Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 2/ 84 Décision rendue le 12 janvier 1984

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, c. 33, modifiée, ET DANS L’AFFAIRE d’une audience devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE JEAN WOOD ET LYNNE SULLIVAN plaignantes - ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DE SOCCER mis en cause

DEVANT : Robert W. Kerr Susan Ashley Sheila Pollock

Décision du tribunal

Ont comparu : C. Christopher Johnston et J. Aidan O’Neill Avocats de la Commission canadienne des droits de la personne
Lawrence P. Kelly Avocat du mis en cause

Date de l’audience Le 29 août 1983 à Toronto (Ontario) >

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, c. 33, modifiée, ET DANS L’AFFAIRE d’une audience devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ENTRE JEAN WOOD et LYNNE SULLIVAN plaignantes - ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DE SOCCER mis en cause

Les plaignantes dans la présente affaire sont des agents du Comité national d’action sur le statut de la femme qui ont porté plainte à titre personnel et, au nom du Comité, à titre de groupe d’individus conformément au

paragraphe 32( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne et du mis en cause ont comparu à l’audience. L’une des plaignantes, Lynne Sullivan, était présente. Le tribunal lui ayant demandé si elle désirait comparaître en son nom propre, elle a choisi de s’en abstenir.

Le mis en cause est une personne morale légalement constituée à l’origine sans capital- actions en vertu de la Loi des compagnies, 1917, du Canada. Établi à titre d’organisme de direction du soccer au Canada, il est reconnu, grâce à son affiliation avec la Fédération Internationale de Football Association, comme l’organisme canadien autorisé à sanctionner la tenue de compétitions de soccer au Canada avec des équipes étrangères. Selon ses règlements, qui lient ses membres, toutes les compétitions de ce type doivent être sanctionnées par le mis en cause, à moins qu’elles ne regroupent que des équipes canadiennes et

> - 2 américaines. Les principaux membres de l’association mise en cause sont les associations provinciales de soccer, même si certaines ligues de soccer peuvent également en faire partie. Les associations provinciales sont composées d’associations de district, de ligues et de clubs dans chaque province et territoire, et les personnes qui s’intéressent au soccer deviennent vraisemblablement membres de l’une de ces organisations à l’intérieur d’une province. Le mis en cause n’exerce son autorité en matière de soccer au Canada que dans la mesure où ses membres s’y soumettent volontairement et assurant ainsi certaines obligations contractuelles car rien n’indique qu’il soit légalement autorisé à réglementer le soccer au Canada.

La plainte découle d’événements survenus à l’occasion du tournoi international Robbie de 1981. Ce tournoi est une compétition organisée par la Scarborough Youth Soccer Association et qui regroupe des équipes de divers pays. Tenue chaque année, cette manifestation est sanctionnée par le mis en cause du fait de son caractère international.

Le tournoi Robbie comprend plusieurs secteurs de compétition, selon le sexe et l’âge. Les compétitions masculines et féminines ont eu lieu à des dates différentes en 1981, bien qu’elles soient maintenant prévues pour les mêmes dates. Tant du côté des garçons que de celui des filles, il y a six groupes d’âge, mais la répartition n’en est pas la même. Chez les filles, il existe une catégorie d’âge illimité, que l’on ne retrouve pas chez les garçons.

> - 3 Lors du tournoi masculin de 1981, deux équipes étrangères, l’une des États- Unis et l’autre du Danemark, avaient chacune une fille sur la liste de leurs joueurs réguliers. Allegra Milholland des États- Unis faisait partie du groupe des moins de dix ans et Lolita Larsen du Danemark, de celui des moins de seize ans. Après avoir d’abord refusé aux deux filles la permission de jouer, le bureau de l’association responsable du tournoi l’a finalement accordée à Milholland, mais non à Larsen. Il semble que cette décision ait été fondée sur l’opinion voulant que les différences physiques entre garçons et filles aient été plus marquées chez les moins de seize ans et que le jeu y ait été plus robuste, ce qui créait un risque inacceptable pour la sécurité

de Larsen. Selon les plaignantes, ces faits constituaient un acte discriminatoire contraire au paragraphe 5 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce sens que l’on avait privé quelqu’un de la chance de prendre part au... tournoi... en raison de son âge et de son sexe.

Il semblerait que, s’il y a eu discrimination, la Scarborough Youth Soccer Association en serait la principale responsable. D’après la preuve, le mis en cause n’y serait pour quelque chose que dans la mesure où il a sanctionné le tournoi. Toutefois, comme il est obligatoire d’obtenir cette sanction en vertu des règlements appliqués par le mis en cause à titre d’organisme de direction du soccer au Canada, la participation de ce dernier est probablement plus importante.

> - 4 Il convient d’aborder ici une question préliminaire liée à l’identité exacte du mis en cause. D’après la plainte, c’est l’Association canadienne juvénile de soccer qui s’est livrée à un acte discriminatoire. Au moment du dépôt de la plainte, cette association était perçue en effet comme un organisme distinct de régie du soccer chez les jeunes au Canada. Légalement, toutefois, elle n’était qu’un comité mis sur pied par l’Association canadienne de soccer pour donner plus d’importance au soccer chez les jeunes. Le président de l’Association juvénile ou, en fait, le président du comité était membre du bureau de l’Association canadienne de soccer. Cette dernière a d’ailleurs révisé sa terminologie par la suite pour rendre compte de cette réalité.

L’Association canadienne de soccer semble avoir délégué à l’Association juvénile sa fonction de régie du soccer chez les jeunes. Au moment où le présumé acte discriminatoire s’est produit, le président de l’Association juvénile était Alan W. Southard qui présidait en outre le comité d’organisation du tournoi Robbie. En fait, le tournoi a été sanctionné au nom de l’Association juvénile par Kevin Pipe qui était à l’époque coordonnateur du Développement des jeunes à l’Association canadienne de soccer.

Lors de l’audience tenue le 29 août 1983, des dépositions ont été faites au sujet des événements survenus relativement au tournoi Robbie de 1981 pour les garçons, de la structure et du rôle du mis en cause ainsi que des

> - 5 différences physiologiques entre les sexes qui pourraient justifier la ségrégation aux fins des compétitions de soccer. Les avocats se sont ensuite demandé si, compte tenu de ces éléments de preuve, il y avait eu discrimination et si, dans l’affirmative, l’Association canadienne de soccer y était pour quelque chose.

Au cours d’une rencontre préliminaire tenue après l’audience pour réfléchir à notre décision, nous avons conclu qu’il fallait d’abord déterminer si les activités du mis en cause tombaient sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne compte tenu de la répartition des pouvoirs établie par la Constitution canadienne dans le domaine des droits de la personne. Comme aucune des parties représentées à l’audience n’avait

soulevé cette question, nous avons ordonné au secrétaire du tribunal de communiquer avec les parties pour les inviter à demander la réouverture de l’audience afin de faire des observations de vive voix ou par écrit à ce sujet. Les avocats ayant choisi de procéder par voie d’observations écrites, le tribunal a reçu en temps utile des avocats de la Commission canadienne des droits de la personne et du mis en cause des observations préliminaires suivies de réponses aux questions qui leur avaient été posées.

Ce qui nous préoccupe, c’est que, d’une manière générale, les droits de la personne ressortissent principalement à la question de la propriété et des droits civils, laquelle relève de la compétence des provinces. Par conséquent, leur application se limite aux domaines où, en vertu de quelque autre pouvoir, le Parlement est habilité à intervenir dans les affaires de propriété et de droits civils. Cette marge de manoeuvre limitée

> - 6 est reconnue à l’article 2 de la Loi qui fait état de l’intention du Parlement d’assurer l’égalité des chances dans le champ de compétence du Parlement du Canada.

Cette autorité législative du gouvernement fédéral est bien établie dans un certain nombre de secteurs d’activité, par exemple, les banques en vertu du paragraphe 91( 15) de la Loi constitutionnelle de 1867- 1982, les entreprises et ouvrages interprovinciaux en vertu du paragraphe 91( 29) de la Constitution qui englobe les points mentionnés aux alinéas a) à c) du paragraphe 92( 10), et les entreprises mises sur pied dans des domaines tels que l’aéronautique et la radiodiffusion qui relèvent de l’autorité fédérale en vertu du pouvoir résiduel prévu à l’article 91 de la Constitution. Nous avons cependant été incapables d’établir que les activités du mis en cause entraient de toute évidence dans l’une ou l’autre de ces catégories. Par conséquent, nous avons invité les avocats à nous faire part de leurs observations avant de décider si le mis en cause était visé par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a signalé plusieurs facteurs qui auraient pour effet de soumettre le mis en cause aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Premièrement, le caractère national du mis en cause l’écarterait des catégories de sujets attribués au pouvoir législatif provincial et l’assujettirait au pouvoir résiduel conféré au gouvernement fédéral par l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867- 1982. Deuxièmement, le mis en cause a les caractéristiques d’une entreprise interprovinciale au sens du paragraphe 92( 10) de la Constitution et serait donc soumis à la compétence fédérale en vertu du paragraphe 91( 29) de la Constitution. Troisièmement, le mis

> - 7 en cause étant régi par le droit fédéral des sociétés à titre de personne morale à charte fédérale, la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquerait à cet aspect de son existence puisque ses actes discriminatoires peuvent influer sur la situation de ses membres. Quatrièmement, puisque le mis en cause se livre à des activités internationales et interprovinciales, il relèverait du pouvoir fédéral en matière de commerce. Cinquièmement, compte tenu du nouvel examen du pouvoir

fédéral de mettre en oeuvre les obligations conventionnelles du Canada, que propose le juge en chef Laskin dans l’affaire MacDonald v. Vapour Canada Ltd. (1977) 2 S. C. R. 134, 22 C. P. R. (2d) 1, 4 N. R. 477, 66 D. L. R. (3d) 1 D. L. R. 27- 29, et compte tenu des diverses obligations conventionnelles du Canada en matière de droits de la personne, le gouvernement fédéral aurait le pouvoir de légiférer de façon générale à ce sujet de manière à assujettir le mis en cause à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il est fort douteux que le Parlement du Canada ait le pouvoir, à cause de ses obligations conventionnelles internationales, de légiférer au sujet de questions ne relevant pas autrement de sa compétence. Nous jugeons inutile de trancher cette question puisque rien n’indique que le Parlement avait l’intention d’exercer un tel pouvoir lorsqu’il a promulgué la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au contraire, puisque le Parlement a fait explicitement état de ses buts à l’article 2 de la Loi et qu’il n’y a pas mentionné les obligations internationales, nous sommes persuadés que telle n’était pas son intention. Nous ne saurions croire que si le Parlement s’était fixé un objectif aussi important, il aurait omis d’en faire mention. Il n’y a donc pas lieu de conclure que la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique à des questions ne relevant pas de la compétence fédérale en vertu de la répartition normale des pouvoirs prévue par la Loi constitutionnelle.

> - 8 Pour établir la compétence fédérale, la Commission a justement invoqué en outre la répartition normale des pouvoirs. Nous allons maintenant nous demander si les activités du mis en cause peuvent, à ce titre, tomber sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pour ce qui est du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de droit des sociétés, il est certainement posible que le Parlement puisse légiférer à l’égard de la discrimination touchant les aspects du droit des sociétés auxquels sont soumises les personnes morales à charte fédérale. Toutefois, il n’est pas clair que l’actuelle Loi canadienne sur les droits de la personne le fasse. Ses dispositions ne sont certainement pas formulées de manière à pouvoir être facilement mises en rapport avec ce que l’on trouve normalement dans une loi établissant les dispositions de base du droit des sociétés. Il faut jouer considérablement avec les mots même pour dire que les questions d’affiliation ainsi que de structures et de finances des sociétés, qui constituent les éléments de base habituels du droit des sociétés, sont des installations destinées au public, et il est difficile de trouver quelque autre rapport que ce soit de la Loi canadienne sur les droits de la personne avec ces questions. En admettant toutefois que ces questions relatives aux sociétés entrent dans la catégorie des installations et relèvent donc de la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous ne disposons d’aucun élément de preuve nous permettant de conclure qu’un acte discriminatoire a été commis à ce sujet. Il est vrai que le mis en cause pourrait suspendre un membre qui ne se serait pas conformé à ses règlements et il semble que la Fédération internationale s’attende à ce qu’il applique des règles de ségrégation sexuelle aux compétitions de soccer, mais il est prouvé que le mis en cause n’a absolument rien fait en ce sens. Donc, même si la Loi canadienne sur les droits de la personne s’applique en fonction du droit des sociétés, rien ne permet de conclure à l’existence d’une infraction à cet égard.

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- 9 L’avocat de la Commission a fait valoir de façon assez astucieuse que, étant donné que le mis en cause avait une charte fédérale et que le texte de loi autorisant sa constitution en corporation faisait état d’ objets qui ressortissent à l’autorité législative du Parlement du Canada, nous devrions conclure que les activités du mis en cause relevaient de la compétence législative fédérale. Cependant, il n’y a absolument pas lieu de tirer cette conclusion. L’allusion faite à des objets qui ressortissent à l’autorité fédérale à l’article 154 de la Loi sur les corporations canadiennes concerne le pouvoir résiduel du gouvernement fédéral de constituer en corporations des compagnies qui poursuivent des objets autres que provinciaux. Il suffit à cette fin que les objets de la corporation aient une dimension supraprovinciale, même si les activités réelles de la corporation relèvent à tous égards de la seule compétence de la province où elles ont lieu : John Deere Plow Co. v. Wharton, (1915) A. C. 330, 7 W. W. R. 706, 18 D. L. R. 353 (P. C.); Canadian Indemnity Co. v. Attorney- General for British Columbia, (1977) 2 S. C. R. 504, (1976) 5 W. W. R. 748, 30 C. P. R. (2d) 1, 11 N. R. 466, 73 D. L. R. (3d) 111. Bien que la corporation se trouve ainsi à relever de l’autorité fédérale en matière de droit des sociétés, elle n’est pas assujettie à d’autres égards aux lois fédérales touchant la propriété et les droits civils. Les objets de la corporation, auxquels il est fait allusion à l’article 154 de la Loi sur les corporations canadiennes, peuvent ressortir à l’autorité législative fédérale à cause de la nature du pouvoir fédéral de constitution en corporation, alors que très peu d’autres choses au sujet de la corporation relèvent de l’autorité législative fédérale.

Les affirmations de l’avocat de la Commission voulant que le mis en cause se livre à des activités commerciales interprovinciales et internationales ou exploite une entreprise interprovinciale peuvent facilement être étudiées ensemble puisqu’elles concernent des facteurs semblables. Si les

> - 10 activités du mis en cause constituent une entreprise interprovinciale, il est évident que ce dernier est assujetti à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que nous n’ayons été saisis d’aucun cas antérieur d’application de la Loi à des questions de commerce international et interprovincial, la Loi canadienne sur les droits de la personne peut certainement être invoquée à cet égard. Même au regard de la définition étroite du commerce fondée sur ce qui a été dit dans l’affaire Citizens’ Insurance Co. v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P. C.), la circulation de biens entre provinces et entre le Canada et d’autres pays constitue certainement du commerce aux fins du paragraphe 91( 2) de la Loi constitutionnelle de 1867- 1982. Il est évident que ce commerce se fait habituellement à une échelle qui soulève rarement les questions d’accès individuel que vise principalement la Loi canadienne sur les droits de la personne. Néanmoins, compte tenu des objectifs de l’union économique qui sous- tend la fédération canadienne, il semble juste d’affirmer que les objets du commerce international et interprovincial. sont considérés comme destinés au public canadien. Donc, le refus d’accès à des biens dans le cadre d’un tel commerce serait visé par l’interprétation littérale du texte d’au moins l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Étant donné que la Constitution interdit toute ingérence provinciale dans un tel commerce, comme en témoignent des causes telles que celle de l’Attorney General for Manitoba v. Manitoba Egg and Poultry Association, (1971) S. C. R. 689, (1971) 4 W. W. R. 705, 19 D. L. R. (3d) 169, il semblerait également que la

législation provinciale en matière de droits de la personne ne permette pas de régler efficacement les cas de refus des droits de la personne dans le domaine du commerce interprovincial et international. Cela nous amène donc à conclure que les questions de commerce interprovincial et international tombent sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

> - 11 Le fait que les entreprises interprovinciales de même que le commerce interprovincial et international soient assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne ne règle pas la question. Il reste à savoir si les activités du mis en cause relèvent de l’une ou l’autre de ces catégorie de pouvoir du gouvernement fédéral. Nous sommes d’avis que non. Les activités du mis en cause comprennent divers efforts en vue de faciliter et de promouvoir la compétition d’un bout à l’autre du Canada. Toutefois, le simple fait qu’une activité se déroule dans l’ensemble du Canada ne la rend pas interprovinciale, encore moins internationale. En dernière analyse, l’activité que le mis en cause cherche à faciliter et à promouvoir est exécutée au niveau local. Même si les joueurs qui participent à la compétition peuvent traverser les frontières provinciales ou nationales à cette fin, ce fait n’est qu’accessoire à la compétition elle- même. La compétition ne constitue pas plus une entreprise interprovinciale que ne l’était le commerce de l’Empress Hotel qui accueillait des clients provenant des diverses régions du Canada et du monde : C. P. R. v. Attorney- General of British Columbia, (1950) A. C. 122, (1950) 1 W. W. R. 220, 64 C. R. T. C. 266, (1950) 1 D. L. R. 721 (P. C.). Même si les ouvrages ou les entreprises mentionnés à l’alinéa 92( 10) a) de la Loi constitutionnelle de 1867- 1982 ne sont pas limités aux ouvrages ou aux entreprises de transport et de communication, ils doivent être, d’une certaine façon, des ouvrages ou des entreprises reliant des provinces ou s’étendant au- delà des limites d’une province. Or, selon la preuve qui nous a été présentée, les compétitions de soccer encouragées par le mis en cause ne possèdent aucune de ces caractéristiques.

De même, il n’y a de commerce interprovincial, ou international que s’il existe en quelque sorte des transactions entre provinces ou entre pays. Les compétitions de soccer organisées par le mis en cause ont lieu complètement

> - 12 à l’intérieur de frontières provinciales. Le fait pour les participants de franchir ces frontières afin de participer à de telles compétitions ne fait pas de celles- ci une forme de commerce international et interprovincial, pas plus que l’expédition de céréales dans le cadre d’opérations commerciales interprovinciales et internationales ne suffisait en elle- même à faire d’un silo à céréales touché par un tel commerce, mais exploité localement à l’intérieur d’une province, une question de commerce interprovincial et international R. v. Eastern Terminal Elevator Co., (1925) S. C. R. 434, (1925) 3 D. L. R. 1. S’il est vrai que la situation particulière des silos à céréales dans cette affaire a dû être considérée à la lumière d’une déclaration selon laquelle il s’agissait d’ouvrages pour le bénéfice général du Canada et à la lumière d’une justification additionnelle d’un tel règlement aux fins de protéger le commerce des céréales : R. v. Klassen (1959), 29 W. W. R. 369, 31 C. R. 275, 20 D. L. R. (2d) 406 (Man. C. A.), rien ne justifie l’assujettissement des activités du mis en cause à un régime visant à réglementer le commerce international et interprovincial. C’est dans le cadre d’un tel mécanisme de

réglementation du commerce des céréales que les silos à céréales ont fini par relever de l’autorité fédérale; or, aucun mécanisme semblable ne s’applique aux activités du mis en cause. Nous en concluons donc que les activités du mis en cause n’entrent dans le champ de compétence du Parlement ni à titre d’entreprise interprovinciale ni à titre de commerce interprovincial ou international.

Cela nous amène finalement à l’affirmation voulant que les activités du mis en cause soient visées par le pouvoir résiduel du Parlement. Il est indiscutable que les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent aux questions résiduelles conte les ouvrages et les entreprises interprovinciales.

> - 13 Toutefois, encore une fois, il est nécessaire de se demander si les activités du mis en cause entrent dans cette catégorie.

Les tribunaux ont éprouvé de la difficulté à exprimer de façon durable ce qui fait qu’une question non expressément mentionnée aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnellle de 1867- 1982 relève du pouvoir résiduel du gouvernement fédéral plutôt que des pouvoirs généraux des provinces sur la propriété et les droits civils en vertu du paragraphe 92( 13) de la Constitution ou sur les matières d’ordre local ou privé en vertu du paragraphe 92( 16) de la Constitution. Bien que la question ait été abordée tout récemment dans des affaires concernant les lois fédérale et provinciales relatives à l’usage des narcotiques, l’étude récente la plus claire en a été faite dans Re Anti- Inflation Act, (1976) 2 S. C. R. 373, 9 N. R. 541, 68 D. L. R. (3d) 452. Selon la décision du juge Beetz, qui a été appuyée par la majorité des nombres du tribunal à ce sujet, il s’agit des questions non mentionnées à l’article 92. Bien que la liste fédérale des pouvoirs se soit trouvée ainsi à être effectivement allongée, cela ne s’est produit que dans les cas où une nouvelle question, au lieu de représenter une sorte d’agrégat, possédait un degré d’unité qui la rendait indivisible, une identité qui la rendait distincte des questions provinciales, et assez d’uniformité pour conserver les limites de la forme. Il fallait également tenir compte de la mesure dans laquelle ces nouvelles questions permettaient au Parlement de s’occuper de questions provinciales, avant de les reconnaître comme des questions fédérales (D. L. R. 524).

Ces remarques du juge Beetz avaient trait à ce que l’on a souvent appelé l’intérêt national ou la dimension nationale du pouvoir général dévolu au gouvernement fédéral en matière de prix, d’ordre et de bon gouvernement.

> - 14 Dans tous les cas où cette notion a été appliquée, il y avait un facteur additionnel qui doit être supposé, même s’il n’est pas mentionné explicitement, dans le jugement du juge Beetz. L’intérêt national ou la dimension nationale ont invariablement été reconnus en dépit de certaines dispositions législatives fédérales, réelles ou proposées, régissant la question.

Dans la présente affaire, nous sommes aux prises avec deux questions les: droits de la personne et le sport du soccer. Même si la Loi canadienne sur les droits de la personne constitue un ensemble législatif fédéral, la

question des droits de la personne ne possède pas l’unité et l’idendité requises pour la faire relever du pouvoir résiduel du Parlement. Il s’agit d’un agrégat de questions. Donc, les droits de la personne ne relèvent pas, en eux- mêmes, du pouvoir résiduel fédéral, bien que les parties de l’agrégat qui se rattachent à d’autres questions relevant autrement du pouvoir général du gouvernement fédéral, comme les droits de la personne par rapport à l’aéronautique et la radiodiffusion soient visées par ce pouvoir fédéral.

Le soccer possède effectivement l’unité et l’uniformité qui pourraient répondre aux critères établis par le juge Beetz dans l’affaire Anti- Inflation. D’autre part, il est loin d’être certain que le soccer possède une identité qui le rende distinct des questions provinciales puisqu’il s’agit seulement d’une des nombreuses activités sportives et récréatives dont l’exploitation est généralement locale. De toute façon, il n’existe pas de dispositions législatives fédérales témoignant d’un intérêt national ou d’une dimension nationale. L’aspect international du soccer et le désir de coordonner le sport dans l’ensemble du Canada pourraient aider à justifier la législation fédérale, si elle existait, mais ils ne font pas relever le soccer du pouvoir fédéral dans l’abstrait.

> - 15 Il est vrai que les sommes considérables dépensées par le gouvernement fédéral en vue d’appuyer les activités du mis en cause témoignent d’un certain intérêt national. Toutefois, le pouvoir fédéral de dépenser peut être exercé à propos de questions ne relevant aucunement du pouvoir législatif fédéral. Le fait pour le gouvernement fédéral d’accorder une aide financière ne signifie donc pas que le Parlement considère cette question comme ressortissant à l’autorité législative fédérale. Dans la mesure où il ne chercherait pas ainsi par une voie détournée à s’immiscer dans la sphère de compétence provinciale, le Parlement pourrait influer sur des questions comme les droits de la personne en posant des conditions à la distribution de ses largesses financières, mais le pouvoir de dépenser ne lui permet pas d’imposer sa volonté de façon purement législative, ce qui constitue l’approche de la Loi canadienne sur les droits de la personne, plutôt que par l’entremise d’ententes contractuelles.

Nous reconnaissons que le fait d’exiger qu’une loi fédérale régisse une question pour que celle- ci relève du pouvoir résiduel fédéral, peut laisser entendre que l’on impose un critère semblable au critère d’urgence nationale favorisé par le juge Beetz dans l’affaire Anti- Inflation. L’affirmation du juge Beetz voulant qu’il doive y avoir une déclaration parlementaire d’urgence nationale a été rejetée par la majorité des membres du tribunal. Toutefois, la nécessité d’une loi fédérale pour faire la preuve d’un intérêt national ou d’une dimension nationale ressemble plus en fait à la nécessité de l’existence d’une preuve que le Parlement agissait en vertu de son pouvoir d’urgence, qui a été acceptée par la majorité dans l’affaire Anti- Inflation. Il est inconcevable que le tribunal ait déclaré que l’inflation rassortissait au pouvoir fédéral en l’absence d’une loi fédérale, existante ou proposée, concernant cette question. Il est vrai que la question ne se pose normalement pas dans l’abstrait, mais nous croyons qu’une telle exigence fait logiquement partie du critère servant à déterminer si la loi relève du pouvoir résiduel. Il

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n’existe pas de différence de texte entre le pouvoir résiduel et le pouvoir d’urgence en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867- 1982. Donc, la preuve de l’intention du Parlement d’exercer ce pouvoir s’imposerait autant dans un cas que dans l’autre.

Il est vrai que, dans le cas d’une loi fédérale proposée, il peut être impossible de dire qu’il existe une preuve de l’intention réelle du Parlement de traiter de la question si, selon le cas, le Parlement n’a pas encore étudié la loi proposée. Toutefois, en ce qui a trait à la constitutionalité de la loi proposée, la décision est toujours fondée sur la supposition que, aux fins de la discussion, la loi a été adoptée. L’adoption de la loi constituerait une preuve de l’intention du Parlement et, donc, sur la foi des faits supposés sur lesquels repose la décision relative à la loi proposée l’obligation de démontrer l’intention du Parlement serait satisfaite. Or, il n’en est rien dans la présente affaire.

L’avocat de la Commission a attiré notre attention sur l’affaire Re Canadian Football League and the Canadian Human Rights Commission, (1980) 2 F. C. 329, 109 D. L. R. (3d) 397. Même si cette décision ne constitue pas un jugement final en la matière, elle permet de supposer que l’exploitation d’une ligue sportive interprovinciale ou internationale pourrait constituer une entreprise interprovinciale, du moins dans le cas d’une ligue composée d’équipes professionnelles de calibre majeur. De par sa constitution, le nuis en cause pourrait entrer dans cette catégorie d’exploitants, bien qu’aucune preuve ne nous ait été présenté en ce sens. Même si le mis en cause se livrait à une telle activité et était visé par la Loi canadienne sur les droits de la personne à cet égard, cela ne ferait pas tomber ses autres activités sous le coup du même pouvoir fédéral à moins qu’elles ne soient fonctionnellement intégrées

> - 17 à l’entreprise interprovinciale ou internationale. Or, rien ne permet de conclure à l’intégration fonctionnelle des activités du rus en cause à une telle entreprise.

Certains pourraient craindre que notre décision ne laisse un vide dans l’application des lois sur les droits de la personne aux activités du mis en cause, étant donné l’envergure nationale de ce dernier. Nous croyons toutefois qu’il n’en est rien. Dans la mesure où les activités du mis en cause consistent à sanctionner et à promouvoir le soccer, elles sont soumises aux lois sur les droits de la personne des provinces où elles ont lieu. Dans la mesure où le rus en cause offre des services desoutien et de coordination à son bureau central d’Ottawa, ou ailleurs au Canada, il est également visé par les lois sur les droits de la personne des provinces dans lesquelles il dispense ces services. Il faut reconnaître qu’en vertu du droit de l’Ontario, où le tournoi Robbie a eu lieu et où le bureau central du mis en cause est situé, il existe un vide parce que les activités sportives ne sont pas soumises au Code des droits de la personne de l’Ontario, S. O. 1981, c. 53, s. 19( 2). Toutefois, il s’agit d’un vide délibérément laissé à titre de politique législative en Ontario, et non pas d’un vide constitutionnel en matière de pouvoirs législatifs. Ce n’est pas le type de vide que le pouvoir résiduel du Parlement sert à combler.

Nous concluons que, sauf en ce qui a trait aux aspects de ses activités qui relèvent du droit des sociétés et dans la mesure où ses activités correspondent à la preuve qui nous a été présentée, le mis en cause n’entre pas dans le champ de compétence du parlement et n’est donc pas soumis aux

dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En supposant que la Loi

> - 18 s’applique effectivement en matière de droits des sociétés, rien ne prouve que le mis en cause se livre à des actes discriminatoires en cette matière, de sorte que nous estimons que la plainte n’est pas fondée. En ce qui a trait aux autres activités dont nous avons été saisis, notamment la sanction du tournoi Robbie par le mis en cause, nous laissons ouverte la question de savoir s’il y a eu acte discriminatoire. Les actes de ce genre n’étant pas visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous n’avons pas la compétence voulue pour en juger.

Fait le 12 janvier 1984. Robert W. Kerr, Président du tribunal Susan Ashley, Membre du tribunal Sheila Pollock, Membre du tribunal

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