Tribunal canadien des droits de la personne

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DT- 5/ 84

Décision rendue le 4 avril 1984

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 77, C. 33, version modifiée ET DANS L’AFFAIRE de l’appel interjeté par M. Julius Israeli, en date du 25 août 1983, de la décision du tribunal des droits de la personne rendue le 8 août 1983

ENTRE

M. JULIUS ISRAELI plaignant (appelant)

ET

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

et

la COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE Mise en cause

Le plaignant, Julius Israeli, allègue que la Commission canadienne des droits de la personne et la Commission de la fonction publique du Canada ont fait preuve à son égard de discrimination fondée sur la religion, la déficience ou l’origine nationale, ou l’ensemble de ces motifs, en rejetant sa candidature à un poste d’enquêteur régional de la Commission des droits de la personne. Étant donné que la Commission des droits de la personne a un personnel peu nombreux, c’est la Commission de la Fonction publique qui est responsable de la sélection de ses employés. Parce qu’il y va évidemment de son propre intérêt, la Commission des droits de la personne participe également de près au processus de sélectivité. C’est donc à bon droit que les deux organismes sont considérés comme parties aux présentes.

Les faits en question se sont produits en 1979, à l’occasion de la première opération de sélection effectuée par la Commission des droits de la personne en vue de combler le poste d’enquêteur régional. Un concours distinct était prévu pour chacune des divisions régionales que la Commission des droits de la personne s’apprêtait à établir à l’époque. M. Israeli a participé au concours organisé pour le bureau de Halifax qui devait desservir les quatre provinces atlantiques.

PROCESSUS DE SÉLECTION

Le processus de sélection comprenait un certain nombre d’étapes.

Par souci de précision, signalons que, dans cet exposé des faits, lorsque nous mentionnerons pour la première fois les divers documents utilisés dans le cadre du processus de sélection, nous nous servirons à la fois de la terminologie en usage dans le Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique, s’il y a lieu, et de celle dont se servaient en l’occurrence les responsables de la sélection pour désigner ces documents. Par la suite, nous n’emploierons que la terminologie effectivement utilisée en l’espèce car c’est probablement celle que connait le mieux quiconque s’intéresse au processus.

A l’origine, la décision de créer le poste en question a donné lieu à l’établissement d’une description de poste assez détaillée appelée, dans le jargon des responsables du processus de sélection, une formule d’analyse de poste. Après avoir reçu l’autorisation de procéder à la nomination, les responsables ont rédigé un résumé des qualités que doit posséder le titulaire du poste. C, est ce qu’on appelle un énoncé des qualités requises, au paragraphe 4( 1) du Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique, et un profil de sélection, dans le langage des responsables du processus.

Essentiellement, le profil de sélection se divisait en deux parties. Il y avait d’abord la liste des qualités minimales requises ou qualités essentielles, selon l’article 2 et le paragraphe 4( 2) du Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique, ou exigences fondamentales, dans le cas qui nous occupe. Deuxièmement, il y avait la liste des facteurs additionnels à prendre en considération dans l’évaluation des candidats au poste, facteurs désignés respectivement dans le Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique (article 2 et paragraphe 4( 2)) et dans le cas en question par les termes de qualités souhaitables et exigences cotées.

A ce stade, on a également rédigé un avis de concours. Comme le concours était ouvert à des personnes de l’extérieur de la Fonction publique et que l’avis devait être diffusé dans les organes d’information, on y avait joint un résumé des qualités requises qui, pour des raisons d’ordre pratique, était plus bref que celui annexé au profil de sélection. Plus précisément, un bref résumé des exigences fondamentales accompagnait l’avis de concours. Conformément au paragraphe 4( 1) du Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique, toute personne intéressée peut se procurer, sur demande, la liste complète des qualités requises jointe au profil de sélection.

Des demandes d’emplois sont alors arrivées sur la formule prescrite par la Commission de la Fonction publique. Après l’expiration du délai de présentation, les demandes ont fait l’objet d’une sélection préliminaire. A cette fin, on a rédigé un document appelé profil de présélection qui n’était en fait qu’une copie des exigences fondamentales tirées du profil de sélection. On se fonda uniquement sur les exigences fondamentales; il s’agissait d’éliminer du groupe des candidats ceux qui ne possédaient pas les qualités nécessaires pour accéder à l’étape suivante, plus complexe, de l’évaluation.

Signalons en passant que lorsque le nombre de candidats dépasse le nombre de postes disponibles, la sélection doit nécessairement se faire par voie de concours. Ce que confirme d’ailleurs l’utilisation du terme concours pour désigner le processus de sélection dans la fonction publique fédérale. Il est impossible de déterminer à l’avance le nombre de candidats par rapport au nombre de postes à combler et, à tout le moins dans le cas des concours publics, il semble impossible même d’évaluer le nombre de candidats éventuels. Par conséquent, le processus doit inévitablement revêtir une certaine souplesse à l’étape de la présélection. L’étape suivante, celle de l’évaluation comme telle, entraîne des dépenses considérables à la fois pour le gouvernement qui y investit des ressources humaines et financières et pour les candidats qui doivent prendre le temps de se préparer et de se soumettre à l’entrevue. Il serait irresponsable de ne pas éliminer à la présélection les candidats qui n’ont pas vraiment de chances d’être sélectionnés. Dans une certaine mesure, le nombre et les compétences des candidats entrent en ligne de compte à ce niveau. S’il y a un grand nombre de candidats très compétents, on peut s’attendre à ce que les exigences fondamentales soient appliquées très strictement à l’étape de la présélection.

D’autre part, s’il n’y a que quelques candidats plus ou moins compétents, on peut s’attendre à ce que les exigences fondamentales soient appliquées avec beaucoup moins sévérité à ce stade. Cela est vrai, évidemment, dans certaines limites. Il peut exister un grand nombre de candidats répondant de toute évidence aux exigences fondamentales et qu’on ne peut éliminer, par conséquent, à l’étape de la présélection. D’autre part, il se peut que le nombre de candidats en mesure de satisfaire aux exigences fondamentales soit tellement restreint, et ce même si on applique les critères de sélection d’une façon très large, qu’il s’avère impossible, dès l’étape de la présélection, de combler les postes disponibles.

En d’autres termes, de par sa nature même, la présélection ne saurait consister en une application scientifique pure et simple des critères énoncés dans les exigences fondamentales aux renseignements fournis dans les demandes d’emplois. Le responsable doit faire preuve de jugement, d’autant plus que les antécédents des candidats ont peu de chances de garantir qu’ils possèdent nombre des qualités spécifiquement requises pour un poste. Bien que cet élément subjectif puisse favoriser la discrimination, c’est un fait reconnu par les spécialistes des droits de la personne que les dangers de cet ordre sont aussi grands lorsque la présélection fait appel à des méthodes qui semblent plus objectives et plus scientifiques pour classer les candidats sur le plan qualitatif. Par exemple, il peut sembler juste et plus scientifique d’avoir recours à des tests objectifs et à des examens écrits. Cependant, il est maintenant généralement reconnu que ces tests et examens sont non seulement souvent moins efficaces que l’observation basée sur l’expérience pour évaluer la compétence d’une personne, mais également qu’ils sont fort susceptibles d’être entachés de préjugés culturels et, par conséquent, qu’ils tendent à opérer une distinction à l’égard des groupes que la législation sur les droits de la personne vise précisément à protéger.

Étant donné que la demande de M. Israeli a été rejetée à l’étape de la présélection, les éléments de preuve, peu nombreux, se rapportant aux étapes suivantes n’ont qu’une importance limitée en ce qui a trait à la plainte. Il semble que les candidats qui avaient satisfait aux exigences fondamentales à la présélection aient été invités à une entrevue, après quoi chacun a été évalué à partir des exigences cotées énoncées dans le profil de sélection. Sur la foi de cette évaluation, les candidats ont été classés, les postes disponibles leur étant offerts selon l’ordre de leur classement.

Sur cette toile de fond du processus de sélection, il convient d’examiner plus en détail ce qui s’est passé à l’étape de la présélection, surtout en ce qui touche la demande de M. Israeli. Le jury de présélection se composait de trois membres: Brenda Hundson, qui porte maintenant le nom de Mme Firth, Lucille Finsten et Hugh W. McKervill. En sa qualité d’employée de la Commission de la Fonction publique, Mme Firth était chargée, à cette étape du processus de sélection, de s’acquitter des responsabilités incombant à cet organisme, Mme Finsten était engagée par contrat pour conseiller la Commission des droits de la personne en matière de sélection du personnel et pour assurer une certaine uniformité dans la sélection des enquêteurs pour les divers bureaux régionaux. M. McKervill était directeur régional du bureau de Halifax de la Commission des droits de la personne et faisait partie du jury à titre de supérieur immédiat des personnes éventuellement embauchées.

Deux- cent- dix- huit demandes ont été reçues dans le délai fixé pour combler deux postes. Le jury a d’abord discuté des critères en vue, notamment, de les clarifier et de convenir de la façon d’interpréter les exigences fondamentales relatives à l’expérience. Signalons que c’est à cet égard que les membres du jury devaient surtout faire preuve de jugement et que cette discussion préliminaire était donc éminemment souhaitable. Ils ont ensuite procédé à l’étude des 218 demandes, chaque membre du jury prenant connaissance de chacun des dossiers.

Après une première lecture de chaque dossier, les membres pouvaient en arriver à la conclusion unanime que les candidats satisfaisaient ou non, de toute évidence, aux exigences fondamentales. Dans un certain nombre de cas, notamment celui de M. Israeli, ils n’ont pu faire pareille unanimité. Les dossiers ont donc été étudiés une seconde fois, et même plus, jusqu’à ce que les membres décident unanimement de rejeter la demande ou de la faire accéder au stade de l’évaluation. Afin de faciliter cette prise de décision, les membres du jury ont inscrit leurs observations concernant le candidat sur une copie du profil de présélection joint, à cette fin, à chaque demande. Après avoir examiné la demande de M. Israeli une seconde et peut- être une troisième fois, les membres du jury ont convenu que ce dernier ne satisfaisait pas aux exigences fondamentales selon l’interprétation convenue.

Autre point important à souligner: avant de présenter sa demande, M. Israeli a demandé à Adrian L. Poirier, de la Commission de la Fonction publique à Halifax, de lui faire parvenir un exemplaire de l’énoncé de qualités. Dans l’avis de concours, M. Poirier était en effet désigné comme étant la personne à laquelle il fallait adresser les demandes. M. Israeli a reçu un document intitulé:

"Statement of qualifications, Regional Investigator, Halifax Regional Office"

(Énoncé de qualités, enquêteur régional, bureau régional de Halifax). S’il ressemblait beaucoup au profil de sélection, ce document comportait également d’importantes différences. Aucune des parties n’a jugé bon de faire témoigner M. Poirier. Mme Firth, le témoin vraisemblablement le mieux placé pour expliquer ce document, ne pouvait que supposer qu’il devait s’agir d’une version provisoire. L’avis de concours s’inspirait du profil de sélection. En conséquence, l’avis et le profil de sélection utilisés pour la sélection préliminaire des candidats différaient tous deux, de la même manière, quoiqu’à un niveau différent, du document transmis à M. Israeli. Ce dernier a noté cet écart entre l’avis de concours et le document qu’on lui avait transmis dans le but de l’aider à préparer sa demande. Il a fondé celle- ci sur le premier document.

L’HISTOIRE DE LA PLAINTE

La plainte de M. Israeli, en date du 20 mars 1979, a été déposée auprès de la Commission des droits de la personne. Il semble qu’on ait tenté de confier l’enquête à une commission provinciale des droits de la personne, compte tenu du fait que la Commission était mal placée pour mener une enquête sur son propre compte. Finalement, la Commission des droits de la personne du Québec s’est occupée de l’enquête et a soumis son rapport à la Commission canadienne en janvier 1982. Le 3 février 1983, William Tetley a été choisi par la Commission canadienne des droits de la personne pour faire office de tribunal chargé d’entendre l’affaire. Dans sa décision du 8 août 1983, le tribunal a jugé que la plainte n’était pas fondée: (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1616. M. Israeli ayant interjeté l’appel le 25 août, le tribunal d’appel a été constitué le 7 septembre suivant et a entendu l’affaire le 19 janvier 1984.

Le document plutôt long par lequel M. Israeli fait part de sa décision d’interjeter l’appel soulève un certain nombre de points plus ou moins importants. Dans la communication détaillée qu’il a présentée de vive voix, M. Israeli a fait valoir ces points et en a soulevé quelques autres. Il a également signalé certaines erreurs dans la façon dont ses motifs d’appel étaient formulés. Compte tenu du fait que M. Israeli n’a pas retenu les services d’un avocat et de l’étendue de nos pouvoirs de révision, nous n’avons pas l’intention d’aborder d’une façon technique les motifs de l’appel. Nous en avons d’ailleurs informé les parties lors de l’audience.

Cependant, nous n’avons pas non plus l’intention de passer en revue chacun des points soulevés par M. Israeli dans son avis d’appel ou dans sa communication orale. Nous nous arrêterons plutôt aux questions qui nous semblent importantes. Si certains des points soulevés par M. Israeli sont laissés de côté, c’est qu’ils nous semblent n’influer en rien sur notre décision.

M. Israeli n’était pas représenté par un avocat. Préoccupés par le fait que l’avocat de la Commission des droits de la personne n’appuierait pas la plainte, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des cas, nous avons demandé à M. Israeli s’il désirait être représenté par un avocat. Il nous a fait savoir qu’il se chargerait lui- même de sa défense.

LES QUESTIONS RELATIVES A LA PROCÉDURE

L’appel de M. Israeli soulève à la fois des questions relatives à la procédure suivie par le premier tribunal et des questions touchant le bien- fondé de sa décision. Examinons d’abord les questions relatives à la procédure.

Lors de l’audience, M. Israeli a demandé qu’aucun témoin n’assiste aux dépositions. A l’origine, le tribunal avait rejeté cette demande parce qu’il lui semblait probable que M. Israeli serait lui- même appelé à témoigner et qu’il serait injuste de l’exclure. De toute évidence le tribunal était mal renseigné sur ce point car les parties échappent toujours à une telle exclusion. Le tribunal a reconnu sa propre erreur au début de la seconde journée d’audience, mais il a indiqué qu’il préférait néanmoins que les témoins assistent à l’audience et qu’il exercerait son pouvoir discrétionnaire en conséquence.

Dans la mesure où le tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire en la matière, nous sommes d’avis que notre intervention serait inopportune. La Loi stipule clairement que le tribunal d’appel doit rendre sa décision en se fondant sur le dossier établi par le premier tribunal. Cela signifie nécessairement que ce dernier a la responsabilité de la procédure consignée dans le dossier. D’un point de vue pratique, le tribunal d’appel n’est pas en mesure d’annuler la procédure, bien qu’il puisse, évidemment, tenter de réévaluer les éléments de preuve en tenant compte de la possibilité d’une erreur. Le tribunal d’appel ne doit cependant intervenir que s’il est persuadé que le premier tribunal a commis une erreur judiciaire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose en matière de procédure.

L’exclusion des témoins se justifie dans les cas où au moins deux témoins doivent faire une déposition au sujet des mêmes faits. Dans le cas qui nous intéresse, cela touche uniquement les témoignages de Mme Firth, Mme Finsten et M. McKervill, qui formaient le jury de présélection. Rien dans le témoignage de ces trois personnes permet même de soupçonner qu’elles aient pu être influencées par le fait d’avoir entendu les dépositions précédentes. Au contraire, cela a grandement facilité les choses en permettant à Mme Finsten et à M. McKervill de confirmer tout simplement le témoignage de Mme Firth concernant de nombreux faits non controversés relatifs à la façon dont le jury a procédé. Par conséquent, rien ne nous permet de croire qu’une erreur judiciaire puisse avoir été commise. Dans cette optique, il serait inopportun que nous fassions des observations sur la façon dont nous aurions exercé notre pouvoir discrétionnaire si nous avions été à la place du premier tribunal car cela équivaudrait simplement à mettre en doute après coup la façon dont le premier tribunal l’a exercé.

Dans la mesure où le premier tribunal a commis une erreur au début de l’audience, il a su la rectifier complètement lorsqu’il en a pris conscience. L’interrogatoire principal de Mme Firth, la première des trois personnes appelées à rendre témoignage au sujet des mêmes faits, était alors aux trois quarts terminé. C’est surtout au début du contre- interrogatoire de Mme Firth que les deux autres témoins auraient pu être influences par le fait d’entendre sa déposition. Ce n’est en effet qu’à ce stade que le témoin est susceptible d’être confronté à des questions imprévues pouvant faire ressortir des divergences, s’il y a lieu. Par conséquent, nous croyons que même s’il avait précédemment commis une erreur, le premier tribunal n’a pas mal usé de son pouvoir discrétionnaire en n’excluant pas les témoins. Au début de la seconde journée d’audience, lorsqu’il reconnut son erreur et permit aux témoins de rester, il exerçait toujours le pouvoir discrétionnaire lui revenant de droit d’une façon qui ne justifie aucune ingérence de notre part.

M. Israeli prétend également que le tribunal l’a empêché, jusqu’à un certain point, de faire valoir sa cause en ce sens qu’il a permis aux autres parties, dans des circonstances similaires, de faire certaines choses qui lui ont été refusées. Il fait allusion, notamment, aux décisions qui l’ont empêché de poser certaines questions tendancieuses et aux présumées pressions exercées par le tribunal afin qu’il témoigne. Même si le premier tribunal a fait des observations qui, à notre avis, étaient déplacées concernant par exemple le coût de la procédure, nous croyons que, dans l’ensemble, les membres ont entendu tous les arguments de M. Israeli dans un esprit d’impartialité.

Ce que M. Israeli considérait comme une ingérence dans sa présentation des faits n’était, dans la plupart des cas, qu’une invitation que lui faisait le tribunal à se contenter de présenter des éléments de preuve nécessaires à l’établissement du bien- fondé de sa plainte. A l’occasion, le tribunal semble avoir atteint la limite au- delà de laquelle il aurait fait preuve de partialité envers un témoin en suggérant le type d’éléments de preuve qu’il faillait soumettre. En ce qui a trait aux présumées pressions exercées sur M. Israeli afin qu’il témoigne, les remarques du tribunal ne peuvent être interprétées en ce sens que si elles sont prises hors contexte. La plupart de ces remarques ne font que reconnaître que M. Israeli devra probablement témoigner pour établir certains points importants de sa cause. Pour le reste, il semble que le tribunal se soit simplement borné à demander à M. Israeli s’il avait l’intention de témoigner, ce à quoi ce dernier a répondu qu’il ne s’y opposait nullement de toute façon.

Les remarques du premier tribunal qui, après coup, semblent déplacées, témoignent simplement de l’impatience, bien compréhensible de celui- ci, face à l’incapacité ou au refus évident de M. Israeli de comprendre qu’il lui faisait perdre du temps. Un tribunal doit veiller à ce que la procédure se déroule d’une façon ordonnée et, quelquefois, le seul moyen d’y arriver est de perdre visiblement patience.

Il est vrai qu’on a permis à l’avocat des mis en cause de poser des questions tendancieuses à leurs propres témoins et qu’à certains moments, M. Israeli n’a pu en faire autant. Cependant, il s’agit là d’une pratique habituellement tolérée dans le but d’accélérer l’audience dans les cas où aucun doute véritable ne subsiste concernant un témoignage. Étant donné que les avocats sont le mieux placés, de par leur formation juridique, pour savoir exactement ce qui est ou n’est pas pertinent, il est plus pratique de leur laisser le soin d’énumérer les faits pertinents, quitte à ce que les témoins se contentent d’acquiescer tant qu’ils sont d’accord. Voilà en quoi consistaient les questions tendancieuses posées aux témoins par l’avocat des mis en cause avec la permission du tribunal. D’autre part, bien que M. Israeli ait été rappelé à l’ordre quelquefois pour avoir posé à un témoin des question tendancieuses, le tribunal a essentiellement tenté de faire en sorte qu’il s’en tienne aux éléments pertinents et de l’empêcher de susciter des discussions lors de la présentation des éléments de preuve. A notre avis, le droit de M. Israeli d’être entendu sans restriction et en toute impartialité a été respecté.

M. Israeli a aussi soulevé la question de l’exclusion de certains éléments de preuve relatifs à d’autres demandes d’emploi qu’il a adressées à la Commission des droits de la personne. Il semble que ces autres demandes d’emploi aient également été rejetées. Lors de l’audience, le tribunal a reçu certains de ces éléments de preuve en se réservant le droit de déterminer, au moment de rendre sa décision, s’il les recevrait effectivement en preuve. D’autres éléments de preuve qui n’avaient pas été reçus ont cependant été étudiés par le tribunal avant cette décision. En ce qui a trait aux documents reçus sous réserve, le tribunal a signalé à l’audience qu’il n’en tiendrait pas nécessairement compte au moment de se prononcer. Dans sa décision, il a indiqué n’avoir trouvé de preuve de discrimination ni dans les documents qu’il avait reçus sous réserve ni dans les documents connexes qu’il avait étudiés sans toutefois les recevoir même sous réserve.

Bien que cette question n’ait pas été soulevée par M. Israeli, nous sommes d’avis que le tribunal a agi d’une façon peu souhaitable en étudiant ces éléments de preuve avant de décider de leur recevabilité. Si le juriste a la compétence voulue pour distinguer, parmi les documents qu’il a vus, ceux qui sont recevables en preuve et ceux qui ne le sont pas, et pour s’acquitter de l’obligation de laisser de côté ces derniers, il est préférable qu’il ait le moins possible à le faire.

Dans la plupart des cas, le tribunal n’a besoin que d’une description générale des éléments de preuve présentés pour statuer sur leur recevabilité. Les membres du tribunal oublieront ainsi plus facilement les éléments de preuve que s’ils les avaient étudiés. Dans certaines situations, évidemment, il peut s’avérer impossible de déterminer la recevabilité d’éléments de preuve sans les avoir au préalable examinés. A notre avis, cependant, cela n’aurait pas été nécessaire dans le cas qui nous occupe, et le tribunal aurait dû se prononcer sur la recevabilité des éléments de preuve avant de les étudier.

L’approche adoptée par le tribunal nous semble d’autant plus malheureuse qu’il a indiqué dans sa décision qu’après avoir étudié les éléments de preuve irrecevables, il n’y avait relevé aucune trace de discrimination. Il faut maintenant réviser sa décision en nous fondant sur un dossier où il n’est nullement fait état desdits éléments de preuve. En outre, étant donné que le premier tribunal a pu examiner les éléments de preuve exclus, l’étude de leur recevabilité sur la foi du dossier repose, dans une large mesurer sur la connaissance qu’en avait le tribunal plutôt que sur les observations des avocats. Nous nous retrouvons devant un dossier qui ne nous fournit pas autant de renseignements que nous le voudrions pour juger de la recevabilité des éléments de preuve.

En ce qui a trait à cette dernière question, nous avons certains doute sur le bien- fondé de la décision rendue par le premier tribunal. Puisque les éléments de preuve avaient trait notamment à d’autres demandes d’emploi adressées aux mis en cause par M. Israeli, nous ne sommes pas convaincus qu’il faille s’inquiéter autant que le prétendent les mis en cause au sujet des conséquences défavorables de la présentation d’une preuve d’actes similaires. L’une des raisons importantes pour lesquelles on s’y oppose normalement est le lourd fardeau imposé à la partie défendresse qui doit alors soumettre des éléments de preuve visant à justifier sa conduite en d’autres occasions. Cela s’explique notamment par le fait que ces occasions mettent en cause d’autres parties et qu’il faudrait alors élargir considérablement la portée de l’enquête. Ce facteur semble moins important lorsqu’aucune autre partie n’est concernée. L’avocat des mis en cause a fait valoir la difficulté qu’il y aurait à faire comparaître les personnes qui ont traité les autres demandes d’emploi de M. Israeli. Il s’agissait pourtant de personnes qui travaillent pour les mis en cause. Nous ne croyons pas qu’un organisme puisse invoquer sa taille et la diversité de ses opérations pour faire valoir qu’il serait trop coûteux d’amener ses propres représentants à la barre des témoins.

Bien que le premier tribunal ait semblé, dans sa décision, pencher en faveur de la recevabilité des preuves d’actes similaires, le dossier indique que figuraient au nombre des documents rejetés les profils de présélection renfermant des observations relatives aux autres demandes d’emploi de M. Israeli et révélant probablement les raisons pour lesquelles celles- ci furent rejetées. Étant donné que la discrimination aurait dû, le cas échéant, se produire à une étape comme celle de la présélection, cela signifie que les documents exclus représentaient les preuves d’actes similaires les plus concluants présentés par M. Israeli.

D’autre part, tout organisme est fait de plusieurs personnes. Dans la mesure où, pour établir la force d’une preuve d’actes similaires, il peut être nécessaire de dégager une façon de procéder qui témoigne d’une intention dans tel ou tel sens, les éléments de preuve fournis par divers membres de l’organisme n’ont de valeur probante que s’il est prouvé qu’une même personne est à l’origine de ces actes en question. Par conséquent, les preuves ont pu être rejetées en raison de leur peu de valeur probante plutôt qu’en raison du fardeau qu’auraient dû assumer les mis en cause pour justifier leur conduite.

M. Israeli n’a pas cherché à nous saisir des documents rejetés comme éléments de preuve additionnels. Dans la mesure où les éléments de preuve connexes figurent au dossier parce qu’ils ont été reçus sous réserve, nous sommes d’accord avec le premier tribunal pour conclure que rien ne permet d’affirmer qu’il y a eu discrimination. En dernière analyser nous croyons qu’il est inutile de nous prononcer sur le bien- fondé de l’exclusion de certains éléments de preuve étant donné qu’à notre avis les faits relatifs à la plainte sont parfaitement clairs. Par conséquent, la preuve d’actes similaires, quelle qu’elle soit, ne pourrait influer sur notre décision.

En résumé, bien que le premier tribunal ait commis à notre avis certaines erreurs mineures de procédure, l’examen du dossier dans son ensemble nous amène à conclure qu’elles ne l’ont pas empêché d’entendre en toute impartialité la totalité des arguments de M. Israeli et qu’elles n’ont pas influé sur sa décision finale. Si M. Israeli n’en est pas convaincu, c’est certainement parce qu’il ne s’est pas rendu compte à quel point le tribunal avait tenté de l’aider afin de s’assurer que son cas soit bien présenté. S’il y a un malentendu, nous ne pouvons en blâmer le tribunal car il a fait tout ce qu’il pouvait pour conseiller M. Israeli sur la marche à suivre.

Le malentendu a peut- être été aggravé du fait que le premier tribunal a utilisé la terminologie du droit civil alors que M. Israeli a, semble- t- il, concentré ses vastes recherches juridiques sur des documents relatifs au common law. Ce qui n’a pas aidé la compréhension, c’est le fait que M. Israeli semble s’être intéressé surtout au droit américain qui, bien que fondé sur le common law peut être tout aussi éloigné du droit canadien, qu’il s’agisse du common law ou du droit civil, que ceux- ci le sont quelquefois l’un par rapport à l’autre. Dans l’ensemble, nous sommes convaincus que le tribunal a en fin de compte dissipé ce malentendu dans le mesure où il le pouvait et qu’il a entendu sans restriction et en toute impartialité les arguments de M. Israeli.

LA QUESTION DE LA DISCRIMINATION

Examinons maintenant le bien- fondé de la plainte. Essentiellement, M. Israeli a invoqué trois types d’arguments différents à l’appui de sa plainte. Il a allégué que certaines observations faites sur le profil de présélection à propos de sa demande d’emploi ainsi que le témoignage d’une des personnes qui ont pris part à la présélection constituaient des preuves directes de discrimination. Il a prétendu que certaines irrégularités commises dans le traitement et l’évaluation de sa demande d’emploi pouvaient laisser croire à l’existence d’une intention discriminatoire étant donné qu’aucune autre explication satisfaisante n’a été fournie. Il a également plaidé que certaines des exigences de l’emploi tendaient à faire exclure les membres de minorités ou de groupes désavantagés et ne constituaient pas des exigences professionnelles justifiées.

M. Israeli a attiré notre attention sur deux éléments pouvant constituer des preuves directes de discrimination. Premièrement, après que le tribunal eut fait allusion aux qualifications des personnes ayant réussi à l’étape de la présélection, Mme Firth a déclaré en substance ce qui suit:

"Est- il suffisant de souligner que parmi les dix candidats sélectionnés, il y avait un noir, un handicapé et, je crois, certaines personnes appartenant à des groupes d’intérêts spéciaux."

(traduction) Deuxièmement, Mme Finsten a écrit ce qui suit sur le profil de sélection joint à la demande de M. Israeli:

"Personnellement engagé dans la lutte contre la discrimination, particulièrement l’antisémitisme (question unique)".

(traduction)

Si on la considère comme une description des qualifications des candidats reçus à l’étape de la présélection, l’allusion de Mme Firth a un noir et à un handicapé peut en effet nous laisser croire que cette dernière a pris une décision fondée sur des facteurs discriminatoires. Toutefois, cette interprétation n’est convenable que si la déclaration de Mme Firth est prise hors contexte. La question que venait de lui poser le tribunal et à laquelle elle devait répondre était la suivante:

"Quels étaient les quatre ou les dix candidats choisis?"

(traduction), c’est- à- dire les personnes qui avaient réussi à l’étape de la présélection. L’avocat de la Commission de la Fonction publique a alors fait valoir que le témoin n’était pas en mesure de répondre à toutes ces questions, n’ayant pas participé aux étapes ultérieures du processus d’embauchage. C’est ensuite que le tribunal a soulevé la question des qualifications afin d’expliquer pourquoi il posait ce genre de questions. Mme Finsten a alors fait la déposition susmentionnée.

Dans ce contexte, il semble évident que Mme Firth répondait à la question lui demandant d’identifier d’une façon ou d’une autre ces personnes plutôt que de décrire leurs qualifications. Elle visait manifestement à fournir au tribunal des renseignements susceptibles de lui être utiles en l’espèce tout en évitant, si possible, de violer la vie privée de ces personnes. Cela est confirmé par la réaction immédiate du tribunal qui a répondu:

"Vous tentez de faire preuve de bonne foi, mais..."

(traduction).

En résumé, nous sommes convaincus qu’il n’y a pu lieu de voir dans la réponse de Mme Firth une indication du fait qu’elle considérait comme des qualifications professionnelles les caractéristiques qu’elle a mentionnées.

La remarque de Mme Finsten selon laquelle M. Israeli s’intéressait principalement à l’antisémitisme s’explique également par le contexte. Elle a été faite en rapport avec l’expérience du candidat dans le domaine de l’action positive, des droits civils ou des programmes de sensibilisation spéciaux (traduction). La Commission des droits de la personne s’occupe d’une vaste gamme de questions relatives aux droits de la personne, et le candidat choisi pourait être appelé à enquêter sur des plaintes touchant n’importe laquelle de ces questions. Par conséquent, il était parfaitement raisonnable de s’attendre à ce que l’expérience des candidats à cet égard soit à la fois variée et répartie dans un certain nombre de domaines. Même si M. Israeli affirmait avec vigueur avoir indiqué sur sa demande qu’il possédait de l’expérience dans d’autres domaines, n’importe qui en aurait déduit qu’il s’intéressait principalement à l’antisémitisme ou, du moins, qu’il s’y intéressait d’une façon marquée. Dans ce contexte, nous sommes convaincus que Mme Finsten, par sa remarque, n’établissait pas de distinction fondée sur des motifs interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne. M. Israeli a aussi posé la question de savoir si cette exigence en matière d’expérience était justifiée; nous y reviendrons dans nos réflexions d’ensemble sur les exigences professionnelles justifiées.

Les irrégularités qui, selon M. Israeli, permettent de conclure qu’il y a eu discrimination se rattachent au fait qu’il a reçu un document censé être l’exposé de qualités du poste et qu’il a été en désaccord avec l’évaluation de sa demande. Soulignons tout d’abord qu’un tribunal des droits de la personne n’est pas un organisme chargé d’entendre n’importe quel appel interjeté des erreurs ou même des actes illégaux de ceux qui sont soumis à l’autorité de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces erreurs ou actes illégaux ne nous intéressent que dans la mesure où ils constituent des actes discriminatoires fondés sur l’un des motifs de distinction illicite énumérés dans la Loi.

Par ailleurs, nous admettons l’allégation de M. Israeli voulant que si des membres d’un groupe minoritaire ou défavorisé peuvent prouver avoir été victimes de certaines irrégularités, il y a tout lieu de croire, en l’absence d’une autre explication plus plausible, qu’ils ont été victimes de discrimination. Cependant, pour tirer cette conclusion, il faut avoir pesé tous les éléments de preuve. En outre, l’importance à accorder aux preuves d’irrégularités est beaucoup plus grande si la personne s’estimant victime de discrimination peut démontrer qu’aucune irrégularité semblable ne s’est produite dans le cas de personnes n’appartenant pas au groupe minoritaire ou défavorisé en question.

On n’a pas véritablement expliqué pourquoi M. Israeli avait reçu un énoncé de qualités différent de celui qui était joint à l’avis de concours et au profil de sélection devant servir à l’évaluation des candidats. L’affirmation de Mme Firth voulant qu’il s’agissait peut- être d’une version provisoire n’est qu’une supposition. Il nous semble peu vraisemblable qu’un agent responsable ai adressé une simple ébauche à un candidat. Mme Firth a également affirmé que le profil de sélection correspondait à l’énoncé de qualités exigé par le Règlement sur l’emploi dans la Fonction publique. Fait à remarquer, cependant, le document reçu par M. Israeli était intitulé énoncé de qualités et non pas profil de sélection. Étant donné que le terme énoncé de qualité est celui qu’on retrouve dans le Règlement, il nous semble plus probable, compte tenu des pratiques administratives courantes, que le document intitulé énoncé de qualités soit celui que l’on a fait parvenir aux intéressés conformément au Règlement.

Il ne faut pas oublier que Mme Firth, seul témoin à bien conaître les méthodes en vigueur aux étapes antérieures à celle de la présélection, était un agent de la Commission de la Fonction publique qui, à ce titre, participait régulièrement au processus d’embauchage. Dans son témoignage relatif à ces étapes préliminaires, elle s’est arrêtée à la façon de procéder habituelle plutôt qu’aux détails propres au concours en question. Selon la preuve, le processus de dotation était déjà commencé lorsqu’on s’est préoccupé d’assurer l’uniformité entre les concours se déroulant dans diverses régions. Si le document reçu par M. Israeli portait en sous- titre la mention Bureau régional de Halifax, c’est fort probablement parce qu’il a été rédigé avant qu’on prenne la décision d’assurer l’uniformité à l’échelle nationale et, peut- être en raison d’un manque de communication, qu’il n’a jamais été modifié en conformité avec cette décision. Évidemment, nous ne pouvons également qu’avancer des hypothèses. Au fond, il s’agit de déterminer si, en l’absence d’une explication valable de la part des mis en cause, il est permis de conclure à l’existence d’un acte de discrimination.

Nous ne pouvons tout simplement pas croire qu’en l’absence de preuve du fait que les autres candidats ont reçu un document différent, l’envoi à M. Israeli du document intitulé Énoncé de qualités ait constitué un acte discriminatoire. En fait, le bon sens et la logique nous portent plutôt à croire que toutes les personnes ayant présenté une demande ont probablement reçu le même document. En outre, il est évident que M. Israeli a remarqué la différence entre ce document et l’avis et qu’il a fondé sa demande d’emploi sur ce dernier. C’est pourquoi, même si on lui avait transmis le mauvais document dans un but discriminatoire, ce qui nous semble absolument impossible, M. Israeli n’a pas été défavorisé pour autant au moment de remplir sa demande.

En ce qui a trait à l’évaluation de sa demande par le jury de présélection, M. Israeli a déclaré à maintes reprises que les critères n’avaient pas été les mêmes qu’à l’égard des autres demandes. Il semble fonder cette affirmation sur le fait que certaines observations avaient été inscrites sur sa formule de demande, observations qui, à son avis, ne correspondaient aux critères énoncés dans le profil de présélection.

Dans ce dernier document, les critères étaient énoncés en termes généraux, qui risquait inévitablement de laisser planer une certaine ambiguïté. Comme on l’indique dans la description de la procédure ci- dessus, les membres du jury de présélection ont discuté des critères avant d’entreprendre l’étude des demandes d’emploi afin de s’assurer qu’ils étaient d’accord sur leur interprétation. Dans la mesure où les observations figurant sur le profil de présélection de M. Israeli diffèrent de sa propre interprétation des critères, cela s’explique pleinement par le fait que les membres du jury de présélection avaient leur propre façon d’interpréter les critères. Il ressort clairement de la preuve que l’interprétation des critères a été uniforme pour toutes les demandes d’emploi, y compris celle de M. Israeli. Par conséquent, celui- ci a eu droit au même traitement que les autres candidats et n’a pas été victime de discrimination, même si cette façon de procéder n’était pas courante. Comme nous l’avons indiqué dans la description de la procédure, nous sommes de toute façon convaincus qu’elle était parfaitement adéquate.

Comme n’importe quel candidat à un poste, M. Israeli aurait préféré que les critères soient interprétés d’une façon qui lui soit plus favorable. Cependant, les membres du jury de présélection les ont interprétés d’une façon tout à fait raisonnable. Aucun candidat n’a le droit d’imposer sa propre interprétation des critères. Si tel était le cas, tous les candidats devraient vraisemblablement bénéficier de ce droit et il serait alors pratiquement inutile d’effectuer une présélection car on peut supposer que très peu de personnes présenteraient leur candidature à un poste pour lequel elles ne se croiraient pas qualifiées.

Si M. Israeli a prétendu que sa demande avait été traitée différemment, c’est peut- être, dans une certaine mesure, parce qu’on y avait fait des remarques spécifiques qui, de surcroit, différaient probablement de celles figurant sur d’autres demandes. Cependant, il s’agissait- là simplement d’une étape nécessaire dans la prise d’une décision relative à la demande. Il fallait évaluer sa demande en fonction des critères applicables à tous les candidats. Les éléments entrant en ligne de compte dans la décision varie évidemment selon la demande en raison des différences qui existent entre les candidats.

Il ne s’agit pas là de discrimination tant et aussi longtemps que ces éléments sont fondées sur les critères et que ceux- ci ne sont pas eux- mêmes discriminatoires. Nous sommes convaincus que la décision était fondée sur les mêmes critères qui s’appliquent à tous les candidats. En eux- mêmes, ces critères n’étaient pas discriminatoires, mais nous reviendrons plus loin sur la question de savoir s’ils ont eu des conséquences discriminatoires.

M. Israeli a également allégué que le jury de présélection n’avait pas suffisamment tenu compte dans son évaluation de certains facteurs figurant dans sa demande. Comme dans le cas de l’interprétation des critères, les opinions peuvent varier quant à l’importance qu’il faut accorder à ces facteurs. Nous avons déjà parlé de l’observation de Mme Finsten voulant que M. Israeli s’intéresse surtout à l’antisémitisme et qu’il se préoccupe exagérément d’une seule question. M. Israeli n’est pas non plus d’accord avec un autre commentaire, formulé par M. McKervill sur le profil de présélection, voulant qu’il ne comprenne pas très bien la raison d’être de l’action positive. Il nous a renvoyé au paragraphe 15( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui stipule que le but de l’action positive est de supprimer les désavantages que subissent les groupes minoritaires. Comme preuve de sa compréhension du sens de l’action positive, M. Israeli a alors fait état de sa propre lutte effectivement très louable contre la discrimination. Toutefois, M. Israeli n’a pas saisi le point que M. McKervill nous semble avoir voulu établir, c’est- à- dire que, de la lecture de sa demande, il a déduit que le candidat envisageait l’action positive comme une confrontation, une lutte, plutôt qu’une collaboration en vue de supprimer la discrimination.

Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre où M. Israeli n’est pas d’accord avec l’évaluation de sa demande, mais cela nous semble parfaitement inutile en l’occurence. Nous ne voyons rien, dans la façon dont ont été traités les facteurs énumérés dans la demande de M. Israeli, qui puisse être associé, même de loin, à une intention discriminatoire. Au contraire, nous croyons que sa demande a été évaluée d’une façon tout à fait raisonnable.

Cela nous amène finalement à nous poser la question de savoir si les critères eux- mêmes étaient discriminatoires compte tenu de leurs conséquences pour les groupes minoritaires ou défavorisés. Notons tout d’abord qu’au Canada, il faut faire preuve de beaucoup de prudence lorsqu’il s’agit de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire en se fondant sur le fait que certains critères favorisent l’exclusion de membres de certains groupes. Récemment, on a jugé dans l’affaire de La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. la Commission canadienne des droits de la personne et Bhinder (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1404 (Cour d’appel fédérale), que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise pas les actes de discrimination d’où sont absents toute intention discriminatoire et tout traitement défavorable directement liés à l’un des motifs énumérés dans la Loi. Cela signifierait, compte tenu de notre conclusion selon laquelle il n’y a pas véritablement eu d’intention discriminatoire, que le simple fait que certains critères, neutres à première vue, aient eu des répercussions défavorables sur des groupes minoritaires ou défavorisés n’était pas contraire à la Loi. Comme l’a souligné le tribunal d’appel dans l’arrêt Carson et al. v. Air Canada (26 octobre 1982), aux pages 21 à 23 de la version anglaise, il est possible d’alléguer que la décision de la Cour d’appel fédérale est incompatible avec l’élément objectif du critère adopté pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée dans l’arrêt Ontario Human Rights Commission et al. v. Borough of Etobicoke (1982), 132 D. L. R. (3d) 14 (S. C. C.), aux pages 19 et 20 de la version anglaise.

Compte tenu de la possibilité que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Bhinder ne s’applique pas en l’espèce ou qu’elle soit infirmée par la Cour suprême, demandons- nous si M. Israeli a réussi à prouver que les critères favorisaient la discrimination et ne constituaient pas des exigences professionnelles justifiées. Les critères en question sont ceux qui ont donné lieu au rejet de la demande de M. Israeli. Selon le profil de présélection qui a servi à l’évaluation de la demande, les critères pertinents étaient les suivants:

  1. Expérience de la conduite d’enquêtes sur des plaintes, de la recherche et de la compilation de renseignements pertinents, de l’analyse et de l’évaluation de conséquences administratives ou juridiques, et de la recommandation de solutions. Selon le jury de présélection, ces critères étaient axés principalement sur l’expérience dans le domaine des enquêtes statutaires.
  2. Expérience de la négociation des modalités de règlement des conflits. Selon le jury de présélection, ce critère avait trait à l’expérience comme médiateur plutôt que comme négociateur.
  3. Expérience dans le domaine de l’action positive, des droits civils ou des programmes de sensibilisation spéciaux dans la région où la demande est présentée.

Le jury de présélection a jugé que la demande de M. Israeli en ce sens que les enquêtes auxquelles il avait participé n’appartenaient pas à la même catégorie que les enquêtes statutaires, qu’il n’avait d’expérience de la négociation qu’à titre de partie intéressée, qu’il ne comprenait pas le sens des programmes d’action positive et que son expérience dans le domaine des droits civils était trop axée sur une seule question. Comme nous l’avons déjà mentionné, le jury de présélection nous semble avoir évalué la demande de M. Israeli d’une façon raisonnable et non discriminatoire en se fondant sur les critères retenues. Si nous faisons état, à ce stade- ci, des conclusions auxquelles le jury en est arrivé, ce n’est pas pour les mettre en doute, mais bien pour réfuter l’affirmation de M. Israeli voulant que les critères eux- mêmes favorisent la discrimination.

A l’appui de sa déclaration voulant que ces critères favorisent, en fait, l’exclusion des minorités ou des groupes défavorisés, M. Israeli n’a pu invoquer que des passages des rapports annuels de la Commission des droits de la personne et d’autres publications indiquant que les israélites, les membres de certains groupes ethniques et les handicapés sont sous- représentés dans l’administration fédérale. A son avis, ces critères favorisent les employés du gouvernement fédéral et ont donc des conséquences discriminatoires pour ces groupes sous- représentés dans ce domaine d’emploi. Dans un cas ordinaire, le tribunal exigerait des preuves beaucoup plus probantes des conséquences discriminatoires de critères apparemment neutres. Compte tenu des difficultés auxquelles M. Israeli a dû faire face à titre d’individu ne pouvant compter contrairement à la plupart des plaignants, sur les ressources offertes dans le cadre des enquêtes de la Commission des droits de la personne, nous sommes enclins à considérer les publications auxquelles il a fait allusion comme étant les meilleurs éléments de preuve disponibles en ce qui a trait à la question des conséquences discriminatoires des critères. Toutefois, même une interprétation généreuse de ces éléments de preuve en faveur de M. Israeli ne nous convainc pas que ces critères aient eu des conséquences discriminatoires. Bien qu’il soit possible que certains groupes soient sous- représentés dans la Fonction publique, il ne s’ensuit pas que le fait de restreindre un concours aux employés du gouvernement constitue une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi a été adoptée en vue d’empêcher la commission d’actes discriminatoires et non pas de priver de leurs droits acquis en matière d’emploi les personnes déjà employées à qui s’applique le système des concours restreints. En outre, rien ne permet de croire que des groupes minoritaires étaient sous- représentés parmi les candidats de la Fonction publique qui répondaient peut- être aux critères d’embauchage d’enquêteurs régionaux à la Commission des droits de la personne. Quoi qu’il en soit, le concours en question était ouvert au public, et il est certain que rien ne permet de croire que les groupes minoritaires défavorisés ne seraient pas en mesure, dans l’ensemble, de satisfaire à ces critères. M. Israeli a allégué que le fait d’exiger l’expérience de la conduite d’enquêtes statutaires avait pour conséquence d’exclure les personnes ne travaillant pas pour le gouvernement. Toutefois, il existe un certain nombre d’autres emplois où on peut acquérir cette expérience.

Nous sommes également convaincus que les critères mis en oeuvre étaient raisonnablement nécessaires en l’occurence. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a le pouvoir de désigner des enquêteurs. Ceux- ci doivent posséder, en matière juridique, des connaissances et une sensibilité que n’apporte pas nécessairement l’expérience d’autres formes d’enquêtes. Il est clair que l’enquêteur peut être appelé à jouer le rôle de médiateur, étant donné que l’alinéa 37( 1) a) de la Loi prévoit que la plainte puisse être réglée au stade de l’enquête. Par conséquent, la médiation ne relève pas exclusivement des agents de conciliation de la Commission, comme le prétend M. Israeli. De la même façon, bien que la Commission emploie des spécialistes de l’action positive à son bureau d’Ottawa, l’enquêteur régional peut facilement être appelé à collaborer à l’élaboration de propositions en cette matière, étant donné qu’il est le premier à prendre connaissance des situations à corriger. En outre, le premier examen des façons de régler éventuellement une plainte peut donner lieu à la formulation de propositions relatives à l’action positive. Nous avons déjà indiqué qu’il était raisonnable d’exiger une expérience variée et équilibrée dans le domaine des droits civils, compte tenu de l’éventail des problèmes de droits de la personne auxquels la Commission doit faire face. En résumé, les exigences fondamentales appliquées à la demande d’emploi de M. Israeli, tant selon l’énoncé qui en est fait dans le profil de présélection que selon l’interprétation qui en est donnée par le jury de présélection, ne permettent pas, à notre avis, de conclure à l’existence d’une intention discriminatoire.

M. Israeli a également fait état des conséquences discriminatoires d’un autre critère d’emploi qui ne figurait pas dans les exigences fondamentales. Il a allégué qu’à l’époque, il fallait une autorisation sécuritaire pour occuper le poste d’enquêteur régional, ce qui tendait à faire exclure les personnes originaires de pays de l’Europe de l’Est en raison du danger que représentaient pour la sécurité les personnes dont les parents vivaient dans des pays du bloc de l’Est. Bien que M. Israeli ait apparemment reçu une formule à remplir à des fins sécuritaires en relation avec l’une de ses autres demandes d’emploi auprès de la Commission des droits de la personne, il semble qu’il s’agissait là d’une simple erreur; d’ailleurs, les lignes directrices en matière de sécurité n’ont jamais été appliquées lors du traitement de sa demande. Quoi qu’il en soit, il est bien évident que la question de l’autorisation sécuritaire n’a rien eu à voir avec le rejet, au stade de la présélection, de sa candidature au poste d’enquêteur régional. Cette question n’étant donc pas pertinente, il nous parait inutile de déterminer si l’attribution de cotes sécuritaires constitue de la discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

CONCLUSION

En conclusion, nous jugeons que la plainte de M. Israeli n’est aucunement fondée. Nous confirmons la décision du premier tribunal de la rejeter.

FAIT le 4e jour d’avril 1984.

Robert W Kerr, président du tribunal

Susan Ashley, membre du tribunal

Claude Pensa, membre du tribunal

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