acuité visuelle binoculaire non corrigée est de 20/ 200 et, corrigée de 20/ 30 pour l’oeil droit et de 20/ 20 pour le gauche.

Par la suite, le siège social a avisé le bureau de Toronto que le plaignant ne pouvait être engagé en raison de son âge et de sa vue. C’est Mme Borg qui a transmis le message par téléphone à l’intéressé.

En se fondant sur cette conversation avec Mme Borg et sur les renseignements obtenus du médecin examinateur, le plaignant en est venu à la conclusion que son manque d’acuité visuelle ne constituait pas un problème sérieux par rapport à sa demande d’emploi. Il a par la suite déposé la plainte qui a donné lieu à la présente instance, plainte alléguant infraction aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sous forme d’acte discriminatoire fondé sur l’âge.

> - 8 LES POLITIQUES DES MIS EN CAUSE

Il est incontestable que les mis en cause ont pour politique de refuser d’engager des personnes de plus de 35 ans comme conducteurs d’autobus. Depuis plusieurs décennies, les entreprises Greyhound, tant au Canada qu’aux États- Unis, n’ont pas vraiment dérogé à cette politique.

Les témoins des mis en cause ont également déclaré qu’ils avaient pour politique de n’engager personne dont l’acuité visuelle non corrigée est inférieure à 20/ 60. L’existence de cette politique n’est toutefois pas aussi clairement établie. Les documents distribués aux bureaux de district des mis en cause concernant la compétence des conducteurs, de même qu’aux médecins qui examinent les candidats, font généralement état d’exigences minimales relatives à la vue en des termes qui laissent croire qu’il est possible d’y satisfaire avec ou sans verres correcteurs. D’après les dossiers établis par les mis en cause au sujet des autres conducteurs engagés à l’époque où la demande du plaignant a été rejetée, l’acuité visuelle non corrigée de ces derniers correspondait, semble- t- il, à celle du plaignant une fois corrigée. Par conséquent, si, dans le cadre de la politique des mis en cause, il importe peu que la vue soit corrigée, il est permis de douter du fait que le manque d’acuité visuelle ait motivé le rejet de la candidature du plaignant. Par ailleurs, les témoins des mis en cause ont affirmé qu’il s’agissait d’une politique non écrite, produisant même un document destiné à confirmer le fait qu’elle avait déjà été consignée.

> - 9 S’il n’est pas du tout évident, à en croire la preuve, que les mis en cause appliquent de façon uniforme une exigence minimale absolue en ce qui a trait à la vue non corrigée des candidats aux postes de conducteur, il y a tout lieu de croire qu’ils l’ont fait dans le cas du plaignant. Le manque d’acuité visuelle figure parmi les raisons mentionnées sur la liste de base des candidats pour expliquer le rejet de la candidature du plaignant. M. Lind a d’ailleurs témoigné qu’on l’avait informé qu’il s’agissait là d’une des raisons. Mme Borg en a également fait état dans le compte rendu de l’appel téléphonique adressé au plaignant pour l’informer de la décision. Pour sa part, le plaignant a admis avoir été mis au courant du fait que sa demande avait été rejetée en raison, notamment, de son manque d’acuité

visuelle. La question de l’uniformité d’application de la politique des mis en cause relative à l’acuité visuelle influerait certes sur l’ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre eux, mais elle n’a aucune importance quant à l’établissement du bien- fondé de la plainte. De toute évidence, l’âge a constitué un facteur au moins tout aussi important que l’acuité visuelle dans la décision de ne pas engager le plaignant. Il est maintenant établi que pour constituer une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, il suffit qu’un acte discriminatoire soit l’une des raisons immédiates du traitement infligé au plaignant, et ce, même si d’autres facteurs entrent également en ligne de compte: Carson et al. v. Air Canada (1983), 5 C. H. R. R. D/ 1857 (tribunal

> - 10 d’appel), D/ 1864. On ne peut pas vraiment contester le fait que la considération fondée sur l’âge ait été l’uni des raisons limites de la décision de ne pas engager le plaignant. Si une telle considération constitue une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’infraction n’en est pas moins grave du fait que d’autres facteurs ont également influé sur la décision.

Par contre, bien que la discrimination fondée sur le handicap physique constitue également une infraction à la Loi, aucune plainte n’a été déposée à cet égard. C’est pourquoi le fait que les exigences relatives à l’acuité visuelle aient également joué un rôle dans la prise de décision n’infirme ni ne confirme le bien- fondé de la plainte.

LE DROIT RELATIF A LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR L’AGE

Le droit relatif à la discrimination fondée sur l’âge a été étudié en détail dans les décisions rendues récemment dans l’affaire Carson et al v. Air Canada par le tribunal des droits de la personne (1982), 3 C. H. R. R. D/ 818 et le tribunal d’appel (1983), 5 C. H. R. R. D/ 1857. Il vaut mieux, semble- t- il, que je me contente de résumer ici la plupart des principes invoqués.

Les dispositions statutaires relatives au bien- fondé de la présente plainte sont le paragraphe 3( 1), les articles 7 et 10 et l’alinéa 14( a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui se lisent comme suit:

> - 11 3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, au b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,

directement ou indirectement, pour un motif de distinction

illicite. 10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel

> - 12 pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi au d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

C’est au plaignant qu’il incombe d’abord d’établir, par prépondérance de la preuve, qu’un acte discriminatoire a été commis au sens des articles 7 au 10, au des deux; Carson et al. v. Air Canada (1983), 5 C. H. R. R. D/ 1857 (tribunal d’appel), à D/ 1863. La disparité de traitement fondée directement sur un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire: Re C. N. R. and Canadian Human Rights Commission (1983), 147 D. L. R. (3d) 312 (Cour d’appel fédérale), p. 315 et 333; Carson et al. v. Air Canada, D/ 1864. De même, la disparité de traitement liée à un motif de distinction illicite comme résultat indirect d’une disparité fondée sur un motif de distinction non illicite constitue un acte discriminatoire si elle est inspirée par le désir d’établir une distinction illicite: Re C. N. R. and Canadian Human Rights Commission, pages 315 et 333. Quant à savoir si la disparité de traitement découlant

> - 13 indirectement d’une disparité fondée sur un motif de distinction non illicite constitue un acte discriminatoire lorsqu’elle n’est pas inspirée par le désir d’établir une distinction illicite, la Cour supérieure du Canada étudie actuellement la question dans le cadre d’un appel interjeté de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Re C. N. R. and Canadian Human Rights Commission, à la page 312n. La Cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas de discrimination dans ce dernier cas.

Aux termes du paragraphe 3( 1) de la Loi, l’âge est l’un des motifs de distinction illicite. Il a déjà été signalé que s’il existe plus d’une raison motivant la disparité de traitement, le fait que l’une des raisons immédiates soit un acte discriminatoire constitue une infraction à la Loi: Carson et al. v. Air Canada, D/ 1864.

Le mis en cause qui s’est livré à un acte considéré comme discriminatoire au regard des principes susmentionnés peut être en mesure de justifier son geste en invoquant une ou plusieurs des exceptions, prévues par

la Loi, qui font que tel ou tel acte n’est pas discriminatoire. Plusieurs de ces exceptions s’appliquent dans le cas de la discrimination fondée sur l’âge, mais la seule d’entre elles qui soit pertinente en l’occurence est celle de l’alinéa 14a), qui prévoit qu’en matière d’emploi, la disparité de traitement fondée sur quel que motif que ce soit est acceptable si elle découle d’une exigence professionnelle justifiée. C’est à l’employeur qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance de la preuve l’existence de cette

> - 14 exigence: Loi canadienne sur les droits de la personne, alinéa 14a), Carson et al. v. Air Canada (1982), 3 C. H. R. R. D/ 818 aux pp. D/ 828 et 829; (1983), 5 C. H. R. R. D/ 1857 (tribunal d’appel), à la p. D/ 1858. Interprétant un passage analogue de la législation ontarienne, le Juge McIntyre de la Cour suprême du Canada a défini comme suit l’exigence professionnelle normale dans l’affaire La Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d’Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14, aux pages 19 et 20:

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en autre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général.

> - 15 Faisant allusion à des cas semblables à celui qui nous intéresse et où l’employeur prétend qu’une exigence professionnelle est fondée sur des considérations de sécurité, le juge McIntyre déclare également ce qui suit aux pages 20 et 21.

Dans un métier où, (comme dans le cas des pompiers), l’employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l’existence d’une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l’âge de la retraite obligatoire présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l’intérêt de l’employé, de ses compagnons de travail et du public en général.

Voilà le critère retenu pour déterminer s’il y a exigence professionnelle justifiée aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne: Re C. N. R. and Canadian Human Rights Commission (1983), 141 D. L. R. (3d), 312 (Cour d’appel fédérale), pages 318- 319; Carson et al. v. Air Canada (1983), 5 C. H. R. R. D/ 1857 (Tribunal d’appel), à la p. D/ 1874.

>-

- 16 Par conséquent, une exigence professionnelle justifiée comporte deux aspects dont l’employeur doit tenir compte. Le premier est subjectif. L’employeur doit être sincèrement persuadé que l’exigence en question est liée à l’emploi et non se contenter de le prétendre pour dissimuler son intention d’aller à l’encontre des objectifs des droits de la personne. Le second aspect est objectif. De l’avis du tribunal, l’exigence doit paraître liée à l’emploi et raisonablement nécessaire.

Il y a toutefois lieu de s’interroger sur la pertinence de la jurisprudence américaine en ce qui a trait à la définition d’une exigence professionnelle justifiée. Les deux tribunaux appelés à juger l’affaire Carson et al. v. Air Canada (1982), 3 C. H. R. R. D/ 818, aux pp. D/ 1871 à 1874, relative à l’âge limite d’embauchage des pilotes des lignes aériennes, de même que le tribunal appellé à trancher l’autre importante affaire canadienne traitant de l’âge d’embauchage des conducteurs d’autobus, La Commission canadienne des droits de la personne c. Voyageur Colonial Ltée. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 239, à la p. D/ 244, ont tenu compte de la jurisprudence américaine établie en application de lois similaires. La position américaine élaborée au fur et à mesure de l’établissement de cette jurisprudence a récemment été résumée dans l’affaire Orzel v. City of Wauwatosa Fire Department, 697 F. 2d 743 (7th Cir., 1983); cert. refusé, 104 S. Ct. 484 (1983). Afin d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée relative à l’âge, l’employeur doit d’abord démontrer que celle- ci est raisonablement nécessaire au bon fonctionnement de son entreprise.

> - 17 Il doit ensuite démontrer qu’il a des raisons objectives de croire soit que la totalité ou la majorité des personnes appartenant au groupe sont incapables d’exécuter les fonctions du poste et qu’il est pratiquement impossible de les identifier sur une base individuelle. Le second volet du critère américain a été élaboré dans le cadre de décisions ultérieures à celle de Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., 499 F. 2d. 859 (7th Circ., 1974); cert. refusé, 95 S. Ct. 805 (1975), traitant de la politique de la Greyhound Lines, Inc. relative à l’âge d’embauchage. Certaines de ces décisions ultérieures ont été rendues avant et d’autres après la décision La Commission canadienne des droits de la personne c. Voyageur Colonial Limitée, mais le tribunal n’a tenu compte dans ce dernier cas, que de la décision Hodgson v. Greyhound Lines, Inc. En fait, le tribunal a adopté la même approche que sa contrepartie américaine. Dans l’affaire Carson et al. v. Air Canada, 3 C. H. R. R. D/ 818, à la p. D/ 847; 5 C. H. R. R. D/ 1857 (tribunal d’appel), à la p. D/ 1873, les deux tribunaux se sont inspirés de la version plus élaborée du critère américain.

D’autre part, dans l’affaire Re C. N. R. and Canadian Human Rights (1983), 147 D. L. R. (3d) 312, aux pp. 320 et 340- 341, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il fallait éviter d’interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne selon des principes tirés de la jurisprudence américaine relative à des lois similaires. En outre, le juge McIntyre, dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d’Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14 (S. C. C.), à la page 22, conseille de ne pas tenter de formuler une règle fixe concernant

> - 18 -

la nature et le caractère suffisant de la preuve requise pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée. Bien que le juge McIntyre fasse allusion à la question de savoir s’il faut présenter des preuves statistiques et médicales, ses observations peuvent également s’appliquer à la tentative des tribunaux américains de définir en termes assez précis ce qu’un employeur doit démontrer.

A la lumière de ces observations juridiques, il me parait révélateur que, contrairement au premier tribunal dans l’affaire Carson et al. v. Air Canada, le tribunal d’appel n’ait pas analysé les choses suivant le modèle américain tout en reconnaissant que le critère élaboré aux États- Unis ressemblait à celui de la Cour suprême du Canada. Son analyse plus stricte, est plutôt fondée, sur le critère élaboré par le juge McIntyre dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d’Etobicoke. Cette approche tient compte de la remarque de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Re C. N. R. and Canadian Human Rights Commission, à la page 320, voulant que le critère énoncé par le juge McIntyre soit celui qu’il faut appliquer aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J’en déduis qu’il ne faut pas adopter au Canada l’approche retenue aux États- Unis pour déterminer ce qui constitue une exigence professionnelle justifiée. En fait, la jurisprudence africaine peut servir à illustrer diverses façons de démontrer l’existence d’une telle

> - 19 exigence. Par exemple, si l’on peut prouver que la totalité ou la majorité des personnes d’une certaine catégorie d’âge ne peuvent exercer les fonctions d’un emploi donné, alors le fait de refuser que les personnes de cette catégorie postulent cet emploi peut constituer une exigence professionnelle justifiée. La raison en est que le tribunal pourrait se laisser convaincre que l’exclusion est raisonablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail, pour reprendre les termes du juge McIntyre, ce qui ne signifie pas que, dans d’autres circonstances, une telle preuve serait nécessairement acceptée. Même si la majorité des personnes d’un certain groupe d’âge sont incapables d’exercer les fonctions d’un emploi donné, il se peut qu’il existe un moyen simple et peu coûteux de déterminer celles d’entre elles qui ont les capacités requises, et ce, afin qu’il ne soit pas raisonnablement nécessaire d’exclure toutes les personnes de ce groupe. Par contre, il peut exister d’autres façons d’établir l’existence d’une nécessité raisonnable, aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en plus de celles qui sont acceptées aux États- Unis.

Il s’agit donc pour le tribunal de déterminer, compte tenu de tous les éléments de preuve dont il est saisi, si le critère élaboré par le juge McIntyre a été respecté. D’autres causes, notamment celles des États- Unis, peuvent fournir des indications utiles quant aux raisons permettant d’en arriver a une décision, mais elles ne peuvent créer de nouvelles règles de droit s’ajoutant à celles qui figurent déjà dans la législation.

> - 20 VALIDITÉ DE LA POLITIQUE DES MIS EN CAUSE

Personne n’a contesté devant le tribunal le fait que les mis en cause ont pour politique de refuser d’engager toute personne âgée de plus de 35 ans comme conducteur d’autobus. Par l’adoption et la mise en oeuvre d’une politique qui prive certaines personnes de possibilités d’emploi en raison de leur âge, les mis en cause, en tant qu’employeurs, ont contrevenu, de prime abord, à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il est également évident que cette politique est l’une des raisons qui ont motivé le rejet de la demande d’emploi du plaignant. En d’autres termes, elle a été une cause directe du rejet, ce qui constitue, de prime abord, une infraction à l’article 7 de la Loi en ce sens que les mis en cause ont refusé d’engager le plaignant en raison de son âge.

Il s’agit donc, en réalité, de déterminer si la politique relative à l’âge d’embauchage constitue une exigence professionnelle justifiée dans le contexte de l’emploi de conducteurs d’autobus par les mis en cause. Les raisons d’être de cette politique exposées par les avocats des mis en cause sont les suivantes.

L’entreprise des mis en cause consiste en grande partie à offrir, sur demande, des services aux voyageurs. Étant donné qu’il est très difficile de prévoir la demande, les mis en cause doivent pouvoir compter sur

> - 21 un groupe de conducteurs disponibles pour y répondre en temps opportun. D’où l’utilité de ce que l’on appelle une liste de relève. Les conducteurs dont le nom figure sur cette liste ne savent jamais s’ils travailleront ou non; ils peuvent être obligés de s’absenter du foyer pendant de longues périodes lorsqu’on les envoie d’une destination à une autre pour répondre à la demande; ils doivent faire face aux problèmes que cette incertitude entraîne au plan familial et social; ils changent constamment d’itinéraire étant donné que leurs affectations varient d’une journée à l’autre; voilà seulement quelques- unes des conditions de travail difficiles auxquelles ces conducteurs sont soumis. Ces conducteurs, qui subissent ainsi énormément de stress, se trouvent en main temps à être privés d’appuis, comme la famille et les amis, susceptibles de les aider à y faire face. En outre, ils se voient imposer une vie irrégulière qui nuit à leur santé et réduit encore plus leur capacité de faire face au stress, par exemple en engendrant de la fatigue. L’incapacité d’affronter le stress peut à son tour entraîner une diminution de l’attention requise pour assurer la conduite sécuritaire d’un autobus.

La majeure partie du service régulier des mis en cause est assurée par des conducteurs permanents. Le calendrier de travail de ces derniers est bien différent de celui des conducteurs de relève. Il est établi pour une période de trois au quatre mois au cours de laquelle le conducteur effectue le même trajet aux mêmes heures, jour après jour, et bénéficie de congés à jours fixes. Par conséquent, les conducteurs permanents

> - 22 n’ont pas à subir nombre des conditions particulièrement difficiles auxquelles les conducteurs de relève sont soumis.

Les affectations au service régulier ou au service de relève se font au moyen d’un système de postulation fondé sur l’ancienneté. Dans le

cas du service régulier, les affectations sont individuelles, c’est- à- dire que le conducteur postule un trajet et un horaire donnés, tandis que dans le cas du service de relève, elles sont collectives en ce sens qu’une fois inscrit sur la liste de relève, le conducteur est sur un pied d’égalité avec tous les autres. L’ancienneté n’entre en ligne de compte dans le cas des conducteurs de relève qu’au moment où se libère temporairement un trajet régulier en raison de l’absence d’un conducteur permanent; les conducteurs de relève peuvent alors faire valoir leur ancienneté pour demander d’y être affectés temporairement.

En général, les conducteurs préfèrent être affectés à des trajets réguliers, ce qui fait que la liste de relève regroupe habituellement les conducteurs ayant le moins d’ancienneté. Les nouveaux peuvent s’attendre à faire partie du groupe de relève pendant les dix ou quinze premières années. Les conducteurs plus anciens peuvent, à l’occasion, demander à être inscrits sur la liste de relève étant donné la possibilité de gagner ainsi plus d’argent pendant les périodes où la demande est à son niveau maximal, en particulier pendant l’été. Les conducteurs sont rémunérés en fonction de la distance parcourue et, pendant ces périodes, les conducteurs de relève peuvent être appellés à faire des trajets beaucoup plus

> - 23 longs que les conducteurs permanents. En pareil cas, toutefois, la possibilité pour un conducteur de reprendre son travail régulier peut contribuer à atténuer sensiblement les répercussions défavorables du travail de relève.

En dernier lieu, les mis en cause font valoir que, pour des raisons psychologiques et physiologiques, la capacité de faire face au stress décroît avec l’âge. En raison surtout de l’aspect psychologique du problème, il est impossible de déterminer quels individus sont susceptibles de ne pas parvenir à faire face au stress. Par conséquent, afin d’éviter de mettre en danger les passagers, les mis en cause ont adopté une politique en vertu de laquelle les conducteurs ne risquent plus d’être affectés en permanence à l’équipe de relève lorsqu’ils atteignent l’âge où ils ne sont plus en mesure de faire face à la tension exceptionnelle que comporte le travail de conducteur de relève.

Bien qu’aucune précision ne soit donnée en ce sens, il est évident, si l’âge maximum d’embauchage est fixé à 35 ans et si les nouveaux conducteurs peuvent être obligés de faire partie de l’équipe de relève pendant dix au quinze ans, que l’âge visé par la politique des mis en cause doit être d’environ 45 ou 50 ans. Je n’attache aucune importance au fait que l’âge critique ne soit pas mieux précisé. Toute exigence professionnelle justifiée relative à l’âge doit nécessairement avoir un certain caractère arbitraire. Si les raisons avancées par les mis en cause suffisent pour faire considérer leur politique relative à l’âge

> - 24 d’embauchage comme une exigence professionnelle justifiée, et si les éléments de preuve confirment la validité de ces raisons, il faut, compte tenu du système d’ancienneté, qu’il existe un écart entre l’âge d’embauchage et l’âge critique auquel se rattachent les préoccupations des mis en cause relatives à la sécurité. Concrètement, c’est l’âge d’embauchage qu’il faut fixer de

façon plus ou moins arbitraire. Il n’est pas nécessaire de fixer l’âge critique, encore une fois avec un certain arbitraire, étant donné qu’il n’a aucune importance du point de vue opérationnel.

Il est révélateur que les mis en cause ne soutiennent pas que c’est aux alentours de 35 ans que l’âge devient un facteur critique en ce qui a trait à la capacité de faire face au stress. S’ils l’avaient fait, ils n’auraient jamais pu espérer obtenir gain de cause. Leur politique actuelle laisse clairement entrevoir la possibilité que de nouveaux conducteurs fassent partie de l’équipe de relève jusqu’à ce qu’ils aient atteint la cinquantaine. Si l’incapacité d’affronter le stress commence à constituer un risque important vers l’âge de 35 ans, sur le plan de la sécurité, il faut conclure que ce risque était acceptable aux yeux des mis en cause. Or, on n’a pas démontré pourquoi, si un tel risque était acceptable, le risque d’avoir des conducteurs plus âgés également incapables de faire face au stress serait quant à lui, inacceptable. Pareille contradiction entre la justification et la mise en oeuvre d’une exigence ne peut qu’enlever toute crédibilité à ceux qui prétendent qu’elle est raisonnablement nécessaire. D’autre part, la justification apportée par les mis en cause concorde avec l’application pratique de leur exigence relative à l’âge d’embauchage

> - 25 D’après les avocats du plaignant et de la Commission, les mis en cause n’ont satisfait ni à l’élément subjectif, ni à l’élément objectif du critère juridique relatif à l’exigence professionnelle justifiée énoncé par le juge McIntyre dans l’arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d’Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14 (S. C. C.), aux pages 19 et 20. En ce qui a trait à l’élément subjectif, l’employeur doit démontrer qu’il est sincèrement convaincu que l’exigence en question est imposée dans le but d’assurer la bonne exécution du travail et non d’aller à l’encontre des objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les avocats ont soutenu non pas que les mis en cause avaient l’intention d’aller à l’encontre des objectifs de la Loi, mais bien qu’ils n’avaient pas prouvé être sincèrement convaincus que l’exigence était destinée à assurer la bonne exécution du travail. Cette affirmation était fondée sur le fait que les mis en cause n’avaient jamais effectué d’études, scientifiques au autres, afin d’évaluer la validité concrète de leur politique relative à l’âge d’embauchage. Ils avaient simplement accepté la directive de Greyhound Lines Inc. et, surtout, ils n’avaient jamais étudié la politique à la lumière de l’adoption, au Canada, de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Qui plus est, rien ne permet de croire que la Greyhound Lines, Inc. ait jamais étudié la validité concrète de cette politique. Un témoin a mentionné qu’une étude avait été effectuée au moment où la politique a été contestée aux termes de la législation américaine similaire, mais James Renforth, directeur principal du service de la sécurité et des assurances de la Greyhound Lines, Inc.

> - 26 a affirmé sous serment avoir été incapable de la retrouver dans les dossiers de la compagnie. M. Renforth ne faisait pas partie de la haute direction au moment où cette étude aurait été effectuée et, par conséquent, n’est pas en mesure de fournir de renseignements quant à sa nature.

A mon sens, le plaignant et la Commission ont parfaitement raison

de soulever cette question. Il arrive souvent, comme en l’espèce, que l’origine d’une exigence professionnelle donnée se perde dans la nuit des temps. Lorsqu’une politique remonte à une période antérieure à l’entrée en vigueur de la législation sur les droits de la personne, ce qui est également le cas en l’occurence, il est plus que probable qu’elle découle purement et simplement d’une intention qui serait qualifiée de discriminatoire aux termes de la loi actuelle. A l’époque, ces objectifs étaient parfaitement légaux et c’est leur multiplicité qui a mené à l’adoption de la législation sur les droits de la personne. Lorsqu’un employeur ayant une politique de prime abord contraire à cette législation ne peut en retracer l’origine ni démontrer avoir déjà étudié sérieusement sa validité concrète, il est permis de douter qu’il soit sincèrement convaincu de son bien- fondé. Si la politique répond en fait à une intention subjective d’établir une distinction, il est même permis de douter, dans le cas où l’employeur est une société, qu’il soit maintenant en droit de se dire innocent du simple fait que personne ne se souvient des motifs ayant présidé à l’adoption de la politique. Étant donné qu’il incombe à l’employeur de faire la preuve de l’existence d’une exigence professionnelle

> - 27 justifié, il semble pour le moins juste, en pareil case, de conclure que l’employeur n’a pas démontré qu’il était sincèrement convaincu de la validité concrète de sa politique.

Comme preuve de la validité de leur politique, les mis en cause ont fait valoir leur excellente tradition de sécurité. Cependant, étant donné qu’ils n’ont jamais embauché de conducteurs de plus de 35 ans, cela ne prouve pas logiquement que le fait d’en engager constitue un risque. Évidemment, comme il y va de vies humaines, il n’est pas facile d’exiger qu’on étudie, dans le cadre d’expériences scientifiques, la validité concrète d’une telle exigence. Par ailleurs, il semble qu’on pourrait au moins tenter d’étudier les facteurs en question sans mener de telles expériences. Peut- être était- ce l’objet de l’étude effectuée par la Greyhound Lines, Inc., mais le manque de précisions à ce sujet m’empêche d’y accorder une importance quelconque.

Par conséquent, n’était- ce d’un autre fait important, je pourrais être porté à croire que les mis en cause ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve en ce qui a trait à l’aspect subjectif du critère relatif aux exigences professionnelles justifiées. En effet, dans la décision Hodgson v. Greyhound Lines, Inc, 499 F. 2d 859 (7th Cir., 1974); cert. refusé, 95 S. Ct. 805 (1975), on a jugé que la même politique de la Greyhound Lines, Inc. constituait une exigence professionnelle justifiée aux termes d’une loi américaine semblable. Compte tenu de la similarité qui existe, tant au niveau des principes sous- jacents que du libellé

> - 28 comme tel, entre la loi américaine et la Loi canadienne sur les droits de la personne, je crois qu’il suffisait, en ce qui a trait à l’aspect subjectif du critère en question, que les mis en cause se fondent sur cette décision pour faire valoir le bien- fondé, au Canada, de leur politique relative à l’âge d’embauchage. Le fait que cette décision ait aussi été invoquée ne peut être mis en doute car la Greyhound Lines, Inc. a jugé bon d’en informer les entreprises mises en cause et les dirigeants de ces dernières appelés à

témoigner l’ont citée à l’appui de leur croyance dans le bien- fondé de la politique en question.

J’en viens maintenant à la question de savoir si cette politique satisfait également à l’aspect objectif du critère relatif aux exigences professionnelles justifiées. A cette question, se rattachent les deux sous- questions suivantes: les raisons d’être de cette politique s’appuient- elles sur des faits? Dans l’affirmative, ces raisons d’être nous permettent- elles de conclure, sur le plan juridique, que l’exigence est raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en général?

Au moment d’évaluer si la politique des mis en cause relative à l’âge d’embauchage s’appuie sur des faits, la première question qui vient à l’esprit est simplement de savoir si les raisons exposées par les avocats de ces derniers sont effectivement les mères que celles à l’origine de la politique. Normalement, pour répondre à cette question, il

> - 29 suffirait de déterminer si les mis en cause ont satisfait à l’élément subjectif du critère. Cependant, en l’espèce, la question se pose également, quoique dans un sens différent, en ce qui concerne l’élément objectif, étant donné que les témoins des mis en cause ont été loin d’exposer clairement les raisons d’être de la politique. Cela est probablement dû au fait qu’ils se sont appuyés sur la décision du tribunal américain pour justifier celle- ci. Cette décision a été rendue avant que les témoins des mis en cause ne se préoccupent de la légalité de la politique relative à l’âge d’embauchage. Dans le cas des cadres de l’entreprise mise en cause, la décision américaine a été rendue avant l’adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, par conséquent, avant que la politique en question puisse être considérée comme illégale au Canada. Pour sa part, M. Renforth, le témoin de la Greyhound Lines, Inc., n’a obtenu un poste de cadre supérieur qu’après le prononcé de cette décision et, en raison du roulement du personnel de gestion survenu à cette époque, il n’a presque pas eu de contacts, semble- t- il, avec les personnes mieux au courant de cette politique. Les raisons d’être de cette dernière n’ont jamais été clairement énoncées avant la présentation de l’argumentation des avocats des mis en cause.

Bien que les témoins des mis en cause n’aient jamais exposé les raisons d’être de la politique en termes aussi clairs, j’estime que leurs dépositions concordent avec ces raisons. Et si les avocats ne peuvent rien ajouter au dossier de la preuve au cours de leur plaidoyer, ils ont

> - 30 évidemment le droit d’en tirer des conclusions logiques. Les avocats ne se sont vraiment éloignés des faits qu’une seule fois en affirmant que l’âge critique se situait non pas à 35 ans, mais bien à un âge ultérieur auquel tous les conducteurs devraient cesser de faire partie de l’équipe de relève. Bien qu’on ait eu tendance, tout au long de la procédure, à situer l’âge critique à 35 ans, je crois qu’il s’agissait- là plutôt d’une hypothèse fondée sur le fait que tel était l’âge limite fixé dans la politique d’embauchage que d’une conclusion tirée des dépositions des témoins des mis en cause. Les témoins faisaient plutôt état tout simplement des préoccupations que

suscitait le fait pour les conducteurs plus âgés d’être assignés à des postes de relève.

Le seul témoin de la direction à avoir affirmé que l’âge de 35 ans est critique en ce qui a trait à la capacité de faire face au stress que comporte le travail de conducteur de relève est M. Tyson. Il l’a d’ailleurs fait seulement dans le cadre du contre- interrogatoire qui portait plutôt sur son opinion personnelle que sur la politique de la compagnie. En outre, il a fondé son opinion sur la décision rendue dans l’affaire Hodgson v. Greyhound Lines, Inc., et non sur l’une ou l’autre des raisons d’être avancées par les mis en cause. Bien qu’il n’ait pas non plus été en mesure d’expliquer les origines de la politique de la Greyhound Lines, Inc. relative à l’âge, M. Renforth a déclaré qu’on craignait que l’équipe de relève ne compte des conducteurs dans la cinquantaine si l’âge maximum d’embauchage n’était pas fixé à 35 ans. Ce témoignage

> - 31 corrobore l’interprétation que les avocats des mis en cause ont donnée des raisons d’être de la politique de ces derniers. Selon la prépondérance de la preuve, je crois devoir conclure que les mis en cause étaient vraiment préoccupés par l’idée de voir des conducteurs de 50 ans ou plus se retrouver dans l’équipe de relève advenant que fut abolie la limite de l’âge d’embauchage fixée à 35 ans.

Étant donné que le déclin des capacités physiques est généralement ce qui fait l’objet de préoccupations lorsque se pose la question du lien existant entre l’âge et l’aptitude à accomplir un travail, il convient d’en traiter dès le début de l’examen des faits présentés par les mis en cause à l’appui de leur politique. L’aptitude physique à exécuter le travail n’entre pas vraiment en ligne de compte car comment pourrait- on alors expliquer que les mis en cause continuent à employer des conducteurs qui ont largement dépassé la limite supérieure de la catégorie d’âge visée par la politique en question? Rien ne prouve que les conducteurs d’autobus déjà en poste soient en meilleure condition physique que les nouveaux conducteurs engagés à tel au tel âge. Au contraire, il est démontré que le travail de conducteur d’autobus à tendance à priver l’intéressé de la bonne forme physique qu’il lui est fort souhaitable de posséder. Même si, en raison des exigences de leur travail, les conducteurs de relève doivent être en meilleure forme physique que les conducteurs permanente, il n’est pas vraiment établi, à tout le moins du point de vue strictement physique, qu’il serait plus dangereux, en raison du déclin des capacités physiques lié au vieillissement, de confier le volant d’un autobus à un conducteur

> - 32 de relève plutôt qu’à un conducteur permanent. En outre, je suis convaincu, d’après les éléments de preuve présentés, que les aspects purement physiques de ce déclin peuvent être détectés convenablement, pour la bonne marche de l’entreprise du mis en cause, dans le cas de personnes appartenant au groupe d’âge en question. Bien que les conducteurs âgés risquent plus que les autres d’avoir un problème de santé non décelé qui est susceptible de les empêcher subitement de conduire un autobus en toute sécurité, il n’existe, encore une fais, aucune raison de croire que le risque serait plus grand, à un âge donné, pour les conducteurs engagés après l’âge de 35 ans que pour les autres.

En réalité, le déclin des capacités physiques a à voir avec les raisons d’être de la politique des mis en cause de façon, non pas directe mais indirecte, en ce sens que, du fait qu’ils sont diminués physiquement en raison de leur âge, les conducteurs âgés sont moins capables de faire face au stress du travail de relève. En ce sens, il est normal de rattacher cette question à celle du stress dans son ensemble.

Le premier fait invoqué par les mis en cause à l’appui de leur politique, c’est que le travail de conducteur de relève comporte plus de stress que celui de conducteur permanent. Aucun des témoins ne l’a vraiment mis en doute. D’après certains des experts que les avocats du plaignant et de la Commission ont appelés à témoigner les effets du stress ne sont pas nécessairement défavorables et peuvent être compensés par d’autres facteurs. Dans l’ensemble, toutefois, leurs témoignages portent à conclure que les

> - 33 effets du stress ont tendance à être défavorables et aggravés plutôt qu’atténués par les autres facteurs pertinents dans le cas des conducteurs de relève, à moins que les mis en cause ne changent considérablement leurs pratiques. Je reviendrai plus tard sur la question de savoir si le fait pour les mis en cause d’adopter d’autres pratiques changerait quelque chose à l’affirmation voulant que leur politique relative à l’âge d’embauchage constitue une exigence professionnelle justifiée. Dans le cadre des pratiques existantes, je suis convaincu que les conducteurs de relève doivent faire face à un niveau de stress exceptionnellement élevé que ne connaissent pas les conducteurs permanents. Je suis également convaincu que l’incapacité d’un conducteur de faire face à ce stress se traduit par un manque d’attention qui l’empêche de conduire son autobus de façon sécuritaire.

Il est également important de déterminer si l’âge invoqué par les mis en cause a quelque chose à voir avec la capacité du conducteur de faire face au stress. Puisqu’il s’agit de faire en sorte que les conducteurs engagés avant l’âge de 35 ans aient les 10 ou 15 années d’ancienneté nécessaires pour être assurés d’un trajet régulier avant que les effets du vieillissement sur leur capacité de résister au stress ne se fassent vraiment sentir, l’âge en question se situe aux environs de 45 à 50 ans.

Les mis en cause ont fait intervenir deux experts qui ont fait une déposition au sujet du lien existant entre le vieillissement et la capacité de faire face au stress. Le premier est M. Frank Musten, psychologue clinicien qui se spécialise dans le traitement des personnes

> - 34 stressées. Il fait également office de conseiller auprès du gouvernement et de l’industrie en ce qui touche aux problèmes engendrés par le stress professionnel. En moyenne, ses patients sont âgés de 35 à 40 ans. Je signale cependant que M. Musten n’est pas médecin.

Les principales observations faites par M. Musten en ce qui a trait à la relation entre le vieillissement et la capacité de faire face au stress sont que cette capacité diminue avec l’âge et qu’il est impossible de prévoir avec exactitude son évolution sur une base individuelle. Il a fait état de recherches selon lesquelles le développement psychologique de l’individu

s’effectue par étapes. On a découvert qu’aux environs de 35 ou 40 ans, une personne atteint le stade où elle ressent le besoin biologique de s’établir ou, en d’autres termes, d’adopter un mode de vie relativement stable. Le travail clinique de M. Musten confirme ces observations. Ayant étudié les horaires de travail de divers conducteurs, il a conclu que les conducteurs de relève sont susceptibles de commencer à ressentir les effets du stress vers l’âge de 35 ou 40 ans étant donné que le mode de vie imposé par leur travail ne correspond pas à leur stade de développement psychologique et que l’impact du stress est alors beaucoup considérable qu’au cours des années précédentes.

En ce qui a trait à la catégorie d’âge de 45 à 50 ans, M. Musten n’a pas donné d’indications utiles, se contentant d’affirmer en termes généraux que plus une personne vieillit, plus elle est affligée de constater qu’elle ne semble pas réaliser les objectifs qu’elle s’était fixés.

> - 35 Toutefois, en ce qui a trait au lien entre le vieillissement et le déclin de la capacité de faire face au stress engendré par le travail de relève, son témoignage indique que l’âge critique se situe aux alentours de 35 à 40 ans. En ce sens, son témoignage contredit les raisons invoquées par les mis en cause étant donné qu’en vertu de leur politique actuelle, ces derniers laissent faire partie de l’équipe de relève des conducteurs ayant dépassé cet âge depuis plusieurs années. Je reviendrai plus tard sur la question de savoir s’il est possible de prévoir, sur une base individuelle, la capacité de faire face au stress.

L’autre expert appelé à témoigner par les mis en cause est le docteur Harold Brandaleone. Riche d’une longue expérience à titre de conseiller médical auprès de l’industrie du transport par autobus, M. Brandaleone a été le seul témoin à justifier de ce type d’expérience. Il a cessé de travailler dans ce secteur en 1970 mais, depuis, il a été appelé à témoigner à titre d’expert dans le cadre de certaines des principales affaires judiciaires américaines visant à déterminer si les restrictions relatives à l’âge d’embauchage constituent une exigence professionnelle justifiée en ce qui a trait aux conducteurs d’autobus.

Le témoignage du docteur Brandaleone se rattachait en grande partie à la détérioration possible de la condition physique des personnes âgées de plus de 35 ans. En ce qui a trait à la question du vieillissement et de la capacité de faire face au stress, il a indiqué que cette

> - 36 capacité décroissait effectivement avec l’âge, sans toutefois préciser à quel âge ce déclin se faisait vraiment sentir. Il a aussi affirmé que les personnes âgées de plus de 35 ans ne devraient pas pouvoir se joindre à l’équipe de relève, mais il n’a pas dit pour quelle raison. Par conséquent, bien que le témoignage du docteur Brandaleone concorde avec l’opinion voulant que l’âge critique, en ce qui a trait à la capacité de faire face au stress, se situe effectivement après 35 ans, il ne confirme pas de manière concrète que cet âge se situe aux alentours de 45 à 50 ans. Le docteur Brandaleone a également affirmé qu’il était impossible de prévoir la capacité de faire face au stress, affirmation sur laquelle je reviendrai plus tard.

En ce qui a trait aux répercussions que la détérioration physique

liée au vieillissement peut avoir sur la capacité de faire face au stress, le témoignage du docteur Brandaleone a été plus vague. Logiquement, si une personne est en bonne condition physique, il n’existe aucune raison de craindre que sa capacité de faire face au stress soit diminuée. Comme il a été prouvé qu’il était possible de détecter les problèmes physiques connexes, je ne crois pas que la possibilité que la détérioration physique influe de façon indirecte sur la capacité de faire face au stress vienne renforcer l’affirmation des mis en cause selon laquelle cette capacité est directement liée à l’âge. Quoiqu’il en soit, ce que donne à penser le témoignage du docteur Brendaleone, c’est que s’il y a un risque, celui- ci prend de l’importance à partir de l’âge de 35 ans. Il ne permet pas de conclure qu’à un âge plus avancé le risque prenne de l’importance

> - 37 au point de justifier qu’on raye systématiquement le nom des personnes intéressés de la liste de relève dès qu’elles atteignent l’âge en question. Les avocats du plaignant et de la Commission ont convoqué trois témoins, éminents spécialistes des questions du vieillissement et du stress: les docteurs Stanley J. Freeman, Carl Eisdorfer et Stanley Mohler. Tous trois sont médecins, les docteurs Freeman et Eisdorfer étant en outre psychiatres. Aucun d’entre eux ne s’est vraiment occupé de l’aspect médical des questions relatives à l’industrie du transport par autobus ou aux conditions de travail des conducteurs. Ils ont cependant affirmé être en mesure de faire des observations à cet égard parce que l’expérience qu’ils ont acquise dans d’autres domaines professionnels peut s’appliquer aux conducteurs d’autobus. Étant donné que leurs témoignages se recoupent essentiellement, il n’est pas nécessaire de les étudier séparément.

Selon ces témoins, il n’existe pas vraiment de lien entre l’âge et la détérioration physique ou le déclin de la capacité de faire face au stress, du moins pour les personnes de 35 à 40 ans. En autre, même si on ne dispose d’aucun moyen très sûr de prévoir la capacité individuelle de faire face au stress, il existe un certain nombre de tests permettant d’évaluer l’importance du stress si une personne est la proie d’un stress excessif. D’autre part, l’âge ne permet aucunement de prévoir la capacité individuelle de faire face au stress.

> - 38 Le fait que ces médecins n’aient pratiquement pas d’expérience dans l’industrie du transport par autobus réduit certes la force probante de leurs témoignages mais, à mon avis, pas tellement. Cette force probante se trouve par ailleurs à être rehaussée par le fait qu’ils ont de l’expérience dans le domaine de la recherche; je suis convaincu que leurs observations s’appliquent à tout être humain, quelle que soit sa profession.

Sous réserve d’une des affirmations faites par le docteur Eisdorfer, sur laquelle je reviendrai bientôt, les témoignages de ces trois médecins ne corroborent pas les raisons invoquées par les mis en cause. Le fait que les questions des avocats aient surtout porté sur la catégorie d’âge de 35 à 40 ans crée le même problème que dans le cas des témoignages de MM. Musten et Brandaleone, en ce sens que ce n’est pas l’âge auquel les conducteurs doivent cesser de faire partie de l’équipe de relève selon la politique des mis en cause. Toutefois, les témoins ont également affirmé que, d’une manière plus générale, l’âge n’a rien à voir avec la capacité de

faire face au stress engendré par le travail de relève. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas soutenu qu’il faille se préoccuper de façon particulière des effets du stress sur les personnes âgées de 45 à 50 ans, de sorte que les mis en cause ne peuvent invoquer leur témoignage pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombe de démontrer que leur politique relative à l’âge d’embauchage constitue une exigence professionnelle justifiée.

> - 39 Au cours du contre- interrogatoire, on a demandé au docteur Eisdorfer s’il existait des courbes d’âge fondées sur divers problèmes de santé par rapport à l’âge. Il a admis l’existence de telles courbes, bien qu’il ne s’agisse que de moyennes statistiques pour l’ensemble de la population. On lui a ensuite demandé s’il existait une courbe semblable pour le stress. D’après sa réponse, le terme stress ne lui paraissait pas significatif, dans ce contexte. Puis, on lui a demandé s’il percevait une distinction, en termes de changements physiologiques, entre deux personnes âgées respectivement de 40 et 45 ans. Jugeant d’abord qu’il s’agissait- là d’une nouvelle façon de formuler la question précédente concernant le stress, il a répété qu’il n’arrivait pas à saisir le sens de ce dernier terme. Après qu’on lui eut précisé que ce terme visait les divers changements physiologiques en question, le docteur Eisdorfer a déclaré ne voir aucune distinction entre les personnes âgées de moins de 50 ans, ajoutant toutefois que, (Traduction) les changements commencent à être plus marqués à partir de la cinquantaine. Dans ce contexte, cette affirmation peut signifier que les problèmes liés au stress en général sont, du moins sur le plan statistique, plus nombreux à compter de la cinquantaine. Toutefois, je suis convaincu que le docteur Eisdorfer pensait à l’éventail des changements physiologiques sur lesquels an venait tout juste de l’interroger. Étant donné que le stress ne lui semblait pas significatif en termes de courbes liées à l’âge, la mention de l’âge de 50 ans devait viser principalement les problèmes de santé au sujet desquels il venait tout juste de témoigner. Pour les raisons déjà exposées,

> - 40 l’existence d’un problème de santé lié à l’âge ne peut servir à justifier la politique des mis en cause relative à l’âge d’embauchage. Par conséquent, ces derniers ne peuvent faire valoir ce témoignage. Quoi qu’il en soit, même si le docteur Eisdorfer vise également le stress lorsqu’il affirme que les changements sont un peu plus marquées aux alentours de la cinquantaine, il ne s’ensuit pas nécessairement que ces changements influent sur la capacité d’une personne d’agir comme conducteur de relève. Étant donné l’absence de précision de la pensée du docteur Eisdorfer, l’affirmation qui vient d’être invoquée ne suffit pas à me convaincre qu’il est beaucoup plus difficile de faire face au stress du travail de relève à partir de la cinquantaine.

Bien que leurs opinions diffèrent quant à l’utilité des tests qui servent actuellement à évaluer la capacité d’une personne de faire face au stress, tous les experts appelés à témoigner ont convenu qu’on pouvait douter de leur fiabilité. Ce facteur pourrait contribuer à justifier le recours au critère de l’âge à titre d’exigence professionnelle justifiée si l’on pouvait démontrer qu’il existe un lien significatif entre l’âge et la capacité de faire face au stress. Toutefois, les éléments de preuve dont j’ai été saisi ne démontrent pas de façon convaincante l’existence d’un tel lien et ne prouvent certainement pas qu’il existe un lien significatif en ce qui a trait

à l’âge auquel les conducteurs doivent, conformément à la politique des mis en cause, cesser de faire partie de l’équipe de relève. Même le docteur Brandaleone, qui affirme explicitement que des troubles de santé commencent à se manifester après l’âge

> - 41 de 25 ans, ne peut déterminer avec précision à quel moment l’âge influe véritablement sur la capacité de faire face au stress. Je ne veux pas dire qu’il faudrait nécessairement déterminer un âge spécifique dans le but de prouver le bien- fondé d’une exigence professionnelle justifiée liée à l’âge. A cet égard, tout ce que l’on peut déduire du témoignage du docteur Brandaleone, c’est simplement que la science médicale n’arrive pas à préciser la relation qui existe entre l’âge et la capacité de faire face au stress.

Étant donné que rien ne permet de croire qu’il existe un rapport significatif entre l’âge et la capacité de faire face au stress pour la catégorie des 45 à 50 ans, il est inutile d’évaluer à quel moment ce rapport prend une telle importance telle qu’il est raisonnablement nécessaire de sélectionner les candidats en fonction de l’âge pour assurer l’exécution du travail d’une manière sûre et efficace. Compte tenu de la norme de la réalité pratique du milieu de travail que propose le juge McIntyre dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d’Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14( S. C. C.), page 16, je ne suis pas du tout certain qu’il suffit d’un risque minimal, même s’il n’existe aucun moyen sûr d’évaluer la capacité individuelle. Le problème devient encore plus compliqué si l’on admet que l’age et l’évaluation individuelle permettent de prévoir la capacité dans une certaine mesure, la fiabilité de ces deux facteurs peut, cependant, être également mise en doute. J’ai pris note du fait qu’il est impossible de prévoir la

> - 42 capacité individuelle de faire face au stress ou que, dans les cas où il existe des tests en ce sens, leur fiabilité peut être mise en doute. Il semble également que les conséquences du vieillissement varient considérablement d’une personne à une autre, de sorte que, même si l’on pouvait établir un lien entre le vieillissement et la capacité de faire face au stress, l’âge d’une personne ne serait pas nécessairement un indice de sa capacité dans ce domaine. Même si je n’ai pas à trancher cette question, le fait que la Loi canadienne sur les droits de la personne interdise le recours à un critère comme l’âge indique que, pour constituer une exigence professionnelle justifiée, ce critère doit tout au moins afficher une fiabilité manifestement plus grande que les tests individuels.

Bref, j’en conclus que les raisons exposées par les mis en cause à l’appui de leur politique relative à l’âge d’embauchage des conducteurs d’autobus ne sont pas confirmées par les faits étant donné que les éléments de preuve ne permettent pas d’affirmer qu’il existe un lien significatif entre l’âge et le déclin de la capacité de faire face au stress à compter de 45 au 50 ans, époque de la vie où, selon la politique des mis en cause, les conducteurs ne peuvent plus faire partie de l’équipe de relève. Étant donné que rien d’autre, dans la preuve, ne vient justifier ladite politique, je suis dans l’impossibilité de souscrire à la thèse des mis en cause selon laquelle cette politique constitue une exigence professionnelle justifiée. En effet, l’élément objectif du critère prévu à cet égard ne se trouve pas à

être satisfait. Étant donné que les raisons invoquées à l’appui de cette politique ne s’appuient pas sur des faits, l’exigence

> - 43 relative à l’âge n’est pas d’un point de vue objectif, raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution sûre et efficace du travail de conducteur d’autobus pour le compte des mis en cause, y compris le travail de conducteur de relève.

Bien que l’on puisse, d’après ce qui précède, juger du bien- fondé de la plainte, je reconnais que cette décision ne mettra pas nécessairement un terme à l’affaire. S’il est possible qu’on en appelle de cette décision, il se peut également que les mis en cause produisent un jour des éléments de preuve qui corroboreraient objectivement le bien- fondé d’une politique relative à l’âge d’embauchage, que l’âge limite soit fixé à 35 ans ou à plus tard. C’est pourquoi je crois qu’il convient d’examiner brièvement comment se présenterait la question si les mis en cause avaient pu présenter des faits à l’appui de leur thèse relative à l’exigence professionnelle justifiée.

Si les mis en cause avaient pu présenter des faits à l’appui de leur politique, aurait- il fallu conclure que celle- ci constitue une exigence professionnelle justifiée? Je suis porté à croire que oui. D’après certains témoignages, les mis en cause pourraient modifier les conditions ce travail des conducteurs de relève afin de réduire le stress. Compte tenu du fait que le travail des conducteurs permanents diffère tellement de celui des conducteurs de relève, on pourrait également séparer les deux types de postes en question de façon qu’il ne soit pas nécessaire d’appliquer la politique relative à l’âge d’embauchage aux conducteurs permanents.

> - 44 Toutefois, je suis convaincu que les mis en cause ont raison d’agir comme ils le font à l’heure actuelle, même si cela les oblige à effectuer une distinction fondée sur l’âge au moment d’engager des conducteurs d’autobus. La compétition est vive au niveau de la plupart des services assurés par l’équipe de relève. Cela vaut, en fait, également pour l’ensemble des services offerts, compte tenu des autres modes de transport en commun qui existent. Je suis persuadé que la souplesse de fonctionnement rendue possible par l’équipe de relève contribue dans une grande mesure à assurer la compétitivité de l’entreprise des mis en cause. L’ancienneté et la postulation d’emploi sont généralement reconnues comme des moyens justes et raisonnables de répartir le travail parmi les employés. Il ressort également de la preuve que la perspective d’obtenir un jour un poste de conducteur permanent incite les conducteurs à supporter les conditions de travail difficiles de l’équipe de relève. J’en conclus donc qu’il est raisonnablement nécessaire, du point de vue de la réalité pratique du milieu de travail, que les mis en cause agissent comme ils le font.

En supposant qu’après un certain âge il ne soit pas sécuritaire d’agir comme conducteur de relève, les mis en cause devraient prendre les mesures nécessaires pour que les personnes ayant dépassé cet âge ne fassent plus partie de l’équipe de relève. Ils pourraient certes, après entente avec le syndicat représentant les conducteurs, adopter comme règle de rayer de la liste de relève automatiquement le nom des conducteurs ayant dépassé l’âge en

question, mais cette mesure aurait pour effet de perturber considérablement le régime d’ancienneté.

> - 45 Il faudrait alors soit congédier les conducteurs ayant dépassé cet âge et qui sont dans l’impossibilité de postuler un poste de conducteur permanent, soit leur accorder la priorité quant à la postulation d’un tel poste. Ces deux solutions vont à l’encontre des notions fondamentales d’équité, de droits acquis et de sécurité d’emploi qui sous- tendent les régimes d’ancienneté. Par conséquent, l’adoption d’une politique visant à faire en sorte que les conducteurs soient en mesure de quitter l’équipe de relève dans le cadre du fonctionnement normal du système de postulation de postes permanents constitue un moyen raisonnablement nécessaire d’éviter que les conducteurs d’un certain âge ne fassent partie de l’équipe de relève. Compte tenu des exigences du régime d’ancienneté, il faut alors fixer un âge limite pour l’embauchage de façon que l’écart entre l’âge d’embauchage maximal et celui où le conducteur ne doit plus faire partie de l’équipe de relève corresponde au nombre d’années qu’il devra vraisemblablement consacrer au travail de relève. Voilà justement la raison invoquée par les mis en cause pour justifier leur politique actuelle. S’il avait été possible d’établir un lien objectif entre l’âge et la capacité d’agir comme conducteur de relève, cette raison aurait été suffisante, du point de vue juridique, pour faire de la politique des mis en cause relative à l’âge d’embauchage une exigence professionnelle justifiée.

Je tiens cependant à ajouter une précision. Bien que je n’aie été saisi d’aucun élément de preuve touchant la politique des mis en cause relative à la retraite des conducteurs

> - 46 d’autobus, il est possible qu’ils obligent ces derniers à prendre leur retraite à un âge précis ou à l’approche d’un certain âge. S’il existe un lien significatif entre l’aptitude au travail de relève et l’âge, il est également possible que celui- ci coïncide avec l’âge fixé pour la retraite obligatoire. S’il en était ainsi, et si la disposition relative à la retraite obligatoire constituait en elle- même une exigence professionnelle justifiée, les mis en cause ne pourraient alors faire valoir que l’âge d’embauchage maximal constitue une exigence professionnelle justifiée étant donné que le fait de la retraite obligatoire suffirait à faire en sorte que les conducteurs cessent de faire partie de l’équipe de relève une fois rendus à cet âge. Rien n’indique qu’il soit nécessaire que les conducteurs fassent partie de l’équipe de relève pendant un certain nombre d’années afin d’assurer que les mis en cause possèdent une réserve de conducteurs qualifiés pour occuper un poste permanent. Par conséquent, la possibilité que certains conducteurs n’acquièrent jamais assez d’ancienneté pour cesser de faire partie de l’équipe de relève avant de prendre leur retraite ne constitue pas un problème tant et aussi longtemps que les conducteurs ayant dépassé l’âge critique, s’il en est un, ne font plus partie de l’équipe de relève.

Ayant jugé que la politique des mis en cause relative à l’âge d’embauchage ne constituait pas une exigence professionnelle justifiée, j’en conclus que la plainte est fondée. Il y a effectivement eu infraction à l’alinéa 7a) de la Loi canadienne

> - 47 sur les droits de la personne, en ce sens que la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. a refusé d’engager le plaignant en raison de son âge. Il y a également eu infraction à l’alinéa 10a), en ce sens que les mis en cause ont appliqué une ligne de conduite consistant à refuser d’engager comme conducteurs d’autobus des personnes de plus de 35 ans, les privant ainsi de chances d’emploi à cause de leur âge. Il reste à traiter de la question de la réparation.

RÉPARATION

En ce qui a trait à la politique des mis en cause qui consiste à refuser d’embaucher comme conducteurs d’autobus, des personnes âgées de plus de 35 ans, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller plus loin que de déclarer qu’elle est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je constate cependant que les mis en cause ont fait disparaître toute mention relative à l’âge maximal d’embauchage dans leurs documents pertinents, sans pour autant abandonner la politique en question, lorsqu’une politique similaire de Voyageur Colonial Ltd. a été remise en question dans l’affaire Canadian Human Rights Commission v. Voyageur Colonial Ltd. (1980), 1 C. H. R. R. D/ 239. On peut donc se demander si les mis en cause changeront effectivement leur politique en l’absence d’une ordonnance plus sévère. Cependant, je crois qu’à cette époque les mis en cause n’ont pas tenté délibérément de contourner la loi; ils ont plutôt

> - 48 adopté une attitude prudente en attendant le règlement de l’affaire en question. Si la décision rendue en l’occurrence eut été différente, je crois que les mis en cause auraient vraisemblablement abandonné leur politique relative à l’âge d’embauchage maximal. Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rendre une ordonnance plus sévère en ce qui a trait à l’abandon de cette pratique discriminatoire.

La politique des mis en cause constitue une violation tellement simple et directe de la Loi qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’imposer l’adoption de quelque programme spécial que ce soit, aux termes de l’alinéa 41( 2) a) de la Loi. En outre, j’hésiterais à rendre une telle ordonnance sans y inclure au moins certaines lignes directrices à suivre dans le cadre de tout programme éventuellement adopté. Aucune observation ne m’a été faite, au nom du plaignant ou de la Commission, relativement à pareille ordonnance, sauf en des termes très généraux. A mon sens, il ne convient pas de rendre une telle ordonnance en l’absence d’observations plus précises, d’autant plus qu’il serait alors difficile pour les mis en cause de faire valoir leur point de vue au chapitre de la réparation. Étant donné que je ne rendrai pas d’ordonnance aux termes de l’alinéa 41( 2) a), il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la Greyhound Lines of Canada Ltd. peut être tenue conjointement responsable avec la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. de la violation de l’article 10 d’où a découle la plainte d’une personne qui, du point de vue des mis en cause, n’avait présenté de demande d’emploi qu’auprès de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd.

> - 49 -

En ce qui a trait au refus d’engager le plaignant, ce dernier a le droit de se voir accorder les privilèges dont il aurait joui si les mis en cause n’avaient pas appliqué dans son cas leur politique relative à l’âge d’embauchage. Comme les avocats des mis en cause l’ont signalé avec raison, cela signifie qu’il a droit non pas à une offre d’emploi, mais seulement à une chance de suivre le cours de formation des nouveaux conducteurs. Par ailleurs, je crois comprendre que les personnes admises à ce cours sont généralement engagées si elles le terminent avec succès.

Un autre facteur qui entre en ligne de compte est celui de l’acuité visuelle du plaignant. Étant donné que l’acuité visuelle a également influé sur la décision de rejeter la demande d’emploi du plaignant, et que ce dernier n’a pas mis en doute la validité juridique des exigences connexes, force est de reconnaître que, pour être invité à suivre le cours de formation, le plaignant doit satisfaire aux exigences normales et couramment appliquées des mis en cause en ce qui a trait à l’acuité visuelle des conducteurs d’autobus, et ce, quelles qu’elles soient. Si sa candidature est rejetée parce qu’il ne satisfait pas à ces exigences, il peut, bien sûr, déposer une nouvelle plainte s’il croit que celles- ci sont illégales. Je dois ajouter qu’il faut en outre que le plaignant ait la compétence voulue et satisfasse aux conditions requises en vue de devenir conducteur d’autobus pour le compte de l’entreprise mise en cause.

> - 50 Comme je l’ai indiqué au début lorsqu’il s’agissait de déterminer les parties en cause, c’est la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. qui a refusé d’engager le plaignant. C’est donc elle qui devra lui offrir le prochain poste de conducteur d’autobus disponible. Vu que, d’après la preuve, la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. n’a pas engagé de conducteurs sur une base annuelle ces dernières années, je crois que le plaignant a le droit d’être avisé, dans un délai raisonnable, du moment où se libérera ce poste. Quelles que soient les circonstances, je crois qu’il conviendrait de le prévenir six mois à l’avance.

Avant d’en finir avec cette partie de l’ordonnance, je tiens à souligner qu’en raison du temps écoulé et de ce qui est survenu depuis le dépôt de la plainte, en particulier du fait que le plaignant a déménagé dans l’ouest des États- Unis et qu’il lui sera peut- être très difficile de se prévaloir de l’offre de la Eastern Canadien Greyhound Lines Ltd., il serait peut- être préférable de le dédommager pour perte d’emploi que de lui offrir un emploi. Cependant, il n’est pas question de ce type de réparation dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’alinéa 41( 2) c) prévoit le versement d’une indemnité pour perte de salaire, mais ce n’est pas vraiment la même chose que d’indemniser la personne au lieu de lui permettre de jouir des droits ou des chances qui lui ont été refusés. Le paragraphe 41( 3) prévoit une indemnité au sens plus général du terme, mais seulement si le mis en cause a agi de propos délibéré ou avec négligence ou si le plaignant a souffert un préjudice moral. Une telle indemnisation

> - 51 doit donc être liée d’une part, au caractère délibéré de l’acte posé par le mis en cause ou à la négligence dont il a fait preuve ou, d’autre part, au fait que le plaignant a souffert un préjudice moral. Étant donné que le

plaignant a déclaré être toujours prêt à accepter un emploi de conducteur d’autobus pour les mis en cause, j’ai décidé de lui accorder ce type de réparation, sans trancher la question de savoir si j’ai la compétence voulue pour lui accorder une indemnité à titre de solution de rechange.

Rien, dans la preuve, ne justifie l’octroi au plaignant d’une indemnité pour perte de salaire. Il travaillait à temps plein pour la Toronto Transit Commission lorsque sa demande a été rejetée par les mis en cause. Lorsqu’il a affirmé, dans le cadre de son témoignage, qu’il s’attendait à gagner plus d’argent auprès de la Greyhound, cet espoir ne pouvait se concrétiser dans un proche avenir étant donné la possibilité d’être mis en disponibilité pendant de longues périodes au cours des premières années où il aurait travaillé comme conducteur d’autobus pour les mis en cause. Par la suite, le plaignant a connu des périodes de chômage, mais ce fut en raison de sa décision de quitter la Toronto Transit Commission et du fait que ses projets d’emploi ne se sont pas matérialisés. Bien que le rejet de sa demande par les mis en cause ait pu entrer en ligne de compte dans sa décision de quitter la Toronto Transit Commission, il ne l’obligeait évidemment pas à s’en aller. Par conséquent, les mis en cause ne peuvent être tenus responsables de la perte de salaire subie par le plaignant.

> - 52 En ce qui a trait à l’indemnité prévue aux termes du paragraphe 41( 3) de la Loi, le plaignant a bel et bien subi, à mon sens, un préjudice moral par suite du rejet de sa demande par les mis en cause. Par ailleurs, il ressort de la preuve que sa stabilité émotionnelle a également été perturbée à cette époque par des difficultés d’ordre matrimonial. Il est difficile de départager l’impact de ces difficultés et celui du rejet de sa demande par les mis en cause. Évidemment, cela complique d’autant la tâche d’évaluer le préjudice moral. En fin de compte, je crois qu’il conviendrait en l’occurrence d’accorder une indemnité dont le montant, sans atteindre le maximum prévu au paragraphe 41( 3), devrait quand même avoir une certaine importance. Je serait porté à le fixer à 1 500 $.

De plus, si la Greyhound Lines of Canada Ltd. peut être tenue conjointement responsable, devant la loi, avec la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., du rejet de la candidature du plaignant par cette dernière entreprise, il conviendrait que la partie de l’ordonnance relative à l’indemnité vise conjointement les deux mis en cause. Par ailleurs, je suis persuadé qu’il suffira d’émettre une ordonnance contre la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. pour que le plaignant soit indemnisé. En l’absence d’autres observations à caractère juridique en ce qui a trait à la responsabilité conjointe aux termes de la Loi, je suis d’avis qu’il est trop tôt pour rendre une décision à ce sujet. Étant donné que rien ne m’oblige à trancher cette question, je m’abstiens de le faire, et seul le nom de la Eastern Canadien

> - 53 Greyhound Lines Ltd., clairement responsable, figurera dans la partie de l’ordonnance relative à l’indemnité.

ORDONNANCE JE DÉCLARE

que la politique des mis en cause consistant n’engager

aucune personne de plus de 35 ans au poste de conducteur d’autobus constitue une pratique discriminatoire contraire à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

J’ORDONNE que la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., en tant que mis en cause, offre au plaignant, Frank McCreary, la prochaine place disponible dans son cours de formation des conducteurs et, s’il le termine avec succès, les mêmes chances d’emploi que les autres personnes ayant obtenu une note comparable, pourvu que le plaignant satisfasse aux conditions d’emploi normales et uniformément appliquées pour les conducteurs d’autobus, notamment les exigences relatives à l’acuité visuelle, et J’ORDONNE EN OUTRE que le mis en cause avise le plaignant, au moins six mois à l’avance, de la date à laquelle le cours doit commencer;

J’ORDONNE que la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd., à titre de mis en cause, verse au plaignant, Frank McCreary, la somme de 1 500 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral.

> - 54 Fait ce 16e jour d’octobre 1984.

Robert W. Kerr

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.