Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

ALI TAHMOURPOUR

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

gendarmerie royale du canada

l'intimée

DÉCISION

2008 TCDP 10
2008/14/16

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

I. INTRODUCTION

II. UN APERÇU DE LA PLAINTE

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS PROPRES À LA PRÉSENTE PLAINTE?

IV. QUE FAUT-IL PROUVER RELATIVEMENT À L'ARTICLE?

A. M. Tahmourpour a-t-il été la cible de commentaires discriminatoires, de traitement hostile et de violence verbale?

B. L'évaluation du rendement de M. Tahmourpour au Dépôt

C. La décision de résilier le contrat de M. Tahmourpour

D. L'évaluation des qualités de M. Tahmourpour en vue d'une réadmission

V. QUE FAUT-IL PROUVER RELATIVEMENT À L'ARTICLE 14 DE LA LOI?

A. M. Tahmourpour a-t-il été victime de harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite?

VI. QUELLES MESURES DE REDRESSEMENT CONVIENT-IL D'ORDONNER EN L'ESPÈCE?

VII. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Ali Tahmourpour est un Canadien musulman qui est né en Iran. Il a toujours rêvé de devenir policier.

[2] Le 12 juillet 1999, il a eu la chance de réaliser son rêve. Ce jour-là, il est entré à l'École de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), connue sous le nom de Dépôt, à Regina, en Saskatchewan. Le 20 octobre 1999, le contrat de formation de M. Tahmourpour a été résilié avant que celui-ci n'ait terminé le programme. M. Tahmourpour croit que la résiliation de son contrat de formation était l'aboutissement de trois mois de harcèlement et de discrimination fondés sur sa race, sa religion et son origine nationale ou ethnique.

[3] M. Tahmourpour a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), le 21 mars 2001, dans laquelle il prétend qu'il y a eu violation des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

II. UN APERÇU DE LA PLAINTE

[4] M. Tahmourpour soutient que, dès son premier jour de formation au Dépôt, il a reçu un traitement particulier défavorable en raison de sa religion, de sa race et de son origine nationale ou ethnique. Il affirme avoir été ridiculisé pour avoir porté un pendentif religieux et pour avoir signé son nom en écriture persane. Il a été continuellement la cible de harcèlement verbal, de traitement hostile et d'évaluations de rendement défavorables par ses instructeurs. Il en est résulté une diminution de sa confiance en soi et de ses capacités à apprendre et à faire preuve des habiletés requises au Dépôt. Lorsque M. Tahmourpour s'est opposé à l'un des instructeurs qui le traitait défavorablement, l'instructeur en question a monté une campagne visant à le faire expulser du Dépôt. À la demande pressante de cet instructeur, M. Tahmourpour a fait l'objet d'évaluations de rendement défavorables et inexactes, ce qui a finalement mené à son renvoi du programme de formation. Le dernier acte discriminatoire a eu lieu, selon M. Tahmourpour, quand la GRC lui a nié la possibilité de réintégrer le programme sur la base d'une évaluation inexacte de sa stabilité mentale.

[5] M. Tahmourpour est d'avis que le traitement défavorable dont il a fait l'objet était le fruit d'une discrimination systémique contre les minorités visibles au Dépôt. Selon lui, cette discrimination systémique au Dépôt se traduisait par l'inaction de la GRC relativement à la culture d'irrespect et de négativité visant les cadets de minorités visibles au Dépôt, de sorte que le taux d'attrition chez les cadets de minorités visibles était plus élevé que chez les cadets n'appartenant pas à des minorités visibles.

[6] La GRC a nié qu'il existait de la discrimination systémique au Dépôt à l'époque où M. Tahmourpour s'y trouvait. La GRC a déclaré que le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt avait été évalué de manière juste et qu'il ne répondait pas aux attentes. Son contrat de formation a été résilié pour la simple raison qu'il n'a pas réussi à satisfaire aux normes du Dépôt. Quand il a été informé que son contrat était résilié, la réaction négative de M. Tahmourpour à cette nouvelle a démontré qu'il ne savait pas réagir aux situations difficiles. Par conséquent, la GRC avait raison d'insérer une note dans son dossier pour recommander que M. Tahmourpour ne soit pas considéré pour être réadmis.

[7] La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas participé à la procédure. Cependant, elle est demeurée partie à la procédure et a fait savoir qu'elle s'intéressait à toute procédure préliminaire, procédure de résolution, de mise en uvre ou de contrôle judiciaire qui pourrait s'ensuivre.

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS PROPRES À LA PRÉSENTE PLAINTE?

[8] M. Tahmourpour soutient que les incidents suivants se sont produits et qu'ils constituent du harcèlement ainsi qu'une différence de traitement défavorable fondés sur la race, la religion et l'origine nationale ou ethnique :

  1. M. Tahmourpour a été la cible de commentaires discriminatoires, de traitement hostile et de violence verbale de la part des instructeurs au Dépôt;
  2. le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt n'a pas été évalué correctement;
  3. l'intimée a résilié le contrat de formation de M. Tahmourpour sur de faux prétextes;
  4. M. Tahmourpour a été désigné à tort comme étant inadmissible à une réinscription au Programme d'instruction des cadets au Dépôt;
  5. M. Tahmourpour a été victime de harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite alors qu'il était au Dépôt.

[9] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte de M. Tahmourpour est fondée.

IV. QUE FAUT-IL PROUVER RELATIVEMENT À L'ARTICLE 7?

[10] L'article 7 de la Loi énonce que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de défavoriser un individu.

[11] Il incombe d'abord au plaignant d'établir une preuve prima facie qu'il a été défavorisé en raison de sa race, de sa religion et de son origine nationale ou ethnique. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante en l'absence de réplique de la partie intimée (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (O'Malley); et Dhanjal c. Air Canada, (1997), 139 F.T.R. 37, au paragraphe 6).

[12] Le fardeau passe ensuite à l'intimée, qui doit fournir une explication raisonnable montrant que l'acte discriminatoire allégué ne s'est pas produit tel qu'allégué ou que l'acte était d'une manière ou d'une autre non discriminatoire (Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154, au paragraphe 26). Le Tribunal doit ensuite établir, selon la prépondérance des probabilités, si les allégations de discrimination ont été prouvées.

A. M. Tahmourpour a-t-il été la cible de commentaires discriminatoires, de traitement hostile et de violence verbale?

(a) La mention du pendentif religieux de M. Tahmourpour

[13] Le 12 juillet 1999, M. Tahmourpour s'est présenté à son premier jour de conditionnement physique au Dépôt. L'instructeur, le sergent Paul Hébert (aujourd'hui surintendant), a ordonné aux cadets de se changer pour mettre leurs vêtements d'entraînement et d'enlever tout bijou ou montre. M. Tahmourpour est allé parler au sergent Hébert pour lui expliquer qu'il portait un pendentif religieux et qu'il ne voulait pas l'enlever. Le sergent Hébert a répondu que c'était acceptable.

[14] M. Tahmourpour a demandé au sergent Hébert de ne pas parler de son pendentif religieux, car il ne voulait pas être traité différemment en raison de son appartenance religieuse. M. Tahmourpour a témoigné que, contrairement à ce qu'il avait demandé, le sergent Hébert a annoncé à tous les cadets de la Troupe 4 que [traduction] aucun bijou ne peut être porté durant le conditionnement physique, sauf pour Ali ici présent, qui a le droit de porter son pendentif religieux. Il affirme que le sergent Hébert a formulé ce commentaire d'une voix forte et sur un ton sarcastique et condescendant, tout en roulant les yeux en direction de M. Tahmourpour.

[15] M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage que, pendant plusieurs jours après cet incident, ses camarades de troupe lui ont posé des questions sur sa religion et lui ont demandé pourquoi il portait un pendentif. Il a soutenu que ces questions l'avaient rendu mal à l'aise et qu'il craignait avoir été étiqueté comme étant différent.

[16] Le 14 octobre 1999, M. Tahmourpour a eu une conversation avec le sergent Hébert au cours de laquelle le sergent Hébert a demandé pardon pour son commentaire au sujet du pendentif religieux. Selon M. Tahmourpour, le sergent Hébert a déclaré qu'à l'avenir, il emploierait une méthode différente pour répondre aux demandes d'exemption pour le port de bijoux religieux.

[17] Les instructions relatives au code vestimentaire et aux règles d'hygiène de la GRC données aux cadets à l'époque où M. Tahmourpour était au Dépôt précisaient qu'aucun bijou ne pouvait être porté, à l'exception des bracelets MedicAlert. Elles ne prévoyaient pas d'exception pour les bijoux religieux. Ceci obligeait les cadets soit à enlever leurs bijoux religieux, soit à aller parler à l'instructeur pour demander une exemption, comme l'a fait M. Tahmourpour.

[18] Compte tenu de cette preuve, j'estime que M. Tahmourpour a établi prima facie que les instructions relatives au code vestimentaire et aux règles d'hygiène de la GRC ainsi que le commentaire formulé par le sergent Hébert devant la Troupe 4 constituaient une différence de traitement défavorable fondée sur la religion de M. Tahmourpour.

L'explication de l'intimée

[19] Le sergent (aujourd'hui surintendant) Paul Hébert a témoigné au nom de la GRC. Il a reconnu avoir déclaré à la Troupe 4 qu'aucun bijou ne pouvait être porté durant le conditionnement physique, à l'exception de M. Tahmourpour, qui aurait le droit de porter son pendentif à caractère religieux.

[20] Le sergent Hébert a expliqué avoir fait cette annonce à tous les cadets parce qu'il ne voulait pas que ces derniers causent des difficultés à M. Tahmourpour parce qu'il ne suivait pas la règle. Normalement, si un cadet n'enlève pas un bijou pour le conditionnement physique, la troupe est obligée de faire des tractions pour se rappeler la règle. Pour éviter d'avoir à faire des tractions, les cadets se rappellent les uns les autres d'enlever leurs bijoux. Le sergent Hébert a cru qu'il devait annoncer à la Troupe 4 que M. Tahmourpour avait le droit de porter son bijou à caractère religieux pour éviter que les cadets lui rappellent de le retirer avant le conditionnement physique.

[21] Le sergent Hébert a soutenu que M. Tahmourpour ne lui avait pas dit qu'il voulait garder l'information confidentielle. S'il l'avait su, il ne l'aurait pas annoncé à toute la troupe. Il ne l'aurait dit qu'au guide de droite. Le guide de droite veille à ce que tous les membres de la troupe arrivent à l'heure au cours et soient habillés correctement. Il serait nécessaire d'avertir le guide de droite qu'une exception a été faite à la règle relative à l'uniforme pour qu'il ne cause pas de difficultés au cadet dont l'uniforme n'est pas conforme.

[22] L'affirmation du sergent Hébert par laquelle il reconnaît qu'il n'aurait pas parlé du pendentif devant toute la troupe si M. Tahmourpour le lui avait demandé affaiblit son explication voulant qu'il fût nécessaire de donner ce renseignement à tous.

[23] Le sergent Hébert a également reconnu qu'il aurait mieux valu informer publiquement les cadets de la règle et des exceptions pour les bijoux à caractère religieux et les bracelets MedicAlert, sans mentionner de noms. Par la suite, s'il y avait des problèmes causés par le port de bijoux dans le cours de conditionnement physique, l'instructeur aurait pu aborder individuellement et discrètement le(s) cadet(s) concerné(s) pour discuter de la situation.

[24] Le sergent Hébert a soutenu qu'il aurait fait l'annonce d'une voix forte parce qu'il se trouvait dans un milieu bruyant. Cependant, il ne l'aurait pas fait sur un ton sarcastique parce qu'il respecte les croyances et les valeurs des gens.

[25] J'accepte le témoignage du sergent Hébert selon lequel l'annonce a été faite publiquement à la Troupe 4, mais sur un ton neutre. Toutefois, cela ne change rien au fait que M. Tahmourpour s'est senti visé comme étant différent du reste de la troupe en raison de sa religion. Bien que de nombreux de ses camarades de troupe aient témoigné pour la GRC et affirmé ne pas savoir qu'il était de religion musulmane, cela ne signifie pas que M. Tahmourpour n'a pas été interrogé sur sa religion par d'autres cadets qui n'ont pas témoigné.

[26] Une des difficultés éprouvées par M. Tahmourpour en l'espèce a été de présenter des témoignages de ses anciens camarades de troupe qui sont aujourd'hui des agents de la GRC. M. Tahmourpour soutient qu'il a eu de la difficulté à trouver des personnes qui accepteraient de témoigner contre la GRC en l'espèce.

[27] En outre, l'impression qu'a ressentie M. Tahmourpour d'avoir été ciblé comme étant différent me suffit pour conclure que, bien que non intentionnel, l'effet de la politique de la GRC relativement au code vestimentaire et aux règles d'hygiène ainsi que la mention faite par le sergent Hébert du pendentif religieux de M. Tahmourpour constituaient un acte discriminatoire contre M. Tahmourpour fondé sur sa religion. Cette allégation est par conséquent fondée selon la prépondérance des probabilités.

(b) Les remarques et le traitement discriminatoires du caporal Dan Boyer

[28] L'instructeur en chef de la formation au tir était le caporal Dan Boyer. Le caporal Boyer (aujourd'hui à la retraite) était connu pour sa présence forte et autoritaire sur le champ de tir. De nombreux cadets avaient peur de commettre des erreurs sur le champ de tir parce que le caporal Boyer se montrait sévère et brusque dans ses réprimandes.

[29] M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage que le caporal Boyer se montrait constamment hostile et violent verbalement envers lui. Il a déclaré que le caporal Boyer se tenait très près de lui au champ de tir et lui criait à l'oreille qu'il était un [traduction] perdant, un [traduction] lâche, [traduction] foutrement inutile et [traduction] incompétent. M. Tahmourpour a convenu que le caporal Boyer criait et se montrait violent verbalement envers les autres cadets de la Troupe 4. Cependant, il a soutenu que le caporal Boyer a dirigé beaucoup plus de son attention négative vers lui que vers les autres cadets. Ce comportement a eu un effet très négatif sur la capacité de M. Tahmourpour d'obtenir de bons résultats au tir.

[30] M. Tahmourpour a soutenu que le caporal Boyer a clairement fait savoir qu'il savait que son comportement était offensant. Il a affirmé devant la Troupe 4 qu'il était [traduction] politiquement incorrect et que peu lui importait qui le savait ou qui s'y opposait.

[31] Le Dr Scot Wortley, un criminologue de l'Université de Toronto, a témoigné au nom de M. Tahmourpour. Il a la qualité d'expert en racisme dans les services de police. Le Dr Wortley a affirmé dans son témoignage que l'expression [traduction] politiquement incorrect est péjorative et sarcastique. Elle vise à communiquer une attitude de mépris envers les droits de la personne. Le Dr Wortley a soutenu que, lorsqu'une personne en position d'autorité affirme qu'elle est politiquement incorrecte, elle peut vouloir communiquer l'idée que le système ne prend pas au sérieux les plaintes de discrimination et que les attitudes discriminatoires sont tolérées.

[32] M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage qu'une fois, assez tôt dans le programme de formation, le caporal Boyer l'a regardé signer un formulaire d'évaluation et a ensuite dit : [traduction] Quelle sorte de putain de langue est-ce que c'est, ou est-ce que c'est quelque chose que tu as inventé ? M. Tahmourpour signe son nom de droite à gauche en alphabet persan, comme on le lui a appris quand il était enfant en Iran. Il a continué à signer son nom de cette façon. Il a été profondément blessé quand le caporal Boyer a proféré ces remarques offensantes à propos de sa signature.

[33] M. Tahmourpour a soutenu avoir été incapable de se concentrer et d'obtenir des résultats à la mesure de ses capacités en formation au tir parce qu'il craignait constamment de se faire réprimander par le caporal Boyer ou d'encourir sa réprobation.

[34] Son mauvais rendement en formation au tir, qui a finalement mené à la résiliation de son contrat de formation, était du à l'antipathie manifestée par le caporal Boyer et au traitement préjudiciable qu'il lui a réservé.

[35] Le sergent Brar a témoigné pour M. Tahmourpour. Il a été instructeur et moniteur de troupe au Dépôt de 1998 à 2000. Le sergent Brar appartient à une minorité visible; ses ancêtres sont originaires de l'Asie orientale. Il a remarqué, alors qu'il se trouvait sur le champ de tir avec ses troupes, que le caporal Boyer accordait beaucoup d'attention négative aux cadets appartenant à des minorités visibles ainsi qu'aux femmes (sauf s'il semblait les trouver de son goût, dans lequel cas il les traitait favorablement). Il a soutenu que le caporal Boyer criait plus et se montrait plus brutal dans ses relations avec les cadets appartenant à des minorités visibles et les femmes. Le caporal Boyer était plus jovial avec les hommes caucasiens et avec les jolies femmes.

[36] Le sergent Brar a déclaré avoir constaté l'effet du comportement du caporal Boyer sur le rendement des cadets. Il a observé que, lorsque le caporal Boyer leur criait à l'oreille et les réprimandait, les cadets n'obtenaient pas de bons résultats.

[37] Le sergent Brar a parlé du comportement discriminatoire du caporal Boyer envers les minorités visibles et les femmes à l'officier responsable du Dépôt, l'inspecteur Keith Clark. Le sergent Brar ne se souvenait pas de la date exacte à laquelle il a fait rapport du comportement du caporal Boyer à l'inspecteur Clark. Il a dit à l'inspecteur Clark qu'il croyait que le comportement du caporal Boyer serait à l'origine de plaintes de harcèlement et de discrimination raciale. Le sergent Brar a soutenu que l'inspecteur Clark n'a pas demandé d'autres renseignements.

[38] Le sergent Brar a affirmé dans son témoignage que le caporal Boyer et lui n'étaient pas en bons termes pendant qu'il travaillait au Dépôt. Il a soutenu qu'il avait l'impression, fondée sur ce qu'il avait observé du comportement du caporal Boyer, que ce dernier ne l'aimait pas en raison de sa race et de son origine ethnique.

[39] Le sergent Brar a parlé dans son témoignage d'un incident survenu entre le caporal Boyer et lui-même au cours duquel le caporal Boyer a reproché au sergent Brar une décision qu'il avait prise à l'égard d'un des cadets de sa troupe. Le sergent Brar a déclaré que le ton de voix du caporal Boyer et le langage offensant qu'il avait employés au téléphone étaient inappropriés étant donné qu'il parlait à un collègue du même rang. Le sergent Brar a raccroché au nez du caporal Boyer plutôt que de le laisser continuer à lui faire des reproches.

[40] Compte tenu de la preuve ci-dessus, M. Tahmourpour a prouvé prima facie que le caporal Dan Boyer a formulé des remarques désobligeantes à propos de la signature de M. Tahmourpour qui étaient fondées sur l'origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour et que le caporal Boyer s'est montré violent verbalement envers M. Tahmourpour. Cette preuve, en plus de celle montrant que le caporal Boyer se ventait d'être [traduction] politiquement incorrect, ainsi que le témoignage du sergent Brar selon lequel le caporal se montrait plus dur envers les cadets et les instructeurs appartenant à des minorités visibles qu'envers leurs homologues caucasiens constituent une preuve indirecte suffisante pour établir prima facie que le comportement hostile et violent du caporal Boyer envers M. Tahmourpour était fondé, du moins en partie, sur la race, la religion et l'origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour.

L'explication de l'intimée

[41] Le caporal Boyer a témoigné pour la GRC. Il a été instructeur de la formation au tir au Dépôt de juillet 1996 à 2001. Il a reconnu avoir formulé des remarques au sujet de la signature de M. Tahmourpour. Cependant, il a soutenu ne pas avoir proféré de juron devant lui. Le caporal Boyer a regardé M. Tahmourpour signer un des formulaires d'évaluation. Il a remarqué que M. Tahmourpour signait son nom de la droite vers la gauche puis ajoutait des [traduction] gribouillis à la fin. La signature avait l'air d'avoir été écrite dans une autre langue. Le caporal Boyer a témoigné n'avoir pas demandé à M. Tahmourpour dans quelle langue était sa signature, ni s'il s'agissait de quelque chose qu'il avait inventé. Le caporal Boyer a affirmé avoir posé des questions à M. Tahmourpour sur sa signature par curiosité; il portait un intérêt sincère aux langues différentes. Également, il a affirmé que M. Tahmourpour signait un document juridique et qu'il voulait s'assurer qu'il s'agissait bel et bien de sa signature.

[42] Le caporal Boyer a admis qu'il jurait au travail. Il a reconnu qu'il s'était fait dire par les cadets qu'il criait et qu'il parlait fort. Il a reconnu qu'il y avait eu d'autres plaintes à son endroit, mais il ne pouvait se rappeler les détails d'aucune des plaintes. Il a affirmé qu'il était possible qu'il ait reçu un avertissement concernant les remarques condescendantes et inappropriées qu'il adressait aux cadets. Le caporal Boyer a convenu qu'un de ses examens de rendement signalait qu'il tenait [traduction] des propos grossiers, mais il a affirmé avoir fait des efforts pour régler ce problème. Pourtant, il a reconnu qu'il jurait encore en présence de sa famille et, donc, que ses efforts n'ont pas été entièrement couronnés de succès. Le caporal Boyer a également admis que, avant qu'il ne prenne sa retraite, des plaintes avaient été déposées parce qu'il lançait des jurons à la tête des cadets.

[43] Compte tenu de cette preuve, j'estime que, selon toute probabilité, le caporal Boyer a demandé à M. Tahmourpour : [traduction] Quelle sorte de putain de langue est-ce que c'est, ou est-ce que c'est quelque chose que tu as inventé ?. L'affirmation du caporal Boyer selon laquelle il éprouvait une curiosité sincère au sujet de la langue et de la culture des autres ne sonnait pas juste. Elle semblait avoir été répétée et manquait d'authenticité. En outre, elle contredisait d'autres témoignages que j'ai entendus à propos de la tendance qu'avait le caporal Boyer de rabaisser les cadets des minorités visibles.

[44] Son explication concernant l'authenticité de la signature de M. Tahmourpour n'avait aucun sens et semblait également fabriquée. La manière dont M. Tahmourpour signe le formulaire d'évaluation est absolument sans conséquence sur l'authenticité ou la validité du contenu du document. La signature ne fait que prouver que le cadet a reçu le document. Par conséquent, je n'accepte pas les explications du caporal Boyer relativement à ses remarques au sujet la signature de M. Tahmourpour.

[45] Le caporal Boyer a nié s'être montré plus dur envers M. Tahmourpour qu'envers les autres cadets de la Troupe 4. Il a déclaré que, comme un certain nombre d'instructeurs de formation au tir, il parlait d'une voix forte et agressive. Il a affirmé qu'il n'était pas une brute, bien qu'il fût conscient qu'il pouvait [traduction] possiblement intimider certaines personnes. Le caporal Boyer a affirmé avoir adopté ce style parce que la formation au tir se fait dans un milieu très dangereux et qu'il est important de veiller à ce que l'ordre et le décorum soient maintenus en tout temps sur le champ de tir.

[46] Le caporal Boyer a affirmé qu'il n'était pas [traduction] politiquement correct en tout temps. Il croyait que l'expression politiquement correct signifiait ne jamais jurer ni crier. Il considérait le Dépôt comme un monde politiquement correct où il est interdit de jurer et où il faut tenter de demeurer aussi poli que possible. Le caporal Boyer a affirmé jurer et crier et que, en ce sens, il n'est pas politiquement correct. Cependant, il ne se considérait pas comme raciste.

[47] Le caporal Boyer a également été interrogé sur sa réaction à la directive de son superviseur lui enjoignant d'enlever les [traduction] magazines pour hommes qu'il avait laissés dans la salle de bain des hommes. (Je déduis que l'expression magazines pour hommes désigne des revues comportant des photographies sexuellement explicites de femmes, ce que de nombreuses personnes considèrent comme une atteinte à l'égalité des sexes.) Le caporal Boyer a affirmé que sa première réaction à la directive d'enlever les magazines a été de supposer que le Dépôt essayait d'être politiquement correct. Le caporal Boyer a affirmé qu'il voulait dire par là que le Dépôt était [traduction] un milieu de travail juste et que certains articles auraient pu offenser certaines personnes.

[48] Le témoignage du caporal Boyer n'était ni cohérent ni convaincant. Il est fort probable qu'il savait que l'expression politiquement correct signifiait plus que ne pas jurer, sinon il n'aurait pas répondu que le Dépôt essayait d'être politiquement correct quand on lui a ordonné d'enlever ses [traduction] magazines pour hommes de la salle de bain. Je crois qu'il savait, mais n'était pas prêt à l'admettre à la barre, que l'expression politiquement correct signifiait respecter les droits des femmes et des minorités visibles, entre autres choses. J'estime que, selon toute probabilité, le caporal Boyer a dit aux gens qu'il était politiquement incorrect, et par cette expression il voulait dire qu'il dirait ce qu'il voudrait des gens même si ses propos étaient sexistes ou racistes. À mon avis, c'est ce qu'un auditeur raisonnable aurait pensé en entendant le caporal Boyer se déclarer politiquement incorrect.

[49] L'agent Brendon McCarney a témoigné pour la GRC. Il appartient à une minorité visible et était membre de la Troupe 4 à l'époque à laquelle M. Tahmourpour en faisait partie. L'agent McCarney a affirmé qu'il n'aimait vraiment pas le caporal Boyer. Celui-ci recherchait la confrontation; il criait directement au visage des cadets, en se tenant très près d'eux.

[50] L'agent McCarney a reçu les foudres du caporal Boyer. Il était estomaqué. Il s'est assuré de ne pas commettre à nouveau l'erreur qui a déclenché la réaction. Cependant, il ne s'est pas senti ciblé. Il a affirmé que quiconque commettait une erreur se faisait crier après par le caporal Boyer, y compris les cadets caucasiens.

[51] Toutefois, l'agent McCarney a affirmé qu'il considérait le caporal Boyer comme étant politiquement incorrect. Il voulait dire qu'il le considérait comme une personne impolie qui utilise un langage inconvenant pour parler de la race, de l'orientation sexuelle ou de la couleur d'une personne. Il a déclaré qu'un individu qui est politiquement incorrect relativement à la race peut être appelé un raciste. En ce sens, l'agent McCarney pensait que le caporal Boyer pouvait être raciste, bien qu'il n'ait pas utilisé d'expressions racistes à son endroit. Le caporal Boyer n'était que méchant avec lui.

[52] J'estime que le témoignage de l'agent McCarney corrobore l'affirmation de M. Tahmourpour selon laquelle le caporal Boyer, bien qu'il se montrât dur envers tous les cadets, traitait les cadets appartenant à une minorité visible avec une dose supplémentaire de perniciosité. Le témoignage du caporal Eldon Draudy vient ajouter à la preuve soutenant cette conclusion. Le caporal Draudy a témoigné pour la GRC. Il est un homme caucasien. Le caporal Draudy a affirmé qu'il trouvait le caporal Boyer très intimidant. Il avait peur de faire des erreurs parce que le caporal Boyer criait très fort si une erreur était commise. Le caporal Draudy a bien commis une erreur. Le caporal Boyer a crié après lui pour ne [traduction] pas avoir [eu] la tête au jeu et pour ne pas s'être concentré. Le caporal Boyer lui a dit qu'il risquait de mettre sa vie ou celle de quelqu'un d'autre en danger.

[53] Le caporal Draudy n'a pas décrit le caporal Boyer comme étant [traduction] méchant ou [traduction] violent, comme l'ont fait le sergent Brar, l'agent McCarney et M. Tahmourpour (qui appartiennent tous à une minorité visible). Au contraire, le caporal Draudy a affirmé qu'il aimait la méthode du caporal Boyer parce que le champ de tir est un endroit dangereux et que le caporal Boyer devait en assurer la surveillance très étroite pour que personne ne se blesse. La façon dont le caporal Boyer a corrigé le caporal Draudy était bien différente de la façon dont les membres des minorités visibles et les cadets qui ont témoigné ont été corrigés. Le caporal Draudy s'est fait dire qu'il n'avait pas la tête au jeu, une remarque considérablement plus facile à accepter que de se faire dire, comme cela a été le cas pour M. Tahmourpour, qu'il était [traduction] foutrement inutile.

[54] Compte tenu de cette preuve, j'estime que, selon toute probabilité, le caporal Boyer a traité les cadets appartenant à une minorité visible d'une manière différente et plus défavorable que les candidats n'appartenant pas à une minorité visible. J'estime également que, selon la prépondérance des probabilités, le caporal Boyer s'est montré violent verbalement et hostile envers M. Tahmourpour, au moins en partie en raison de sa race, de sa religion et de son origine nationale ou ethnique.

[55] Le caporal Boyer a nié être raciste; il a de nombreux amis et membres de sa famille qui appartiennent à des minorités visibles. Cependant, en examinant la valeur à accorder à une telle déclaration, je dois tenir compte du fait qu'il est fort possible que l'attitude du caporal Boyer envers les cadets et les officiers de la GRC appartenant à une minorité visible diffère considérablement de son attitude envers ses amis et sa famille.

[56] Un sondage mené auprès des membres réguliers de la GRC en 1996 montrait que 51 p. 100 des membres caucasiens de sexe masculin éprouvaient du ressentiment envers leurs collègues de minorités visibles, de sexe féminin et autochtones, parce qu'ils avaient l'impression que les initiatives d'équité en matière d'emploi conféraient à ces agents de la GRC un avantage indu. Rien ne prouve que cette attitude a changé de 1996 à 1999, année où M. Tahmourpour a suivi la formation au Dépôt.

[57] Le caporal Boyer était, comme tous les instructeurs et moniteurs du Dépôt, un membre régulier de la GRC. À mon sens, il est raisonnable de déduire, à partir du sondage mené auprès des membres réguliers et de la preuve produite au sujet du comportement du caporal Boyer au Dépôt, que son comportement à l'égard de M. Tahmourpour peut avoir été fondé, du moins en partie, sur le ressentiment qu'il éprouvait, comme de nombreux autres membres réguliers caucasiens de sexe masculin, envers les membres de minorités visibles et les femmes de la GRC.

[58] En conclusion, je conclus que le caporal Boyer a formulé des remarques désobligeantes au sujet de la signature de M. Tahmourpour, lesquelles étaient fondées sur un motif de distinction illicite. Il a également traité M. Tahmourpour de manière différente et défavorable sur la base d'un motif illicite en se montrant particulièrement violent verbalement et hostile à l'égard de M. Tahmourpour au Dépôt.

B. L'évaluation du rendement de M. Tahmourpour au Dépôt

(a) La première évaluation

[59] Le 10 septembre 1999, M. Tahmourpour a reçu une Feuille d'évaluation de la performance du cadet datée du 8 septembre 1999 qui comptait 12 AR en Sciences policières appliquées (SPA). AR signifie amélioration requise. Un AR est attribué quant le rendement d'un cadet est insatisfaisant, ne serait-ce qu'un peu. Les cadets sont avisés par écrit lorsqu'ils reçoivent un AR. Si un cadet reçoit deux AR dans la même compétence, il obtient alors un I, soit la cote inacceptable.

[60] Les critiques dans le document d'évaluation du 8 septembre 1999 portaient principalement sur les prétendues faiblesses de M. Tahmourpour dans ses aptitudes à communiquer, à participer au groupe, à s'auto-évaluer, à gérer la pression et à prendre des décisions. Un certain nombre d'exemples ont été fournis, lesquels démontreraient ses faiblesses dans ces domaines. M. Tahmourpour s'est vu donner un mois pour améliorer son rendement. Une rencontre avait été fixée pour discuter de ses progrès.

[61] M. Tahmourpour a soutenu que presque tous les points de l'évaluation du 8 septembre 1999 étaient faux. Il a déclaré que son rendement à ce moment n'était pas moins satisfaisant que celui de n'importe quel autre cadet et que les évaluations négatives constituaient une différence de traitement défavorable fondée sur sa race, sa religion et son origine nationale ou ethnique. À titre subsidiaire, si son rendement était faible dans les domaines énumérés dans l'évaluation, c'était en raison du traitement discriminatoire dont il faisait l'objet. Contrairement à ses collègues cadets, il n'a pu bénéficier d'un milieu non discriminatoire pour se développer et démontrer ses capacités.

[62] Je me pencherai sur deux des exemples présentés dans l'évaluation du 8 septembre 1999 : les faibles aptitudes à communiquer de M. Tahmourpour et l'incident de la vaporisation de gaz poivré, ce dernier étant censé démontrer les faiblesses de M. Tahmourpour à gérer la pression et à prendre des décisions. Ces deux exemples illustrent bien les questions soulevées en l'espèce.

(i) Les aptitudes à communiquer de M. Tahmourpour

[63] Les moniteurs de M. Tahmourpour ont signalé qu'il avait beaucoup de difficultés à écouter et à communiquer efficacement. Cette faiblesse s'est manifestée durant la simulation de maîtrise de la colère le 18 août 1999. À ce moment, M. Tahmourpour n'a pas écouté les clients qui offraient un plan d'action acceptable. M. Tahmourpour a affirmé que, bien qu'il n'ait pas réussi remarquablement bien lors de cette séance, son rendement n'avait certainement pas été pire que celui d'autres cadets de sa troupe.

[64] Un autre exemple illustrait les faibles aptitudes à écouter et à communiquer de M. Tahmourpour dans l'évaluation du 8 septembre, soit le scénario du [traduction] groupe consultatif communautaire. Les scénarios sont des jeux de rôle portant sur des situations qui se produisent dans le cadre du travail d'un policier. Les cadets doivent y appliquer les connaissances et les aptitudes qu'ils ont acquises durant leur formation pour résoudre le problème dans le scénario.

[65] M. Tahmourpour s'est porté volontaire pour jouer le rôle d'un policier dont la tâche était de servir de modérateur dans une réunion communautaire au sujet d'une question préoccupant les résidants du quartier. Le caporal Bradley et le caporal Jacques ont fait observer que [traduction] les membres d'une collectivité fictive ont soulevé divers problèmes et ce qui a commencé comme une réunion constructive s'est terminé en situation destructive où les membres de la collectivité étaient visiblement mécontents du policier. Ils ont affirmé que cette situation s'était produite parce que M. Tahmourpour n'avait pas fait montre de bonnes aptitudes à communiquer et à établir un consensus afin de définir le problème et de parvenir à une solution. Il n'a pas su écouter les membres de la collectivité et semblait avoir son propre programme.

[66] Au contraire, M. Tahmourpour a soutenu que la réunion communautaire s'était très bien déroulée. Il a affirmé que les résidants de la collectivité voulaient que les règlements changent pour permettre à leurs invités de ne pas recevoir de contravention pour stationnement illégal quand ils étaient en visite. Il leur a répondu que la loi était la loi, mais qu'il essaierait de voir ce qui pouvait être fait en passant par les voies appropriées. M. Tahmourpour a estimé que tous les participants étaient plutôt satisfaits du résultat. Ses camarades de troupe lui avaient donné de la rétroaction positive sur sa façon de gérer la situation.

L'explication de l'intimée

[67] Le caporal Bradley (aujourd'hui inspecteur) a affirmé dans son témoignage que, dès le début, elle a senti que M. Tahmourpour éprouvait beaucoup de difficultés dans les formations de type scénario. Il peinait à interpréter la situation et à réagir en conséquence. Elle a déclaré que ses difficultés découlaient de ses faibles aptitudes en communication. Les aptitudes en communication ne se limitent pas au discours. Elles comprennent l'écoute, la prise de renseignements et la réaction appropriée. En raison de son incapacité à communiquer efficacement, M. Tahmourpour avait des faiblesses dans tous les aspects de l'évaluation du risque, de l'évaluation de la force policière et de la sécurité publique et dans l'interaction avec les suspects.

[68] Le caporal Bradley a déclaré que M. Tahmourpour a reçu régulièrement de la rétroaction verbale au sujet de ses aptitudes à communiquer. Par exemple, lors du scénario sur la maîtrise de la colère, M. Tahmourpour avait été incapable de répondre aux signaux et d'utiliser les techniques qui lui avaient été montrées. Conformément à la procédure normale, son rendement a été critiqué après le scénario. Le caporal Jacques et le caporal Bradley ont témoigné que la rétroaction aurait été donnée d'une manière constructive.

[69] Pour ce qui est du groupe consultatif communautaire, le caporal Bradley a déclaré que M. Tahmourpour semblait avoir adopté une méthode pour régler les problèmes présentés à la réunion. Peu importe les renseignements ou les émotions auxquels il devait réagir, il ne déviait pas de son plan. Il en est résulté qu'il n'a pas écouté les gens et n'a pas réagi à ce qu'ils disaient. Les membres du groupe sont devenus de plus en plus fâchés à mesure qu'ils ont senti que M. Tahmourpour ne répondait pas aux questions qu'ils soulevaient. Il n'a pas utilisé les techniques qui lui avaient été montrées pour entamer des négociations sur les intérêts, comme reformuler, cerner les intérêts, poser des questions, interpréter les émotions et dire des choses comme : [traduction] D'accord, je vois que c'est très important pour vous, que puis-je faire pour vous aider?

[70] L'inspecteur Bradley a présenté un témoignage crédible au sujet des difficultés à communiquer de M. Tahmourpour. Elle a fait bonne figure lors du contre-interrogatoire rigoureux à ce sujet. Par exemple, lorsqu'elle a été interrogée sur le fait que les pairs de M. Tahmourpour avaient jugé qu'il était demeuré en contrôle tout le long de l'exercice du groupe consultatif communautaire, l'inspecteur Bradley a répondu qu'il n'y avait pas de contradiction entre demeurer en contrôle du groupe (ce qui est généralement positif) et néanmoins ne pas répondre aux besoins et aux intérêts dont il était question durant la réunion. Elle n'est pas revenue sur son opinion selon laquelle le rendement de M. Tahmourpour lors de cette réunion était inacceptable. Elle a pu répondre aux questions que lui a posées l'avocat du plaignant avec calme et sans détour. Ses réponses étaient assurées et directes et elle a parlé avec conviction et avec un air de candeur que j'ai trouvé convaincant.

[71] Au contraire, j'ai trouvé la preuve de M. Tahmourpour sur la question de ses aptitudes à communiquer moins que crédible. Il affirme que son rendement lors de l'exercice du groupe consultatif communautaire était excellent parce qu'il avait trouvé une solution. Il me semble qu'il ne saisit pas entièrement que la communication ne se limite pas à exprimer ses idées et à trouver une solution à un problème. Par exemple, lorsqu'on a demandé à M. Tahmourpour ce qu'il croyait que voulait dire l'expression [traduction] écoute active, il a déclaré qu'il croyait que ça voulait dire prendre de bonnes notes.

[72] M. Tahmourpour a également démontré sa faiblesse à s'auto-évaluer pendant l'audience. Il a convenu en contre-interrogatoire qu'il pouvait avoir certains points faibles en communication. Pourtant, quand on lui a demandé quels étaient ces points faibles, il a été incapable de les nommer. Il a souvent répété que, comme tout le monde, il avait des choses à améliorer. Mais quand on lui a demandé quelles pourraient être ces choses, il a répondu vaguement.

[73] Par conséquent, je crois que, selon toute probabilité, en date du 8 septembre 1999, M. Tahmourpour avait démontré qu'il ne parvenait pas à développer certaines aptitudes en communication qui sont essentielles au travail du policier : l'écoute active, l'établissement d'un consensus, la négociation fondée sur les intérêts et parler sur un ton qui impose le respect. La première partie de l'allégation de M. Tahmourpour n'est donc pas prouvée prima facie.

[74] Cependant, M. Tahmourpour a soutenu, à titre subsidiaire, que ses faiblesses résultaient des critiques injustifiées qu'il recevait constamment au Dépôt. M. Tahmourpour a bel et bien reçu beaucoup d'attention de la part des instructeurs au Dépôt. Une partie de cette attention découlait d'efforts sincères visant à l'aider à surmonter ses faiblesses dans des domaines comme la communication. Cependant, comme je l'ai déjà mentionné, il a également été la cible de harcèlement verbal et de remarques désobligeantes de la part du caporal Boyer, dont le comportement était fondé, du moins en partie, sur la race, la religion ou l'origine ethnique ou culturelle de M. Tahmourpour. Ce dernier a déclaré qu'il s'était senti intimidé et que sa confiance avait été sérieusement ébranlée par ce traitement.

[75] M. Tahmourpour a témoigné que l'impression d'isolement et la vulnérabilité qu'il ressentait découlaient d'une séance de [traduction] formation de sensibilisation qui avait eu lieu tôt dans le programme. Il a affirmé que le caporal Jacques avait commencé la séance en déclarant : [traduction] C'est le cours où on vous enseigne comment être politiquement correct pour éviter que vous ne vous mettiez les pieds dans les plats. Après cette affirmation, un cadet s'est exclamé : [traduction] Allons tous à Fort McMurry, eh. Puis un autre cadet a répliqué : [traduction] Passons d'abord acheter du jus de photocopieur et du Varsol, eh! Les cadets avaient imité l'accent de certains autochtones canadiens en faisant ces déclarations. Il semble que ces commentaires aient fait rire de nombreux cadets. Selon M. Tahmourpour, le caporal Jacques n'a pas dénoncé ces remarques et n'a pas réprimandé les cadets qui les ont formulées. M. Tahmourpour a affirmé s'être senti extrêmement mal à l'aise et isolé de ses camarades de troupe en raison de ces commentaires de toute évidence racistes.

[76] L'intimée n'a pas soumis de preuve en réponse à ces allégations. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l'incident s'est produit tel que l'a décrit M. Tahmourpour et qu'il a eu pour conséquence que M. Tahmourpour s'est senti vulnérable au racisme au Dépôt.

[77] Il est généralement admis qu'un traitement raciste et discriminatoire a généralement un effet préjudiciable sur la capacité de la victime de fonctionner efficacement dans son milieu de travail (voir par exemple Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, [2001] D.C.D.P. no 29, au paragraphe 119; Naraine c. Ford Motor Co., [1996] O.H.R.B.I.D. no 23, au paragraphe 93, inf. sur un autre point par (2001), 209 D.L.R. (4th) 465 (O.C.A.); Hinds c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1988] D.C.D.P. no 13). Par conséquent, lorsque sont analysées les allégations propres à une plainte relative aux droits de la personne, le comportement du plaignant doit être examiné dans le contexte du milieu de travail dans son ensemble. Si le milieu de travail (en l'espèce, de formation) était empoisonné par de la discrimination et du harcèlement, le Tribunal doit déterminer si le milieu a affecté le comportement ou le rendement du plaignant.

[78] Quand j'examine la conduite de M. Tahmourpour en tenant compte du traitement discriminatoire qu'il a subi au Dépôt, j'estime que, selon toute probabilité, ce traitement a constitué un facteur ayant causé ses difficultés à développer et démontrer des aptitudes acceptables en communication. Dans une ambiance où l'intolérance raciale et le harcèlement sont tacitement approuvés et où les cadets comme M. Tahmourpour sont la cible de violence verbale et d'intimidation, il est raisonnable de déduire que le rendement de ceux-ci en sera affecté. Pour cette raison, j'estime que, bien que les critiques des moniteurs relativement aux aptitudes de M. Tahmourpour en communication reflétaient sans doute fidèlement ce qu'ils ont observé, elles ne reflétaient pas nécessairement de façon fidèle les véritables aptitudes de M. Tahmourpour dans ce domaine. M. Tahmourpour n'a pas profité d'un milieu exempt de discrimination dans lequel développer et démontrer ses aptitudes en communication. En conséquence, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la seconde partie de l'allégation de M. Tahmourpour concernant cet aspect de l'évaluation du 10 septembre 1999 a été prouvée prima facie.

(ii) L'incident de la vaporisation de gaz poivré

[79] Le 26 août 1999, les cadets de la Troupe 4 ont pris part à une séance où on leur a vaporisé du gaz poivré dans la figure et où ils ont ensuite dû accomplir une série de tâches. Le but de la séance était de fournir aux cadets une expérience personnelle des effets du gaz poivré et d'évaluer leur rendement sous pression. Chaque cadet était jumelé à un partenaire dont le rôle était d'aider le premier à se rincer les yeux et à se remettre d'aplomb. Les cadets se sont mis en rang avec leur partenaire. Quand ils étaient nommés, un cadet s'avançait pour être aspergé de gaz poivré, alors que l'autre restait près pour prêter assistance.

[80] Dans la Feuille d'évaluation de la performance du cadet datée du 8 septembre 1999, le caporal Bradley et le caporal Jacques ont écrit que, juste avant la séance de vaporisation de gaz poivré, M. Tahmourpour était tellement nerveux qu'il ne pensait pas pouvoir passer à travers. Ils ont également affirmé que, durant le test, son angoisse l'avait complètement coupé de son environnement. En conséquence, il n'était pas en rang au moment où son partenaire allait être aspergé. D'autres cadets de la Troupe ont dû aller le chercher pour qu'il puisse prendre soin de son partenaire.

[81] M. Tahmourpour a témoigné que l'évaluation de son rendement lors de la séance de vaporisation de gaz poivré était inexacte. À son avis, il s'en est très bien sorti. Il ne manquait pas à l'appel quand c'était le tour de son partenaire d'être aspergé; il était là pour l'aider, comme il le fallait.

[82] M. Tahmourpour a déclaré que l'évaluation sur la vaporisation de gaz poivré était une des nombreuses fausses évaluations incluses dans la Feuille d'évaluation du 8 septembre 1999 dans le but de monter un dossier contre lui à l'instigation du caporal Boyer. Selon M. Tahmourpour, le caporal Boyer l'avait pris en grippe et allait faire tout en son pouvoir pour faire résilier son contrat de formation.

[83] Selon M. Tahmourpour, l'évaluation du 8 septembre en SPA a été remplie le 9 ou le 10 septembre, après l'altercation qu'il a eue avec le caporal Boyer le 9 septembre 1999. Le 9 septembre, le caporal Boyer a attribué un I à M. Tahmourpour parce que son pistolet était sale. M. Tahmourpour n'était pas d'accord sur le fait que son pistolet était sale. Il a demandé un deuxième avis. Le caporal Boyer s'est mis en colère et a dit : [traduction] Enlève-toi de ma face, merde, ou je te botte le cul! M. Tahmourpour a déclaré qu'ils en sont presque venus aux coups, mais parce qu'il a fait marche arrière, ils ne se sont pas battus. M. Tahmourpour a soutenu que l'évaluation en SPA du 8 septembre avait été [traduction] inventée de toutes pièces en réponse à des suggestions du caporal Boyer.

[84] Pour prouver que l'évaluation a été préparée en réponse aux pressions du caporal Boyer, M. Tahmourpour souligne le fait que, avant le 8 septembre 1999, il n'avait reçu d'évaluation formelle qu'en Tactiques policières défensives et en Formation au tir. Il n'avait reçu aucune évaluation formelle en SPA, pour lesquelles le caporal Bradley et le caporal Jacques étaient les instructeurs. Puis soudainement, le 8 septembre 1999, il a reçu 12 AR en SPA. Selon M. Tahmourpour, il a appris pour la première fois le 8 septembre 1999 que son rendement en SPA était sérieusement insatisfaisant. Contrairement à ce que prévoient les Procédés d'évaluation des cadets, il ne s'était pas fait dire lors de plusieurs des incidents mentionnés dans l'évaluation que son rendement était insatisfaisant. Ces incidents dataient d'aussi loin que le 18 août 1999 - soit environ trois semaines avant la remise de l'évaluation formelle. L'incident du gaz poivré s'était produit presque deux semaines entières avant le 8 septembre 1999, date de l'évaluation. Si son rendement n'était pas satisfaisant à ce moment, on aurait dû le lui indiquer alors.

[85] Selon les Procédés d'évaluation des cadets, si le cadet ne reçoit aucune évaluation formelle, il peut présumer que son rendement est considéré comme professionnel (soit P). Toutefois, le cadet reçoit de la rétroaction immédiatement ou dès que possible après les faits, pour qu'il ait le temps de s'améliorer. M. Tahmourpour n'a pas reçu d'évaluation formelle lors de plusieurs des incidents mentionnés dans l'évaluation du 8 septembre 1999, en particulier après la séance de vaporisation de gaz poivré du 26 août 1999. Il s'agit d'une dérogation considérable aux procédés d'évaluation normaux. Ajoutée au moment où a été remise l'évaluation, cette façon de faire laisse entendre qu'un facteur autre que les préoccupations des instructeurs au sujet du rendement de M. Tahmourpour a joué un rôle dans l'évaluation du 8 septembre 1999.

[86] Le caporal Boyer avait déjà démontré son antipathie préjudiciable à l'égard de M. Tahmourpour. Le caporal Jacques et le caporal Boyer étaient en étroite communication puisqu'ils enseignaient tous deux la formation au tir. Par conséquent, il est probable que le caporal Boyer a influencé l'opinion qu'avait le caporal Jacques de M. Tahmourpour.

[87] Compte tenu de la preuve présentée par M. Tahmourpour, j'estime qu'il a prouvé prima facie qu'il a été traité différemment des autres cadets dans l'évaluation de son rendement relativement à l'incident de la vaporisation de gaz poivré et que son statut de cadet appartenant à une minorité visible a été un facteur dans son traitement.

L'explication de l'intimée

(i) Que s'est-il produit lors de la séance de vaporisation de gaz poivré?

[88] Le caporal Brendon McCarney a fourni un DVD de certaines des activités et séances de formation de la troupe. Une des activités enregistrées sur le DVD était la séance de vaporisation de gaz poivré. Il n'y a qu'une séance de vaporisation de gaz poivré par troupe au Dépôt.

[89] Le caporal McCarney a témoigné que la troupe avait engagé un vidéographe pour enregistrer certaines activités afin d'en faire un souvenir de l'expérience des cadets au Dépôt. L'enregistrement DVD ne comprend pas toutes les activités et séances qui ont eu lieu au Dépôt. Le Tribunal a accepté le DVD en preuve, en notant qu'il ne représente pas l'ensemble de ce qui a été vécu au Dépôt. Par conséquent, les événements apparaissant sur le DVD doivent être examinés dans le contexte de toute la preuve présentée à l'audience.

[90] L'enregistrement DVD montrait la Troupe 4 se dirigeant en marchant vers l'endroit où la vaporisation de gaz poivré devait avoir lieu. Il y avait deux lignes. M. Tahmourpour se trouvait à côté du cadet Lasson, qui était son partenaire pour la séance de vaporisation de gaz poivré. L'enregistrement DVD montre que M. Tahmourpour n'était pas absent quand le cadet Lasson a été aspergé : la vidéo montre que M. Tahmourpour, à ce moment, était là pour aider son partenaire, le cadet Lasson. Cependant, le cadet Meyer n'était pas là au moment où son partenaire, le cadet Lyle, devait se faire asperger la figure. L'enregistrement montre que quelqu'un a demandé qu'on attende que le cadet Meyer soit retrouvé. En conséquence, selon l'enregistrement DVD, il semble que se soit le cadet Meyer qui n'était pas là pour aider son partenaire, et non M. Tahmourpour.

[91] Comme les autres cadets qui ont témoigné en l'espèce, le caporal McCarney ne se rappelait pas qu'un cadet était absent quand son partenaire devait être aspergé. Cependant, quand il a regardé le DVD à nouveau, il a convenu qu'il avait fallu chercher le cadet Meyer quand son partenaire, le cadet Lyle, allait être aspergé. Il a également convenu que le DVD montrait que M. Tahmourpour était là quand son partenaire, le cadet Lasson, allait être aspergé. Il a déclaré que les cadets n'étaient aspergés de gaz poivré qu'une fois chacun.

[92] Le caporal Bradley n'était pas présente lors de l'incident de la vaporisation de gaz poivré; elle n'a aucun souvenir de ce qui s'est produit sauf ce que lui a raconté le caporal Jacques. Le caporal Bradley a convenu que, selon ce qu'elle a pu observer sur l'enregistrement, M. Tahmourpour était là pour son partenaire et a réussi aussi bien que les autres cadets l'épreuve de la vaporisation de gaz poivré. Cependant, elle est toujours convaincue de la véracité l'information que lui a transmise son collègue moniteur de troupe, le caporal Jacques, selon laquelle, à un certain moment, M. Tahmourpour n'était pas là pour son partenaire quand il a été aspergé de gaz poivré et qu'il a fallu partir à sa recherche.

[93] Le caporal Jacques a déclaré que le problème avec la conduite de M. Tahmourpour était qu'il n'était pas en rang avec les autres cadets avant que commence la séance de vaporisation de gaz poivré. Ses camarades de troupe ont dû le chercher pour qu'il vienne se mettre en rang avec les autres cadets de la troupe afin qu'il puisse aider son partenaire pendant qu'il se ferait asperger. Le moment où les cadets se sont mis en rang avant le début de la séance de vaporisation de gaz poivré n'était pas sur le DVD.

[94] Le caporal a reconnu en contre-interrogatoire que, contrairement à sa pratique habituelle, il n'a pas consigné l'absence de M. Tahmourpour dans son carnet. Il a également reconnu prendre normalement des notes dans son carnet lorsque se produisent des incidents importants en formation. Il a pris des notes détaillées au sujet des progrès de M. Tahmourpour, mais cet incident ne figure pas dans ses notes.

[95] Le témoignage du caporal Jacques comportait un autre problème. Malgré l'ordonnance d'exclusion des témoins en vigueur, le caporal Jacques a été informé avant de témoigner de ce que montrait l'enregistrement DVD de l'incident de la vaporisation de gaz poivré et de la difficulté qu'avaient eu les témoins précédents à concilier le contenu de l'enregistrement avec la Feuille d'évaluation, selon laquelle M. Tahmourpour était absent quand son partenaire [traduction] allait être aspergé de gaz poivré. Ces renseignements ont permis au caporal Jacques de présenter son témoignage de manière à éviter cette difficulté. En conséquence, l'ordonnance d'exclusion des témoins a dans les faits été contournée. Cela m'incite à mettre en question l'authenticité du témoignage du caporal Jacques à ce sujet. Je ne suis pas sûre qu'il se serait [traduction] souvenu du moment où M. Tahmourpour n'était supposément pas en rang s'il n'avait pas été en mesure de prendre en compte la preuve qui avait été présentée avant son témoignage. En outre, l'incident n'est pas noté dans son carnet, alors qu'il s'est beaucoup appuyé sur ses notes pour se rafraîchir la mémoire.

[96] Finalement, le caporal Jacques a témoigné que M. Tahmourpour ne se trouvait pas en rang quand la troupe se préparait à l'exercice. Pourtant il est écrit dans la Feuille d'évaluation que M. Tahmourpour n'était pas prêt lorsque son partenaire [traduction] allait être aspergé de gaz poivré. Le libellé de la Feuille d'évaluation laisse entendre que son absence était beaucoup plus immédiate. Il donne à penser qu'il s'agit d'une conduite ressemblant à celle observée chez le cadet Meyer, qui n'était pas là quand son partenaire allait être aspergé.

[97] Compte tenu de cette preuve, par conséquent, j'estime que la description faite par M. Tahmourpour de l'incident de la vaporisation de gaz poivré est la plus probable. Dans les faits, il était présent pour son partenaire quand le cadet Lasson allait être aspergé. Il était peut-être nerveux, mais pas plus que les autres cadets semblaient l'être pour ce qui était de toute évidence une épreuve intensément stressante et déplaisante. Je conclus donc que la Feuille d'évaluation est inexacte.

(ii) L'évaluation du 8 septembre 1999 a-t-elle été influencée par le caporal Boyer?

[98] La date où a été remise l'évaluation du 8 septembre 1999 laisse croire que certaines parties ont pu être fabriquées, ou à tout le moins préparées rapidement et avec des erreurs, le 9 ou le 10 septembre en réponse à l'altercation qui s'est produite le 9 septembre 1999 entre le caporal Boyer et M. Tahmourpour. Compte tenu de la preuve que j'ai entendue, je crois que, selon toute probabilité, la Feuille d'évaluation a été préparée le 8 septembre 1999 sur un ordinateur du Dépôt, puis des ajouts ont été apportés le 9 ou le 10 septembre 1999.

[99] Le caporal Boyer a déclaré qu'il ne se rappelait pas avoir inspecté le pistolet de M. Tahmourpour le 9 septembre 1999. Cependant, il a nié avoir menacé de frapper M. Tahmourpour ce jour-là. Il a affirmé qu'il se serait attiré de [traduction] graves ennuis s'il avait fait une chose pareille. Cependant, il a reconnu avoir utilisé l'expression [traduction] te botter le cul à l'endroit de cadets dans d'autres situations.

[100] Le caporal Boyer ne pouvait pas non plus se rappeler si M. Tahmourpour avait demandé un deuxième avis sur la propreté de son pistolet. Le caporal Boyer a déclaré que, si un cadet demandait un deuxième avis, il refuserait calmement et passerait à autre chose. Bien qu'il ait admis être autoritaire, il a déclaré qu'il ne serait pas fâché d'entendre un cadet présenter une telle demande. Le témoignage du caporal Boyer à cet égard ne concorde pas avec la preuve que j'ai entendue relativement à son caractère sur le champ de tir, ni avec ce qu'il a lui-même dit à propos de sa manière d'interagir avec les cadets et de sa tendance à jurer. À mon avis, le caporal Boyer n'aurait pas pris à la légère une remise en question de son autorité.

[101] Je crois que, selon toute probabilité, M. Tahmourpour a bel et bien contesté l'évaluation du caporal Boyer sur la propreté de son arme et a demandé un deuxième avis. J'accepte la version des faits de M. Tahmourpour sur ce qui s'est alors produit. Son témoignage à ce sujet était celui qui concordait le plus avec le reste de la preuve en l'espèce.

[102] M. Tahmourpour a allégué que, après l'altercation, le caporal Boyer a inscrit à tort deux AR et un I en Formation au tir le 9 septembre 1999 et a ensuite insisté auprès de son collègue instructeur, le caporal Jacques, pour qu'il évalue lui-aussi défavorablement M. Tahmourpour.

[103] Le caporal Bradley et le caporal Jacques ont nié que cela se soit produit. Cependant, le caporal Bradley a bien reconnu que les instructeurs discutaient entre eux du rendement des cadets que le caporal Boyer n'était pas du genre à garder pour lui ses opinions.

[104] Le caporal Jacques, qui enseignait les SPA avec le caporal Bradley, était également formé au tir et travaillait en étroite collaboration avec le caporal Boyer. En d'autres termes, le caporal Jacques enseignait tant les SPA que la Formation au tir au Dépôt. Le caporal Jacques m'est apparu comme quelqu'un pouvant bien être influencé par un officier d'expérience à la personnalité extrêmement forte comme le caporal Boyer.

[105] Fait intéressant, le 10 septembre 1999, le caporal Jacques a noté dans son carnet que M. Tahmourpour ne possédait pas les qualités de base pour être policier. Pourtant, jusqu'au mois de septembre, le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt ne lui avait valu aucun AR, sauf deux en Formation au tir et un en TPD pour avoir mal effectué un menottage. Sans avertissement, le 10 septembre 1999, M. Tahmourpour a reçu une évaluation de rendement comportant 12 AR en SPA. En contre-interrogatoire, on a demandé au caporal Jacques : [traduction] Si M. Tahmourpour a démontré en juillet et août qu'il ne possédait pas les qualités de base pour être policier et qu'il n'était clairement pas à la hauteur, pourquoi n'a-t-il pas reçu le moindre AR en SPA pendant ce temps?

[106] Le caporal Jacques a répondu que M. Tahmourpour avait reçu verbalement de la rétroaction informelle, de manière ponctuelle et immédiatement après les faits, pour l'informer que son rendement était faible dans les domaines en question dans l'évaluation du 8 septembre. Il aurait pu s'étonner de certains AR, mais pas de tous. Il aurait su de la rétroaction qu'il recevait fréquemment que son rendement laissait à désirer.

[107] Le caporal Bradley a déclaré que, au début du programme, il n'y a pas de raison de donner des évaluations formelles aux cadets pour les nombreuses erreurs qu'ils commettent. Remettre une évaluation formelle à cette étape de l'entraînement pourrait provoquer une résiliation rapide et injuste du contrat de formation. Par conséquent, les cadets sont évalués de manière verbale et informelle et ont leur donne du temps pour s'améliorer avant de leur remettre une évaluation formelle.

[108] Cependant, à mon avis, donner de la rétroaction verbale à M. Tahmourpour pour lui faire savoir que certains aspects étaient à améliorer ne lui aurait certainement pas fait penser que son rendement était si insatisfaisant qu'il risquait de recevoir 12 AR en SPA. L'affirmation du caporal Jacques selon laquelle M. Tahmourpour aurait pu s'étonner de certains AR laisse entendre que, contrairement à ce que prévoient les Procédés d'évaluation des cadets, M. Tahmourpour n'a pas reçu de rétroaction immédiate sur tous les aspects de son rendement et que la Feuille d'évaluation du 8 septembre représentait donc un écart par rapport aux pratiques en vigueur au Dépôt.

[109] L'intimée n'a pas fourni d'explication raisonnable justifiant pourquoi la pratique normale n'a pas été suivie en l'espèce. En outre, elle n'a pas réfuté l'affirmation de M. Tahmourpour selon laquelle la conduite discriminatoire du caporal Boyer envers lui a joué un rôle dans l'évaluation du 8 septembre 1999. Au contraire, la réponse du caporal Jacques à une question posée au sujet de la Feuille de données cumulées du cadet m'a amenée à conclure qu'il avait préparé au moins une partie de la Feuille d'évaluation du 8 septembre après l'altercation entre le caporal Boyer et M. Tahmourpour au sujet de l'inspection du pistolet. Cette conclusion soutient la théorie selon laquelle la discrimination a constitué un facteur dans l'évaluation du 8 septembre.

[110] La Feuille de données cumulées du cadet (FDCC) est un document utilisé par les moniteurs de troupe pour faire le suivi des Feuilles d'évaluation données aux cadets par les différents instructeurs au Dépôt et surtout des dates auxquelles les Feuilles d'évaluation ont été remises. Il s'agit d'une feuille d'évaluation maîtresse. Les évaluations des instructeurs sont normalement consignées sur la FDCC en ordre chronologique. Cependant, dans le cas de M. Tahmourpour, les 2 AR et le I qu'il a reçus en Formation au tir le 9 septembre 1999 ont été inscrits avant les 12 AR qui auraient été attribués à M. Tahmourpour le 8 septembre 1999.

[111] Le caporal Bradley a expliqué que cela se produit parfois quand les instructeurs fournissent leur Feuille de rendement en retard ou quand les moniteurs n'ont pas le temps de mettre à jour la FDCC. Cependant, en l'espèce, ce sont les moniteurs qui ont préparé la Feuille d'évaluation du 8 septembre et qui auraient dû être en mesure de modifier la FDCC immédiatement après. Par conséquent, quand la Feuille d'évaluation a été reçue de la Formation au tir le 9 septembre 1999, elle aurait été inscrite après la Feuille d'évaluation du 8 septembre remplie par les moniteurs.

[112] Le caporal Jacques a été interrogé au sujet de cette anomalie. Sa réponse était vague. Il a déclaré : [traduction] La seule chose à laquelle je peux penser maintenant est que les trois Feuilles d'évaluation étaient datées du 9 septembre, celle de la Formation au tir a été inscrite en premier, pendant que je travaillais sur l'autre, euh... avant que l'autre évaluation ait été remise au cadet, M. Tahmourpour, et c'est pourquoi elle a été inscrite après les Feuilles d'évaluation du 9 septembre. La première partie de la réponse du caporal Jacques (avant l'hésitation) laisse entendre qu'il a travaillé sur la Feuille d'évaluation du 8 septembre, laquelle comptait 12 AR, le 9 septembre ou après, quand les trois Feuilles d'évaluation (comportant deux AR et un I) du caporal Boyer ont été présentées. Cela apporte de la crédibilité à la théorie de M. Tahmourpour selon laquelle la Feuille d'évaluation qu'il a reçue du caporal Bradley et du caporal Jacques a été influencée, au moins en partie, par l'impression défavorable qu'avait de lui le caporal Boyer. Je crois que la seconde partie de l'affirmation du caporal Jacques constituait une tentative de présenter sous un jour différent ce qui s'était produit.

[113] Par conséquent, j'estime que, selon toute probabilité, le caporal Jacques a été influencé par l'attitude raciste du caporal Boyer envers M. Tahmourpour. Le caporal Jacques a réagi à cette influence en fournissant une évaluation inexacte du rendement de M. Tahmourpour lors de la séance de vaporisation de gaz poivré.

[114] En conséquence, je conclus que la discrimination a constitué un facteur dans l'évaluation du 8 septembre concernant le rendement de M. Tahmourpour en SPA.

(b) La demande d'examen de dossier présentée par le caporal Boyer

[115] Le 30 septembre 1999, le caporal Boyer a demandé à ce que le dossier de M. Tahmourpour soit examiné. L'examen du dossier est la première étape du processus menant à la résiliation du contrat d'un cadet.

[116] Les Procédés d'évaluation du cadet prévoient que le contrat d'un cadet sera résilié s'il reçoit deux I dans la même compétence au cours d'une période d'évaluation, sans montrer d'amélioration. Un contrat peut également être résilié si un cadet reçoit au total deux I dans des compétences différentes ou dans la même compétence.

[117] Le caporal Boyer a demandé l'examen du dossier sur la base de deux I et de cinq AR en Formation au tir. L'évaluation portait sur un certain nombres d'aspects de la Formation au tir, comme la manipulation du fusil et du pistolet, le chargement correct d'une arme à feu, l'atteinte de cibles et finalement la propreté du pistolet.

[118] M. Tahmourpour a contesté certaines des cotes, mais pas toutes, qui lui ont été attribuées en Formation au tir. En particulier, il a soutenu que les deux I qu'il a reçus pour avoir eu un pistolet sale le 9 septembre 1999 et le 28 septembre 1999 ont été inventés par le caporal Boyer qui voulait monter un dossier pour la résiliation de son contrat.

[119] M. Tahmourpour a reçu un AR pour avoir eu un pistolet sale le 26 août 1999. Il a pris cette évaluation défavorable très à cur. Il a fait effacer l'AR en présentant un pistolet propre en deux occasions subséquentes. Il est devenu [traduction] un expert du nettoyage de pistolets. Il nettoyait des pistolets pour toute la troupe et tous les autres ont réussi l'inspection de leurs armes; mais lui a échoué.

[120] M. Tahmourpour a déclaré que, le 9 septembre, quand il a reçu un I pour avoir eu un pistolet sale, il savait que son arme était en parfaite condition. Par conséquent, il a contesté l'évaluation du caporal Boyer selon laquelle son arme était sale et lui méritait un I. En outre, il a affirmé que si son pistolet avait véritablement été sale, il aurait dû recevoir un AR, et non un I, puisqu'il avait fait effacer l'AR précédant et qu'il repartait donc en neuf.

[121] M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage que, le 28 septembre 1999, il a encore présenté son pistolet pour inspection, cette fois au caporal Jacques. Ce dernier a affirmé que l'arme était sale. M. Tahmourpour a affirmé qu'elle ne l'était pas. Après avoir inspecté encore une fois l'arme et avoir tenté de déloger la saleté, le caporal Jacques a convenu avec M. Tahmourpour qu'il y avait une décoloration en relief dans le chargeur de l'arme. Il s'agissait d'un défaut de fabrication, et non d'une saleté. Il a permis à M. Tahmourpour de se rendre sur le champ de tir et d'utiliser le pistolet. Après la séance de tir, le caporal Boyer s'est approché de M. Tahmourpour et a insisté sur le fait que son arme était sale et qu'il aurait à signer une feuille d'évaluation lui attribuant un I. M. Tahmourpour a protesté, en affirmant que le caporal Boyer n'était même pas présent lors de l'inspection.

[122] Les deux Feuilles d'évaluation concernant le pistolet sale ont été rédigées et signées par le caporal Jacques. Elles ne précisent pas qui a procédé aux inspections.

[123] Le caporal Boyer a conclu sa demande d'examen de dossier en affirmant que, selon les Procédés d'évaluation du cadet, deux I dans la même compétence entraînent une demande d'examen du dossier dans le but de mettre fin au contrat de formation du cadet.

[124] M. Tahmourpour a présenté une preuve crédible que son pistolet était propre lorsqu'il l'a soumis aux inspections du 9 et du 28 septembre, mais le caporal Boyer a jugé qu'il était sale. M. Tahmourpour a par conséquent prouvé prima facie que le caporal Boyer l'a traité différemment des autres cadets dans l'évaluation de son rendement en Formation au tir. Compte tenu des remarques discriminatoires et de la violence verbale du caporal Boyer à l'endroit de M. Tahmourpour, je conclus que, à première vue, la différence de traitement dans le cadre de l'évaluation du rendement de M. Tahmourpour et de la demande d'examen de dossier qui s'en est suivie était fondée, du moins en partie, sur un motif de distinction illicite.

L'explication de l'intimée

[125] L'intimée a affirmé que l'évaluation du rendement de M. Tahmourpour en Formation au tir était tout à fait juste et exacte; le pistolet de M. Tahmourpour était sale le 8 septembre 1999 et le 28 septembre 1999.

[126] Le caporal Boyer a expliqué qu'il existe une politique non écrite en Formation au tir voulant qu'un cadet reçoive automatiquement un I si son pistolet est sale quand il a déjà reçu un AR relativement à la propreté du pistolet, même si l'AR a été effacé du dossier. Selon le caporal Boyer, il n'existe pas de pouvoir discrétionnaire. Cependant, le caporal Jacques n'a pas mentionné cette politique; il a simplement déclaré que, s'il est jugé une deuxième ou une troisième fois que le pistolet est sale et qu'il est clair qu'aucun effort n'a été fait, le cadet recevra une évaluation formelle. Le sergent Guay (aujourd'hui surintendant en chef), l'officier responsable de la Formation au tir à l'époque, a témoigné qu'un I est attribué quand une arme est constamment sale.

[127] Compte tenu de la preuve que j'ai entendue, je ne suis pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'affirmation du caporal Boyer au sujet de l'attribution automatique d'un I pour un deuxième pistolet sale est exacte. Étant donné les conséquences sérieuses que peuvent avoir un I, je crois que, selon toute probabilité, s'il existait une politique du I automatique pour la propreté de l'arme, elle serait énoncée dans les Procédés d'évaluation du cadet. Sans aucun doute, les cadets et les instructeurs auraient été informés de cette politique. Pourtant, aucun des autres témoins en l'espèce n'a parlé de l'existence d'une telle politique. Par conséquent, j'estime que l'instructeur en Formation au tir a le pouvoir discrétionnaire d'attribuer un AR ou un I pour un deuxième pistolet sale.

[128] La preuve de l'intimée concernant l'inspection du pistolet le 9 septembre 1999 était faible : le caporal Boyer ne pouvait se souvenir de cette inspection et le caporal Jacques n'a parlé d'aucune des deux inspections dans son témoignage. La note dans la demande d'examen de dossier précise que, le 9 septembre, le pistolet était [traduction] crasseux.

[129] Au contraire, le témoignage de M. Tahmourpour au sujet de l'inspection de son pistolet le 9 septembre 1999 était clair et n'a pas été ébranlé en contre-interrogatoire. Il savait que son pistolet était propre. Il était devenu [traduction] expert dans le nettoyage de pistolets. Cependant, pour être sûr qu'il était propre, M. Tahmourpour avait demandé à un camarade de troupe de le vérifier avant l'inspection du 9 septembre. Bien qu'aucun de ses collègues de troupe qui ont témoigné ne se rappelait avoir vérifié son pistolet, le caporal Draudy a affirmé que c'était une pratique commune. Il a également dit qu'il était probable que M. Tahmourpour ait fait vérifier son pistolet avant de le soumettre à l'inspection. M. Tahmourpour a affirmé qu'il savait qu'il ne pouvait se permettre la moindre erreur dans sa formation à ce moment. Il était tellement sûr que son pistolet était propre quand le caporal Boyer lui a dit qu'il était sale qu'il a demandé un deuxième avis.

[130] Le caporal Bradley et le caporal Hébert ont affirmé que, dans une situation où il y a désaccord, c'est une bonne idée d'obtenir un deuxième avis. Le sergent Guay, par contre, a jugé que c'était inapproprié. Cependant, selon la preuve, il arrive que des deuxièmes avis soient donnés en formation et que les instructeurs en Formation au tir inspectent les pistolets ensemble pour assurer qu'ils en évaluent bien la propreté. Pourtant, le caporal Boyer a refusé de le faire. Il était en colère parce que M. Tahmourpour avait eu la témérité de demander un deuxième avis. En conséquence, il a attribué un I à M. Tahmourpour, même s'il aurait pu attribuer un AR si le pistolet avait bel et bien été sale.

[131] Le témoignage de M. Tahmourpour demeure la version la plus claire des faits qui se sont produits le 9 septembre. L'intimée n'a pas réfuté l'affirmation de M. Tahmourpour selon laquelle son pistolet était propre le 9 septembre 1999.

[132] Le caporal Boyer se souvenait bien de l'inspection du 28 septembre. Cependant, sa description de l'incident différait grandement de celle de M. Tahmourpour. Le caporal Boyer a affirmé avoir fait l'inspection lui-même. Il a conclu que M. Tahmourpour avait bien nettoyé la plupart de son pistolet. Toutefois, il restait un morceau de carbone dans la portion du chargeur où se ramassent souvent des résidus. Le caporal Boyer a été en mesure de déloger ce morceau de carbone assez facilement avec un stylo.

[133] De son côté, M. Tahmourpour a affirmé que le caporal Jacques a inspecté son pistolet le 28 septembre et avait convenu, après un examen plus approfondi, que la saleté apparente était en fait une décoloration en relief à l'intérieur de l'arme.

[134] La question se réduit donc à une question de crédibilité. Malheureusement, ni l'un ni l'autre n'ont présenté un témoignage constamment crédible tout au long de l'audience. Chacun avait tendance à présenter la preuve d'une manière servant ses propres fins. Ainsi, il est difficile de déterminer ce qui s'est réellement produit.

[135] Comme c'est souvent le cas, la vérité se trouve probablement quelque part entre les deux versions des faits. D'après mon interprétation de la preuve, le caporal Jacques a inspecté le pistolet de M. Tahmourpour le 28 septembre 1999. Il a dit à M. Tahmourpour que son pistolet était sale. Cependant, M. Tahmourpour a souligné qu'il ne s'agissait pas d'une saleté mais d'une décoloration en relief. Plutôt que de se disputer avec M. Tahmourpour à ce sujet, le caporal Jacques l'a envoyé s'exercer au tir sur le champ de tir. (La preuve révélait que cette pratique visait à enseigner aux cadets les effets d'un pistolet sale.) Plus tard, quand le caporal Boyer a appris ce qui s'était produit, il a inspecté l'arme de M. Tahmourpour pour voir s'il y avait une décoloration en relief. Il n'a pas trouvé de tel défaut. Il a été capable d'émietter le résidu de carbone du pistolet de M. Tahmourpour avec un stylo. Puisque M. Tahmourpour venait tout juste d'utiliser son arme, il est probable qu'il y ait eu du carbone dans le chargeur.

[136] Je ne crois pas que l'on puisse savoir, avec le moindre degré de précision, si le pistolet de M. Tahmourpour était sale le 28 septembre. Ce qui peut être affirmé, par contre, c'est que deux rencontres très négatives ont eu lieu le 9 septembre et le 28 septembre 1999 à propos de la propreté du pistolet de M. Tahmourpour, rencontres auxquelles le caporal Boyer n'a pas bien réagi. Il a fait preuve d'un degré d'animosité envers M. Tahmourpour que n'explique pas entièrement le fait que M. Tahmourpour a contesté l'avis de ses instructeurs.

[137] La demande d'examen du dossier n'est faite que lorsqu'un cadet a reçu deux I dans la même compétence (en l'espèce, la propreté du pistolet). L'I que M. Tahmourpour a reçu du caporal Boyer le 9 septembre 1999 était le seul I qu'il avait reçu en formation jusqu'à ce moment. Ainsi, même si le pistolet de M. Tahmourpour était bel et bien sale le 28 septembre 1999, il était inapproprié pour le caporal Boyer de demander un examen du dossier le 30 septembre 1999; au mieux, la demande n'aurait été fondée que sur le seul I attribué pour la propreté du pistolet. En fait, même si le pistolet de M. Tahmourpour avait été sale le 28 septembre 1999, le caporal Boyer aurait pu lui attribuer un AR. Il a choisi de ne pas le faire.

[138] Compte tenu de la preuve directe et indirecte démontrant l'attitude discriminatoire du caporal Boyer envers M. Tahmourpour, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la race, la religion ou l'origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour a constitué un facteur de l'évaluation qu'a faite le caporal Boyer de la propreté du pistolet de M. Tahmourpour le 9 septembre ainsi que le 28 septembre 1999.

[139] Selon la prépondérance des probabilités, je conclus donc que la demande d'examen de dossier présentée par le caporal Boyer était inappropriée et fondée, du moins en partie, sur un motif de distinction illicite.

(c) La Feuille d'évaluation de la performance du cadet du 8 octobre et la demande de résiliation du 7 octobre

[140] Le 7 octobre 1999, le caporal Bradley et le caporal Jacques ont présenté une demande pour que soit résilié le contrat de formation de M. Tahmourpour à la suite de leur examen de son dossier. Les deux I que M. Tahmourpour avait reçus pour l'inspection de son pistolet ont entraîné l'examen de son dossier, ce qui a finalement mené à la demande de résiliation du contrat de M. Tahmourpour. La demande de résiliation a été déposée un jour avant que prenne fin le mois accordé M. Tahmourpour pour qu'il améliore son rendement en SPA.

[141] Dans la demande de résiliation, le caporal Bradley et le caporal Jacques ont écrit que M. Tahmourpour allait recevoir cinq autres I en SPA le jour suivant, le 8 octobre, dans une Feuille d'évaluation de la performance du cadet. Le 8 octobre marquait la fin du mois accordé à M. Tahmourpour pour qu'il s'améliore en SPA. Le caporal Bradley et le caporal Jacques ont affirmé que, malgré les efforts évidents de M. Tahmourpour, ce dernier n'avait montré [traduction] aucune amélioration réelle dans les domaines de SPA dans lesquels il avait des lacunes en septembre. Ils ont affirmé que, par conséquent, la demande de résiliation n'était pas fondée uniquement sur les deux I en Formation au tir. Elle était également fondée sur les cinq I qu'il allait recevoir en SPA.

[142] M. Tahmourpour a contesté tout le contenu de la Feuille d'évaluation de la performance du cadet datée du 8 octobre 1999 ainsi que la demande de résiliation datée du 7 octobre 1999. Il a maintenu qu'elles étaient fondées sur de fausses évaluations, des exagérations et une sous-estimation de son rendement au Dépôt. Voici deux exemples de ses allégations à cet égard :

(1) Selon la demande de résiliation, M. Tahmourpour avait de la difficulté à apprendre et à appliquer les techniques montrées en Tactiques policières défensives et ses habilités dans ce domaine laissaient à désirer. M. Tahmourpour a affirmé que ces affirmations étaient inexactes. Il a soutenu que l'instructeur de TPD, le caporal Sloan, lui a dit qu'elle était satisfaite de son rendement en TPD. Il a échoué son premier examen en TPD le 25 août 1999, parce qu'il avait mal exécuté la technique de menottage (ce pour quoi il a reçu un AR), mais il s'était amélioré et il avait réussi la reprise avec le caporal Brock, un instructeur reconnu comme étant exigeant, mais juste (l'AR a été remplacé par un P le 1er octobre 1999).

[143] La demande de résiliation indique que le caporal Sloan ne croyait pas que la reprise de TPD était un bon indicateur des habiletés de M. Tahmourpour en TPD parce qu'il ne s'agissait pas d'un des examens les plus difficiles. Il portait sur une situation d'attitude combative où il n'y avait pas beaucoup de décisions à prendre.

[144] M. Tahmourpour a déclaré qu'il savait que cet opinion n'était pas celle du caporal Sloan. Lors d'une réunion ayant eu lieu le 7 octobre 2008 dans le but de discuter de la demande de résiliation, il a demandé au caporal Jacques et au caporal Bradley s'ils pouvaient inviter le caporal Sloan à la réunion pour qu'elle apporte des précisions sur ce qu'elle pensait des habiletés en TPD de M. Tahmourpour et de la reprise. On n'a pas accédé à sa demande.

[145] Il y a une différence considérable entre le libellé de la demande de résiliation datée du 7 octobre 1999 et la Feuille d'évaluation de la performance du cadet datée du 8 octobre 1999. Dans cette dernière, le caporal Jacques a déclaré qu'il a observé l'examen de reprise et qu'il a eu l'impression que l'examen ne permettait pas à M. Tahmourpour de démontrer suffisamment d'habiletés pour changer son AR en P. Cette formulation donne à penser que c'est le caporal Jacques, et non le caporal Sloan, qui croyait que la reprise de TPD ne constituait pas un bon indicateur des habiletés de M. Tahmourpour.

[146] Peu importe si la reprise de TPD constituait ou non un bon indicateur des habiletés de M. Tahmourpour, au moment où la demande de résiliation a été présentée, il n'avait aucun AR en TPD. Par conséquent, selon M. Tahmourpour, il était inexact et injuste d'alléguer qu'il avait des lacunes en TPD. S'il avait des lacunes, il y aurait dû y avoir des AR à son dossier puisqu'un AR doit être attribué pour un rendement qui est le moindrement insatisfaisant. Si aucune évaluation formelle n'est donnée, le cadet doit présumer que son rendement est professionnel, selon les Procédés d'évaluation du cadet.

(2) Le document demandant la résiliation du contrat de M. Tahmourpour précise que celui-ci allait recevoir cinq I en SPA parce qu'il n'avait pas montré d'amélioration dans les domaines dont il avait été question un mois plus tôt. Ces domaines étaient la communication, la prise de décision, la planification et la coordination, la gestion du risque et l'auto-évaluation, tels que démontrés dans les scénarios, en Conditionnement physique, en Sciences policières appliquées et en Formation au tir.

[147] M. Tahmourpour a affirmé que, contrairement à ce que disaient la Feuille d'évaluation du 8 octobre et la demande de résiliation, il avait démontré une réelle amélioration dans ces domaines de la manière suivante :

  1. Bien qu'il n'ait pas bien réussi le premier scénario où il était question de violence conjugale le 18 août 1999, le 30 septembre 1999, le caporal Jacques a souligné qu'il s'était amélioré, bien qu'il ait commis certaines erreurs. M. Tahmourpour n'a pas reçu d'AR pour son rendement dans ce scénario. Par conséquent, selon les Procédés d'évaluation du cadet, son rendement dans le cadre de ce scénario était jugé professionnel (P). Il s'agissait d'une amélioration par rapport au scénario de violence conjugale du 18 août.
  2. M. Tahmourpour a affirmé dans son témoignage que sa seconde visite de détachement, le 24 septembre 1999 ou vers cette date, s'était très bien déroulée. Les visites de détachement, qui ont lieu environ à la moitié de la formation, sont une visite à un détachement fictif de la GRC où les cadets sont appelés à réagir à certaines situations, tout comme s'ils étaient des policiers en service dans un détachement de la GRC quelque part au Canada. Dans le cadre des scénarios de détachement, les cadets doivent intégrer et appliquer de nombreuses habiletés qu'ils ont apprises dans différentes sections de la formation. La visite se déroule en général sur une période de deux jours. Le rendement de M. Tahmourpour le deuxième jour a été supervisé par le caporal Torsky. M. Tahmourpour a affirmé que le caporal Torsky était [traduction] exceptionnellement satisfait de son rendement le second jour des visites de détachement. Il n'a pas reçu d'évaluation, ce qui veut dire que son rendement dans le cadre de ce scénario était au niveau professionnel.
  3. M. Tahmourpour a très bien réussi l'examen du simulateur de formation au tir. Le simulateur est un système informatisé sur grand écran de télévision qui tient compte des réactions du cadet. M. Tahmourpour s'est fait dire que le simulateur était très difficile et, en fait, qu'il était plus difficile que tout autre scénario. Il s'est identifié comme policier et a pu se défendre contre de nombreux attaquants fictifs. Le caporal Jacques a dit à M. Tahmourpour qu'il était assez impressionné du rendement de M. Tahmourpour sur le simulateur de formation au tir.
  4. M. Tahmourpour a bien réussi en tir instinctif. Le tir instinctif est une technique où la personne vise la cible, mais sans utiliser le dispositif de visée de son pistolet, puis fait feu sur la cible. Il est très difficile d'acquérir cette technique et il faut beaucoup s'exercer pour la maîtriser.
  5. M. Tahmourpour a affirmé que la demande de résiliation ne tenait pas compte du fait qu'il avait réussi le Test d'aptitudes physiques essentielles (TAPE) les deux fois et qu'il avait diminué son temps de TAPE de 35 secondes au cours des 24 semaines passées au Dépôt.

[148] M. Tahmourpour a établi prima facie que les habiletés jugées dans le cadre du programme n'ont pas été évaluées équitablement dans la Feuille d'évaluation de la performance du cadet et dans le demande de résiliation. Ses accomplissements et ses améliorations ont été atténués ou entièrement omis. Son rendement en TPD n'a pas été évalué équitablement.

[149] Le Dr Wortley a affirmé dans son témoignage que la discrimination systémique se manifeste souvent par la sous-estimation ou l'atténuation des habiletés d'un individu. Il a émis l'hypothèse que la discrimination systémique soit une des raisons expliquant que le taux d'attrition des cadets appartenant à une minorité visible au Dépôt soit à peu près le double de celui des cadets n'appartenant pas à une minorité visible à l'époque où M. Tahmourpour fréquentait le Dépôt.

[150] Le Dr Wortley a analysé trois groupes de données fournies par la GRC relativement aux taux d'attrition et d'échec au Dépôt. Attrition fait référence aux départs avant la fin du programme pour un certain nombre de raisons, dont l'échec, des motifs personnels et la mauvaise conduite. Le premier groupe de données fournies par la GRC portait sur les taux d'attrition pour la période allant de 1996 à 2000. Ces statistiques montraient un taux d'attrition pour les cadets n'appartenant pas à une minorité visible au Dépôt de 5,97 % pour cette période de cinq ans. Le taux moyen d'attrition pour les minorités visibles était de 13,35 % pour la période de cinq ans en question. Pour l'année 1999-2000, année où le contrat de M. Tahmourpour a été résilié au Dépôt, le taux d'attrition pour les minorités visibles était de 16,98 % et de 6,88 % pour les cadets n'appartenant pas à une minorité visible.

[151] Le second groupe de statistiques, concernant les taux d'attrition pour la période allant de 1996 à 2001, révélait un rapport semblable. Le taux d'attrition pour les minorités visibles était 2,24 fois plus élevé que le taux pour les cadets n'appartenant pas à une minorité visible. Le Dr Wortley a affirmé qu'il s'agissait d'une différence significative.

[152] Le troisième groupe de statistiques portait sur le taux d'échec des cadets au Dépôt de 1998 à 2003. Le taux d'échec est un sous-ensemble du taux d'attrition. Le taux d'attrition comprend les cadets qui ont quitté le programme pour des motifs personnels, qui ont été expulsés pour mauvaise conduite et qui ont échoué. Le troisième groupe de statistiques montrait que le taux d'échec chez les cadets appartenant à une minorité visible dans le programme de formation (12,22 %) était presque le double de celui des candidats caucasiens (6,5 %). En outre, l'année où M. Tahmourpour était au Dépôt, le taux d'échec pour les cadets de minorité visible (19,6 %) était presque trois fois plus élevé que celui pour les cadets caucasiens (7,0 %). La même chose peut être dite de l'année 2000-2001.

[153] J'accepte l'affirmation du Dr Wortley selon laquelle, malgré quelques problèmes avec la façon dont la GRC a obtenu et rapporté ces statistiques, celles-ci constituent les meilleurs renseignements disponibles. J'accepte également son affirmation selon laquelle elles reflètent le nombre réel de cadets qui ont pris part au programme, et non un échantillon. Par conséquent, les questions liées à la grosseur de l'échantillon dans la recherche en science sociale ne poseront pas problème en l'espèce. Par conséquent, je conclus que ces statistiques sont fiables, selon la prépondérance des probabilités.

[154] En me fondant sur cette preuve, je conclus que, au cours de l'année où M. Tahmourpour a fréquenté le Dépôt, le taux d'attrition pour les cadets appartenant aux minorités visibles était de 16,98 % et de 6,88 % pour les cadets n'appartenant pas à une minorité visible. Le taux d'échec était de 19,6 % pour les cadets de minorités visibles et de 7 % pour les autres.

[155] Compte tenu de la preuve indirecte sur la différence des taux d'attrition et les attitudes discriminatoires envers les membres et les cadets de minorités visibles, j'estime qu'il est raisonnable de conclure que l'atténuation et la sous-estimation des habiletés de M. Tahmourpour dans la Feuille d'évaluation du 8 octobre et dans la demande de résiliation étaient fondées, du moins en partie, sur sa race, sa religion ou son origine nationale ou ethnique. Par conséquent, M. Tahmourpour a donc fait la preuve prima facie de cette allégation.

L'explication de l'intimée

[156] La GRC a nié l'existence de racisme systémique au Dépôt. Elle a présenté le Dr Garry Bell, un employé de la GRC, en tant que témoin expert pour répondre à l'analyse qu'a faite le Dr Wortley des données sur les taux d'attrition. Le Dr Bell était l'officier en charge par intérim de la Formation des cadets qui a accepté la recommandation que la candidature de M. Tahmourpour ne soit pas prise en compte pour une nouvelle admission au Dépôt. Compte tenu de l'étroitesse de ses liens avec l'une des parties en l'espèce et de sa participation à l'un des incidents faisant l'objet du litige, le Tribunal est d'avis que l'effet préjudiciable de l'opinion du Dr Bell l'emporterait de beaucoup sur sa valeur probante. Par conséquent, le Tribunal n'a pas permis au Dr Bell de témoigner en tant qu'expert en l'espèce.

[157] La GRC a fourni des données indiquant que les taux d'attrition pour les membres réguliers de la GRC pour la période allant de 1997 à 2004 était beaucoup plus bas que celui pour les membres n'appartenant pas à des minorités visibles. La GRC a également produit une déclaration de la Commission canadienne des droits de la personne, datée du 16 mai 2007, dans laquelle cette dernière affirme que la GRC a démontré qu'elle satisfaisait aux obligations que lui confère la Loi sur l'équité en matière d'emploi pour ce qui est de ses membres réguliers. Ces obligations obligent la GRC à découvrir et à enlever tous les obstacles à l'emploi auxquels se butent les femmes, les autochtones, les membres de minorités visibles et les personnes handicapées.

[158] La preuve produite par l'intimée concernant ses obligations d'équité en matière d'emploi et le taux d'attrition des membres réguliers ne concernait pas la situation des cadets au Dépôt. Elle s'appliquait exclusivement aux individus qui sont employés par la GRC. Les cadets au Dépôt ne sont pas encore employés par la GRC. Ils ne sont pas payés pour fréquenter l'École de la GRC et ils ne sont pas considérés comme des employés. Par conséquent, j'estime que la GRC n'a pas fourni de preuve réfutant la preuve présentée par M. Tahmourpour concernant les taux d'attrition au Dépôt.

[159] La GRC a prétendu que la race, la religion ou l'origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour n'avait absolument rien à voir avec son renvoi. Il a simplement été incapable de démontrer qu'il possédait les habiletés requises à un certain moment durant la formation et n'a pas montré qu'il allait être en mesure de le faire à l'avenir. La GRC a nié que M. Tahmourpour a été évalué injustement.

[160] Le caporal Bradley a déclaré que, bien que M. Tahmourpour ait pu réussir la reprise en TPD avec le caporal Brock, le scénario dans la reprise ne donnait pas à M. Tahmourpour l'occasion de tester les domaines considérés comme étant ses faiblesses en SPA : la communication, la prise de décision, la gestion des risques et l'auto-évaluation. Cette affirmation peut expliquer pourquoi, un jour après l'entrevue lors de laquelle M. Tahmourpour avait contesté l'affirmation voulant que le caporal Sloan ait dit qu'il était faible en TPD, la Feuille d'évaluation du 8 octobre 1999 faisait savoir que le caporal Jacques ne croyait pas que la reprise était un bon indicateur du rendement relatif aux SPA de M. Tahmourpour.

[161] Cependant, l'explication de la GRC n'explique pas pourquoi M. Tahmourpour était considéré comme étant faible en TPD. Le caporal Bradley a reconnu que le caporal Brock, qui a mené le second examen de TPD et enlevé l'AR de M. Tahmourpour dans cette matière, était un instructeur de TPD extrêmement compétent et qu'on ne pouvait trouver à redire à son évaluation des habiletés de M. Tahmourpour en TPD. M. Tahmourpour n'a pas reçu d'AR en TPD sauf pour le premier examen, note qui a par la suite été effacée avec le caporal Brock. Par conséquent, ses habiletés en TPD aurait dû être considérées comme étant professionnelles et n'aurait pas dû faire l'objet de commentaires dans la demande de résiliation. Si M. Tahmourpour n'avait pas été avisé formellement, au moyen d'une cote AR en TPD, que son rendement était insatisfaisant au point de pouvoir mener à la résiliation de son contrat, il était en droit de présumer que son rendement en TPD était professionnel.

[162] Fait significatif, le caporal Sloan, qui aurait formulé les commentaires négatifs au sujet du rendement de M. Tahmourpour en TPD, n'a pas été appelée à témoigner par la GRC.

[163] J'estime que la GRC n'a pas fourni d'explication raisonnable concernant l'évaluation et la description négative du rendement de M. Tahmourpour en TPD.

[164] Le caporal Bradley a présenté un témoignage très convaincant au sujet des difficultés qu'éprouvait M. Tahmourpour en communication et en auto-évaluation en SPA. Au cours du témoignage de M. Tahmourpour, j'ai observé certaines des mêmes faiblesses. Par exemple, sa capacité de s'auto-évaluer m'a semblé faible. Il a affirmé que, comme tous les cadets, il avait des faiblesses. Pourtant, quand on lui a demandé quelles étaient ces faiblesses, il a été incapable de répondre. Comme je l'ai déjà mentionné, l'idée que se faisait M. Tahmourpour de l'écoute active était de prendre de bonnes notes. J'ai également remarqué que M. Tahmourpour donnait souvent des réponses vagues aux questions que lui posaient son propre avocat et l'avocat de l'intimée en contre-interrogatoire. En particulier, ses réponses aux questions concernant ses activités après son départ du Dépôt étaient peu claires, contradictoires et difficiles à suivre.

[165] Je prend également note du témoignage de trois camarades de troupe de M. Tahmourpour selon lesquels ses habiletés en certains domaines étaient si faibles qu'ils avaient peur de travailler avec lui sur le terrain. Des témoignages crédibles révélaient que M. Tahmourpour peinait à se montrer compétent dans les scénarios, ce qui découlait en grande partie de son incapacité à écouter les gens, à intégrer les renseignements reçus et à prendre les mesures appropriées en fonction de ces renseignements.

[166] Cependant, je suis troublée par le fait que des évaluations sans doute légitimes des faiblesses du rendement de M. Tahmourpour au Dépôt ont été incluses parmi des évaluations, comme celle en TPD, celle sur la propreté du pistolet et celle de la vaporisation de gaz poivré, qui étaient incorrectes ou qui sous-estimaient ses habiletés.

[167] En outre, l'évaluation du rendement du cadet fournie un mois (environ) après l'évaluation du 8 septembre indiquait que M. Tahmourpour n'avait fait aucun véritable progrès. Pour cette raison, il a reçu les cinq I qui fondaient une partie de la demande de résiliation. Pourtant les témoins de la GRC on convenu que M. Tahmourpour avait amélioré son temps de TAPE et qu'il avait bien réussi en tir instinctif ainsi que l'examen sur le simulateur de formation au tir. Le caporal Jacques a affirmé que M. Tahmourpour avait eu un rendement professionnel le second jour de la visite de détachement et qu'il avait montré suffisamment d'amélioration dans le scénario de violence conjugale pour qu'aucune évaluation formelle ne soit émise. Pourtant, ces améliorations et ce bon rendement ne sont pas mentionnés dans l'évaluation du rendement du cadet d'un mois.

[168] Tous les accomplissements positifs inscrits dans l'évaluation sont diminués. M. Tahmourpour a réussi son examen de TPD, mais l'examen n'était pas un bon indicateur de ses habiletés en SPA. Il a réussi son examen de SPA, mais il ne pouvait appliquer les connaissances dont il avait fait démonstration à l'examen. Bien que cela puisse être vrai, l'absence de ses réussites dans les domaines mentionnés ci-dessus dressent un portrait tout à fait différent de M. Tahmourpour que si elles avaient été incluses.

[169] Le caporal Hébert a déclaré que, dans une demande de résiliation, il est présumé que les domaines dont il n'est pas fait mention sont au niveau professionnel; seuls les domaines problématiques sont mentionnés. J'accepte cette explication dans la mesure où la demande de résiliation est concernée, mais pour ce qui est de l'évaluation de suivi après un mois, je n'ai pas entendu d'explication convaincante justifiant pourquoi l'amélioration de M. Tahmourpour n'a pas été notée. En outre, je n'ai pas obtenu d'explication convaincante montrant pourquoi les moniteurs n'ont pas attendu d'avoir rempli l'évaluation de suivi après un mois avant de demander la résiliation du contrat de M. Tahmourpour.

[170] Quand on lui a demandé si l'amélioration en TPD, la seconde journée de la visite de détachement et l'absence d'AR dans le second scénario de violence conjugale constituaient de [traduction] l'amélioration, le caporal Bradley a simplement maintenu que M. Tahmourpour n'avait pas montré d'amélioration. De toute évidence, ce n'était pas le cas. L'amélioration pouvait ne pas sembler suffisante aux yeux du caporal Bradley et du caporal Jacques pour les faire changer d'avis quant aux aptitudes de M. Tahmourpour pour le travail policier. Cependant, l'omission de présenter de façon équilibrée le rendement de M. Tahmourpour à ce moment dans la formation, ainsi que l'inclusion d'évaluations inexactes, donne fortement à penser qu'un autre facteur a influencé leur examen du dossier de M. Tahmourpour. La GRC n'a pas réfuté la preuve prima facie présentée par M. Tahmourpour selon laquelle sa race, sa religion ou son origine nationale ou ethnique a constitué un facteur dans l'examen de son dossier et la demande de résiliation de son contrat de formation.

[171] J'accepte le témoignage du caporal Bradley selon lequel elle entretenait de véritables doutes relativement aux habiletés à communiquer, au jugement et à la capacité de résoudre des problèmes de M. Tahmourpour. Elle ne croyait pas qu'il serait en mesure de faire le travail d'un policier en raison de ces lacunes. Cependant, le problème de cette explication est que, dans un milieu de formation où les commentaires désobligeants à propos de la race sont approuvés et adressés à des personnes comme M. Tahmourpour, où les évaluations sont inexactes et inadéquates et où les instructeurs sont fiers d'être politiquement incorrects, il est difficile pour une personne comme M. Tahmourpour de se développer et de démontrer ses habiletés dans ces domaines. J'estime raisonnable de conclure que de telles conclusions érodent la confiance en soi et la capacité de bien réussir. Par conséquent, l'explication de l'intimée selon laquelle le rendement de M. Tahmourpour au Dépôt était faible n'est pas convaincante. Le rendement de M. Tahmourpour, selon toute probabilité, a été affecté par la discrimination dont il a fait l'objet.

C. La décision de résilier le contrat de M. Tahmourpour

[172] Le 20 octobre 1999, le Commandant du Dépôt, le surintendant en chef Lynn Twardosky, a résilié le contrat de formation de M. Tahmourpour. La décision était fondée sur la recommandation formulée par le caporal Bradley et le caporal Jacques au Commandant. Dans sa décision écrite, le Commandant a déclaré qu'elle souscrivait à la [traduction] décision du caporal Bradley et du caporal Jacques de résilier le contrat de M. Tahmourpour.

[173] La recommandation et la décision de résilier le contrat de M. Tahmourpour étaient fondées sur des évaluations discriminatoires des habiletés de M. Tahmourpour. En outre, elles étaient fondées sur son rendement dans un programme où il n'a pas eu l'occasion comme les autres cadets de se développer et de démontrer ses habiletés et capacités au Dépôt. Par conséquent, j'estime que la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite a constitué un facteur dans la résiliation du contrat de formation de M. Tahmourpour.

D. L'évaluation des qualités de M. Tahmourpour en vue d'une réadmission

[174] M. Tahmourpour s'est fait dire qu'il n'était pas rare que des cadets échouent le programme de formation et soient admis de nouveau par la GRC plus tard. Lorsque son contrat a été résilié, M. Tahmourpour a espéré que ce serait le cas pour lui. Cependant, à son étonnement, il a découvert qu'une note de service, datée du 23 décembre 1999, avait été insérée dans son dossier et précisait que la division du recrutement ne devait pas prendre sa candidature en considération pour une réadmission.

[175] L'auteur de la note de service, le sergent Champigny, était gestionnaire de carrières au Dépôt à l'époque. Le sergent Champigny n'a pas témoigné. Cependant, dans sa note de service, il a déclaré que, durant le processus de résiliation, M. Tahmourpour a présenté des symptômes physiques qui semblaient liés au stress. Il a signalé que, en deux occasions distinctes, des camarades de troupe de M. Tahmourpour ont dû l'escorter au Centre des services médicaux parce qu'il souffrait de vomissements, de tremblements, d'hyperventilation et qu'il était incohérent. Le sergent Champigny a écrit que le caporal Bradley et le caporal Jacques avaient consulté le psychologue interne de la division F (aucun nom n'est précisé) qui a décrit le comportement de M. Tahmourpour comme étant une [traduction] idéation suicidaire passive. Le sergent Champigny a écrit qu'une discussion subséquente avec le Dr Roy, un autre psychologue à l'emploi de la GRC, a révélé que ce dernier nourrissait des doutes quant à la capacité de M. Tahmourpour de gérer les situations difficiles et exigeantes. Le Dr Roy ne recommanderait pas la réadmission de M. Tahmourpour.

[176] M. Tahmourpour a déclaré s'être rendu une fois au Centre des services médicaux, le 15 octobre 1999, afin d'être traité pour des vomissements, de l'hyperventilation et des tremblements. Cependant, il a affirmé n'avoir pas rencontré de psychologue ou de médecin. Il a nié avoir jamais eu d'idées suicidaires. Il était malade, épuisé et perturbé par la discrimination dont il faisait l'objet au Dépôt et la résiliation de son contrat de formation.

[177] Après avoir quitté le Dépôt, M. Tahmourpour a envoyé une lettre à la troupe par l'intermédiaire du caporal Bradley et du caporal Jacques dans laquelle il disait espérer que ses camarades de troupe et lui seraient réunis un jour. Le caporal Bradley et le caporal Jacques ont trouvé cela très bizarre. Ils ont craint que M. Tahmourpour n'ait pas accepté la réalité de son renvoi. Le caporal Jacques a présenté une copie de la lettre de M. Tahmourpour au Dr Roy et a suggéré qu'il fasse connaître au personnel du recrutement son opinion sur l'état mental de M. Tahmourpour.

[178] M. Tahmourpour a prouvé prima facie qu'il a été traité différemment des autres cadets qui n'ont pas réussi leur formation. On lui a refusé la possibilité d'être réadmis au Dépôt en raison d'un avis médical qu'un médecin semble avoir donné sans l'avoir rencontré. En outre, la preuve donne fortement à penser, à première vue, que les moniteurs de M. Tahmourpour ont joué un rôle actif pour faire en sorte que M. Tahmourpour ne puisse être réadmis au dépôt. Compte tenu de la preuve qui précède concernant le traitement discriminatoire dont a fait l'objet M. Tahmourpour et de la discrimination systémique au Dépôt, j'estime qu'il a été prouvé prima facie que le fait qu'on ait privé M. Tahmourpour de la chance d'être réadmis était fondé, du moins en partie, sur la race, la religion ou l'origine nationale ou ethnique de M. Tahmourpour.

L'explication de l'intimée

[179] La GRC a allégué que M. Tahmourpour était devenu instable mentalement après avoir appris le 7 octobre 1999 que son contrat de formation allait être résilié. Les psychologues à l'emploi de l'intimée étaient d'avis que la candidature de M. Tahmourpour ne devrait pas être prise en considération pour une embauche future en raison de son évidente incapacité à gérer la pression et à surmonter les obstacles.

[180] Le caporal Droudy et le caporal Mangat ont affirmé dans leur témoignage que M. Tahmourpour a commencé à se comporter de manière très étrange après avoir appris que son contrat allait être résilié. Il quittait le Dépôt pour de longues périodes sans porter de manteau, il dormait beaucoup les fins de semaine et il paraissait négligé et échevelé. Ils ont fait rapport de ce comportement au caporal Jacques. Ce dernier a affirmé que le caporal Bradley et lui ont communiqué avec le Dr Yaholnitsky-Smith, une psychologue à l'emploi de la GRC à la Division F, qui leur a dit que M. Tahmourpour souffrait peut-être d'idéation suicidaire passive. Le caporal Jacques ne savait pas si M. Tahmourpour avait rencontré le Dr Yaholnitsky-Smith, mais il croyait qu'il avait rencontré le Dr Dufour. Ni le Dr Dufour ni le Dr Yaholnitsky-Smith n'ont témoigné. Aucun dossier médical n'est venu confirmer que M. Tahmourpour a rencontré l'un ou l'autre de ces médecins.

[181] La note de service du sergent Champigny ne précise pas que M. Tahmourpour a rencontré le Dr Yaholnitsky-Smith, ou que cette dernière a posé un diagnostique formel. La note mentionne seulement que les moniteurs de la troupe ont [traduction] consulté le psychologue de la Division F qui a décrit le comportement comme étant une [traduction] idéation suicidaire passive.

[182] Le psychologue à l'emploi au Dépôt, le Dr Robert Roy, a témoigné. Il était gêné par le fait qu'il ne disposait pas du dossier médical de M. Tahmourpour; il avait été détruit conformément à une politique de la GRC sur la conservation des documents. Le Dr Roy ne se souvenait d'à peu près aucun des faits en l'espèce. Il a basé son témoignage sur ce qu'il pensait qui s'était produit.

[183] Le Dr Roy ne se rappelait pas avoir rencontré M. Tahmourpour. Il a reconnu que, à l'époque où M. Tahmourpour allait quitter le Dépôt, il était probablement en vacances. Pourtant, le Dr Roy croyait qu'il devait avoir rencontré M. Tahmourpour, ne serait-ce que très brièvement, parce que le sergent Champigny a fait mention d'un avis qu'il aurait donné au sujet de M. Tahmourpour. Le Dr Roy a déclaré que, s'il avait rencontré M. Tahmourpour, il aurait émis beaucoup de réserves avant de faire une déclaration au sujet de sa stabilité mentale. Il n'aurait pas fourni de diagnostique ferme parce qu'il était sûr que la consultation n'a pas duré longtemps. Le Dr Roy aurait recommandé que M. Tahmourpour subisse un examen psychologique complet avant d'être considéré pour une réadmission.

[184] La note de service concernant M. Tahmourpour ne recommande pas d'évaluation psychologique complète avant l'examen de la candidature de M. Tahmourpour pour la réadmission, ce qui aurait été la façon raisonnable d'éclaircir les doutes que nourrissait la GRC au sujet de la manière dont réagissait M. Tahmourpour aux déceptions et aux obstacles. Au lieu de cela, la recommandation de défendre que la candidature de M. Tahmourpour soit prise en considération pour une réadmission était inconditionnelle et était fondée au mieux sur des examens psychologiques superficiels.

[185] La GRC n'a pas réussi à expliquer de façon convaincante que la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite n'a pas constitué un facteur dans la recommandation et la décision subséquente de refuser que M. Tahmourpour soit réadmis à l'École.

V. QUE FAUT-IL PROUVER RELATIVEMENT À L'ARTICLE 14 DE LA LOI?

[186] Selon l'article 14 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d'emploi. Le harcèlement, comme l'interdit la Loi, a été largement défini comme une conduite répétitive non sollicitée liée à un motif de distinction illicite qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes (Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284; Rampersadsingh c. Wignall (No. 2) (2002), 45 C.H.R.R. D/237, au paragraphe 40 (T.C.D.P.); et Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées canadiennes), [1999] 3 C.F. 653 (1re inst.), aux paragraphes 43 et 45).

A. M. Tahmourpour a-t-il été victime de harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite?

[187] M. Tahmourpour a soutenu que la conduite du caporal Boyer constituait du harcèlement fondé sur sa race, sa religion ou son origine nationale ou ethnique. Il a affirmé que le caporal Boyer lui a crié à l'oreille à plusieurs reprises sur le champ de tir qu'il était un [traduction] perdant, un [traduction] lâche et un [traduction] incompétent. M. Tahmourpour a dit au caporal Boyer que sa conduite le perturbait et, néanmoins, le caporal Boyer a continué. M. Tahmourpour a déclaré que la violence verbale constante du caporal Boyer à son égard a affecté sa confiance en soi et son rendement au Dépôt. Le sergent Brar a témoigné avoir observé le caporal Boyer faire montre de ce genre de comportement envers les femmes et les cadets de minorités visibles.

[188] M. Tahmourpour a allégué que le caporal Bradley et le caporal Jacques l'ont également harcelé sur la base d'un motif de distinction illicite. Il a déclaré que le caporal Bradley et le caporal Jacques le faisaient souvent sortir de la classe pour tourner en dérision et critiquer ses traits personnels, notamment sa manière de s'exprimer sans élever la voix ainsi que son habitude de s'asseoir à l'arrière et de prendre trop de notes.

[189] M. Tahmourpour a déclaré que le caporal Bradley et le caporal Jacques le rencontraient quotidiennement sur l'heure du midi, ce qui l'empêchait de marcher avec sa troupe vers la salle à manger. En conséquence, selon ce qu'il affirme, il a raté le dîner presque chaque jour, particulièrement vers la fin de la formation, et il ratait parfois un autre repas dans la journée pour parler au caporal Jacques et au caporal Bradley. M. Tahmourpour a affirmé qu'il était trop gêné pour entrer seul dans la salle à manger après ses rencontres avec le caporal Bradley et le caporal Jacques; tous les cadets se seraient doutés que quelque chose n'allait pas s'il l'avait fait. Par conséquent, il a souvent raté des repas.

[190] C'est en public que le caporal Jacques et le caporal Bradley traitaient M. Tahmourpour différemment, selon M. Tahmourpour. Il a déclaré que, avant de présenter une vidéo montrant deux policiers tués en devoir, le caporal Bradley a décrit un des policiers décédés comme ressemblant à M. Tahmourpour à cause de sa manière de parler sans élever la voix. Elle a affirmé que ce ton avait été perçu comme étant une faiblesse et avait contribué à la mort du policier; elle a laissé entendre que ce genre de policier représentait un danger pour lui-même et pour les autres policiers.

[191] M. Tahmourpour a déclaré que, le 10 septembre 1999, il a rencontré le caporal Jacques et le caporal Bradley pour discuter d'une évaluation de rendement. Il a affirmé que la rencontre s'était déroulée avec énormément d'animosité. Pendant plus d'une heure, le caporal Bradley et le caporal Jacques ont crié après lui d'une manière violente et hostile, parfois en se tenant directement devant son visage. M. Tahmourpour a témoigné que, au cours de la réunion du 10 septembre 1999, le caporal Bradley a déclaré qu'elle n'arrivait pas à comprendre son anglais.

[192] M. Tahmourpour a établi une peuve prima facie qu'il a été victime de harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite de la part du caporal Bradley, du caporal Jacques et du caporal Boyer. Il faut souligner que M. Tahmourpour a également produit la transcription d'une conversation téléphonique enregistrée qu'il a eue avec un de ses camarades de troupe, l'agent Rob Lasson, au sujet de ce qu'a vécu M. Tahmourpour au Dépôt. Au mieux, il peut être affirmé que la transcription soutient dans une certaine mesure le témoignage de M. Tahmourpour selon lequel ses instructeurs se sont montrés particulièrement durs envers lui. Par contre, la transcription est une preuve intéressée et constituant du ouï-dire qui n'a pas été testée en contre-interrogatoire. Je lui accorde donc très peu de valeur.

L'explication de l'intimée

[193] Le caporal Boyer a nié avoir harcelé verbalement M. Tahmourpour. Cependant, compte tenu de la preuve que j'ai examinée dans les présents motifs, je conclus que le caporal Boyer a harcelé M. Tahmourpour en raison de sa race, de sa religion ou de son origine nationale ou ethnique. Quand M. Tahmourpour a signé une feuille d'évaluation tôt dans la formation, le caporal Boyer a demandé à M. Tahmourpour : [traduction] Quelle sorte de putain de langue est-ce que c'est, ou est-ce que c'est quelque chose que tu as inventé ? Il a ensuite régulièrement dénigré M. Tahmourpour en public à cause de son mauvais rendement en formation au tir. Le caporal Boyer a également dit à M. Tahmourpour : [traduction] Enlève-toi de ma face, merde, ou je te botte le cul!, quand M. Tahmourpour a demandé un deuxième avis au sujet de la propreté de son pistolet.

[194] Le témoignage de M. Tahmourpour au sujet du harcèlement verbal fondé sur un motif de distinction illicite a été corroboré par ceux du sergent Brar et de l'agent McCarney. Bien que le caporal Boyer en général parlât d'une voix forte à tous les cadets et se montrât agressif envers eux, il le faisait encore plus à l'égard de M. Tahmourpour et des autres membres de minorités visibles. J'ai conclu que cette différence de traitement était fondée sur un motif de distinction illicite. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le caporal Boyer a harcelé M. Tahmourpour sur la base d'un motif de distinction illicite, ce qui contrevient à l'article 14 de la Loi.

[195] Le caporal Bradley a nié avoir fait sortir M. Tahmourpour de la classe ou l'avoir retenu quotidiennement sur l'heure du dîner. Elle a déclaré n'avoir eu de rencontres avec M. Tahmourpour que lorsque des évaluations formelles étaient rendues.

[196] Le caporal Bradley a déclaré que ces rencontres se déroulaient sur un ton professionnel et diplomatique. Elle a nié avoir crié après M. Tahmourpour ou lui avoir dit qu'elle ne comprenait pas son anglais. Elle a également nié avoir fait référence à M. Tahmourpour au moment où elle présentait une séance au sujet de deux agents tués en devoir.

[197] Le caporal Bradley a déclaré que la procédure observée lors de chaque rencontre d'évaluation était conforme aux normes. La Feuille d'évaluation est examinée. Les lacunes sont reliées à certains domaines d'habiletés ou compétences particulières. On demande au cadet ses commentaires ou son opinion. Un plan d'action est établi pour corriger les lacunes en question, plan qui tient compte des suggestions du cadet.

[198] Le caporal Bradley a déclaré qu'elle évaluait verbalement M. Tahmourpour pendant les cours, mais d'une manière constructive. En d'autres termes, elle lui disait ce qu'il faisait bien et ce qu'il pouvait améliorer. Elle a nié avoir répété à M. Tahmourpour qu'il ne devrait pas s'asseoir à l'arrière et prendre des notes. Elle n'avait rien contre ce comportement; elle a plutôt dit à M. Tahmourpour qu'il devait participer plus efficacement à la formation.

[199] Le témoignage du caporal Bradley à ce sujet était franc et convaincant. Elle m'est apparue comme étant une personne directe, qui s'exprime bien, sans mâcher ses mots tout en demeurant professionnelle. Par conséquent, j'accepte son témoignage selon lequel elle n'a pas fait sortir M. Tahmourpour de la classe tous les jours pour le réprimander à cause de son rendement.

[200] Le caporal Jacques a déclaré qu'il avait peut-être rencontré M. Tahmourpour plus fréquemment que le caporal Bradley, mais qu'il ne rencontrait pas M. Tahmourpour quotidiennement et qu'il ne le faisait pas sortir de la classe ou ne le retenait pas sur l'heure du repas à tous les jours. Il est possible que le caporal Jacques ait rencontré M. Tahmourpour plus fréquemment que le caporal Bradley puisqu'il était l'instructeur de M. Tahmourpour tant en Formation au tir qu'en SPA.

[201] Comme le témoignage du caporal Bradley à ce sujet, j'ai trouvé convaincant le témoignage du caporal Jacques relativement à la teneur et à la fréquence de ses rencontres avec M. Tahmourpour. Bien que j'aie conclu précédemment que le caporal Bradley et le caporal Jacques ont contribué à l'initiative du caporal Boyer visant à exclure M. Tahmourpour du programme de formation, l'allégation additionnelle et distincte de comportement agressif et coercitif détonne par rapport à l'ensemble de la preuve relative à la conduite et au comportement du caporal Bradley et du caporal Jacques. L'agent McCarney, par exemple, dont j'ai trouvé le témoignage très direct et franc, a témoigné que, de tous les cours qu'il avait suivis à la GRC, aucun n'avait été donné par des instructeurs aussi patients et professionnels que le caporal Jacques et le caporal Bradley.

[202] Au contraire, j'estime que le témoigne de M. Tahmourpour au sujet de la fréquence et de la teneur des rencontres qu'il a eues avec le caporal Bradley et le caporal Jacques est moins crédible. M. Tahmourpour a affirmé que le caporal Bradley et le caporal Jacques l'ont fait sortir de la classe ou l'ont retenu après la classe presque tous les jours pendant la formation. Vers la fin de la période de formation, le nombre de ces rencontres aurait augmenté jusqu'à se produire plusieurs fois par jour. En conséquence, il aurait raté des repas quotidiennement. Malgré qu'il ait manqué autant de repas, M. Tahmourpour, selon son témoignage, a pris du poids, neuf livres, et a abaissé son temps de TAPE de 35 secondes. Il a réussi cela en mangeant des biscuits et de la nourriture prête à emporter de Wal-Mart. J'estime que le témoignage de M. Tahmourpour à ce sujet est peu plausible.

[203] M. Tahmourpour peut avoir eu l'impression de recevoir plus de rétroaction verbale et formelle que ses camarades de troupe. Cependant, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la fréquence à laquelle il a rencontré ses instructeurs de troupe ne se rapprochait même pas de ce qu'il a raconté. En outre, j'estime qu'il est improbable qu'il ait fait l'objet de violence verbale quand il les a rencontrés.

[204] Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le caporal Bradley et le caporal Jacques n'ont pas harcelé M. Tahmourpour sur la base d'un motif de distinction illicite pendant qu'il était au Dépôt.

VI. QUELLES MESURES DE REDRESSEMENT CONVIENT-IL D'ORDONNER EN L'ESPÈCE?

[205] Le Tribunal tire son pouvoir d'ordonner des mesures de redressement de l'article 53 de la Loi. Les mesures de redressement qui y sont prévues ont pour but de mettre fin à l'acte, de prévenir la discrimination à l'avenir et d'indemniser la victime pour les actes discriminatoires passés ou actuels.

(i) Indemnité pour la conduite discriminatoire

[206] Le but des dispositions prévoyant une indemnisation est de fournir au plaignant une compensation pour les pertes causées par l'acte discriminatoire (Canada (Procureur général) c. McAlpine (1989), 12 C.H.R.R. D/253, au paragraphe 13 (C.A.F.)). Par conséquent, pour établir qu'il a droit à un redressement, le plaignant doit montrer qu'il existe un lien causal entre l'acte discriminatoire et la perte pour laquelle une indemnité est réclamée (Canada (Procureur général) c. Morgan (1991), 85 D.L.R. (4th) 473 (C.A.F.)). Jusqu'à récemment, selon l'interprétation acceptée de l'arrêt de la Cour d'appel dans Morgan, le plaignant, pour établir le lien de cause à effet, devait uniquement prouver qu'il existait une possibilité sérieuse que l'acte discriminatoire de l'intimé ait causé le dommage pour lequel une indemnité était demandée (Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 2004 TCDP 27; conf. par 2007 CAF 269; Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (C.F. 1re inst.); Canada (Procureur général) c. Green, [2000] 4 C.F. 629, au paragraphe 142 (C.F. 1re inst.); et Culic c. Postes Canada, 2007 TCDP 01). Cependant, dans l'arrêt Chopra, rendu 2007, la Cour d'appel fédérale a laissé entendre que le critère de la possibilité sérieuse n'avait pas fait consensus chez les trois juges qui avaient tranché l'affaire Morgan. Par conséquent, ce critère pourrait être remis en question. Néanmoins, je suis liée par les décisions comme Green, dans laquelle la Section de première instance a déclaré que le critère de la possibilité sérieuse est le moyen de déterminer s'il y a un lien causal entre l'acte discriminatoire et la perte.

[207] Dans la mesure où il existe une possibilité sérieuse que l'acte de la partie intimée ait causé le dommage pour lequel une indemnité est réclamée, toute incertitude quant à la probabilité que l'acte a causé le dommage doit être prise en compte dans l'évaluation du montant de l'indemnité (Green, précité, au paragraphe 142).

[208] La jurisprudence établit une distinction entre une situation où l'acte discriminatoire a causé directement la perte d'un emploi ou un refus d'employer, situation pour laquelle la nomination ou la réinsertion constitue une mesure de redressement appropriée, et une situation où l'acte discriminatoire a fait perdre au plaignant une chance d'emploi ou de formation. Dans cette dernière situation, les tribunaux ont jugé que le redressement approprié était d'obliger la partie intimée à fournir la chance perdue ou refusée, avec ou sans indemnité pécuniaire. (Voir par exemple Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Greyhound Lines of Canada (1987), 8 C.H.R.R. D/4184 (C.A.F.); Chapdelaine c. Air Canada (1991), 15 C.H.R.R. D/22 (Tribunal d'appel des droits de la personne) aux paragraphes 19 à 32; Bitonti c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2002 BCHRT 29, au paragraphe 33; et Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 2004 TCDP 27; conf. par 2007 CAF 269).

[209] Récemment, la Cour d'appel fédérale a approuvé la distinction entre la perte d'une chance d'emploi et la perte directe d'un emploi dont il faut tenir compte dans le cadre de l'évaluation du redressement. Dans Chopra, le Tribunal a conclu qu'il existait une simple possibilité, néanmoins une possibilité sérieuse, que le Dr Chopra gagne le concours de recrutement n'eut été de l'acte discriminatoire. Cependant, en tentant de quantifier la probabilité que le Dr Chopra gagne le concours, il a jugé que la probabilité qu'il remporte le concours n'était que de 33,33 %. Par conséquent, plutôt que d'ordonner sa nomination au poste, le Tribunal a ordonné que lui soit versé le salaire équivalant à la chance d'emploi perdue. Le Tribunal a réduit l'indemnité de deux tiers pour refléter le degré d'incertitude plutôt élevé quant à la nomination du Dr Chopra. En appel, le Dr Chopra a soutenu que, puisque le Tribunal avait conclu qu'il existait une possibilité sérieuse qu'il ait pu gagner le concours, le Tribunal était tenu d'ordonner sa nomination au poste. La Cour n'a pas souscrit à cet argument. Elle a conclu que le Dr Chopra avait été indemnisé pour ce qu'il avait perdu, soit la chance de participer à un concours non discriminatoire afin d'être nommé à un poste pour une période indéterminée. Puisqu'il a été indemnisé pour la chance perdue de participer à un concours équitable, cela aurait été d'une double indemnisation que de lui accorder le poste en tant que tel.

[210] En l'espèce, l'acte discriminatoire commis par la GRC a fait en sorte que M. Tahmourpour a perdu la chance de développer et de démontrer, à son plein potentiel, les habiletés requises pour devenir un agent de la GRC. J'estime qu'il existe une possibilité sérieuse que, s'il n'y avait pas eu discrimination, M. Tahmourpour aurait réussi la formation au Dépôt. En fait, le taux d'échec pour les cadets n'appartenant pas à une minorité visible n'était que de 6,88 % (et le taux d'attrition, de 7 %) en 1999, ce qui indique que, lorsque la discrimination ne constitue pas un facteur, la très grande majorité des cadets réussissent le programme. À la lumière de ce fait, je conclus qu'une des mesures de redressement appropriées en l'espèce est d'ordonner qu'il soit donné à M. Tahmourpour la chance d'être réadmis au prochain programme de formation au Dépôt. Les parties peuvent également s'entendre sur une date de réadmission différente qui leur conviendra mutuellement.

[211] L'ordonnance enjoignant à la GRC de réadmettre M. Tahmourpour au Programme d'instruction des cadets ne doit pas être interprétée comme étant une exigence qu'il réussisse le Programme d'instruction des cadets. M. Tahmourpour doit suivre la formation exigée et obtenir une cote professionnelle dans toutes les compétences et habiletés, comme tout autre cadet qui entreprend le Programme d'instruction des cadets. Si M. Tahmourpour termine le Programme d'instruction, il devra être traité comme tous les autres cadets qui réussissent.

[212] M. Tahmourpour a demandé une ordonnance exigeant qu'il soit immédiatement nommé agent régulier de la GRC, au niveau qu'occupent les personnes qui ont suivi la formation à l'École en même temps que lui. Pour les motifs qui suivent, j'estime qu'il ne convient pas d'accorder cette mesure de redressement.

[213] En premier lieu, M. Tahmourpour n'a pas terminé le programme de formation de la GRC. Il a manqué 8 semaines d'un programme intensif de 32 semaines, lesquelles 8 semaines, selon la preuve, sont encore plus exigeantes que les semaines précédentes pour ce qui est des habiletés développées et des connaissances acquises. Il est donc clair que M. Tahmourpour n'a pas acquis toutes les habiletés nécessaires pour être policier. Il serait imprudent, pour dire le moins, d'ordonner à la GRC d'accepter à titre de membre régulier une personne qui ne possède pas encore les habiletés pour être policier.

[214] En deuxième lieu, M. Tahmourpour n'a pas réussi le test de précision des tirs qui constitue une exigence pour tous les agents de la GRC avant qu'ils ne soient autorisés à porter une arme. Le sergent Brar a témoigné que, bien qu'il existe des tâches administratives à la GRC qui ne nécessitent pas l'utilisation d'une arme à feu, tout agent, qu'il soit affecté à des tâches administratives ou non, peut être appelé en cas de crise à exécuter des tâches actives nécessitant l'utilisation d'une arme à feu. Pour cette raison, tous les policiers, quel que soit leur poste, doivent se qualifier chaque année pour l'utilisation d'une arme à feu. M. Tahmourpour n'a pas encore démontré qu'il est capable de réussir ce test.

[215] En troisième lieu, les habiletés que M. Tahmourpour a acquis avec succès durant ses quatorze semaines de formation peuvent s'être détériorées au cours des 8 dernières années. Il pourrait avoir besoin d'une mise à jour.

[216] En dernier lieu, j'ai conclu que le traitement discriminatoire dont il avait fait l'objet avait empêché M. Tahmourpour de prouver qu'il possédait les connaissances et habiletés nécessaires pour être policier. Il n'a pas encore été déterminé si, dans un milieu dépourvu de discrimination, il serait en mesure de faire la preuve de ces habiletés et connaissances. Il faut le déterminer avant qu'il ne soit embauché en tant qu'agent de la GRC.

[217] Toutefois, ces considérations ne veulent pas dire que M. Tahmourpour doive reprendre le programme de formation en entier. La preuve a établi que, lorsque les cadets ne réussissent pas la formation du premier coup et sont admis une deuxième fois, leurs habiletés sont évaluées pour établir dans quels domaines ils ont besoin de plus de formation et dans quels domaines aucune formation supplémentaire n'est nécessaire. Il faut procéder à la même évaluation pour M. Tahmourpour.

Faut-il indemniser M. Tahmourpour pour la perte de salaire due à l'occasion perdue de terminer la formation en raison de la conduite discriminatoire de la GRC?

[218] Oui. La conduite discriminatoire de la GRC a privé M. Tahmourpour de l'occasion de terminer la formation et de gagner sa vie comme agent de la GRC. Il doit être indemnisé pour la perte du salaire qu'il aurait gagné.

Comment faut-il calculer la perte de salaire résultant de l'occasion perdue?

[219] La Cour d'appel a jugé que l'approche adoptée par le Tribunal dans Chopra, consistant à indemniser la perte de salaire tout en tenant compte de toute incertitude quant à l'obtention du poste, constituait une manière acceptable d'indemniser pour une chance perdue (Chopra, au paragraphe 43). J'adopterai la même approche.

[220] La preuve montrait que les cadets n'appartenant pas à une minorité visible avaient 93 % de chance de terminer la formation. J'estime qu'il convient d'utiliser ce chiffre pour établir quelle chance avait M. Tahmourpour de terminer le programme parce que, selon la preuve que j'ai entendue et les conclusions que j'ai tirées relativement au rendement de M. Tahmourpour dans le programme, il est raisonnable de déduire que, en l'absence de conditions discriminatoires, M. Tahmourpour aurait eu la même chance que les candidats n'appartenant pas à une minorité visible de réussir le programme. Je suis consciente des réserves que l'on pourrait émettre à propos de cette déduction : d'abord, M. Tahmourpour a montré dans le cadre du programme avoir certaines lacunes qui peuvent ne pas avoir été liées aux actes discriminatoires, ce qui aurait fait tomber ses chances de réussite au dessous de 93 %. Cependant, il est impossible de savoir si ces lacunes se seraient manifestées et dans quelle mesure elles auraient affecté les chances de succès de M. Tahmourpour s'il n'avait pas été la cible de discrimination; toute évaluation de leur importance serait hypothétique au point d'être arbitraire. Il serait injuste de réduire l'indemnité versée à M. Tahmourpour sur la base d'hypothèses si peu solides.

[221] Ensuite, je n'ai pas utilisé le taux d'attrition et le taux d'échec des candidats de minorités visibles parce que, à la suite du témoignage du Dr Wortley, j'ai conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la discrimination constitue au moins un des facteurs expliquant que le taux d'attrition des minorités visibles soit plus élevé que celui des cadets n'appartenant pas à une minorité visible. Il ne conviendrait pas de diminuer le chiffre des chances de réussite de M. Tahmourpour en tenant compte d'un chiffre attribuable en partie à des actes discriminatoires.

[222] Par conséquent, j'estime que l'indemnité pour perte de salaire doit être réduite d'abord de 7 % pour que soit reflétée la possibilité que M. Tahmourpour n'ait pas terminé le programme pour des motifs qui n'ont rien à voir avec la discrimination. La preuve révèle que le taux d'attrition pour les membres réguliers au cours des 20 premières années de leur emploi est de 1 %. L'intimée n'a pas produit de statistiques quant aux taux d'attrition pour la formation en cours d'emploi.

[223] À la lumière de ces statistiques, j'estime que l'indemnité que doit recevoir M. Tahmourpour pour le salaire perdu à la suite de la conduite discriminatoire doit être diminué de 8 % pour qu'il soit tenu compte des taux d'attrition au Dépôt et dans la Force régulière.

Pour quelle période M. Tahmourpour doit-il être indemnisé?

[224] M. Tahmourpour a demandé qu'on lui paye le salaire et les avantages sociaux perdus de manière rétroactive, de 1999 jusqu'à ce qu'à sa nomination comme agent de la GRC ou, à titre subsidiaire, jusqu'à la date de la présente décision si elle est accompagnée d'une autre ordonnance prévoyant le compensation des pertes futures au cas où la nomination ne serait pas ordonnée.

[225] D'abord, pour ce qui est du paiement rétroactif du salaire et des avantages sociaux perdus, la Cour d'appel, dans l'arrêt Chopra, a déclaré que, dans l'exercice qu'il fait du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 53(2)c) d'indemniser la victime de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire entraînées par l'acte discriminatoire, le Tribunal peut bien être d'avis que les principes qui sous-tendent la doctrine de l'atténuation des pertes dans d'autres contextes s'appliquent aussi dans un contexte comme celui-ci. La société a intérêt à encourager l'efficience économique en exigeant que les personnes qui ont subi des pertes prennent des mesures pour minimiser leur perte, puisqu'il n'est pas dans l'intérêt public de permettre que des membres de la société maximisent leur perte au détriment d'autres personnes, même si celles-ci sont responsables de la perte. Aussi un tribunal peut-il, bien qu'il n'y soit pas tenu, appliquer la doctrine de l'atténuation des pertes dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de fixer l'indemnité qui devra être versée à un plaignant.

[226] J'estime qu'il convient en l'espèce d'examiner si M. Tahmourpour a pris des mesures pour minimiser ses pertes. La preuve de M. Tahmourpour à cet égard était faible. Il a déclaré que, lorsqu'il a quitté le Dépôt en octobre 1999, il était bouleversé, mais pas déprimé. Il a déménagé à Toronto pour se trouver du travail. Cependant, quand il est arrivé à Toronto, il s'est rendu compte qu'il n'était pas en mesure de travailler parce qu'il souffrait d'insomnie et était incapable de se concentrer. M. Tahmourpour a consulté un médecin qui lui a prescrit des médicaments pour ses troubles du sommeil. Il n'a pas pris ces médicaments parce qu'ils coûtaient trop cher. Il a obtenu des prestations d'aide sociale sur la base du rapport de son médecin, selon lequel il était incapable de travailler. L'aide sociale rembourse les frais de médicaments. Plus tard dans son témoignage, il a déclaré avoir pris les médicaments quand il a eu l'argent pour les acheter.

[227] M. Tahmourpour a commencé à suivre des cours pour devenir agent immobilier en juin 2002. À ce moment, il avait une note d'un médecin précisant qu'il était incapable de suivre des cours ou de travailler parce qu'il était trop malade. Il a déclaré que, bien que son médecin ait cru qu'il n'était pas en mesure de le faire, lui-même croyait pouvoir le faire.

[228] M. Tahmourpour est devenu agent immobilier détenteur d'un permis en 2003. Il a déclaré avoir été un mauvais agent immobilier; il n'a vendu qu'une seule propriété pour laquelle il a reçu une commission de 5 000 $.

[229] M. Tahmourpour a suivi des cours dans le but de devenir interprète et traducteur dans la langue persane. Il a été certifié par le gouvernement fédéral, la province de l'Ontario et la ville de Toronto en tant qu'interprète de la langue persane. Il a payé 600 $ pour devenir interprète. Cependant, il n'a pu gagner que 100 $ comme traducteur.

[230] M. Tahmourpour a déclaré que sa plainte relative aux droits de la personne lui a demandé des efforts presque à temps plein. Aucun employeur ne l'aurait autorisé à s'absenter autant. Par conséquent, il n'a pas pu travailler à partir du moment où il a déposé sa plainte en 2001 jusqu'à aujourd'hui.

[231] J'estime que M. Tahmourpour n'a pas fait suffisamment d'efforts pour atténuer ses pertes de la date où il a quitté le Dépôt jusqu'au début de l'audience en août 2007. Je conviens que, de 2000 à 2002, il lui était difficile de travailler en raison des répercussions psychologiques causées par son expérience au Dépôt. Le fait qu'il n'ait pas pris les médicaments qui lui avait prescrits son médecin pour ses troubles me préoccupe, mais je conviens qu'il n'avait peut-être pas les idées claires au cours de ces deux années.

[232] Cependant, en juin 2002, il se sentait suffisamment bien pour entreprendre un cours en immobilier, malgré l'avis contraire de son médecin, selon lequel il ne pouvait ni travailler ni suivre de cours. En 2003, il a reçu son permis pour vendre des biens immobiliers et il a tenté de le faire. Bien qu'il ait été formé pour devenir traducteur, il n'a obtenu que 100 $ pour ses services pendant ce temps. Je ne suis pas convaincue que M. Tahmourpour a réellement tenté de se trouver un emploi lucratif qui aurait diminué ses pertes. En fait, il a déclaré qu'il ne pouvait le faire parce que sa plainte relative aux droits de la personne prenait tout son temps.

[233] Je ne crois pas que travailler à sa plainte relative aux droits de la personne exigeait de M. Tahmourpour un effort à temps plein. Je conviens que cela a nécessité du temps et que son dossier était plus difficile que la plupart des autres parce qu'il s'est rendu en Cour d'appel fédérale et a nécessité deux enquêtes de la Commission. Il s'est représenté lui-même dans le cadre de certaines procédures. Cependant, il semblerait que, du moins pour une partie du temps depuis 2000, M. Tahmourpour ait eu l'aide d'un avocat puisque le dossier comprend des lettres écrites par son avocat à la GRC le 4 mai 2000. Par conséquent, j'estime qu'il n'est pas raisonnable que M. Tahmourpour n'ait pu travailler du tout (sauf pour vendre une propriété et obtenir un contrat de traduction) de janvier 2002 jusqu'à aujourd'hui.

[234] Selon ce que je sais du temps que nécessite une plainte de la nature de celle en l'espèce, voici des chiffres représentant le temps dont aurait raisonnablement eu besoin une personne qui ne connaît pas le droit, comme M. Tahmourpour, pour effectuer les tâches liées à la présente plainte :

Rédiger la plainte, collaborer avec la Commission pour fournir des renseignements pour l'enquête, répondre aux documents de la Commission et mener des recherches supplémentaires pour étayer la plainte : 60 heures;

Se préparer pour le contrôle judiciaire et présenter le contrôle judiciaire visant la décision de la Commission devant la Section de première instance de la Cour fédérale : 120 heures;

Travailler avec un avocat pour l'appel devant la Cour d'appel fédérale : 60 heures;

Participer à la seconde enquête de la Commission canadienne des droits de la personne : 40 heures;

Prendre part à la procédure devant le Tribunal et se préparer pour l'audience : 200 heures.

[235] Selon mes calculs, le total s'élève à 480 heures, soit 12 semaines de travail à 40 heures de travail par semaine.

[236] La GRC paiera à M. Tahmourpour le salaire à temps plein et les avantages sociaux qu'il aurait reçus pendant deux ans à compter de janvier 2000 (s'il s'agit bien de la date à laquelle les cadets de la Troupe 4 ont commencé à travailler comme policiers de la GRC; sinon, on peut y substituer la bonne date). En plus, la GRC paiera à M. Tahmourpour le salaire et les avantages sociaux qu'il aurait reçus pour 480 autres heures de travail. Les montants doivent être calculés à partir du salaire et des avantages sociaux qu'ont reçu en moyennne de 2000 à août 2007 les membres réguliers diplômés du Dépôt à la fin de 1999. M. Tahmourpour peut être tenu de rembourser les prestations d'aide sociale qu'il a touchées pendant ce temps.

[237] Sauf pour la période pendant laquelle M. Tahmourpour ne pouvait travailler pour des raisons de santé et pour des raisons liées à la plainte, j'estime que M. Tahmourpour aurait pu travailler jusqu'à ce jour. Je ne souscris pas à son argument voulant que le travail exigé par sa plainte relative aux droits de la personne l'ait empêché de travailler à temps plein depuis le moment où il s'est senti suffisamment bien pour travailler jusqu'au début de l'audience, en août 2007. Les gens prennent toutes sortes de mesures et de moyens pour exercer des activités importantes même s'ils travaillent à temps plein. M. Tahmourpour aurait pu faire de même.

[238] La GRC ne devrait payer que la différence entre ce que M. Tahmourpour aurait gagné comme employé à temps plein et ce qu'il aurait gagné en tant que policier de la GRC, de la date à laquelle s'est terminée la période de grâce liée aux questions de santé et au travail sur la plainte jusqu'à la date de la présente décision. Par conséquent, la GRC doit payer la différence entre le salaire moyen pour un travail à temps plein dans l'industrie au Canada pour les personnes de l'âge de M. Tahmourpour et le salaire qu'il aurait reçu en tant que policier de la GRC pour cette période.

[239] La preuve révèle que M. Tahmourpour aurait probablement été promu caporal après sept ans de travail comme agent. L'indemnité payée à M. Tahmourpour doit tenir compte de ce changement de rang.

[240] Les taux de rémunération pour les périodes pertinentes ont été produits en preuve à l'audience et déposés comme pièce C-1, onglets 88 et 89. Ce sont les taux qui seront utilisés dans le calcul de l'indemnité, à moins que les parties ne parviennent à une autre entente.

[241] La preuve sur la question de la rémunération des heures supplémentaires n'est pas claire. L'agent McCarney a témoigné que les agents de service ordinaire sont généralement rémunérés pour des heures supplémentaires. Il ne savait pas exactement combien. Cela dépendait du travail donné à l'agent. J'estime que s'il avait été employé de janvier 2000 jusqu'à la date de la présente décision, M. Tahmourpour aurait été payé pour un certain nombre d'heures supplémentaires. Par conséquent, j'ordonne qu'il soit payé à M. Tahmourpour le montant moyen versé pour les heures supplémentaires aux agents diplômés du Dépôt en 1999.

Faut-il rendre une ordonnance pour les pertes de salaire futures?

[242] Rien ne prouve que l'acte discriminatoire a endommagé de manière permanente la capacité de travailler de M. Tahmourpour. Il est encore assez jeune, 35 ans, et a devant lui une vie professionnelle entière. M. Tahmourpour désire encore devenir agent de la GRC. Il a déclaré que, s'il avait l'occasion de recommencer le programme de formation au Dépôt, il pourrait [traduction] le réussir haut la main.

[243] Par conséquent, jusqu'à ce que M. Tahmourpour reçoive une offre lui permettant de réintégrer le programme de formation, il doit lui être versé la différence entre le salaire moyen pour un travail à temps plein dans l'industrie au Canada pour les personnes de l'âge de M. Tahmourpour et le salaire qu'il aurait reçu en tant que policier de la GRC jusqu'à la date de l'offre de formation.

[244] Dès qu'elle offre à M. Tahmourpour une place en formation, l'obligation de la GRC d'indemniser M. Tahmourpour pour la chance perdue de terminer la formation en 1999 s'éteint. Aucune autre indemnité ne doit être versée à ce titre.

(ii) Prévention de la discrimination à l'avenir - redressement systémique

[245] L'alinéa 53(2)a) de la Loi confère au Tribunal le pouvoir d'ordonner que la partie intimée prenne des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables.

[246] J'ai conclu que M. Tahmourpour a été victime de discrimination systémique au Dépôt en 1999. De nombreux témoins de la GRC ont affirmé dans leur témoignage qu'ils croyaient que le Dépôt était un bien meilleur milieu de formation maintenant que des personnes comme le caporal Boyer avaient pris leur retraite. Le caporal Bradley a fait savoir que des changements ont été apportés au programme de formation depuis que M. Tahmourpour l'a suivi en 1999. Aujourd'hui, en plus de l'occasion qu'avait eue M. Tahmourpour de faire part de ses préoccupations quant à ses instructeurs à leurs supérieurs deux fois au cours du programme, la GRC vérifie régulièrement les cours pour veiller à ce que la qualité de l'enseignement et de l'évaluation demeure élevée.

[247] M. Tahmourpour a témoigné qu'un des individus dont il s'était plaint était justement le superviseur qui avait été nommé pour entendre les préoccupations des cadets deux fois pendant le programme. M. Tahmourpour ne se sentait pas à l'aise pour faire part de ses préoccupations à cette personne ou à toute autre personne au Dépôt, parce qu'il craignait les représailles.

[248] Cette preuve et le rapport préparé par la GRC en avril 2006, intitulé Étude des systèmes d'emploi (ESE) ne me convainquent pas que les changements mentionnés ci-dessus suffiront à prévenir les actes discriminatoires comme ceux dont M. Tahmourpour a été la cible. L'ESE est une étude commandée par la GRC afin de déterminer si la GRC respectait la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Dans l'ESE, les auteurs affirment que, bien que la formation sur la diversité fasse partie du Programme d'instruction des cadets, l'accent est mis sur le respect de la diversité dans le cadre du travail policier. La formation sur la diversité ne porte pas directement sur la diversité au Dépôt ou au sein de la GRC. Elle ne porte pas sur le respect de la diversité chez les employés de la GRC.

[249] Les auteurs du rapport ont constaté qu'un certain nombre d'employés de la GRC appartenant à un groupe désigné ont l'impression que leurs collègues de la GRC n'acceptent pas ou ne respectent pas beaucoup leurs différences culturelles. Les auteurs recommandent que soit mis sur pied un cours de formation à la diversité normalisé qui porterait sur la diversité interne au sein de la GRC.

[250] Les auteurs de l'ESE ont soulevé un autre problème à résoudre, soit le harcèlement que vivent particulièrement les femmes et, dans une certaine mesure, les minorités visibles. La réponse aux plaintes ne semble généralement pas positive et les conséquences découlant au dépôt d'une plainte sont généralement si importantes que, dans certains cas, les gens ne portent pas plainte. Il y a de la méfiance à l'égard du système interne d'instruction des plaintes.

[251] Le sergent Lise Lachance, l'officier en charge par intérim de l'équité en matière d'emploi, a témoigné au sujet des efforts déployés par la GRC relativement à l'équité en matière d'emploi. Elle a déclaré que la politique sur le harcèlement était en cours de révision et que la GRC faisait des efforts pour combattre la discrimination dans ses rangs. Cependant, le sergent Lachance ne savait pas si ces efforts s'étendaient à l'École de la GRC, le Dépôt.

[252] À la lumière de cette preuve, je conclus que la GRC doit prendre des mesures pour éviter que ne se reproduisent des actes discriminatoires comme ceux dont a été victime M. Tahmourpour. Les mesures doivent porter sur les aspects énumérés ci-dessous. Cependant, je crois qu'il vaut mieux accorder aux parties trois mois à partir de la date de la présente décision pour s'entendre sur la nature exacte des mesures à prendre ainsi que sur le calendrier de leur mise en uvre. Je demeure saisie de cette partie de l'affaire au cas où les parties seraient incapables de s'entendre d'ici trois mois. À ce moment, je rendrai une décision définitive quant aux mesures appropriées que doit prendre la GRC.

[253] Les mesures visant à prévenir la discrimination doivent comprendre les suivantes :

  1. Une politique et un ensemble de procédures visant à mettre fin au harcèlement et à la discrimination au Dépôt et permettant aux cadets de faire part immédiatement de leurs préoccupations, sans crainte de représailles ou de conséquences négatives, à quelqu'un ayant le pouvoir d'apporter des changements. Une copie de la politique et des procédures sera remise à chaque cadet dans sa trousse de bienvenue, dès son arrivée au Dépôt.
  2. Un programme de formation sur la diversité et la sensibilisation aux réalités culturelles que suivront les cadets ainsi que tous les membres du personnel du Dépôt, laquelle formation visera à développer et favoriser une culture de respect et de tolérance de la diversité au sein de la GRC. Les questions soulevées aux pages 59 à 64 du Rapport 3 suivant un sondage mené auprès des membres réguliers, datant de septembre 1996, doivent également être prises en compte, de même que tout autre document pertinent. Les suggestions concernant une formation sur la diversité formulées dans l'Étude des systèmes d'emploi effectuée par Lakshmi Ram and Associates (avril 2006) doivent également être prises en compte, particulièrement pour ce qui est de la nécessité d'une formation portant sur la diversité au sein de la GRC.
  3. Un comité consultatif ou un officier responsable du multiculturalisme au Dépôt qui formule des recommandations au commandant du Dépôt au sujet de la prévention de la discrimination et de la promotion du respect et de la tolérance envers la diversité au Dépôt. Le commandant devrait toujours répondre par écrit à ces recommandations et justifier tout rejet d'une recommandation.

(iii) Préjudice moral

[254] L'alinéa 53(2)e) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à la partie intimée d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a subi un préjudice moral. M. Tahmourpour a demandé l'indemnité maximale. Il a témoigné avoir été très bouleversé par le traitement discriminatoire dont il a fait l'objet. Cela l'a amené à souffrir d'insomnies et de difficultés à se concentrer. Cependant, il a parfois mentionné lors de son témoignage qu'il était seulement [traduction] bouleversé quand il a quitté le Dépôt, et non pas déprimé ou incapable de fonctionner. En outre, M. Tahmourpour n'a pas toujours pris les médicaments qui auraient atténué ses souffrances.

[255] J'estime que, bien que M. Tahmourpour ait subi un certain préjudice moral du fait de la conduite discriminatoire, la durée et l'intensité de ce préjudice ne justifient pas une indemnité de 20 000 $. Compte tenu des circonstances en l'espèce, M. Tahmourpour recevra 9 000 $ pour le préjudice moral qu'il a subi.

Indemnité spéciale - paragraphe 53(3) de la Loi

[256] Le paragraphe 53(3) de la Loi dispose que le Tribunal peut ordonner à la partie intimée de payer une indemnité maximale de 20 000 $ s'il en vient à la conclusion que l'acte discriminatoire était délibéré ou inconsidéré.

[257] Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le caporal Boyer a agi de façon délibérée ou inconsidérée quand il a formulé des remarques discriminatoires et s'est montré verbalement violent à l'endroit de M. Tahmourpour. Je conclus également que son initiative visant à faire résilier le contrat de M. Tahmourpour pour des motifs discriminatoires était délibérée ou inconsidérée. Le caporal Jacques et le caporal Bradley ont coopéré à l'initiative visant à faire renvoyer M. Tahmourpour en fournissant des évaluations qui étaient inexactes et injustes.

[258] Avant la résiliation de son contrat, M. Tahmourpour a envoyé une lettre de réfutation à l'officier en charge de la formation à l'époque. Il a répondu à chaque point soulevé par le caporal Bradley et le caporal Jacques dans leur demande de résiliation et il a allégué avoir été traité de manière discriminatoire. La GRC n'a ni fait enquête ni répondu à sa plainte de discrimination jusqu'à ce qu'elle soit tenue de répondre à la plainte formelle que M. Tahmourpour a déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[259] Le sergent Hébert, et c'est tout à son honneur, a demandé pardon à M. Tahmourpour pour les remarques discriminatoires qu'il a prononcées au sujet de son pendentif religieux. La conduite du sergent Hébert est d'autant plus remarquable dans un contexte où les autres officiers agissent de manière discriminatoire sans égard aucun aux conséquences.

[260] J'estime par conséquent qu'il convient d'ordonner à la GRC de payer à M. Tahmourpour 12 000 $ à titre d'indemnité spéciale.

Dépenses

[261] L'alinéa 53(2)c) confère au Tribunal le pouvoir d'indemniser la victime des dépenses entraînées par l'acte discriminatoire.

[262] M. Tahmourpour a engagé des dépenses de 9 500 $ pour payer les cours de la chambre immobilière et d'interprétation. Il a avancé que ces dépenses, engagées dans le cadre de ses efforts visant à atténuer ses pertes, devraient lui être remboursées par la GRC. J'ai conclu que les efforts de M. Tahmourpour pour atténuer ses pertes pouvaient au mieux être qualifiés de tièdes. Néanmoins, M. Tahmourpour a bel et bien engagé des dépenses qui n'auraient peut-être pas été nécessaires si on lui avait permis de terminer sa formation et de gagner sa vie comme agent de la GRC. Par conséquent, j'ordonne à la GRC de rembourser à M. Tahmourpour le coût des cours de la chambre immobilière et de traduction.

[263] La Cour fédérale a récemment confirmé encore une fois le pouvoir du Tribunal d'adjuger des dépens raisonnables : Canada (Procureur général) c. Mowat, 2008 CF 118, au paragraphe 40. Voir également Canada (Procureur général) c. Thwaites, [1994] 3 C.F. 38, au paragraphe 56; Stevenson c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), 2003 CFPI 341, aux paragraphes 23 à 26; et Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 500.

[264] Par conséquent, j'ordonne à la GRC de payer à M. Tahmourpour des dépens raisonnables à titre de dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. M. Tahmourpour n'a pas produit de preuve sur la question des frais juridiques. En conséquence, je ne suis pas en mesure de rendre une ordonnance quant au montant des dépens. Cependant, j'encourage les parties à s'entendre sur le montant des dépens raisonnables en l'espèce. Je demeure saisie de cet aspect de l'affaire au cas où les parties seraient incapables de s'entendre. Si aucune entente n'est conclue, les parties doivent en aviser le Tribunal dans les trois mois suivant la réception de la présente décision.

Intérêts

[265] En vertu du paragraphe 53(4) de la Loi, des intérêts sont payables sur les indemnités accordées dans la présente décision. Les intérêts sont calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle), conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal. Les intérêts sur la perte de salaire commencent à courir à partir de la date à laquelle M. Tahmourpour aurait commencé à travailler pour la GRC et seront calculés en fonction du moment où le salaire aurait été payable à M. Tahmourpour.

[266] Quant à l'indemnité pour préjudice moral et à l'indemnité versée en vertu du paragraphe 53(3), les intérêts commencent à courir à partir de la date de la plainte. Cependant, en aucun cas le montant total payable en vertu de l'alinéa 53(2)e), y compris les intérêts, ne doit excéder 20 000 $. De même, le montant total payable en vertu du paragraphe 53(3), y compris les intérêts, ne doit pas dépasser 20 000 $.

VII. ORDONNANCE

[267] En vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 53(2) de la Loi, le Tribunal ordonne ce qui suit :

  1. sauf entente contraire, l'intimée offrira à M. Tahmourpour la chance de s'inscrire au prochain Programme d'instruction des cadets de la GRC au Dépôt;
  2. si M. Tahmourpour accepte l'offre de réadmission, l'intimée évaluera équitablement ses habiletés dès le début du programme de formation dans le but de déterminer les domaines dans lesquels il a besoin de formation;
  3. l'intimée versera à M. Tahmourpour une indemnité pour le salaire et les avantages sociaux qu'il aurait touchés durant les premiers deux ans et douze semaines de travail en tant que policier de la GRC après l'obtention du diplôme au Dépôt. L'indemnité sera diminuée de 8 %;
  4. l'intimée paiera à M. Tahmourpour la différence entre le salaire moyen pour un travail à temps plein dans l'industrie au Canada pour les personnes de l'âge de M. Tahmourpour et le salaire qu'il aurait touché en tant que policier de la GRC jusqu'à ce que M. Tahmourpour accepte ou rejette l'offre de réadmission au programme de formation au Dépôt. L'intimée versera à M. Tahmourpour le montant moyen payé pour les heures supplémentaires aux autres agents diplômés du Dépôt en 1999, sauf entente contraire entre les parties. L'indemnité sera diminuée de 8 %;
  5. l'indemnité doit tenir compte d'une promotion au rang de caporal après 7 ans;
  6. les parties tenteront de s'entendre sur les mesures à prendre et le calendrier de mise en uvre relativement aux questions présentées dans la section redressement systémique de la présente décision. Si les parties sont incapables de s'entendre sur cette partie de l'adjudication dans les trois mois suivant la date de la présente décision, le Tribunal rendra une décision définitive;
  7. l'intimée versera 9 000 $ à M. Tahmourpour à titre d'indemnité pour le préjudice moral causé par les actes discriminatoires;
  8. l'intimée versera 12 000 $ à M. Tahmourpour en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi;
  9. l'intimée versera 9 500 $ à M. Tahmourpour à titre d'indemnité pour les dépenses qu'il a engagées pour atténuer ses pertes. L'intimée indemnisera également M. Tahmourpour pour les frais juridiques engagés en l'espèce;
  10. l'intimée paiera les intérêts sur les indemnités accordées en l'espèce, conformément aux modalités susmentionnées.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)
Le 16 avril 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1151/3306

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Ali Tahmourpour c. Gendarmerie royale du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 13 au 17 août 2007
Les 27 au 31 août 2007
Les 17 au 21 septembre 2007
Les 24 au 28 septembre 2007

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 16 avril 2008

ONT COMPARU :

Barry Weintraub

Pour le plaignant

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Derek Edwards

Pour l'intimée

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