Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

KASHA A. WHYTE

La plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

L'intimée

ET:

CINDY RiCHARDS

La plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission

- et -

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

L'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet 2010 TCDP 6
2010/03/23

I. Introduction

[1] La compagnie des chemins de fer nationaux (CN) a déposé une requête le 19 janvier 2010, conformément au paragraphe 3(1) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, demandant au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) de rouvrir l'audience dans les affaires Kasha A. Whyte c. Compagnie des chemins de fer nationaux et Cindy Richards c. Compagnie des chemins de fer nationaux, afin que CN puisse [traduction] présenter des éléments de preuve supplémentaires qui n'étaient pas disponibles au moment de l'audience .

II. Les faits pertinents quant à la requête

A. Les plaintes de Cindy Richards et de Kasha Whyte

[2] Cindy Richards et Kasha Whyte ont déposé des plaintes dans lesquelles elles alléguent que CN a contrevenu à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), pour le motif de distinction illicite fondé sur la situation de famille. Sur consentement, les deux plaintes ont été réunies pour l'audience devant le Tribunal. L'audience a eu lieu du 22 au 24 septembre, du 6 au 9 octobre, le 22 octobre, du 26 au 30 octobre et les 12 et 13 novembre, 2009. Sauf le 22 octobre, auquel moment l'audience a eu lieu à Ottawa afin d'accommoder un des témoins de CN, l'audience s'est déroulée à Jasper (Alberta).

[3] Bien que la requête ne traite pas directement de cette affaire, il est important de noter que CN était aussi intimée dans une autre audience tenue à Jasper, dans laquelle une autre plaignante, Denise Seeley, avait soulevé des questions semblables à celles des affaires Whyte et Richards. L'affaire Seeley a été entendue du 10 au 14 août et les conclusions finales ont été entendues le 21 septembre 2009, le jour précédant le début de l'audience des affaires Whyte et Richards.

[4] La preuve présentée à l'audience des affaires Whyte et Richards sera traitée en détail dans la décision sur le fond. Cependant, pour comprendre les questions de la présente requête, le Tribunal croit qu'il est important de présenter un résumé d'une partie de la preuve présentée à l'audience. Mme Whyte, Mme Richards et Mme Seeley étaient des chefs de train travaillant pour CN. Vers le milieu des années 1990, elles ont été mises à pied. En février 2005, avec 45 autres employés mis à pied, elles ont été rappelées afin de combler une pénurie à Vancouver. Alléguant des problèmes avec leurs familles respectives, elles ne se sont pas présentées à Vancouver. Compte tenu du fait qu'elles ne se sont pas présentées au travail, CN les a congédiées. Mme Richards, Mme Whyte et Mme Seeley ont déposé des plaintes en vertu de la LCDP. CN a défendu sa décision en soutenant d'abord que la situation de ces employées n'était pas protégée par la LCDP et, subsidiairement, que si leur situation était visée par la LCDP, CN avait pris des mesures d'accommodement pour elles en leur donnant plus de temps pour se rendre à Vancouver, afin qu'elles puissent d'abord régler leurs situations personnelles. CN a aussi prétendu que le fait d'accorder aux plaignantes le redressement qu'elles demandent lui causerait une contrainte excessive parce que cela équivaudrait à leur accorder une super ancienneté simplement en raison de leur statut de parent.

[5] À l'audience Seeley, CN était représentée par le même avocat qui la représentait dans l'affaire Whyte et Richards, et l'avocate de la Commission était aussi la même. Mme Seeley était représentée par un avocat différent de celle de Mme Whyte et de Mme Richards. Ni Mesdames Whyte et Richards ni leur avocate, n'a assisté à l'audience dans l'affaire Seeley, bien que le Tribunal n'ait rendu aucune ordonnance ou directive les empêchant d'y assister. Pour l'essentiel, sauf quelques distinctions mineures, la même preuve a été présentée dans les deux audiences et, sauf pour un témoin, CN a appelé les mêmes témoins dans les deux affaires.

B. Les dossiers du système d'attribution des équipes et de contrôle des présences (CATS)

[6] Afin de comprendre le fond de la requête, il est important de traiter, avec un certain détail, de l'historique de la divulgation des dossiers qui sont en question en l'espèce en faisant référence, lorsque c'est approprié, à la transcription des témoignages et au dossier de l'audience.

[7] La requête de CN fait référence à des renseignements qui se trouvent sur des feuilles de calcul Excel qui ont d'abord été présentées à l'audience de l'affaire Seeley, puis à l'audience des affaires Richards et Whyte. CN décrit ces renseignements comme étant [traduction] les données originales .

[8] Selon la preuve incontestée présentée par la Commission, ces documents ont d'abord été présentés dans les renseignements communiqués par CN une semaine avant l'audience de l'affaire Seeley. Ils ont été envoyés au Tribunal le 3 août 2009 par l'avocat de CN, et des copies ont été envoyées à M. Renouf, l'avocat de Mme Seeley, et à la Commission. Dans la lettre accompagnant les documents, l'avocat de CN a écrit :

[traduction]

En raison de l'audience à venir dans l'affaire susmentionnée [l'affaire Seeley] et de la lettre du 28 juillet 2009 de l'avocat de la plaignante [M. Renouf], CN a l'intention de présenter les documents supplémentaires suivants au Tribunal :

La politique d'équité en matière d'emploi du CN et les rapports détaillés d'équité en matière d'emploi pour les années 1996 à 2008. Ces rapports sont des documents publics affichés sur le site Web de Ressources humaines et Développement des compétences Canada;

Des extraits du système de gestion du personnel SAPS de CN qui détaillent, pour l'année 2005, le statut des employés portant le nom AB, HI, P, U et Y mentionnés dans l'exposé modifié des précisions de CN . [Non souligné dans l'original.]

[9] La lettre expliquait aussi la raison motivant cette communication :

[traduction]

Aucun de ces documents n'ajoute de faits supplémentaires au débat, et leur communication vise seulement à faciliter la présentation de faits et de témoignages déjà produits au sujet, respectivement, du statut d'emploi des femmes au sein de CN et du fait énoncé au paragraphe 40c) de l'exposé modifié des précisions de CN. [Non souligné dans l'original.]

[10] Le paragraphe 40c) de l'exposé modifié des précisions de CN dans l'affaire Seeley mentionne cinq (5) employés à qui on a permis de ne pas se présenter à Vancouver et qui sont restés employés de CN par la suite. Ce même paragraphe est aussi reproduit dans l'exposé modifié des précisions de CN pour les affaires Whyte et Richards.

[11] Le 5 août 2009, l'avocate de la Commission a écrit à l'avocat de CN pour demander que CN présente les mêmes renseignements pour tous les autres employés qui avaient été rappelés à Vancouver. Ces documents ont été communiqués à la Commission et à M. Renouf le 7 août 2009. Les dossiers des 42 autres employés ont été copiés dans une feuille de calcul Excel et contenaient de nombreuses pages de renseignements au sujet du statut de ces employés pendant la période visée par les plaintes.

[12] Le 11 septembre 2009, l'avocate de la Commission a envoyé un courriel à l'avocat de CN pour lui demander si les documents présentés le 7 août 2009 seraient aussi communiqués dans les affaires Whyte et Richards. Ces documents ont été communiqués en temps utile à l'avocate de Mme Whyte et de Mme Richards.

[13] Comme je l'ai mentionné, l'audience des plaintes Whyte et Richards a débuté le 22 septembre 2009, le jour suivant les conclusions finales dans l'affaire Seeley. L'audience a continué pendant presque 15 jours, à diverses dates au cours de l'automne. Selon la liste des pièces de l'intimée , CN a déposé en preuve les dossiers CATS de cinq employés (voir la pièce R-1, onglets 27 à 31, inclusivement) et deux autres dossiers CATS (voir les pièces R-10 et R-11). Ces documents ont été invoqués en preuve par Mme Elaine Storms, directrice principale du Centre de gestion des équipes du Centre d'exploitation de l'Ouest de CN à Edmonton, un témoin important de CN.

[14] Quant à elle, la Commission a déposé en preuve les dossiers CATS de quinze (15) autres employés (voir pièces HR-1, onglets 5 à 10 inclusivement, et HR-2, onglets 23 à 30 inclusivement). Ces documents ont aussi été invoqués en preuve par Mme Storms.

[15] Le reste des dossiers CATS a été déposé en preuve par l'avocate des plaignantes (voir pièce C-33), mais pas dans le format dans lequel CN les avait communiqués. Pendant le contre-interrogatoire de Mme Storms le 26 octobre 2009, Mme Chahley, l'avocate des plaignantes, a expliqué qu'elle avait créé un nouveau format en réorganisant les renseignements qui se trouvaient dans la feuille de calcul Excel que CN avait originalement présentée. Ce nouveau document était organisé de façon à montrer quels employés rappelés à Vancouver étaient disponibles à une date donnée en 2005.

[16] M. Paquette, l'avocat de CN, a soulevé une objection au sujet de la production de ce document dans le format créé par Mme Chahley. Le passage pertinent de la transcription à ce sujet est le suivant :

[traduction]

M. PAQUETTE : Je dois soulever une objection quant à la façon dont ce document est présenté au témoin. Comme Mme Chahley l'a mentionné, beaucoup de renseignements ont été effacés du document et je m'inquiète de la possibilité qu'il soit présenté essentiellement, pardonnez le terme, comme un choix des entrées où il est seulement inscrit disponible . Le témoin n'a pas de contexte à partir duquel il est possible de formuler une réponse complète.

[17] Le Tribunal a tranché cette objection comme suit :

[traduction]

MEMBRE INSTRUCTEUR : [...] Je laisserai Mme Chahley procéder avec ce document. [...] Si vous avez de la difficulté avec les renseignements qui y sont présentés, vous pourrez certainement inclure dans votre réplique tout renseignement additionnel qui vous semble nécessaire pour compléter le document, et je vous permettrai de le faire à ce moment là. Ou, si le témoin en arrive à un point où elle dit je suis désolée, je n'arrive pas à suivre les renseignements de la façon dont ils sont présentés , nous reviendrons au document complet. [...] Le témoin peut certainement se référer au document complet si elle souhaite le faire. Ou, si elle croit qu'elle n'est pas capable de répondre aux questions, elle [le] dira certainement. Ou si vous souhaitez compléter le document, si vous croyez qu'il est incomplet et que les renseignements ne s'y trouvent pas tous, vous pourrez le faire dans votre réplique.

[18] L'avocat de CN n'a soulevé aucune autre objection pendant le contre-interrogatoire de son témoin au sujet du document préparé par Mme Chahley. Pendant le réinterrogatoire de son témoin, M. Paquette ne lui a pas posé de questions au sujet de ce document et il n'a pas présenté ou mentionné d'autres renseignements qui auraient pu être utilisés pour compléter ou expliquer le document.

[19] Le contre-interrogatoire de Mme Storms montre qu'elle a été interrogée en détail par les avocates des plaignantes et de la Commission au sujet des dossiers du CATS. Compte tenu des questions soulevées par CN dans sa requête, il convient de reproduire les extraits suivants de la transcription de son témoignage :

[traduction]

MME CHAHLEY : D'accord. Donc, pour ces feuilles du CATS, je crois que vous avez dit hier que lorsqu'il est inscrit disponible pour un employé, ça signifie qu'il est inscrit au tableau, mais qu'il ne travaille pas ce jour là, est-ce correct?

MME STORMS : Ça signifie qu'il est inscrit au tableau, mais qu'il ne travaille pas ce jour là, oui.

MME CHAHLEY : Et qu'il serait disponible pour un rappel de deux heures, c'est ça?

MME STORMS : En fait, dans ce document, il pourrait être en période de repos ou - ce document ne contient pas certains des détails qui seraient inscrits dans un registre de travail. Donc, je devrais comparer avec un registre de travail pour vérifier, mais en général, disponible signifie que l'employé est disponible pour un rappel.

[...]

MME CHAHLEY : Donc, nous savons qu'un employé était disponible pour travailler au moins un de ces deux jours, et possiblement les deux jours, c'est bien ça?

MME STORMS : Une fois de plus, c'est très difficile à dire sans le dossier de travail complet.

MME CHAHLEY : Eh bien, Mme Storm, CN ne m'a pas donné le dossier de travail complet. C'est tout --

MME STORMS : Je comprends ça.

MME CHAHLEY : -- ce que j'ai [...] Et j'ai cru que CN me donnait le document qui me donnait l'information. Donc, travaillons avec ce que nous avons ici. Me dites-vous que c'est impossible de faire une déclaration sans avoir le dossier de travail complet?

MME STORMS : Bien, parce que ce type de document est généralement une capture d'écran à une heure précise, je dis que ça serait difficile de vous le dire, oui.

MME CHAHLEY : Donc, nous ne pouvons pas supposer qu'un de ces employés était disponible l'un de ces jours?

MME STORMS : Non - c'est difficile à dire. Disons que la capture d'écran a été faite à quatre heures du matin et que l'employé paraît disponible, mais qu'il travaillait à huit heures, je ne le verrais pas dans ce document.

MME CHAHLEY : Il ne serait pas indiqué qu'il travaille, si l'employé a travaillé pendant la journée?

MME STORMS : Je suis désolée oui, vous avez raison.

[...]

MME CHAHLEY : Maintenant, corrigez-moi si j'ai tort, mais ce que je vois, c'est qu'un employé, lorsqu'il travaille, a la cote B au lieu de A.

MME STORMS : Oui, c'est exact.

MME CHAHLEY : Et il est écrit travaille ?

MME STORMS : C'est ça. S'il a travaillé pendant cette période, c'est exact.

MME CHAHLEY : Et, parce que c'est par jour, je suppose, et corrigez moi si j'ai tort, que ça signifie à un certain moment au cours de la période de 24 heures pendant laquelle il a travaillé?

MME STORMS : Oui.

[...]

MME CHAHLEY : [...] Si la personne travaille au cours de la période de 24 heures, le système, comme il semble configuré, montrerait qu'elle travaille -

MME STORMS : C'est exact.

MME CHAHLEY : Donc, si le système montre que l'employé est disponible -

MME STORMS : Il est soit en repos, soit disponible. Je ne peux pas voir quel autre statut il aurait.

[...]

MME CHAHLEY : Ma question était : pouvez-vous expliquer ce qui se passe? J'ai suggéré que, même avec la meilleure intention, il y a eu des moments où des employés n'ont pas été affectés de façon très efficace, et que des gestionnaires ont travaillé même si des conducteurs étaient disponibles, et vous avez dit : Ça ne peut pas arriver . Je vous explique que c'est bien arrivé.

MME STORMS : Et je ne dis pas que ça ne pourrait pas arriver, je dis juste que ce serait très inhabituel, que ça a pu se produire, mais que ça serait inhabituel. C'est tout ce que je dis.

MME CHAHLEY : Pouvez-vous expliquer pourquoi l'employé Monsieur M. était encore disponible et qu'il ne travaillait pas?

MME STORMS : Non, je ne peux pas.

[Non souligné dans l'original.]

(Extraits du témoignage d'Elaine Storms, 26 octobre 2009).

[20] Le matin du 12 novembre 2009, le jour où les parties devaient commencer à présenter leurs conclusions finales, deux questions préjudicielles ont été soulevées. La première, soulevée par Me Paquette, était une demande d'ajournement afin que les parties puissent discuter de la possibilité d'un règlement. Le Tribunal a refusé cette demande, indiquant que l'audience avait déjà dépassé de beaucoup le temps qui avait été prévu. Le Tribunal a déclaré que les parties pouvaient, si elles le désiraient, opter pour le mécanisme du règlement, mais que le Tribunal ne croyait pas qu'il était dans leur intérêt supérieur d'accorder un ajournement à une date aussi tardive.

[21] La deuxième question a été soulevée par Me Chahley :

[traduction]

MME CHAHLEY : Monsieur, je me trouve en mauvaise posture. Je dois discuter d'une question avec vous. Mon ami l'a indiqué, Me Paquette a une autre question qu'il a soulevée il y a quelques minutes au sujet de problèmes possibles quant à l'exactitude de certains documents de CN. Je ne peux pas, comme officier de justice, continuer sans que la question soit au moins mentionnée au début de l'audience aujourd'hui. Je crois qu'il est important que le Tribunal soit au courant d'où nous nous trouvons en ce qui a trait au déroulement, même s'il est nécessaire de contre-interroger plus longuement le même témoin, et il n'est pas approprié de laisser la question en suspens à cette étape.

MEMBRE INSTRUCTEUR : Quelle est cette question?

M. PAQUETTE : Monsieur, il s'agit des dossiers du CATS qui ont été utilisés à l'audience. Tard hier soir, ou tôt ce matin, selon votre interprétation, j'ai été avisé que les dossiers du CATS pourraient être inexacts en ce qui a trait à la question de disponible par rapport à travaille .

MEMBRE INSTRUCTEUR : Eh bien, je dois certainement entendre - CN est une entreprise de haute technicité et c'est maintenant rendu à un point où je suis dans une position où je n'arrive pas vraiment à comprendre ce qui se passe. Des documents ont été produits en preuve par la personne responsable du système CATS, des membres du CN ont été contre-interrogés pendant une semaine et demie au sujet de ces documents et vous me dites maintenant que vous n'avez appris qu'hier soir que ces documents pourraient être inexacts?

M. PAQUETTE : Oui Monsieur.

MEMBRE INSTRUCTEUR : Est-ce qu'ils - les nouveaux renseignements qui viennent de paraître -

MME CHAHLEY : Nous ne savons pas encore ce que c'est, Monsieur, mais je voudrais aussi noter que ces documents ont été déposés et ont été traités dans l'affaire Seeley aussi.

MEMBRE INSTRUCTEUR : Oui, je sais.

MME CHAHLEY : Je veux dire, nous sommes abasourdis et ...

MEMBRE INSTRUCTEUR : Moi aussi.

MME CHAHLEY : Mais je ne pouvais pas garder cela sous silence. Nous ne pouvons pas terminer aujourd'hui, puis avoir de nouveaux - il faut régler la question.

MEMBRE INSTRUCTEUR : Bien, c'est noté et les plaignantes composeront avec les documents tels qu'ils ont été présentés, et les renseignements qui ont été présentés seront les renseignements existants. Je ne peux pas accepter, aussi tard, que l'avocat me dise qu'il n'a été informé que tard hier soir. Je ne doute pas que c'est le cas, mais vous aviez des témoins qui connaissaient très bien le fonctionnement du système CATS.

M. PAQUETTE : Ce n'est pas une question du système CATS comme tel, mais plutôt de la façon dont les rapports ont été générés.

MEMBRE INSTRUCTEUR : Eh bien, c'est quelque chose qui aurait dû être vérifié quand la preuve a été générée. Malheureusement, les éléments ont été invoqués en preuve environ trois semaines après le début de l'audience, avec les renseignements qui avaient été générés, et nous devons accepter ça. Je le mentionnerai certainement dans ma décision à un certain point.

M. PAQUETTE : Je comprends et -

MEMBRE INSTRUCTEUR : Et, encore, encore ces renseignements devront aussi être communiqués à M. Renouf dans l'affaire Seeley.

M. PAQUETTE : Si je peux me permettre, Monsieur, en ce moment, il n'y a pas vraiment de renseignement comme tel. Ce que j'ai compris de la question -

MEMBRE INSTRUCTEUR : L'information que vous venez de me donner, qu'il pourrait y avoir - je veux que ce soit fait parce que je traiterai la question dans la décision de l'affaire Seeley aussi, cette information doit être envoyée - vous avez avisé les deux avocates ce matin, la Commission et Mme Chahley. J'ordonne que vous envoyiez une lettre à M. Renouf pour lui donner les mêmes renseignements, avec copie conforme au Tribunal.

[Non souligné dans l'original.]

[22] Comme la transcription le démontre clairement, Me Paquette n'a présenté aucune requête ce matin-là au sujet des nouveaux renseignements et n'a jamais présenté d'explication au sujet de ces renseignements et de la personne qui les avait fournis. De plus, la transcription de l'échange de ce matin-là contredit clairement et simplement le souvenir de Me Paquette tel qu'il paraît au paragraphe 9 de la requête de CN. Dans ce paragraphe, après avoir expliqué qu'il avait porté cette information à l'attention des avocates des plaignantes et de la Commission, Me Paquette déclare : [traduction] L'avocat de CN a aussi expliqué la divergence à Michel Doucet, le membre du Tribunal saisi de l'affaire. L'avocat de CN a expliqué que, selon les indications fournies par Mme Rusnak la nuit précédente, les données originales pouvaient être trompeuses en ce qui a trait aux circonstances pour lesquelles des employés seraient classés comme étant disponibles pour le travail. [Non souligné dans l'original.]

[23] Les extraits de la transcription reproduits ci-dessus montrent clairement que le souvenir de Me Paquette n'est pas entièrement exact. Il n'a jamais donné d' explication au Tribunal au sujet de ce qu'il décrit comme une divergence dans la preuve. Au plus, il a déclaré que [traduction] [t]ard hier soir, ou tôt ce matin il avait été [traduction] avisé que les dossiers du CATS pourraient être inexacts en ce qui a trait à la question de disponible par rapport à travaille , sans donner d'autre explication ou détail. Il a même ajouté : [traduction] en ce moment, il n'y a pas vraiment de renseignement comme tel . Il n'a certainement jamais mentionné que ces renseignements avaient été fournis par Mme Rusnak, nom que le Tribunal n'a vu pour la première fois que dans l'affidavit de Mme Storm, ni même que ces renseignements lui avaient été présentés par Mme Storms.

[24] Dans son affidavit, Mme Storms a donné une explication plus détaillée de ce qui s'est produit le soir du 11 novembre 2009. Elle a expliqué qu'elle n'a pas créé les feuilles de calcul Excel au sujet desquelles elle a été interrogée et contre-interrogée en détail. Elle a soutenu aussi qu'elle a vu ces documents pour la première fois alors qu'elle se préparait pour son témoignage dans l'affaire Seeley. Selon son affidavit, les feuilles de calcul Excel ont été créées à partir du programme CATS de CN par un employé du Resources Management Group de CN (groupe de gestion des ressources), mais le nom de l'employé n'a pas été précisé. Elle a ajouté : [traduction] Cependant, parce que je n'ai pas préparé les données originales et que j'ai vu des rapports semblables par le passé, j'ai supposé au moment de mon témoignage, tant à l'audience Seeley qu'à l'audience des affaires Whyte et Richards, que [la feuille de calcul Excel] était un document complet portant sur les registres de travail complets des 47 employés. [Non souligné dans l'original.]

[25] Au paragraphe 7 de son affidavit, elle a ajouté :

[traduction]

Le soir du 11 novembre 2009, pendant l'audience des affaires Richards et Whyte, j'ai demandé à Michelle Rusnak, une superviseure d'équipe au Centre de gestion des équipes, d'examiner les registres de travail de chacun des 47 employés. Plus précisément, je voulais vérifier où se trouvaient les 47 employés les jours où les données originales indiquaient qu'ils n'étaient pas disponibles (en raison de congés, de vacances, de maladie, de congés autorisés, etc.) afin d'aider M. Paquette à possiblement expliquer pourquoi ces employés avaient travaillé moins souvent que prévu. En menant cet examen, Mme Rusnak m'a avisée que les données originales semblaient incomplètes.

[26] Mme Storms a déclaré qu'elle avait immédiatement avisé Me Paquette de cette divergence aux petites heures du matin le 12 novembre 2009. Elle a ensuite écrit que le matin du 12 novembre 2009, Me Paquette a présenté cette information à Me Chahley et Me Osborne-Brown, l'avocate de la Commission. Elle a aussi ajouté que [traduction] M. Paquette a aussi avisé M. Michel Doucet, le membre du Tribunal saisi de l'affaire, de cette divergence. Malheureusement, la transcription de l'audience n'appuie pas cette prétention. Ce n'est pas Me Paquette qui a soulevé la question devant le Tribunal, mais bien Me Chahley, et lorsque Me Paquette a abordé le sujet, il n'a pas expliqué ce que cette divergence était, mais a seulement mentionné que les renseignements des feuilles de calcul Excel étaient incomplets, sans donner de détails. Il a même ajouté [traduction] en ce moment, il n'y a pas vraiment de renseignement comme tel.

[27] Enfin, Mme Storms a expliqué qu'après la conclusion de l'audience Richards et Whyte, elle a demandé à ce que l'exactitude des registres de travail des 47 employés soit examinée par le groupe de gestion des ressources de CN. Selon son affidavit, les registres de travail complets des 47 employés ont été extraits [traduction] de divers systèmes informatisés et [traduction] un nouveau document Excel a été créé qui constituait [traduction] le dossier le plus exact pour l'année 2005, dans lequel on retrouve le terminal dans lequel chacun des 47 employés a travaillé et combien de quarts de travail chacun des 47 employés a assuré.

III. La question en litige

[28] La seule question en litige dans la présente requête est celle de savoir si le Tribunal devrait accorder la requête de CN et lui permettre de rouvrir l'affaire pour présenter de nouveaux éléments de preuve qui, comme le soutient CN, n'étaient pas disponibles à l'audience.

[29] La Commission a soulevé une autre question. Elle soutient que le Tribunal est dessaisi parce qu'il a [traduction] déjà tranché la question au sujet du fait que les documents du CATS étaient prétendument incomplets. Un examen attentif de la transcription du 12 novembre 2009 montre clairement que ce n'est pas une description correcte de ce qui s'est passé ce matin-là. Le 12 novembre, aucune requête n'a été présentée au Tribunal pour qu'il tranche [traduction] la question du caractère incomplet des documents du CATS . Par conséquent, aucune ordonnance ne peut avoir été rendue à ce sujet. La seule ordonnance rendue ce matin-là était celle enjoignant à Me Paquette d'aviser Me Renouf, l'avocat de Mme Seeley, des nouveaux développements concernant les documents du CATS.

IV. LE DROIT

[30] La seule jurisprudence présentée par les parties pour la question en litige est la décision du Tribunal dans l'affaire Vermette c. Société Radio-Canada [1994] D.C.D.P. n° 14 (conf. [1996] A.C.F. no 1274). Dans cette décision, le Tribunal a appliqué le critère établi dans Gass c. Childs (1958), 43 M.P.R. 87, pour justifier la réception d'un nouvel élément de preuve :

Dans l'affaire Gass v. Childs, (1958) 43 M.P.R. 87, à la p. 93, le juge Ritchie énonce trois critères dont un tribunal doit vérifier l'existence avant d'exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir une preuve :

[traduction]

Les trois conditions énumérées ci-dessous doivent être réunies pour qu'un tribunal soit justifié d'accepter de nouveaux éléments de preuve ou d'ordonner un nouveau procès :

1. il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n'aurait pas été possible d'obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;

2. les éléments de preuve doivent être susceptibles d'influer substantiellement sur l'issue de l'affaire, quoiqu'ils n'aient pas à être déterminants;

3. les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s'il n'est pas nécessaire qu'ils soient irrécusables.

[31] Dans Vermette, le Tribunal a aussi mentionné d'autres décisions qui portaient sur une demande de réouverture de dossier :

Dans leur ouvrage The Law of Evidence in Civil Cases, MM. Sopinka et Lederman décrivent ainsi les principes applicables à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire dans les cas où la demande de réouverture est soumise après le prononcé de la décision :

[traduction] Hors les cas de fraude ou de surprise, il doit s'agir d'éléments de preuve récemment obtenus qui n'auraient pas pu être découverts pendant l'instruction, même en faisant preuve de diligence raisonnable, et dont la nature fait qu'ils auraient pu constituer un facteur déterminant dans la décision (à la p. 542).

Dans les cas où la demande de réouverture est soumise avant que la décision soit rendue, il a été reconnu que les tribunaux disposent de plus de latitude. Dans l'ouvrage précité, MM. Sopinka et Lederman indiquent que la réouverture peut être accordée [TRADUCTION] lorsque l'intérêt de la justice le requiert (à la p. 541). À l'appui de cette affirmation, ils citent notamment l'affaire Sunny Isle Farms v. Mayhew (1972), 27 D.L.R. (3d) 323 (C.S.Î.-.P.-É.), dans laquelle le juge Nicholson a fait siens les propos suivants tenus par le juge Boyle dans l'affaire Sales v. Calgary Stock Exchange, [1931] 3 W.W.R. 392, à la p. 394 (C.A.Alb.) :

[traduction] Rouvrir un procès une fois que toute la preuve a été reçue est, selon moi, un geste très grave. Cela ne devrait jamais être fait à moins qu'il ne semble impératif, dans l'intérêt de la justice, de rouvrir la preuve pour y ajouter de nouveaux éléments.

[32] Dans sa requête, CN soutient que l'ordonnance qu'elle demande devrait être accordée parce que la situation soulevée satisfait aux volets du critère établi dans la décision Vermette. Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que CN n'a pas satisfait à ce critère et que la requête de CN est donc rejetée. Le Tribunal traitera chacun des volets du critère, bien que le défaut de satisfaire à un seul des volets soit suffisant pour rejeter la requête.

(i) Aurait-il été possible, en faisant preuve de diligence raisonnable, d'obtenir la preuve pour présentation à l'audience, avant ou pendant l'audience?

[33] La réponse à ce volet est oui . La requête de CN et l'affidavit de Mme Storms à l'appui de la requête, ainsi que la transcription de l'audience, montrent clairement que les renseignements que CN souhaite maintenant présenter au Tribunal pouvaient être obtenus avant et pendant les deux audiences.

[34] Examinons d'abord l'affidavit de Mme Storms : il est clair que si CN avait fait preuve de diligence raisonnable pendant l'audience Seeley, ou immédiatement après cette audience, et même après le témoignage de Mme Storms à l'audience des affaires Whyte et Richards, elle aurait facilement pu obtenir les renseignements. À ce sujet, Mme Storms a déclaré au paragraphe 7 de son affidavit :

[traduction]

Pendant mon témoignage à l'audience des affaires Whyte et Richards, l'avocate des plaignantes a noté que les données originales semblaient indiquer que plusieurs des 47 employés n'avaient pas réellement travaillé pendant plusieurs jours de suite en 2005, alors qu'ils paraissaient comme disponibles (pour CN, cela signifie qu'un employé peut être appelé, mais qu'il n'est pas présentement au travail). Cela m'a surpris parce que j'étais à Vancouver gérant la pénurie d'employés à la fin 2005 et qu'il s'agissait d'un terminal très occupé à l'époque. De plus, CN avait demandé aux employés de se présenter à Vancouver en raison d'une des pénuries d'employés les plus importantes que CN ait vécue. À mon avis, les employés auraient dû avoir plus de quarts de travail inscrits dans les données originales. Cependant, j'ai souvent travaillé avec des documents semblables à celui qui a été produit et j'ai cru que le rapport était complet.

[Non souligné dans l'original.]

[35] Ce paragraphe laisse perplexe pour de nombreuses raisons. D'abord, le fait que Mme Storms se soit déclarée [traduction] surprise que les [traduction] données originales semblent indiquer que plusieurs des employés n'avaient pas réellement travaillé pendant la pénurie à Vancouver ne paraît pas dans son témoignage à l'audience. Par exemple, pendant le contre-interrogatoire mené par Me Chahley le 26 octobre 2009, on lui a demandé directement si elle pouvait expliquer pourquoi des employés seraient disponibles à Vancouver, sans travailler. Sa réponse a été : [traduction] je ne dis pas que ça ne pourrait pas arriver, je dis juste que ce serait très inhabituel, que ça a pu se produire, mais que ça serait inhabituel. C'est tout ce que je dis. Puis, lorsque Me Chahley lui a demandé : [traduction] Pouvez-vous expliquer pourquoi l'employé Monsieur M. était encore disponible et qu'il ne travaillait pas? , elle a répondu [traduction] Non, je ne peux pas. Rien n'indique qu'à ce moment là, elle a été [traduction] surprise par cette information et qu'elle tenterait de trouver une explication. Rien ne montrait non plus qu'elle doutait de la validité de l'information. Au contraire, elle n'a pas rejeté la possibilité que l'information était exacte, elle a seulement ajouté que c'était [traduction] inhabituel , mais que [traduction] ça a pu se produire .

[36] L'autre problème que je relève au paragraphe 7 de l'affidavit de Mme Storms est la dernière phrase, qui se lit comme suit : [traduction] Cependant, j'ai souvent travaillé avec des documents semblables à celui qui a été produit et j'ai cru que le rapport était complet. Si je comprends bien cette phrase, Mme Storms nous dit qu'elle a supposé que le rapport était complet et exact parce qu'elle avait [traduction] souvent travaillé avec des documents semblables . Son témoignage à l'audience et la façon dont elle a répondu aux questions qui lui ont été posées en interrogatoire et en contre-interrogatoire corroborent cette conclusion. Lorsqu'elle a témoigné, elle n'avait aucun doute au sujet de l'exactitude des documents. Si Mme Storms avait douté de l'exactitude, elle aurait certainement fait les vérifications nécessaires et soulevé la question immédiatement auprès de l'avocat de CN, elle n'aurait pas attendu jusqu'au 11 novembre, soit quatorze jours après son témoignage à l'audience Whyte et Richards et plus d'un mois et demi après son témoignage dans l'affaire Seeley, pour soulever ses inquiétudes. Elle n'explique pas dans son affidavit pourquoi elle n'a pas vérifié et n'a pas posé de questions avant le soir du 11 novembre 2009, ni pourquoi elle a senti le besoin de le faire le 11 novembre.

[37] Il ressort aussi de son affidavit que l'examen des [traduction] registres de travail ne nécessitait pas beaucoup d'heures de travail. Au paragraphe 8, elle déclare que [traduction] le soir du 11 novembre 2009 , elle a demandé à Michelle Rusnak, une superviseure d'équipe, d'examiner les [traduction] registres de travail des 47 employés. Mme Rusnak a rapidement relevé les [traduction] divergences , parce que le même soir, elle a avisé Mme Storms que [traduction] les données originales pour plusieurs des 47 employés étaient incomplètes . Plus tard ce soir là, ou tôt le lendemain matin, Mme Storms a avisé Me Paquette.

[38] Quant à savoir si CN était au courant qu'il y avait plus de renseignements dans le CATS que ce qu'elle avait décidé de produire en preuve, une fois de plus les réponses de Mme Storms lors de son contre-interrogatoire sont révélatrices. Dans une partie de son contre-interrogatoire, qui a été reproduite ci-dessus, elle soulève elle-même la possibilité que les renseignements complets ne se trouvaient pas tous dans la feuille de calcul Excel originale. Ci-dessous se trouvent ces extraits de la transcription :

[traduction]

MME CHAHLEY : Donc, nous savons qu'un employé était disponible pour travailler au moins un de ces deux jours, et possiblement les deux jours, c'est bien ça?

MME STORMS : Une fois de plus, c'est très difficile à dire sans le dossier de travail complet.

MME CHAHLEY : Eh bien, Mme Storm, CN ne m'a pas donné le dossier de travail complet. C'est tout --

MME STORMS : Je comprends ça.

MME CHAHLEY : -- ce que j'ai [...] Et j'ai cru que CN me donnait le document qui me donnait l'information.

[39] De plus, Mme Storms mentionne aussi dans son contre-interrogatoire que ces renseignements étaient une [traduction] capture d'écran de données compilées par le logiciel vers environ quatre heures du matin. Une fois de plus, il est important de reproduire l'échange entre Mme Storms et Mme Chahley à ce sujet :

[traduction]

MME STORMS : Bien, parce que ce type de document est généralement une capture d'écran à une heure précise, je dis que ça serait difficile de vous le dire, oui.

MME CHAHLEY : Donc, nous ne pouvons pas supposer qu'un de ces employés était disponible l'un de ces jours?

MME STORMS : Non - c'est difficile à dire. Disons que la capture d'écran a été faite à quatre heures du matin et que l'employé paraît disponible, mais qu'il travaillait à huit heures, je ne le verrais pas dans ce document.

MME CHAHLEY : Il ne serait pas indiqué qu'il travaille, si l'employé a travaillé pendant la journée?

MME STORMS : Je suis désolée oui, vous avez raison.

[40] Cet échange contredit clairement la déclaration de CN au paragraphe 6 de sa requête, où elle soutient : [traduction] Cependant, sans que CN ne le sache au moment de l'audience, les données originales ont été compilées par le logiciel, qui effectue une capture d'écran de la journée de travail d'un employé vers environ quatre heures du matin. [Non souligné dans l'original.] Si CN ne le savait pas, son témoin principal à ce sujet le savait certainement.

[41] Mme Storms a beaucoup d'expérience à titre de directrice du Centre de gestion des équipes et elle a démontré, tout au long de son témoignage, ses connaissances du fonctionnement de CN en ce qui a trait au recrutement d'équipes. Elle avait une très bonne compréhension du CATS et des dossiers que le système pouvait générer. CN n'a pas choisi Mme Storms comme témoin au hasard, mais l'a plutôt choisie en raison de sa bonne connaissance de la gestion des équipes.

[42] Si CN y avait mis des efforts, elle aurait pu obtenir cette preuve à temps pour l'audience. L'affidavit de Mme Storms donne clairement à penser que CN avait les renseignements en sa possession. Cette conclusion est confirmée par le fait que Mme Rusnak, qui, selon l'affidavit de Mme Storm, a effectué un examen des registres de travail des employés le soir du 11 novembre 2009, n'a pas semblé avoir de difficulté à recueillir les renseignements. Le Tribunal est d'avis que le fait d'attendre à la veille des conclusions finales pour essayer de trouver une explication n'est pas une preuve de la diligence raisonnable nécessaire pour satisfaire au premier volet du critère établi dans Vermette. Le Tribunal conclut donc que CN n'a pas satisfait au premier volet du critère.

[43] Cette conclusion serait suffisante pour trancher la requête, mais comme les parties ont présenté des arguments exhaustifs au sujet des deux autres volets du critère, le Tribunal les traitera.

(ii) L'élément de preuve influerait-il substantiellement sur l'issue de l'affaire, sans qu'il n'ait à être déterminant?

[44] Dans sa requête, CN déclare que sans la [traduction] nouvelle preuve [...] le Tribunal pourrait conclure que le rappel au travail n'a jamais été nécessaire et que, par conséquent, le congédiement des plaignantes n'aurait jamais dû survenir ou qu'il n'était pas lié au refus de se présenter au travail pour répondre à la pénurie d'employés. Cette allégation est, au mieux, hasardeuse. Il serait très surprenant que le Tribunal conclue que le rappel au travail pour répondre à la pénurie d'employés à Vancouver n'était pas nécessaire.

[45] L'autre raison présentée par CN pour expliquer pourquoi [traduction] la nature des données mises à jour pourrait avoir [traduction] un effet déterminant est que [traduction] le Tribunal pourrait tirer des conclusions erronées au sujet de la capacité de CN en 2005 d'accommoder les plaignantes jusqu'à contrainte excessive. La requête de CN ne fournit aucune raison qui explique comment ces [traduction] données mises à jour pourraient affecter son argument au sujet de la contrainte excessive.

[46] CN n'a pas démontré dans sa requête de quelle façon le contenu de la nouvelle feuille de calcul influerait substantiellement sur l'issue de l'affaire.

(iii) La preuve paraît-elle crédible?

[47] CN demande une ordonnance lui permettant de rouvrir l'affaire afin de présenter des preuves prétendument plus exactes au sujet d'un document qu'elle a préparé, qui faisait partie de ses éléments de preuve et qui porte sur des renseignements au sujet desquels elle avait le contrôle total.

[48] CN avait le fardeau d'établir les faits nécessaires afin d'aider le Tribunal à déterminer si la preuve paraît crédible. Dans son affidavit, Mme Storms a expliqué sommairement comment les nouveaux renseignements ont été recueillis. Elle a déclaré qu'après l'audience des affaires Richards et Whyte, elle a demandé que les registres de travail des 47 employés soient examinés par le groupe de gestion des ressources de CN pour en déterminer l'exactitude. Elle n'a pas précisé ce qu'est le groupe de gestion des ressources ni qui dans ce groupe, à part Mme Rusnak, était chargé d'effectuer l'examen. En ce qui a trait à la méthodologie suivie pour ce travail, elle explique seulement dans son affidavit que les [traduction] registres de travail complets ont été [traduction] extraits de divers systèmes informatisés , sans donner plus de détails.

[49] Ces renseignements très limités ne donnent pas au Tribunal le contexte factuel nécessaire pour établir si la nouvelle preuve paraît crédible . CN a reproduit cette nouvelle preuve dans l'affidavit de Mme Storms, mais à cette étape, le Tribunal n'a pas à déterminer si les renseignements sont crédibles, compte tenu du fait que le Tribunal n'a pas eu la possibilité d'entendre le témoignage des personnes qui ont préparé le document et que ces personnes n'ont pas été contre-interrogées. À cette étape préliminaire, CN a le devoir de présenter une preuve suffisante pour aider le Tribunal à déterminer si les renseignements paraissent crédibles, ce qu'elle n'a pas fait.

[50] Même si le Tribunal donnait le bénéfice du doute à CN pour ce volet, il n'ordonnerait tout de même pas la réouverture de l'affaire, parce que CN n'a pas satisfait aux deux autres volets du critère Vermette.

V. Conclusion

[51] Dans ses arguments, CN déclare que le fait de rouvrir l'affaire ne causerait aucun préjudice aux autres parties et que la question soulevée dans la requête est fondamentalement une question d'équité envers CN. CN doit comprendre que l'équité est juste et convenable et qu'elle joue dans les deux sens. Les plaignantes et la Commission ont le droit d'être traitées et jugées avec la même équité que CN. CN avait le contrôle des renseignements. CN a eu deux occasions d'interroger Mme Storms et ses autres témoins au sujet des documents. Les témoins de CN ont été contre-interrogés en détail au sujet de ces documents. CN a eu entièrement l'occasion de corriger les renseignements s'ils étaient inexacts. Elle ne l'a fait qu'à la dernière journée d'audience, lorsque son avocat a soulevé le fait que certains des renseignements pouvaient être inexacts, sans donner de détails. CN ne peut pas maintenant soutenir que le rejet de sa requête serait inéquitable envers elle.

[52] Après un examen attentif des documents et des arguments présentés par les parties, le Tribunal est d'avis que CN n'a pas satisfait au critère établi dans la jurisprudence pour la réouverture d'une audience dans le but de présenter de nouvelles preuves. En particulier, elle n'a pas démontré qu'elle a fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir la preuve à temps pour l'audience.

[53] Pour ces motifs, la requête de CN est rejetée.

Signée par
Michel Doucet
OTTAWA (Ontario)

Le 23 mars 2010

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1354/8408 et T1356/8608
INTITULÉ DE LA CAUSE : Kasha A. Whyte c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Cindy Richards c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL : Le 23 mars 2010
ONT COMPARU :
Leanne M. Chahley Pour la plaignante
Sheila Osborne-Brown Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Simon-Pierre Paquette Pour l'intimée
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