Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

JAMEL BEN SALEM

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

l'intimée

DÉCISION

2008 TCDP 13
2008/05/08

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I INTRODUCTION

A. LES FAITS

(i) Le plaignant

(ii) Le besoin en main-d'uvre de l'industrie ferroviaire du Québec et le programme de formation offert par le Cégep Gérald -Godin

(iii) Le plaignant s'inscrit au programme de formation

(iv) L'annonce de poste du CN et le processus de sélection des candidat(e)s

B. Le cadre juridique

C. Application de ces critères au cas en l'espèce

I. INTRODUCTION

[1] Le 20 juin 2005, Jamel Ben Salem (le plaignant) a déposé une plainte en conformité avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. (1985), ch. H-6 (la Loi) contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Le plaignant allègue que le CN a exercé à son égard de la discrimination fondée sur la race et l'origine nationale ou ethnique en matière d'emploi en refusant de l'embaucher contrairement à l'article 7 de la Loi.

[2] La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas participé à l'audience.

[3] D'entrée de jeu, je tiens à rappeler que l'objet de la présente décision n'est pas de déterminer si le plaignant aurait fait un bon chef de train, ni de reprendre le processus de sélection du CN. Mon rôle est plutôt de décider, en m'appuyant sur la preuve présentée à l'audience, si le CN a fait preuve de discrimination envers le plaignant lors du processus d'embauche.

[4] Ce n'est pas mon rôle, non plus, étant donné que ce programme n'est pas de compétence fédérale, de déterminer si les responsables de la formation offerte au Cégep Gérald-Godin ont induit le plaignant en erreur en créant chez lui une attente raisonnable qu'après sa formation il serait automatiquement embauché comme chef de train. Je me permettrai toutefois d'émettre certains commentaires concernant ce programme et notamment son processus de sélection, ainsi que sur le rôle qu'ont joué certains responsables dans les déboires du plaignant.

A. LES FAITS

(i) Le plaignant

[5] Le plaignant, d'origine tunisienne, est arrivé au Canada avec sa famille à la fin octobre 2002. Le 27 novembre 2006, il obtenait sa citoyenneté canadienne. Dès son arrivée au Canada et jusqu'au 8 mars 2005, il dit n'avoir pu se trouver un emploi autre que des emplois à temps partiel.

[6] Dans l'attente de se trouver un emploi permanent, il a donc décidé d'entreprendre une maîtrise en génie mécanique à l'École de technologie supérieure de Montréal. Toutefois, ses obligations familiales l'ont empêché de mener à terme ce projet. Il s'est alors inscrit à un programme de formation pour obtenir un permis d'enseignement en formation professionnelle. En juillet 2003, le ministère de l'Éducation de la province de Québec lui octroyait son permis.

[7] Selon son curriculum vitae, le plaignant possède seize (16) années d'expérience en entretien ferroviaire, en fabrication mécanique, en système de qualité et en formation professionnelle. Il détient un baccalauréat en génie mécanique obtenu en Tunisie et une attestation d'études collégiales - équipe de train du Cégep Gérald-Godin, obtenu en 2004. Nous reviendrons sur le programme de formation offert par le Cégep plus longuement plus loin.

[8] De 1986 à 1988, il a travaillé pour le ministère de l'Éducation nationale de Tunisie à titre de formateur professionnel en génie mécanique. De 1988 à 1989, il était chef de bureau pour une société de Tunis. Le 1er juin 1989, il a commencé à travailler pour la Société du métro léger de Tunis en qualité d'ingénieur stagiaire. En juin 1990, il était titularisé dans ce poste. Au sein de cette société, son curriculum vitae indique qu'il a également occupé les postes de chef de bureau de planification et de contremaître d'entretien électromécanique. Il a aussi déposé en preuve un certificat de l'Institut de formation international aux transports de la Belgique attestant qu'il a suivi en 1995, le cycle international de formation en voie ferrée et transport ferroviaire. Aucune description de ce que comprenait cette formation n'a été offerte à l'audience.

[9] Pour démontrer ses connaissances de la langue anglaise, le plaignant a déposé en preuve un diplôme du British Council de Tunis, lequel indique qu'il a acquis le niveau de compétence intermediate en anglais. Selon ce document, pour atteindre ce niveau le candidat doit suivre 440 heures de cours. La compétence intermediate signifie, selon le document, que l'étudiant peut initiate and conduct conversation on a wide range of personal and factual subjects; understand the main points of authentic texts on factual topics; follow the gist of lectures and extensive rapid speech; write accurate summaries of discussions or texts and simple discursive compositions on abstract topics. They have an active vocabulary of about 3000 words.

(ii) Le besoin en main-d'uvre de l'industrie ferroviaire du Québec et le programme de formation offert par le Cégep Gérald -Godin

[10] Préoccupé par la relève de la main-d'uvre dans l'industrie ferroviaire au Québec, la Société de promotion de l'industrie ferroviaire, dont Pierre Fallu, un des témoins du CN, est le président-directeur général, a créé, en collaboration avec Emploi-Québec, une Table sectorielle de l'industrie ferroviaire. L'un des mandats de cette Table sectorielle consistait à établir un partenariat entre les représentants des différentes compagnies de chemins de fers de la province de Québec et des établissements d'enseignement afin de répondre aux besoins de l'industrie ferroviaire en matière de formation de la main-d'uvre.

[11] En mars 2003, cette Table sectorielle déposait un rapport intitulé L'industrie ferroviaire au Québec, main-d'uvre et formation professionnelle. Ce rapport analysait le problème du vieillissement de la population active dans l'industrie ferroviaire, évaluait les besoins de recrutement en ciblant les fonctions critiques et proposait une nouvelle approche en matière de formation. Les analyses effectuées par les auteurs du rapport permirent de déterminer que le volume annuel de recrutement des équipes de train, pour les cinq années qui suivraient sa publication, serait assez important pour justifier le développement d'un programme de formation en pré-emploi pour les fonctions de chef de train et de mécanicien de locomotive.

[12] Généralement, l'équipe d'un train est constituée d'un chef de train et d'un mécanicien de locomotive. Les tâches du chef de train et du mécanicien de locomotive sont plus ou moins variées selon le type d'entreprise ferroviaire et selon l'envergure de celle-ci. Le chef de train travaille comme membre d'une équipe de train en service de ligne (trains de marchandises ou trains voyageurs) ou de triage. Il veille à ce que les trains soient bien formés et arrivent à destination en toute sécurité. Il est également responsable de la tenue des enregistrements. Le rôle principal du mécanicien de locomotive consiste à conduire des locomotives afin d'assurer la cueillette et la livraison du matériel roulant ainsi que le transport de marchandises ou de passagers. Pour devenir un mécanicien de locomotive, un individu doit tout d'abord être un chef de train.

[13] Selon la Table sectorielle, l'industrie ferroviaire au Québec prévoyait embaucher, dans les cinq années suivant le dépôt du rapport, entre 20 et 25 nouveaux mécaniciens de locomotive et entre 30 et 35 nouveaux chefs de train, par année. Afin de répondre aux besoins de formation de la main-d'uvre de l'industrie, la Table sectorielle, en collaboration avec le Cégep Gérald-Godin, développa et implanta, pour les années 2003 et 2004, un programme de formation pour les équipes de train.

[14] À partir d'une analyse réalisée par l'Association des chemins de fer du Canada, les responsables du nouveau programme de formation intitulé Transport ferroviaire : équipes de train ont pu dresser un profil des compétences pour les professions de chef de train et de mécanicien de locomotive. Le développement du programme de formation s'est fait en collaboration avec des représentants de l'industrie ferroviaire et d'experts en formation.

[15] Le programme offert par le Cégep Gérald-Godin menait à une attestation d'études collégiales. Il avait pour objectif principal de préparer une main-d'uvre spécifiquement formée pour répondre aux besoins de l'industrie ferroviaire. Il visait, selon ses responsables, à former des futurs employé(e)s qui travailleront comme membres d'une équipe de train en service de ligne ou de triage. On ajoutait qu'au terme de leur formation, les candidat(e)s pourront être embauchés par les compagnies de chemin de fer au Québec et au Canada et être certifiés comme chef de train ou mécanicien de locomotive.

(iii) Le plaignant s'inscrit au programme de formation

[16] Le 31 mars 2004, le plaignant a assisté à une séance d'information qui s'est déroulée dans un hôtel de Montréal. Lors de cette séance, le Cégep Gérald-Godin, en collaboration avec Emploi-Québec et la Table sectorielle, annonça l'établissement d'un nouveau programme de formation. Ce programme était destiné à une clientèle adulte à la recherche d'une carrière qui, selon le document remis aux participants, offre une bonne perspective d'emploi, tout en proposant un taux de rémunération et des avantages sociaux attrayants ainsi que la sécurité d'emploi. On indiquait également qu'un stage d'intégration en milieu de travail figurait dans la liste des cours offerts par le programme.

[17] Lors de cette séance, les responsables expliquèrent la procédure à suivre pour être admis au programme. Le candidat devait dans un premier temps remplir les formulaires requis par Emploi-Québec. Selon Pierre Fallu une trentaine de personnes ont rempli les formulaires d'inscription et environ vingt-cinq (25) candidat(e)s ont été invités à des entrevues d'admission.

[18] Suite à cette présentation, le plaignant s'est rendu à Emploi-Québec afin de remplir le formulaire requis. Par la suite, il a été invité à une entrevue par le comité de sélection du Cégep, lequel comité était présidé par Pierre Fallu qui était également le coordonnateur de la Table sectorielle et, comme nous l'avons indiqué plus haut, le président directeur général de la Société de promotion de l'industrie ferroviaire. Le comité était également composé de Jacques Lacoste, à titre de représentant du Cégep, et de Yannick Brunet, un représentant de l'industrie ferroviaire. Ni M. Lacoste, ni M. Brunet ne furent appelés comme témoin.

[19] Selon le rapport de synthèse des entrevues produit en preuve, Jacques Lacoste a attribué au plaignant la note de 7/10 pour son entrevue. Les deux autres évaluateurs, M. Fallu et M. Brunet ont noté pour leur part le commentaire over sur leurs feuilles d'évaluation. Selon Pierre Fallu, M. Brunet et lui étaient d'avis que le plaignant était trop qualifié pour le poste de chef de train et ils craignaient que s'il obtenait un tel poste, il n'hésiterait pas, dès qu'une meilleure opportunité d'emploi se présenterait, à quitter ses fonctions de chef de train. Il est intéressant de noter qu'aucun des évaluateurs ne fait mention de problèmes de communication pour refuser le plaignant dans le programme et personne n'exprime de véritable doute quant à sa capacité d'exercer la profession de chef de train, autre qu'il était surqualifié. C'est d'ailleurs en raison de cette surqualification, que la recommandation du comité fut, initialement, de ne pas recommander l'acceptation du plaignant au programme.

[20] Puisque Emploi-Québec exigeait une cohorte de 15 à 20 étudiant(e)s et que les résultats des entrevues n'avaient pas permis d'atteindre ce nombre, le comité de sélection a décidé de revoir ses recommandations pour certains candidat(e)s. Selon le témoignage de M. Fallu, bien que le plaignant ne démontrait pas les qualités pour occuper les fonctions de chef de train, le comité, afin d'atteindre les objectifs exigés par Emploi-Québec, a décidé malgré tout de l'accepter dans le programme. Selon M. Fallu, le plaignant était uniquement admis au programme parce qu'on voulait atteindre le nombre d'inscriptions exigé par Emploi-Québec.

[21] En contre-interrogatoire, M. Fallu ajoutera Je peux vous dire M. Ben Salem que mon premier réflexe en vous voyant lors de l'entrevue était que vous étiez une personne à accident. Vous n'aviez pas les aptitudes à répondre à des situations d'urgence. Ce commentaire est étonnant puisqu'il n'en est pas fait mention dans le rapport d'entrevue. De plus, s'il est vrai que M. Fallu avait cette opinion du plaignant, il est ahurissant qu'il ait consenti à l'admettre au programme.

[22] Finalement, dix-neuf (19) candidat(e)s, dont le plaignant, sont retenus pour le programme. La formation débute le 17 mai 2004. Bien que le programme relève du Cégep Gérald-Godin, les cours se donnent dans des locaux appartenant au CN à la Gare Centrale, à Montréal. D'ailleurs, certains des formateurs sont des employé(e)s du CN.

[23] Le programme de formation est composé de différents modules. Lors de la première session, l'étudiant doit suivre des modules en infrastructure ferroviaire, profession chef de train et mécanicien de locomotive, sécurité ferroviaire, le chemin de fer en tant qu'entreprise, les communications appliquées au ferroviaire et un stage d'observation et de pratique. Lors de la deuxième session, les modules incluent initiation à l'informatique, service à la clientèle et relation d'affaires, règlement d'exploitation ferroviaire, autorisation et tenue d'enregistrement, inspections et essais de manuvres et classement de wagons, fonctionnement de la locomotive, conduite de la locomotive et du train et, finalement, un stage d'intégration en milieu de travail. Selon la description du programme, le stage d'intégration devait être d'une durée de 255 heures, sur une période de huit semaines.

[24] Le 17 mai 2005, le plaignant obtient son Attestation d'études collégiales. Son Bulletin d'études collégiales, montre qu'il a obtenu des notes supérieures à la moyenne dans pratiquement tous les cours. Par exemple, dans le module Sécurité ferroviaire, il obtient une note de 96, alors que la moyenne du groupe est de 91; dans professions chef de train et mécanicien de locomotive, il obtient la note de 94, la moyenne du groupe étant de 82; dans communications appliquées au ferroviaire, sa note est de 93 et la moyenne 90; et, finalement, dans le Stage d'intégration en milieu de travail, on lui attribue une note de 91, alors que la moyenne du groupe est de 89.

[25] La note attribuée pour le Stage d'intégration en milieu de travail est pour le moins intéressante. Selon M. Fallu, l'industrie ferroviaire avait indiqué aux responsables du programme que, sauf quelques exceptions, elle ne prenait pas de stagiaire. Il ajoute que l'exigence d'un Stage d'intégration en milieu de travail découlait des conditions de financement émises par Emploi-Québec. À ma surprise, M. Fallu témoigna que le plaignant n'avait jamais suivi de stage d'intégration en milieu de travail. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, le plaignant avait reçu une note de 91 pour un stage, il a répondu que tous les étudiant(e)s ont reçu la même note pour ce cours. Lorsque je lui ai fait remarquer que la moyenne du groupe sur le relevé de note du plaignant était 89 et que tous les étudiant(e)s ne pouvaient donc avoir reçu la même note, il donna l'explication suivante : le collège avait un problème sur les bras. Il recevait de l'argent du gouvernement pour un stage, mais ce stage n'avait pas lieu. Pour donner une note, on suivait le cheminement de l'étudiant pour obtenir un emploi. Mais, il n'y a pas eu de stage en milieu de travail. Lorsque je lui ai demandé comment on pouvait donner une note pour un stage qui n'avait pas eu lieu, il ajouta : Moi aussi j'ai de la difficulté à comprendre, c'était une situation délicate pour le collège. Le collège n'avait pas le choix de donner une note pour ce module et on donnait une note pour les démarches que les étudiant(e)s faisaient pour se trouver un travail. Il faudrait demande au collège moi je ne suis pas impliqué dans cela.

[26] En contre-interrogatoire il ajoute : Certaines compagnies ont accepté de faire des stages. Le collège s'était engagé à des stages. Suite à l'information que j'ai fournie au collège à l'effet que les compagnies n'offraient pas de stages à proprement dit, mais une formation complémentaire, le collège [...] a décidé d'être en contact avec les industries qui offraient cette formation supplémentaire et voir comment s'est déroulée l'intégration au travail. Je ne sais pas comment ils ont réglé cela avec Emploi-Québec car c'est un nombre important d'heures dans le programme. Un peu plus loin : On est arrivé à mettre des notes pour le stage, mais dans 95 % des cas, il n'y a pas eu de stage. Les explications du témoin sur ce point étaient loin d'être satisfaisantes.

[27] Jacques Lacoste, le conseiller pédagogique du Cégep Gérald-Godin a écrit pour le plaignant une lettre de recommandation assez élogieuse. Malheureusement, M. Lacoste n'a pas été appelé comme témoin à l'audience. Concernant cette lettre, M. Fallu a fait un autre commentaire remarquable. Selon lui, les responsables du programme avaient pris la décision d'uniformiser les lettres de recommandations des étudiant(e)s, à un point tel que les lettres étaient, selon M. Fallu, des lettres copiées/collées. Une telle procédure, si c'est bien ce qui s'est produit, ne fait pas très sérieux et démontre à la fois un manque de respect et de professionnalisme tant à l'endroit des employeurs potentiels que des étudiant(e)s inscrits au programme.

[28] M. Fallu ne m'est pas apparu comme un témoin crédible et, sauf pour une tendance à l'autojustification et à vouloir jeter sur d'autres la responsabilité pour les problèmes encourus, son témoignage n'a apporté aucun éclaircissement sur la question que j'ai à trancher. Je dois admettre cependant, qu'ayant écouté ce témoignage, je suis en mesure de mieux comprendre la frustration du plaignant à l'endroit de M. Fallu et envers le programme de formation.

(iv) L'annonce de poste du CN et le processus de sélection des candidat(e)s

[29] Mme Christine O'Neill, directrice des ressources humaines pour la région de l'est du Canada au CN, a longuement témoigné sur le processus d'embauche de l'intimée. Je l'ai trouvé un témoin crédible et digne de foi. Ses réponses aux questions étaient réfléchies et posées.

[30] Elle explique qu'en mars 2005, le CN était à la recherche d'employé(e)s pour occuper les fonctions de chef de train. Elle était à ce moment au courant du programme de formation offert au Cégep Gérald-Godin car une certaine Mme S. Seebeck, la directrice de la formation au CN qui travaillait en étroite collaboration avec la Table sectorielle, l'en avait informée. Toutefois, elle ajoute que le CN ne jouait aucun rôle dans le recrutement ou l'admission des étudiant(e)s à ce programme et qu'il n'avait pris aucun engagement envers les étudiant(e)s qui y étaient inscrits. Cependant, Mme O'Neill ajoute qu'elle était disposée à recevoir ces étudiant(e)s en entrevue, car elle était à la recherche de candidat de manière urgente pour les postes de chefs de train et elle savait que ceux-ci, bien qu'ils n'aient aucune expérience pratique, possédaient les connaissances techniques nécessaires pour exercer ce travail. Mme Seebeck l'a donc mise en contact avec M. Lacoste et elle lui a également fait parvenir les curriculums vitae des étudiant(e)s qu'elle avait reçus du collège.

[31] En 2005, le CN annonce donc sur son site internet qu'il est dans le processus de bâtir un réservoir de candidat(e)s intéressés par une carrière de chef de train. L'annonce décrit comme suit les exigences du poste :

Bonnes aptitudes au travail d'équipe;

Un certain entregent;

Aptitude physique pour le travail;

Connaissance des signaux ou du registre des signaux en vue d'obtenir la bonne information

Bonne capacité de lecture;

Compétences en technologie de l'information et en informatique utiles pour le travail.

Capacité de bien analyser une situation et de réagir adéquatement;

Quarts de travail, loin du domicile durant des périodes pouvant aller jusqu'à six jours;

Être sur appel, prêt et capable de travailler sur les affectations.

[32] Mme O'Neill ajoutera à cette liste de compétence la connaissance de l'anglais, jugée essentielle pour occuper un poste de chef de train au CN. Bien que cela ne fût pas mentionné dans l'annonce, lorsque le candidat remplissait son formulaire de candidature une question lui était posée quant à sa connaissance de l'anglais et du français.

[33] Les candidat(e)s souhaitant postuler à un des postes de chef de train devaient postuler par l'intermédiaire du site web du CN et remplir un formulaire intitulé Candidate Response Report qui est, en quelque sorte, une auto-évaluation faite par le postulant. Selon Mme O'Neill, soixante et onze personnes posèrent leurs candidatures. De ce nombre, onze provenaient du Cégep Gérald-Godin. Elle ajoute, sans expliquer d'où elle tire cette information, que les huit autres étudiant(e)s du Cégep ne posèrent pas leur candidature soit parce qu'ils s'étaient trouvés un emploi ailleurs ou parce que leur connaissance de l'anglais était insuffisante.

[34] Le 25 janvier 2005, le plaignant pose sa candidature par l'intermédiaire du site web. À la question : Some of our positions require bilingualism. Can you read and speak fluently in both English or French?, le plaignant répond oui. Selon Mme O'Neill certaines réponses données sur le Candidate Response Report peuvent disqualifier immédiatement un candidat. Elle donne pour exemple la réponse à la question sur les capacités de bilinguisme du candidat. Si le candidat répond non à cette question, il est, à moins de preuve du contraire, automatiquement exclu de la liste. Le plaignant n'a pas été disqualifié à cette étape.

[35] La première phase du processus d'embauche du CN consiste à un test de mouvements de train. Ce test est décrit comme un test de logique où on demande aux candidat(e)s de déplacer des wagons sur papier comme ils auraient à le faire pour vrai s'ils étaient retenus pour le poste. Les candidat(e)s ont 25 minutes pour répondre à ce test. C'est Mme O'Neill qui corrige le test.

[36] Le plaignant, ayant réussi le test de mouvement de train, est invité, le 8 mars 2005, à une entrevue avec Mme Christine O'Neill. Pour certains candidat(e)s, Mme O'Neill précisera que l'entrevue se déroule devant deux intervieweurs, l'autre intervieweur étant présent pour évaluer les connaissances techniques du candidat. Dans le cas des étudiant(e)s du Cégep Gérald-Godin, seule Mme O'Neill était présente à l'entrevue, car elle présumait qu'ils possédaient déjà le bagage technique nécessaire et qu'elle n'avait pas besoin d'un autre intervieweur pour l'assister sur ces questions.

[37] Les entrevues des candidat(e)s débutèrent le 23 février 2005 et se poursuivirent jusqu'au 13 mars 2005. Selon Mme O'Neill, elle commence toujours les entrevues en posant des questions d'ordre général, cherchant ainsi à mettre le candidat à l'aise. Elle ajoute que règle générale, elle prend beaucoup de notes lors d'un entrevue, tout en précisant que si quelqu'un parle vite, j'ai moins de notes, mais, s'il parle moins vite, je peux prendre des notes plus complètes. Dans le cas du plaignant, puisqu'il parlait lentement, elle a eu le temps de prendre plus de notes.

[38] Pour les entrevues, Mme O'Neill suit un document intitulé Interview Guide for Entry-Level Transportation. Selon ce guide, le premier domaine abordé est l'expérience de travail (work background) du candidat. Selon les notes de Mme O'Neill - prise en anglais même si l'entrevue s'est déroulée en français - le plaignant lui aurait expliqué à ce moment qu'il possédait un diplôme en génie mécanique et plus de treize (13) années d'expérience dans le domaine des chemins de fers. Il lui a également parlé du programme de formation qu'il avait suivi au collège Gérald-Godin. À la question à savoir pourquoi il voulait travailler pour l'intimée, le plaignant aurait répondu qu'il avait toujours voulu travailler pour un chemin de fer de classe 1.

[39] Le témoin précisera qu'elle assumait que le plaignant avait une bonne connaissance technique du travail d'un chef de train en raison des cours qu'il avait suivi au Cégep Gérald-Godin et de son expérience antérieure. Il n'était donc pas nécessaire de vérifier cet aspect plus à fond. De manière générale, elle précise que lors de l'entrevue le plaignant était réservé et gêné et qu'il était parfois difficile de lui arracher des réponses.

[40] Mme O'Neill explique avoir par la suite procédé à une série de questions afin de mesurer la réaction du plaignant dans des situations particulières de travail.

[41] À une série de questions visant à mesurer ce qu'elle a décrit comme la dimension orientation, elle a attribué au plaignant une note de 3 sur 5 en ce qui concerne ses réponses sur le fond et de 2 sur 5, pour ce qui est de ses qualités de communication. Selon son barème, trois sur cinq équivaut à bien, alors qu'avec une note de deux il ne répondait pas aux exigences. Mme O'Neill a reconnu qu'il semble que la copie du guide d'entrevue du plaignant soit la seule copie sur laquelle elle a marqué des notes numériques. Elle précisera : Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas si c'est parce que j'avais le temps de le faire, mais c'est le seul à qui j'ai mis des notes. Souvent je mets des moins ou des plus, mais je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas fait ici..

[42] Suivaient ensuite des questions visant à mesurer l' autonomie du candidat. Pour cette partie de l'entrevue, le plaignant obtient la note de 2 sur 5, ce qui indique qu'il ne répondait pas aux exigences entendues. Mme O'Neill a expliqué que, selon son appréciation, les réponses du plaignant aux questions qui lui étaient posées ne lui permettaient pas de conclure qu'il était autonome. Elle précisera : Il était passif, mais sécuritaire. Avec son attitude, le CN perd de l'argent..

[43] En ce qui a trait à l'aspect sécurité, le plaignant satisfaisait les attentes de Mme O'Neill. Elle ajoute même que ses réponses à cette partie de l'entrevue étaient très bonnes, d'où la note de trois qu'elle lui a attribuée tant au niveau de la sécurité que de la communication.

[44] Dans la partie portant sur apprentissage en pratique, Mme O'Neill expliquera que tous les chefs de trains doivent suivre une formation et son objectif est donc d'évaluer si le candidat suivra cette formation jusqu'au bout, même si celle-ci s'avère difficile. Encore une fois dans cette partie de l'entrevue, Mme O'Neill fut satisfaite des réponses du plaignant sur le fond, mais elle fut assez critique en ce qui concerne ses capacités de communicateur. Elle dit : Quand un candidat vient en entrevue, ses capacités c'est beau, mais il faut qu'il soit capable de vendre sa salade. Il [le plaignant] avait de la difficulté à communiquer one on one avec moi. Il était très passif lors de l'entrevue. Il fallait que je le pousse pour qu'il réponde aux questions.

[45] Pour ce qui est de la partie portant sur les habilités de collaboration du plaignant, Mme O'Neill s'est dite insatisfaite des réponses données. Elle trouvait qu'il n'avait pas réussi à démontrer de bonnes capacités de collaboration. Elle précise que sur un train, le chef de train n'a aucun pouvoir de discipline sur ses collègues de travail, il doit plutôt posséder des qualités de négociateurs. Il doit être en négociation constante afin de faire avancer son train. Elle considérait que les réponses du plaignant ne démontraient pas l'esprit de collaboration nécessaire.

[46] Finalement, elle indique qu'elle pose toujours sa dernière question dans l'autre langue officielle, dans le cas présent, l'anglais. Tout en reconnaissant que le plaignant avait répondu en anglais, elle ajoute qu'elle n'avait pas bien compris son anglais et que pour elle ses capacités dans cette langue n'étaient pas suffisantes pour répondre aux exigences du poste.

[47] De façon générale, Mme O'Neill expliquera que suite à l'entrevue, elle n'avait pas d'inquiétudes en ce qui concerne la capacité du plaignant d'apprendre les règlements. Ce qui la préoccupait toutefois c'était sa capacité d'utiliser son entregent et ses capacités de communication.. Au terme de l'entrevue, selon l'appréciation de Mme O'Neill, le plaignant ne s'est pas qualifié pour le poste de chef de train. Elle précisera qu'il ne répondait pas aux exigences au niveau des bonnes aptitudes de travail en équipe et dans sa capacité de bien analyser une situation et de réagir adéquatement. Mme O'Neill précisera en contre-interrogatoire qu'elle n'avait pas embauché de candidat(e)s moins qualifiés que le plaignant car elle avait jugé qu'il n'était pas qualifié.

[48] Elle ajoutera avoir utilisé le même guide d'entrevue pour chaque candidat et que celui-ci est à son avis le meilleur à sa disposition. Elle dit s'être basée sur les réponses qu'elle a reçues en entrevue pour en arriver à sa décision et sur aucun autre facteur.

[49] En contre-interrogatoire, le plaignant questionnera longuement Mme O'Neill sur les réponses que les candidat(e)s retenus ont offertes lors de l'entrevue. Sans reprendre en détail les explications du témoin, car mon objectif n'est pas de refaire l'exercice des entrevues, je dois préciser que ses réponses me paraissent crédibles, raisonnables et aucunement compatibles avec une conclusion que l'intimé a exercé de la discrimination envers le plaignant.

[50] En ce qui concerne les allégations qu'elle aurait discriminé à l'endroit du plaignant parce qu'il est arabe, Mme O'Neill tout en reconnaissant qu'elle n'a interviewé qu'un candidat arabe en 2005, soit le plaignant, ajoutera en avoir testé plus d'un. Par exemple, elle expliquera qu'un autre candidat arabe avait été testé, mais qu'il avait retiré sa candidature parce qu'il s'était trouvé un poste avec une autre compagnie. En 2007, ce candidat étant à nouveau disponible, et puisqu'il avait déjà réussi le test écrit, il a été invité à un entrevu et a finalement été embauché. Aujourd'hui, il occupe un poste de chef de train chez l'intimé.

[51] Mme O'Neill a également parlé d'un autre candidat arabe de la promotion du plaignant, qui en avril 2007, a postulé pour un poste d'agent de la voie chez l'intimé et qui a été embauché. Elle ajoute qu'il est aujourd'hui superviseur adjoint de la voie. Elle précise qu'il n'a pas obtenu de poste comme chef de train car il n'est toujours pas bilingue.

[52] Le plaignant allègue, sans preuve à l'appui, que l'intimé avait embauché ces personnes en réaction et afin de contrer sa plainte. Je ne peux accepter ces prétentions qui ne sont que de simples suppositions. Je constate par compte que le plaignant depuis son premier échec n'a jamais postulé à nouveau au CN ni pour un poste de chef de train, ni pour tout autre poste, il est donc impossible de savoir si le CN l'aurait embauché.

[53] À la suite de son processus d'embauche, l'intimé a recruté vingt-cinq nouveaux (25) chefs de train. Sur les onze (11) candidat(e)s du Cegep Gérald-Godin qui ont présenté leur candidature, seulement six (6) se sont présentés à l'entrevue. Les cinq (5) autres auraient retiré leur candidature, car ils avaient trouvé entre-temps un emploi ailleurs. Sur les six (6) qui ont passé l'entrevue, cinq (5) ont reçu une offre d'emploi. De ces cinq (5), Mme O'Neill précisera qu'il y avait un immigrant et une femme.

[54] Quelques jours après son entrevue, le plaignant dit avoir contacté le Cégep pour savoir s'il avait été retenu pour un poste de chef de train au CN. Jacques Lacoste l'aurait alors informé que sa candidature avait été rejetée. Le plaignant dit qu'il a tenté à plusieurs reprises de rejoindre Mme O'Neill pour connaître les raisons du rejet de sa candidature, mais sans succès.

[55] Le 20 juin 2005, le plaignant dépose une plainte contre le CN. Selon le plaignant, l'acte de discrimination du CN est délibéré, car la décision de ne pas retenir sa candidature en raison de son origine ethnique avait, selon lui, été prise avant qu'il ne soit invité à l'entrevue.

B. Le cadre juridique

[56] L'article 7 de la Loi prévoit que de refuser d'employer un individu pour des raisons fondées sur un motif de distinction illicite dont notamment, l'origine nationale ou ethnique, constitue un acte discriminatoire. (Voir également les articles 3 et 15 de la Loi).

[57] Le fardeau de preuve, dans une affaire comme la présente, incombe tout d'abord au plaignant qui doit établir un cas prima facie de discrimination. (Voir : Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et Commission de la fonction publique (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, 1618; Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029; Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 2002/02/04; et, Lincoln c. Bay Ferries, 2004 CAF 204.).

[58] Un cas prima facie est celui qui porte sur les allégations qui sont faites et qui, si on leur ajoute foi, sont complètes et suffisantes pour justifier un verdict favorable au plaignant, en l'absence d'une réponse de la part de l'intimée. (Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Etobicoke (Borough), [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208; Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltée, [1985] 2 R.C.S. 536, au par. 28.).

[59] Dans le contexte de l'embauche, un cas prima facie est décrit comme exigeant une preuve des éléments qui suivent :

  1. le plaignant avait les qualifications pour l'emploi en cause;
  2. le plaignant n'a pas été embauché;
  3. une personne qui n'était pas mieux qualifiée, mais qui n'avait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte a subséquemment obtenu le poste.

(Shakes c. Rex Pak Ltée (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, au paragraphe 8918)

[60] Une fois une preuve prima facie établie, le fardeau se déplace sur l'intimée, qui doit alors fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée. (Voir Lincoln, précité, au para. 23).

[61] La jurisprudence reconnaît la difficulté de prouver les allégations de discrimination par moyen d'une preuve directe. Comme mentionnée dans Basi, la discrimination se pratique souvent de manière subtile. Rares sont les cas de discrimination pratiqués ouvertement. (Voir Basi, précité, par. D/5038.) Il appartient donc au Tribunal de tenir compte de toutes les circonstances pour établir s'il existe ce qui a été décrit comme de subtiles odeurs de discrimination. (Premakumar, par. 79.)

[62] La norme de la preuve dans les causes de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, l'on peut conclure à la discrimination quand la preuve rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible. (Premakumar, par. 81.) Il n'est pas nécessaire, cependant, que les considérations discriminatoires soient la seule raison des actes en cause pour qu'une plainte soit acceptée. Ce sera suffisant si ces considérations sont des facteurs de la décision de ne pas embaucher. (Premakumar, par. 82; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12, au para. D/15.) .

[63] Je tiens également à rappeler que ce n'est pas la tâche du Tribunal de juger de la justesse du bien-fondé du choix de candidats de l'intimé. Dans chaque processus d'embauche, il existe un élément de subjectivité. Le simple fait que l'intimé ait utilisé des critères subjectifs pour juger les candidat(e)s et qu'il peut avoir commis une erreur en se faisant, ne rend pas en soi sa décision finale susceptible de contestation au motif qu'elle est discriminatoire, bien que la présence de critères subjectifs puisse nécessiter un examen plus minutieux de la décision d'embauche. (Voir : Folch c. Ligne aérienne Canadien International Limitée (1992), 17 C.H.R.R. D/261, D/303; Morin c. Canada (G.R.C.), 2005 TCDP 41, au para 213..

C. Application de ces critères au cas en l'espèce

[64] Dans l'arrêt Lincoln c. Bay Ferries Ltd , [2004] C.A.F. 204, la Cour d'appel fédérale précise, au paragraphe 22, que pour répondre à la question à savoir si une preuve prima facie a été établie, le Tribunal ne doit pas, à ce stade, tenir compte de la réponse de l'intimée. Ainsi pour répondre à la question à savoir si le plaignant avait les compétences pour l'emploi en cause, je m'en remettrai essentiellement à la preuve soumise par le plaignant. La preuve démontre que le plaignant possédait une attestation d'études collégiales du collège Gérald-Godin qui confirmait qu'il avait réussi le programme de formation Transport ferroviaire : équipes de train. Selon Mme O'Neill, ce programme devait lui fournir les connaissances techniques nécessaires pour exercer le métier de chef de train. De plus, il possédait un diplôme en génie mécanique et une certaine expérience de travail dans le domaine ferroviaire acquis en Tunisie, bien que je reconnaisse que cette expérience n'était pas à titre de chef de train. Le plaignant a également obtenu une note de passage dans le Test de mouvement de train. Aux fins de l'établissement d'une preuve prima facie, nous pouvons donc conclure que le plaignant a établi qu'il possédait les qualifications techniques nécessaires pour l'emploi de chef de train.

[65] La preuve établit également que le plaignant n'a pas été embauché pour le poste convoité. Ainsi, les deux premiers critères de la décision Shakes qui sont nécessaires pour établir une preuve prima facie ont été satisfaits. Qu'en est-il toutefois du troisième critère? La preuve ne me permet pas de conclure si l'intimé a retenu pour le poste une personne moins qualifiée que le plaignant. Cependant je suis prêt, aux fins de la présente affaire de conclure qu'une preuve prima facie a néanmoins été établie.

[66] À cet égard, je tiens à rappeler que dans la décision Premakumar c. Air Canada, D.T. 03/02, 2002/02/04, le Tribunal a tenu à préciser que les critères de l'affaire Shakes, bien qu'ils soient des guides utiles, ne devraient pas être appliqués d'une manière rigide et arbitraire. Il faut plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire pour établir si, en fin de compte, le plaignant a répondu au critère de l'arrêt O'Malley, c'est-à-dire, est-ce que la preuve devant le Tribunal, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l'absence de réplique de l'intimée. J'appliquerai donc cette approche flexible au cas en l'espèce et conclurai, aux fins de la première partie de la décision que, en l'absence de réplique de l'intimée, le plaignant a établi une cause prima facie de discrimination.

[67] La preuve prima facie ayant été établie, le fardeau se déplace maintenant sur l'intimée, qui doit fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée.

[68] Le témoignage de Mme O'Neill a présenté de façon claire ce sur quoi les candidat(e)s aux postes de chef de train étaient évalués et les raisons pour lesquelles elle a considéré que le profil du plaignant n'était pas adéquat pour ce poste. Elle a signalé, entre autres, le fait que, selon elle, le plaignant avait des problèmes de communication, qu'elle n'était pas satisfaite de sa capacité de pouvoir travailler en équipe, qu'elle considérait que ses réactions dans certaines situations ne répondaient pas aux attentes de l'intimé et que ses capacités en anglais laissaient à désirer.

[69] En ce qui concerne les capacités en langue anglaise des postulants pour un poste de chef de train, bien que cette exigence ne fût pas mentionnée dans l'annonce du poste, la preuve non contestée présentée à l'audience montre clairement que les candidat(e)s savaient que cela serait une considération dans la décision de retenir ou non leur candidature. Le Candidate Response Report posait la question suivante : Some of our position require bilingualism. Can you read and speak fluently in both English or French? D'ailleurs et , malgré le fait que je n'accorde autrement pas trop de crédibilité à la preuve soumise par Pierre Fallu, son témoignage était à l'effet que les étudiant(e)s du collège Gérald-Godin avaient tous été informés de ne pas postuler à un chemin de fer de classe 1 si leur compétence en anglais n'était pas adéquate.

[70] Le plaignant n'a pas contesté cette preuve. Il a plutôt cherché à établir qu'il possédait cette compétence en déposant en preuve une attestation du British Council de Tunis, affirmant qu'il possédait certaines compétences en anglais. Mme O'Neill ne semble pas en avoir été convaincue lors de l'entrevue et a considéré comme insuffisantes les compétences du plaignant en anglais. Aucune preuve n'a été présentée qui me permet de conclure que Mme O'Neill est arrivée à cette conclusion en raison de l'origine nationale ou ethnique du plaignant.

[71] Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis persuadé que l'intimé a réussi à rencontrer son fardeau et qu'il a réussi à démontrer que sa décision de ne pas retenir le plaignant pour un poste de chef de train n'était aucunement motivée par des raisons discriminatoires. Mme O'Neill a expliqué les raisons qui l'ont amené à ne pas retenir la candidature du plaignant et rien dans ces explications ne laisse croire que la race ou l'origine nationale ou ethnique du plaignant n'ait été une considération. De plus, ses explications sont raisonnables et n'ont pas l'air d'un prétexte.

[72] Bien que j'aie beaucoup de sympathie pour la situation du plaignant et que je puisse comprendre sa frustration et son désillusionnement, notamment en ce qui concerne le programme offert par le Cégep Gérald-Godin, je ne peux conclure que sa condition est imputable à une pratique discriminatoire de la part de l'intimé. Je rappelle encore que ce n'est pas le mandat du Tribunal de se prononcer sur l'efficacité, la justesse ou la précision du processus de sélection de l'intimé, mais plutôt de déterminer si ce processus est entaché de discrimination, ce qui, d'après mon appréciation de la preuve présentée, n'est pas le cas en l'espèce.

[73] La plainte de M. Ben Salem est rejetée.

signée par

Michel Doucet

OTTAWA (Ontario)

Le 8 mai 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1190/0207

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jamel Ben Salem v. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 18, 19, 20, 21 décembre 2007
Le 28 janvier 2008

Montréal (Québec)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 8 mai 2008

ONT COMPARU :

Jamel Ben Salem

Pour lui-même

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

André Sasseville
William McMurray

Pour l'intimée

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