Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 8/ 84 Décision rendue le 1er août 1984

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977. c. 33, version modifiée)

ET DANS L’AFFAIRE d’une audience devant un tribunal des droits de la personne constitué aux termes de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

LITIGE METTANT EN CAUSE KRISTINA POTAPCZYK, Plaignante - et ALISTAIR MACBAIN, Mis en cause

DÉCISION DU TRIBUNAL

DEVANT Sidney N. Lederman (président) Wendy Robson Peter Cumming

ONT COMPARU Russell G. Juriansz, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Mary F. Cornish, avocate de la plaignante Kristina Potapczyk Personne n’a comparu au nom du mis en cause, Alistair MacBain

ENTENDU A TORONTO, CANADA, LES 9, 10, 11, 12 ET 13 AVRIL ET LES 17 et 18 MAI 1984.

>INTRODUCTION

La plaignante, Kristina Potapczyk, âgée de 29 ans, de Niagara Falls, en Ontario, travaillait pour le mis en cause, Alistair MacBain, député fédéral représentant la circonscription de Niagara Falls- Niagara- on- the Lake, depuis le 1er mars 1982 à titre d’adjointe spéciale à Ottawa, avant d’être remerciée de ses services le 15 avril 1983. Son employeur était en principe le gouvernement fédéral, mais en réalité, c’était M. MacBain puisque ce dernier l’avait engagée et congédiée et qu’il fixait lui- même toutes ses conditions de travail. Mme Potapczyk allègue que son employeur, M. MacBain, a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur le sexe, contrevenant ainsi aux alinéas 7a), 7b) et 10a) de la Loi canadienne sur les droits de la

personne, 1976- 1977, c. 33, version modifiée, qui stipulent ce qui suit: 7. Constitue un acte discriminatoire le fait

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou
  2. de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

> - 2 a) de fixer ou d’appliquer dés lignes de conduite, pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

Le sexe est l’un des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 et, d’après la jurisprudence, le harcèlement sexuel est un aspect de la discrimination fondée sur le sexe. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons les questions de droit.

Mme Potapczyk allègue que M. MacBain a fait preuve de harcèlement sexuel à son égard alors qu’elle travaillait pour lui, modifiant ses fonctions à son désavantage et mettant finalement un terme à son emploi. Voici ce qu’elle affirme expressément dans sa plainte (pièce C- 13):

(Traduction)

... au cours de mon emploi, alors qu’il a nui à mon rendement et m’a humiliée, insultée et intimidée à plusieurs occasions en me jetant des regards concupiscents, en me faisant des remarques et des insinuations déplacées, en m’adressant des invitations importunes et en se plaçant inutilement tout près de moi ou en m’ordonnant de me tenir tout près de lui pendant les conversations. Par ces gestes constants, il me privait de mes moyens et blessait mon amour- propre. M. MacBain a exigé que je démissionne ou que je quitte mon emploi, ce que j’ai fait à contrecoeur le 15 avril 1983".

> - 3 A l’époque, le personnel du bureau d’Ottawa de M. MacBain comptait trois employées. Mme Linda Paniccia, maintenant âgée de 26 ans, s’occupait, à titre d’adjointe administrative, de la dactylographie, de la réception et du classement. Mme Nanda Casucci, l’adjointe spéciale principale, était responsable de la correspondance plus importante, de l’étude des demandes de subvention, de toutes les affaires publiques concernant le député, de la rédaction des discours et de la préparation des communications visant l’ensemble des électeurs de la circonscription. Mme Potapczyk, pour sa part, était l’adjointe spéciale subalterne. Mme Casucci était entrée au service de M. MacBain le 1er juin 1981 et Mme Paniccia le 9 novembre 1981. Les trois semblent être de brillantes jeunes personnes.

M. MacBain, par l’entremise de son avocat, M. Pierre Genest, a comparu deux fois devant nous, cherchant à chaque occasion à obtenir un ajournement afin de contester l’impartialité du tribunal devant la Cour fédérale. Suite au rejet de ces demandes, M. Genest s’est retiré de l’audience, conformément aux instructions de son client.

M. MacBain a refusé de se présenter à l’audience portant sur le fond de la plainte et de faire valoir des éléments de preuve. En outre, il a refusé que son avocat soit présent pour contre- interroger les témoins. Après avoir entendu la totalité de la preuve, nous sommes convaincus que les quatre principaux témoins de cette affaire étaient sincères et dignes de foi. Certains éléments de la preuve

> - 4 étaient un peu étranges, mais nous devons les rapporter assez en détail pour rendre compte des conditions de travail au bureau d’Ottawa de M. MacBain.

LA PREUVE

Mme Potapczyk a obtenu son baccalauréat en beaux- arts de l’Université de Windsor en 1979. Elle a ensuite travaillé au Shaw Festival de Niagara- on- the Lake, d’abord comme préposée aux guichets, puis à titre d’adjointe au service de la publicité, pour devenir finalement responsable des relations avec la presse en 1981.

D’ascendance polonaise, Mme Potapczyk a rencontré M. MacBain pour la première fois en juin 1980, à l’occasion d’un concours de beauté dont elle était la responsable et lui, l’un des juges. M. MacBain, avocat âgé d’environ 58 ans, avait été élu député fédéral après s’être porté candidat du Parti libéral du Canada lors de l’élection générale de février 1980.

Mme Potapczyk a affirmé dans son témoignage que M. MacBain l’avait appelée en juin 1981 au Shaw Festival, afin de lui demander des brochures qu’il désirait remettre aux députés fédéraux pour promouvoir le festival. Il lui avait également demandé en même temps son curriculum vitae, affirmant qu’il songeait à l’engager, mais elle ne le lui avait pas fait parvenir parce qu’elle n’était pas

> - 5 intéressée. Plus tard, elle avait reçu du ministre des Postes, apparemment sur l’initiative de M. MacBain (Transcription, Vol. 3, p. 242), une invitation (Pièce C- 1) à se joindre à M. et Mme MacBain à l’occasion d’un déjeuner et d’une cérémonie de dévoilement d’un timbre.

Mme Potapczyk a affirmé que M. MacBain lui avait téléphoné à la mi- octobre pour lui offrir ses sympathies à l’occasion du décès récent de son père et pour lui demander d’étudier la possibilité de travailler à son bureau d’Ottawa à titre d’adjointe spéciale. Intéressée, elle s’était rendue à Ottawa le 10 novembre 1981 afin de rencontrer M. MacBain. Ce dernier avait alors dit espérer que le Shaw Festival puisse lui trouver un remplaçant. Lorsqu’elle s’était informé de sa description de fonctions, le député lui avait d’abord répondu qu’elle pourrait faire ce qu’elle voudrait (Transcription, Vol. 3, p. 246), ajoutant toutefois ensuite qu’elle aurait à

s’occuper notamment des relations publiques de son bureau, de la liaison avec la collectivité polonaise de Niagara Falls et avec les groupes culturels en général, comme le Shaw Festival et la Niagara Falls Music Theatre Society, et de la recherche en matière de questions féminines.

> - 6 Lors de cette première entrevue du 10 novembre 1981 à Ottawa, M. MacBain a présenté Mme Potapczyk aux membres de son personnel, soit Mmes Linda Paniccia et Nanda Casucci. Toutefois, au cours des présentations, selon Mme Potapczyk, (Traduction) il tenait Nanda sur la sellette au sujet du travail qu’elle faisait ... et d’un ton très sévère et direct ... la critiquait (Transcription, Vol. 3, pp. 247 et 248).

M. MacBain l’invita ensuite à une réunion du Comité des comptes publics à laquelle il devait assister, puis à un déjeuner au cours duquel ils discutèrent du salaire et des avantages sociaux liés à son emploi. Mme Potapczyk prit ensuite place à la tribune réservée au public pour la période des questions aux Communes, après quoi M. MacBain l’invita à dîner au restaurant du Parlement, en compagnie d’un ami et son épouse en visite de Terre- Neuve. M. MacBain conseilla à Mme Potapczyk de ne pas prendre de décision trop rapide au sujet de l’emploi en question.

Environ deux semaines et demie plus tard, M. MacBain l’appela pour lui demander s’il pouvait se rendre à la résidence de sa mère afin de discuter plus à fond de l’emploi. Il en profita pour la prévenir qu’il s’agissait d’un emploi incertain dépendant de sa réélection, et il lui fit part de son inquiétude au sujet de la façon dont sa mère, veuve depuis peu, réagirait à son éventuel déménagement à Ottawa. M. MacBain souligna également que ses employées devaient

> - 7 lui être loyales, qu’elles devaient être prêtes à travailler 16 heures par jour et que Mme Potapczyk devrait couper ses liens avec le milieu du théâtre.

Après d’autres conversations téléphoniques avec M. MacBain, Mme Potapczyk accepta le poste d’adjointe spéciale à la fin de décembre 1981, qu’elle était censée occuper à compter du 1er mars 1982 à un salaire annuel de 19 300 $. Elle a souligné dans son témoignage qu’elle avait accepté le poste seulement après qu’il lui eut donné la ferme assurance qu’il la guiderait et lui apprendrait à remplir ses fonctions, étant donné qu’elle était très inquiète au sujet de son manque d’expérience politique (Transcription, Vol. 3, pp. 256, 257 et 259).

Entre temps, M. MacBain l’a revue à diverses occasions, notamment lors de l’inauguration de l’édifice du Little Theatre. Il l’a également invitée à assister à la réunion annuelle de l’Association libérale de son comté en compagnie du président de la Légion polonaise et à une réunion au YMCA où il prenait la parole. M. MacBain a en outre assisté, avec sa femme, à la dernière d’une pièce dont Mme Potapczyk avait fait la mise en scène.

M. MacBain avait dit à plusieurs reprises à Mmes Paniccia et Casucci, avant l’arrivée de Mme Potapczyk, que sa nouvelle adjointe polonaise était très séduisante et qu’elle (Traduction) règlerait

> - 8 tous les problèmes du bureau (Transcription, Vol. 4, pp. 469 et 470). Il est évident, à la lecture d’une note (Pièce C- 10) d’un autre député, qu’il avait parlé ailleurs de l’attrait de Mme Potapczyk. De façon plus générale, il est clair qu’il aimait faire briller les trois attrayantes jeunes femmes qui travaillaient pour lui (Transcription, Vol. 4, p. 464 et 465).

Mme Casucci a témoigné que M. MacBain n’était intéressé à étudier la candidature que de Mme Potapczyk pour le poste d’adjointe spéciale, ajoutant que cette dernière n’avait pas été assujettie au processus d’embauchage qu’elle avait elle- même subi (Transcription, Vol. 5, pp. 669- 672).

Mme Potapczyk a commencé à travailler pour M. MacBain le 1er mars 1982 à son bureau d’Ottawa. Les trois employées du bureau étaient alors Mme Potapczyk à titre d’adjointe spéciale subalterne, Mme Nanda Casucci à titre d’adjointe spéciale principale et Mme Linda Paniccia à titre d’adjointe administrative. A sa première journée de travail, Mme Potapczyk s’est vu remettre le Manuel de l’employé (Pièce C- 2) dans lequel figurait des descriptions de poste. Toutefois, ces descriptions de poste écrites n’ont jamais eu beaucoup d’importance, et le travail effectivement accompli différait considérablement de ce qui y figurait.

> - 9 Au début, Mme Potapczyk avait des fonctions précises, par exemple, découper des articles de journaux portant sur le mouvement féminin et établir des listes de base de certains électeurs de la circonscription du député qui constitueraient des groupes cibles pour les envois postaux. En outre, elle se familiarisa avec la bibliothèque du Parlement et avec le Comité des comptes publics, dont faisait partie M. MacBain. Ne se sentant toutefois pas pleinement intégrée au bureau, Mme Potapczyk s’enquit auprès de Mme Casucci de la possibilité de tenir des réunions hebdomadaires, tout en demandant à participer à l’administration du bureau. Mme Paniccia a déclaré que Mme Potapczyk n’était pas satisfaite des tâches qu’on lui confiait, qui étaient ennuyeuses et ne correspondaient pas à ce à quoi elle s’attendait (Transcription, Vol. 4, pp. 479 et 480). De son côté, M. MacBain semblait prêter très peu d’attention à Mme Potapczyk à cette époque (Transcription, Vol. 4, p. 481). La charge de travail était en outre très inégale, puisque Mme Potapczyk quittait le bureau vers 18 h, tandis que les deux autres employées travaillaient jusqu’à 20 h 30 ou 21 h.

Déclarant que Mme Potapczyk demandait aux autres de lui confier du travail, Mme Linda Paniccia a précisé que, pour sa part, elle n’était pas disposée à se départir de ses tâches, de crainte que M. MacBain la croit incapable d’accomplir le travail (Transcription, Vol. 4, pp. 472 et 476).

> - 10 L’une des premières tâches confiée à Mme Potapczyk a été la préparation du numéro d’été du Rapport d’Ottawa (Transcription, Vol. 3, pp. 283, 284), petite brochure que les députés distribuent à leurs électeurs. Il semble que chaque député soit autorisé à publier une telle brochure quatre

fois par année. Mme Potapczyk s’étant montrée intéressée à travailler à ce bulletin quelques jours après son entrée en fonctions, M. MacBain demanda à Mme Nanda Casucci de lui montrer ce qu’il fallait faire pour préparer le prochain numéro (Transcription, Vol. 5, p. 614). Le lendemain matin, M. MacBain avisa Mme Casucci que Mme Potapczyk relèverait directement de lui de façon qu’il puisse suivre personnellement ses progrès (Transcription, Vol. 5, p. 614).

Mme Potapczyk dîna avec M. MacBain au restaurant du Parlement le 21 juillet 1982 afin de discuter du numéro d’été du bulletin. Elle a révélé dans son témoignage qu’il lui avait alors dit:

"nous avons un problème, ajoutant qu’il avait de la difficulté à croire qu’elle s’entendait bien avec les gens. Il lui a aussi dit qu’elle avait une mauvaise attitude"

(Transcription, Vol. 3, pp. 314- 315, 318) et que les deux autres femmes du bureau étaient mécontentes d’elle et avaient l’impression qu’elle n’aimait pas travailler au bureau. Cependant, Mme Paniccia a témoigné plus tard n’avoir jamais discuté du rendement de Mme Potapczyk avec M. MacBain, affirmant en outre qu’elle n’avait jamais critiqué la façon de travailler de Mme Potapczyk et que M. MacBain ne s’était jamais plaint

> - 11 à Mme Paniccia du rendement de Mme Potapczyk avant février 1983 (Transcription, Vol. 4, pp. 478- 480).

Mme Casucci a également affirmé plus tard que M. MacBain n’avait commencé à critiquer Mme Potapczyk qu’en février 1983. Selon elle, M. MacBain n’avait jamais critiqué Mme Potapczyk avant que Mme Casucci ne revienne au bureau d’Ottawa le 31 janvier 1983, à la suite d’une absence temporaire (Transcription, Vol. 5, pp. 660 et 661). A l’occasion du dîner du 21 juillet 1982, Mme Potapczyk se mit à pleurer, s’exclamant qu’elle n’avait pas beaucoup d’amis à Ottawa, ce à quoi M. MacBain répondit, selon le témoignage de Mme Potapczyk Ne croyez- vous pas que je me sens seul aussi? (Transcription, Vol. 3, p. 316). Mme Potapczyk répondit qu’elle essaierait d’être plus consciente d’elle- même et de ses agissements. M. MacBain la raccompagna à pied à l’arrêt d’autobus après le dîner, puis la quitta. Selon Mme Potapczyk, avant le dîner du 21 juillet, M. MacBain l’avait invitée seulement une fois au restaurant du Parlement, peu après qu’elle eut commencé à travailler pour lui, et ils avaient alors discuté de son travail au bureau.

Le 5 août 1982, ils déjeunèrent ensemble au restaurant du Parlement afin de discuter du bulletin. M. MacBain aurait alors dit à Mme Potapczyk qu’elle était encore impolie, qu’elle avait besoin de discipline et que les deux autres femmes se plaignaient encore d’elle auprès de lui (Transcription, vol. 2, p. 322). Il lui aurait

> - 12 également dit qu’elle avait, à son avis, un problème de personnalité. Mme Potapczyk insista pour savoir au juste d’où provenaient les plaintes et chercha à appeler ses supposées critiques immédiatement, mais M. MacBain l’en empêcha. Mme Potapczyk demanda toutefois par après à l’employée du bureau de la circonscription de Niagara Falls, Mme Marg Germano, si elle s’était plainte d’elle comme M. MacBain l’avait prétendu; cette dernière répondit par la négative. Cependant, lorsque Mme Potapczyk demanda la même chose à Mme

Casucci, cette dernière lui répondit qu’une personne ayant téléphoné au bureau s’était plainte de la façon dont Mme Potapczyk avait répondu à son appel.

Mme Potapczyk a témoigné que M. MacBain lui avait également dit le 5 août que Mme Nanda Casucci ne recevait pas la Sainte communion parce qu’elle se sentait coupable des rapports que Mme Potapczyk entretenait avec M. MacBain. Toutefois, Mme Casucci a déclaré plus tard qu’elle avait dit à M. MacBain qu’elle n’allait communier à cause de l’animosité qu’éveillait en elle la liaison qu’elle croyait percevoir entre M. MacBain et Mme Potapczyk, impression créée par M. MacBain en mai 1982 (Transcription, Vol. 5, pp. 673 et 674). Mme Potapczyk a témoigné que M. MacBain lui avait également dit lors du déjeuner du 5 août 1982 qu’il avait songé à la renvoyer dans les trois premiers mois suivant son embauchage.

> - 13 Le numéro d’été du bulletin (Pièce C- 4) sur lequel Mme Potapczyk avait travaillé a été bien reçu, M. MacBain la félicitant même au moment de sa parution dans le courant de la dernière semaine d’août. Le deuxième numéro du bulletin, celui prévu pour l’automne, devait cependant soulever des problèmes.

A l’automne 1982, M. MacBain parla à Mme Casucci du numéro d’automne du bulletin que préparait alors Mme Potapczyk. L’ayant prévenu de vive voix à deux occasions que le thème (un menu de sept jours à base d’aliments traités provenant de la région de Niagara) n’était pas opportun sur le plan politique, Mme Casucci lui adressa ensuite une note de trois pages (Pièce HRC- 5) parce qu’il ne tenait pas compte de son conseil. Le projet de bulletin fut ensuite abandonne, sans toutefois que le travail de Mme Potapczyk soit mis en cause car le thème était l’idée de M. MacBain lui- même. Mme Casucci a témoigné que le travail avait été en fait très bien exécuté (Transcription, Vol. 3, p. 312, Vol. 5, p. 627). M. MacBain a cependant dit à Mme Potapczyk en octobre qu’elle avait manque le bateau et que le bulletin n’était pas ce qu’il désirait (Transcription, Vol. 3, p. 333), mais il n’en a jamais soufflé mot à Mme Casucci (Transcription, Vol. 5, p. 660).

Le 8 décembre 1982, Mme Potapczyk a dîné avec M. MacBain au restaurant du Parlement avant de l’accompagner à une fête de Noël du

> - 14 Congrès polonais à l’Édifice du Sud, afin de rencontrer des réfugiés de la Pologne en compagnie de plusieurs députés. Après la réception, M. MacBain a accompagné Mme Potapczyk à pied jusqu’à l’arrêt d’autobus. Selon cette dernière, il l’invita à prendre un verre alors qu’ils passaient devant le Club de la presse, situé tout près. Elle refusa et lui dit qu’il n’était pas nécessaire qu’il attende avec elle à l’arrêt d’autobus. Mme Potapczyk a déclaré qu’il lui avait frotté les épaules avec ses mains pour la réchauffer alors qu’ils étaient à l’arrêt d’autobus et qu’elle s’y était opposée silencieusement. Elle estimait qu’il avait trop bu durant la soirée. Elle avait également eu l’impression au cours du dîner qu’il lui fixait la poitrine.

Les deux autres employées du bureau, Mmes Linda Paniccia et Nanda

Casucci, ont également témoigné. Mme Linda Paniccia détient deux diplômes universitaires, un baccalauréat ès arts en études administratives et un baccalauréat en éducation, les deux de l’Université Western Ontario. M. MacBain avait été l’avocat de sa famille. Mme Paniccia s’est plainte que M. MacBain voulait qu’elle se tienne trop près de lui lorsqu’ils parlaient de travail, ajoutant qu’il avait l’habitude d’arriver derrière elle en se mettant la tête par- dessus son épaule, le corps appuyé contre le bras du fauteuil (Transcription, Vol. 4, pp. 437 et 441). Mme Casucci a confirmé dans son témoignage que M. MacBain se tenait physiquement trop près de Mme Paniccia. Cette dernière a également déclaré que

> - 15 M. MacBain avait essayé environ une demi- douzaine de fois de l’embrasser en lui souhaitant bonne nuit, et même quelquefois au bureau (Transcription, Vol. 4, pp. 442 et 443). Mmes Paniccia et Casucci et M. MacBain demeuraient tous les trois dans le même immeuble; celui- ci raccompagnait souvent ses deux employées chez elles, leur souhaitant bonne nuit dans l’ascenseur en les embrassant. Mme Casucci habitait au premier étages, Mme Paniccia au cinquième et M. MacBain au dix- neuvième. M. MacBain n’a jamais fait de propositions d’ordre sexuel à Mme Paniccia. Il ne l’a jamais invitée à son appartement ni ne lui a suggéré de l’inviter chez elle (Transcription, Vol. 4, p. 497). Il n’a jamais non plus fait de propositions à Mme Casucci. Il ne donnait de baisers à une fille qu’en présence de l’autre. Mmes Paniccia et Casucci n’aimaient pas cette façon d’agir; Mme Casucci s’en étant finalement plainte à M. MacBain, celui- ci y mit fin (Transcription, Vol. 5, pp. 645 et 648). Les baisers qu’il leur donnait lorsqu’il les raccompagnait n’étaient destinés qu’à leur souhaiter bonne nuit, et M. MacBain n’a jamais fait de propositions d’ordre sexuel à Mmes Paniccia et Casucci. Craignant M. MacBain, Mme Paniccia ne s’est jamais plainte du fait qu’il se tenait trop près d’elle. A son avis, toutefois, il aurait dû comprendre par son attitude corporelle qu’elle trouvait cela désagréable (Transcription, Vol. 4, pp. 443, 459, 460 et 461).

Les trois employées ont témoigné que M. MacBain se tenait et s’assoyait excessivement près d’elles lorsqu’elles travaillaient au

> - 16 bureau. Mme Potapczyk a déclaré que M. MacBain se tenait près de son fauteuil lorsqu’il lui donnait ses tâches, et qu’il se penchait sur elle ou s’assoyait sur le bras de son fauteuil, de façon telle qu’il était trop près; lorsqu’ils étaient debout tous les deux, il se tenait si près que leurs bras se touchaient (Transcription, Vol. 3, pp. 288, 290, 291, 300 et 301). Elle a déclaré que lorsqu’il l’appelait dans son bureau, il lui disait souvent de venir ici, de sorte qu’ils étaient très près l’un de l’autre. Elle avait l’impression qu’il attendait cela d’elle (Transcription, Vol. 3, pp. 301 et 302). M. MacBain se tenait également près des deux autres employées (Transcription, Vol. 3, p. 303). Toutefois, Mme Potapczyk n’a jamais dit à M. MacBain que sa proximité physique la mettait mal à l’aise, même si elle croyait qu’il ne se rendait même pas compte de sa gêne (Transcription, Vol. 3, pp. 305 et 306). Mme Casucci a confirmé que M. MacBain allait souvent derrière le fauteuil de Mme Paniccia, plaçait son bras autour du dossier et se penchait en avant, trop près d’elle. Mme Casucci a déclaré que Mme

Paniccia devenait tellement troublée par la proximité excessive de M. MacBain qu’elle acquiesçait à ses instructions même si elle ne les comprenait pas, tout simplement parce qu’elle voulait qu’il s’éloigne. Une fois M. MacBain parti, elle demandait à Mme Casucci de lui répéter les instructions qu’il lui avait données. Mme Paniccia a fait observer que Mme Potapczyk n’appréciait pas la proximité excessive de M. MacBain (Transcription, Vol. 4, p. 487).

> - 17 Le bureau de Mme Casucci était en face de celui de M. MacBain, dans la pièce. D’après son témoignages, M. MacBain l’appelait souvent derrière son bureau pour lui expliquer quelque chose; il venait souvent lui- même au bureau de Mme Casucci et s’assoyait sur le bras du fauteuil, sa jambe touchant la sienne, d’une façon telle qu’elle avait l’impression qu’il envahissait mon espace vital. Elle estime lui avoir fait savoir par son attitude corporelle que cette proximité persistante ne lui plaisait pas.

Mme Casucci a affirmé que M. MacBain plaçait son bras autour du dossier du fauteuil de Mme Potapczyk, lui touchant l’épaule et le bras, et que Mme Potapczyk devenait tendue et nerveuse.

Mme Paniccia a déclaré n’avoir jamais vraiment discuté de cette proximité excessive avec Mme Casucci, même si elles plaisantaient au sujet de l’habitude qu’il avait de dire venez par ici (Transcription, Vol. 4, pp. 496 et 497). Mme Casucci a toutefois affirmé, pour sa part, qu’elles en avaient parlé (Transcription. Vol. 5, p. 652).

Mme Nanda Casucci a grandi à Niagara Falls. Pourvue de très bonnes références, elle possédait toutes les compétences nécessaires pour occuper le poste d’adjointe principale d’un député. Issue des milieux universitaires de l’Ontario, elle a mérité plusieurs prix et obtenu un baccalauréat avec très grande distinction de l’Université Niagara. Elle est de toute évidence une jeune personne remarquable et

> - 18 talentueuse qui a accompli un travail énorme avec compétence et loyauté pour le compte de M. MacBain.

Mécontente de l’inégalité de répartition de la charge de travail au bureau, Mme Casucci demanda une rencontre avec M. MacBain. Au cours d’un dîner qu’ils prirent ensemble au restaurant du Parlement à la fin de mai 1982, elle aborda avec lui le problème de l’inégalité des charges de travail, précisant que le traitement de Mme Linda Paniccia était trop bas (15 600 $) par rapport à celui de Mme Potapczyk (19 300 $). Mme Casucci a dit qu’elle avait demandé à M. MacBain pourquoi il avait engagé Mme Potapczyk et qu’il lui avait répondu qu’ un homme en arrive à se sentir seul ici. Prié de préciser ce qu’il voulait dire, il aurait répondu avec un petit rire:

"qu’est- ce que vous croyez que je veux dire?".

Mme Casucci lui ayant alors dit qu’elle trouvait dégoûtant et insultant qu’il agisse de cette façon, M. MacBain se serait contenté de répliquer que s’il était forcé de se débarrasser de Mme Potapczyk, la prochaine que j’amènerai sera pire. Curieusement, il n’y a jamais eu de liaison entre M. MacBain et Mme Potapczyk. La fausse impression en ce sens, créée par M. MacBain, devait gâter les relations de travail au bureau jusqu’à la cessation d’emploi de Mme Potapczyk. M. MacBain avisa ensuite Mme Casucci que le personnel ne

recevrait pas d’augmentation de rémunération parce qu’on avait besoin de l’argent du fonds du personnel pour acheter une machine de traitement de textes (Transcription, Vol. 5, p. 623). Mme Casucci a déclaré que M. MacBain

> - 19 lui avait dit quelques jours plus tard qu’elle ne travaillerait plus à la préparation du bulletin, même pour former Mme Potapczyk. Comme elle savait qu’il n’ignorait pas qu’elle aimait ce travail, elle estimait qu’il la punissait d’avoir mis en doute la marche à suivre du bureau (Transcription, Vol. 5, p. 623).

En juillet 1982, les problèmes du bureau n’ayant pas été résolus, Mme Casucci menaça de remettre sa démission. M. MacBain la pria de rester, disant qu’il accepterait qu’elle assure l’administration du bureau en son nom selon leur dessein initial et que Mme Potapczyk travaille sous sa direction.

Toutefois, quelques jours plus tard, M. MacBain changea d’idée, affirmant que cette façon de procéder n’était pas la bonne. Mme Casucci prit alors des vacances et travailla au bureau de la circonscription de Niagara Falls pendant quelque temps, ne retournant à Ottawa que le 3 novembre.

Mme Linda- Paniccia pensait que M. MacBain et Mme Potapczyk avaient peut- être une liaison, étant donné les louanges de celui- ci à son égard et l’inégalité des charges de travail, même si Mme Potapczyk semblait fâchée de ne pas travailler (Transcription, Vol. 4, pp. 481- 483). Mme Paniccia savait également qu’en mai 1982, lorsque Mme Nanda Casucci avait demandé à M. MacBain pourquoi Mme Potapczyk avait été engagée, celui- ci avait répondu qu’un homme en arrive à se sentir seul ici, créant la fausse impression qu’il y avait certains types de rapports entre lui et Mme Potapczyk.

> - 20 Mmes Paniccia et Casucci étaient souvent très vexées des remarques que leur faisait M. MacBain. Mme Paniccia a témoigné que M. MacBain lui avait souvent dit qu’elle avait un problème de poids (Transcription, Vol. 4, p. 486). Mme Paniccia estimait qu’il ne la respectait pas, qu’il lui parlait comme à un enfant et qu’il lui criait de venir dans son bureau pour la dictée (Transcription, Vol. 4, pp. 492- 493). Cela se faisait ouvertement car M. Louis Grigoroff, qui a témoigné plus tard, a affirmé que, pendant son séjour au bureau, il avait vu M. MacBain changer soudainement et constamment de priorités et dire à Mme Paniccia:

"je veux que ce soit sur mon bureau à 11 h, sinon vous êtes morte et plus tard sinon je vais vous tuer" (Transcription, Vol. 4, p. 530).

Mme Casucci a témoigné en pleurant que M. MacBain lui avait souvent dit qu’elle devrait se montrer plus encourageante envers les hommes, qu’elle était frigide, qu’elle devrait porter des vêtements de style moins conservateur, qu’elle devrait se montrer un peu plus sexy, agir moins intelligemment avec les hommes et qu’elle devrait prendre cinq livres et augmenter son tour de poitrine. Mme Casucci trouvait ces remarques dévastatrices parce qu’elles s’attaquaient à l’essence même et au côté le plus fondamental de sa personne; elle éclatait en larmes en sa présence (Transcription, Vol. 5, pp. 684 et 692).

M. MacBain réussissait souvent, qu’il le veuille ou non, à

perturber l’état émotionnel de ses trois jeunes employées.

> - 21 Il ressort clairement de la preuve qu’il y avait rupture de communication entre M. MacBain et son personnel et que M. MacBain n’assurait pas une direction efficace (Transcription, Vol. 3, p. 313).

En novembre, M. Louis Grigoroff, homme d’affaires indépendant de Niagara Falls, stratège et publicitaire politique et ami de M. MacBain depuis plus de 25 ans, vint à Ottawa à la demande de ce dernier afin d’évaluer l’organisation de son bureau et de suggérer des améliorations. Cela était nécessaire puisque M. MacBain désirait réorganiser son bureau pour tenir compte des nouvelles fonctions que lui valait sa récente nomination au poste de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice. M. Grigoroff a observé le fonctionnement du bureau au cours de la période du 16 au 19 novembre. Pendant qu’il était à Ottawa, Mme Potapczyk lui a fait part de son mécontentement au sujet de la désorganisation du bureau et de la confusion qui y régnait. Elle a insisté sur le fait que la distribution de la charge de travail entre les employées était inégale et qu’on lui donnait trop peu à faire.

M. Grigoroff est une personne très bien organisée et compétente qui a effectué une analyse approfondie du bureau d’Ottawa de M. MacBain. Il a suggéré d’établir un répertoire des vedettes- matières, avec renvois et index à références multiples, d’acquérir une machine de traitement de textes, de mieux répartir la charge de travail, de confier certains dossiers au bureau de comté de

> - 22 Niagara Falls et de faire de Mme Casucci la gestionnaire du bureau tout en confiant des fonctions plus précises à Mme Potapczyk. Il avait trouvé le bureau en désordre et plein de confusion, M. MacBain modifiant les priorités à peu près toutes les heures. Il a témoigné que M. MacBain n’avait aucune idée de ce que représente une charge de travail ni du temps qu’il faut ordinairement à un employé pour s’acquitter d’une tâche. M. Grigoroff a constaté que le moral des employées du bureau était très bas. Il a affirmé qu’il était évident que Mme Potapczyk désirait travailler mais qu’on ne lui confiait aucun travail le moindrement substantiel (Transcription, Vol. 4, pp. 525- 530).

M. Grigoroff a déclaré que M. MacBain lui avait fait des remarques flatteuses au sujet de Mme Potapczyk, par exemple:

"ce qu’elle avait fière allure!, et comme elle était bien vêtue!" (Transcription, Vol. 4, p. 532).

M. MacBain lui avait également fait des remarques grossières, à d’autres occasions, au sujet des caractéristiques physiques de Mmes Paniccia et Casucci. De plus, il avait dit que Mme Potapczyk était la femme rêvée pour un homme qui aime les formes plantureuses (Traduction, Vol. 5, pp. 553- 554).

Sans que les trois employées ne s’en soient plaintes auprès de lui auparavant, M. Grigoroff a affirmé avoir observé que M. MacBain se tenait vraiment trop près d’elles au bureau (Transcription, Vol. 4, pp. 528- 536). Il se tenait trop près, que ce soit assis ou debout, et

>-

- 23 plaçait son bras autour de l’épaule de l’employée et tournait autour des trois. M. Grigoroff a remarqué que Mme Potapczyk semblait avoir un mouvement de recul, qu’elle se raidissait les épaules et se tenait les coudes serrés le long du corps lorsque M. MacBain s’approchait trop près.

M. Grigoroff ayant demandé plus tard à Mmes Casucci et Paniccia pourquoi elles toléraient cette proximité, ces dernières lui lui ont répondu qu’elles désiraient éviter toute confrontation et que M. MacBain était le patron (Transcription, Vol. 4, pp. 538 et 539).

M. Grigoroff, qui a observé avec beaucoup de sagacité ce qui se passait au bureau d’Ottawa, avait l’impression que M. MacBain ne voulait pas que ses trois employées fraternisent ensemble. Il lui a semblé que M. MacBain insistait pour confier lui- même du travail à Mme Potapczyk, plutôt que de laisser Mme Casucci le faire, parce qu’il désirait que ses employées dépendent de lui. L’échange suivant a eu lieu au cours du témoignage de M. Grigoroff

LE PRÉSIDENT: Jusqu’à quel point le problème de moral, du moins d’après ce que vous avez pu observer, dépendait- il du fait qu’il se tenait trop près des employées, et jusqu’à quel point dépendait- il du manque d’organisation en général, ou du fait que M. MacBain n’avait aucune idée du temps qu’il faut pour accomplir une tâche, ou de l’inégalité de la charge de travail, ou du problème causé par la modification des priorités de ses tâches?

> - 24 LE TÉMOIN: Il m’a semble qu’il s’agissait en grande partie d’un moyen de créer de la dépendance envers l’employeur. Elles ne devaient pas fraterniser; elles ne devaient pas causer ensemble; elles ne devaient pas discuter ensemble. Cela aurait été encore pire si Mmes Casucci et Paniccia n’avaient pas habité le même immeuble. Mme Potapczyk les considérait comme des ennemies. Elles la considéraient pour leur part comme une sorte d’ennemie, avec tout ce que cela comporte de négatif. Démoralisant? C’était plus que démoralisant. Un groupe de personnes était enferme dans un très petit bureau. L’une de ces personnes, excellente j’en suis certain, ne se voyait pourtant confier aucun travail substantiel, tandis que les deux autres étaient surmenées. De plus, le favoritisme était, pour ainsi dire, omniprésent.

Il me semble, en toute objectivité, que lorsqu’une femme assise à son bureau en voit une autre dont on s’occupe gentiment, elle doit sentir naître en elle de la jalousie, ou du moins de l’envie. Lorsque c’est le contraire qui se produit le lendemain, je ne crois pas que cela soit tellement bon pour l’autre personne sur le plan psychologique. J’ai eu l’impression qu’il essayait surtout à la longue de garder tout le monde hors d’équilibre et de créer une dépendance à son égard. Il m’a semblé qu’il y réussissait très bien dans le cas de Mme Casucci. Sa loyauté était complète, et elle l’est peut- être encore.

LE PRÉSIDENT: En ce qui a trait au problème de moral que vous avez observé, jusqu’à quel point ce petit jeu à connotation sexuelle, si on peut l’appeler ainsi, y était- il pour quelque chose?

LE TÉMOIN: Eh bien! je crois qu’il avait une valeur indicative. Je crois qu’il visait à faire passer des messages, que ce soit à l’intention de Louis Grigoroff assis sur un fauteuil ou dans le but de dresser une employée contre une autre. En gros, j’ai commencé à me douter de quelque chose plus tôt, en octobre, au moment où nous travaillions à la campagne électorale et que Al - M. MacBain - pressait constamment Mme Casucci de lui soumettre un rapport expliquant pourquoi elle devrait retourner à Ottawa.

> - 25 Évidemment, je suis peut- être stupide ou quelque chose dans ce genre- là, mais je ne parvenais pas à comprendre, et d’ailleurs je n’y réussirai jamais, comment une employée peut être tenue de justifier son retour à Ottawa alors qu’elle a été engagée pour y travailler, plus précisément au 540 Nord, Chambre des Communes et nul part ailleurs, qu’elle y est déménagée - qu’on lui a demandé d’y déménager de façon à pouvoir y travailler - et qu’elle est effectivement devenue une résidente d’Ottawa, comment il se peut donc qu’une employée se fasse dire chaque jour après ses vacances:

"Faites- en sorte que ce rapport soit prêt, sinon je pourrais bien ne pas vous ramener à Ottawa avec moi"?

Encore là, j’avais l’impression que c’était sa façon d’assujettir mentalement une employée en créant chez elle un sentiment de dépendance.

(Transcription, Vol. 4, pp. 542- 544) M. Grigoroff a demandé à M. MacBain s’il couchait avec Mme Potapczyk et celui- ci lui a répondu, sans se compromettre, N’oublie pas que c’est toi qui a dit ça; ce n’est pas moi (Transcription, Vol. 5, pp. 555 et 556).

M. Grigoroff se rendait compte que Mme Potapczyk désirait travailler, mais qu’on ne lui donnait presque rien à faire, et il ne pouvait tout simplement pas comprendre quel était au juste son rôle dans ce bureau (Transcription, Vol. 5, pp. 573 et 574).

> - 26 M. Grigoroff a conseillé à Mmes Paniccia et Casucci de se montrer plus énergiques avec M. MacBain. M. Grigoroff a constaté qu’elles étaient timides parce qu’elles craignaient d’être congédiées et de se retrouver à Niagara Falls dans la disgrâce aux yeux de leurs amis et de leurs familles. Il s’est rendu compte avec beaucoup de perspicacité que les deux femmes étaient sur un piédestal dans leur famille à cause du poste apparemment prestigieux qu’elles occupaient (Transcription, Vol. 5, pp. 588- 592). M. Grigoroff a parlé deux jours de suite à M. MacBain du problème créé par le fait qu’il se tenait trop près physiquement de ses employées, et lui a dit que cela pourrait lui attirer des ennuis (Transcription, Vol. 4, pp. 535- 536).

M. Grigoroff a dit à Mme Paniccia qu’il avait avisé M. MacBain qu’il se tenait et s’assoyait trop près physiquement de ses employées au

bureau et les rendait ainsi mal à l’aise (Transcription, Vol. 4, pp. 454- 455).

Mme Casucci a confirmé que M. Grigoroff s’était inquiété, auprès des employées, du fait que M. MacBain se tenait trop près d’elles pendant qu’elles travaillaient, et qu’il leur avait demandé ce qu’elles en pensaient et si elles en avaient parlé à M. MacBain. Mme Casucci a dit qu’elle estimait le lui avoir fait sentir par son attitude corporelle (Transcription, Vol. 5, pp. 644 et 645).

> - 27 Il ressort clairement de la preuve que M. MacBain se plaçait en général, et ouvertement, trop près de ses employées (Transcription, Vol. 4, p. 456). M. Grigoroff a dit à M. MacBain qu’il notait pas nécessaire de lui faire un numéro (Transcription, Vol. 4, p. 536). Il lui a également dit qu’il en avait parlé à Mmes Paniccia et Casucci et qu’elles n’aimaient pas son attitude, ajoutant qu’il avait remarqué que Mme Potapczyk ne l’aimait pas non plus. M. MacBain s’est alors esclaffé et a seulement dit qu’il ne s’était pas rendu compte du comportement qu’on lui reprochait.

En dépit des conseils de M. Grigoroff, M. MacBain n’a jamais modifié son comportement et il a continué à se tenir et à s’asseoir excessivement près de ses employées.

Mme Paniccia a témoigné qu’au cours de la semaine qui a suivi la visite de M. Grigoroff, M. MacBain semblait contrarié par son personnel et qu’il a dit à Mme Casucci d’aviser Mmes Potapczyk et Paniccia que les trois n’iraient pas à la fête de Noël du personnel (Transcription, Vol. 4, pp. 491 et 492).

Dans son rapport terminé au début de décembre 1982, M. Grigoroff a conclu notamment que le travail était distribué de façon inégale au bureau, Mmes Casucci et Paniccia en ayant trop et Mme Potapczyk pas assez, et que le bureau était désorganisé et manquait de direction. M. Grigoroff a également conclu qu’il y avait

> - 28 un malaise général parmi le personnel et que M. MacBain se plaçait en général trop près physiquement de ses employées pendant qu’il travaillait avec elles.

Mme Myra Leffler, vice- présidente du comité exécutif de l’association libérale du comté, a ensuite demandé à Mme Potapczyk de la rencontrer, en compagnie d’un autre membre du comité, Mme Joan Hunter, afin de discuter des problèmes soulevés dans le rapport. Elles se sont rencontrées le 12 décembre 1982. Comme elle l’a affirmé dans son témoignage, Mme Potapczyk a indiqué lors de cette rencontre qu’elle estimait que M. MacBain l’avait insultée par ses plaintes à son sujet lors des dîners et déjeuners qu’ils avaient pris ensemble, qu’elle n’était pas mise à contribution au bureau et, de façon générale, qu’on ne lui donnait aucune chance.

Mme Casucci a témoigné qu’elle avait accompagné M. MacBain à une rencontre avec le comité exécutif de l’association libérale du comté le 10 janvier 1983, au cours de laquelle Mmes Leffler et Hunter avaient dit à M.

MacBain qu’elles avaient rencontré Mme Potapczyk qui, même si elle désirait travailler, n’avait pas grand chose à faire alors que les autres employées étaient surchargées. L’un des membres du comité ayant demandé à M. MacBain s’il y avait quelque chose entre vous et Kris, celui- ci a répondu:

"non, si au moins c’était le cas!" (Transcription, Vol. 5, p. 654).

> - 29 Mme Potapczyk a déclaré que M. MacBain l’avait invitée à dîner au restaurant du Parlement le 18 janvier 1983. Elle refusa, disant qu’elle essayait de suivre un régime. Dans sa déposition, elle a affirmé que M. MacBain lui avait ensuite suggéré de dîner ensemble un soir à l’appartement de Mme Potapczyk afin de parler de son travail. M. MacBain lui aurait dit que cela vaudrait mieux que de dîner au restaurant du Parlement parce qu’ils s’y disputent trop (Transcription, Vol. 3, p. 365). Cette suggestion l’ayant prise au dépourvu Mme Potapczyk a dit qu’elle avait un rendez- vous le lundi suivant, 24 janvier, au sujet d’une allergie. M. MacBain lui aurait ensuite suggéré de prendre tout simplement congé toute la journée et de préparer le dîner ce soir- là pour qu’ils le prennent ensemble. Considérant cela comme une avance d’ordre sexuel, Mme Potapczyk se serait alors sentie effrayée et intimidée. Mme Paniccia a confirmé dans son témoignage que Mme Potapczyk avait perçu l’invitation de M. MacBain de cette façon, cette dernière lui en ayant parlé après sa conversation avec M. MacBain (Transcription, Vol. 4, p. 463).

Mme Casucci a déclaré que Mme Potapczyk lui avait téléphoné le 21 janvier au sujet de l’invitation à dîner, qu’elle pleurait et était bouleversée, affirmant que M. MacBain lui avait dit Nous ne pouvons pas discuter (de votre travail) au restaurant du Parlement parce que cela vous trouble trop. Elle a confirmé que Mme Potapczyk se sentait très bouleversée et menacée par l’invitation à dîner du 18 janvier (Transcription, Vol. 5, pp. 652 et 653).

> - 30 Mme Casucci avait auparavant l’impression que M. MacBain et Mme Potapczyk avaient une liaison. Elle en était arrivée à cette conclusion du fait que Mme Potapczyk n’avait pas grand chose à faire, que Mme Casucci s’était vu interdire de lui donner du travail et que M. MacBain le lui avait laissé entendre lorsqu’il lui avait parle en mai 1982. En fait, Mme Casucci avait toujours eu cette impression jusqu’à ce que Mme Potapczyk lui dise, le 21 janvier 1983, qu’elle était effrayée et insultée par la suggestion de M. MacBain de dîner avec elle à son appartement afin de parler de son travail (Transcription, Vol. 5, pp. 650 et 681).

M. MacBain n’avait cependant jamais fait de proposition sexuelle claire, si celle- ci en était bien une, au cours des dix mois précédents. Mme Potapczyk a témoigné que M. MacBain avait suggéré de dîner à son appartement sur un ton qu’elle ne lui connaissait pas. M. MacBain lui avait dit qu’ils en reparleraient, mais le 24 janvier passa sans que M. MacBain ne revienne à la charge. Mmes Paniccia et Casucci ont toutes deux témoigné que M. MacBain n’avait jamais formulé le voeu de dîner avec elles à leur appartement (Transcription, Vol. 4, p. 464).

>-

- 31 Toutefois, le 25 janvier, M. MacBain rencontra Mme Potapczyk dans le hall de la Chambre des communes pour lui confier certaines tâches; il s’enquéra alors de l’invitation à dîner. Mme Potapczyk lui répondit qu’elle était occupée tous les soirs de cette semaine, et lui demanda s’ils pouvaient se rencontrer au cours de la journée pour parler de son travail.

Toute invitation à caractère mondain qu’un employeur adresse à une employée, en soirée, ne serait- ce que pour parler affaires, est dangereuse et témoigne d’un manque de jugement à tout le moins lorsque l’employée a des problèmes (pour quelque raison que ce soit) sur le plan professionnel. Cela s’avère particulièrement vrai lorsque l’employeur, à l’instar de M. MacBain, modifie soudainement et radicalement les fonctions de l’employée, comme il l’a fait au cours des jours qui ont suivi le refus qu’elle a oppose a son invitation à dîner le 25 janvier. L’employeur étant en position d’autorité, l’employée peut voir dans l’acceptation de son invitation une condition d’emploi. De toute évidence, si les fonctions de l’employée sont modifiées à son désavantage parce qu’elle a refusé une invitation à caractère mondain, il s’agit d’un cas de harcèlement sexuel.

Mme Potapczyk a témoigné que M. MacBain lui avait ordonné de prendre la dictée les 26 et 27 janvier et de transcrire des enregistrements sur dictaphone même si elle ne connaissait pas la sténographie, étant seulement capable de dactylographier quelque peu,

> - 32 et que cela n’entrait pas dans ses fonctions d’adjointe spéciale. En outre, Mme Paniccia était présente au bureau, elle qui effectuait normalement toutes les taches de secrétaire et de dactylo. En fait, Mme Potapczyk en était réduite à faire fonction de secrétaire- dactylo. Mme Potapczyk a déclaré que M. MacBain dictait trop rapidement, même si elle lui demandait de ralentir. Il insistait en outre pour que les lettres soient dactylographiées de manière à ce qu’il puisse les signer avant la fin de la journée. Mme Potapczyk a déclaré avoir entendu M. MacBain dire à son sujet:

"Il était à peu près temps qu’elle apprenne à faire quelque chose" (Transcription, Vol. 3, p. 379).

Mme Paniccia a confirmé la modification soudaine des fonctions de Mme Potapczyk (Transcription, Vol. 4, pp. 465- 467). Mme Casucci a également confirmé que M. MacBain avait modifié les fonctions de Mme Potapczyk à la fin de janvier 1983 (Transcription, vol. 5, p. 663).

Mme Potapczyk affirme qu’après le 18 janvier, M. MacBain lui adressait plutôt rarement la parole, qu’il était plus distant et qu’il ne tenait souvent pas compte d’elle. Elle a déclaré qu’il saluait seulement les deux autres femmes en arrivant au bureau, ajoutant qu’à son avis il avait cette attitude négative envers elle parce qu’elle avait refusé son invitation à dîner (Transcription, Vol. 4, pp. 390 et 391).

> - 33 M. MacBain avait indiqué le 17 février 1983 à Mme Casucci, à l’insu de Mme Potapczyk, qu’il allait congédier cette dernière (Transcription, Vol. 5, pp. 655 et 657).

Le 15 mars 1982, M. MacBain s’approcha de Mme Potapczyk au bureau

et l’invita à dîner au restaurant du Parlement. Celle- ci refusa, disant qu’elle avait rendez- vous à 20 h 30 et qu’elle serait d’ailleurs au bureau jusqu’à 20 h pour le rencontrer. M. MacBain répondit que les questions dont il désirait discuter avec elle pouvaient attendre. Toutefois, le lendemain, 17 mars, M. MacBain demanda à Mme Potapczyk de venir dans son bureau. Celle- ci a témoigné que M. MacBain lui avait alors affirme qu’il ne croyait pas que les choses aillent bien entre elle et lui, qu’elle ne faisait pas sa part et que les autres femmes pensaient de même. Elle a déclaré qu’il lui avait également dit qu’il serait peut- être préférable pour lui d’avoir un avocat comme adjoint spécial, étant donné ses fonctions de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, qu’il exerçait depuis l’automne 1982. Il lui a également dit qu’elle était une travailleuse atroce et qu’il désirait avoir des employés qui l’appréciaient. M. MacBain a signale à Mme Potapczyk qu’il ne la congédiait pas, mais qu’elle pouvait rester au bureau et prendre le temps nécessaire pour trouver un autre emploi qui lui convienne, (Transcription, Vol. 4, pp. 394 et 395).

Le 12 avril, M. MacBain a demande à Mme Potapczyk ce qu’il en était de sa quête d’un autre emploi; celle- ci lui répondit qu’elle

> - 34 avait présenté des demandes, sans avoir toutefois été invitée à des entrevues.

Le 14 avril, Mme Potapczyk apprit que M. MacBain désirait la rencontrer en bas, à l’extérieur de la Chambre des Communes. Il lui dit alors souhaiter qu’elle démissionne à la fin du mois. Lui ayant répondu qu’elle ne démissionnait pas, a affirmé Mme Potapczyk dans son témoignage, M. MacBain lui rétorqua que si, en effet, elle quittait et partait. Il lui apprit qu’il ne la remplacerait pas, mais que s’il s’avérait nécessaire de sauver les apparences, il dirait qu’il avait besoin d’un avocat pour occuper le poste. A propos de la qualité des références qu’elle pourrait obtenir, Mme Potapczyk a témoigné que M. MacBain lui avait dit:

"je vais devoir faire du mieux que je peux" (Transcription, Vol. 4, pp. 402 et 403).

M. MacBain a ordonné à Mme Potapczyk de dactylographier une lettre la remerciant de ses services, ce qu’elle fit (pièce C- 7). La lettre indiquait simplement:

"Je renvois, par la présente, Kristina Potapczyk en date du 30 avril 1983".

M. MacBain croyait que c’était trop négatif, et lui ordonna de dactylographier une nouvelle lettre, ce qu’elle fit (pièce C- 8). Il y était simplement écrit qu’elle quittait son travail et demandait au service du personnel de lui verser deux semaines de salaire tenant lieu de préavis. Très bouleversée, Mme Potapczyk retourna au bureau pour informer le service du personnel et appeler un avocat qui la représenterait. Le lendemain, 15 avril 1983, Mme Potapczyk adressa à M. MacBain une lettre (pièce C- 9) portant notamment qu’elle ne pouvait que conclure qu’il avait décidé de la congédier:

> - 35 (Traduction) parce que je n’ai pas répondu de façon positive aux remarques suggestives que vous m’avez faites au cours de l’année passée pour finalement me proposer, le 18 janvier 1983, de prendre un steak et du vin à mon appartement et de parler de mon travail, proposition que j’ai refusée comme l’autre invitation à dîner du 15 mars 1983".

Mme Potapczyk a témoigné qu’elle était entrée en rapport avec la Commission canadienne des droits de la personne au cours de la semaine du 21 mars 1983 et qu’on lui avait alors fixé un rendez- vous le 30 mars, mais qu’elle n’avait signé la plainte (pièce C- 13) que le 27 avril 1983.

Ayant parlé à Mme Paniccia de l’invitation à dîner du 18 janvier, Mme Potapczyk a également appris que Mme Casucci avait eu une conversation avec M. MacBain en mai 1982, au cours de laquelle il avait laissé entendre qu’il avait engagé Mme Potapczyk parce qu’il se sentait seul à Ottawa. (Transcription, Vol. 4, p. 411). M. MacBain avait également dit aux autres membres du personnel, à l’occasion de la fête de Noël polonaise:

"ne nous attendez pas; Kris et moi allons être en retard au bureau demain matin" (Transcription, Vol. 4, p. 412).

Il ne semblait toutefois s’agir que d’une boutade de sa part, du moins de l’avis de Mmes Paniccia et Casucci (Transcription, Vol. 4, pp. 488 et 489).

> - 36 Mme Potapczyk allègue que M. MacBain avait des visées d’ordre sexuel à son égard et que c’est la raison pour laquelle il l’a engagée à titre d’adjointe spéciale. Elle prétend que cela explique pourquoi il ne lui a pas attribué de fonctions normalement exécutées par une adjointe spéciale et qu’il n’a pas assuré sa formation. Elle estime qu’il l’a placée en situation de vulnérabilité de façon à pouvoir lui faire des propositions qu’elle ne pourrait pas refuser, comme elle pense qu’il a tenté de le faire, le 18 janvier 1983, avant de décider, par suite de son refus, de réduire ses fonctions à celle d’une secrétaire, pour finalement la congédier. En outre, elle considère que le milieu de travail lui était hostile et que les touchers et les contacts physiques qu’on lui faisait subir constituaient en eux- mêmes du harcèlement sexuel.

Mme Paniccia, qui avait remis à M. MacBain une lettre de démission (pièce C- 14) le 8 avril 1983, quitta ses fonctions le 29 avril (Transcription, Vol. 4, pp. 503 et 504). Préparée avant que Mme Potapczyk ne quitte ses fonctions et ne dépose sa plainte, cette lettre concorde avec le témoignage de Mme Paniccia concernant la nature du milieu de travail au bureau de M. MacBain.

> - 37 (Traduction) Lorsque vous m’avez engagée en octobre 1981 pour faire partie de votre personnel de la Chambre des communes à Ottawa, je n’avais pas idée de l’ampleur des nouvelles connaissances et de l’expérience que cela m’apporterait. La participation aux activités de la colline a été pour moi très gratifiante, marquant une période inoubliable de ma vie. Je reconnais la chance que vous m’avez alors donnée et je vous en suis reconnaissante.

Toutefois, comme nous en sommes tous deux très conscients, les occasions prometteuses offertes par ce premier emploi à la fin de mes études universitaires devaient bientôt se transformer en une expérience des plus désagréables. Même si je me suis jointe à votre personnel d’Ottawa avec deux diplômes universitaires, j’ai été vite réduite à jouer le rôle de commis- dactylo, niveau de travail auquel vous m’avez confinée depuis un an et demi. En fait,

lorsqu’un poste de plus haut niveau et mieux rémunéré a été créé à notre bureau, je n’ai pas eu la possibilité de l’obtenir, celui- ci étant plutôt offert à une personne de l’extérieur qui avait moins de compétences que moi, ce qui a détruit mes ambitions et m’a enlevé toutes motivations pour l’avenir. En outre, j’ai été témoin depuis plus d’un an d’une distribution complètement inégale de la charge de travail à la suite de l’embauchage de cette personne.

Je suis sûre que vous avez toujours compris le ressentiment que j’éprouvais à l’égard de certaines de vos méthodes personnelles de direction de notre bureau. Même si mes collègues et moi avons manifesté loyauté et respect à votre égard, votre attitude et votre conduite m’ont profondément affligée. Je m’élève spécialement contre le harcèlement constant dont vous avez fait preuve à mon endroit dans l’exercice de mes fonctions, tout particulièrement les jurons et les gros mots proférés concernant l’achèvement des travaux, même si je me suis montrée beaucoup plus efficace que la norme en matière de travail général de bureau malgré la surabondance de travail auquel j’ai dû faire face à maintes reprises. Comme vous le savez, je n’apprécie pas vos insinuations et vos conclusions

> - 38 au sujet de mes attributs physiques ou de ceux de mes collègues de travail. Je continue également de m’offusquer de vos remarques désobligeantes concernant certains aspects de mon apparence physique, à savoir votre perception du poids qui devrait être le mien. Je considère qu’il s’agit- là d’une autre forme du harcèlement persistant dont vous avez fait preuve au bureau à mon égard, vous avez également essayé de nous priver désavantages et des privilèges que nous accorde la Chambre des communes concernant les vacances payées, l’augmentation de la rémunération en fonction de l’inflation, les réceptions, etc.

En général, pour ce qui est de l’ensemble du traitement accordé aux employées, je suis d’avis qu’il y a eu manque de leadership et de direction à l’intérieur du bureau et que vous n’avez pas montré à votre personnel l’exemple à suivre. J’ai dû constamment me débrouiller avec des directives vagues et imprécises de votre part concernant le travail et les tâches à accomplir, me retrouvant avec des indications inexactes ou trompeuses concernant les affectations et les personnes ainsi qu’avec des notes écrites et des instructions données de vive voix qui n’étaient pas claires. Il s’est produit tout récemment une situation semblable sous l’effet de bon nombre des facteurs que je viens de mentionner, situation qui aurait pu être évitée si vous aviez réfléchi un peu plus avant de donner des instructions qui se sont révélées fausses et erronées. Je suis également indignée de constater que vous semblez m’imputer toute la responsabilité de cette situation. J’aimerais profiter de l’occasion pour affirmer de façon catégorique que je n’ai fait que suivre vos instructions à la lettre, comme en a été témoin un autre membre du personnel qui m’appuie entièrement.

> - 39 -

Mme Paniccia nous a donné l’impression d’être une personne très compétente, pleine d’ardeur au travail et loyale à l’égard de M. MacBain; il est donc injuste et malheureux qu’elle, et Mme Casucci, qui a également démissionné plus tard, aient été traitées de cette façon.

Mme Potapczyk a signé sa plainte (pièce C- 13) le 27 avril 1983, au moment où elle discutait avec son avocat de la possibilité de faire une réclamation en raison de renvoi injustifié. Elle a trouvé un nouvel emploi débutant le 2 mai 1983 et a réglé avec M. MacBain la réclamation en raison de renvoi injustifié, obtenant l’équivalent de dix semaines de salaire (en plus des deux semaines qu’elle avait obtenues à la cessation de ses fonctions) vers le 1er juin 1983 (Transcription, Vol. 4, pp. 420 et 421). Bien que l’avocat d’alors de Mme Potapczyk (il ne s’agissait pas de Mme Cornish) ait été au courant de la plainte en matière de droits de la personne, il semble que M. MacBain n’en ait pas été avisé par Mme Potapczyk ou son avocat au moment du règlement de la réclamation en raison de renvoi injustifié. L’avocat de Mme Potapczyk n’a pas dit non plus à M. MacBain que cette dernière avait trouve un autre emploi débutant le 2 mai lorsqu’il a réglé la réclamation en raison de renvoi injustifié vers le 1er juin 1983 (Transcription, Vol. 4, pp. 421, 422 et 424).

La question de savoir s’il y a eu infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne n’a rien à voir avec celle du

> - 40 renvoi injustifié, mais nous avons été préoccupés par le fait que M. MacBain n’ait pas été averti, avant le règlement de la réclamation en raison de renvoi injustifié, du dépôt de la plainte et également du fait que Mme Potapczyk avait trouvé un nouvel emploi commençant le 2 mai 1983.

LA JURISPRUDENCE

Il a été soutenu que le harcèlement sexuel constituait une forme de distinction illicite aux termes de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans l’affaire Robichaud et al c. Brennan et al, premier cas de harcèlement de compétence fédérale, il a été décidé à la fois par le tribunal (1982) 3 CHRR D/ 977, et le tribunal d’appel, (1983) 4 CHRR D/ 1272, que le harcèlement était interdit. Par la suite, dans l’affaire Kotyk et Allary c. La Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada et Chuba, le tribunal a pris une décision dans le même sens, (1982) 4 CHRR D/ 1416, qui a été confirmée par le tribunal d’appel, (1984) 5 CHRR D/ 1895.

On a suivi en ces affaires l’abondante jurisprudence établie par les décisions des tribunaux des droits de la personne de l’Ontario et des tribunaux américains, dont on peut trouver des comptes rendus extrêmement utiles dans Olarte et al c. DeFilippis et Commodore Business Machines Ltd., (1983) 4 CHRR D/ 1705, et Maria Giouvanoudis (née) Makri c. Golden Fleece Restaurant et Tavern Ltd. et Steve Carras, (1984) 5 CHRR 16 D/ 1967. Depuis le dépôt

> - 41 de la présente plainte, la loi fédérale et le code de l’Ontario ont tous deux fait l’objet d’une modification visant à inclure expressément le harcèlement

sexuel parmi les motifs de distinction illicite. En Ontario, vient d’abord la décision Cherie Bell c. Ernest Ladas and Flaming Steer Steakhouse Tavern Inc., (1980) 1 CHRR D/ 155, dans laquelle O. B. Shime non seulement reconnaît les formes non déguisées et manifestes de la discrimination fondée sur le sexe, mais indique aussi qu’il pourrait exister des formes plus subtiles de comportement frappées d’interdit. Voici ce qu’il déclare au paragraphe 1389:

(Traduction)

Les formes de comportement interdites qui, selon moi, sont discriminatoires couvrent toute une gamme d’activités, à partir d’actes flagrants basés sur la différence de sexe, tels que des rapports sexuels par contrainte, jusqu’aux contacts physiques non provoqués, aux propositions persistantes, au comportement plus subtil, comme les insultes et le sarcasme d’une personne du sexe opposé, qui pourraient, dans une mesure appréciable, être perçus comme créant une atmosphère de travail psychologiquement et émotivement négative".

Il fait toutefois une mise en garde en soulignant que les rapports sociaux normaux entre employeur et employée ne sont pas et ne devraient pas être interdits.

Cette mise en garde est reprise dans la décision Aragona c. Elegant Lamp Co. Ltd. and Fillipitto, (1982) 3 CHRR D/ 1109, où le professeur Ed Ratushny déclare ce qui suit:

> - 42 (Traduction) ... les allusions sexuelles grossières ou de mauvais goût ne constituent pas nécessairement une violation de l’article 4 du Code (de l’Ontario) sur la base du sexe. La ligne de démarcation du harcèlement sexuel est franchie seulement lorsque le comportement peut raisonnablement être perçu comme créant, à titre de condition d’emploi, une atmosphère de travail entraînant un affront injustifié à la dignité sexuelle de l’employé en tant qu’homme ou de femme. Cette ligne n’est jamais facile à tracer... (C’est nous qui soulignons)

L’idée d’affront à la dignité a été reprise dans la décision Janice Howard et Edyth Broda c. Robert Lemoignan, (1982) 3 CHRR D/ 1150, au paragraphe 10164 :

(Traduction)

Le tribunal convient également ... que l’affront fait à la dignité d’une personne que l’on traite différemment à cause de son sexe constitue de la discrimination".

L’idée de l’ atmosphère de travail psychologiquement et émotivement négative de l’affaire, Bell et a été approfondie dans la décision Sucha Singh Dillon c. F. W. Woolworth Company Limited, (1982) 3 CHRR D/ 743. Le professeur Cumming y a étudié en détail l’affaire Bell et l’affaire Bundy v. Delbert Jackson, (1981) 641 F. 2d 934 (Cour d’appel des États- Unis). Après avoir fait une analogie entre le harcèlement racial et le harcèlement sexuel en ce qui a trait au milieu de travail, il a conclu au paragraphe 6724:

> - 43 -

( Traduction)

"... L’atmosphère de travail est une condition d’emploi au même titre que les conditions plus visibles comme les heures de travail et le taux de rémunération. L’expression condition d’emploi a une portée assez large pour inclure le climat émotif et psychologique qui règne dans le milieu de travail".

La décision Bundy v. Jackson, qui fait autorité aux États- Unis, est particulièrement utile en l’espèce. La cour y a énoncé la théorie de l’atmosphère de travail empoisonnée, soutenant qu’il n’est pas nécessaire que des mesures tangibles aient été prises à l’égard d’un employé pour que celui- ci ait été victime de harcèlement. Il n’est pas non plus toujours nécessaire d’opposer une résistance au harcèlement. Au terme de son examen de la décision Bundy dans l’affaire Giouvanoudis (supra), le professeur Cumming a conclu au paragraphe 16904:

(Traduction)

"... le harcèlement sexuel qui ne nuit pas autrement à l’emploi de la femme peut néanmoins constituer de la discrimination fondée sur le sexe s’il rend simplement le milieu de travail désagréable".

Cette opinion inspirée de l’affaire Bundy v. Jackson a été confirmée par les décisions du tribunal et du tribunal d’appel dans l’affaire Robichaud (supra) et par la décision du tribunal dans l’affaire Mitchell c. Travellers Inn (Sudbury) Limited, (1981) 2 CHRR 5390.

> - 44 L’autre principale facette du harcèlement dont il faut tenir compte dans la présente affaire est celle des rapports sociaux forcés. Il peut s’agir, par exemple, d’invitations à dîner, ou, comme dans l’affaire Kotyk et Allary, (supra), d’activités sexuelles que l’employeur prévoit pour assaisonner des déplacements liés au travail et que l’employée se sent obligée d’accepter parce qu’elle estime que son stage probatoire ou ses possibilités d’avancement peuvent en souffrir si elle refuse. Ce comportement doit évidemment être beaucoup plus qu’un flirt pour être considéré comme du harcèlement. En outre, il doit avoir des répercussions nettement négatives sur l’emploi du plaignant.

C’est la perception de la personne raisonnable qui sert de critère pour déterminer s’il y a eu discrimination. Voyons par exemple l’affaire Canadian Union of Public Employees and Office and Professional Employees’ International Union, Local 491, 4 LAC (3d) 385, à la page 402:

(Traduction)

"Selon la politique de l’automne 1981 de la Commission canadienne des droits de la personne, tout acte dont l’importunité n’aurait pas dû échapper à son auteur est considéré comme du harcèlement" (if a reasonable person ought to have know that such behaviour was unwelcome) ...

Dans l’application de ce critère, il est très important de préciser les caractéristiques de cet être mythique car la femme raisonnable peut très bien considérer qu’un comportement est offensant, tandis qu’un homme raisonnable ne le verrait pas ainsi. Même si la personne lésée a été un certain temps sans s’opposer aux avances dont elle fait

> - 45 état, la femme raisonnable estimerait sans aucun doute que les propositions sexuelles, les attouchements et les poursuites autour du bureau sont déplacés et dégradants. A moins que l’employée ne provoque clairement de pareilles avances, elle ne devrait pas avoir à les subir au travail.

Dans la décision Aragona (supra), le tribunal a déclaré au paragraphe 9762:

(Traduction)

Toutefois, en l’espèce, le comportement démontré a été librement accepté et apprécié par les autres employés. Dans les circonstances, il ne saurait être raisonnablement perçu comme créant une atmosphère de travail psychologiquement et émotivement négative. Lorsqu’un comportement est accepté de façon générale mais qu’une personne préfère s’en dissocier, cette dernière devrait le faire savoir directement et sans ambiguïté. La norme objective pourrait ensuite être appliquée à cette personne en tenant compte du fait additionnel qu’elle a exprimé sa désapprobation".

L’application du critère objectif est confirmée dans les décisions Robichaud (supra), Aragona (supra) et Kotyk et Allary (supra). Le tribunal a déclaré ce qui suit au paragraphe 12251 de la décision Kotyk:

"... La question de savoir si les avances étaient non provoquées ou non bienvenues est objective, en ce qu’elle dépend des limites raisonnables et habituelles de l’interaction sociale compte tenu des circonstances du cas. Le plaignant ou la plaignante ne devrait pas avoir a prouver une résistance active ou autre réaction explicite à l’activité dont il ou elle se plaint, mais seulement le refus ou le déni, à moins que, dans une mesure raisonnable, il n’ait été nécessaire de le faire pour persuader le

> - 46 contrevenant que l’activité était en fait importune ou excédait les limites de l’interaction sociale normale. Un seul acte non répété ne constitue vraisemblablement pas du harcèlement, à moins qu’il n’en résulte un déni ou une perte de bénéfice tangible disponible ou offert à d’autres personnes dans des circonstances semblables, ou à moins que l’acte n’équivaille à un assault, ou que la proposition ne soit d’une nature si grossière ou obscène qu’elle pourrait raisonnablement être perçue comme ayant créé une atmosphère de travail émotionnellement ou psychologiquement négative ou désagréable. Une proposition ou suggestion normale n’aurait probablement pas cet effet. ... Toutefois, un acte répété qui n’est pas nécessairement punissable, peut constituer du harcèlement lorsqu’il peut raisonnablement être perçu comme ayant créé un cadre de travail empoisonné". (nous soulignons)

CONSTATATIONS

Les avocats ont fait valoir que la preuve permettait de conclure que le comportement de M. MacBain répondait aux critères juridiques énoncés ci- avant et constituait donc du harcèlement sexuel. C’est pourquoi ils ont

soutenu que le tribunal devrait conclure que Mme Potapczyk a été victime de discrimination fondée sur le sexe en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les avocats ont avancé trois théories à cet égard:

> - 47 1. La théorie du plan d’ensemble Au nom de la plaignante, Mme Cornish a soutenu que M. MacBain avait poursuivi Mme Potapczyk de ses assiduités alors qu’elle vivait et travaillait à Niagara- on- the- Lake et qu’il l’avait finalement engagée pour des raisons d’ordre sexuel plutôt qu’à cause de sa capacité de s’acquitter des fonctions d’adjointe spéciale. Compte tenu de l’inexpérience de Mme Potapczyk en politique et de sa formation dans une toute autre discipline, Mme Cornish a affirmé que M. MacBain l’avait engagée à cause de ses attraits sexuels. M. MacBain l’ayant convaincue qu’elle pouvait remplir les fonctions d’adjointe spéciale en dépit de son manque de compétences, elle a déménagé à Ottawa dans le but de relever ce qui lui paraissait être un véritable défi.

Il a ensuite adopté, théorise Mme Cornish, une forme de comportement l’amenant à se montrer tantôt offensant et tantôt empresse. Dans le premier cas, c’est ce qui explique qu’il ne lui ait confié aucun travail comportant des responsabilités, qu’il n’ait pas assuré sa formation comme il l’avait promis, qu’il lui ait fait des remarques personnelles insultantes et ait prétendu, faussement, que les autres avaient critiqué son travail. Mme Cornish a soutenu qu’il avait agi ainsi afin de diminuer la capacité de fonctionnement de la plaignante et de la rendre finalement plus vulnérable à ses avances sexuelles. Il lui a donc réservé un traitement différent de celui qu’il aurait accordé à un homme.

> - 48 Nous ne sommes pas convaincus, sur la foi de la preuve, que M. MacBain avait bien un tel plan en tête en embauchant Mme Potapczyk ou en la traitant comme il l’a fait alors qu’elle était à son service. Son comportement à cet égard peut faire l’objet de diverses interprétations dénuées de toute connotation sexuelle. Par exemple, on ne sait pas très bien quelles sont les qualités qui comptent le plus chez une bonne adjointe spéciale. Le manque d’expérience politique de Mme Potapczyk comptait peut- être moins que sa connaissance de la circonscription de M. MacBain et de ses électeurs. En outre, si M. MacBain a agi de manière impulsive à titre d’employeur, c’est peut- être parce qu’il est mauvais gestionnaire en matière de délégation des tâches, d’établissement des priorités et de direction générale des employés. Le fait qu’il ne possède peut- être pas toutes les compétences souhaitables en matière de gestion en général ou de direction de personnel ne peut nous amener à conclure que, suivant la prépondérance de la preuve, il s’est laissé guider par des motivations d’ordre sexuel dans ses rapports de travail avec la plaignante. La preuve dont nous sommes saisis ne nous permet pas de conclure, comme le voudrait Mme Cornish, que M. MacBain, consciemment ou inconsciemment, a tenté de placer Mme Potapczyk dans une situation de dépendance psychologique susceptible de la rendre sensible à ses avances sexuelles.

>-

- 49 2. L’invitation à dîner Mme Cornish et M. Juriansz ont également avancé la théorie voulant que M. MacBain ait tenté, en janvier 1983, de contraindre la plaignante à organiser un dîner privé à son appartement dans le but prétendu de discuter des problèmes qu’elle connaissait au travail. Il l’a invitée à n’en pas souffler mot aux autres femmes du bureau. Lui ayant indiqué qu’elle était occupée et ne pouvait participer à un dîner à cette occasion et n’ayant montré aucun désir de remettre le tête- à- tête à plus tard, la plaignante a vu M. MacBain modifier immédiatement et radicalement ses fonctions. Celui- ci lui demandait maintenant de prendre de longues dictées même si elle ne connaissait pas la sténographie. Il lui donnait également des enregistrements à transcrire, alors qu’elle n’avait jamais utilisé de dictaphone à cette fin. En outre, il lui confiait du travail général de commis- dactylo, travail qu’elle n’avait jamais eu à faire auparavant et qui avait toujours incombé uniquement à Mme Paniccia. Par conséquent, soutiennent Mme Cornish et M. Juriansz, les conditions d’emploi de Mme Potapczyk ont été modifiées à son désavantage parce qu’elle avait refusé d’organiser un dîner privé avec M. MacBain chez elle. Cela constitue à leur avis du harcèlement sexuel en ce sens que M. MacBain a tenté de la forcer à avoir des rapports sociaux avec lui, en faisant une condition d’emploi dont le refus donnerait lieu à la perte de son emploi ou à la détérioration de ses conditions de travail.

> - 50 Bien que nous nous accordions à reconnaître que la notion de harcèlement sexuel englobe les gestes d’intimidation ou de représailles qui ont une influence négative sur le poste ou les avantages sociaux d’une employée et qui n’existent que parce que l’employée refuse d’avoir des rapports sociaux avec un supérieur, nous ne sommes pas convaincus que la preuve suffit à démontrer qu’il y a eu une telle infraction à la loi dans la présente affaire, et ce, pour les trois raisons suivantes:

  1. M. MacBain a pu attribuer de nouvelles fonctions à Mme Potapczyk pour donner suite au rapport de M. Grigoroff recommandant de lui confier du travail;
  2. il se peut que M. MacBain ait été outré de la plainte formulée par Mme Potapczyk auprès du comité exécutif de l’association libérale de son comté et qu’il ait réagi violemment en réponse à l’intervention du comité;
  3. il est possible qu’il ait jugé souhaitable que Mme Potapczyk quitte son emploi parce qu’il estimait qu’elle n’avait pas les compétences nécessaires pour bien s’acquitter des fonctions d’adjointe spéciale et qu’il s’y soit pris de cette façon maladroite pour la forcer à démissionner.

> - 51 Nous ne pouvons négliger aucun des motifs précités s’ils sont effectivement à l’origine des nouvelles fonctions de Mme Potapczyk; mais s’ils expliquent en fait le comportement de M. MacBain, ils ne constituent

pas une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Un tel comportement peut être grossier et choquant et constituer une cause d’action, en dehors du champ d’application de la Loi sur les droits de la personne, pour renvoi injustifié. Les avocats ont toutefois soutenu que nous devrions tirer des conclusions défavorables à M. MacBain parce qu’il a refusé de témoigner et que, par conséquent, nous ne devrions pas spéculer sur les autres motifs qui ont pu l’inciter à modifier les fonctions de Mme Potapczyk. Il nous ont donc recommandé vivement d’accepter l’interprétation qu’ils ont avancée. Cependant, nous ne pouvons conclure, suivant la prépondérance de la preuve, que M. MacBain a puni Mme Potapczyk en somme par une rétrogradation parce qu’elle avait refusé son invitation à dîner. D’autres facteurs pourraient également laisser supposer que le désintérêt manifesté par Mme Potapczyk à l’égard d’un dîner privé n’était pas si important pour M. MacBain. Lorsque le jour prévu pour le dîner est arrivé, M. MacBain n’en a même pas fait mention à Mme Potapczyk et la journée s’est terminée sans qu’ils en parlent. Et pourtant, les avocats ont souligné que la date fixée à cet effet était très importante pour M. MacBain. Il est difficile de croire qu’il laisserait passer l’occasion sans même en parler à Mme Potapczyk au moment opportun s’il s’agissait d’une chose si importante dans sa vie.

> - 52 3. Le caractère humiliant du milieu D’après les avocats, les faits permettent de conclure que le comportement de M. MacBain constituait une forme de discrimination sexuelle puisque les femmes du bureau de M. MacBain devaient évoluer dans un milieu désagréable et humiliant, ce qui n’aurait pas été le cas s’il s’était agi d’employés masculins. Il est évident qu’il leur a imposé de façon persistante une proximité physique qui n’était pas nécessaire pour entretenir des rapports professionnels avec elles. Ce type de contact n’était pas bien accueilli par les femmes qui le trouvaient plutôt désagréable et choquant. Sans dire expressément à M. MacBain ce qu’elles pensaient de son comportement, elles adoptaient une attitude corporelle qui ne pouvait être plus révélatrice de leur sentiment profond à cet égard. M. Grigoroff s’en est lui- même rendu compte à tel point qu’il a jugé nécessaire de conseiller à M. MacBain de ne plus se comporter de cette façon. Il l’a même prévenu expressément que les choses allaient mal tourner s’il continuait. Rien n’y fit, et M. MacBain continua comme auparavant.

Il est reconnu que la nature du milieu de travail fait partie des conditions d’emploi et que le fait de soumettre une personne à des contraintes physiques ou même psychologiques à cause de son sexe, constitue une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous avons cependant été troublés par le fait que les trois femmes étaient intelligentes, instruites et sûres d’elles- mêmes quant aux autres griefs et sujets de plainte qu’elles avaient à

> - 53 l’égard de M. MacBain, et pourtant, aucune d’entre elles n’a abordé avec lui cette question de proximité. Par exemple, lorsque Mme Casucci eut l’impression que M. MacBain avait une liaison avec Mme Potaczyk, elle en fut touchée au point de lui en parler; lorsque Mmes Casucci et Paniccia se mirent à trouver déplaisant le baiser que leur donnait parfois M. MacBain pour leur souhaiter bonne nuit au moment où elles quittaient l’ascenseur pour gagner

leur appartement à des étages différents du même immeuble dans lequel ils résidaient tous, elles lui demandèrent d’arrêter et il le fit; Mme Potapczyk a discuté personnellement avec M. MacBain du fait qu’il n’avait pas assuré sa formation comme promis et des critiques que les autres avaient faites, selon lui, au sujet de son rendement. Ces questions ont été abordées sans trop de timidité. Pourtant, les femmes semblent avoir enduré la proximité physique avec gêne et sans exprimer d’objection de vive voix. Il est également intéressant de constater que Mme Paniccia n’en fait pas mention dans sa longue lettre de démission où elle expose de façon assez détaillée le comportement offensant et désagréable auquel elle prétend avoir été soumise.

Il n’est pas nécessaire que les femmes disent expressément à leur employeur qu’elles trouvent son comportement désagréable pour pouvoir déposer une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le fait d’imposer une obligation en ce sens risquerait d’empirer la situation d’une femme déjà vulnérable. Une plainte peut dans certains cas constituer de la provocation et avoir des conséquences néfastes encore plus graves. Il importe de lire à ce

> - 54 sujet l’observation suivante de la Cour d’appel des États- Unis dans l’arrêt Bundy v. Jackson (supra), à la page 945:

(Traduction)

Il peut même être inutile d’exiger que l’employée prouve qu’elle a résisté un tant soit peu au harcèlement. Tant que l’employeur ne force pas littéralement l’employée à avoir des rapports sexuels avec lui, la résistance peut s’avérer dénuée de sens pour elle. Si l’employeur n’attend d’autre réponse à ses paroles ou ses gestes qu’une tolérance accomodante, la femme n’a pas la possibilité de faire connaître son refus. Elle n’accepte ni ne rejette les avances; elle les endure simplement. Elle pourrait trouver le moyen de prouver son refus en s’opposant de façon très ouverte et non équivoque aux avances de l’employeur, mais elle courrait ainsi le risque de voir sa vie au travail devenir encore plus pénible. Il ne sert pas à grand chose de savoir qu’il reste une possibilité lointaine de redressement par les voies légales... si elle s’oppose avec tant de force qu’elle amène l’employeur à la congédier.

L’employeur peut ainsi faire implicitement et effectivement de l’acceptation de l’intimidation sexuelle une condition d’emploi pour l’employée. Les trois possibilités qui s’offrent alors à cette dernière ne sont pas tellement encourageantes. Elle peut endurer le harcèlement. Elle peut tenter de s’y opposer, sans grande chance de succès juridique ou pratique, mais avec la quasi- certitude de rendre sa situation encore pire au travail. Finalement, elle peut quitter son emploi sans trop d’espoir d’obtenir un redressement par les voies légales et avec le risque probable d’être encore harcelée dans un nouvel emploi".

La question du refus exprimé entre toutefois en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer si un employeur aurait normalement dû savoir que ses avances physiques étaient importunes et outrepassaient les limites raisonnables et habituelles de l’interraction sociale dans un bureau. Dans la présente affaire, même si les femmes n’ont pas signifié expressément leur refus, il est certain que M. Grigoroff a fait part à

> - 55 M. MacBain de leurs doléances particulières à cet égard. C’est avec persistance que M. MacBain faisait subir ses attouchements et ses gestes familiers aux trois femmes qui travaillaient pour lui dans ce petit bureau, empoisonnant ainsi l’atmosphère de travail. Ce genre d’intrusion dans la vie privée d’autrui est maintenant reconnu comme illégal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Donc, même si ce comportement déplaisant de M. MacBain n’était qu’une facette de son attitude offensante à l’égard de ces femmes, il contrevenait à la loi. Il est maintenant dans l’intérêt public, selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, que les femmes au travail n’aient pas à subir ce genre d’inconvénients simplement à cause de leur sexe, et elles ne doivent pas être traitées différemment de cette façon.

Contrairement aux autres causes de harcèlement sexuel entendues par d’autres tribunaux jusqu’ici, la présente ne porte pas sur des avances sexuelles non déguisées. On y reconnaît toutefois le genre de discrimination sexuelle plus subtile, mais continuelle, qu’une multitude de femmes d’un bout à l’autre du pays ont dû endurer sans aucun recours. Il s’agit du comportement d’un employeur qui considère ses employées comme des ornements ou des objets sexuels et qui se sent libre de les traiter comme telles par ses remarques personnelles grossières et sa proximité physique non recherchée.

> - 56 Les attouchements et la proximité physique de M. MacBain constituaient du harcèlement sexuel. Bien que ce comportement n’ait pas désavantagé la plaignante sur le plan des avantages tangibles découlant de son emploi, il s’agissait d’une atteinte injustifiée à sa dignité sexuelle de femme qui a eu pour effet de créer, à titre de condition d’emploi, une atmosphère de travail qui était déplaisante et discriminatoire pour elle. Rien ne justifie pareil comportement à l’égard des femmes, et la Loi canadienne sur les droits de la personne indique maintenant la ligne de conduite à suivre en cette matière. Ce type de comportement masculin n’est plus considéré comme une chose banale ou tout simplement comme l’un des petits inconvénients que doivent endurer les femmes au travail. Le seul fait de rendre l’atmosphère de travail déplaisante pour les femmes à cause de leur sexe constitue maintenant de la discrimination sexuelle.

Il est vrai que la proximité physique de M. MacBain à l’égard de ses employées n’était qu’un aspect, et peut- être même un petit aspect, d’une atmosphère de travail très désagréable et oppressante. Il se peut que, dans leur situation, les femmes aient été prêtes à endurer ce côté déplaisant de sa personnalité. Elles avaient d’autres motifs de plainte qu’elles considéraient plus importants et peut- être plus faciles à aborder. Il n’en reste pas moins que cet aspect des rapports de travail de M. MacBain avec ces femmes était inconvenant et donnait matière à poursuite en vertu de la loi. Celui- ci doit donc assumer la responsabilité de ce comportement, compte tenu surtout du fait qu’il a choisi d’ignorer complètement les

> - 57 -

remarques faites à ce sujet par son égal et confident, M. Grigoroff. Il estimait être en droit de faire ce qu’il désirait, de dire ce qui lui plaisait et, de façon générale, de traiter ces femmes de façon avilissante. Si d’autres aspects de son comportement à leur égard sont choquants, ils ne sont pas nécessairement illégaux, par exemple le fait de les pénaliser en leur retirant leur laissez- passer pour la fête de Noël, de leur imposer des heures de travail difficiles, de modifier les priorités des tâches à bref délai, etc. Son attitude physique est toutefois non seulement répréhensible mais également susceptible de redressement en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous concluons donc que ce comportement constituait de la discrimination sexuelle contraire aux dispositions de l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, par conséquent, que la plainte de Mme Potapczyk est fondée.

REDRESSEMENT

Ayant jugé la plainte fondée, nous ordonnons que M. MacBain mette fin à tout acte discriminatoire de ce genre à l’égard de l’un ou l’autre de ses employées.

En outre, Mme Cornish nous a demandé d’accorder une indemnité à Mme Potapczyk au titre des frais supplémentaires entraînés par l’acte discriminatoire et qui venaient en majeure partie de son déménagement d’Ottawa à Toronto et du loyer plus élevé de son appartement de Toronto. Le montant en question est très minime.

> - 58 Étant donné que Mme Potapczyk a obtenu de M. MacBain l’équivalent de 10 semaines de salaire en guise d’indemnisation pour renvoi injustifié, ce, en plus des deux semaines de salaire obtenues en quittant ses fonctions, et compte tenu du fait qu’elle a trouvé un autre emploi convenable seulement quelques jours après avoir été renvoyée par M. MacBain, nous estimons qu’elle a été suffisamment indemnisée à ce chapitre. Sans poser de jugement de valeur, nous constatons que l’ancien avocat de Mme Potapczyk n’a pas mentionné à M. MacBain, au moment du règlement de la réclamation pour renvoi injustifié, qu’une plainte avait été déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et qu’elle était à l’étude.

Mme Cornish a également demandé une indemnité spéciale pour sa cliente. Les pouvoirs qui nous sont conférés à cet égard sont énoncés comme suit au paragraphe 41( 3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne:

"Outre les pouvoirs que lui confèrent le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire,

peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

> - 59 -

Il ne fait pas de doute que M. MacBain a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence car l’avertissement de M. Grigoroff n’a pas suffi à l’en détourner. On se serait attendu, en outre, qu’à titre de secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et de personne travaillant dans l’intérêt public, il se préoccupe davantage de la qualité de ses rapports avec les jeunes femmes de son bureau.

De plus, son comportement a fait subir un certain préjudice moral à Mme Potapczyk, préjudice qui semble d’ailleurs avoir été encore plus marqué dans le cas de Mmes Casucci et Paniccia. Elles ont eu une réaction semblable à celle que C. Backhouse et L. Cohen qualifient d’assez courante à la page 45 de leur livre The Secret Oppression, Sexual Harassment of Working Women:

(Traduction)

De nombreuses victimes sont atteintes du syndrome du harcèlement sexuel. La nécessité de repousser chaque jour au travail des avances sexuelles non provoquées et offensantes constitue pour elles une source de tension, d’anxiété, de frustration et de colère. Obligées de consacrer une partie de leur temps et de leurs énergies à faire la lutte à leurs harceleurs, la plupart des femmes constatent que leur rendement au travail diminue. La colère qu’elles ressentent devant ce traitement injuste se transforme souvent en un profond sentiment de culpabilité. La société considère à tort que le harcèlement sexuel résulte de motivations sexuelles. De par leur éducation, les femmes pensent qu’il leur appartient d’exercer le contrôle en matière sexuelle. Lorsqu’elles en sont incapables - et il y a très peu de femmes qui peuvent, en situation d’emploi, venir à bout du harcèlement sexuel que leur font subir leurs superviseurs et autres hommes ayant autorité sur elles - elles croient que c’est à cause d’une faiblesse quelconque de leur part.

> - 60 La tension, la crainte et la colère s’accumulent chez les victimes de harcèlement sexuel qui ne savent à qui s’adresser pour obtenir du secours. La plupart d’entre elles sombrent dans la dépression psychologique et le désespoir...

Il est difficile de calculer la valeur monétaire du préjudice moral que M. MacBain a fait subir à la plaignante. Celle- ci aurait peut- être été moins insultée par ce comportement si M. MacBain s’était montré plus responsable à d’autres égards et s’il lui avait confié des tâches stimulantes et lui avait fait sentir qu’elle occupait une place importante dans son bureau. Tout bien considéré (y compris le fait, concédé par Mme Cornish, que M. MacBain a versé à Mme Potapczyk une indemnité de cessation de fonctions supérieure à ses dépenses réelles), nous croyons, dans les circonstances, qu’un montant de 1 500 $ serait suffisant et nous ordonnons donc à M. MacBain de le verser à Mme Potapczyk.

Il n’est pas question d’exiger des excuses ou de prescrire l’affichage de notre ordonnance dans le bureau de M. MacBain. Nous doutons de l’utilité de la première mesure dans les circonstances. Quant à la deuxième, compte tenu de la publicité donnée à l’affaire en cours d’audience et du nombre limité d’employés travaillant pour M. MacBain, nous ne croyons pas que l’affichage de l’ordonnance puisse avoir quelque effet éducatif que ce soit.

Mme Cornish a également demandé le remboursement des frais judiciaires engagés par Mme Potapczyk, affirmant que nous étions habilités à rendre une ordonnance en ce sens étant donné que ces frais

> - 61 constituent des dépenses entraînes par l’acte aux termes de l’alinéa 41( 2) c) de la Loi. Sans décider si la portée de ce texte est assez générale pour inclure les frais judiciaires, nous estimons qu’en l’espèce, il n’était pas nécessaire que Mme Potapczyk retienne les services d’un avocat indépendant. Bien que Mme Cornish ait fait un excellent travail et se soit avérée d’un grand secours, la Commission est, en vertu du paragraphe 40( 2), chargée de la conduite de la plainte dans l’intérêt public. D’ailleurs, dans la présente enquête, l’affaire a été présentée par un avocat très compétent au nom de la Commission. Les intérêts de la Commission et du plaignant sont habituellement les mêmes. C’est ce qui s’est produit ici puisqu’il n’y avait fondamentalement pas de conflit entre la Commission et la plaignante, bien que cette dernière ait avancé une théorie additionnelle de harcèlement sexuel que n’avait pas présentée la Commission. Compte tenu des questions en litige, nous estimons qu’il n’était pas nécessaire d’avoir deux avocats pour les présenter. La Loi est ainsi conçue que la personne qui a une plainte à formuler peut en confier la présentation à un avocat compétent de la Commission, sans engager de dépenses personnelles. En rétrospective, nous estimons qu’il n’y a pas lieu d’indemniser Mme Potapczyk au titre des frais judiciaires superflus qu’elle a engagés. De toute façon, Mme Cornish nous a laissé entendre que le gros des dépenses de sa cliente avaient été défrayées grâce à un fonds auquel de nombreuses personnes avaient contribué. A ce qu’il paraît, conformément à un accord de fiducie négocié entre Mme Potapczyk et le fonds, tous dommages- intérêts accordés par nous devront être versés directement au

> - 62 fonds afin de servir au financement de la poursuite des plaintes d’autres femmes présumées victimes de harcèlement sexuel. Nous nous demandons s’il conviendrait d’accorder des dommages- intérêts dans ces circonstances, compte tenu surtout du fait que ces fonds seraient utilisés à des fins autres que celles pour lesquelles ils seraient accordés. Les dommages- intérêts visent à indemniser l’une des parties à l’instance de ses frais judiciaires et non à subventionner des parties éventuelles à d’autres instances complètement indépendantes. C’est pourquoi nous avons conclu qu’il ne convenait pas ici d’accorder de dommages- intérêts même s’il était de notre ressort de le faire.

ORDONNANCE

Ayant jugé la plainte fondée, nous rendons donc l’ordonnance suivante:

  1. Que le mis en cause, Alistair MacBain, cesse d’enfreindre l’alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne de la manière énoncée ci- avant et qu’il s’abstienne désormais de commettre les mêmes infractions ou d’autres semblables à l’égard de ses employées;
  2. Que le mis en cause, Alistair MacBain, verse à la plaignante, Kristina Potapczyk, une indemnité de

> - 63 1 500 $ en vertu du paragraphe 41( 3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

FAIT à Toronto, le 23 juillet 1984. SIDNEY N. LEDERMAN, Président WENDY ROBSON PETER CUMMING

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