Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Valerie Deschambeault

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Cumberland House Cree Nation

l'intimée

Décision

Membre : Athanasios D. Hadjis
Date : Le 4 novembre 2008
Référence : 2008 TCDP 48

Table des matières

I Les faits. 1

A. Le concours de 2004.

B. Le concours de 2005.

II Quels sont les principes juridiques applicables en l’espèce?.

A. Mme Deschambeault a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination?.

B. La bande a-t-elle présenté une explication raisonnable?.

(i) Le concours de 2004.

(ii) Le concours de 2005.

C. La décision de la bande est-elle protégée contre l’application de la LCDP en raison de l’article 67?.

III Quelles sont les réparations que Mme Deschambeault et la Commission demandent?.

A. Pertes de salaire (alinéa 53(2)c))

B. Dépenses entraînées (alinéa 53(2)c))

(i) Dépenses liées à la formation.

(ii) Autres dépenses.

C. Préjudice moral (alinéa 53(2)e))

D. Indemnité spéciale (paragraphe 53(3))

E. Intérêts.

F. Ordonnance de mesures de redressement ou de mesures destinées à prévenir des actes semblables (alinéa 53(2)a))

[1] La plaignante, Valerie Deschambeault, est une femme métisse. En 2004 et en 2005, elle a présenté sa candidature deux fois pour un poste auprès de l’intimée, la Cumberland House Cree Nation. Sa candidature a été rejetée les deux fois. Dans sa plainte en matière de droits de la personne, elle soutient qu’on lui a refusé le poste parce qu’elle est une Métisse et qu’elle n’est pas une Indienne visée par un traité, c’est-à-dire qu’elle n’est pas membre de la Première Nation de la Cumberland House Cree Nation (la bande). Dans son formulaire de plainte, elle n’a pas précisé quelles dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) avaient censément été violées. Cependant, dans le formulaire de résumé de la plainte que la Commission a annexé à la plainte, l’article 7 est cité comme étant l’article applicable de la LCDP et l’origine nationale ou ethnique est précisée comme étant le motif de distinction illicite pertinent quant à l’allégation de discrimination.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plainte est fondée. Je conclus aussi qu’en l’espèce, la bande ne peut pas avoir recours à l’exception prévue à l’article 67 de la LCDP.

I. Les faits

[3] Pendant la majeure partie de sa vie, Mme Deschambeault a habité dans Cumberland House Northern village (ci-après le village), agglomération située sur une île (Pine Island) de la rivière Saskatchewan dans une région éloignée du Nord-Est de la Saskatchewan, à environ 350 km de Prince Albert. Le village partage l’île avec la réserve de Cumberland House Cree Nation. Le village et la bande sont à quelques kilomètres de distance l’un de l’autre. Ils partagent certains services, comme l’unique aréna de l’île, et leurs résidents respectifs fréquentent autant l’école du village que celle de la bande (il y a une école de chaque côté). Il y a un seul bureau de poste sur l’île, qui se trouve du côté du village.

[4] Ce ne sont pas tous les membres inscrits de la bande qui résident sur la réserve. D’après des chiffres publiés par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, seulement 592 des 1 062 membres inscrits de la bande habitent dans la réserve (données de février 2007). La plupart des membres qui n’habitent pas dans la réserve habitent dans le village. La population du village est composée presque entièrement de membres de la bande et de Métis. Par ailleurs, certains Métis habitent dans la réserve. Par conséquent, les vies des membres de la bande de la Première Nation et des Métis sont étroitement liées. Ils ont grandi ensemble et dans de nombreux cas, ils sont parents. Cependant, comme Mme Deschambeault l’a affirmé dans son témoignage, certaines personnes ne manquent pas de rappeler les différences entre les membres de la bande de la Première Nation (les Indiens visés par un traité) et les personnes qui sont des Métis.

A. Le concours de 2004

[5] En 2004, Mme Deschambeault travaillait comme intervenante en toxicomanie au Pine Island Health Centre, un centre de soins ambulatoires situé au village. Elle a vu une affiche qui avait été placée par la bande dans le bureau de poste du village, qui annonçait qu’un concours était lancé pour le poste de facilitateur de la guérison des anciens élèves des pensionnats.

[6] Ce poste avait été créé suite à une entente que la bande avait conclue avec la Fondation autochtone de guérison, un organisme qui a été établi en 1998 après la publication d’un rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. L’objectif de la fondation est d’aider à la réadaptation des personnes qui ont souffert d’agressions dans les pensionnats. Le financement vient du gouvernement du Canada.

[7] La bande a signé l’entente avec la fondation en juin 2004 pour le financement d’un projet de guérison. Ses objectifs comprenaient l’élimination de toute forme de violence, quelle soit dirigée vers des membres de la famille ou de la collectivité, qui était l’héritage des agressions physiques et sexuelles qui avaient eu lieu dans les pensionnats, et d’appuyer la guérison individuelle, familiale et collective. Le projet préconisait l’établissement d’un poste de deux ans d’un facilitateur de la guérison qui devait coordonner et de faciliter le soutien aux victimes.

[8] Mme Deschambeault avait déjà occupé un poste au sein du Métis Addictions Council de la Saskatchewan dans le cadre d’un projet qui avait été financé par la fondation. Le poste comprenait la visite de collectivités métisses et le soutien aux victimes des pensionnats qui avaient besoin d’aide. Elle a donc présenté sa candidature pour le poste de facilitateur. L’affiche du poste ne mentionnait aucune politique d’embauche qui favorisait les membres de la bande.

[9] Le processus de sélection était géré par Lisa Cook, qui était directrice de la santé de la bande à l’époque. Six personnes ont présenté leur candidature et la bande les a invitées à une entrevue. Quatre des candidats ont accepté de se présenter à l’entrevue, y compris Mme Deschambeault. Elle était la seule des quatre candidats qui était Métisse. Les trois autres candidats étaient tous membres de la Premières Nation ainsi que membres de la bande.

[10] Lisa Cook a témoigné qu’elle avait préparé une série de questions d’entrevue pour les candidats, en collaboration avec le département des ressources humaines du Grand conseil de Prince Albert, un organisme cadre composé de douze Premières Nations de la Saskatchewan, y compris la bande. Les questions ont ensuite été approuvées par le Conseil de bande. Les entrevues ont été tenues par une formation composée du chef et des quatre autres membres du Conseil de bande, ainsi que de deux représentants du département des ressources humaines du Grand conseil, d’un aîné de la bande et de Lisa Cook.

[11] Les membres du groupe d’entrevue devaient, chacun à leur tour, poser une ou deux questions à chacun des candidats. On avait fourni aux membres du groupe d’entrevue des feuilles sur lesquelles les questions étaient écrites et où il y avait de l’espace pour inscrire des notes. Lisa Cook a témoigné qu’après la fin des entrevues, les membres du groupe ont discuté entre eux des résultats qu’ils avaient donnés à chacun des candidats. Elle a écrit les points donnés par chaque membre du groupe sur un tableau. Elle a ensuite fait la moyenne des résultats pour chacun des candidats.

[12] Mme Deschambeault a obtenu la première place. Mme Cook a témoigné qu’elle avait pris les résultats et les avait présentés à une réunion du Conseil de bande. On lui a demandé de quitter la pièce pendant que le Conseil de bande délibérait. Mme Cook a témoigné qu’elle avait trouvé cette demande surprenante. L’un des membres du Conseil lui a dit que [Traduction] [l]es membres de la bande vont s’occuper des questions d’appartenance à la bande . Mme Cook fait partie de la Première Nation, mais elle n’est pas une membre de la bande.

[13] Le Conseil de bande a décidé d’embaucher Kathleen Settee-Cramer (Mme Cramer), qui est membre de la Première Nation et membre de la bande. Les résultats du groupe d’entrevue avaient placé Mme Cramer en deuxième place.

[14] Patricia Laliberte avait agi à titre de secrétaire pour le Conseil de bande pendant une période de deux semaines en 2004. Elle a témoigné qu’elle était présente lors d’une réunion du Conseil de bande au cours de laquelle la question de la nomination au poste de facilitateur avait été discutée. Elle se souvient que certains membres du Conseil avaient mentionné que le candidat retenu devait être un membre de la bande.

[15] Lisa Cook a témoigné que le lendemain, le chef de la bande à l’époque et l’un des membres du conseil de la bande lui ont tous les deux dit que Mme Cramer avait obtenu le poste parce que le Conseil avait décidé d’embaucher un membre de la bande.

[16] Mme Cramer a témoigné qu’après avoir été avisée qu’elle avait été nommée au poste, elle a entendu le même conseiller qui avait parlé à Mme Cook dire qu’elle avait obtenu le poste [Traduction] parce qu’elle était membre de la bande . Elle a alors discuté avec son père, qui était un ancien chef de bande, au sujet de ce qu’elle avait entendu. Après avoir vérifié, son père lui a confirmé qu’elle avait été choisie parce qu’elle était membre de la bande. Elle a témoigné que cette nouvelle l’avait attristée. Elle était amie avec Mme Deschambeault depuis leur enfance et elle savait que Mme Deschambeault était plus qualifiée qu’elle. Elle a tout de même décidé d’accepter le poste parce qu’elle croyait qu’elle pouvait tout de même aider sa collectivité en ce qui avait trait au programme qu’elle gérerait.

[17] Peu de temps après, Mme Cramer a expliqué à Mme Deschambeault ce qu’elle avait appris au sujet du concours. Bien que Mme Deschambeault ait été très blessée et déçue de ne pas avoir obtenu le poste, malgré le fait qu’elle eût obtenu le premier rang dans l’évaluation du groupe qui avait tenu l’entrevue, elle ne souhaitait pas causer de problèmes à Mme Cramer. Mme Deschambeault a décidé de laisser tomber la question et de ne pas déposer de plainte auprès de la bande à la suite du concours.

B. Le concours de 2005

[18] Bien que la durée du poste de facilitateur était de deux ans, se terminant en 2006, Mme Cramer a démissionné du poste le 16 mars 2005. Elle a témoigné qu’elle trouvait que l’environnement de travail était [Traduction] malsain et qu’elle se sentait [Traduction] harcelée . Tout de suite après sa démission, Mme Cramer a posé sa candidature à l’élection du Conseil de bande de ce mois-là. Il semble que les règlements de la bande précisent que les candidats doivent démissionner de leur emploi au sein de la bande pendant la période des élections. La bande soutient donc que la véritable raison pour laquelle Mme Cramer a démissionné était qu’elle souhaitait poser sa candidature au sein du Conseil. Mme Cramer n’a pas obtenu de poste au sein du Conseil.

[19] Peu importe le motif en ce qui a trait à sa démission, le résultat a été que le poste de facilitateur s’est libéré avant la fin de sa durée prévue. Lisa Cook était absente pour des raisons personnelles lorsque Mme Cramer a démissionné. À son retour en avril 2005, Angus Mackenzie, un conseiller de bande qui venait d’être élu et à qui on avait donné la responsabilité du dossier de la santé, a demandé à Mme Cook de préparer un processus de sélection afin de combler le poste. La bande avait déjà diffusé des annonces de l’ouverture du poste pendant que Lisa Cook était en congé.

[20] Le Conseil de bande avait depuis peu mis sur pied un nouveau comité de santé composé de quatre membres de la bande qui devaient appuyer le Conseil au sujet de questions portant sur le dossier de la santé. On a avisé Lisa Cook que le comité de sept membres qui évaluerait les candidatures pour le poste de facilitateur serait composé des quatre membres du comité sur la santé ainsi que d’un ancien conseiller de la bande (Raymond Chaboyer), de M. Mackenzie, et d’un aîné. Mme Cook a témoigné que le Grand conseil avait choisi de ne pas participer au processus d’entrevue de 2005.

[21] Le processus de sélection que Lisa Cook a organisé était semblable au concours de 2004 avec quelques changements mineurs. Par exemple, le pointage devait se faire sur une échelle de 1 à 5 plutôt que de 1 à 4 et la partie portant sur l’habileté à s’exprimer par écrit avait été davantage développée afin de garantir que les candidats avaient les capacités nécessaires en matière de préparation de rapports. Cependant, ce dernier point ne comptait pas dans les résultats finaux que les membres du groupe donnaient aux candidats.

[22] Trois personnes ont posé leur candidature pour le poste, Clara Cook, Mme Deschambeault, et Mme Cramer (qui, en effet, posait à nouveau sa candidature pour le poste). Mme Deschambeault était la seule personne qui n’était pas membre de la Première Nation et qui n’était pas membre de la bande à poser sa candidature. Elle a témoigné qu’elle avait vu les affiches pour le concours au bureau de poste et au poste d’essence et qu’elle avait entendu une annonce au poste de radio local. Elle avait remarqué que les qualifications requises et les tâches n’avaient pas changé par rapport au concours de 2004. Elle a aussi témoigné qu’elle avait rencontré le nouveau chef de bande, Walter Sewap, au poste d’essence et qu’elle lui avait demandé si le concours allait être restreint aux membres de la bande. Il lui avait répondu que le concours était ouvert à tous, pas seulement aux membres de la bande, et que le nouveau comité sur la santé superviserait le processus et ferait une recommandation au Conseil. Elle s’est sentie rassurée et a décidé de poser sa candidature.

[23] Les entrevues ont eu lieu en mai 2005. Trois des membres du groupe d’entrevue ont dû se récuser relativement à l’évaluation de Clara Cook parce qu’ils étaient parents. Les sept membres du groupe ont participé à l’entrevue de Mme Cramer et de Mme Deschambeault. Lisa Cook a témoigné qu’elle croyait que la candidature de Clara Cook n’aurait jamais dû être considérée. Les affiches pour le poste précisaient que seules les personnes qui avaient terminé leurs études secondaires de 12e année, ou l’équivalent, pouvaient postuler. Clara Cook n’avait pas mentionné dans son curriculum vitae qu’elle avait terminé sa 12e année. Cependant, on a dit à Lisa Cook d’admettre tous les candidats au concours, y compris Clara Cook.

[24] Après l’entrevue des candidats, le groupe d’entrevue s’est réuni et a compilé les résultats. Un résumé écrit à la main ou une feuille de calcul établissant tous les résultats attribués par chacun des membres du groupe d’entrevue a été déposé en preuve. Ce document montre que chaque évaluateur a donné un résultat qui plaçait Mme Deschambeault au premier rang ou qui la plaçait ex æquo avec Mme Cramer au premier rang. Les quatre membres du groupe d’entrevue qui ont évalué Clara Cook l’ont placée au dernier rang ou ex æquo avec Mme Cramer au deuxième rang. La moyenne générale des résultats plaçait clairement Mme Deschambeault au premier rang, avec un résultat de 55 sur 70, Clara Cook au deuxième rang avec 46 points, et Mme Cramer avec 42 points.

[25] Il existait un certain nombre d’anomalies évidentes dans les résultats. L’un des membres du groupe d’entrevue, Ernest Chaboyer, avait donné à Mme Deschambeault un résultat de 74, même si le résultat maximal possible était de 70. Un examen des feuilles de pointage d’Ernest Chaboyer pour chacune des candidates qu’il avait interrogées montrait qu’il avait inscrit un résultat pour l’une des questions d’entrevue à deux endroits sur la feuille de pointage, ce qui avait entraîné un calcul en double. Je note qu’il a donné à Mme Deschambeault un résultat parfait pour toutes les questions d’entrevue sauf une, pour laquelle il a donné 4/5. Cela donne à penser que le résultat qu’il souhaitait donner à Mme Deschambeault était de 69/70, qui est bien meilleur que le résultat qu’il a donné à Mme Cramer (25/70). Il n’a pas donné de résultats à Mme Cook parce qu’elle est sa sœur. Néanmoins, même si on annulait tous les point attribués par Ernest Chaboyer du résultat total, la moyenne révisée placerait tout de même Mme Deschambeault en première position.

[26] Un autre problème, qui est ressorti grâce au témoignage de Raymond Chaboyer, était que bien que les feuilles de pointage comprenaient des points attribués par l’aîné qui avait participé au groupe d’entrevue, M. Chaboyer ne se souvenait pas avoir vu cet aîné poser des questions ou inscrire des résultats sur sa feuille. Cependant, même si on avait aussi annulé les point attribués par l’aîné, en plus de ceux d’Ernest Chaboyer, Mme Deschambeault aurait tout de même obtenu la première place.

[27] Lisa Cook a témoigné que le groupe d’entrevue avait décidé de recommander Mme Deschambeault au Conseil de bande pour le poste de facilitateur. Mme Deschambeault a déclaré dans sa preuve qu’elle avait reçu un appel téléphonique ce soir-là d’Ernest Chaboyer qui l’informait qu’elle avait obtenu le plus haut résultat et que le groupe la recommanderait au Conseil. Il lui a même demandé à quelle date elle pouvait commencer à travailler.

[28] Ernest Chaboyer a présenté un rapport des conclusions du groupe d’entrevue recommandant l’embauche de Mme Deschambeault, lors d’une réunion du Conseil de bande le lendemain, soit le 16 mai 2005. Après avoir examiné la question, le Conseil de bande a décidé d’embaucher Clara Cook pour le poste de facilitateur, décision qui devait entrer en vigueur le jour même.

[29] Mme Deschambeault a déclaré qu’elle avait été très blessée et fâchée de perdre la possibilité d’emploi une deuxième fois, particulièrement après qu’Ernest Chaboyer lui eut dit, la veille, qu’elle avait obtenu la première place dans l’évaluation du groupe et qu’elle avait été recommandée pour l’embauche. Elle estimait qu’il était injuste qu’on lui refuse le poste une deuxième fois après qu’elle eut été encore une fois la candidate qui avait obtenu le meilleur résultat. En juillet 2005, elle a déposé une plainte en matière de droits de la personne à la Commission. La Commission l’a avisée qu’elle devait fournir des précisions quant à la plainte. Sa plainte modifiée, que la Commission a finalement renvoyée au Tribunal et qui constitue la présente affaire, a été présentée à la Commission le 14 février 2006. Le comportement discriminatoire allégué dans la plainte s’étend du 22 juillet 2004 au 16 mai 2005, période qui couvre les concours de 2004 et de 2005.

II. Quels sont les principes juridiques applicables en l’espèce?

[30] Constitue un acte discriminatoire, aux termes de la LCDP, le fait de refuser d’employer un individu en raison de son origine nationale ou ethnique (articles 3 et 7).

[31] La partie plaignante doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (O’Malley)). La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante en l’absence de réplique de la partie intimée. Lorsque la partie plaignante a établi une preuve prima facie, il revient à l’intimé de fournir une explication qui est raisonnable et qui n’est pas un prétexte pour justifier la pratique qui autrement serait discriminatoire.

[32] Il n’est pas nécessaire que la discrimination soit le seul motif derrière le comportement en question pour que la plainte soit justifiée. Il suffit que la discrimination soit l’un des facteurs qui aient compté dans la décision de l’employeur (Holden c. Compagnie nationale de chemins de fer (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Uzoaba [1995] 2 C.F. 569 (C.F. 1re inst.)).

[33] Dans Basic. Compagnie de chemins de fer du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, au paragraphe 38 481 (TCDP), le Tribunal a déclaré que la discrimination n’est pas une pratique que l’on s’attend à voir ouvertement. Il est rare que l’on puisse établir par une preuve directe que la discrimination était délibérée. Un tribunal doit donc tenir compte de toutes les circonstances afin de déterminer s’il existe [Traduction] un léger relent de discrimination.

[34] Dans le contexte de l’emploi, les conclusions tirées dans plusieurs décisions ont servi à illustrer le type de preuve qui est nécessaire pour l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination. Dans Shakes c. Rex Pak Ltd., (1981), 3 C.H.R.R. D/1001, au paragraphe 8 918, la Commission d’enquête de l’Ontario a conclu qu’une preuve prima facie est établie s’il est démontré :

  • que le plaignant était qualifié pour l’emploi en question;
  • que le plaignant n’a pas été embauché;
  • qu’une personne qui n’était pas plus qualifiée, mais qui ne possédait pas la caractéristique de distinction, qui est à la base de la plainte en matière de droits de la personne, a obtenu le poste.

[35] Dans Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne, (1983), 4 C.H.R.R. D/1616, à la ligne 1 618 (TCDP), confirmé (1984), 5 C.H.R.R. D/2147 (TCDP – Tribunal de révision), le Tribunal a modifié cette analyse afin de prendre en compte les situations où aucune nomination n’a été faite après que le plaignant, qui était qualifié pour le poste, a été rejeté, et où l’employeur continue de chercher des candidats.

[36] Bien que les approches Shakes et Israeli servent de guides utiles, ni l’une ni l’autre ne devrait être appliquée automatiquement de façon rigide ou arbitraire dans tous les cas portant sur l’embauche (Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Vérificateur général), 2005 CAF 154 (Morris), aux paragraphes 23 à 30; Singh c. Canada (Statistiques Canada) (1998), 34 C.H.R.R. D/203, au paragraphe 161 (TCDP); Premakumar c. Air Canada, 2002 CanLII 23561, au paragraphe 77 (TCDP)). Il faut tenir compte des circonstances dans chaque plainte afin de déterminer si l’application de l’un ou l’autre critère, en entier ou en partie, est appropriée.

A. Mme Deschambeault a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination?

[37] À mon avis, Mme Deschambeault a établi une preuve prima facie de discrimination en ce qui a trait aux concours de 2004 et de 2005. La preuve que la plaignante et la Commission ont présentée démontre qu’elle était qualifiée pour le poste de facilitateur pour les deux concours, puisqu’elle avait obtenu le premier rang parmi tous les candidats qui avaient participé aux deux concours. Elle n’a jamais été embauchée pour le poste. Enfin, la preuve démontre qu’une personne qui n’était pas plus qualifiée que la plaignante (et qui en fait, était moins qualifiée, d’après les groupes d’entrevue qui avaient évalué les candidats lors des deux concours) a été embauchée. Ces autres personnes qui ont été embauchées n’avaient pas la caractéristique de distinction qui est à la base de la plainte de Mme Deschambeault (c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas Métis, mais qu’elles étaient membres de la Première Nation de Cumberland Lake). Les trois composantes de l’analyse Shakes ont donc été établies.

[38] La bande soutient que le statut de Mme Deschambeault comme personne qui n’est pas membre de la bande n’est pas [Traduction] comme un descripteur de race ou d’ethnicité au sens de l’analyse . La bande soutient que, contrairement à la race, il est possible d’obtenir ou de perdre le statut de membre de la bande au cours de la vie d’une personne. Par exemple, des femmes qui n’étaient pas membres de la bande le sont devenues lorsqu’elles se sont mariées à un homme membre de la bande. D’autres personnes ont obtenu leur statut d’Indien en 1985, lors de l’adoption du projet de loi C-31 (Loi modifiant la Loi sur les Indiens), qui a redonné à de nombreuses personnes le statut qu’elles avaient perdu.

[39] Je ne suis pas d’accord. Tout d’abord, la plainte en l’espèce porte sur la discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique, et non sur la race. La LCDP prévoit que le traitement défavorable d’individus, fondé sur leur origine nationale ou ethnique, constitue une pratique discriminatoire. La LCDP ne fait aucune distinction entre les personnes qui sont victimes de discrimination parce qu’elles sont membres d’un groupe national ou ethnique particulier et celles qui sont victimes de discrimination parce qu’elles ne sont pas membres d’un tel groupe.

[40] Mme Deschambeault a établi une preuve prima facie selon laquelle on lui a refusé un emploi parce qu’elle n’avait pas une certaine origine nationale ou ethnique. Elle n’était pas membre d’une Première Nation et, en particulier, elle n’était pas membre de la Cumberland House Cree Nation. Le fait que Mme Deschambeault aurait pu obtenir plus tard le statut d’Indien en épousant un membre de la bande ne devrait faire aucune différence, pas plus, par exemple, que le fait qu’une victime de discrimination fondée sur la religion puisse possiblement se convertir à une autre religion plus tard dans sa vie. Le fait qu’elles ont été victimes d’un traitement défavorable à un certain moment, traitement fondé sur leur statut actuel (réel ou imaginaire qu’il s’agisse de leur origine nationale ou ethnique, de leur religion, de leur état matrimonial, de leur orientation sexuelle, etc.) est suffisant pour conclure qu’il y a eu discrimination.

[41] La bande semble aussi donner à entendre que tous les candidats, dans les deux concours, avaient la même origine nationale ou ethnique puisque tant les Autochtones que les Métis relèvent tous deux de la définition de peuples autochtones du Canada au sens du paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 (c’est-à-dire des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada ). J’en déduis que la bande souhaiterait que le Tribunal conclue, en se fondant sur le libellé de cette disposition constitutionnelle, qu’il ne pouvait donc pas y avoir eu discrimination en l’espèce, bien que ses observations à ce sujet ne soient pas très explicites.

[42] En supposant que ce soit là l’argument que la bande présente, je ne suis pas de son avis. Cela constituerait une définition beaucoup trop restrictive des mots origine nationale ou ethnique utilisés dans la LCDP. Premièrement, comme la Cour suprême l’a noté dans R. c Powley, 2003 CSC 43, au paragraphe 10, le terme Métis de l’article 35, bien qu’il ne comprenne pas tous les individus d’ascendance mixte amérindienne et européenne, fait référence à des peuples distincts qui ont une identité de groupe reconnaissable qui est distincte de celle de leurs ancêtres amérindiens, inuits ou européens. De plus, dans un sens plus large, l’argument de la bande semble ne pas tenir compte du fait que les peuples autochtones du Canada qui sont mentionnés dans la Loi constitutionnelle de 1982 sont composés de nombreux groupes nationaux ou ethniques qui possèdent leurs propres cultures, langues, traditions et histoires. La bande semble donner à entendre que le fait de traiter quelqu’un de façon défavorable en fonction de ces origines nationales ou ethniques devrait être traité différemment du fait de faire une distinction, par exemple, entre des personnes d’origine nationale européenne, selon ce qu’on entend historiquement par cette expression. Cela est manifestement absurde.

[43] De toute façon, les dispositions de la LCDP n’exigent pas que le plaignant et l’intimé soient d’origines nationales ou ethniques différentes pour qu’une plainte soit fondée. L’article 4 de la LCDP précise que le Tribunal peut rendre une ordonnance au sujet de toute personne qui a commis ou qui commet un acte discriminatoire. Le Tribunal peut donc tout à fait conclure qu’une personne a été victime de discrimination commise par une personne de la même origine, s’il est établi que l’origine de la victime était un facteur du traitement défavorable.

[44] Je conclus donc qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie.

B. La bande a-t-elle présenté une explication raisonnable?

(i) Le concours de 2004

[45] La bande n’a présenté aucune preuve qui donnait d’explication, encore moins une explication raisonnable, pour se justifier face à la preuve prima facie de discrimination que la Commission et Mme Deschambeault ont établie.

[46] La bande a appelé trois témoins à l’audience : le chef Walter Sewap, Angus Mackenzie et Raymond Chaboyer. Le chef Sewap a été élu à son poste en avril 2005, juste avant le concours de 2005. Il a témoigné qu’il ne pouvait donner aucun renseignement au sujet du concours de 2004 parce qu’il ne faisait pas partie du Conseil de bande à l’époque. M. Mackenzie n’a été élu au Conseil qu’en avril 2005. Il n’a présenté aucun témoignage au sujet du concours de 2004.

[47] Raymond Chaboyer était membre du Conseil de bande à l’époque du concours de 2004. Il n’avait pas participé au groupe d’entrevue qui avait évalué les candidats pour le poste de facilitateur cette année-là. Ce témoin a souvent confondu le concours de 2005 et celui de 2004 dans son témoignage. Lorsqu’on lui a finalement demandé en contre-interrogatoire qui avait obtenu la première place dans le concours de 2004, il ne s’en souvenait pas. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le Conseil de bande n’avait pas embauché Mme Deschambeault en 2004, malgré le fait que le groupe d’entrevue l’avait recommandée, il ne s’en souvenait pas, déclarant que ça s’était passé il y avait trop longtemps. Enfin, le témoignage de Raymond Chaboyer n’a fourni aucune explication que ce soit pour la décision de ne pas embaucher Mme Deschambeault en 2004, décision pour laquelle j’ai conclu qu’il y avait eu preuve prima facie de discrimination.

[48] Dans ses observations écrites finales, déposées après la fin de l’audience, la bande a présenté plusieurs arguments fondés sur la preuve documentaire au sujet du concours de 2004. La bande a noté un certain nombre d’incohérences dans les documents de pointage (les questionnaires) au sujet du concours de 2004, qui avaient été déposés en preuve. Certains des membres du groupe d’entrevue avaient apparemment écrit des résultats pour plusieurs des questions, alors que d’autres ne l’avaient pas fait. Cela aurait donc entraîné le fait que certains candidats auraient obtenu des résultats plus élevés que d’autres [Traduction] sans raison apparente . La bande a aussi soutenu que [Traduction] un ou plus d’un des membres du groupe d’entrevue ont [Traduction] abandonné le pointage sur une échelle de 1 à 4 et ont donné un rang-centile général. Il semblerait que Lisa Cook et un autre membre du groupe aient donné plus de points à Mme Deschambeault qu’aux autres candidats parce qu’elle n’avait pas de casier judiciaire. De plus, ce ne sont pas tous les questionnaires qui ont été signés par les membres du groupe.

[49] Ces explications sont, à mon avis, de simples prétextes, si elles ne sont pas simplement des réflexions après coup de la part de la bande, qu’elle présente dans un dernier effort pour se justifier. La plupart de ces incohérences n’ont jamais été soulevées lors de l’interrogatoire des témoins. On n’a posé aucune question à Lisa Cook à savoir pourquoi elle aurait donné des résultats différents au sujet de l’absence d’un casier judiciaire pour les candidats. Les autres incohérences ont à peine été évoquées lors du contre-interrogatoire que la bande a fait des témoins de la Commission. Ces points n’ont certainement pas été abordés par les témoins de la bande.

[50] Ce qui est encore plus important, c’est qu’aucune preuve n’a été présentée visant à démontrer que ces supposées incohérences avaient été présentées au Conseil de bande en 2004, et que le Conseil les avait examinées, lorsqu’il a décidé de rejeter la recommandation du comité et d’embaucher Mme Cramer plutôt que Mme Deschambeault.

[51] La bande soutient que Mme Laliberte s’est trompée lorsqu’elle a témoigné au sujet d’un conseiller qui aurait déclaré qu’il serait préférable d’embaucher un membre de la bande. La bande fait valoir que cette discussion portait sur la nomination d’un directeur en matière de santé et non du facilitateur. La bande a aussi soulevé la possibilité que, lors de la réunion du Conseil, d’autres discussions aient été tenues en l’absence de Mme Laliberte. Cependant, on ne m’a présenté aucune preuve pour soutenir ces deux déclarations. Je n’ai aucune idée du contexte ni du contenu de ces autres discussions. La bande n’a même pas été en mesure de me présenter le compte rendu que Mme Laliberte avait préparé de cette réunion du Conseil. Par conséquent, essentiellement on ne m’a présenté aucune preuve qui contredise le témoignage de Mme Laliberte.

[52] En fait, je n’ai pas la moindre preuve qui explique la raison pour laquelle la bande a décidé de ne pas embaucher Mme Deschambeault, malgré la recommandation du comité d’entrevue. J’ai déjà conclu que la plaignante avait établi une preuve prima facie de discrimination. En l’absence d’une explication, je conclus que la plainte en matière de droits de la personne de Mme Deschambeault portant sur le concours de 2004 est justifiée.

(ii) Le concours de 2005

[53] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la plainte de Mme Deschambeault portant sur le concours de 2004 était justifiée, l’examen de la plainte au sujet du concours de 2005 est, en un sens, théorique. Le poste de facilitateur pour lequel elle avait présenté sa candidature en 2004 devait être un poste d’une durée de deux ans. Rien ne donne à penser que Mme Deschambeault ne serait pas restée en poste pendant ces deux ans si elle avait été embauchée. Mme Cramer a quitté le poste pour des raisons personnelles environ huit mois après son embauche. Elle a déclaré qu’elle sentait le besoin de partir en raison d’un environnement de travail [Traduction] malsain et parce qu’elle avait été [Traduction] harcelée par au moins un des conseillers. Elle était d’avis que le Conseil n’était pas coopératif, en partie parce qu’elle avait une réputation d’activiste et de fauteuse de troubles au sein de la collectivité. La bande a soutenu qu’elle avait simplement démissionné afin de tenter d’obtenir un poste au Conseil, comme le démontre sa décision de poser à nouveau sa candidature pour le poste de facilitateur en 2005 après qu’elle n’eut pas été élue au Conseil. Peu importe la déclaration qui reflète le mieux la réalité, il n’y a aucune raison de croire que Mme Deschambeault aurait quitté son poste avant la fin de son mandat. Par conséquent, il n’aurait pas été nécessaire de tenir un concours en 2005.

[54] De plus, je conclus que l’explication de la bande pour le fait qu’elle n’a pas embauché Mme Deschambeault en 2005, malgré la recommandation du comité d’entrevue, n’est pas raisonnable compte tenu de la preuve ou qu’elle ne sert que de prétexte pour justifier la pratique discriminatoire.

[55] La bande soutient que le rôle du comité d’entrevue en 2005 était simplement de présenter une recommandation au Conseil de bande, qui n’était pas tenu de la suivre. Le Conseil se gardait le droit de prendre sa propre décision au sujet du candidat retenu. Le chef Sewap a témoigné que le Conseil était passé outre à d’autres recommandations d’embauche par le passé, un point que Lisa Cook a aussi confirmé.

[56] Cependant, dans le contexte de la présente plainte en matière de droits de la personne, cet argument n’est pas pertinent. Bien que le Conseil de bande puisse avoir le pouvoir discrétionnaire de nommer le candidat qui lui plait, et même de rejeter la recommandation d’un comité d’entrevue, il ne peut pas le faire en se fondant sur des motifs discriminatoires. Même si un seul un motif discriminatoire fait partie des nombreux facteurs de sa décision, alors la bande aura contrevenu à la LCDP (voir Holden, précité). Par conséquent, il n’est pas suffisant pour un intimé de simplement soutenir, en réponse à une preuve prima facie de discrimination, que [Traduction] la décision finale revenait au Conseil de bande et qu’il avait le pouvoir discrétionnaire d’embaucher le candidat qu’il souhaitait. Compte tenu de la preuve en l’espèce portant sur le fait que la plaignante était la candidate la plus qualifiée, la bande devait au moins présenter des preuves donnant à penser que Clara Cook était plus qualifiée que Mme Deschambeault ou expliquant pourquoi elle avait gagné le concours.

[57] La Commission a fait allusion aux incohérences relevées dans le processus de pointage du concours de 2005 qui ont été mentionnées plus tôt (le résultat total de 74 sur 70 qu’Ernest Chaboyer a donné à Mme Deschambeault et la participation de l’aîné au processus de pointage). Raymond Chaboyer a déclaré qu’il avait eu de la difficulté à accepter les résultats du pointage. Le chef Sewap a aussi mentionné que ces résultats le préoccupaient. Ils ont tous les deux déclaré que ces préoccupations avaient fait partie des facteurs qui avaient compté dans la décision du Conseil de bande. Pourtant, on ne m’a présenté aucune autre précision au sujet des délibérations du Conseil. Quels facteurs le Conseil a-t-il réellement examinés? Comment a‑t‑on évalué les candidats si l’on a écarté les recommandations du comité d’entrevue? Lorsqu’on a découvert les incohérences, pourquoi le Conseil n’a-t-il pas renvoyé la question au comité d’entrevue pour une nouvelle évaluation? Comme je l’ai mentionné plus tôt, si la bande avait des préoccupations au sujet d’incohérences, l’élimination des résultats incohérents aurait tout de même produit le même résultat : Mme Deschambeault serait sortie en tête des candidats, devant Mme Cramer et Clara Cook. Alors, pourquoi Clara Cook a-t-elle été choisie? De plus, si les incohérences avaient entraîné des doutes au sujet de la fiabilité générale du processus, sur quel fondement la bande a-t-elle pris la décision d’embaucher Clara Cook? On n’a présenté aucune réponse à ces questions dans la preuve.

[58] Le témoignage de Raymond Chaboyer était particulièrement faible à ce sujet. Il a souvent confondu le processus de 2004 (auquel il n’aurait participé qu’à titre de conseiller) et le processus de 2005 (auquel il a participé à titre de membre du comité d’entrevue et ensuite à titre de membre du Conseil). Il a déclaré qu’il n’avait absolument pas confiance envers le [Traduction] processus, soutenant que Lisa Cook avait [Traduction] fabriqué les questionnaires, qui avaient simplement été [Traduction] distribués aux membres du comité d’entrevue et à lui-même. Lisa Cook et le chef Sewap ont cependant témoigné que les questions avaient été approuvées à l’avance par le Conseil de bande. Raymond Chaboyer a aussi témoigné qu’en raison de son manque de confiance envers le processus, il ne s’était pas [Traduction] donné la peine d’inscrire un pointage pour les candidats. Cependant, la feuille de pointage contenant les résultats du comité qui a été présentée au Conseil montre que Raymond Chaboyer a bien participé au processus de pointage. Il a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il ne se souvenait pas s’il avait inscrit des résultats.

[59] Soit dit en passant, Clara Cook est la sœur de Raymond Chaboyer. La feuille de pointage démontre qu’il n’a pas participé au pointage du comité d’entrevue au sujet de sa candidature. Aucune preuve n’a été présentée quant à savoir s’il s’était récusé des discussions du Conseil au sujet de la candidature de Clara Cook, mais le compte rendu démontre qu’un conseiller, qui n’est pas nommé, s’était abstenu.

[60] La bande soutient que bien que les souvenirs de Raymond Chaboyer [Traduction] puissent être moins que parfaits, rien ne donne à penser que sa crédibilité ou son honnêteté seraient compromises. L’honnêteté du témoin n’est pas en question en l’espèce, mais il convient plutôt de déterminer si son témoignage apporte une preuve quelconque à l’appui de la réponse de la bande à la preuve prima facie de discrimination. À ce sujet, ses souvenirs moins que parfaits affaiblissent sérieusement son témoignage, de telle sorte que très peu de poids peut être accordé à ce témoignage.

[61] L’explication de la bande au sujet de l’importance de ces incohérences ne m’a pas convaincu. Il n’y a vraiment guère de preuve soutenant l’argument selon lequel le Conseil ait même tenu compte des incohérences dans sa décision. Comme je viens de l’expliquer, le témoignage de Raymond Chaboyer n’a pratiquement aucun poids. Le témoignage du chef Sewap à ce sujet soulève des doutes parce qu’il n’a pas précisé comment les supposées incohérences dans le pointage ont été traitées par le Conseil et quels facteurs ont réellement été examinés avant que la décision soit rendue d’embaucher Clara Cook. À mon avis, la bande n’a pas établi d’explication.

[62] De plus, même si la bande avait démontré qu’elle s’était effectivement soucié des incohérences en matière de pointage, la question de savoir pourquoi Clara Cook avait été choisie plutôt que Mme Deschambeault reste sans réponse, comme je l’ai mentionné plus tôt. Par conséquent, je conclus que la preuve au sujet des problèmes de pointage ne constitue pas une réponse raisonnable à la preuve prima facie de discrimination, ce qui me porte à conclure que la bande a soulevé cette question comme simple prétexte pour justifier sa pratique discriminatoire.

[63] Le plainte de Mme Deschambeault au sujet du concours de 2005 est donc justifiée aussi.

C. La décision de la bande est-elle protégée contre l’application de la LCDP en raison de l’article 67?

[64] La bande soutient que, peu importe mes conclusions au sujet des faits présentés dans la plainte de Mme Deschambeault, sa décision au sujet du poste de facilitateur n’est pas touchée par l’application de la LCDP en raison de l’article 67 et qu’ainsi, la question en l’espèce dépasse la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne. Les observations de la bande à ce sujet ne me convainquent pas.

[65] L’article 67 prévoit :

La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Nothing in this Act affects any provision of the Indian Act or any provision made under or pursuant to that Act.

[66] Il est reconnu que la Cumberland House Cree Nation est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Pour pouvoir invoquer l’article 67, la bande doit démontrer que les articles de la LCDP qui sont appliqués dans l’instruction d’une plainte par le Tribunal affecteront une disposition de la Loi sur les Indiens ou les dispositions prises en vertu de cette loi. L’expression les dispositions prises en vertu de [la Loi sur les Indiens] de l’article 67 touche toute décision prise en vertu de cette loi (voir Re. Desjarlais (1989), 12 C.H.R.R. D/466, au paragraphe 10 (C.A.F.)). À mon avis, la bande n’a pas établi ce lien.

[67] La bande soutient que le poste de facilitateur a été créé pour aider à la santé des membres de la bande qui avaient souffert des répercussions de leur vie en pensionnat. De tels problèmes de santé, soutient-elle, [Traduction] relèvent tout à fait des responsabilités du Conseil de bande, qui [Traduction] a le pouvoir de traiter de telles questions en vertu de la Loi sur les Indiens . En particulier, la bande mentionne les [Traduction] pouvoirs énoncés au paragraphe 81(1) de la Loi sur les Indiens, y compris le pouvoir concernant l’adoption de mesures relatives à la santé des habitants de la réserve (alinéa 81(1)a)) et toute question qui découle de l’exercice des pouvoirs prévus par le présent article, ou qui y est accessoire (alinéa 81(1)q)).

[68] Cependant, cet argument est trompeur. Le paragraphe 81(1) n’énonce pas les pouvoirs d’une bande comme tels, mais plutôt les raisons pour lesquelles la bande peut prendre un règlement. La liste des raisons qui se trouve à l’article 81 et aux articles suivants est très exhaustive et a une grande portée. Elle comprend les dispositions précitées au sujet des soins médicaux pour les résidents de la réserve, mais aussi la réglementation de la circulation, l’observation de la loi et le maintien de l’ordre, l’établissement et l’entretien de routes, ponts et autres ouvrages locaux, l’arpentage des terres de la réserve et leur répartition entre les membres de la bande, l’imposition de taxes et la délivrance de permis aux entreprises, l’affectation et le déboursement de l’argent de la bande et de nombreuses autres dispositions. En l’espèce, rien ne démontre que la bande a pris des règlements au sujet des décisions portant sur l’entente avec la Fondation autochtone de guérison et des décisions portant sur la dotation du poste de facilitateur.

[69] Je ne souscris pas à l’argument de la bande selon lequel sa simple capacité de prendre des règlements au sujet de ces questions appelle implicitement l’application de l’exception prévue à l’article 67. L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Re. Desjarlais, précité, au paragraphe 12, donne à penser qu’à tout le moins, un règlement doit avoir été adopté en vertu des articles 81 et suivants de la Loi sur les Indiens pour que la bande puisse soulever la question de l’article 67 de la LCDP. Il y a une justification évidente pour cette conclusion. Si chacun des objectifs généraux énoncés aux articles 81 et suivants constituait une [Traduction] disposition au sens de l’article 67, même si aucun règlement n’avait été pris, cela aurait pour effet serait de protéger pratiquement toutes les décisions d’un Conseil de bande contre l’application de la LCDP. Une telle interprétation ne respecterait pas la règle énoncée dans l’arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321, à la page 339, selon laquelle les exceptions aux lois en matière de droits de la personne doivent s’interpréter restrictivement.

[70] Comme la Cour fédérale l’a expliqué dans la décision Shubenacadie Band Council c. Canada (Commission des droits de la personne) (1997), 31 C.H.R.R. D/347, au paragraphe 29, confirmé 2000 CanLII 15308 (C.A.F.), si l’intention du législateur avait été de protéger toutes les décisions des conseils de bande contre l’application de la LCDP, le législateur aurait prévu des dispositions portant expressément sur ce sujet plutôt que de rédiger l’article 67. Cet article protège les décisions autorisées par la Loi sur les Indiens et par son règlement, mais ne protège pas toutes les décisions prises par les conseils de bande autochtones.

[71] La bande soutient que l’affaire Shubenacadie se distingue de celle en l’espèce parce qu’on avait conclu que les paiements d’aide sociale financée par le gouvernement qui avaient été refusés aux plaignants dans cette affaire étaient destinés au public au sens de l’article 5 de la LCDP et que, par conséquent, ils leur étaient [Traduction] garantis . En l’espèce, la bande soutient qu’elle avait le pouvoir, en vertu de son entente avec la Fondation, de doter le poste de facilitateur à son gré. Mme Deschambeault n’avait aucun [Traduction] droit garanti quant au poste. Je ne vois pas la pertinence de cette distinction quant à la question de savoir si la bande peut avoir recours à l’article 67.

[72] Pour appuyer ses observations au sujet de l’article 67, la bande se fonde sur les conclusions de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la bande de Gordon, [2001] 1 C.F. 124 (Laslo). À mon avis, la bande se trompe. Dans cette affaire, la plaignante était une Indienne inscrite qui habitait dans la réserve de la Première nation de Gordon avec son époux qui n’était pas Indien. Sa demande de logement auprès de la bande avait été rejetée et elle avait présenté une plainte de discrimination fondée sur le sexe et la situation de famille. L’intimée avait soulevé l’article 67 de la LCDP comme défense. Comme en l’espèce, la bande de Gordon n’avait pas pris de règlement au sujet de la question en litige (c’est-à-dire l’allocation d’une maison), soit un règlement en vertu de l’alinéa 81(1)i), qui autorise la prise de règlement pour l’arpentage et la répartition des terres entre les membres de la bande.

[73] La Cour d’appel fédérale a souscrit à la conclusion du Tribunal selon laquelle il n’avait pas compétence pour entendre l’affaire. La cour a conclu, au paragraphe 26, que l’article 67 s’applique aux décisions qui, en vertu de leur objet, relèvent du pouvoir conféré expressément par une disposition de la Loi sur les Indiens. Il a été conclu que la décision de la bande dans cette affaire était expressément autorisée en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens. L’article 20 prévoit qu’ un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

[74] La cour a conclu qu’en raison du libellé implicite de cette disposition, le Conseil de bande avait nécessairement le pouvoir, en vertu de la Loi sur les Indiens, de décider de façon discrétionnaire si elle accordait une terre à un membre de la bande. La reconnaissance de ce pouvoir aux termes de l’article 20 sous-entendait donc nécessairement que de telles décisions étaient conformes aux dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens. C’était le fondement de la décision de la cour en faveur de la bande dans l’arrêt Laslo. Je note cependant que la cour n’a pas déclaré que la simple capacité de prendre un règlement en vertu des articles 81 et suivants constitue pour la bande un pouvoir conféré expressément de prise de décision en vertu de la Loi sur les Indiens.

[75] Contrairement à l’arrêt Laslo, la bande en l’espèce n’a pas invoqué devant le Tribunal une disposition semblable dans la Loi sur les Indiens qui lui conférait expressément un pouvoir de prise de décision portant sur la dotation du poste de facilitateur en l’espèce. Dans ses observations finales, la bande a mentionné son règlement interne portant sur la gestion du personnel des Programmes / Institutions / Sociétés de la Cumberland House Cree Nation, qui selon la bande a été adopté [Traduction] conformément aux droits inhérents et reconnus par la loi des Premières Nations de fonctionner à titre d’employeurs . La bande fait valoir que ce règlement constitue [Traduction] la preuve d’un pouvoir semblable à celui qui a été examiné dans l’affaire Gordon . Cependant, ce règlement n’a jamais été présenté en preuve au Tribunal. Ce qui est encore plus important est que, sauf pour l’argument général de la bande au sujet d’un [Traduction] pouvoir semblable à celui de l’affaire Gordon, aucun lien à une disposition précise de la Loi sur les Indiens n’a été établi comme source de ce pouvoir [Traduction] semblable de prise de décision expressément conféré.

[76] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la décision du Conseil de bande au sujet de la dotation du poste de facilitateur, prise en vertu de son entente avec la Fondation autochtone de guérison, découlait d’un pouvoir expressément conféré par une disposition de la Loi sur les Indiens. Par conséquent, l’argument de la bande au sujet de l’exception prévue par l’article 67 de la LCDP n’est pas fondé.

III. Quelles sont les réparations que Mme Deschambeault et la Commission demandent?

A. Pertes de salaire (alinéa 53(2)c))

[77] L’alinéa 53(2)c) de la LCDP prévoit qu’une victime peut être indemnisée de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire entraînées par l’acte discriminatoire. Mme Deschambeault a témoigné que le salaire annuel pour le poste de facilitateur était de 40 000 $. La bande n’a présenté aucune preuve contredisant cette déclaration. Si Mme Deschambeault avait été embauchée en 2004, elle aurait travaillé pendant six mois cette année-là. Cependant, elle a continué d’occuper son poste au Pine Island Health Centre, où elle a continué de gagner un salaire moins élevé. Ses pertes de salaire entraînées par le défaut de la bande de l’embaucher en 2004 sont, par conséquent, les suivantes :

2004 :

-

20 000 $ (Salaire du poste de facilitateur pour le reste de 2004)
11 250 $ (Salaire gagné réellement pour le reste de l’année)
8 750 $
2005 :

-

40 000 $ (Salaire annuel du poste de facilitateur)
21 828 $ (Salaire réellement gagné)
18 172 $
2006 :

-

20 000 $ (Salaire pour le poste de facilitateur jusqu’à la fin du contrat)
14 063 $ (Salaire réellement gagné à la même date)
5 937 $
Pertes de salaire totales : 32 859 $

Le Tribunal ordonne donc à la bande de payer à Mme Deschambeault le montant de 32 859 $ à titre d’indemnité pour la perte de salaire.

B. Dépenses entraînées (alinéa 53(2)c))

(i) Dépenses liées à la formation

[78] Une victime peut recevoir une indemnité pour la totalité des dépenses entraînées par la pratique discriminatoire (alinéa 53(2)c)). D’après l’entente entre la bande et la Fondation autochtone de guérison, le facilitateur devait obtenir une formation, décrite comme des [Traduction] modules de guérison d’une semaine pour la ‘formation du formateur’ . Mme Deschambeault soutient que ces modules lui auraient donné une formation et une expérience suffisantes pour garder un emploi dans tout [Traduction] domaine lié aux services sociaux . Comme on lui avait refusé la possibilité d’obtenir cette formation, elle a [Traduction] fait le choix de quitter son emploi au Pine Island Health Centre et de déménager, en 2005, à Saskatoon, où elle s’est inscrite au Programme de justice pénale du Collège Regency. Cependant, la preuve donne à penser que son emploi au centre de santé se serait terminé de toute façon si elle n’avait pas pris de mesures visant à améliorer sa formation. Il y avait eu un changement à la gestion et de nouvelles politiques d’emploi avaient été adoptées.

[79] Mme Deschambeault a terminé son programme en 2006 et a décidé de s’inscrire au Programme de diplôme en counselling en matière de toxicomanie qui se donnait à l’Institut des sciences appliquées et des techniques de la Saskatchewan. Elle a donc dû déménager à nouveau, cette fois à Prince Albert.

[80] Mme Deschambeault demande ainsi à la bande de l’indemniser pour les dépenses qu’elle a faites en raison de cette formation, y compris les frais de scolarité, le logement et les dépenses liées à son véhicule. Cependant, je ne suis pas convaincu que les modules qu’elle aurait reçus dans le poste de facilitateur sont équivalents à l’éducation qu’elle a réellement reçue depuis 2005, formation qui lui a permis d’obtenir un nouvel emploi en 2008 dans un institut de santé à Montreal Lake (Saskatchewan). Mme Deschambeault a choisi, de façon très responsable, de transformer la malchance qu’elle avait eu avec la bande en une possibilité d’améliorer ses qualifications académiques et son expérience. Pour cela, elle mérite d’être félicitée. Cependant, les dépenses liées à sa décision n’ont pas été entraînées par les actes discriminatoires de la bande, au sens de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP. Par conséquent, elle n’a pas droit à une indemnité de la bande pour ces dépenses.

(ii) Autres dépenses

[81] Mme Deschambeault a engagé d’autres dépenses en raison des actes discriminatoires qui font l’objet de la plainte. Ces dépenses comprennent :

Frais de photocopies

150 $

Frais d’administration, reliures (c’est-à-dire papeterie)

48,98 $

Frais de déplacement du village de
Cumberland House à Prince Albert et voyage de
retour pour participer à une séance de médiation
(pour elle et pour Mme Cramer
qui l’a accompagnée à la médiation)

547,60 $

Hébergement et repas pour la médiation

84 $

Total :

830,58 $

[82] Mme Deschambeault a droit à ce que la bande l’indemnise pour les dépenses qu’elle a dû faire en raison des actes discriminatoires qui ont entraîné le dépôt de la présente plainte en matière de droits de la personne.

[83] Cependant, je ne suis pas convaincu, après examen de la preuve, qu’elle a engagé les frais qu’elle déclare en ce qui a trait à la location d’un ordinateur portable. Cette réclamation de dépense est rejetée.

[84] De plus, l’affaire ne soulève aucune circonstance exceptionnelle qui justifie l’indemnisation de Mme Deschambeault pour le temps dont elle a eu besoin afin de préparer l’affaire (voir Canada (Procureur général) c. Lambie (1996), 29 C.H.R.R. D/483, au paragraphe 41 (C.F. 1re inst.).

C. Préjudice moral (alinéa 53(2)e))

[85] La victime d’acte discriminatoire peut être indemnisée jusqu’à concurrence de 20 000 $ pour tout préjudice moral dont elle a souffert. Mme Deschambeault a témoigné au sujet de la tristesse et de la déception qu’elle avait ressenties parce qu’on lui avait refusé un poste qu’elle souhaitait ardemment obtenir et pour lequel elle se sentait plus que compétente. Il lui avait été particulièrement douloureux d’apprendre qu’on lui avait refusé cette possibilité d’emploi parce qu’elle n’était pas membre de la Cumberland House Cree Nation. Elle a aussi exprimé sa déception au sujet du fait qu’elle ne pouvait pas contribuer, comme elle croyait pouvoir le faire, au processus de guérison de la collectivité qui comprend essentiellement le village autant que la réserve. Les résidents ne partagent pas seulement des établissements comme les écoles et les arénas, mais ils vivent côte à côte, Métis et Première Nation, particulièrement dans le village. Elle a témoigné qu’elle ne se sentait plus chez elle au sein de la collectivité dans laquelle elle avait grandi.

[86] Compte tenu de toutes les circonstances, Mme Deschambeault a droit à une indemnité de 8 000 $ pour préjudice moral.

D. Indemnité spéciale (paragraphe 53(3))

[87] Le paragraphe 53(3) prévoit que le Tribunal peut ordonner à l’intimé de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré. À mon avis, il existe des preuves selon lesquelles la bande a agi de façon inconsidérée en posant les actes discriminatoires en l’espèce. Elle a choisi de refuser une possibilité d’emploi à Mme Deschambeault pour laquelle elle était qualifiée et qu’elle aurait dû obtenir, puisqu’elle s’était classée en première place, parce qu’elle n’était pas membre de la bande. La preuve ne présente aucune autre justification. La bande a eu comme attitude qu’elle peut faire ce qu’il lui plaît, déclarant qu’elle avait tous les droits de nommer la personne qui lui convenait, comme si elle pouvait agir en faisant fi des droits des autres quand il est question des droits de la personne.

[88] Compte tenu des circonstances, j’ordonne à la bande de payer à Mme Deschambeault 5 000 $ en indemnité spéciale, en vertu du paragraphe 53(3).

E. Intérêts

[89] L’intérêt est payable pour toutes les indemnités accordées dans la présente décision (paragraphe 53(4) de la LCDP). Il s’agira d’intérêts simples calculés annuellement en fonction du taux d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). L’intérêt commencera à courir à la date à laquelle la plainte a été déposée en ce qui a trait à l’indemnité pour perte de salaire et pour préjudice moral ainsi qu’en ce qui a trait à l’indemnité spéciale. L’intérêt portant sur l’indemnité pour les dépenses, qui ont été faites apparemment après le dépôt de la plainte, commencera à courir à la date de la présente décision.

F. Ordonnance de mesures de redressement ou de mesures destinées à prévenir des actes semblables (alinéa 53(2)a))

[90] La Commission a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance en vertu de l’alinéa 53(2)a) de la LCDP pour que la bande travaille avec elle afin de garantir que les pratiques d’embauche à venir respectent la LCDP. Compte tenu de mes conclusions en l’espèce, l’ordonnance est justifiée. La demande de la Commission est accueillie.

[91] J’ordonne à la bande de prendre des mesures, en consultant la Commission sur les objectifs généraux de ces mesures, visant à éviter que de tels actes discriminatoires, ou des actes semblables, se reproduisent à l’avenir.

Signée par

Athanasios D. Hadjis
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 4 novembre 2008

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1253/6507

Intitulé de la cause : Valerie Deschambeault c. Cumberland House Cree Nation

Date de la décision du tribunal : Le 4 novembre 2008

Date et lieu de l’audience : Les 2 au 4 juin 2008

Prince Albert (Saskatchewan)

Comparutions :

Valerie Deschambeault, pour la plaignante

Daniel Poulin, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christopher K. Hambleton et Thomas J. Waller, pour l'intimée

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