Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DONNA MOWAT

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

2008 CHRT 11
2008/04/22

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[1] Dans un jugement daté du 30 janvier 2008, la Cour fédérale a annulé ma décision sur les dépens en l'espèce et l'a renvoyée au Tribunal pour nouvel examen (Canada (Procureur général) c. Mowat, 2008 CF 118). Dans son jugement, la Cour a convenu que le Tribunal a le pouvoir d'accorder une indemnité pour les frais juridiques engagés en l'espèce. En outre, la Cour n'a pas commenté le montant de l'indemnité accordée à cette fin par le Tribunal. Elle a toutefois décidé que le Tribunal avait manqué à son devoir de motiver adéquatement sa décision d'adjuger des frais juridiques, et a renvoyé la décision au même décideur du Tribunal, sans que le décideur ait à formuler d'autres observations ou à tenir une autre audience.

[2] Le procureur général du Canada a interjeté appel de la décision de la Cour fédérale quant à la question du pouvoir d'octroyer des dépens. Le procureur général du Canada n'a pas présenté au Tribunal une requête visant à faire différer la communication de ses motifs supplémentaires et il n'a pas non plus, à la connaissance du Tribunal, demandé ou obtenu un sursis interdisant au Tribunal de rendre des motifs supplémentaires en l'espèce.

[3] Mme Mowat était caporal-chef au moment où elle a déposé sa plainte datée du 15 juin 1998 à la Commission canadienne des droits de la personne. Elle a allégué que les Forces armées canadiennes avaient agi de façon discriminatoire à son égard en raison de son sexe :

  1. en la défavorisant en cours d'emploi et en refusant de continuer de l'employer, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi);
  2. en ne lui fournissant pas un milieu de travail exempt de harcèlement, en contravention de l'article 14 de la Loi. Une allégation de harcèlement sexuel figurait également dans la plainte.

[4] Mme Mowat a également prétendu que des représailles avaient été exercées contre elle, en contravention de l'article 14.1 de la Loi. Cette allégation a été entendue par voie de requête préliminaire et a été rejetée par le Tribunal. Dans l'exposé des précisions qu'elle a déposé auprès du Tribunal, Mme Mowat a réclamé une indemnité de 430 685 $ (ce montant ne comprenait pas les montants indéterminés pour les cotisations au RPC, pour la pension des FC, pour souffrances morales et dommages-intérêts exemplaires pour mauvaise foi excluant les frais juridiques).

[5] L'audition de sa plainte a duré environ six (6) semaines, et la transcription des témoignages rendus au cours de l'instance comprenait plus de 4 000 pages. En outre, plus de 400 pièces ont été déposées en preuve. Le Tribunal a conclu que la plainte de harcèlement sexuel déposée par Mme Mowat était fondée et lui a accordé 4 000 $ plus des intérêts pour préjudice moral. Le Tribunal a rejeté toutes les autres allégations de discrimination, y compris ses allégations de libération discriminatoire, de traitement défavorable en cours d'emploi et de harcèlement non sexuel.

[6] Le 20 mars 2006, les deux parties ont présenté des observations orales et écrites au Tribunal sur la question des frais juridiques. Mme Mowat a affirmé qu'elle ne s'attendait pas à se voir adjuger 100 p. 100 ou même 75 p. 100 des frais juridiques de 196 313 $ qu'elle avait réclamés au départ. L'intimée a prétendu que la plaignante ne devrait recevoir aucun montant au titre des frais juridiques ou ne devrait recevoir qu'un montant très limité parce que la majorité de ses allégations ont été rejetées. De plus, l'audience a été inutilement longue et complexe parce que la plaignante n'a pas clairement formulé ses plaintes.

[7] Comme je l'ai déjà signalé, la décision du Tribunal selon laquelle il avait compétence pour adjuger des frais juridiques en vertu de l'alinéa 53(2)c) de la Loi a été maintenue par la Cour dans son jugement. Les motifs supplémentaires pour lesquels j'ai octroyé à Mme Mowat la somme de 47 000 $ au titre des frais juridiques en application de l'alinéa 53(2)c) sont les suivants.

[8] Dans les circonstances particulières de l'espèce, le Tribunal a estimé qu'il serait utile que la plaignante présente ses frais juridiques en une forme semblable au tarif B des Règles des Cours fédérales. C'est ce que la plaignante a fait quand elle a déposé son mémoire de frais en date du 30 mai 2006. Par lettre datée du 30 juin 2006, l'intimée a répondu en proposant ses propres montants compte tenu du mémoire de la plaignante.

[9] La plaignante a réclamé des honoraires de préparation et de participation à des conférences de médiation et de règlement qui ont eu lieu séparément en mars 2002 et en septembre 2003. La présente plainte a été renvoyée au Tribunal en janvier 2003. Je reconnais que le Tribunal devrait accorder à la plaignante une partie des honoraires qu'elle a payés pour avoir participé à la conférence de septembre 2003, mais pas pour l'autre conférence. Je lui ai donc accordé 15 unités pour 5 heures de présence et 4 unités de préparation. Mme Mowat a droit à ces frais raisonnables seulement à l'égard de la conférence de règlement de 2003.

[10] La plaignante a réclamé 5 unités pour la communication de documents. La pleine communication de la preuve est obligatoire dans les instances du Tribunal. J'ai donc accordé les 5 unités réclamées à cet article.

[11] La plaignante a réclamé un total de 24 unités relativement à la requête concernant la participation de la Commission canadienne des droits de la personne. Je relève que l'avocat de la plaignante n'a rédigé aucun document, pris aucune position claire et fait seulement de très brèves observations sur cette requête. Il serait donc déraisonnable, à mon avis, de s'attendre que l'intimée supporte cette dépense. J'ai rejeté cette réclamation.

[12] La plaignante a demandé le nombre maximal d'unités prévu à la colonne III du tarif B de la Cour fédérale à l'égard des honoraires d'avocat pour la préparation de l'audience en vertu de l'article 13a) et ensuite pour 26 jours d'audience en vertu de l'article 13b). Elle a aussi demandé le maximum correspondant à 22 jours complets et à 5 demi-journées de participation à l'audience en application des articles 14a) et 14b) du tarif.

[13] Comme je l'ai déjà dit, le Tribunal a rejeté toutes les allégations de discrimination de la plaignante, de même que son allégation de représailles en contravention de l'article 14.1 de la Loi. Mme Mowat n'a eu gain de cause qu'à l'égard de sa plainte de harcèlement sexuel. Le Tribunal a aussi souligné dans sa décision sur le bien-fondé de la plainte que, outre l'allégation de harcèlement sexuel faite par Mme Mowat, l'instance a été marquée par le fait que Mme Mowat n'a tout simplement pas exposé avec précision la nature de sa thèse.

[14] Aussi convaincant cet argument puisse-t-il être pour justifier la réduction des honoraires que l'intimée devrait être tenue de payer, il demeure tout aussi important que la Commission ait exercé manifestement le pouvoir discrétionnaire de renvoyer la plainte de Mme Mowat au Tribunal pour enquête. La plaignante, sans le bénéfice de la rétrospective d'aujourd'hui, a donc été contrainte de faire valoir tous les aspects de sa plainte. De telles affaires de discrimination alléguée sont très souvent complexes au chapitre des faits. En outre, tout bien considéré, il a été conclu que l'intimée avait fait preuve de discrimination envers Mme Mowat.

[15] Après avoir tenu compte de ce qui précède, ainsi que de l'issue de la plainte et de la façon dont la thèse de la plaignante a été présentée à l'audience, et avoir examiné le nombre de jours d'audience, j'ai accordé 5 unités au titre de l'article 13a) pour la préparation à l'audience et 50 unités au titre de l'article 13b) relativement aux 25 jours suivant le premier jour d'audience. Quant aux honoraires d'avocat réclamés pour la participation à l'audience, j'ai accordé 275 unités au total pour 137,5 heures d'audience.

[16] Puisqu'aucune raison spéciale ne justifiait de manière évidente la nécessité d'avoir recours à un deuxième avocat, j'ai rejeté les dépens demandés par la plaignante au titre de l'article 14b) du tarif. Vu les considérations ci-dessus et la complexité qu'implique l'établissement de la correspondance entre l'instance du Tribunal et les articles du tarif de la Cour fédérale, j'ai accordé 5 unités pour les honoraires d'avocat visant la rédaction et la présentation du mémoire de frais de la plaignante.

[17] L'état de compte déposé par la plaignante contenait un taux horaire de 250 $ pour ses honoraires d'avocat. L'avocat de l'intimée a répondu que la valeur unitaire de 120 $ prévue au tarif B des Règles des Cours fédérales en date du 1er avril 2005 serait plus adéquate. Dans les circonstances de l'espèce, et particulièrement compte tenu du succès limité de la plainte de Mme Mowat, je suis enclin à tomber d'accord avec l'intimée sur ce point. J'ai accordé un total de 359 unités à l'égard des honoraires d'avocat. Si l'on applique une valeur unitaire de 120 $, on obtient un total de 43 080 $ pour les honoraires d'avocat.

[18] La plaignante a demandé que 6 499,83 $ en honoraires d'avocat soient versés au cabinet juridique Gahrns & Laliberté. On ne sait pas quelle partie de ses services ou dans quelle mesure ceux-ci se rapportent à la présente plainte, mais il ressort manifestement de la facture produite qu'une certaine consultation avait trait à la plainte renvoyée au Tribunal. L'intimée a été reconnu responsable d'avoir fait preuve de discrimination envers Mme Mowat. Il est donc raisonnable, à mon avis, d'accorder les 800 $ payés par la plaignante elle-même pour ce service, comme en a convenu l'avocat de l'intimée dans ses observations orales.

[19] L'approche adoptée par l'avocat de l'intimée quant à la réclamation par la plaignante des frais d'hôtel semble tout à fait raisonnable dans les circonstances de l'espèce. La somme de 2 754 $ a donc été accordée au titre de ces frais. La demande de 265 $ pour les frais de stationnement et de taxi est moins toutefois moins claire; 115 $ ont été accordés pour ces frais. Certains documents concernant le stationnement et les taxis ont été produits en tant que preuve d'une dépense, mais une comptabilisation claire et convaincante n'a pas été faite. Les frais de messagerie demandés ont aussi été réduits à 26,10 $ pour des raisons semblables.

[20] La demande de 81 $ touchant le témoin Campbell a été accueillie. La déposition du témoin se rapportait à la plainte, et le témoin a clairement payé cette somme lui-même.

[21] Les montants réclamés de 10,83 $, 2 166,75 $, 187,25 $, 26,75 $ et 404,46 $ pour les photocopies, les télécopies, les relieurs à feuilles mobiles, les onglets, les imprimés ainsi que les appels interurbains et la distance parcourue ont été rejetés pour absence de comptabilisation claire et d'établissement précis du rapport entre ces montants et l'instance du Tribunal. Il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que l'intimée paie des frais de cette nature, qui peuvent par ailleurs être considérés indirects, au terme d'une taxation assimilable à celle faite sur la base partie-partie, à moins que l'on ait démontré, à l'aide d'une comptabilisation claire, que ces frais ont été engagés directement pour la présente instance.

[22] La plaignante réclame aussi des frais de 856 $ pour l'évaluation de la pension. L'avocat de l'intimée a fait valoir que la plaignante avait été entièrement déboutée relativement à la question de la pension et qu'elle ne devrait pas être en mesure d'obtenir le remboursement de cette dépense auprès de l'intimée au titre des débours. Je suis d'accord, et j'ai donc refusé ce montant.

[23] La plaignante a aussi demandé 3 045,67 $ pour la transcription. La remarque du Tribunal, selon laquelle l'instance a été marquée par le fait que Mme Mowat n'a tout simplement pas exposé avec précision la nature de sa thèse, est, encore une fois, importante quant à l'examen de cet article. À part des besoins d'un appel, la transcription est un luxe. En l'absence de circonstances justifiant l'utilité exceptionnelle de la transcription pour l'avocat à l'audition de la présente plainte (p. ex. afin d'aider à raccourcir la durée de l'audience), l'intimée ne devrait pas avoir à payer les frais de la transcription. Ces débours ont donc été refusés.

[24] La plaignante a également produit des factures totalisant 343,90 $ pour la recherche dans Quicklaw. Il est juste de dire que les droits de la personne sont quelque peu moins tentaculaires en pratique, à l'instar de d'autres domaines du droit. Il est donc extrêmement important, dans l'optique de présenter un argument convaincant pour étayer une allégation de discrimination en violation de la Loi, d'aider le Tribunal dans ses délibérations en présentant une jurisprudence exacte et à jour. On pourrait soutenir par ailleurs que le coût de la recherche dans Quicklaw devrait être considéré comme faisant partie des frais indirects payés par un cabinet juridique plutôt que comme une menue dépense. J'ai réduit ces frais à 143,90 $. Cette recherche est tout aussi utile au Tribunal qu'elle l'est à la cause d'une partie, mais le succès fort limité de la plainte milite contre l'octroi intégral de ces frais.

[25] Par conséquent, et en sus des motifs donnés auparavant par le Tribunal, Mme Mowat a droit à 47 000 $ au total pour ses frais juridiques en application de l'alinéa 53(2)c) de la Loi. La demande de Mme Mowat visant les intérêts courant à partir de la date de la présente décision est rejetée pour les motifs déjà exposés. Des intérêts sont cependant payables sur les dépens adjugés, et courent de la date de la présente décision jusqu'à la date du paiement des dépens. Encore une fois, ces intérêts doivent être calculés conformément à l'alinéa 9(12)a) des Règles de procédure du Tribunal.

Signé par
J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)
Le 22 avril 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T822/7203

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Donna Mowat c. les Forces armées canadiennes

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 22 avril 2008

ONT COMPARU :

Jerry W. Switzer

Pour la plaignante

(Aucune représentation)

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

Derek Allen Sandra Nishikawa

Pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.