Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RAMANAN THAMBIAH

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

l'intimée

- et -

LE SYNDICAT DES DéBARDEURS DU PORT DE MONTRÉAL

la partie intéressée

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Réjean Bélanger 2010 TCDP 8
2010/04/15

I. INTRODUCTION

II. L'OBJET DE LA PLAINTE

III. DEMANDES PRÉLIMINAIRES

IV. RÔLE DE L'AEM, MAIN D'UVRE DE L'AEM & ACCESSION À LA 2e & 1ère RÉSERVE DE SOUTIEN

V. CRITÈRES JURIDIQUES APPLICABLES

VI. CRÉDIBILITÉ DU PLAIGNANT

VII. QUESTIONS DE FOND

A. Analyse du 1er échec (25 janvier 2006)

B. Analyse du 2e échec (26 janvier 2006)

C. La règle des 2 essais maximums

D. Existence du népotisme à l'AEM

(i) Cas de NS (candidat d'origine maghrébine)

(ii) Cas de MB (dame de race blanche)

(iii) Cas de C-4 (dame)

(iv) Cas de AM (homme de race blanche)

(v) Cas du frère d'une employée de bureau de l'AEM

(vi) Cas de personnes qui ont subi des échecs

E. Document du Comité des listes

VIII. QUESTION EN LITIGE

IX. PREUVE PRIMA FACIE

X. CONCLUSION

XI. QUEL EST LE REDRESSEMENT APPROPRIÉ?

IDENTIFICATION DES TÉMOINS ET ALS.

Afin de taire le nom des différentes personnes mentionnées dans la présente décision, nous les identifions de la façon suivante. La lettre P identifiera les témoins du plaignant. Le chiffre suivant la lettre indiquera l'ordre dans lequel ceux-ci ont été entendus. La lettre C identifiera chacun des candidats à un poste de débardeur dont le nom a été mentionné au cours de l'audience. Dans leur cas, un chiffre leur a été attribué au hasard. Le seul témoin de l'intimé sera identifié comme étant monsieur M. Le seul témoin du syndicat comme étant monsieur R.

I. INTRODUCTION

[1] En décembre 2008, la Commission canadienne des droits de la personne renvoie au Tribunal canadien des droits de la personne la plainte #20060812 déposée par Monsieur Ramanan Thambiah à l'encontre de l'Association des Employeurs Maritimes (l'AEM) le 2 janvier 2007.

[2] Par cette plainte, le plaignant se dit victime de discrimination sur la base de son ethnicité , de son âge et de sa situation familiale .

[3] Ces trois motifs de discrimination prévus à l'article (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont proscrits par l'article (7) de cette même Loi.

[4] En janvier 2006, au moment où se produisent les faits en litige, le plaignant travaille comme débardeur au Port de Montréal depuis sept ans; il a jusqu'alors accumulé plus de 10 000 heures de travail.

[5] En octobre 2005, il devient admissible à un poste dans la première réserve de soutien pouvant éventuellement lui donner la sécurité d'emploi.

[6] En décembre 2005, il passe avec succès le test OLIFT, ce qui le qualifie pour la conduite du chariot élévateur, premier des deux tests permettant l'accès à la première réserve.

[7] Le second test est connu comme étant le OTUGM, qui permet à un candidat de se qualifier pour conduire un camion.

[8] Il échoue le 25 janvier 2006 le premier examen pour le camion et allègue que l'évaluateur, en tenant une caméra interférait ainsi avec ses mouvements et que d'autre part, il l'a fait changer de direction à la dernière minute, ce qui a causé l'incident reproché. Il reproche à l'évaluateur d'avoir agi de la sorte dans le seul dessein de saboter son examen.

[9] À quelques reprises, il admet avoir heurté un conteneur avec son camion au cours de ce premier examen et à quelques reprises nie avoir heurté ledit conteneur; dans ce dernier cas, il accuse le formateur d'avoir frappé l'arrière de son camion avec un marteau ou un émetteur-récepteur portatif, pour créer un bruit et pouvoir ensuite l'accuser d'avoir heurté le conteneur. Il admet ne pas avoir vu le formateur poser ce geste, mais c'est ce qu'il en déduit.

[10] Il échoue le 26 janvier 2006 le second examen pour la conduite du camion au motif que les reflets du soleil dans les miroirs du camion l'ont empêché de réussir certaines manuvres et que les freins de la remorque étaient défectueux.

[11] Il déplore que, malgré ses demandes répétées, l'évaluateur de l'AEM refuse de lui donner la permission de se soumettre à un troisième test, au motif que la politique de l'entreprise limite à deux le nombre des examens et qu'il ne peut aller à l'encontre de celle-ci.

[12] Le plaignant allègue avoir ignoré tout de cette politique qui n'autorisait pas le droit à un troisième examen, qu'on l'a induit en erreur en lui faisant croire que le nombre de reprises était illimité; il déplore que cette politique ait été établie dans le seul but de le couler.

[13] Il allègue qu'il est de notoriété publique parmi les débardeurs du Port de Montréal que beaucoup de candidats ont pu obtenir un poste de débardeur à cause des liens de famille qui les unissent avec des membres influents de l'AEM.

[14] Pour démontrer cette affirmation, il rapporte le cas d'un candidat qui, après avoir échoué à deux reprises le test du camion, aurait eu droit à une troisième reprise, uniquement parce qu'il était le conjoint d'une employée qui travaille dans les bureaux de l'AEM.

[15] Il allègue qu'étant donné son absence de lien familial avec un membre de l'AEM, on l'a fait échouer les deux tests du camion; il conclue faire l'objet d'un traitement différentiel et discriminatoire.

[16] Il allègue appartenir à une minorité visible, être âgé de plus de cinquante ans et avoir été victime de propos racistes.

[17] Il affirme que les conséquences du refus de le laisser se présenter à un troisième examen sont dramatiques pour lui sur le plan financier; cela signifie qu'il ne pourra jamais avoir droit à la sécurité d'emploi du poste de débardeur et ne pourra pas profiter des avantages, notamment pécuniaires accordés aux débardeurs avec sécurité d'emploi.

[18] À titre de redressement, le plaignant demande notamment une modification des politiques d'embauche et d'évaluation de l'AEM, l'annulation du résultat de ses deux premiers tests pour le camion ainsi que le droit à une compensation monétaire.

[19] Avant de s'interroger sur le fond de la plainte, c'est-à-dire sur la violation possible, par l'intimée de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal fera l'examen des demandes préliminaires qui lui furent soumises au début de l'audience.

II. L'OBJET DE LA PLAINTE

[20] Dans sa plainte, le plaignant affirme être victime de discrimination sur la base de son ethnicité , de son âge et de sa situation familiale ; ce dernier motif prenant la forme de népotisme, au motif que l'AEM aurait rejeté sa candidature au profit de candidats liés par des liens familiaux à des membres du personnel de direction de l'AEM;

[21] Au cours de son exposé initial, Me Deborah Mankovitz, procureure du plaignant, indique qu'elle entend faire la démonstration de chacun des trois éléments de discrimination allégués dans la plainte de son client.

[22] Cependant, à la fin de l'interrogatoire des témoins des parties et immédiatement avant de commencer son plaidoyer, après réflexion et consultation avec son client, Me Mankovitz informe le tribunal qu'elle a pris la décision de laisser tomber la partie de la plainte portant sur l'ethnicité et sur l'âge .

[23] Elle précise que son plaidoyer portera donc sur un seul motif de discrimination, c'est-à-dire la situation de famille , qu'elle qualifie tout au cours de l'audience comme étant rien d'autre que du népotisme.

III. DEMANDES PRÉLIMINAIRES

[24] Le 6 janvier 2010, cinq jours avant le début de l'audience prévue pour la semaine du 11 au 15 janvier 2009, le Syndicat canadien de la Fonction Publique, représentant du Syndicat des Débardeurs du Port de Montréal, demande par écrit au Tribunal le droit d'être reconnu comme personne intéressée. Il justifie sa demande en alléguant qu'il vient à peine de prendre connaissance de la tenue de l'audience du dossier Ramanan Thambiah v. l'AEM devant le Tribunal canadien des droits de la personne.

[25] Au début de l'audience, Me Edith Laperle, procureure du Syndicat, précise que son client, pour le moment, revendique le droit d'assister à l'audience en tant que personne intéressée et de recevoir copie des documents déposés en preuve, sans demander d'être entendu, sans réclamer le droit de faire entendre des témoins et sans droit de contre interroger les témoins des deux parties.

[26] Elle ajoute cependant que, dans l'éventualité où des accusations seraient portées contre le Syndicat des débardeurs, celui-ci soumettrait alors une demande au Tribunal pour pouvoir administrer de la preuve.

[27] Me Deborah Mankovitz, procureure du plaignant, et Me Daniel Leduc, procureur de l'intimée, consentent à la demande de Me Laperle.

[28] La Commission canadienne des droits de la personne ne participe pas à l'audience.

[29] Le président du Tribunal, conformément au droit qui lui est conféré par l'article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, satisfait de l'explication fournie par Me Laperle justifiant sa demande d'intervention tardive et les motifs la justifiant, reconnaît donc le Syndicat comme personne intéressée avec le pouvoir d'être présent au cours de l'audience. Il se réserve aussi le droit de prendre tout autre décision concernant la possibilité d'élargir ce pouvoir, sur demande du syndicat, selon les circonstances.

[30] La demande d'exclusion des témoins formulée d'un commun accord par les procureurs des deux parties est accordée par le président du tribunal.

IV. RÔLE DE L'AEM, MAIN D'UVRE DE L'AEM & ACCESSION À LA 2e & 1ère RÉSERVE DE SOUTIEN

[31] Afin de comprendre la nature de la revendication du plaignant, débardeur de profession au Port de Montréal et le contexte dans lequel évolue celui-ci, il est essentiel de comprendre a) la raison d'être de l'AEM, b) la main d'uvre utilisée par l'AEM au port de Montréal et c) l'accession à la deuxième et à la première réserve de soutien.

[32] Le procureur de l'intimée, aux paragraphes (1.1) à (1.22) de son Exposé des faits, produit avant l'audience, explicite justement avec multes détails les 3 éléments ci-haut mentionnés.

[33] Étant donné que les deux parties, au début de l'audience se sont mis d'accord sur la justesse de chacun des paragraphes (1.1) à (1.22), il y a lieu de les lire; ceux-ci sont donc reproduits textuellement ci-dessous :

A- LES FAITS PERTINENTS

1. L'ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

a) La raison d'être de l'Association des employeurs maritimes

1.1 L'Association des employeurs maritimes (AEM) est une association dont fait partie l'ensemble des compagnies qui uvrent dans le domaine du débardage de différents ports de 1'Est du Canada, dont le Port de Montréal.

1.2 Ainsi, sur une base journalière, l'AEM reçoit de chaque compagnie de débardage dans le Port de Montréal, sa commande de main-d'uvre pour la journée qui va suivre, laquelle commande spécifie la classification requise, eu égard au travail à effectuer chez cette compagnie.

1.3 Dans ce contexte, 1'AEM a pour principale mission de procéder au recrutement, à la formation et au déploiement de la main-d'uvre chez les différentes compagnies uvrant dans le domaine du débardage dans le Port de Montréal.

b) La main d'uvre

1.4 Pour répondre aux besoins desdites compagnies, 1'AEM se doit de détenir un bassin de main-d'uvre dûment qualifié.

1.5 I1 existe trois catégories générales d'employés à l'emploi de 1'AEM. Elles sont : les employés couverts par la sécurité d'emploi (plus ou moins huit cent quatre-vingt (880) employés), les employés de la première réserve de soutien (plus ou moins quatre-vingt-dix (90) employés) et les employés de la deuxième réserve de soutien (plus ou moins trente (30) employés).

1.6 Un nouvel employé qui accède à la deuxième réserve de soutien passera, sujet à l'obtention de certaines classifications, à plus ou moins long terme à la première réserve de soutien et, enfin, au groupe couvert par la sécurité d'emploi.

1.7 Les employés de l'AEM, peu importe leur catégorie, exécutent tous une seule fonction, soit celle de débardeur, cette fonction est par ailleurs divisée en différentes classifications.

1.8 La liste de la presque totalité des classifications constituant le travail de débardage se retrouve aux pages 66 & 69 de la convention collective entre l'Association des employeurs maritimes et le Syndicat des débardeurs, Section local 375, expiration : 31 décembre 2008 (Convention collective ).

1.9 Certaines classifications susmentionnées sont obligatoires pour les employés qui accèdent à la deuxième réserve de soutien et à la première réserve de soutien, à savoir :

Classifications obligatoires :

2ème réserve PCALE :
EPAND :
ELING :
OLASH :
SCHRP :
préposé à la cale;
épandeur;
élingueur;
préposé au sécurage;
charpentier de seine;
1ère réserve les mêmes classifications que pour la 2ème réserve plus les suivantes :
OLIFT : opérateur de chariot-élévateur - 13 tonnes et moins;
PLIFT : opérateur de chariot-élévateur - 13 tonnes et moins dans la cale;
OBLOC : opérateur de chariot-élévateur - 13 tonnes et moins et préposé aux blocs;
OTUGM : opérateur de camion.

1.10 L'obligation des employés de la première réserve de soutien d'obtenir les classifications d'opérateur de chariot-élévateur et d'opérateur de camion sont notamment prévues à l'article 13.08 de la Convention collective.

1.11 La classification d'opérateur de camion qui est une condition sine qua non à l'accession à la première réserve de soutien fait partie des formations dispensées par 1'AEM.

1.12 En plus des trois catégories générales d'employés mentionnées au paragraphe 1.5, 1'AEM utilise les services de personnes détentrices d'une carte blanche afin de répondre aux besoins ponctuels de main-d'uvre.

1.13 La carte blanche est une pièce d'identité qui permet à son détenteur de se présenter à la salle d'embauche de 1'AEM dans l'espoir d'obtenir du travail de débardeur pour une journée donnée, advenant que les débardeurs couverts par la sécurité d'emploi et/ou que les débardeurs de la première et deuxième réserve de soutien soient en nombre insuffisant pour satisfaire aux besoins du jour en matière de débardage.

1.14 La procédure à suivre consiste pour chacun des détenteurs d'une carte blanche (plus ou moins cent (100) détenteurs) qui désirent du travail, de se présenter la salle d'embauche de 1'AEM au début d'un quart de travail et d'offrir ses services en présentant sa carte blanche , qui n'est rien d'autre qu'une carte d'identification permettant à 1' AEM d'identifier la personne qui offre ses services.

c) L'accession à la deuxième et à la première réserve de soutien

1.15 Lorsqu'une place se libère sur la deuxième réserve de soutien, 1'AEM doit s'en remettre à une Liste des candidats aux réserves de soutien .

1.16 Cette Liste est préparée par le Syndicat des débardeurs, SCFP, section locale 375 (Syndicat ) et les noms qui y apparaissent peuvent ou ne peuvent pas être détenteurs d'une carte blanche .

1.17 Ainsi, à chaque fois que 1'AEM a un ou des postes à combler à la deuxième réserve de soutien, le Syndicat fait parvenir une lettre à l'AEM, dûment signée par le candidat admissible, l'informant de l'intérêt du candidat à postuler pour un poste à la deuxième réserve de soutien.

1.18 Sur réception de cette lettre dûment signé 1'AEM initie le processus d'embauche, qui implique notamment :

1.18.1 assujettissement des candidats à des tests d'aptitude;

1.18.2 assujettissement à un examen médical préembauche afin de vérifier si le candidat rencontre les exigences psychologiques, physiques et médicales lui permettant d'occuper la fonction de débardeur; et

1.18.3 vérification des antécédents criminels.

1.19 Ces exigences sont notamment prévues a l'article 13.07 de la Convention collective.

1.20 L'accession à la première réserve de soutien se fait essentiellement par attrition, à savoir des démissions volontaires, des congédiements et la retraite des employés couverts par la sécurité d'emploi.

1.21 Le bassin de main-d'uvre considéré pour un poste à la première réserve de soutien sont les employés sur la deuxième réserve de soutien.

1.22 L'accession à la première réserve de soutien, tel que mentionné au paragraphe 1.10 est conditionnelle à la détention des classifications, d'opérateur de chariot-élévateur et d'opérateur de camion.

V. CRITÈRES JURIDIQUES APPLICABLES

[34] Le plaignant, suite à sa plainte, a dans un premier temps l'obligation de convaincre le tribunal de l'existence d'une preuve prima facie de discrimination de la part de l'intimée. (Commission ontarienne des droits de la personne et al. c. La municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202). Dans le présent cas, comme le plaignant a allégué discrimination basée sur la situation de famille , qui peut se présenter sous la forme de népotisme, il devra convaincre le tribunal que la preuve soumise se rapportant aux allégations faites, est complète et suffisante comme l'enseigne la Cour Suprême dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S. 536, paragraphe 28 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

[35] Par conséquent, pour rendre sa décision à cette première étape, le tribunal doit se limiter à l'analyse de la seule preuve tant testimoniale que documentaire déposée par le plaignant. Il doit faire abstraction de la preuve soumise par l'intimée à titre de réponse. Voir à cet effet Lincoln c. Bay Ferries Ltd2004 CAF 204 au par. 22 :

[22] L'approche adoptée par le Tribunal et confirmée par le juge du procès afin de décider si le demandeur avait établi une preuve prima facie de discrimination n'est pas appuyée par la jurisprudence. La preuve prima facie produite par l'appelant établissait qu'il avait posé sa candidature à un poste de chef mécanicien sur le N.M. Princess of Acadia , qu'il possédait les qualités requises pour ce poste, qu'une autre personne avait obtenu le poste et que sa race avait joué un rôle dans la décision de l'intimée d'embaucher les autres candidats. Dans ces allégations, l'appelant aurait pu établir une preuve prima facie de discrimination au sens de l'arrêt O'Malley, précité, savoir une preuve : qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. Au lieu de décider si ces allégations, si elles étaient crues, justifiaient un verdict favorable à l'appelant, le Tribunal a également tenu compte de la réponse de l'intimée avant de conclure qu'une preuve prima facie n'avait pas été établie. Comme il découle clairement de l'arrêt Etobicoke, précité et de l'arrêt O'Malley, ce dernier élément ne joue aucun rôle dans la détermination de la question de savoir si une preuve prima facie de discrimination a été établie.

[36] Si le tribunal juge qu'il y a absence d'une preuve prima facie par rapport à un élément essentiel des allégations ou juge la preuve soumise incomplète ou insatisfaisante, il devra rejeter la plainte. Voir C.C.D.P. c. C.N. (2000) 38 C.H.R.R.D/107 (C.F.). Dans les faits, c'est vraiment une question de savoir si chaque aspect essentiel de l'acte discriminatoire est appuyé par un élément de preuve.

[37] Pour établir cette preuve prima facie de discrimination, le plaignant doit offrir davantage que des généralisations hâtives. Voir à cet effet, la décision du tribunal dans Singh c. Canada (Statistiques Canada) (1998) D.C.D.P. no 7, au paragraphe 197.

[38] Il n'est pas suffisant de se dire victime de discrimination et d'en être convaincu pour conclure à la discrimination sans en établir une preuve prima facie. Voir à cet effet, la décision du tribunal dans Singh c. Canada (Statistiques Canada) (1998) D.C.D.P. no 7, au paragraphe 206.

[39] Par contre, s'il est d'avis qu'une preuve prima facie a été faite, les conséquences seront que le fardeau de la preuve se déplace. Il incombe alors à l'intimée de fournir des explications raisonnables ou satisfaisantes quant à la pratique par ailleurs discriminatoire (Voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd, 2004 CAF 204 (CANLII), 2004 CAF 204, paragraphe 23; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 (CANLII), 2005 caf 154, paragraphes 26 et 27).

[40] Par ailleurs, la conduite d'un employeur ne sera pas considérée comme étant discriminatoire si celui-ci peut démontrer que ses refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences découlent d'exigences professionnelles justifiées (EPJ) (alinéa 15 (1) a) de la Loi). Pour qu'une pratique soit considérée comme une EPJ, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne ou d'une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15 (2) de la Loi).

[41] L'intimée doit également prouver que la justification n'est pas un simple prétexte pour masquer une pratique discriminatoire. Ainsi en a décidé la Cour fédérale dans Canada (P.G.) c. Lambie (1996) 29 C.H.R.R. D/483.

[42] Le degré de preuve exigé pour juger de l'existence ou de la non-existence de la discrimination est celui qu'on exige dans les dossiers de nature civile, c'est-à-dire la prépondérance de preuve. Les exigences d'une telle preuve sont moins grandes que celles exigées devant un tribunal qui siège en matière criminelle. Voici ce que le tribunal a déclaré dans l'arrêt Dawson c. Société canadienne des postes 2008 TCDP 41 au paragraphe 73 :

[73] Cela dit, comme on peut le lire dans la décision Wall c. Kitigan Zibi Education Council, [1997] C.C.D.P. no 6, la norme de preuve dans les affaires de discrimination reste la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités et, s'agissant de la preuve circonstancielle, le critère est le suivant : on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse (B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, Carwell, 1987, page 142).

[43] Dans les faits, les plaignants se voient confrontés à une dure réalité. En l'absence d'une preuve directe, ils doivent s'en remettre à une preuve circonstancielle. Voir à cet effet la décision Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988) D.C.D.P. no 2.

[44] Le plaignant, pour avoir gain de cause, doit également établir un lien de causalité entre les échecs subis à l'occasion des deux examens portant la conduite du camion et le motif de discrimination invoqué, c'est-à-dire la situation de famille (népotisme). Voir à cet effet la décision Chopra c. Canada (P.G.), 2007 CAF 268.

VI. CRÉDIBILITÉ DU PLAIGNANT

[45] Nous relevons un grand nombre de contradictions dans le témoignage du plaignant et jugeons utile de reproduire dans le présent jugement quelques-unes de celles-ci jugées plus importantes.

[46] Le plaignant admet à un moment donné ses échecs lors des deux examens du camion, les nie à un autre moment donné et finalement tente de les justifier en formulant des hypothèses non vérifiées ni vérifiables qui fluctuent avec le temps.

[47] Jugeant les conséquences de son échec tellement disproportionnées par rapport à la faute reprochée, il cherche désespérément à trouver des solutions pour se sortir de cette impasse.

[48] Il laisse l'impression d'une personne dépassée par les conséquences de son échec, qui tente désespérément de comprendre ce qui a bien pu lui arriver. Au cours de l'audience, il expose tout haut le fruit de cette réflexion. Il en arrive à formuler un certain nombre d'hypothèses.

[49] Selon lui, la discrimination et le sabotage de la part du formateur et de l'évaluateur expliqueraient en partie ses deux échecs. Plusieurs facteurs externes expliqueraient également ces mêmes échecs. Lorsqu'il témoigne, il tire donc dans toutes les directions. Ses hypothèses sont parfois difficilement imaginables et encore moins vérifiables.

[50] Finalement, le plaignant formule peu de faits concrets pour soutenir sa position et se réfugie principalement derrière des hypothèses ou sur du ouï-dire.

[51] Par son témoignage, le plaignant démontre clairement avoir de la difficulté à distinguer entre les faits de son cas et les hypothèses qui pourraient expliquer ces faits.

[52] En dernier ressort, il est difficile d'accorder beaucoup de poids à la version du plaignant lorsque celle-ci est confrontée à celle d'un témoin qui témoigne sur des faits dont il a une connaissance personnelle.

[53] Bref, selon nous, la crédibilité du plaignant est très faible.

[54] Nous procédons maintenant à l'analyse des différentes questions de fond qui se sont posées au cours de l'audience.

VII. QUESTIONS DE FOND

[55] Il est important de vérifier ce qui s'est passé les 25 et 26 janvier 2006, au cours des deux examens de conduite du camion effectués par le plaignant.

[56] Les deux seules personnes qui témoignent sur ces deux examens furent messieurs le plaignant, et Monsieur M., le préposé à l'évaluation, également directeur des relations de travail et de la main d'uvre chez l'AEM.

[57] Le plaignant explique ce qui s'est produit au cours de ses deux examens et pourquoi il a demandé de pouvoir subir un troisième examen qui lui fut refusé par le représentant de l'AEM.

A. Analyse du 1er échec (25 janvier 2006)

[58] Dans une lettre du 15 décembre 2006 adressée au vice-président de l'AEM, produite comme étant la pièce R1, onglet 7, le plaignant reconnaît qu'au cours de sa première tentative, soit le 25 janvier 2006, ... j'ai accroché un conteneur. Par contre, il met le blâme sur Monsieur M., l'évaluateur qui aurait mis la main sur le devant de son camion et lui aurait demandé de changer de direction.

[59] Dans le Bref résumé des faits produit par son procureur, on y lit au paragraphe (6) ce qui suit :

6. Sa première tentative a été infructueuse. Au cours du test, l'évaluateur tenait une caméra qui interférait avec ses mouvements.

[60] Dans une lettre du 19 octobre 2007 adressée à une employée de la CCDP, en référence à l'incident du 25 janvier 2006 produite comme étant la pièce R1, onglet 11, à la page 2, il écrit de nouveau: there was an accrochage but no containers had moved only a claque sound .

[61] Par contre, lors de l'audience, il nie avoir heurté le conteneur, mais reconnaît qu'il y a eu un bruit. Il ne voit qu'une seule explication pour expliquer ce bruit: Monsieur L., le formateur, qui était derrière le camion, aurait asséné un coup de marteau ou un coup avec son walkie-talkie sur l'arrière de son camion. Il explique également avoir vu Monsieur L., par la suite, remettre son marteau en place.

[62] Il affirme que Monsieur L. lui aurait alors dit : Tu as accroché .

[63] Au cours de l'audience, le plaignant a laissé entendre que s'il avait heurté le conteneur avec son camion, celui-ci aurait bougé car il était très facile de le faire bouger puisqu'il était sur la glace. Que même lui aurait pu le faire bouger à la main.

[64] Le témoin M. est venu dire qu'un homme aurait été incapable de déplacer le conteneur à la main, parce que celui-ci pèse plusieurs milliers de livres, qu'il était sur place depuis très longtemps, que ses pattes devaient être ancrées dans l'asphalte à cause de sa pesanteur et parce que la chaleur de l'été ramollit l'asphalte et finalement, qu'au moment de l'incident, le conteneur était pris dans la glace.

[65] Le tribunal a été en mesure de vérifier cette dernière explication lors de la visualisation de la vidéo et est d'avis que le conteneur aurait difficilement pu bouger même après avoir été heurté par un camion.

[66] Monsieur M., qui était devant le camion, est venu dire qu'il avait entendu le bruit, tout comme Monsieur Thambiah, d'ailleurs.

[67] Il précisa que Monsieur L., qui était à ses côtés lors de l'incident, n'avait pas de marteau avec lui et qu'il est impensable de frapper un conteneur avec un walkie-talkie puisque celui-ci est fabriqué de plastic et aurait pu briser facilement.

[68] Monsieur M. ajouta que la réputation de Monsieur L., qui était à l'approche de la retraite, était sans tache; qu'aucun reproche ni plainte n'apparaissait à son dossier, même après avoir participé à des centaines d'examens.

[69] Pour Monsieur M., il est clair que le plaignant avait heurté le conteneur avec son camion.

[70] Quant à l'examen de la vidéo de cet incident, puisqu'il n'y a pas d'audio, il est impossible de faire de commentaire sur le bruit qu'il pourrait y avoir eu. Mais ceci ne pose aucun problème puisque même le plaignant a déclaré avoir entendu le bruit.

[71] Il est également impossible de dire, suite à la visualisation de la vidéo, de façon certaine si effectivement le camion a heurté ou non le conteneur; chose certaine, il était très près du conteneur.

[72] Par contre, nous sommes d'avis que Monsieur M. était bien placé pour voir ce qui s'est produit et affirmer que le plaignant avait heurté le conteneur. Nous retenons sa version.

[73] De plus, Monsieur M. est venu dire au tribunal que lorsqu'un candidat à un examen heurte un conteneur, la règle est que le candidat échoue automatiquement.

B. Analyse du 2e échec (26 janvier 2006)

[74] Dans sa lettre du 15 décembre 2006 adressée à Monsieur Jean Bédard, vice-président de l'AEM, produite comme étant la pièce R1, onglet 7, le plaignant justifie son 2e échec subi 26 janvier 2006 de la façon suivante :

La deuxième fois (vers deux heures) à cause du soleil qui allait coucher, le soleil était 45 Degré de sol et avait perpendiculairement dans mes yeux. Il m'a empêchée de voir le miroir correctement. Après des quatre fois de tentatives de recul, Je ne me suis pas arrivé à reculer même une seule foi!!

[75] Nous avons examiné attentivement la vidéo de l'examen du 26 janvier, en portant un il attentif sur le sol afin d'y déceler des indices nous permettant de tirer une conclusion quant à la position du soleil. Ne voyant aucune ombre autour d'objets tels que les cônes déposés au sol, il est difficile de prétendre qu'il y avait à ce moment présence du soleil. Du moins, nous ne croyons pas que le soleil pouvait être aveuglant.

[76] Le témoin M. est venu déclarer qu'il prit connaissance que le plaignant invoquait le soleil comme cause de l'échec de son 2e examen seulement lorsqu'il lut la lettre du 7 mars 2006 du plaignant, lettre produite au dossier du tribunal comme étant la pièce R1 onglet 2.

[77] Le témoin M. ne s'est pas rendu compte, au cours de l'examen, que le soleil aurait pu être une cause de dérangement pour le plaignant. Il allégua que le plaignant ne fit alors aucune allusion au problème que lui causait le soleil ni durant ni après l'examen.

[78] Et si le soleil avait été si dérangeant, pourquoi le plaignant n'en a-t-il pas alors fait mention à l'évaluateur? Pourquoi n'a-t-il pas demandé d'arrêter l'examen ou encore demandé de pouvoir reculer à un autre endroit où le soleil ne l'aurait pas dérangé?

[79] Et pourquoi n'en a-t-il pas fait mention à la fin de l'examen lorsque l'évaluateur lui fit part de l'échec de l'examen?

[80] Le plaignant a également tenté d'expliquer son 2e échec, au cours de son témoignage devant le tribunal, par la défectuosité des freins de la remorque.

[81] Le plaignant avait déjà fait mention de ce facteur dans un document fourni par le plaignant au Conseil Canadien des Relations de Travail. Voir à cet effet la pièce R1, onglet 12, page 6, dont nous reproduisons l'extrait suivant :

On the January 26th, I was deliberately provided with the faulty truck where the brakes were partially applied on to the remorque. As a result I wasn't able to reverse on straight line. This resulted in a failure in the second driving test. The sequence of events came to light only after the video footage of the evenements released by the employer (Maritime employers association).

[82] En réaction à cette mention, le témoin M. a témoigné à l'effet que cet allégué ne pouvait tenir la route parce que ce genre de remorque que conduisait le plaignant n'a pas de freins. Par contre, le camion avait nécessairement des freins. Au cours de cette période, aucun autre candidat ne s'est plaint du mauvais état des freins de ce camion et aucune réparation ne fut faire aux dits freins.

[83] De plus, le plaignant a lui-même reconnu que le matin du 26 janvier, le camion fonctionnait bien. Voici ce qu'il a écrit à cet effet dans sa lettre du 7 mars 2006 adressée au directeur de la formation, directeur de la formation à l'AEM, produite au dossier comme étant la pièce R1, onglet 2 :

Je suis échoué le camion le jeudi 26 janvier 2006. Quand j'ai pratiqué les matins, je n'avais aucun problème avec le camion.

[84] Pour notre part, après un examen attentif de la vidéo, celle-ci ne nous semble pas corroborer l'affirmation du plaignant à l'effet que la vidéo aurait démontré qu'il y avait un problème avec les freins.

[85] Contrairement à ce qu'a affirmé le plaignant, nous sommes d'avis qu'il n'aurait fait aucune mention à l'évaluateur, tant au cours de l'examen qu'immédiatement après, de la défectuosité des freins.

[86] Nous ne pouvons donc considérer que l'état des freins du camion peut justifier l'échec de l'examen de conduite du plaignant.

[87] Quant à l'allégué du plaignant retrouvé dans la citation mentionnée plus haut, c'est-à-dire que I was deliberately provided with the faulty truck where the brakes... , nous sommes d'avis qu'il n'est basé sur rien, si ce n'est sur l'imagination du plaignant qui recherche désespérément une excuse pour justifier son échec.

[88] Rien dans la preuve soumise ne nous permet de croire que les représentants de l'AEM aient pu poser quelque geste délibéré que ce soit afin de nuire ou de faire échouer le plaignant dans son examen.

[89] Nous tenons plutôt à préciser que le plaignant, au cours de son témoignage, est venu dire qu'après avoir réussi l'examen du chariot élévateur, l'évaluateur l'avait félicité et lui avait donné une tape dans le dos en montrant qu'il était content pour lui. Aucune preuve déposée devant nous pourrait expliquer pourquoi l'attitude de ce même évaluateur aurait pu changer au point qu'il aurait cherché à saboter l'examen du plaignant.

C. La règle des 2 essais maximums

[90] Le plaignant ainsi que le témoin P-1 sont venus dire au tribunal qu'ils ignoraient l'existence de la règle des deux essais maximums. Les deux ont déclaré que s'ils l'avaient su, ils se seraient préparés en conséquence. Le témoin P-1 a, pour sa part, affirmé qu'il aurait pris la chose plus au sérieux. Les deux ont affirmé n'avoir reçu aucun avis des représentants de l'AEM à cet effet.

[91] Le témoin M., pour sa part, est venu affirmer que cette règle existait déjà à son arrivée à l'AEM en 1998 mais qu'il ignorait depuis quand elle était en existence.

[92] Il ajouta que cette règle, non écrite à ses débuts, fut mise par écrite plusieurs mois plus tard, après l'incident Thambiah, une fois que la période d'embauche massive fut terminée et qu'ils eurent le temps de le faire.

[93] Confronté à la déclaration du plaignant à l'effet qu'il n'avait en aucune occasion été prévenu de l'existence de cette règle, il déclara que cette mise en garde était toujours faite durant l'exposé théorique, tant celui du chariot élévateur que du camion; cependant, dans chacun de ces cas, il n'était pas présent puisque la formation ne relevait pas de lui.

[94] Il ajouta que cette mise en garde apparaissait d'ailleurs dans le manuel qui était remis à chacun des candidats produit au dossier du tribunal aux pages 14 et 15 de la pièce R-1, onglet (15); pour notre part, nous sommes d'avis que cet allégué n'était pas suffisamment clair pour que les candidats puissent s'en rendre compte. De plus, nous croyons que le plaignant aurait reçu un manuel qui ne comprenait pas cette page 14 et qui différait du document produit en preuve par le témoin M..

[95] Il déclara avoir fait cette mise en garde personnellement au plaignant le 25 janvier et lors du débriefing et à l'occasion du 1er échec subi par le plaignant lors de l'examen du chariot élévateur.

[96] Étant confronté aux déclarations contradictoires du plaignant et celles du témoin M., évaluateur au dossier, nous optons pour la version de l'évaluateur. Comme nous l'avons expliqué antérieurement, la crédibilité du plaignant est très faible.

[97] Suite aux déclarations faites par le plaignant et par quelques-uns de ses témoins, à l'effet que quelques candidats auraient eu droit à 3 essais, le témoin M. précisa qu'il n'y eut en fait qu'un seul candidat qui eut droit à trois essais, soit celui de Monsieur C-1 dont le cas sera étudié plus loin dans le présent jugement.

[98] Le tribunal se permet à ce moment-ci de préciser qu'il n'est pas de son ressort, étant donné la nature de la plainte, de se pencher sur la justesse ou la validité de la règle des deux essais maximums.

[99] En effet, tous les cas soumis pour étude au tribunal, incluant celui du plaignant, ont démontré que la règle de deux essais maximum a été appliquée indépendamment de l'âge, de l'ethnicité et du lien de famille de ces candidats avec des membres de l'AEM. Par conséquent, la règle des deux essais minimums a été appliquée sans discrimination à l'égard du plaignant.

[100] Le Tribunal, qui, en quelques occasions, a indiqué ne pas vouloir s'ingérer dans le processus de dotation à moins qu'il n'y ait discrimination, a décidé deux affaires faisant valoir le principe que toute irrégularité en matière de dotation n'est pas nécessairement preuve concluante de discrimination. Ce principe a été cité subséquemment dans plusieurs autres décisions (Voir la décision Folch, citée plus récemment dans l'affaire Morin c. Canada (P.G), 2005 CHRT 41. http://www.canlii.org/fr/ca/tcdp/doc/2005/2005tcdp41/2005tcdp41.html; la décision Kibale, citée plus récemment dans l'affaire Chopra v. Canada (Santé et Bien-être), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P) http://www.canlii.org/en/ca/chrt/doc/2001/2001canlii8492/2001canlii8492.html)

D. Existence du népotisme à l'AEM

[101] Nous ferons maintenant l'étude des différents cas soumis au tribunal afin d'évaluer s'il y a eu ou non népotisme.

(i) Cas de NS (candidat d'origine maghrébine)

[102] Quelques-uns des témoins entendus, dont le plaignant, font allusion à la situation d'un certain candidat d'origine maghrébine, que nous identifions comme étant Monsieur C-1, marié à une employée de bureau de l'AEM, qui, après deux échecs, aurait eu droit à un troisième essai.

[103] Le témoin de l'AEM, Monsieur M., a reconnu que Monsieur C-1 fut le seul candidat à avoir droit à 3 essais et explique ce qui s'est passé.

[104] Après les deux échecs subis il rencontra Monsieur C-1 et l'informa qu'en vertu de la règle des deux essais maximums, il n'avait pas droit à un troisième essai.

[105] Par après, des représentations furent faites par M. C-1 lui-même et par des représentants du syndicat pour convaincre l'évaluateur que Monsieur C-1 avait été dérangé au cours de son examen par la présence d'un autobus qui avait circulé sur le terrain où se déroulait l'examen, à proximité du camion conduit par Monsieur C-1.

[106] L'évaluateur accepta de visualiser la vidéo prise au cours du test de Monsieur C-1. Après visualisation et après avoir considéré les arguments des intervenants, l'évaluateur en vint à la conclusion qu'effectivement Monsieur avait pu être dérangé par cet incident.

[107] Attendu que normalement les autres candidats n'ont pas à composer avec la présence de véhicules sur le terrain de l'examen, tels que la circulation d'autobus, l'évaluateur décida d'annuler ce deuxième essai au motif qu'il s'agissait d'une situation particulière et de donner au candidat S.N. un autre essai.

[108] Celui-ci refit l'examen et le réussit. C'est ainsi qu'AEM lui accorda le droit de conduire un camion au port de Montréal.

[109] Nous sommes satisfaits des explications fournies par le représentant de l'AEM. Il n'y aurait eu aucune irrégularité de la part de l'AEM dans ce cas.

(ii) Cas de MB (dame de race blanche)

[110] Le témoin P-3 a déclaré devant le tribunal que selon ce qu'il avait entendu, bien qu'il n'eût pas une connaissance personnelle de l'incident, Madame C-2 aurait échoué les tests pour le chariot élévateur et quelque temps plus tard, il l'avait vue conduire un camion.

[111] Le témoin P-1, concernant l'incident relié au cas de Madame C-2, et sans préciser ses sources d'information, est venu dire qu'elle aurait perdu son permis de conduite pour le chariot élévateur et le camion et qu'après avoir reçu une nouvelle formation, aurait repris son permis pour conduire le camion, quelques mois plus tard.

[112] Le témoin M. déclare être personnellement au courant de ce dossier, ayant été l'évaluateur de cette candidate. Il affirme que Madame C-2 avait réussi dans un premier temps l'examen du chariot élévateur et dans un second temps, soit le 4 décembre 2006, l'examen du camion. Toutefois, suite à un accident qu'elle aurait subi en conduisant le camion, on lui aurait retiré sa classification. Elle reprit sa formation et, quelques jours plus tard, on lui redonna sa classification.

[113] Les témoins des deux parties ont fait des déclarations contradictoires. Puisque les témoins du plaignant n'ont pas eu une connaissance personnelle de l'incident, alors que le témoin M., en ayant eu une connaissance personnelle, était le mieux placé pour discuter du dossier de Madame C-2, nous retenons sa version. Il n'y aurait eu aucune irrégularité de la part de l'AEM dans ce cas.

(iii) Cas de C-4 (dame)

[114] Le témoin P-2 a raconté au tribunal que le conjoint de Madame C-4, une débardeur sur la deuxième réserve, lui aurait dit que son épouse avait échoué le test à deux reprises. Deux semaines plus tard, il allègue l'avoir vu en train de conduire un camion sur le port de Montréal. À remarquer que c'est dans une grande confusion que ce témoin finit par situer l'incident de Madame C-4 dans le temps.

[115] Le témoin M. est venu déclarer être personnellement au courant de ce dossier. Toutefois, il jugea nécessaire de préciser qu'il connaissait le nom du mari de Madame C-4, et que le témoin P-2 n'utilisait pas le bon nom pour identifier cette candidate. Enfin, il précisa que, contrairement à l'allégué du paragraphe précédent, cette dame, après avoir subi un premier échec du chariot élévateur le 11 avril 2006, passa avec succès le deuxième examen le 12 avril de la même année.

[116] Nous ne pouvons donner foi aux renseignements fournis par ce témoin qui, en plus de fournir des dates et des renseignements inexacts, n'a pas eu une connaissance personnelle de l'incident alors que le témoin M. était le mieux placé pour discuter du dossier de Madame C-2, puisqu'il l'avait évaluée. De nouveau, il ne nous semble pas qu'il y ait eu irrégularité de la part de l'AEM dans ce cas.

(iv) Cas de AM (homme de race blanche)

[117] Le témoin P-3 a raconté au tribunal que Monsieur C-3 aurait échoué à deux reprises les tests pour la conduite du camion. Que le père de ce candidat se serait rendu dans la salle d'embauche de l'AEM pour crier sa frustration à Monsieur G.C. et alléguer l'échec de son fils à l'examen de conduite du camion. Qu'il était mieux de le laisser passer. Que suite à cette démarche, Monsieur C-3 aurait réussi l'examen, d'ailleurs, il déclare l'avoir vu lui-même conduire le camion.

[118] Le témoin M. est venu déclarer avoir évalué Monsieur A.M pour la conduite du camion le 28 mars 2006 et qu'il avait réussi du premier coup.

[119] Nous préférons donner foi au témoin M., qui, en plus d'être au courant du dossier, nous a semblé plus crédible.

(v) Cas du frère d'une employée de bureau de l'AEM

[120] Le témoin M., afin de démontrer l'absence de népotisme à l'AEM, est venu déclarer avoir évalué le frère de l'épouse du candidat maghrébin, celui qui avait eu droit à une 3e reprise. Il ajouta que celui-ci échoua son examen, bien que sa sur était à l'emploi de l'AEM.

(vi) Cas de personnes qui ont subi des échecs

[121] Le témoin, M., en tant que directeur des relations de travail et la main d'uvre à l'AEM, lorsque questionné sur le nombre de personnes qui auraient subi des échecs au cours des examens à cette époque, a été en mesure de préciser qu'il n'y avait eu que quelques cas sur plusieurs centaines de candidats qu'il avait évalués.

[122] Pressé de fournir des noms, il fut en mesure d'en fournir quelques-uns. Il précisa que ce fut le cas :

  1. de Monsieur C-7 qui a échoué le test du chariot élévateur à deux reprises; s'agissait d'un individu de plus de 50 ans, non de minorité visible et qui avait été référé par le syndicat;
  2. de Monsieur C-5, qui a échoué le test du camion à deux reprises, qui avait entre 30 et 40 ans, non de minorité visible et croyait qu'il avait été référé par le syndicat;
  3. de madame C-6, qui a échoué le test du camion à deux reprises, qui avait environ 50 ans, non de minorité visible et était référée par le syndicat;
  4. de Monsieur C-8, qui a échoué le test du camion à deux reprises; s'agissait d'un individu de plus de 50 ans, non de minorité visible et n'était pas référé par le syndicat.

[123] Enfin, il précisa que chacun de ces débardeurs a continué de travailler dans la deuxième réserve même après son échec.

E. Document du Comité des listes

[124] Suite à ce que le témoin P-1 est venu exposer devant le tribunal concernant un document qui aurait été affiché à la fin de l'année 2005, dont une partie traitait de l'âge des futurs candidats au poste de débardeur, nous jugeons nécessaire de préciser notre position quant à ce document.

[125] Au cours de l'audience, Monsieur R., membre du Syndicat est venu préciser qu'il s'agissait seulement d'un document de travail rédigé par le Comité des listes du Syndicat. En aucun moment, ce document ne fut adopté par le Syndicat ni fit l'objet de discussions avec les représentants de l'AEM.

[126] Pour ces motifs, nous tenons à préciser que ce document ne fait pas partie des éléments de preuve retenus pour rendre notre décision.

VIII. QUESTION EN LITIGE

[127] Notre analyse des nombreuses questions de fond étant complétée, nous sommes maintenant en mesure de nous pencher sur la question en litige.

[128] Au début de l'audience, Me Deborah Mankovitz, après avoir été invitée par le président du tribunal à examiner attentivement la Question en litige qui apparaît à à la page 6 de l'Exposé de l'intimée, telle que rédigé par Me Daniel Leduc et à la commenter, se déclara d'accord avec sa formulation telle que reproduite ci-après:

Le plaignant a-t-il fait l'objet de discrimination en vertu de son âge, sa situation de famille et/ou son origine nationale ou ethnique par l'intimée dans le cadre de l'évaluation de sa capacité de détenir la classification d'opérateur de camion, qui est une condition sine qua non à l'accession à la première réserve de soutien?

[129] Compte tenu de la décision prise par Me Mankovitz, avant de faire son plaidoyer, de laisser tomber la partie de la plainte portant sur l'ethnicité et sur l'âge , la nouvelle question en litige devient alors la suivante :

Le plaignant a-t-il fait l'objet de discrimination en vertu de sa situation de famille par l'intimée dans le cadre de l'évaluation de sa capacité de détenir la classification d'opérateur de camion, qui est une condition sine qua non à l'accession à la première réserve de soutien?

[130] Le tribunal fait sienne la question en litige, telle que posée par les procureurs des deux parties.

IX. PREUVE PRIMA FACIE

[131] La preuve déposée par le plaignant, faisant abstraction de la preuve soumise par l'intimée, est à l'effet que les représentants de l'AEM ont décidé que le plaignant avait échoué à deux reprises l'examen du camion et qu'il n'avait pas le droit à une troisième reprise.

[132] Le plaignant est en désaccord avec le résultat des deux examens et accuse l'intimée d'avoir fait preuve de discrimination à son égard sur la base de son absence de liens de famille avec le personnel de l'AEM.

[133] Il est d'avis que le formateur ainsi que l'évaluateur ont tout fait pour saboter son évaluation.

[134] Le plaignant ne peut accepter le fait qu'on a refusé de lui donner droit à plus de deux essais pour réussir l'examen de conduite du camion.

[135] Il affirme que la règle de deux essais maximum est née le jour où il a subi son deuxième échec.

[136] Le plaignant ainsi que certains de ses témoins racontent au tribunal que des débardeurs auraient eu droit à plus de deux essais pour réussir l'examen du chariot élévateur et du camion.

[137] Ils déclarent que des liens de famille reliant certains de ces candidats à des employés du bureau de l'AEM expliquent pourquoi ces candidats n'ont pas été soumis aux mêmes règles que les autres, tel le plaignant.

[138] Le plaignant ainsi que ses témoins reconnaissent toutefois ne pas avoir eu une connaissance personnelle des faits qu'ils rapportent au tribunal. Ils avouent tenir ces renseignements de personnes avec qui elles auraient discuté.

[139] Bien qu'une grande partie des renseignements fournis par le plaignant et par ses témoins repose sur du ouï-dire , nous sommes d'avis que le plaignant a réussi à faire une preuve prima facie de discrimination.

X. CONCLUSION

[140] En ce qui a trait au premier examen pour la conduite du camion, qui eut lieu le 25 janvier 2006. Nous ne pouvons retenir les explications fournies par le plaignant. Nous retenons que le plaignant a heurté le conteneur avec son camion et refusons de croire que le bruit entendu a été causé par un outil utilisé par le formateur. Nous n'acceptons pas l'idée que le représentant de l'AEM puisse avoir voulu saboter l'examen du plaignant. L'examen s'est déroulé de façon normale et le plaignant a échoué.

[141] En ce qui a trait au second examen, qui eut lieu le 26 janvier 2006, nous ne pouvons retenir la version du plaignant qui allègue avoir subi un échec à cause du soleil pas plus que l'existence des freins défectueux du camion. Nous n'acceptons pas l'idée que le représentant de l'AEM puisse avoir voulu saboter l'examen du plaignant. L'examen s'est déroulé de façon normale et le plaignant a échoué.

[142] En ce qui concerne la règle de deux essais maximum. Selon nous, la règle, bien que verbale, existait depuis au moins 1998. Elle est devenue écrite après l'incident impliquant le plaignant mais pas à cause de lui. Elle a été appliquée à tous les cas soumis à notre étude et non seulement au plaignant. Cette règle n'a été aucunement appliquée de façon discriminatoire à l'encontre du plaignant.

[143] En ce qui concerne le népotisme à l'AEM. La preuve déposée devant nous n'a pu démontrer l'existence du népotisme au sein de l'embauche par l'AEM. Nous n'avons pris connaissance d'aucun cas où un débardeur a pu obtenir la classification camion à cause des liens de famille qui ont pu le lier à des membres, dirigeants ou actionnaires de l'AEM.

[144] Nous basant sur la preuve soumise, nous devons répondre par la négative à la question en litige déjà posée, c'est-à-dire :

Le plaignant a-t-il fait l'objet de discrimination en vertu de sa situation de famille par l'intimée dans le cadre de l'évaluation de sa capacité de détenir la classification d'opérateur de camion , qui est une condition sine qua non à l'accession à la première réserve de soutien?

[145] Par conséquent, nous rejetons la plainte de discrimination déposée par le plaignant.

XI. QUEL EST LE REDRESSEMENT APPROPRIÉ?

[146] Au cours de l'audience, le tribunal a informé les parties qu'advenant le cas où le plaignant aurait gain de cause dans sa plainte, il se réservait le droit de recevoir éventuellement toute preuve nécessaire pour évaluer le redressement demandé.

[147] Le tribunal ayant conclu que le plaignant n'a pu établir une preuve de discrimination à l'encontre de l'intimée, nous ne jugeons pas nécessaire d'apporter à ce stade quelque précision que ce soit quant aux mesures de redressement.

Signé par
Réjean Bélanger

OTTAWA (Ontario)

Le 15 avril 2010

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1365/9508
INTITULÉ DE LA CAUSE : Ramanan Thambiah c. L'Association des employeurs maritimes
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Les 11 au 15 janvier 2010 Montréal, Québec
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 15 avril 2010
ONT COMPARU :
Deborah Mankovitz Pour le plaignant
(Aucune représentation) Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Daniel Leduc Pour l'intimée
Édith Laperle Paul Rivest Pour la partie intéressée
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