Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

James Louie

- et –

Joyce Beattie

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires indiennes et du Nord Canada

l'intimé

Décision

Numéros des dossiers : T1703/5811 & T1704/5911

 Membre : Edward P. Lustig

Date : Le 27 février 2014

Référence : 2014 TCDP 7



I.                   Le contexte

[1]               Le 30 octobre 2009, Mme Joyce Beattie et M. James Louie (les plaignants) ont déposé en leurs noms des plaintes distinctes contre le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (MAINC), à présent Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC ou l’intimé) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Les plaignants allèguent que l’intimé, en refusant d’accepter et de traiter la demande de bail ministériel présentée par M. Louie pour la parcelle 175 dont il est propriétaire/titulaire en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens, L.R.C., 1985, ch. I‑5, a fait preuve de discrimination envers eux en raison de leur origine nationale ou ethnique et de leur race, en violation de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la LCDP).

[2]               Le 29 juillet 2011, la Commission a renvoyé les deux plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal), lui demandant de mener une seule instruction, les plaintes soulevant essentiellement les mêmes questions de fait et de droit.

II.                Les faits pertinents

[3]               M. Louie est membre de la bande indienne Okanagan (la Bande), et réside dans la réserve indienne no 1 Okanagan. M. Louie est propriétaire légitime des parcelles 170-1 et 175, bloc 4, réserve indienne no 1 Okanagan. Cette terre, désignée comme « appartenant à des titulaires d’un intérêt individuel », a été attribuée par le conseil de bande à M. Louie, l’« occupant », avec l’approbation du ministre du MAINC. Le droit de M. Louie de posséder légitimement cette terre est attesté par un certificat de possession, délivré en application de l’article 20 de la Loi sur les Indiens.

[4]               Le 29 juin 2007, M. Louie et Mme Beattie, elle aussi Indienne au sens de la Loi sur les Indiens, ont présenté à l’intimé, sur le fondement du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens, une demande d’utilisation de terres dans une réserve indienne et une demande de louer des terres appartenant à des titulaires d’un intérêt individuel en vue d’établir au nom de Mme Beattie, promoteur, un bail résidentiel prépayé pour la parcelle 170. Le bail proposé avait une durée de quarante-neuf ans et un loyer symbolique d’un dollar. Cette demande de bail a donné lieu au dépôt d’une plainte distincte au Tribunal, pour laquelle celui-ci a rendu le 26 janvier 2011 la décision Louie et Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TCDP 2 (Louie et Beattie c. MAINC).

[5]               Le 23 janvier 2008, M. Louie a présenté à l’intimé une demande semblable en vue d’établir un bail pour la parcelle 175, entre le ministre et lui-même, d’une durée de quarante-neuf ans, à partir du 1er mars 2008 pour un loyer symbolique d’un dollar. La demande précisait que le bail proposé était destiné à un usage résidentiel, notamment à la construction d’une maison unifamiliale. M. Louie avait l’intention, pour financer cette construction, d’engager le prêt afin d’obtenir de Mme Beattie un prêt à la construction de 200 000 $ au maximum. M. Louie entendait lui transférer le bail pour la durée du prêt, le bail lui revenant à la fin du remboursement du prêt.

[6]               C’est cette demande de bail, relative à la parcelle 175, qui fait l’objet de la présente décision.

[7]               Le 7 février 2008, l’intimé a envoyé le courriel suivant au représentant des plaignants, M. Bruce Beattie :

[Traduction] Je vous informe que le MAINC a reçu un avis juridique et ne peut accepter et traiter la demande datée du 23 janvier 2008 concernant l’utilisation de terres dans une réserve indienne situées sur la parcelle 175, car la Loi sur les Indiens ne confère pas à l’occupant de droit de tenure à bail sur la terre pour laquelle il détient un certificat de possession (CP). Si M. Louie souhaite avoir un tel droit, il devra se constituer en personne morale.

[8]               Plus tard la même journée, le représentant du plaignant a répondu par courriel, exprimant son désaccord quant à la position de l’intimé. Selon M. Louie, la Loi sur les Indiens ne prévoit rien quant à savoir si les occupants peuvent avoir des droits de tenure à bail sur la terre qu’ils ont accepté d’abandonner à la Couronne pour la durée du bail. La Loi sur les Indiens est également muette au sujet de savoir si l’occupant est tenu de se constituer en personne morale afin de détenir un bail. Le représentant du plaignant a expliqué à l’intimé que M. Louie n’était pas disposé à se constituer en personne morale, car il n’en tirerait aucun avantage. Afin d’éviter d’autres retards, M. Louie a demandé toutefois la modification de la demande de bail de 2008, de façon à nommer Mme Beattie comme preneuse à bail proposée.

[9]               Le 15 février 2008, M. Louie a adressé une lettre au chef et au conseil de bande et a envoyé une copie à l’intimé. Il y déclarait que, puisque l’intimé ne veut pas établir à son nom un bail de titulaire d’un intérêt individuel, il ferait signer à Mme Beattie le bail pour la parcelle 175. Il expliquait que le bail serait ensuite transféré à son nom, par transfert ou par sous-location. M. Louie a déclaré en outre qu’il voulait signer le bail en vue d’accroître la valeur de la terre et de faciliter le financement par prêt hypothécaire classique de la construction d’une maison neuve pour lui-même sur la parcelle 175.

[10]           Le 28 février 2008, le représentant de M. Louie a demandé par courriel à l’intimé que leur soit communiquée la jurisprudence sur laquelle celui-ci s’appuyait pour alléguer que [Traduction] « la Loi sur les Indiens ne confère pas à l’occupant le droit de tenure à bail de la terre pour laquelle il détient un certificat de possession ».

[11]           Le 5 mars 2008, le représentant de M. Louie a écrit par courriel à l’intimé que, puisqu’il n’avait pas répondu au courriel du 28 février 2008, M. Louie avait décidé qu’il voulait toujours que le bail pour la parcelle 175 soit établi entre le ministre et lui-même plutôt qu’entre le ministre et Mme Beattie.

[12]           Le 19 mars 2008, M. Louie a exprimé par lettre au ministre du MAINC son mécontentement à l’égard du retard de traitement des demandes de bail pour la parcelle 175 ainsi que de la demande de bail pour la parcelle 170-1 adressée le 29 juin 2007. Il a expliqué :

[Traduction] Afin que je puisse utiliser mes terres décernées en vertu de CP, la Loi sur les Indiens m’oblige à présenter une demande de bail ministériel au sens du paragraphe 58(3). Un tel bail vise clairement à offrir des avenues de développement économique et des avantages pour les détenteurs de CP, mais selon mon expérience, le processus de demande de bail d’un titulaire d’un billet de location, tel qu’il est présentement géré dans la région de la Colombie‑Britannique, est devenu tellement inefficace et offensif du point de vue de la race qu’il est plus probable qu’il bloque, plutôt que facilite, le développement économique. Il m’est tout à fait évident que la majorité des aspects négatifs du processus de demande de bail existant découlent d’une attitude archaïque et raciste ancrée selon laquelle tous les Indiens sont incompétents et ne peuvent déterminer leur propre intérêt économique et que, par conséquent, ils ont assurément besoin du paternalisme dégradant que les agents du MAINC appellent de façon euphémique une « relation spéciale ». Bien que je reconnaisse que cette perception existe chez les agents du MAINC et qu’elle est incorporée dans les politiques et les pratiques administratives du MAINC, je n’accepte pas qu’il s’agisse d’une justification factuelle ou légale. Par conséquent, je n’accepte pas qu’elle ait un effet contraignant pour moi ou pour la façon dont je choisis d’utiliser mes propres terres.

[…]

Je crois que cette suite d’événements démontre clairement un niveau de dysfonction administrative au bureau des terres de la région de la Colombie-Britannique qui ne peut que se refléter de façon négative sur tout engagement que vous et votre ministère avez en ce qui concerne l’intégrité et le traitement honorable des particuliers indiens propriétaires fonciers. La situation n’est certainement pas propice au développement économique des terres sur les réserves, en particulier puisque la propriété de terres décernées en vertu de CP est bien établie et est la seule occasion de développement économique viable et durable.

[13]           M. Louie a allégué que les retards ont été causés par l’obstruction manifestée par les gestionnaires du Bureau des terres de la région de la Colombie-Britannique, et a demandé une enquête ministérielle sur la façon dont les fonctionnaires de l’intimé administrent le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens.

[14]           Le 15 avril 2008, le représentant de M. Louie a remis à l’intimé la version la plus récente du projet de bail. L’intimé a répondu le 17 avril 2008 qu’il n’acceptait pas le document du bail. Il a réitéré sa position selon laquelle M. Louie devait se constituer en personne morale avant que le bail puisse lui être accordé. L’intimé a aussi expliqué qu’il avait besoin de plus de renseignements pour s’assurer de la conformité avec le Code national du bâtiment et avec la Loi sur les espèces en péril et pour régler d’autres problèmes de santé et de sécurité liés de la demande de bail.

[15]           Le 21 avril 2008, le représentant de M. Louie a envoyé à l’intimé un autre exemplaire du projet de bail du 15 avril 2008. Il a précisé dans son courriel d’accompagnement que M. Louie n’était pas disposé à envisager de modifier les conditions du projet de bail.

[16]           Le 15 mai 2008, le ministre du MAINC a répondu à la lettre de M. Louie du 19 mars 2008 :

[Traduction] La présente porte sur votre lettre du 19 mars 2007 et sur votre demande de bail d’un titulaire d’un billet de location sur la réserve indienne Okanagan no 1.

En droit, il existe une relation spéciale entre un détenteur d’un certificat de possession et le Canada. Le droit sous-jacent aux terres d’une réserve appartient à la Couronne fédérale, alors que les avantages de ces terres et le droit de les posséder appartiennent au détenteur du certificat de possession. Ce n’est pas le cas habituellement pour un propriétaire foncier privé. Il s’agit de circonstances spéciales, entraînant une « relation spéciale ». Un rapport fiduciaire est créé entre le détenteur du certificat de possession et le Canada lorsque le Canada contracte des baux de certificats de possession. Cela est fondé sur le pouvoir discrétionnaire unilatéral du Canada sur l’intérêt du détenteur indien du certificat de possession. Seule une réforme législative peut annuler ou modifier cette relation.

Par conséquent, comme le Canada est la première partie dans tout instrument accordant un intérêt pour les terres des réserves, un examen attentif des détails du bail doit être entrepris afin que les modalités appropriées soient établies dans le bail.

En vertu de la Loi sur les Indiens, le pouvoir d’établir le loyer revient au Canada et ne peut pas être annulé de quelque façon que ce soit, sauf par modification de la loi. Ce pouvoir s’étend au-delà de l’établissement du loyer et une décharge ne modifiera pas le pouvoir unilatéral du Canada d’établir les modalités du bail, qui comprennent aussi, sans s’y limiter, des dispositions quant à l’environnement.

Le processus de bail pour les terres des réserves est le même partout au Canada et il découle de politiques et de procédures qui sont actuellement en place. Certaines exigences doivent être respectées avant que le droit de tenure à bail soit accordé à une autre partie sur les terres des réserves.

Les Premières nations peuvent choisir de se retirer de la Loi sur les Indiens pour la gestion des terres grâce à la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, à l’autonomie gouvernementale et à des traités. Le ministère encourage les membres des Premières nations et les conseils de bande à établir des régimes à long terme qui satisfont aux besoins de leur collectivité.

Le 31 mars 2008, une ébauche de bail vous a été envoyée pour examen. Je vous demande de travailler avec le bureau régional de la Colombie-Britannique afin que les agents puissent vous aider à satisfaire aux exigences pour l’obtention d’un bail d’un titulaire d’un billet de location sur une terre de réserve. J’encouragerai mes agents à vous consulter pour l’établissement d’un loyer qui sera rentable.

Chuck Strahl

[17]           Le 20 juin 2008, les plaignants ont déposé conjointement auprès de la Commission une plainte alléguant que la réponse de l’intimé pour la parcelle 170-1 est discriminatoire. Cette plainte a finalement donné lieu à la décision Louie c. MAINC, dans laquelle le Tribunal a donné raison aux plaignants. Il a notamment ordonné : « L’intimé examinera de nouveau les demandes de bail d’un titulaire d’un billet de location des plaignants conformément à la décision et à l’ordonnance du Tribunal » et « L’intimé modifiera son Guide de gestion des terres et prendra des mesures, en collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, afin de rajuster ses pratiques ou d’éviter que des pratiques semblables soient utilisées » : Louie c. MAINC, paragraphe 64.

[18]           Le 9 septembre 2008, M. Louie a expliqué, lors d’une conversation téléphonique entre les parties, que son intention est de se servir du bail comme sûreté pour un prêt à la construction d’une maison neuve, Mme Beattie devant lui transférer le bail une fois le prêt remboursé. L’intimé a répondu par courriel daté du 1er octobre 2008 et a confirmé sa position initiale selon laquelle la Loi sur les Indiens ne permet pas d’accorder à l’occupant un droit de tenure à bail sur la terre qu’il détient par certificat de possession et qu’un transfert de bail de la part de Mme Beattie à M. Louie reviendrait en fait à un bail direct à M. Louie.

[19]           Le processus de demande s’est poursuivi jusqu’à la fin 2008, avec d’autres échanges infructueux entre les plaignants et l’intimé.

[20]           Le 23 octobre 2009, le représentant de M. Louie a écrit une lettre à l’intimé pour s’enquérir de l’état de la demande de bail pour la parcelle 175.

[21]           Le 30 octobre 2009, les plaignants ont déposé la présente plainte à la Commission.

[22]           Le 6 novembre 2009, l’intimé a réitéré qu’il acceptera la demande de bail pour la parcelle 175 uniquement si le preneur à bail est une personne morale, conformément au paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens. De plus, il a demandé les détails de l’arrangement commercial entre les plaignants afin de pouvoir exercer sa diligence raisonnable à l’égard de la capacité et de la compétence de M. Louie d’effectuer l’opération proposée et d’éviter de faire l’objet d’allégations de manquement à son obligation fiduciaire envers les Premières Nations et envers leurs membres.

[23]           Le 17 avril 2011, après que la décision Louie c. MAINC  a été rendue en janvier, le représentant de M. Louis a envoyé à l’intimé, pour obtenir les commentaires de ce dernier, une nouvelle demande de bail pour la parcelle 175 ainsi que des exemplaires d’un projet de bail entre le ministre et M. Louie. Le 3 mai 2011, M. Louie a envoyé de nouveau la nouvelle demande et un bail entre le ministre et lui-même, le bail étant cette fois rédigé dans une forme définitive.

[24]           Le 2 juin 2011, l’intimé a répondu par lettre au représentant de M. Louie que le bail abrégé fourni le 3 mai 2011 ne répondait pas aux exigences de l’État et qu’il n’avait pas été signé par le représentant du ministre.

[25]           Dans une lettre datée du 15 juillet 2011, l’intimé a écrit à la Commission :

[Traduction] […] je vous informe que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada a étudié attentivement la demande de bail pour la parcelle 175 présentée par M. Louie. Le ministère a assoupli sa position initiale et se trouve en mesure de signer un bail avec M. Louie. Un bail sera envoyé sous peu à son représentant pour que M. Louie l’examine et le signe.

[26]           Le 16 novembre 2011, les plaignants ont pris connaissance pour la première fois de l’existence de la lettre de l’intimé à la Commission datée du 15 juillet 2011.

[27]           À ce jour, les plaignants n’ont pas reçu le bail de la part de l’intimé.

[28]           La semaine du 7 octobre 2013, le Tribunal a tenu une audience sur cette affaire. M. Louie n’y a pas assisté. Mme Beattie y a assisté, mais n’a pas témoigné. Le représentant des plaignants, M. Beattie, y a témoigné pour le plaignant.

III.             Les dispositions légales

[29]           L’article 2 de la LCDP est ainsi libellé :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

[30]           L’article 5 de la LCDP est ainsi libellé :

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[31]           L’article 28 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :

(1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d’une bande est censé permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

[32]           L’article 29 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :

Les terres des réserves ne sont assujetties à aucune saisie sous le régime d’un acte judiciaire.

[33]           Le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :

Le ministre peut louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit désignée.

[34]           Les paragraphes 89(1) et 89(1.1) de la Loi sur les Indiens sont ainsi libellés :

(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande.

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1), les droits découlant d’un bail sur une terre désignée peuvent faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une opposition, d’une réquisition, d’une saisie ou d’une exécution.

IV.             Les questions en litige

A.                Les plaignants se sont-ils acquittés de leur obligation d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la LCDP?

B.                 S’il existe une preuve prima facie de discrimination, l’intimé s’est-il acquitté de son obligation d’établir que son refus initial d’approuver le bail avait un motif justifiable?

C.                 Si une preuve prima facie de discrimination a été établie et qu’aucun motif justifiable n’a été soulevé, quelles mesures de redressement conviendraient?

V.                Le résumé des observations des plaignants

[35]           Les plaignants soutiennent que le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens, qui autorise le ministre à louer au profit de tout Indien la terre qui est en la possession de ce dernier, prévoit une exception au paragraphe 28(1). Le paragraphe 28(1) de la Loi sur les Indiens interdit à un « membre d’une bande » comme M. Louie de signer un bail ou tout autre accord susceptible de « permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve ». Les plaignants font valoir que la location des terres privées des réserves sur le fondement du paragraphe 58(3) étant entièrement soustraite au principe du paragraphe 28(1), la décision de l’intimé d’exclure des occupants, que ce soit à titre de bailleur, de cobailleur ou de preneur à bail, de toute participation à un bail conclu sur le fondement du paragraphe 58(3), ne peut en aucun cas se justifier.

[36]           Aux termes de l’article 29 de la Loi sur les Indiens, les terres des réserves ne sont pas saisissables sous le régime d’un acte judiciaire, et aux termes du paragraphe 89(1) de la Loi sur les Indiens, les Indiens ne peuvent assujettir leurs biens personnels sur une réserve à « un privilège, […] un nantissement, […] une hypothèque, […] une opposition, […] une réquisition, […] une saisie ou […] une exécution en faveur ou à la demande d’une personne autre qu’un Indien ou une bande ». Les plaignants prétendent que ces dispositions ont pour effet d’empêcher des occupants Indiens d’effectuer des opérations avec des non-Indiens qui seraient autrement économiquement avantageuses. Selon eux, le paragraphe 58(3) vise donc à permettre aux propriétaires privés des terres des réserves à en augmenter la valeur marchande. Ils prétendent que la politique de l’intimé, qui exige que des occupants Indiens se constituent en personne morale et représentent le preneur de bail au lieu de participer personnellement au bail, va à l’encontre de l’objet du paragraphe. Les sociétés n’étant ni « un Indien ou une bande » au sens du paragraphe 89(1) et selon la définition du paragraphe 2(1), elles n’ont pas la capacité légale d’effectuer l’opération de prêt exécutoire par bail sur la réserve dont M. Louie avait besoin pour construire une maison sur la parcelle 175.

[37]           Les plaignants appuient leur interprétation sur Louie c. MAINC, qui porte sur des actes de l’intimé au cours du traitement de la demande de bail fondée sur le paragraphe 58(3) qu’a présentée M. Louie pour la parcelle 170-1. Ils prétendent que le Tribunal a nié dans cette décision l’existence d’une obligation fiduciaire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le ministre aux termes du paragraphe 58(3) et qu’il a reconnu le droit des Indiens de décider en toute indépendance de tous leurs propres intérêts privés et d’agir en toute indépendance à titre personnel en vue de leur réalisation légitime, y compris en prenant à bail des terres privées des réserves.

[38]           Les plaignants allèguent qu’en l’espèce, l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire pour décider d’une approbation de bail de titulaire d’un intérêt individuel de façon paternaliste et discriminatoire. Son exigence que M. Louie se constitue en personne morale sous peine de lui refuser de traiter sa demande constitue un abus du pouvoir ministériel prévu au paragraphe 58(3), et constitue une preuve prima facie de discrimination à l’égard des deux plaignants, fondée sur leur race ou leur origine raciale, nationale ou ethnique.

[39]           Les plaignants rejettent le motif justifiable de l’intimé pour l’acte discriminatoire. Le caractère fiduciaire de la relation entre l’État et les Indiens ne justifie pas les lignes de conduite discriminatoires sur le plan de la race qu’applique l’administration fédérale pour contrôler tous les usages des terres des réserves.

[40]           Les plaignants demandent à être indemnisés sur le fondement des alinéas 53(2)c) et d) de la LCDP pour la perte de possibilités économiques que chacun d’eux a subie du fait du retard injustifié causé au prêt qu’ils voulaient contracter et à leurs projets de construire une maison neuve. Ils demandent cette indemnité à partir du début du projet initial de bail, soit la date du 1er mars 2008, jusqu’au moment où ils ont abandonné l’idée d’obtenir un bail aux termes du paragraphe 58(3), soit la date du 1er juin 2011.

[41]           Les plaignants demandent de plus une indemnité de 20 000 $ chacun, au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP, pour les actes discriminatoires délibérés ou inconsidérés de l’intimé. Ils font valoir que l’intimé avait en permanence accès à des avocats, et que ses décisions et ses actions ont été planifiées et délibérées et témoignent d’un mépris inconsidéré des conséquences qu’elles engendrent.

[42]           En cas de non-paiement de ces sommes dans les 30 jours suivant l’ordonnance, les plaignants demandent le versement d’intérêts au taux prévu au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal.

VI.             Le résumé des observations de l’intimé

[43]           L’intimé allègue que ni le statut d’Indien de M. Louie, ni son appartenance à la bande ne sont intervenus dans le traitement de sa demande de 2008. Il prétend qu’aux termes du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens, un bail exécutoire et contraignant doit créer un « droit de tenure à bail », et que par conséquent, il cherchait uniquement à respecter les responsabilités que lui impose la loi.

[44]           Quant à l’allégation de discrimination contre Mme Beattie, l’intimé prétend que celle-ci n’a pas établi qu’il l’avait privée d’un service au sens de l’article 5 de la LCDP, ni que, de toute façon, le refus de la demande de bail avait été fondé sur son statut d’Indienne. Le refus de la proposition de 2008 que Mme Beattie soit la preneuse à bail n’a pas été fondé sur un motif discriminatoire, mais sur le fait que la cession ne crée pas de « droit de tenure à bail » reconnu par la Loi sur les Indiens. L’intimé souligne que la demande de bail qu’a présentée M. Louie ne précisait pas que Mme Beattie était la preneuse à bail proposée et, à aucun moment, l’intimé n’a demandé si celle-ci avait le statut d’Indienne.

[45]           L’intimé prétend qu’aucun des plaignants n’ayant établi qu’il ou elle a subi un effet préjudiciable, fondé sur un motif illicite de discrimination et résultant de la position initiale de l’intimé quant à la demande de bail, il ou elle n’a pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination, ainsi que le détaille l’arrêt Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33. Les éventuelles répercussions de la position initiale de l’intimé sur les activités ou les intentions commerciales des plaignants ne sont pas fondées sur la race ou l’origine nationale ou ethnique de ces derniers.

[46]           L’intimé soutient que, si le Tribunal conclut que les plaignants ont établi une preuve prima facie de discrimination, il dispose du motif justifiable à l’égard de celle-ci.

[47]           Le caractère unique des terres des réserves, « les terres réservées pour les Indiens », en ce qui a trait à l’autorité constitutionnelle fédérale que confère le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, restreint l’applicabilité et l’exécution des normes environnementales et de santé et de sécurité publiques, établies par des régimes de réglementation provinciaux et municipaux. Les tribunaux ont reconnu que la possession de terres sur une réserve relève « de l'essence même de la compétence législative fédérale exclusive que confère le par. 91(24) » : Derrickson c. Derrickson, [1986] 1 R.C.S. 285, au paragraphe 41, et que toute disposition légale provinciale ou municipale visant à réglementer l’usage de ces terres empièterait sur la compétence exclusive du législateur : Surrey (District) v. Peace Arch Enterprises Ltd., (1970) 74 W.W.R. 380 (BCCA), à la page 383.

[48]           Néanmoins, quand l’intimé traite des demandes de bail pour des terres appartenant à des titulaires d’un intérêt individuel, il est lié par plusieurs responsabilités découlant de la Loi sur les Indiens et d’autres textes législatifs, dont la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il a à cet égard la tâche difficile d’équilibrer les intérêts divergents, dont ceux de l’État, de la population, de la bande et du demandeur : Tsartlip, aux paragraphes 41 et 47. Les bandes ont certes le pouvoir de prendre des règlements administratifs en application de l’article 81 de la Loi sur les Indiens, y compris des règlements touchant la santé et la sécurité, mais en l’espèce, la Bande n’a pris aucun règlement de ce genre. Il en résulte que l’intimé, en sa qualité de bailleur, et la Bande disposent de moyens limités pour demander réparation ou intervenir, si l’un ou l’autre des plaignants, en qualité de preneur à bail, enfreint la loi, manifeste de l’inconduite ou des incommodités ou construit un bâtiment non sécuritaire.

[49]           C’est pour pallier cette lacune de la réglementation que l’intimé examine les conditions du bail pouvant s’avérer nécessaires pour établir des normes et réglementer l’usage proposé des terres. En l’espèce toutefois, M. Louie a affirmé à plusieurs reprises que les conditions du bail n’étaient pas négociables. L’intimé fait valoir que les plaignants doivent faire leur part dans le processus d’accommodement conformément aux lois en matière de droits de la personne et qu’ils ont l’obligation de faciliter la recherche de l’accommodement : Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, au paragraphe 43 (Renaud). L’intimé soutient qu’en l’espèce, M. Louie ne s’est pas acquitté de cette obligation et que, si la demande de bail avait été autorisée, il aurait conclu un bail sans protection convenable pour l’État, la Bande et la population. Ceci aurait constitué pour l’intimé une contrainte excessive.

[50]           Au sujet des mesures de redressement que demandent les plaignants, l’intimé soutient qu’aux termes des alinéas 53c) et d) de la LCDP, le Tribunal n’a pas compétence pour indemniser les préjudices financiers tels que la perte de l’utilisation d’un prêt à la construction et de ses intérêts. Ces deux alinéas prévoient que le Tribunal peut indemniser des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire (53c)) ainsi que des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement et des dépenses entraînées par l’acte (53d)). L’intimé fait valoir que, selon les principes de l’interprétation législative, la compétence du Tribunal pour accorder une indemnité se limite à ces alinéas, et ne confère pas « le pouvoir distinct d’accorder des dépens pour tous les types de plaintes » : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 53, aux paragraphes 37, 38 et 41. C’est pourquoi, en l’absence d’une disposition explicite autorisant le Tribunal à indemniser les préjudices financiers, l’intimé soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour accorder ce que demandent les plaignants.

[51]           L’intimé soutient de plus que, si le Tribunal conclut qu’il a compétence pour accorder les mesures de redressement demandées, les plaignants ne se sont pas acquittés du fardeau de preuve requis pour une demande de préjudice financier. Ils n’ont présenté aucune preuve documentaire exposant les conditions du prétendu prêt à la construction, le taux de l’intérêt du prêt ou précisant si l’argent pour le prêt était disponible et, le cas échéant, l’usage qui en a été fait dans l’intervalle. Il fait valoir en outre que puisque l’intérêt sur le prêt est ce que M. Beattie aurait payé et non reçu, il est difficile de comprendre comment cela constitue un préjudice. Quant à la demande de Mme Beattie, elle non plus n’a présenté aucune preuve documentaire établissant qu’elle était en possession de l’argent pour le prêt, que les parties s’étaient entendues et si elle avait de quelque façon limité la perte d’intérêt sur le prétendu prêt.

[52]           L’intimé soutient enfin que les plaignants n’ont présenté aucune preuve à l’appui de leur demande d’indemnisation pour préjudice moral fondée sur l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, et que les faits n’étayent pas leur demande d’indemnisation fondée sur le paragraphe 53(3) de la LCDP pour les actes délibérés et inconsidérés qu’il aurait commis. Les tribunaux ont conclu que cette indemnisation peut uniquement être accordée si les actions de l’intimé peuvent être qualifiées d’intentionnellement discriminatoires ou dénuées de prudence : Canada (Procureur général) c. Collins, 2011 CF 1168 (infirmé pour d’autres motifs 2013 CAF 105). Même si les lignes de conduite de l’intimé qui étaient en vigueur lors de ces demandes étaient peut-être erronées, rien ne laisse entendre qu’elles aient été mises en œuvre de mauvaise foi ou dans l’intention de faire preuve de discrimination envers les plaignants.

VII.          L’analyse

Les plaignants se sont-ils acquittés de leur obligation d’établir une preuve prima facie de discrimination, fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la LCDP ?

[53]           La LCDP est une loi quasi-constitutionnelle, adoptée pour donner effet à la valeur canadienne fondamentale qu’est l’égalité. Son objet, que définit l’article 2, est de garantir le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées notamment sur la race et l’origine ethnique. La Cour suprême a affirmé à de nombreuses reprises qu’il convient d’interpréter les lois sur les droits de la personne d’une manière large et téléologique qui soit compatible avec la réalisation de son objet qui est d’apporter une solution de droit. Il s’ensuit que l’analyse grammaticale stricte peut se trouver subordonnée à cet objet afin de le renforcer plutôt que de le diminuer. Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, 2012 CF 445 (SSEFPN); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] A.C.S. no 42 (Action Travail).

[54]           Il incombe au plaignant qui allègue une contravention à l’article 5 de la LCDP d’établir une preuve prima facie de discrimination. Il faut à cette fin généralement établir ce qui suit selon la prépondérance des probabilités :

(a)                l’intimé fournissait des « services destinés au public », au sens de l’article 5;

(b)               l’intimé a soit privé le plaignant du service ou l’a défavorisé à l’occasion de sa fourniture;

(c)                le refus ou le traitement défavorable a été fondé totalement ou partiellement sur un motif de distinction illicite, ou a eu des effets disproportionnellement préjudiciables sur les personnes visées par un tel motif.

[55]           Le critère pour l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination est peu exigeant. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence de réplique de l’intimé. Le plaignant qui a établi une preuve prima facie de discrimination a droit à une réparation en l’absence de toute autre justification de la part de l’intimé. SSEFPN, précitée.

[56]           La LCDP ne définit pas l’expression « services destinés au public ». Cependant, selon la jurisprudence, le terme « services » au sens de l’article 5 désigne en quelque sorte une prestation procurée à titre de service à la population, dans le contexte de rapports publics. Toutefois, toujours selon la jurisprudence, pour être « destinés au public » au sens de l’article 5, les services n’ont pas à être à la disposition de l’ensemble de la population. Il suffit qu’un segment de la population soit en mesure de s’en prévaloir. Canada (Procureur général) c. Watkin, [2008] A.C.F. no 710; Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391.

[57]           De façon générale, les services fournis par l’administration fédérale sont réputés être nécessaires et offerts dans l’intérêt public, sinon ils ne seraient pas fournis. Le service tel que le traitement de la demande de bail ministériel au sens du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens présentée en l’espèce par M. Louie représente un travail nécessaire exécuté par des fonctionnaires, au nom de la population et dans l’intérêt du public (c’est-à-dire du demandeur). Si finalement la demande est approuvée, certains avantages iront au demandeur, par exemple conclure le bail afin d’obtenir du financement et de permettre qu’il y ait mise en valeur et activité économique. Les Canadiens qui ne vivent pas dans des réserves n’ont pas à subir un processus dans lequel des terres dont ils ont la propriété ou le contrôle ne peuvent être données à bail ou hypothéquées sans que des ministres fédéraux doivent à ces fins donner les terres à bail pour eux à des preneurs à bail ou à des créanciers hypothécaires.

[58]           Dans Louie et Beattie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TCDP 2, le membre instructeur Craig du Tribunal était saisi du même type de demande de bail, pour essentiellement les mêmes fins et avec les mêmes parties qu’en l’espèce, pour la parcelle adjacente pour laquelle M. Louie détenait aussi le certificat de possession. Aux paragraphes 44 à 50 des parties IV et V de sa décision, il a analysé les questions de savoir si le MAINC a fourni des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP et quelle est l’interprétation correcte du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens. Je partage et je fais miens aux fins de l’espèce les motifs qu’il a exposés à l’égard de ces deux questions. Je souscris également à ses commentaires aux paragraphes 54, 55, 57, 58 et 59 dans lesquels il a commenté la même lettre de Chuck Strahl, qui était alors ministre, datée du 15 mai 2008 et précitée au paragraphe 16. Il est donc utile de reproduire ci-après les paragraphes susmentionnés de la décision du membre instructeur Craig :

[44]      Des extraits de deux décisions sont pertinents quant à la question de savoir si toutes les actions gouvernementales sont des « services » au sens de l’article 5 de la LCDP.

[45]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Watkin, [2008] A.C.F. no 710 (C.A.), à la page 9, la Cour a fait l’observation suivante :

Sur ce point, je suis d’accord pour dire que, comme les mesures du gouvernement sont généralement prises au profit du public, l’exigence prévue à l’article 5, suivant laquelle elles doivent être « destinées au public » est habituellement satisfaite dans les affaires mettant en cause une discrimination attribuable à des mesures prises par le gouvernement (voir, par exemple, les décisions Rosin, précitée, au paragraphe 11, et Saskatchewan Human Rights Commission c. Saskatchewan (Department of Social Services) , (1988), 52 D.L.R. (4th) 253, aux p. 266-268). Toutefois, la première étape à franchir lorsqu’on applique l’article 5 consiste à déterminer si les actes reprochés constituent des « services » (Gould, précité, le juge La Forest, au paragraphe 60).

[46]      Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin, 1 C.F. 391 (paragraphes 8 et 11), la Cour d’appel fédérale a déterminé qu’un service n’a pas à être offert à tous les membres du grand public pour qu’il soit considéré « destiné au public » :

Pour qu’un service ou une installation soit destiné au public, il n’est pas nécessaire que tous les citoyens y aient accès. Il suffit qu’un segment de la population soit en mesure de se prévaloir du service ou de l’installation. Le fait de prescrire que certaines exigences ou que certaines conditions soient remplies n’élimine pas le caractère public d’une activité. La jurisprudence a montré que le terme « public » signifie « qui n’est pas privé », ce qui laisse, en vérité, très peu d’activités hors de la portée de la législation.

Il est difficile d’imaginer un gouvernement ou un secteur du gouvernement qui prétendrait qu’un service qu’il offrait était un service privé, non destiné au public. En fait, il serait permis de dire que pratiquement tout ce que fait le gouvernement, il le fait pour le public, est destiné au public, et le public peut s’en prévaloir.

[47]      Le MAINC est un ministère gouvernemental qui offre de nombreux services aux Indiens inscrits en vertu de la Loi. Dans son témoignage au sujet de baux d’un titulaire d’un billet de location en application du paragraphe 58(3), Mme Craig a appelé les plaignants des « clients » et a expliqué les nombreuses façons dont le MAINC intercède pour les occupants lorsqu’il prend des ententes de location avec des locataires possibles.

[48]      Le fait que le paragraphe 58(3) comprenne des dispositions quant à la fourniture de services à une certaine partie du public est reconnu par les Services fonciers et fiduciaires du MAINC, comme le prouve le courriel de Mme Davidson envoyé à M. Louie le 24 septembre 2007 :

[Traduction] Je peux vous garantir que les Services fonciers et fiduciaires sont prêts à travailler avec vous dans le processus de bail. Nous fournissons un service aux Premières nations en Colombie‑Britannique et nous souhaitons plus que tout suivre le processus de façon collaborative et respectueuse.

[49]      Je conclus que le MAINC fournit des services qui sont « destinés au public », c’est-à-dire les membres du public qui sont des Indiens inscrits, et qu’il s’agit de services importants qui sont « destinés » et « offerts » au public.

[50]      Je suis convaincu que l’interprétation que la Cour d’appel fédérale a faite du paragraphe 58(3) dans l’arrêt Boyer c. R. [1986] 2 C.F. 393, s’applique aux faits en l’espèce :

15 […] Ce droit que possède un membre de la bande sur la parcelle de terrain qui lui est attribuée et qui se trouve en sa possession légitime, même s’il est, en principe, irrévocable, demeure soumis à un grand nombre de restrictions formelles. Le membre n’a pas le droit de céder son droit à la possession ou de louer son terrain à une personne qui n’est pas membre (article 28) ; il ne peut non plus l’hypothéquer, puisque les terres en question ne sont assujetties à aucune saisie sous le régime d’un acte judiciaire (article 29); il peut également se voir forcé d’en disposer s’il cesse d’avoir droit de résider sur la réserve (article 25). Il ne fait aucun doute que chacune de ces restrictions a pour effet de rendre le droit d’un Indien en possession légitime très différent de celui d’un propriétaire possédant la propriété absolue selon la common law. Il doit cependant être noté que toutes ces restrictions n’ont qu’un seul but : empêcher que la fin poursuivie par la mise de côté du terrain, c’est-à-dire l’utilisation de celui-ci par la bande et ses membres, soit contrecarrée. Aucune de ces restrictions ne concerne l’usage pouvant être fait du terrain ou le profit pouvant en être tiré. Le terrain faisant partie de la réserve, son usage est, naturellement, toujours assujetti aux lois provinciales d’application générale et aux règlements de zonage édictés par le conseil de bande, comme c’est le cas pour tout terrain situé dans une municipalité à l’intérieur de laquelle des règlements de zonage sont en vigueur; cependant, outre cela, je ne vois ni comment ni pourquoi l’Indien en possession légitime d’un terrain situé à l’intérieur d’une réserve pourrait être empêché de l’exploiter à sa guise. Rien dans la Loi ne pourrait être considéré comme [Traduction] « assujettissant » son droit à un autre droit du même type appartenant simultanément au conseil de bande. Selon moi, par l’"attribution" d’une parcelle de terrain faisant partie d’une réserve, le droit à l’usage de ce terrain et au profit qu’il peut procurer, de collectif qu’il était, devient le droit individuel et personnel du locataire. L’intérêt de la bande, entendu dans son sens technique et juridique, a disparu ou, à tout le moins, a été suspendu. […]

17 […] Quoi qu’il en soit, je ne crois tout simplement pas que la Couronne soit soumise à des obligations de fiduciaire lorsqu’elle exerce le pouvoir conféré par le paragraphe 58(3). Dans l’affaire Guerin, il était question de terrains non attribués faisant partie d’une réserve, terrains qui avaient été cédés à la Couronne afin qu’elle consente à leur sujet un bail à long terme ou vende ces terrains à des conditions favorables à la bande. Selon mon interprétation du jugement, c’est à cause de toutes ces circonstances qu’il a pu être dit qu’une obligation de caractère fiduciaire était née : en effet, l’intérêt même de la bande avait été confié au Ministre lors de la cession des terrains et était en jeu au moment de leur aliénation. Lorsqu’un bail est consenti en vertu du paragraphe 58(3), les circonstances sont entièrement différentes : aucune aliénation n’est envisagée et le droit qui sera transféré temporairement est le droit à l’usage d’un terrain, droit qui appartient individuellement à l’Indien qui en a possession [...]

18 La conclusion me semble évidente. Considérant la structure de la Loi sur les Indiens et la clarté du libellé de son paragraphe 58(3), il n’existe aucun motif de croire que le Ministre est obligé d’obtenir le consentement de la bande ou de son conseil avant de consentir un bail comme celui dont il est question en l’espèce. Il semble que cette Loi, dont l’esprit paternaliste a fait l’objet de tant de critiques, ait néanmoins jugé bon d’accorder à chaque membre de la bande une certaine autonomie, et une indépendance relative à l’égard des dicta de son conseil de bande dans l’exercice de son esprit d’entreprise et la mise en valeur de son terrain.

[54]      L’attitude paternaliste du MAINC envers M. Louie a été avalisée et soutenue sans équivoque par le ministre Chuck Strahl dans sa lettre à M. Louie le 15 mai 2008. Le ministre a carrément déclaré que M. Louie ne pouvait pas dicter les modalités du bail d’un titulaire d’un billet de location qu’il demandait, et il a soutenu qu’[Traduction] « un rapport fiduciaire est créé […] lorsque le Canada contracte des baux de certificats de possession. […] En vertu de la Loi sur les Indiens, le pouvoir d’établir le loyer revient au Canada et ne peut pas être annulé de quelque façon que ce soit, sauf par modification de la loi. Ce pouvoir s’étend au-delà de l’établissement du loyer et une décharge ne modifiera pas le pouvoir unilatéral du Canada d’établir les modalités du bail, qui comprennent aussi, sans s’y limiter, des dispositions quant à l’environnement. » [Non souligné dans l’original.]

[55]      Le ministre avait tort. Il n’existe aucune obligation fiduciaire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre prévu au paragraphe 58(3). De plus, l’exercice unilatéral du pouvoir discrétionnaire ne serait pas judicieux et annulerait l’objet du paragraphe 58(3), qui vise à faciliter la location de terres par des propriétaires fonciers individuels indiens qui y voient un avantage (voir Boyer, précité).

[57]      Le refus du MAINC d’accepter le fait que M. Louie avait le droit de déterminer les avantages dont il pourrait bénéficier de son association d’affaires avec Mme Beattie a immobilisé le processus de demande. En pratique, la demande des plaignants pour un bail ministériel selon les modalités sur lesquelles ils s’étaient entendus a été rejetée par le ministre dans sa lettre du 15 mai 2008 à M. Louie. La lettre du ministre a exacerbé le traitement discriminatoire dont le MAINC a fait preuve envers les plaignants.

[58]      Bien que la question n’ait pas été soulevée dans la preuve qui m’a été présentée, il convient de noter que le 18 juin 2008, un peu plus d’un mois après avoir écrit à M. Louie, le ministre a annoncé que la loi assurant la protection des droits de la personne à toutes les collectivités des Premières nations avait reçu la sanction royale. « L’adoption du projet de loi C21, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personn, constitue un point tournant dans la relation entre les Premières nations et le gouvernement du Canada », a déclaré le ministre Strahl. « Elle souligne l’engagement solide pris par notre gouvernement en vue de protéger les droits de la personne pour tous les Canadiens. » Cependant, cette annonce n’a apparemment pas eu d’effet sur les demandes des plaignants. Rien n’a changé, et la plainte qui m’est présentée en est le résultat.

[59]      Comme la Loi est maintenant assujettie à la LCDP, je conclus que le processus de demande prévu au paragraphe 58(3) doit devenir une fonction administrative habilitante qui reconnaît et qui accepte que les Indiens inscrits (sauf ceux qui sont mineurs ou frappés d’incapacité mentale) sont des Canadiens responsables qui sont capables d’évaluer eux-mêmes les avantages qui découleraient de la location de leur terre et que le pouvoir discrétionnaire ministériel ne doit pas être exercé de façon unilatérale.

[59]           L’article 5 de la LCDP exige que les services destinés au public soient fournis sans discrimination. Lorsqu'une disposition légale est, de par l’ambiguïté de son libellé, susceptible de plus d'une interprétation, la LCDP prévoit que le ministère chargé de l’administrer doit retenir l’interprétation qui est la plus conforme aux principes en matière de droits de la personne. Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4.

[60]           Pour qu’une plainte soit jugée fondée aux termes de la LCDP, il doit être établi que le défaut de fournir le service sans discrimination, soit par refus du service ou par traitement défavorable fondé sur un motif de distinction illicite, a eu des effets préjudiciables ou négatifs sur des personnes.

[61]           L’interprétation initiale de l’intimé, avant le 11 juillet 2011, était que M. Louie étant l’occupant, il ne pouvait prendre le bail, car celui-ci ne créerait aucun droit de tenure à bail (même si le bailleur était le ministre et non M. Louie) et que M. Louie devait former une société afin de créer une personne juridique différente. Selon cette interprétation initiale de l’intimé, il était de plus interdit à Mme Beattie de prendre le bail (quand cette idée a été évoquée), même si elle n’était pas l’occupante, puisque l’intention des plaignants était qu’elle transfère ensuite le bail à M. Louie, opération qui selon l’intimé à ce moment-là, était identique à un bail donné à M. Louie et considérée comme inacceptable. Cette interprétation initiale ne découlait pas du libellé de la loi elle-même, mais de l’exercice par l’intimé de son pouvoir discrétionnaire d’établir une interprétation pendant le traitement, aux termes de la Loi sur les Indiens, de la demande présentée au sens du paragraphe 58(3). L’intimé a ainsi jugé que tant M. Louie que Mme Beattie ne pouvaient prendre le bail pour la parcelle 175 en vue de permettre une opération de financement et de construction, pour des motifs qui ne sont ni prévus au paragraphe 58(3), ni étayés par une interprétation de ce paragraphe qui coïncide avec les principes des droits de la personne qu’il y aurait lieu d’invoquer dans des interprétations, selon la jurisprudence, de façon à renforcer plutôt qu’à diminuer la loi.

[62]           L’interprétation initiale erronée de l’intimé, qu’il a infirmée le 11 juillet 2011, a eu des effets préjudiciables pour M. Louie et pour Mme Beattie, en ce qu’ils ont perdu des occasions de mise en valeur et de financement d’une résidence sur une parcelle. Je pense qu’elle a de surcroît rabaissé la dignité de ces deux Indiens d’une manière qui n’arriverait jamais à des non-Indiens hors réserve qui voudraient s’occuper de leurs terres de la façon proposée par les plaignants en l’espèce.

[63]           L’article 5 de la LCDP exige que les services destinés au public soient fournis sans discrimination. Dans son interprétation initiale et son refus de la demande de M. Louie, l’intimé a employé une méthode restrictive, étroite et formaliste plutôt que la méthode large et téléologique que préconisent les tribunaux dans les affaires portant sur les droits de la personne. Son refus, qui a duré plusieurs années et qui se fondait sur une interprétation erronée de la loi, constitue un refus de service à des Indiens inscrits au sens de l’alinéa 5a), fondé sur leur race et sur leur origine nationale ou ethnique, ainsi qu’un traitement défavorable dans la fourniture d’un service au sens de l’alinéa 5b) si l’on compare le traitement de ces deux Indiens inscrits à celui des non-Indiens hors réserve.

[64]           Je conclus par conséquent que les plaignants se sont acquittés de leur obligation d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race et l’origine nationale ou ethnique, en contravention de l’article 5 de la LCDP.

L’intimé s’est-il acquitté de son obligation d’établir que son refus initial d’approuver le bail avait un motif justifiable ?

[65]           Dans les cas où le plaignant établit une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 5 de la LCDP, le fardeau de la preuve est transféré à l’intimé qui doit réfuter la preuve prima facie en démontrant que les événements ne se sont pas passés comme on le prétend, ou bien que ses actes avaient un motif justifiable, au sens de l’alinéa 15(1)g) ou du paragraphe 15(2) de la LCDP.

[66]           Il convient d’interpréter et d’appliquer le moyen de défense fondé sur le motif justifiable au sens de la LCDP au regard de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, selon laquelle il sera établi uniquement dans les cas où, notamment, la méthode adoptée par l’intimé a été « raisonnablement nécessaire », en ce sens que s’en écarter aurait causé une contrainte excessive. Colombie-Britannique (Superintendant of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), (1999) 3 R.C.S. 868.

[67]           En l’espèce, en vertu de sa lettre du 11 juillet 2011, l’intimé avait déjà modifié sa méthode et autorisé les demandes de bail ministériel fondées sur le paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens dans les cas où le preneur à bail est l’occupant. Ceci constitue en vérité l’admission que sa méthode précédente n’était pas « raisonnablement nécessaire » au sens de la jurisprudence applicable, et qu’il n’existait donc pas de motif justifiable au sens de la LCDP et de la jurisprudence applicable.

[68]           L’intimé continue toutefois de maintenir sa position selon laquelle il ne peut conclure un bail sauf s’il obtient du preneur (qui, dit-il, peut à présent être occupant) des conditions qui pallient la « lacune dans la réglementation » qui a été mentionnée aux paragraphes 47,48 et 49 en l’espèce. Cette position perpétue à mon avis une application paternaliste et discriminatoire du paragraphe 58(3) de la Loi sur les Indiens qui n’est pas raisonnablement nécessaire et n’a pas de motif justifiable. Dans le reste du Canada, hors réserve, les règlements nécessaires en matière de construction, d’aménagement du territoire et d’environnement tels que ceux dont il est question dans les paragraphes susmentionnés ne sont pas appliqués par des baux publics qui s’adressent uniquement aux personnes ayant besoin des baux pour garantir du financement, mais pas à celles ayant l’argent pour construire ou mettre en valeur sans avoir besoin d’obtenir de financement. L’intimé doit, plutôt que de se servir du paragraphe 58(3) pour résoudre la « lacune dans la réglementation » grâce aux conditions de baux ministériels conclus dans les réserves, présenter une autre méthode qui établisse un régime exhaustif et global d’interdiction des constructions non conformes à des exigences en matière de construction, de zonage et d’environnement qui s’appliquent dans tous les cas, qu’il faille ou non financer la mise en valeur et que des baux ministériels soient demandés par la suite ou non.

VIII.       La décision

[69]           Pour ces motifs, je juge fondée la plainte en l’espèce.

IX.             Les mesures de redressement

[70]           Les dispositions suivantes relatives aux mesures de redressement figurent aux paragraphes 53(2) et (3) de la LCDP :

Plainte jugée fondée

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission    relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

Indemnité spéciale

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[71]           Les plaignants demandent des mesures de redressement, notamment pour les pertes financières de la valeur du prêt à la construction que Mme Beattie aurait consenti, affirment-ils, à M. Louie en 2008 pour financer la construction de la maison, ainsi que pour la perte de l’occasion du prêt à M. Louie et la perte de l’intérêt qui aurait été payé à Mme Beattie. Le prêt bien sûr n’a jamais eu lieu, et aucun élément tangible sur les détails et la documentation de celui‑ci n’a été présenté à l’audience. Je retiens les observations de l’intimé aux paragraphes 50 et 51 ci-dessus au sujet de cette demande de redressement, parce que rien ne prouve qu’il y ait réellement eu perte et que le paragraphe 53(2) de la LCDP ne me donne pas compétence pour autoriser un tel redressement.

[72]           Les plaignants ont droit à une indemnité spéciale en application du paragraphe 53(3) de la LCDP, car je pense, en fonction de la preuve dont j’ai été saisi, que lorsque l’intimé a refusé les demandes de bail ministériel présentées par les plaignants, il a agi en parfaite connaissance des conséquences et des incidences de ses actes pour les plaignants au moment de son refus et du maintien de son interprétation et de sa position. À mon avis, l’interprétation qu’a retenue ultérieurement l’intimé aurait dû être claire pour lui dès le départ, dans l’esprit du raisonnement téléologique et large qui devrait être adopté dans des interprétations de cette nature en de telles circonstances. Je conclus par conséquent que les actes de l’intimé à cet égard ont été intentionnels et délibérés et relèvent du paragraphe 53(3).

X.                L’ordonnance

[73]           Le Tribunal ordonne donc que l’intimé verse à chaque plaignant, dans le mois qui suit la date de la présente décision, la somme de 5 000 $ à titre d’indemnité spéciale en application du paragraphe 53(3) de la LCDP.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 27 février 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1703/5811 & T1704/5911

Intitulé de la cause : Joyce Beattie et James Louie c. Affaires indiennes et du Nord Canada

Date de la décision du tribunal : Le 27 février 2014

Date et lieu de l’audience : Le 7 et 8 octobre 2013

Cranbrook (Colombie-Britannique)

Comparutions :

Bruce Beattie, pour les plaignants

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Fiona McFarlane et Shelan Miller, pour l'intimé

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