Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao,
Anne B. Tettaut, Anna Malec, Germaine Méténapéo, Estelle Kaltush

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Conseil des Montagnais de Natashquan

l'intimé

Décision

Membre : Michel Doucet
Date : Le 27 janvier 2010
Référence : 2010 TCDP 2

Table des matières

I. Les faits liés aux allégations de discrimination

A. La Communauté innue de Nutashkuan

B. Les allégations de discrimination

C. Le cadre juridique

(i) La prime d’éloignement

(ii) L’allocation pour sorties annuelles

(iii) L’allocation de logement

II. Les allégations de représailles

A. L’état du droit

B. Les faits ayant trait à l’allégation de représailles (article 14.1 de la Loi)

(i) Évelyne Malec

(ii) Estelle Kaltush

(iii) Sylvie Malec

C. Conclusion concernant les allégations de représailles

III. L’article 67 de la Loi canadienne des droits de la personne

IV. Redressements

A. La prime d’éloignement

B. L’indemnité pour préjudice moral – l’alinéa 53(2)e) de la Loi

C. Indemnité spéciale – paragraphe 53(3)

[1] Le 21 avril 2007 Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne B. Tettaut, Anna Malec, Estelle Kaltush et Germaine Mesténapéao, des Innues de la communauté montagnaise de Natashquan, (les plaignantes) ont déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant qu’elles ont fait l’objet de discrimination à l’emploi basée sur leur race, origine nationale ou ethnique, contrairement à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. (1985), ch. H-6 ( la Loi ) de la part du Conseil des Montagnais de Nutashkuan (l’intimé). Trois des plaignantes, Évelyne Malec, Sylvie Malec et Estelle Kaltush, allèguent également que l’intimé a exercé ou menacé d’exercer contre elles des représailles à la suite du dépôt de leurs plaintes, contrairement à l’article 14.1 de la Loi.

[2] La plaignante Évelyne Malec est enseignante en adaptation scolaire à l’école Uauitshitun de la communauté innue de Nutashkuan.  Depuis 2001, à l’exception de l’année scolaire 2003-2004, elle a travaillé, sans interruption, à cette école.  Le contrat d’engagement de Mme Malec indique qu’elle détient un baccalauréat en enseignement ainsi que des certificats d’études autochtones et en enseignement amérindien.  Le conjoint de Mme Malec est Richard Boies.  Ils sont mariés depuis 2003.  M. Boies est également un enseignant à l’école Uauitshitun.

[3] La plaignante, Anne Bellefleur-Tettaut, est enseignante de langue innue de la première à la 6e année à l’école Uauitshitun.  Elle y enseigne depuis 1983, à l’exception de l’année scolaire 2003-2004.  Mme Bellefleur-Tettaut a pris sa retraite en juin 2007.  La plaignante ne détient pas de baccalauréat, mais a un certificat en éducation et possède un permis d’enseignement.

[4] Estelle Kaltush détient un baccalauréat en enseignement.  Depuis 1990, à l’exception de quatre années, elle a toujours enseigné à l’école Uauitshitun.  Mme Kaltush a occupé le poste de directrice adjointe de 2003 à 2009 et le poste de directrice par intérim de janvier à juin 2007.

[5] Anna Malec est enseignante au préscolaire maternelle à l’école Uauitshitun.  Elle a obtenu son baccalauréat en éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi en 1985.  Depuis, à l’exception de l’année 2003-2004, elle travaille à l’école de la communauté.

[6] Marceline Kaltush détient un baccalauréat en éducation qu’elle a obtenu en 1985.  Depuis 1990, elle enseigne à l’école Uauitshitun.

[7] Sylvie Malec enseigne à l’école Uauitshitun depuis janvier 2003, sauf pour l’année scolaire 2003-2004.  Elle enseigne la langue innue.  Elle ne détient pas de baccalauréat.

[8] La plaignante, Monique Ishpatao, détient un baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire.  Depuis 1990, sauf pour l’année 2003-2004, elle est enseignante à l’école Uauitshitun.

[9] Germaine Mesténapéao n’a pas comparu, ni offert de témoignage à l’audience.

[10] Les plaignantes étaient représentées à l’audience par M. Richard Boies, un collègue de travail et, comme nous venons de le voir, le mari de la plaignante, Évelyne Malec.  L’intimé était représenté par Me Maurice Dussault, du bureau d’avocat Dussault Larochelle Gervais Thivierge.

[11] La Commission canadienne des droits de la personne n’a pas participé à l’audience.

I. Les faits liés aux allégations de discrimination

A. La Communauté innue de Nutashkuan

[12] Sise sur les rives du golfe du Saint-Laurent, la Communauté innue de Nutashkuan se trouve à 376 kilomètres à l’est de Sept-Îles, dans la province de Québec.  Le territoire de la communauté a une frontière commune avec la municipalité de Natashquan et est accessible par la route 138 depuis 1996.  La population de la communauté se situe à environ 1 000 personnes.

[13] La Communauté innue de Nutashkuan est dotée des principales infrastructures que l’on retrouve habituellement dans les communautés autochtones dont, entre autres, une école.  Avant 1990, cette école relevait du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC).  Depuis 1990, l’école est sous l’autorité de l’intimé.  Un conseiller est désigné par l’intimé pour assumer la responsabilité du secteur de l’éducation.  Au moment pertinent à la présente affaire, Nicolas Wapistan occupait cette fonction.

[14] L’école Uauitshitun compte à peu près 160 étudiants :  60 dans le secteur secondaire et 102 dans le secteur primaire.  Le corps professoral est composé de onze (11) enseignants au niveau secondaire et huit (8) enseignants au niveau du primaire.  Neuf (9) des dix-neuf (19) enseignants sont des Innus.

[15] L’école Uauitshitun connaît, depuis plusieurs années, un roulement important de directeurs.  Ceux-ci se sont succédé année après année, ce qui a compliqué les relations entre la direction et les professeurs.

[16] Le village voisin de Natashquan a également son école, l’école Roger-Martineau.  Cette école provinciale relève de la Commission scolaire québécoise de la Moyenne-Côte-Nord.  L’école Roger-Martineau est située à quelque cinq kilomètres de l’école Uauitshitun.  Elle compte 108 élèves du primaire au secondaire.  La proportion d’étudiants qui sont des Innus inscrits au primaire à l’école Roger-Martineau est d’à peu près 75 % et elle est d’environ 70 % au secondaire.  Cette école offre les programmes de la prématernelle au Secondaire III.  Pour le Secondaire IV et V, les étudiants fréquentent l’école Monseigneur-Labrie de Havre-Saint-Pierre, à quelque 150 kilomètres de Natashquan.

[17] Le 31 mars 2005, l’intimé cumulait un déficit financier dépassant les cinq (5) millions de dollars.  Conséquemment, au début du mois d’avril 2005, le MAINC nommait un cogestionnaire pour administrer les finances de l’intimé.  Voyant que, malgré la nomination d’un cogestionnaire, la situation financière ne s’améliorait pas, le MAINC a décidé, en octobre 2005, de nommer un séquestre-administrateur pour gérer les fonds afin d’éviter que l'argent servant à la livraison des services aux membres de la communauté ne soit saisi par les créanciers de l’intimé.  Quelques semaines plus tard, le ministère de Santé Canada fit de même.

[18] Le MAINC et Santé Canada ont mandaté la firme BDL Conseiller en administration pour agir à titre de séquestre-administrateur.  Dominique Blackburn était le représentant de la firme BDL dans le cadre de cette mise sous séquestre.  Le mandat du séquestre comporte trois volets :

  • livrer les services essentiels aux membres de la communauté ;
  • aider l’intimé à préparer un plan de remboursement de ses dettes ;
  • agir comme facilitateur avec les principaux partenaires, fournisseurs, institutions financières et ministères.

[19] À partir du 1er octobre 2005, toutes les dépenses de l’intimé devaient préalablement être approuvées par le séquestre, y compris celles du secteur d’éducation.

[20] À la suite de la nomination du séquestre-administrateur, l’intimé a déposé un plan afin de redresser ses finances et mettre en place une structure organisationnelle et des politiques administratives qui lui permettraient de dispenser les services aux membres de la communauté.  Ce plan de redressement fut déposé et adopté par le MAINC en 2006.  Ce plan démontrait que les budgets du secteur de l’éducation, entre autres, devaient être réajustés puisque ce secteur avait cumulé des déficits importants au cours des dernières années.  Les problèmes que rencontrait le secteur de l’éducation avaient eu pour conséquence que plusieurs parents de la communauté de Nutashkuan avaient pris la décision de ne plus envoyer leur enfant à l’école de la communauté, préférant plutôt les envoyer à l’école Roger-Martineau dans le village de Natashquan.  Puisque le financement scolaire dans les communautés autochtones est basé sur le nombre d’élèves, le départ de plusieurs élèves vers les écoles de la Commission scolaire de la Moyenne Côte-Nord s’est traduit par un manque à gagner annuel important pour le secteur de l’éducation.

[21] En plus de mesures administratives et financières, le plan de redressement du Conseil prévoyait que le Conseil actualise et élabore différentes politiques administratives et financières.  À cet effet, une politique de la gestion financière et une politique de gestion des ressources humaines (incluant le secteur de l’Éducation) ont été déposées à l’automne 2007.  Ces politiques avaient pour objectif de remettre de l’ordre dans l’administration des services livrés par l’intimé et dans le traitement de ses employés.

[22] Depuis le 31 mars 2009, le MAINC a levé la mise sous séquestre.  Pour sa part, Santé-Canada a décidé de maintenir le séquestre pour un certain temps encore.  En ce qui concerne le MAINC, l’intimé est maintenant en mode de cogestion.

[23] André Barrette travaillait également pour le séquestre-administrateur, BDL.  Il a témoigné qu’il ne connaissait pas personnellement les plaignantes et qu’il n’avait pas reçu de ses supérieures d’instruction particulière concernant le secteur de l’éducation.  Il dit avoir été informé des plaintes par Jules Wapistan, le coordonnateur finance et administration de l’intimé.  Les questions concernant le personnel étaient laissées à M. Wapistan et à Dominique Blackburn, de BDL.  M. Blackburn n’a pas été appelé comme témoin.

B. Les allégations de discrimination

[24] En juin 2005, le traitement du personnel de l’école Uauitshitun était régi par un document intitulé Entente intervenue entre le Conseil des Montagnais de Nutashkuan et le personnel de l’École Uauitshitun de Nutashkuan – Convention réciproque de traitement du personnel de l’École Uauitshitun de Nutashkuan.  Selon la preuve, il semble qu’une politique similaire était en vigueur au moins depuis 1990, l’année où l’école est tombée sous la compétence de l’intimé.

Cette entente prévoyait, entre autres :

3.13 Lieu de résidence permanent ?

Domicile au sens légal du terme au moment de l’embauche, dans la mesure où ce domicile est situé dans la province de Québec.

[…]

6.5 Primes d’éloignement au personnel enseignant détenteurs au minimum d’un Bac et au personnel professionnel ayant la même scolarité.

6.5.1 La prime annuelle d’éloignement est créditée à l’employé qui en bénéficie en 26 versements semi-mensuels au moment de la période de paye.

6.5.2 Le taux de la prime annuelle d’éloignement est attribué à l’employé selon qu’il a au moins un dépendant (enfant à charge mineur) qui réside en permanence au domicile de son lieu de travail ou qu’il est considéré sans dépendant.

6.5.3 Taux de la prime d’éloignement

Avec enfant(s) à charge : $ 6 000    Sans enfant à charge : $ 3 000.

N.B. Si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux peut réclamer la prime d’éloignement pour enfant à charge (s’il répond aux conditions) et l’autre employé(e) bénéficie de la prime d’employé sans enfant à charge.

[…]

8.4 Allocations pour sorties annuelles de l’employé embauché de l’extérieur d’un périmètre de 50 km.

8.4.1 Les allocations sont prévues pour trois (3) sorties annuelles.

8.4.2 Sauf autorisation spéciale de la direction d’école, le calendrier des sorties est établi comme suit :

- 1er sortie : Entrée en poste en début d'année et départ pour les vacances

- 2e sortie : Noël

- 3e sortie : Pâques ou la semaine de relâche.

8.4.3 Montant de l’allocation

8.4.3.-I L’allocation pour les sorties annuelles est la suivante selon la ville de résidence au moment de l’embauche de l’employé et inclus l’aller et le retour :

Montréal : $ 950 Québec : $ 750 Sept-Îles : $ 300.

8.4.3.-II Pour les autres endroits, l’allocation est ajustée à partir des trois villes qui font l’objet d’allocations fixées selon l’alinéa précédent.

8.4.4 Le paiement est effectué au moins 5 jours ouvrables avant la date effective de la sortie annuelle.

[…]

8.6 Allocation de logement

8.6.1 Le conseil attribue une allocation mensuelle de logement à l’employé selon les modalités suivantes :

8.6.2 Allocation mensuelle : $ 450.

8.6.3 Lorsque deux ou plusieurs employés partagent un établissement domestique, le partage doit se faire en proportion.

[25] En 2007, l’intimé adopte une Politique des ressources humaines – Personnel de l’école Uauitshitun qui remplace l’entente de 2005. Selon les plaignantes, cette politique a été refusée par les professeurs de l’école Uauitshitun. Elles allèguent également que la nouvelle politique n’a jamais été adoptée par l’intimé. Aucune preuve n’a été présentée au Tribunal suggérant que cette politique devait impérativement être approuvée par les enseignants pour être en vigueur. En ce qui concerne la question à savoir si l’intimé a ou non adopté formellement cette politique, cette question n’a jamais vraiment été éclaircie à l’audience. Quoi qu'il en soit, il semble clair qu’à partir de février 2007, tout le monde agissait comme si cette politique était en vigueur.

[26] Cette politique prévoit entre autres :

4.15 Résident

Toute personne occupant un emploi pour le Conseil dont le lieu de résidence ordinaire et principale et/ou celui de son conjoint est Nutashkuan ou à moins de 50 km de Nutashkuan sera considérée comme résidente au sens de la politique d’emploi du Conseil.

Le statut de résidence de l’employée peut changer en cours d’emploi et le Conseil se réserve le droit de réévaluer le statut de résidence de ses employés du secteur de l’éducation annuellement.

(L’article 55 de la Loi électorale du Canada définit le lieu de résidence comme suit : Le lieu de résidence ordinaire d’une personne est en général l’endroit qui a toujours été ou qu’elle a adopté comme étant le lieu de son habitation ou sa demeure où elle entend revenir lorsqu’elle est absente.)

[…]

10.7 Prime d’éloignement au personnel enseignant et au personnel professionnel non résidents

a. La prime annuelle d’éloignement est créditée à l’employé qui en bénéficie en 26 versements semi-mensuels au moment de la période de paye.

b. Le taux de la prime annuelle d’éloignement est attribuée à l’employé selon qu’il a au moins un dépendant (enfant à charge mineur) qui réside en permanence au domicile de son lieu de travail ou qu’il est considéré sans dépendant.

c. Taux de la prime d’éloignement :

Avec enfant(s) à charge : 6 000 $ Sans enfant à charge : 3 000 $

10.7.1 Si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux peut réclamer la prime d’éloignement pour enfant à charge (s’il répond aux conditions) et l’autre employé bénéficie de la prime d’employé sans enfant à charge.

10.8 Allocations pour sorties annuelles pour l’employé non résidant

a. Trois (3) sorties annuelles au moment suivant ou par autorisation spéciale de la direction de l’école : 1er sorties : Entrée en poste en début d’année et

départ pour les vacances.

2e sortie : Noël.

3e sortie : Pâques ou à la semaine d’arrêt.

b. L’allocation pour les sorties annuelles est la suivante dépendamment de l’endroit de l’embauche de l’employé(e) non résidant(e) et incluant l’aller et le retour :

Montréal : 850 $ Québec : 750 $ Sept-Îles : 300 $

N.B. Tout autre prime pour une autre destination sera calculée au pro-rata de la distance avec la ville la plus près indiquée ci-dessus.

c. Le paiement s’effectuera au moins 5 jours ouvrables avant la date effective de la sortie annuelle

[…]

10.10 Allocation au logement pour l’employé non résident

10.10.1 Allocation mensuelle

Le Conseil attribue une allocation mensuelle au logement de l’employé non résident selon les modalités suivantes :

10.10.2 Allocation mensuelle : $450

10.10.3 Lorsque deux employés non-résidents sont conjoints de fait ou des personnes mariées, ils ne bénéficient alors que d’une seule allocation de 450.00 $. L’employé est alors responsable de sa location et de son bail.

10.10.4 Lorsque deux employés vivent dans le même logement, une seule prime au logement est accordée et versée pour la demie à chacun des membres occupant le logement.

10.10.5 Lorsque le Conseil loue un de ses logements non chauffé et meublé à un employé le taux mensuel de location est de 200.$

[27] Selon la preuve, jusqu’à 2007, tous les enseignants non-autochtones de l’école Uauitshitun, ainsi qu’une enseignante autochtone, recevaient ces primes. En ce qui concerne l’enseignante autochtone qui avait reçu les primes, elle a travaillé pendant une année à l’école Uauitshitun. Cette enseignante, qui n’était pas à la naissance autochtone, était mariée à un autochtone, un Attikamek, et avait, par conséquent, acquis le statut d’autochtone, en vertu de la Loi sur les Indiens. L’intimé utilisera d’ailleurs cette exception pour affirmer que sa politique n’était pas discriminatoire envers les enseignants autochtones.

[28] Le 21 février 2007, certains enseignants non-autochtones, résidants à l’intérieur du rayon de 50 kilomètres, reçoivent une lettre de la direction de l’école les informant que la nouvelle politique de l’intimé prévoit qu’un employé doit demeurer à l’extérieur d’un rayon de 50 km pour avoir droit à une allocation de loyer et de sorties. La lettre mentionne également que la direction de l’école avait constaté que certains enseignants qui recevaient ces primes possédaient une résidence permanente à l’intérieur de ce rayon. Ces enseignants n’étaient donc plus admissibles à l’allocation de 450 $ par mois pour le loyer ainsi qu’aux allocations pour les trois sorties annuelles. La lettre informait également les enseignants qu’à compter du 22 février 2007, ils ne recevraient plus d’allocation pour ces avantages et qu’ils devraient rembourser certaines sommes qui leur avaient été versées par erreur depuis le début de l’année scolaire 2006-2007. La lettre ne fait aucune mention de la prime d’éloignement. Toutefois, l’article 10.7 de la nouvelle politique mentionne clairement que dorénavant la prime d’éloignement ne sera versée qu’aux enseignants non résidents.

[29] Les plaignantes allèguent que la politique de l’intimé concernant ces primes discrimine contre les enseignants innus puisque ceux-ci n’ont pas droit aux mêmes avantages que ceux qui sont ou étaient accordés aux enseignants non-autochtones.

C. Le cadre juridique

[30] Le but de la Loi est énoncé à l'article 2 et se lit comme suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

[31] Les textes législatifs sur les droits de la personne ont été décrits comme étant ...d'une nature spéciale. [Ils ne sont] pas vraiment de nature constitutionnelle, mais [...] certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire.  (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S., pages 536 à 547). La Cour suprême du Canada a élaboré davantage sur le but et les objectifs de ces textes législatifs et sur la manière dont devait être abordée leur interprétation dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 à 1134 (sub nomine : Action Travail des Femmes) :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façon à les minimiser ou à diminuer leur effet.

[32] L'article 7 de la Loi énonce que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavoriser un individu en cours d'emploi.  Selon l’article 3, sont considérés comme des motifs de distinction illicite ceux qui sont, entre autres, fondés sur la race, la religion et l’origine nationale ou ethnique.

[33] Depuis les décisions de la Cour suprême dans les arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [ appelé également Meiorin ] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 [ appelé également Grismer ], la distinction classique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. Selon cette méthode, il incombe d’abord à la partie plaignante d’établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l’absence de réplique de la partie intimée.

[34] Une fois qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée soit d’établir qu’aucun motif de distinction illicite n’était présent dans la conduite de l’intimé ou de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte un motif justifiable. Dans cette optique, la partie intimée doit prouver :

  1. qu’elle a adopté la norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée.  À cette étape, l’analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général.
  2. qu’elle a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail, et sans qu’elle ait eu l’intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur.  À cette étape, l’analyse passe de l’objet général de la norme à la norme elle-même.
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but poursuivi.  L’employeur doit démontrer qu’il ne peut composer avec le demandeur et les autres personnes touchées par la norme sans subir une contrainte excessive.  (Voir notamment l’article 15 de la Loi.)

[35] En l’espèce, il incombe donc d'abord aux plaignantes d'établir une preuve prima facie qu'elles aient été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique. Comme nous venons de le voir une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante en l'absence de réplique de la partie intimée (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28).

[36] L’argument des plaignantes est qu’elles ont été discriminées en raison de leur statut d’autochtones par rapport aux enseignants non-autochtones.  Elles soutiennent spécifiquement que l’intimé les a défavorisées en cour d’emploi en leur refusant certains bénéfices qu’il accordait aux enseignants non autochtones.  Elles font référence notamment aux primes de logement, d’éloignement et aux allocations de sorties prévues dans les politiques de l’intimé.

[37] L’intimé soutient dans sa réponse que les plaignantes n’ont pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination. Il n’a pas présenté de preuve que la politique en question comporte un motif justifiable au sens des décisions Meiorin et Grismer.  Dans ses arguments finaux, l’avocat de l’intimé a soutenu que faire droit aux demandes des plaignantes imposerait un fardeau tel à son client qu’il replongerait la communauté dans une crise financière. Mais, encore une fois, aucune preuve tangible n’a été soumise pour appuyer cette allégation.

(i) La prime d’éloignement

[38] Jusqu’en février 2007, la politique qui s’appliquait aux enseignants de l’école Uauitshitun prévoyait le versement d’une prime d’éloignement au personnel enseignant qui détient au minimum un baccalauréat et au personnel professionnel ayant la même scolarité peu importe la distance entre leur lieu de résidence permanente et l’école. Le taux de la prime variait selon que l’enseignant avait des enfants à charge ($6 000), qui résident en permanence avec lui, ou qu’il est considéré sans enfant à charge (3 000 $). De plus, la politique établissait que si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux peut réclamer la prime d’éloignement pour enfant à charge et l’autre employé(e) bénéficie de la prime d’éloignement sans enfant à charge.

[39] Le Tribunal constate qu’en ce qui concerne la prime d’éloignement la politique ne fait aucune distinction entre les enseignants résidents ou ceux qui ne le sont pas. Rien dans la politique n’indique qu’elle est versée en guise de boni pour le recrutement ou pour faciliter le recrutement d’enseignants provenant de l’extérieur de la région de Natashquan.

[40] Il est, par ailleurs, clair que les seuls enseignants à qui cette prime était versée sont les enseignants non autochtones, bien qu’il soit arrivé une fois qu’elle a été versée à une enseignante autochtone dont le statut avait été acquis en vertu de la Loi sur les Indiens.

[41] Aucune preuve n’a été présentée par l’intimé pour expliquer l’origine ou la raison d’être sous-jacente de cette prime. Pendant la présentation de son argumentation finale, l’avocat de l’intimé s’en est remis essentiellement aux témoignages de certaines des plaignantes qui avaient témoigné que la prime d’éloignement était versée aux enseignants non autochtones venant de l’extérieur, pour en tirer la conclusion que ces témoignages étaient des admissions quant à la raison d’être de la prime et que son versement à certains enseignants seulement ne pouvait donc être considéré comme discriminatoire. Le Tribunal ne peut souscrire à cette conclusion. Le fait que certaines plaignantes aient fait cette affirmation ne peut avoir pour effet de justifier la politique concernant le versement de ces primes. Le Tribunal est plutôt d’avis qu’en donnant ces réponses les plaignantes ne faisaient que relater un état de fait connu de tous au sein du corps enseignant, à savoir que les enseignants non autochtones recevaient cette prime. De plus, la preuve non contestée montre clairement que jusqu’en février 2007, des enseignants non autochtones, résidant en permanence dans la région de Natashquan recevaient la prime. Le fait qu’une enseignante ayant le statut d’autochtone ait reçu à un moment donné la prime ne change pas notre conclusion. Aucune preuve n’a été présentée au Tribunal par l’intimé pour justifier la raison pour laquelle cette prime n’était pas versée aux enseignantes innues de l’école Uauitshitun.

[42] En 2007, l’intimé adopte une politique des ressources humaines pour le personnel de l’école Uauitshitun, laquelle politique remplacera l’entente de 2005. Cette politique prévoit que toute personne occupant un emploi pour l’intimé dont le lieu de résidence ordinaire et principale est Nutashkuan ou à moins de 50 km de Nutashkuan sera considérée comme résidante.

[43] En ce qui concerne la prime d’éloignement, nous remarquons peu de changement dans la nouvelle politique, sauf qu’en vertu de l’article 10.7, la prime n’est maintenant versée qu’aux enseignants non-résidents. Dorénavant, la politique ne fait plus de différence entre enseignants autochtones et non-autochtones. La distinction sera uniquement fondée sur le lieu de résidence.

[44] Considérant l’ensemble de la preuve soumise à l’audience, le Tribunal conclut que les plaignantes ont établi une preuve prima facie que jusqu’en 2007, elles ont été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race par le refus de l’intimé de leur verser une prime d’éloignement alors qu’une telle prime était versée à tous les enseignants non autochtones résidants.

[45] Le fardeau incombe donc maintenant à l’intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son refus de verser aux plaignantes la prime d’éloignement comporte un motif justifiable. L’intimé n’a fourni aucune preuve pour justifier l’existence de ce traitement inégal. En plus, l’intimé n’a pas présenté de preuve afin d’établir que le traitement s’expliquait en raison de la résidence permanente des récipiendaires plutôt que de leur race/origine ethnique ou nationales. Les dites admissions des plaignante ne possèdent pas une valeur probante permettant une telle conclusion ou pratique.

[46] Par conséquent, le Tribunal conclut que les plaignantes ont établi une preuve prima facie qu'avant 2007, elles ont été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race, contrairement à ce qui est prévu à l’article 7 de la Loi, par le traitement qu’elles recevaient de l’intimé qui refusait de leur verser une prime d’éloignement alors qu’une telle prime était versée à tous les enseignants non autochtones, résidents ou non.

(ii) L’allocation pour sorties annuelles

[47] Avant 2007, l’entente avec le personnel enseignant prévoyait une allocation pour sorties annuelles pour les employés provenant de l’extérieur d’un périmètre de 50 kilomètres de Natashquan. Les allocations pour sorties annuelles sont au nombre de trois (3) et le calendrier de ces sorties est établi comme suit : première sortie, lors de l’entrée en poste en début d'année et départ pour les vacances ; deuxième sortie, Noël ; et, troisième sortie, Pâques ou la semaine de relâche. L’allocation pour les sorties annuelles est la suivante, selon la ville de résidence au moment de l’embauche de l’employé et inclus l’aller et le retour : Montréal, 950 $; Québec, 750 $; et, Sept-Îles, 300 $.

[48] Il est clair d’après le libellé de la politique que cette allocation vise les employés dont le lieu de résidence se trouve à l’extérieur du périmètre de 50 kilomètres de Natashquan. La nouvelle politique adoptée en 2007 n’apporte aucun changement à ce niveau, autre que de définir avec un peu plus de précision l’expression résident. Bien que l’intimé ait pu par le passé verser cette allocation à des enseignants qui résident à l’intérieur du périmètre de 50 kilomètres – c’est le cas par exemple de M. Richard Boies – il est évident que l’intention de cette allocation est de permettre aux enseignants non résidents de pouvoir retourner au moins trois fois par année dans leur ville de résidence. En ce qui concerne les versements qui auraient été faits à des enseignants qui n’y avaient pas droit, la lettre de février 2007 semble vouloir corriger la situation.

[49] Le Tribunal ne peut conclure, eu égard au versement de cette allocation, que les plaignantes ont établi une preuve prima facie qu'elles ont été défavorisées en raison de leur race par le refus de l’intimé de leur verser une allocation pour sorties annuelles. Aucune preuve n’a démontré qu’une des plaignantes ou qu’un enseignant innu résident à l’extérieur d’un périmètre de 50 kilomètres s’est vu refuser cette allocation.

[50] Par conséquent, le Tribunal conclut que les plaignantes n’ont pas établi une preuve prima facie qu'elles ont été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race par la le refus de l’intimé de leur verser une allocation annuelle de sortie aux enseignants résident à l’extérieur d’un périmètre de 50 kilomètres de Natashquan.

(iii) L’allocation de logement

[51] La politique en vigueur avant 2007 prévoyait que le conseil attribue une allocation mensuelle de logement de 450 $ à ses enseignants. Rien dans cette politique n’indique que l’allocation est versée uniquement aux enseignants qui ne résident pas à Natashquan ou dans un rayon de 50 kilomètres de Natashquan. La politique adopté en 2007 prévoit maintenant que cette allocation mensuelle est uniquement versée aux employés non-résidents, c’est-à-dire, à ceux et celles qui habitent à l’extérieur d’un périmètre de 50 kilomètres de Natashquan.

[52] Jusqu’à 2007, tous les enseignants non autochtones recevaient cette allocation de logement. Les enseignantes autochtones, à l’exception de l’enseignante dont nous avons déjà fait mention qui avait le statut d’autochtone, ne recevaient pas cette allocation. En 2007, comme ce fut le cas pour l’allocation pour les sorties annuelles, les enseignants non autochtones résidant à l’intérieur du périmètre de 50 kilomètres furent avisés qu’ils ne recevraient plus cette allocation. Par conséquent, depuis 2007, il n’est plus possible d’affirmer que les enseignantes non autochtones sont les seules à ne pas recevoir cette allocation.

[53] Peut-on conclure que le refus de l’intimé de verser cette allocation aux enseignantes autochtones, jusqu’en 2007, constitue un acte discriminatoire contraire à l’article 7 de la Loi ?

[54] La preuve présentée à l’audience a établi que l’objectif de cette allocation était d’aider les enseignants non résidents à défrayer les coûts de leur logement dans le village de Natashquan ou ses environs.  Mme Geneviève Tacshereau-Néaschit, un témoin pour l’intimé, a témoigné qu’il était assez difficile pour les enseignants provenant de l’extérieur de la région de se trouver un logement adéquat à un prix raisonnable dans la région. Cette preuve n’a pas été contredite par les plaignantes.

[55] En ce qui concerne les plaignantes qui, à l’exception d’Évelyne Malec, habitent toutes sur le territoire de la communauté innue de Nutashkuan, la preuve a démontré qu’elles bénéficient de certains avantages au niveau de l’habitation. La question de savoir si ceux-ci sont appropriés ou non n’est pas du ressort du Tribunal. Il n’en demeure pas moins qu’elles pouvaient profiter des politiques de logement de l’intimé, ce que ne pouvaient faire les enseignants qui ne sont pas Innus. D’ailleurs, aucune des plaignantes n’a témoigné payer 450 $ ou plus par mois pour son logement. Certaines ont même témoigné ne rien payer du tout. En ce qui concerne, Évelyne Malec, la preuve démontre également qu’elle ne pourrait recevoir cette allocation, car pendant la période de son emploi son conjoint, Richard Boies a reçu l’allocation de 450 $ par mois.

[56] Quoi qu'il en soit, le Tribunal ne peut pas conclure sur la base de la preuve qui lui a été présentée que les plaignantes ont établi une preuve prima facie qu'elles ont été défavorisées en cours d’emploi en raison de leur race par la politique de l’intimé de verser une allocation mensuelle aux enseignants non autochtones.

II. Les allégations de représailles

A. L’état du droit

[57] Avant le début de l’audience, les plaignantes ont présenté une requête en modification de leur plainte afin d’ajouter des allégations selon lesquelles l’intimé aurait exercé des représailles contre plusieurs d’entre elles en contravention de l’article 14.1 de la Loi. Le tribunal a accueilli cette requête dans sa décision rapportée dans Malec et al. c. Conseil des Montagnais de Natashquan, 2009 TCDP 5.

[58] En vertu de l’article 14.1 de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

[59] L’exercice de représailles comporte une certaine forme d’acte volontaire visant à infliger un préjudice à la personne qui a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour avoir déposé cette plainte. Comme le souligne le Tribunal dans la décision Virk c. Bell Canada (Ontario), 2005 TCDP 2, au paragraphe 156 : Ce point de vue déroge en partie à ceux qui ont été exprimés dans les décisions antérieures du Tribunal sur la question des représailles (Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] TCDP 11 ; Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stoney Point, 2004 CHRT 40.). Dans les décisions Bressette et Wong, le Tribunal avait conclu qu’un plaignant n’avait pas à prouver une intention d’exercer des représailles. Il n’avait qu’à démontrer qu’il percevait raisonnablement que la conduite reprochée à l’intimé constitue des représailles nonobstant l’absence de preuve d’une intention en ce sens de la part de l’intimé. En l’espèce le Tribunal adopte l’approche proposée dans Virk.

[60] Dans le cas d’une allégation de représailles c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de prouver que celles-ci ont bel et bien eu lieu. Le plaignant doit donc prouver que la personne ou les personnes qu’il prétend avoir exercées des représailles étaient au courant de l’existence de la plainte, que cette personne ou ces personnes ont agi d’une manière inopportune et que la conduite de cette ou ces personnes a été motivée par le dépôt de la plainte.

[61] Par conséquent, ce qui est nécessaire c’est une preuve que l’intimé ou ses représentants ont exercé des mesures de représailles en étant au courant de l’existence de la plainte et que l’intimé ou ses représentants ont agi d’une manière inopportune donnant ainsi naissance à une preuve prima facie. Une fois la preuve prima facie établit, il revient à l’intimé de donner une explication raisonnable de ses actes. Si cette explication n’est pas crédible, alors le Tribunal doit conclure que l’allégation de représailles est justifiée.

B. Les faits ayant trait à l’allégation de représailles (article 14.1 de la Loi)

[62] À l’audience, le représentant des plaignantes a précisé que des allégations de représailles étaient uniquement portées par les plaignantes, Évelyne Malec, Sylvie Malec et Estelle Kaltush. Les prétendus actes de représailles sont essentiellement constitués de mesures disciplinaires qui auraient été prises entre le 9 septembre 2008 et le 16 décembre 2008. Les incidents qui appuient ces allégations de représailles sont détaillés, pour chacune des plaignantes, dans les paragraphes qui suivent.

(i) Évelyne Malec

[63] La preuve présentée par la plaignante pour soutenir les allégations de représailles porte particulièrement sur ses relations avec le directeur de l’école Uauitshitun, Marcel Rodrigue.

[64] M. Rodrigue a été officiellement embauché comme directeur de l’école à la fin août 2008, soit quelques jours avant le début de l’année scolaire. Dès le départ, les relations entre le nouveau directeur et la plaignante seront tendues. Par exemple, Mme Malec relate que lors de sa première rencontre, le nouveau directeur lui aurait dit C’est vous, madame Malec? On m’a beaucoup parlé de vous.  Un peu plus tard elle dira qu’il lui a dit C’est vous Évelyne Malec? Moi j’entends bien des affaires sur toi. Elle ajoute également qu’il lui a dit qu’il va y avoir des contestataires politiques. Bien qu’il ne lui ait pas parlé à ce moment des procédures entamées sous la Loi, la plaignante est certaine qu’il était déjà au courant de ces démarches, car tout se dit à BDL.

[65] M. Rodrigue confirmera qu’avant d’accepter le poste de directeur, qu’il avait discuté de la situation à l’école Uauitshitun avec son prédécesseur. Celui-ci lui aurait alors demandé s’il était prêt à gérer l’opposition, car tu vas en avoir. Il ajoute qu’il n’a jamais été question dans cette conversation des plaintes ou des plaignantes.

[66] En ce que qui concerne les allégations de représailles de Mme Malec, le premier incident se serait produit le 28 août 2008.  Ce jour-là, la plaignante est convoquée à une rencontre par le directeur de l’école.  Il l’informe qu’une autre enseignante avait déposé contre elle une plainte interne à la suite d’une altercation qu’elles auraient eue la journée précédente.  Selon la plaignante, le directeur ne lui aurait fait aucun reproche lors de cette rencontre.  Elle dit lui avoir donné sa version des faits concernant l’altercation.  Le directeur lui aurait indiqué que cela confirmait ce que l’autre enseignante décrivait dans sa lettre. Il aurait même ajouté, selon la plaignante, qu’il appréciait son honnêteté.  Pourtant un peu plus loin dans son contre-interrogatoire, elle ajoutera : Il [le directeur] a toujours été impoli avec moi. Depuis ma première rencontre, il a toujours été impoli, il me traite comme si je n’étais rien.. Or, il est difficile de conclure à partir de sa description du déroulement de cette rencontre que le directeur a agi impoliment à son endroit. Le simple fait qu’il ait dit qu’il appréciait son honnêteté semble contraire à une attitude qui démontrerait de l’impolitesse ou de l’ingratitude.

[67] Le 3 septembre 2008, Mme Malec reçoit un avertissement verbal de M. Rodrigue concernant l’altercation qui s’était produite le 27 août, 2008. La plaignante indique que le directeur l’aurait alors blâmé pour cet incident.

[68] M. Rodrigue précisera lors de son témoignage que le 3 septembre, il n’avait aucune connaissance des plaintes qui avaient été déposées en vertu de la Loi. Il ajoute n’avoir entendu parler pour la première fois de ces plaintes que vers la fin octobre 2008, lors d’une réunion avec le corps professoral. Quelqu’un aurait alors fait mention des plaintes, mais il ajoute que pour lui cela ne lui disait rien, car dans ma tête, ça ne relevait pas de moi. Je ne savais pas quelles personnes faisaient parties de ce recours. Il ajoutera qu’au mois de mai 2009, la plaignante Évelyne Malec, l’a informé qu’il allait être convoqué à une procédure judiciaire au début juin, mais il ajoute qu’il ne savait pas de quoi elle parlait. Il dit avoir constaté au début juin que plusieurs professeurs étaient absents. La secrétaire de l’école l’aurait alors informé qu’ils participaient à l’audience. Il dit n’avoir formellement été informé des procédures et qui étaient les plaignantes qu’à la fin juin ou au début juillet 2009. J’ai de la difficulté à accepter cette partie du témoignage de M. Rodrigue. La Communauté innue de Natashquan n’est pas très grande. L’école est également relativement petite. Lorsque huit (8) enseignantes déposent ensemble une plainte alléguant discrimination, même dans une très grande école, il m’apparaît fort improbable que la direction ne soit pas au courant. Je comprends que M. Rodrigue ne se soit peut-être pas senti interpellé par ces plaintes qu’il considérait être l’affaire de l’intimé ou du séquestre-administrateur, mais de là à dire qu’il n’était pas au courant, il y toute une différence.

[69] Le 9 septembre 2008, la plaignante reçoit cette fois un avertissement écrit. La lettre débute en affirmant qu’ [e]n septembre 2007 [le directeur] vous a rencontré pour vous donner un avertissement verbal vous enjoignant de cesser vos sautes d’humeur, de tempérer et nuancer vos propos, suite à une rencontre entre les enseignants et la direction de l’école. La lettre poursuit : Malgré cet avertissement, nous avons appris, selon les informations qui nous ont été données et selon ce que nous avons constaté, que votre attitude n’a pas changé et que vous continuez d’avoir des agissements inacceptables.. La lettre décrit par la suite un autre incident qui se serait produit entre Mme Malec et l’enseignante dont il est question dans la première altercation. Après avoir rencontré les deux enseignantes, la direction conclut : Nous considérons que les propos tenus lors de cette altercation constituent un manque de respect grave, enfreignant les règles d’éthique énoncées dans le Manuel des politiques générales de gestion des ressources humaines du conseil des Innus de Nutashkuan. En conséquence, veuillez considérer cette lettre, comme un avertissement écrit… Si [d]es correctifs ne sont pas apportés, nous devrons procéder à la troisième étape des mesures disciplinaires, soit la suspension

[70] M. Rodrigue précise que cette lettre aurait été écrite à la suite d’une rencontre à laquelle aurait participé André Barette, de BDL, Jules Wapistan, Nicolas Wapistan, et Estelle Kaltush. Les quatre autres participants n’ont pas mentionné cette rencontre dans leur témoignage. Selon M. Rodrigue, on l’aurait alors informé qu’un avertissement verbal avait été donné à Mme Malec par l’ancien directeur André Leclerc. Toutefois, André Leclerc a témoigné qu’il n’avait pas connaissance de conflits avec Évelyne Malec qui aurait nécessité des interventions ou des mesures disciplinaires.

[71] Selon la plaignante, l’allégation qu’elle aurait reçue un avertissement verbal en septembre 2007 est fausse. Elle affirme qu’avant le 3 septembre 2008 aucune mesure disciplinaire n’avait été prise contre elle. Le Tribunal note qu’aucune preuve de mesures disciplinaires contre la plaignante Évelyne Malec en septembre 2007 n’a été déposée lors de l’audience. Par ailleurs, lors de son témoignage, Marcel Rodrigue dira qu’il n’a rien trouvé dans le dossier de Mme Malec mentionnant un avertissement verbal durant cette période.

[72] M. Rodrigue témoignera également qu’à la suite de l’envoi de cette lettre, qu’il a reçu la visite de Richard Boies, Évelyne Malec et Nicolas Wapistan à son bureau. Il ajoute qu’Estelle Kaltush s’est également introduite à la réunion. À ce moment, il dit avoir eu toute une crise de la part de Évelyne Malec et Richard Boies.

[73] L’avertissement écrit du 9 septembre 2008 a été signé non seulement par le directeur de l’école, Marcel Rodrigue, mais également par la directrice adjointe, Estelle Kaltush, l’une des plaignantes. En contre-interrogatoire, Mme Malec témoignera qu’Estelle Kaltush lui aurait dit qu’elle avait signé cette lettre sous la contrainte exercée par l’employeur. Toutefois, Mme Malec n’a pas été en mesure d’indiquer qui chez l’employeur avait exercé cette contrainte et a affirmé qu’elle n’avait pas posé cette question à Mme Kaltush. M. Rodrigue témoignera qu’il n’a aucun souvenir que Mme Kaltush ait émis des réserves lorsqu’elle a signé la lettre. Mme Kaltush ne sera pas questionnée sur ce point.

[74] Le 14 octobre 2008, M. Rodrigue envoie une lettre à Dominique Blackburn, le représentant du séquestre-administrateur. Il dit qu’il sentait le besoin d’expliquer ce qui se passait à son employeur. Dans cette lettre, il relate les événements suivant :

Re Evelyne Malec
9 septembre avertissement écrit pour manque de respect ;
17 septembre menace au téléphone par Francis Malec, frère de Évelyne
7 octobre Réunion des enseignants du secondaire. Évelyne me manque de respect à cette réunion. Elle me traite de bouché à deux reprises. Elle dit je la harcèle. Cela s’est produit quand j’ai tenté de répondre à une question de Jacques Devost sur les départs de membres du personnel.
10 octobre Je rencontre Évelyne Malec à mon bureau pour lui faire part de mon intention de lui faire un avis de suspension.
10 octobre Nicolas téléphone à Estelle pour qu’elle me fasse le message de régler mes problèmes avec Évelyne.

[75] M. Rodrigue témoignera également, bien qu’il ne précise pas la date, qu’il avait été informé que certains professeurs avaient demandé une rencontre avec le conseil de bande pour discuter de lui. Sans qu’il ne précise qui, il dit qu’on lui avait alors suggéré de rencontrer les professeurs afin de discuter de la question. Deux rencontres furent organisées, par la suite, avec les professeurs : l’une avec les professeurs du primaire, présidé par Estelle Kaltush, et l’autre avec les professeurs du secondaire, présidé par M. Rodrigue. Selon M. Rodrigue, alors qu’il était en train de répondre à une question posée par un autre professeur, la plaignante, Évelyne Malec, aurait piqué une crise et lui aurait dit qu’[il] étai[t] bouché et [qu’il] la harcelais. Le 20 octobre 2008, après la réunion, M. Rodrigue écrit à Jules Wapistan pour lui décrire l’incident.

[76] Mme Malec reçoit, le 21 octobre 2008, une lettre de Jules Wapistan, l’informant qu’elle est suspendue sans rémunération pour une période de cinq (5) jours. Les raisons invoquées pour cette suspension sont les suivantes: Au début de septembre 2008, vous avez reçu un avertissement verbal vous enjoignant de cesser vos sautes d’humeur, de tempérer et de nuancer vos propos. Le 9 septembre 2008, vous avez reçu un avertissement écrit vous enjoignant d’adopter une attitude positive, de faire preuve de politesse et de respect envers vos collègues de travail et les membres de la direction. Faisant fi de cet avertissement écrit, le 7 octobre 2008, vous avez à deux reprises traité le directeur de l’école de bouché. Il ne fait aucun doute que vous vous moquez complètement des avis que vous avez reçus puisque vous n’avez aucunement modifié votre comportement inadéquat en tenant des propos irrespectueux envers le directeur de l’école. Cette lettre indiquait également que la plaignante était suspendue de [ses] fonctions, sans rémunération, pour la période commençant le 20 octobre 2008 jusqu’au 24 octobre 2008..

[77] En ce qui concerne cette lettre, le Tribunal constate que la date du début de la suspension (le 20 octobre 2008) est antérieure à la date de la lettre qui est le 21 octobre 2008. Cela explique, fort probablement, la nouvelle lettre du 27 octobre 2008, dans laquelle M. Wapistan écrit nous vous avons transmis un avis de suspension et, par erreur, nous avons indiqué dans cet avis que vous seriez suspendus du 20 au 24 octobre 2008. Cet avis vous a été transmis par la poste et de fait, vous avez travaillé toute cette semaine. La lettre avise la plaignante que sa suspension sans rémunération prendrait maintenant effet pour la période du 17 au 21 novembre 2008.

[78] Toutefois, le 17 novembre 2008, la plaignante est en congé de maladie. Le 17 novembre 2008, M. Wapistan écrit donc à nouveau à la plaignante : Compte tenu de votre absence pour raison médicale, soyez avisée que votre suspension entrera donc en vigueur à votre retour au travail, et ce, pour une période complète d’une semaine normale de travail.

[79] Malgré ces incidents avec le directeur, la plaignante explique que l’évaluation de son rendement par le directeur Marcel Rodrigue s’est très bien passée. Elle ajoute qu’il l’ a trouvé compétente, bien qu’il ait remarqué qu’elle avait des relations tendues avec le directeur. Nous pouvons présumer que Mme Malec se réfère à son évaluation pour l’année scolaire 2008-2009, car c’est la seule année où M. Rodrigue était directeur de l’école.  S’il existe une version écrite de cette évaluation, elle n’a pas été mise en preuve à l’audience. Le tribunal constate cependant que l’intimé n’a pas contesté cette preuve.

[80] Mme Malec relate également un incident qui se serait produit le 8 septembre 2008 lors d’une réunion avec le personnel enseignant et le directeur de l’école. Elle précise qu’en raison d’obligations familiales, elle et son mari sont arrivés en retard à cette réunion. Elle ajoute que M. Rodrigue aurait alors demandé qu’ils inscrivent leur heure d’arrivée à côté de leurs noms sur la feuille de présence. Pendant la réunion, la discussion a porté sur le calendrier scolaire. À un moment donné, selon Mme Malec, le directeur aurait demandé s’il y avait un volontaire pour travailler avec lui sur la refonte du calendrier. Personne s’étant portée volontaire, elle aurait indiqué qu’elle voulait le faire. Le directeur lui aurait répondu pas toi. Elle dit lui avoir demandé les raisons de son refus et qu’il lui a répondu que personne ne l’avait délégué.

[81] M. Rodrigue donne une interprétation légèrement différente de ce qui s’est passé lors de cette rencontre. Selon son témoignage, le calendrier scolaire doit comporter 180 jours de classe. Pendant l’année scolaire, cinq jours portant sur la culture innue sont normalement organisés. M. Rodrigue dit qu’il avait parlé de ces jours de culture avec l’ancien directeur et que celui-ci lui avait dit que ces journées n’étaient pas considérées comme des jours de classe. Or, la directrice adjointe, Estelle Kaltush, affirmait le contraire. Afin de tirer l’affaire au clair, le directeur a décidé d’organiser des rencontres séparées avec les professeurs du primaire et du secondaire. Selon M. Rodrigue, la rencontre avec les professeurs du primaire se serait bien passée, ceux-ci ayant accepté d’enlever la récréation de l’après-midi pour récupérer les heures scolaires perdues. Du côté du secondaire, les choses ne furent pas aussi simples. Les professeurs du secondaire considéraient ces journées de culture comme des journées de classe. Lors de cette rencontre, M. Rodrigue dit se rappeler que la plaignante lui ait offert son aide pour travailler à la préparation du calendrier scolaire. Il se rappelle lui avoir dit qu’il ne pouvait accepter son offre, car elle n’avait pas été désignée par les autres professeurs. Dans son témoignage, il explique sa décision de refuser l’offre de la plaignante en disant : Je n’étais pas rendu-là. J’avais besoin de faire mes propres vérifications et on reviendrait là-dessus plus tard.

[82] La plaignante a également témoigné que le 27 novembre 2008, Jules Wapistan l’aurait informé qu’elle allait recevoir une nouvelle lettre disciplinaire puisqu’elle n’aurait pas fait le calcul de ses minutes dans [s]on horaire de travail. Mme Malec précise qu’elle est alors allée voir Marie-Anna Wapistan, la directrice du secondaire, à qui elle se souvenait avoir remis son horaire avec le calcul de ses minutes et effectivement, le document en question a été retrouvé. M. Wapistan témoignera qu’il ne savait pas que la plaignante avait remis son horaire à la directrice du secondaire et qu’après vérification il a bien vu que tel était le cas. Pour lui, le dossier était donc réglé. .

(ii) Estelle Kaltush

[83] Estelle Kaltush allègue également qu’elle a subi des représailles en raison du dépôt de la plainte.

[84] Elle allègue, entre autres, qu’un avertissement oral qu’elle a reçu de son directeur le 28 novembre 2008 est un acte de représailles. Cet avertissement lui a été donné suite à un incident qui se serait produit le 27 novembre. Selon la lettre, la plaignante aurait mis le directeur à la porte de son bureau alors qu’il voulait la rencontrer pour discuter de la relocalisation de son bureau. Le directeur considérait que la plaignante lui avait manqué gravement de politesse et de respect.

[85] Le 26 janvier 2009, la plaignante reçoit un avertissement écrit concernant, cette fois, un incident qui se serait produit le 22 janvier 2009. Ce jour-là, le directeur avait rencontré un élève avec un problème disciplinaire. Selon lui, le plan d’intervention avec cet élève comportait l’aide du psychoéducateur de l’école qui avait d’ailleurs déjà rencontré l’étudiant. Peu de temps après cette rencontre, le psychoéducateur informe le directeur que le grand-père de l’enfant venait à l’école pour le rencontrer. Cette rencontre n’était pas prévue dans le plan d’intervention préparé par le directeur. Lors de la rencontre, à laquelle assistaient le grand-père, le psychoéducateur, l’élève, la plaignante et le directeur, le grand-père informe les participants que c’est la plaignante qui l’avait appelé pour qu’il vienne rencontrer le directeur. Selon le directeur, la plaignante s’était ainsi introduite dans un dossier disciplinaire qui relevait de lui et avait compromis la réussite de son plan d’intervention avec cet élève. Il précise qu’en agissant ainsi la plaignante n’avait pas fait preuve d’un esprit de collaboration. Il ajoute que la plaignante lui aurait manqué de respect. Selon le directeur, l’attitude et le comportement de la plaignante méritaient une réprimande.

[86] Lors de son témoignage, Mme Kaltush affirme que depuis janvier 2009, elle évite le directeur. Elle ajoute qu’il est impoli avec elle, mais elle ne donne aucun exemple précis pour appuyer cette allégation. La plaignante précise que l’attitude du directeur l’ affecte beaucoup. Encore une fois, elle ne présente aucune preuve pour étayer cette affirmation.

[87] Le fait que son poste de directrice adjointe a été aboli et que l’on ne lui ait pas offert d’emploi pour la prochaine année est considéré par elle comme un acte de représailles. En effet, le 12 juin 2009, soit après la première semaine d’audience, la plaignante a reçu une lettre de la direction de l’école l’informant que son emploi se termine le 15 août 2009, car le poste de directrice adjointe est aboli. La plaignante ajoute que le directeur lui aurait dit qu’elle n’avait plus d’emploi pour l’an prochain, mais elle ajoute qu’elle n’a pas reçu de lettre formelle l’informant de cette décision. Bien que le Tribunal constate que le moment où la décision à été prise d’abolir le poste de directrice adjointe puisse paraître inappropriée, rien ne permet de conclure que cette décision a été prise comme moyen de représailles contre le dépôt de la plainte.

[88] Marcel Rodrigue ne nie pas avoir écrit la lettre du 12 juin. Selon lui, chaque membre du personnel qui avait indiqué qu’il ne revenait pas et ceux dont les contrats se terminaient ont reçu, en juin, une lettre leur indiquant que leur emploi prendrait fin au mois d’août. Puisque le poste de directrice adjointe avait été aboli, M. Rodrigue en a avisé Mme Kaltush en ajoutant qu’elle pouvait avoir un poste d’enseignante pour l’année suivante. La plaignante lui aurait alors répondu, premièrement, qu’elle n’accepterait pas de postes avec les élèves, pour finalement changer d’idée. Marcel Rodrigue lui aurait alors dit qu’il transmettrait son nom au nouveau directeur.

[89] La situation décrite par la plaignante a beaucoup plus à voir avec des problèmes interpersonnels et de communication avec son supérieur immédiat qu’à des actes de représailles. Elle a d’ailleurs témoigné que ni le directeur, ni le conseil de bande n’ont jamais fait mention de sa plainte dans leurs discussions avec elle. De plus, Mme Kaltush ajoute qu’elle ne sait pas si le directeur était au courant qu’elle avait porté plainte, car il ne lui en a jamais parlé.

(iii) Sylvie Malec

[90] Les allégations de représailles de la plaignante, Sylvie Malec, portent essentiellement sur le fait que la direction de l’école refuse de lui allouer du temps de planification et de préparation pour ses cours de langue innue. Selon elle, lorsqu’on enseigne la langue innue, il devrait y avoir du temps pour la planification d’inclus dans la tâche de l’enseignante. Elle ajoute que dans la langue innue, l’enseignante n’a pas de programme prédéterminé comme c’est le cas pour les cours de base tels le français et l’anglais. Les professeurs de ces cours ont accès à du matériel pédagogique qui n’existe pas dans le cas de l’enseignement d’une langue autochtone.

[91] Elle dit que pour elle, enseigner la langue innue à tous les niveaux scolaires est une surcharge. Elle ajoute en avoir fait part au directeur, Marcel Rodrigue, qui lui aurait alors répondu : Tu prends ou tu ne prends pas et tu prends la porte.

[92] Bien que je puisse sympathiser avec la situation de Mme Malec, il m’est impossible de conclure de la preuve soumise que ce désaccord entre la direction et la plaignante peut être interprété comme des actes de représailles en raison du dépôt de la plainte.

[93] D’ailleurs, selon son témoignage, la direction de l’école n’aurait jamais fait référence à sa plainte lors de leurs discussions.

C. Conclusion concernant les allégations de représailles

[94] Le Tribunal conclut que les plaignantes, Évelyne Malec, Estelle Kaltush et Sylvie Malec n’ont pas établi une preuve prima facie de représailles.

[95] Le Tribunal estime que la situation décrite et la preuve produite par les plaignantes n’appuient pas les allégations que l’intimé aurait exercé à leur endroit des représailles suite au dépôt de la plainte, contrairement à l’article 14.1 de la Loi. Le Tribunal constate que les plaignantes ne semblent pas placer en contexte les comportements ou les décisions prises par l’intimé et ses représentants et qui sont perçues par elles comme étant des représailles. Elles décrivent, par exemple, des mesures disciplinaires que l’intimé a prises à partir de l’automne 2008 pour soutenir leurs allégations de représailles. Bien qu’il se puisse qu’une employée dans la situation des plaignantes ait pu contester avec succès l’imposition de telles mesures dans une procédure judiciaire ou d’arbitrage, le Tribunal tient à rappeler qu’il n’agit pas comme arbitre en relations de travail.

[96] Rien dans la preuve ne permet de conclure que les mesures disciplinaires ou autres actes de l’intimé ont été imposés ou faits en raison du dépôt de la plainte ou qu’ils aient été motivés par l’intention de représailles.

[97] Il est clair que depuis de nombreuses années, les relations entre les plaignantes et la direction de l’école Uauitshitun sont difficiles et tendues. Il semble également clair que ces problèmes se sont compliqués lors de la mise sous tutelle de l’intimé et l’obligation que cette situation lui imposait de mettre de l’ordre dans ses finances notamment dans le secteur de l’éducation. Le Tribunal reconnaît qu’il est possible que les conflits entre les plaignantes et la direction de l’école aient fait en sorte qu’elles aient perçu certaines actions de la direction, accomplies dans l’exercice de son droit de gérance, comme des actes de représailles, sans qu’ils en soient légalement ainsi.

[98] Conséquemment, les allégations que l’intimé aurait exercé des représailles contre les plaignantes en contravention de l’article 14.1 de la Loi sont rejetées.

III. L’article 67 de la Loi canadienne des droits de la personne

[99] Au moment du dépôt de la plainte, le 21 avril 2007, l’article 67 de Loi, lequel a été abrogé en 2008, (voir Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne L.C. 2008, ch. 30) était toujours en vigueur. L’article 67 prévoyait :

67. Nothing in this Act affects any provision of the Indian Act or any provision made under or pursuant to that Act.

67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

[100] Le libellé de cette disposition est clair et concis. Le but du législateur en l’adoptant était d’empêcher que les dispositions de la Loi n’entrent en conflit avec l’application de la Loi sur les Indiens. (Voir : Prince c. Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (1994, 25 C.H.R.R. D/386, (C.F.), aux paras. 23-24). Cet article ne doit pas cependant être interprété comme exonérant toutes les décisions des conseils de bande, mais plutôt comme exonérant que les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens. (Voir Ennis c. Première Nation de Tobique, 2006 TCDP 21, au par.18).

[101] Dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la Bande Gordon, [2001] 1 C.F. 124 (C.A.), la Cour a affirmé que l’article 67 de la Loi doit s’interpréter restrictivement parce qu’il restreint l’étendue de la législation sur les droits de la personne. À cet égard, la Cour a invoqué l’arrêt Zurich Insurance Company c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, page 339, dans lequel la Cour suprême du Canada a accordé au Code des droits de la personne de l’Ontario un statut quasi constitutionnel, de telle sorte que les exceptions à une telle loi doivent s’interpréter restrictivement.

[102] Prenant acte de l’article 67, l’avocat de l’intimé a invité le Tribunal à déclarer que la Loi est sans effet sur la politique de ressources humaines adoptée par l’intimé pour l’école Uauitshitun et que la plainte doit par conséquent être rejetée.

[103] Plusieurs décisions ont interprété l’article 67 de la Loi. Afin de comprendre la portée de cette disposition, nous allons faire un bref survol des principes qui se dégagent de cette jurisprudence. Dans l’arrêt Desjarlais c. Piapot Band No. 7, [1989] 3 F.C. 605, à la page 608 la Cour fédérale a interprété l’expression […] or any provisions made under or pursuant to that Act [en français, et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.] de l’article 67. Dans cette affaire, le conseil de bande avait adopté une motion congédiant une employée. Cette employée a, par la suite, déposé une plainte alléguant qu’elle avait fait l’objet d’une distinction illicite fondée sur l’âge. L’intimé alléguait que la Commission n’avait pas compétence pour être saisi de l’affaire en raison de l’article 67 [(qui était alors le paragraphe 63(2))] de la Loi. En interprétant cette disposition, le juge Desjardins avait ceci à dire :

11. Le mot affects de la version anglaise a certes une très large portée. Je considère qu'il signifie [Traduction] Agir sur ou avoir un effet sur. … Le mot effet de la version française possède également un caractère général, et il équivaut à des termes tels conséquence ou influence. Ainsi lirions-nous: La présente loi est sans conséquence, sans influence sur.

12. Le mot provision du membre de phrase any provision of the Indian Act (la Loi sur les Indiens) renvoie par connotation à la législation, pour faire référence à la fois à la Loi sur les Indiens et aux règlements adoptés en vertu de cette Loi. Cette interprétation se trouve confirmée par la version française.

13. Le mot provision du membre de phrase or any provision made under or pursuant to [the Indian Act] (et sur les dispositions prises en vertu de cette loi) ne peut avoir la même signification que le premier provision, et il ne peut renvoyer exclusivement à une disposition législative d'application générale ainsi que le prétend l'avocat de la Commission. La version française rend une telle interprétation impossible. Le mot dispositions de cette version pourrait avoir le sens de mesures législatives, mais il connote également les notions de décisions et de mesures6, dont la compréhension est très grande. Ainsi les termes or any provision made under or pursuant to that Act [page609] désignent-ils plus que les seules stipulations à caractère légal. J'interprète ces mots comme s'étendant à toutes les décisions prises en vertu de la Loi sur les Indiens.

[104] Dans cette affaire, la Cour d’appel fédéral s'interrogeait sur la manière dont les bandes indiennes pouvaient prendre des décisions de nature juridique. Le juge Desjardins a estimé que, quelle que soit la manière dont la décision était prise, toute décision prise par un conseil de bande en vertu d'une disposition précise de la Loi sur les Indiens serait prise en vertu de la Loi sur les Indiens et que c’est seulement dans ce cas que la Loi serait sans effet.

[105] L’application de l’article 67 aux décisions prises par un conseil de bande a été discutée par le juge Rothstein (tel était alors son titre) dans l’affaire Bande indienne de Shubenacadie c. Commission canadienne des droits de la personne [1998] 2 C.F. 198 ; confirmé dans [2000] A.C.F. n° 702. Dans cette affaire le Tribunal canadien des droits de la personne avait conclu que le chef et le conseil de bande avaient exercé à l’endroit des plaignants une discrimination fondée sur la race et l’état matrimonial en refusant de verser des prestations d’aide sociale à des conjoints non indiens des membres de bandes indiennes. Au paragraphe 31, la Cour fédérale précise :

Je ne crois pas que la décision dont il s'agit en l'espèce soit une décision visée par l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ne fait aucun doute qu'une décision a été prise par le conseil de bande, et il se peut fort bien qu'elle ait été prise en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens, mais aucun élément de preuve ne laisse entendre que la décision a été prise en vertu d'une disposition de la Loi sur les Indiens. Indubitablement, l'article 67 reconnaît que certaines dispositions de la Loi sur les Indiens et de ses règlements peuvent être en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et, dans un tel cas, la Loi sur les Indiens et son Règlement auront préséance, mais je ne crois pas que l'on puisse dire que l'article 67 enlève du champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes dans la mesure où elles sont prises en vertu du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d'Indiens. Si le législateur fédéral avait voulu soustraire toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes au contrôle de la Commission des droits de la personne, il l'aurait expressément prévu au lieu d'édicter l'article 67. L'article 67 protège les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et par son Règlement, mais non toutes les décisions prises par les conseils des bandes indiennes. Je crois que cette conclusion s'accorde avec les remarques incidentes de l'arrêt Desjarlais (Re). L'article 67 ne vient donc pas en aide au requérant.

[106] La décision dans l’affaire Bande indienne de Shubenacadie, fut suivie par le Tribunal dans l’affaire Bernard c. Conseil scolaire de Waycobah (1999), 36 C.H.R.R. D/51, dans lequel le Tribunal a rejeté un argument fondé sur l’article 67 en affirmant que, bien que le paragraphe 114(2) de la Loi sur les Indiens autorise le ministre à établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens, il est difficile d’établir un lien réel entre ce paragraphe de la Loi sur les Indiens et la décision du conseil scolaire de Waycobah de mettre fin à l’emploi de la plaignante à titre de secrétaire de l’école. Il ne s’agissait pas là selon le Tribunal d’une décision prise en vertu de la Loi sur les Indiens.

[107] Dans Bressette c. Conseil de Bande de la Première nation Kettle et Stoney Point (n° 1), 2003 TCDP 41, il était question d’un Indien inscrit membre de la Première nation de Kettle et Stoney Point qui a posé sa candidature, sans succès, pour le poste d’intervenant auprès des familles. Celui-ci a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, car il prétendait ne pas avoir obtenu le poste en raison de sa situation familiale. L’intimé a prétendu que sa décision était expressément autorisée par les articles 69, 81 et 83 de la Loi sur les Indiens. Les articles 81 et 83 autorisent les conseils de bande à prendre des règlements pour les fins mentionnées dans ces articles. L’intimé a également invoqué deux règlements adoptés en vertu de la Loi sur les Indiens. Le Tribunal a conclu que la décision de l’intimé comportait à la fois un aspect de dotation en personnel et à la fois un aspect financier. Mais l’objet principal de la décision du conseil de bande était de remplir le poste d’intervenant auprès des familles. La Loi sur les Indiens ne comprend aucune disposition précise qui traite de la dotation en personnel dans une bande. Par conséquent, le Tribunal a conclu que l’article 67 ne s’appliquait pas.

[108] Parmi les causes portant sur l’application de l’article 67 de la Loi citée par l’intimé, trois (Courtois c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord, 1990 CanLII 702 (T.C.D.P.); Prince c. Ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, précité, et Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la Bande Gordon, précité) ont conclu que la décision du conseil de bande n’était pas soumise au contrôle en matière de droits de la personne. Dans ces causes, la décision du conseil de bande était soutenue par une disposition précise de la Loi sur les Indiens. Dans les autres causes où la décision était soumise au contrôle de la Loi, l’intimé n’avait pu mentionner aucune disposition précise de la Loi sur les Indiens étayant la décision sur laquelle portait la plainte.

[109] En l’espèce, nous devons nous demander s’il existe un article spécifique de la Loi sur les Indiens qui permet à l’intimé de refuser de verser aux plaignantes la prime d’éloignement. Dans son argumentation, l’avocat de l’intimé a fait référence à l’article 73 de la Loi sur les Indiens, par lequel le Parlement a délégué une part de ses pouvoirs constitutionnels de légiférer envers les Indiens et envers les terres réservées aux Indiens au Cabinet fédéral par le biais de la prise de règlements fédéraux. Il a également fait référence aux articles 81, 83 et 85.1, qui traitent de la prise de règlements administratifs. Il ajoute enfin que l’exercice des pouvoirs conférés à une bande ou à un conseil s’exerce par le principe de la délégation des pouvoirs, laquelle délégation des pouvoirs est expressément mentionnée à l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens.

[110] Personne en l’espèce, y compris les plaignantes, ne conteste le pouvoir de l’intimé d’adopter des règlements administratifs ou des politiques concernant les ressources humaines pour son école. Ce qui est contesté c’est la mise en œuvre de cette politique notamment le fait que la prime d’éloignement ait été versée à tous les enseignants, sauf aux enseignantes innues. Aucune disposition de la Loi sur les Indiens n’a été présentée au Tribunal pour soutenir que ces primes ne pouvaient être attribuées à des Innues. Conséquemment, on ne peut dire que la décision de l’intimé de ne pas verser aux plaignantes cette prime est un pouvoir qui découle de la Loi sur les Indiens.

[111] L’intimé attire également l’attention du Tribunal sur la disposition transitoire contenue à l’article 3 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, ch. 30, qui se lit comme suit :

3. Despite section 1, an act or omission by any First Nation government, including a band council, tribal council or governing authority operating or administering programs or services under the Indian Act, that was made in the exercise of powers or the performance of duties and functions conferred or imposed by or under the Act shall not constitute the basis for a complaint under Part III of the Canadian Human Rights Act if it occurs within 36 months after the day on which this Act receives royal assent.

3. Malgré l’article 1, les actes ou omissions du gouvernement d’une première nation – y compris un conseil de bande, un conseil tribal ou une autorité gouvernementale qui offre ou administre des programmes ou des services sous le régime de la Loi sur les Indiens – qui sont accomplis dans l’exercice des attributions prévues par cette loi ou sons son régime ne peuvent servir de fondement ;a une plainte déposée au titre de la Partie III de la Loi canadienne des droits de la personne s’ils sont accomplis dans les trente-six mois suivant la date de sanction de la présente loi.

[112] L’intimé soutient que cette disposition offre un éclairage nouveau de la portée interprétative que devait avoir l’article 67 de la Loi. Il prétend que cette disposition vient établir l’étendue de la protection offerte au Conseil de bande par l’ancienne disposition et que toute décision jurisprudentielle antérieure doit être maintenant clairement distinguée en raison de la portée étendue que confère ce nouvel article à l’ancien article 67.

[113] Le Tribunal n’accepte pas cet argument. Le seul effet de l’article 3 est d’offrir une période de grâce de trente-six mois et toute tentative de voir dans celui-ci un rejet des décisions qui ont interprété l’article 67 jusqu’à ce jour est illogique. Si tel avait été l’intention du législateur, il l’aurait exprimé de manière plus claire et non simplement dans une disposition offrant une période de grâce.

[114] Conséquemment, l’objection de l’intimé relativement à la question de la compétence du Tribunal est rejetée.

IV. Redressements

[115] Les redressements sollicités par les plaignantes sont les suivants :

  1. le versement de la prime d’éloignement ;
  2. une indemnité pour préjudice moral en conformité avec l’alinéa 53(2)e) de la Loi; et
  3. une indemnité spéciale en conformité avec le par. 53(3) de la Loi.

A. La prime d’éloignement

[116] L’alinéa 53(2) de la Loi prévoit :

53(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

[…]

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, the rights, opportunities or privileges that are being or were denied the victim as a result of the practice;

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

[117] Considérant, les conclusions du Tribunal les plaignantes auraient donc droit, pour les années antérieures à 2007, au versement de la prime d’éloignement dont l’acte de discrimination de l’intimé les a privés.

[118] La politique de l’intimé en vigueur avant 2007 prévoit que l’enseignant qui détient au minimum un baccalauréat et le personnel professionnel ayant la même scolarité ont droit à une prime d’éloignement. Le taux de la prime variera selon que l’enseignant a des enfants à charge ($6 000), ou qu’il est considéré sans enfant à charge (3 000 $). Elle prévoit également que si deux employés sont mariés ou sont des conjoints de fait, un seul des deux pourra réclamer la prime d’éloignement pour enfant à charge et l’autre employé(e) bénéficiera de la prime d’employé sans enfant à charge.

[119] Pour déterminer le montant de prime auquel les plaignantes ont droit, nous devons donc aborder chaque cas de manière indépendante :

  • Évelyne Malec – Cette plaignante détient un baccalauréat en éducation. Elle a deux enfants à charge. Cependant, puisque son conjoint recevait jusqu’à 2007, une prime de 6 000 $ par année, elle n’aurait droit pour la période du début de son emploi jusqu’à 2007 qu’à une prime annuelle de 3 000 $. La preuve démontre également qu’il faut déduire de ce montant la prime qu’elle aurait reçue de l’intimé pour l’année 2003-2004, année durant laquelle elle n’a pas travaillé à l’école Uauitshitun.
  • Anne Bellefleur-Tettaut – Elle ne détient pas de baccalauréat, mais elle possède, selon la preuve, un certificat en éducation et un permis d’enseignement. Mme Bellefleur-Tettaut a enseigné la langue innue à l’école de 1983 à 2007. Elle a témoigné qu’aucune université n’offre de baccalauréat pour l’enseignement de langue autochtone. Cette preuve n’a pas été contestée. Bien que techniquement on puisse dire qu’elle ne satisfait pas le premier critère de la politique pour l’obtention de la prime, le Tribunal est d’avis qu’elle possède l’expérience et les qualifications équivalentes à celles d’un enseignant détenant un baccalauréat. Ainsi, le Tribunal conclut qu’elle devrait avoir droit à la prime d’éloignement pour la période entre les années 1990 (date où l’école est tombée sous la compétence de l’intimé) et 2007, date où elle a pris sa retraite, à l’exception de l’année 2003-2004 où elle n’a pas travaillé. La plaignante a trois enfants qui aujourd’hui ont tous atteint l’âge adulte, le plus vieux ayant 33 ans et le cadet 25 ans. Lorsqu’elle a commencé à travailler pour l’intimé en 1990, les trois enfants étaient mineurs, le cadet ayant à l’époque 6 ans. Le Tribunal peut donc déduire que pendant 12 de ses 17 années au cours desquelles elle était assujettie à la politique, elle avait des enfants à charge. Pour ces 12 années, elle a donc droit à la prime d’éloignement annuelle de 6 000 $. Pour les cinq (5) années restantes, elle a droit au montant de 3 000 $, par année.
  • Estelle Kaltush – Elle détient un baccalauréat en enseignement. Depuis 1990, à l’exception de quatre années, elle a toujours enseigné à l’école Uauitshitun. Elle a deux enfants : une fille de 30 ans et une deuxième qui vient de terminer son CEGEP. Mme Kaltush a droit à une prime d’éloignement de 6 000 $, pour couvrir la période de 1990 à 2007, puisque pendant ces années elle avait des enfants à charge. L’intimé pourra cependant déduire quatre années de ce montant puisque, selon la preuve, Mme Kaltush n’aurait pas travaillé pour l’intimé pendant ces années où elle dit avoir pris un sabbatique.
  • Anna Malec - Elle détient un baccalauréat et travaille pour l’intimé depuis 1990. Selon la preuve, elle avait des enfants à charge pendant toute la période en question et elle a donc droit à la prime annuelle de 6 000 $, par année pour les années 1990 à 2007, à l’exception de l’année 2003-2004
  • Marceline Kaltush – Elle détient un baccalauréat et travaille à l’école depuis 1990. Bien qu’elle n’ait pas d’enfants, elle dit avoir à charge son neveu et sa nièce. Le garçon a actuellement 19 ans et la fille de 17 ans. Son neveu est à sa charge depuis qu’il a 4 ans. La fille est venue habiter chez elle en 2001. Cette preuve n’a pas été contestée. Puisqu’elle a des enfants à charge, elle a droit à la prime annuelle de 6 000 $ pour ses années d’enseignement pour les années de 1994à 2007, à l’exception de 2003-2004.
  • Sylvie Malec – Elle enseigne à l’école Uauitshitun depuis janvier 2003, sauf pour l’année 2003-2004. Elle ne détient pas de baccalauréat, mais pour les mêmes raisons que Anne Bellefleur-Tettaut, le Tribunal considère qu’elle a droit à la prime d’éloignement. Mme Malec a des enfants à charge et à donc droit à la prime annuelle de 6 000 $, pour ses années d’enseignement jusqu’à 2007.
  • Monique Ishpatao – Elle détient un baccalauréat. Elle enseigne à l’école depuis 1990. Elle n’a pas d’enfant à charge et a donc droit à la prime d’éloignement de 3 000 $, par année, pour les années 1990 à 2007 à l’exception de l’année 2003-2004.

[120] Aux termes de l’alinéa 53(2)b) de la Loi, les plaignantes, à l’exception de Germaine Mesténapéao pour laquelle aucune preuve n’a été présentée, ont donc droit aux avantages qui sont décrits aux paragraphes précédents en raison de l’acte discriminatoire de l’intimée.

B. L’indemnité pour préjudice moral – l’alinéa 53(2)e) de la Loi

[121] Les plaignantes demandent à être indemnisées pour le préjudice moral qu’elles ont subi en raison de l’acte discriminatoire en conformité avec l’alinéa 53(2) e) de la Loi. Je ne crois pas qu’une indemnité importante soit opportune en l’espèce. Les plaignantes ont témoigné que la décision de l’intimé avait porté atteinte à leur estime de soi. À mon avis, la preuve démontre que cela n’a eu que de modestes effets sur elles. Dans ces circonstances, il est justifié d’ordonner le paiement d’une indemnité d’un montant de 500 $ à chacune des plaignantes, à l’exception de Germaine Mesténapéao, pour préjudice moral.

C. Indemnité spéciale – paragraphe 53(3).

[122] Le paragraphe 53(3) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner le paiement d’une indemnité spéciale à la victime si l’intimé a commis des actes d’une manière délibérée ou inconsidérée. L’intimé a-t-il agi d’une manière inconsidérée ? C’est-à-dire, était-il conscient du risque que sa conduite discriminatoire puisse être perçue comme étant délibérée ou inconsidérée et qu’il ait décidé de procéder malgré tout ? Selon moi, la preuve n’étaye pas cette proposition. La décision de l’intimé de traiter les plaignantes différemment des autres enseignants était peut-être peu judicieuse, mais n’était pas, à mon avis, inconsidérée au sens du paragraphe 53(3).

[123] La demande d’indemnité spéciale présentée par les plaignantes en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi est par conséquent rejetée.

Signée par

Michel Doucet
Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)
Le 27 janvier 2010

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1318/4808

Intitulé de la cause : Evelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne B. Tettaut, Anna Malec, Germaine Mestépapéo, Estelle Kaltush c. Conseil des Montagnais de Natashquan

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 27 janvier 2010

Date et lieu de l’audience : les 10 au 12 juin 2009
les 13 au 16 juillet 2009

Natashquan (Québec)

Comparutions :

Richard Boies, pour les plaignantes

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Maurice Dussault, pour l'intimé

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