Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2014 TCDP 3

Date : le 6 février 2014

Numéro du/ dossiers : T1852/8212

Entre :

Brian William Carter

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Pêches et Océans Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Olga Luftig

 



I. Le contexte

[1] Le 3 juin 2011, M. Brian William Carter (le « plaignant ») a déposé une plainte (la « plainte ») auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») à l’encontre de Pêches et Océans Canada (le « ministère des Pêches et des Océans », ou « MPO », ou l’« intimé »). Le plaignant allègue que le MPO a fait preuve de discrimination à son endroit au sens des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H 6, dans sa version modifiée (la « Loi » ou la « LCDP ») en omettant ou en refusant de tenir compte de sa déficience, en le traitant de manière défavorable par l’application de lignes de conduite discriminatoires et en le privant ainsi d’une chance d’emploi.

[2] Dans une lettre datée du 31 juillet 2012 (la « lettre de renvoi »), la Commission, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi, a demandé au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte.

[3] La Commission prend part à l’instance.

[4] Les parties ont déposé leurs exposés des précisions respectifs ainsi que les documents de réponse pertinents.

[5] Les présents motifs se rapportent à une requête présentée par l’intimé visant l’ajout d’une partie ainsi que la désignation des parties à la présente instance.

II. La requête de l’intimé

[6] L’avis de requête de l’intimé vise l’obtention d’une ordonnance :

  1. ajoutant la Commission de la fonction publique (la « CFP ») à titre d’intimée additionnelle;
  2. remplaçant ensuite le MPO et la CFP par le procureur général du Canada (le « PG ») à titre d’intimé.

[7] La requête de l’intimé est fondée sur les motifs suivants :

  • a) le PG est le seul représentant juridique compétent de Sa Majesté la Reine et de ses ministères;

  • b) le remplacement par le PG à titre d’intimé ne causera aucun préjudice au plaignant;

  • c) l’alinéa 50(3)e) de la Loi;

  • d) le paragraphe 23(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 (la « LRCECA »);

  • e) l’article 8 des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les « Règles »).

Documents liés à la requête

[8] Outre l’avis de requête de l’intimé, les documents à l’appui ainsi que les réponses du plaignant et de la Commission, qui ont été déposés plus tôt, les parties ont également présenté des observations orales au sujet de la requête lors de la conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre 2013 (la « conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre »). Le 3 janvier 2014, conformément à la demande que j’avais faite au cours de la conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre, les parties ont présenté des observations écrites supplémentaires concernant deux autres instances qui, à mon avis, étaient pertinentes par rapport à la requête.

III. Les parties de la plainte pertinentes au regard de la présente requête

[9] Les allégations formulées dans la plainte qui sont pertinentes à l’égard de la présente requête sont reproduites ci-après :

  1. Le plaignant a un problème de santé qui, à son avis, constitue une déficience au sens de la Loi.
  2. En juin 2008, il a soumis sa candidature à un poste ENG-05 non encore créé au sein du MPO, sans préciser qu’il était atteint d’une déficience et sans solliciter de mesures d’adaptation.
  3. En avril 2009, au terme du processus d’évaluation, qui comprenait une entrevue, le MPO l’a inclus dans le bassin de candidats qualifiés pour occuper le poste.
  4. Le plaignant a été informé que son entrevue avait été [traduction] « passable », tout au plus, et que sa candidature ne serait pas envisagée une fois que le poste serait créé.
  5. Le plaignant a alors décidé de s’identifier comme une personne atteinte d’une déficience nécessitant des mesures d’adaptation, ce qu’il a fait en août 2009. En septembre 2009, il a soumis au MPO un formulaire de « demande d’adaptations ».
  6. Le MPO a proposé comme mesure d’adaptation de réévaluer le plaignant après avoir reçu de la CFP des informations concernant les mesures d’adaptation particulières appropriées.
  7. Le MPO a demandé au plaignant de se présenter au Centre de psychologie du personnel afin que la CFP puisse déterminer les mesures d’adaptation particulières requises par le plaignant, pour ensuite en faire part au MPO.
  8. Le plaignant n’était pas d’accord avec les mesures d’adaptation proposées et ne s’est pas présenté au Centre de psychologie du personnel de la CFP. Il a fait valoir auprès du MPO que la mesure d’adaptation appropriée était de le nommer au poste ENG-05, pour les motifs suivants :
    1. il faisait déjà partie du bassin des candidats qualifiés;
    2. la règle ou la pratique dite de la « bonne personne » appliquée par le MPO était intrinsèquement discriminatoire vis‑à-vis du plaignant et d’autres personnes présentant la même déficience que lui;
    3. la mesure d’adaptation qu’il proposait ne constituerait pas une contrainte excessive pour le MPO.
  9. Le MPO a rejeté la proposition du plaignant.
  10. Selon les documents dont je dispose, en date du 3 juin 2011, le plaignant a déposé auprès de la Commission sa plainte contre le MPO à titre d’intimé.

IV. Les questions en litige

[10] L’intimé fait valoir que les questions soulevées par la présente requête sont les suivantes :

  1. Le Tribunal devrait-il ajouter la Commission de la fonction publique comme intimée?
  2. Le Tribunal devrait-il ensuite remplacer le MPO et la CFP par le procureur général du Canada à titre d’intimé, puisqu’ils ont tous un intérêt dans l’instance?

[11] Par ailleurs, il existe une question sous-jacente aux deux précédentes, à savoir :

  1. Qui peut agir comme intimé dans une plainte dont le Tribunal est saisi? Autrement dit, la Commission de la fonction publique et le ministère des Pêches et des Océans sont-ils des entités pouvant être nommément désignées à titre d’intimées dans le cadre de la plainte portée devant le Tribunal? Cette question a une incidence directe sur celle de savoir si la CFP peut ou non être ajoutée comme intimée en son nom propre, de même que sur la question de savoir si le PG devrait remplacer le MPO et la CFP en tant qu’intimé.

[12] Je souligne que, dans l’ensemble des documents relatifs à la requête, l’intimé et la CFP ont recouru à divers termes et expressions comme « intimé », « partie intimée » et « partie défenderesse ». Ces appellations portaient à confusion et, lors de la conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre, j’ai demandé à l’avocat de l’intimé ce qu’ils voulaient dire. Il a précisé que, pour chacun de ces termes, il aurait plutôt fallu lire « intimé ».

V. Le droit

L’adjonction de parties par le Tribunal en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[13] L’alinéa 48.9(2)b) de la Loi dispose essentiellement que le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant notamment « l’adjonction de parties ou d’intervenants à l’affaire ».

Les Règles de procédure du Tribunal

[14] La disposition des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03‑05‑04) (les « Règles ») qui traite en particulier de l’adjonction de parties est l’article 8, dont voici le libellé :

« Requête pour agir en qualité de partie intéressée

8(1) Une personne qui n’est pas une partie et qui souhaite être reconnue par le membre instructeur comme partie intéressée à l’égard d’une instruction peut présenter une requête à cet effet.

Nécessité de préciser dans la requête la participation souhaitée

(2) Toute requête présentée conformément au paragraphe 8(1) doit se conformer aux exigences énoncées à la règle 3 et doit préciser le degré de participation à l’instruction recherché.

Adjonction d’une partie à la demande d’une autre partie

(3) La Commission, l’intimé ou le plaignant qui désire ajouter une partie à l’instruction peut présenter une requête visant à obtenir une ordonnance à cet effet, qui doit être signifiée à la partie éventuelle, laquelle a droit à présenter des arguments au sujet de la requête.

Adjonction d’une partie à sa propre demande

(4) Une personne qui n’est pas une partie et qui souhaite être ajoutée comme partie à l’instruction peut présenter une requête conformément à la règle 3 visant à obtenir une ordonnance à cet effet. »

Le droit relatif au remplacement par le procureur général du Canada à titre d’intimé

[15] Le paragraphe 23(1) de la LRCECA prévoit ce qui suit :

« Les poursuites visant l’État peuvent être exercées contre le procureur général du Canada ou, lorsqu’elles visent un organisme mandataire de l’État, contre cet organisme si la législation fédérale le permet. »

[16] Selon le paragraphe 66(1) de la LCDP, celle-ci « lie Sa Majesté du chef du Canada », sauf en ce qui concerne les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut.

VI. Qui peut agir comme intimé dans une plainte dont le Tribunal est saisi?

La position de l’intimé

[17] En ce qui concerne celui qui, en définitive [non souligné dans l’original], devrait agir comme intimé dans le cadre de la présente plainte, l’intimé soutient que le MPO et la CFP sont tous les deux des émanations de la Couronne, et ne sont pas des personnes juridiques. Par conséquent, ni l’un ni l’autre ne peut agir en qualité d’intimé. Il existe une jurisprudence à l’appui de cet argument, par exemple la décision Shelly Ann Gravel c. Canada (Procureur général), 2011 CF 832, au paragraphe 6 [Gravel].

[18] La pratique du Tribunal consistant à substituer le PG à des ministères fédéraux ou entités fédérales désignés comme intimés dans des plaintes relatives aux droits de la personne vient également appuyer la thèse selon laquelle les émanations de la Couronne sont dénuées d’identité juridique. On peut en trouver des exemples dans les décisions Plante c. GRC, 2003 TCDP 28, au paragraphe 7 [Plante] et Tremblay c. Procureur général du Canada (représentant la Commission de la fonction publique, le Conseil du Trésor du Canada et le Bureau de la sécurité des transports du Canada), 2004 TCDP 15 [Tremblay].

La position du plaignant

[19] Lorsqu’il a déposé la présente requête, l’intimé n’a pas respecté la procédure prévue par les Règles.

[20] Voici ce qu’énonce le paragraphe 1(3) des Règles du Tribunal :

(i) « partie », dans le cas d’une instruction, désigne la Commission canadienne des droits de la personne, le plaignant et la personne faisant l’objet de la plainte;

(ii) « intimé » désigne la personne faisant l’objet de la plainte.

[21] Ainsi, l’intimé doit être une personne. Or, ni le MPO ni la CFP ne sont des personnes juridiques. Au vu du paragraphe 1(3), la partie intimée devrait être l’ancienne sous-ministre du MPO, car elle est une personne. Elle occupait le poste de sous-ministre lorsque les faits pertinents se sont produits; c’est elle qui, à l’origine, était visée par la plainte déposée par le plaignant.

La position de la Commission des droits de la personne

[22] Au départ, la Commission ne s’est pas opposée à l’adjonction de la CFP à titre d’intimée, ni au remplacement, par la suite, du MPO et de la CFP par le PG, ayant compris que toute ordonnance éventuelle découlant de l’audience aurait force exécutoire à l’encontre du MPO et de la CFP, indépendamment du fait que le PG soit ou non l’intimé nommément désigné.

[23] Les observations de la Commission datées du 3 janvier 2014 traitent plus en profondeur de la question de la désignation du PG à titre d’intimé au regard de l’interprétation de la LRCECA et de la Loi sur le ministère de la Justice, LRC 1985, ch. J-2. La position de la Commission est donc décrite ci-après, sous la section intitulée « Le remplacement par le procureur général du Canada à titre d’intimé ».

Analyse – La procédure

[24] La présente requête du MPO, l’intimé désigné, vise dans un premier temps à ajouter la CFP à titre d’intimée supplémentaire. Le plaignant fait valoir qu’en présentant cette requête, l’intimé n’a pas respecté les dispositions pertinentes des Règles du Tribunal.

[25] Le paragraphe 8(3) des Règles du Tribunal s’applique à cette partie de la requête. Le paragraphe 3(1) est également applicable.

[26] L’intimé a déposé son avis de requête. Dans son dossier de requête et dans d’autres documents relatifs à celle-ci, l’avocat de l’intimé a fait valoir qu’il agissait non seulement pour le compte du MPO, mais aussi pour celui de la CFP. En outre, selon ce qui a été déclaré, les documents relatifs à la requête présentés par l’intimé de même que les observations présentées verbalement par l’avocat de l’intimé au cours de la conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre ont été soumis au nom du MPO et de la CFP. Le Tribunal peut donc présumer que la CFP, en tant que partie éventuelle, a reçu avis de cette requête, et que l’intimé est autorisé à présenter la position de la CFP. Le fait que les observations écrites figurant dans les documents de l’intimé émanent aussi bien de la CFP que du MPO signifie que la CFP a présenté au Tribunal des observations sur la requête.

[27] Par conséquent, l’intimé s’est conformé à toutes les exigences prévues aux paragraphes 8(3) et 3(1) des Règles.

Analyse – Qui peut agir à titre d’intimé devant le Tribunal?

[28] Il s’agit en l’espèce d’une plainte pour atteinte aux droits de la personne déposée en vertu de la Loi à l’encontre d’un employeur. L’employeur officiel, le MPO, fait partie du gouvernement fédéral. La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal pour instruction. En conséquence, la LCDP est la principale loi qui s’applique relativement à la présente plainte. Elle constitue également la principale source pour déterminer qui peut agir à titre d’intimé dans le cadre de la plainte dont le Tribunal est saisi.

[29] La Loi ne pose pas comme exigence que l’intimé soit une entité juridique. L’article 4 dispose que « […] toute personne reconnue coupable de ces actes [discriminatoires] peut faire l’objet des ordonnances prévues à l’article 53 » [non souligné dans l’original].

[30] Je reprends également ici les dispositions suivantes de la Loi, dont j’ai mis en gras certains passages afin qu’ils soient en évidence :

1. Selon l’article 14.1, constitue un acte discriminatoire le fait « […] pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer […] des représailles contre le plaignant ou la victime présumée ».

2. Selon le paragraphe 40(1) : « un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission […] ».

3. Le paragraphe 50(1) (Fonctions) énonce notamment ce qui suit : « […] après avis à la Commission, aux parties […] » [version anglaise : After due notice to the Commission, the complainant, the person against whom the complaint was made… »].

4. Le paragraphe 53(2) se lit comme suit :

« À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut […] ordonner […] à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[version anglaise :

(a) that the person cease the discriminatory practice…

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice…

(c) that the person compensate the victim for any and all of the wages…

(d) that the person compensate the victim for any and all of the additional costs…

(e) that the person compensate the victim…for any pain and suffering….]

5. Selon le paragraphe 53(3): « Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer […] » [version anglaise : order the person to pay].

[31] Comme l’illustrent les précédentes dispositions, la notion d’intimé en tant que « personne » [person] est utilisée partout dans la Loi, notamment dans des expressions comme « la personne visée par une plainte déposée » et « la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire ».

[32] Par ailleurs, les termes « individu » et « individus » sont employés dans diverses dispositions d’un bout à l’autre de la Loi pour renvoyer à ceux dont la Loi vise à protéger le droit à l’égalité des chances.

Ainsi, l’article 2 dispose notamment que la Loi a pour objet « de compléter la législation canadienne en donnant effet […] au principe suivant : le droit de tous les individus […] à l’égalité des chances d’épanouissement […] » [non souligné dans l’original].

Selon l’alinéa 5a), constitue un acte discriminatoire le fait « a) [de] priver un individu [de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public] ». Quant à l’alinéa 5b), il prévoit que le fait de « défavoriser [un individu] sur [le fondement d’un] motif de distinction illicite » constitue un acte discriminatoire. Les alinéas 6a) et b) traitent du fait de priver « un individu » de l’occupation de locaux commerciaux ou de logements et de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture [non souligné dans l’original]. Tant l’article 7, qui porte sur la discrimination en matière d’emploi, que l’article 9, qui concerne les « organisations syndicales », font référence à la personne victime de pratiques discriminatoires en tant qu’« individu » [non souligné dans l’original].

Selon ce que prévoit l’article 10, constitue un acte discriminatoire, « s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus », le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale, de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ou de conclure des ententes touchant un emploi présent ou éventuel [non souligné dans l’original].

[33] D’autres dispositions de la Loi désignent l’entité faisant l’objet de discrimination en tant qu’« individu » ou « catégorie d’individus ». Par conséquent, au sens de la Loi, le plaignant potentiel est tour à tour « un individu » ou une « catégorie d’individus », termes qui renvoient aux entités lésées.

[34] La Loi établit donc une distinction entre l’intimé, qui y est désigné en tant que « personne », et le plaignant, qui y est désigné en tant qu’« individu » ou « catégorie d’individus ».

[35] J’en conclus que le législateur a délibérément fait figurer dans la Loi ces différentes désignations afin que l’on puisse distinguer ceux qui peuvent agir comme plaignants de ceux qui peuvent agir comme intimés dans une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[36] Je conclus également que, compte tenu de ces différentes désignations, la Loi exige que l’intimé soit une « personne ».

[37] Toutefois, la Loi ne prévoit aucune définition du terme « personne ». Je traiterai de cette question plus loin, dans la section intitulée « Le remplacement par le procureur général du Canada à titre d’intimé ».

VII. La Commission de la fonction publique est-elle une « personne » au sens de la Loi?

La position de l’intimé

[38] En dépit du fait que, dans un premier temps, la requête de l’intimé vise à ajouter la CFP en tant qu’intimée, elle laisse ensuite entendre que la CFP est une entité fédérale, et non une entité juridique. Il s’agit d’une émanation de la Couronne, et non d’une personne; elle ne serait donc pas une intimée appropriée en l’espèce.

La position du plaignant

[39] Le plaignant convient que ni la CFP ni le MPO ne sont des entités juridiques. Toutefois, pour en faire des entités juridiques et, par conséquent, des intimés appropriés, il suffirait d’ajouter la mention « sous-ministre » devant celle du ministère des Pêches et des Océans.

La position de la Commission

[40] La Commission n’a présenté aucune observation sur la question de savoir si la CFP est une « personne » ou non au sens de la Loi. Néanmoins, dans ses observations supplémentaires datées du 3 janvier 2014, elle a soutenu que la question fondamentale à trancher dans la plainte était celle de savoir si la structure et l’application de la politique dite de la « bonne personne » est discriminatoire à l’endroit du plaignant et de ceux qui présentent la même déficience que lui, ce qui serait contraire à la Loi. La CFP a des pouvoirs délégués en matière de dotation des ministères, y compris le MPO, lequel applique la norme de la « bonne personne » à ses procédures de dotation. Aussi la Commission considère-t-elle la CFP comme une entité essentielle dans la présente plainte.

Analyse

[41] La loi constitutive de la Commission de la fonction publique est la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP »).

[42] Le paragraphe 4(1) de la LEFP maintient l’existence de la CFP et énonce que celle-ci est composée du président et d’au moins deux autres commissaires.

[43] La LEFP ne caractérise pas la CFP comme un organisme mandataire de l’État contre lequel des poursuites peuvent être intentées en son nom propre. La CFP n’est pas non plus une société d’État.

[44] Bien que cet élément ne soit pas déterminant quant à la question en litige, je prends acte du fait que la CFP est inscrite à l’annexe IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, 1985 L.R.C., ch. F-11 (la « Loi sur la gestion des finances publiques »), en tant que secteur de l’administration publique centrale.

[45] Étant donné que sa loi constitutive ne la caractérise pas comme un organisme mandataire de l’État, et ne l’autorise pas à engager des poursuites en son nom propre, la CFP n’est pas une personne. Elle tient davantage d’un ministère fédéral.

[46] Dans la décision Gravel, la plaignante, en vertu de la Loi, avait déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne à l’encontre de la CFP. Le Tribunal a rejeté sa plainte. Elle a interjeté appel devant la Cour fédérale, en nommant le Tribunal, la CFP et le PG à titre de défendeurs. La Cour fédérale a conclu que « les ministères gouvernementaux ne constituent pas des entités juridiques, de sorte qu’ils ne peuvent régulièrement être désignés comme parties » (Gravel, précitée, au paragraphe 6, citant la décision Mahmood c. Canada (1998), 154 FTR 102, au paragraphe 14). Elle a donc mis hors de cause la CFP à titre de défenderesse, ayant constaté que celle-ci était un ministère gouvernemental.

[47] À la lumière de la loi constitutive de la CFP, de la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Gravel, précitée, et de la reconnaissance, par l’intimé, du fait que la CFP n’est ni une personne ni une intimée appropriée, je conclus que la CFP n’est pas une « personne » au sens de la Loi, et qu’elle ne peut par conséquent être régulièrement désignée comme intimée dans une plainte devant le Tribunal.

[48] En conséquence, la première partie de la requête, qui vise l’adjonction de la CFP à titre d’intimée, est rejetée.

VIII. Le Ministère des Pêches et des Océans est-il une « personne » au sens de la Loi?

La position de l’intimé

[49] L’intimé soutient que le MPO est un ministère fédéral, donc une émanation de la Couronne, et non une entité juridique.

La position du plaignant

[50] Le plaignant soutient que le MPO n’est pas une entité juridique, dès lors qu’il est un ministère fédéral. Pour en faire une personne aux fins de la plainte, il suffirait de faire précéder le MPO du nom de l’ancienne sous-ministre dans l’intitulé.

La position de la Commission

[51] La Commission n’a pas pris position sur cette question précise.

Analyse

[52] La loi constitutive du MPO est la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C., 1985, ch. F-15 (la « Loi sur le MPO »). Son préambule énonce qu’il s’agit de la « Loi concernant le ministère des Pêches et des Océans ».

[53] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur le MPO prévoit ce qui suit :

« Est constitué le ministère des Pêches et des Océans, placé sous l’autorité du ministre des Pêches et des Océans. Celui-ci est nommé par commission sous le grand sceau ».

[54] Par conséquent, le MPO, l’Intimé, est un ministère du gouvernement du Canada.

[55] La brève Loi sur le MPO, qui compte six articles, ne renferme aucune disposition constituant le MPO en tant que mandataire de l’État ou l’habilitant à agir comme représentant ou à intervenir en son nom propre dans le cadre de litiges ou d’actions en justice.

[56] Le plaignant, l’intimé et la Commission conviennent que le MPO est un ministère du gouvernement du Canada.

[57] Vu le contenu de la loi constitutive du MPO, qui en fait un ministère fédéral, et non un organisme ou une entité ayant le pouvoir d’agir dans le cadre de procédures judiciaires en son nom propre, et compte tenu de la décision Gravel, précitée, dans laquelle la Cour fédérale précise clairement que les ministères fédéraux ne peuvent être des intimés, je conclus que le MPO n’est pas une « personne » au sens de la Loi, et ne peut donc pas être l’intimé dans la présente plainte dont est saisi le Tribunal.

[58] Il reste que le MPO et la CFP jouent un rôle essentiel dans la présente plainte. Le personnel des deux ministères sera appelé à témoigner dans le cadre de l’instruction. La raison en est que la plainte contient des allégations quant au défaut du MPO de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant au cours d’un processus de dotation dans le cadre duquel la norme et la pratique de la « bonne personne » ont été appliquées, et quant au fait que le recours à cette norme et à cette pratique a engendré de la discrimination systémique à l’endroit du plaignant et de ceux présentant la même déficience que lui. La norme dite de la « bonne personne » est établie par la CFP, qui délègue son pouvoir de dotation aux ministères fédéraux, dont le MPO.

[59] La question de savoir qui, dans les faits, peut agir comme intimé devant le Tribunal en vertu de la Loi, dans le cas où l’employeur ou l’employeur potentiel qui est l’auteur allégué de la discrimination est un ministère fédéral, reste cependant ouverte.

IX. Le remplacement par le procureur général du Canada à titre d’intimé

La position de l’intimé

[60] Les observations de l’intimé sont exposées ci-après.

  1. Dans le contexte de la fonction publique fédérale, l’employeur est Sa Majesté la Reine du chef du Canada. En effet, suivant la définition qui se trouve au paragraphe 2(1) de la LEFP, l’« employeur », dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, est le Conseil du Trésor. (Le MPO figure à l’annexe I; et la CFP, à l’annexe IV – ma note.)
  2. Dans les faits, le Conseil du Trésor est une émanation de la Couronne.
  3. La Reine ne peut être mise en cause.
  4. Le MPO et la CFP sont des émanations de la Couronne et ne sont pas des entités juridiques. Il existe une jurisprudence qui confirme cette thèse; voir par exemple la décision Gravel, précitée, au paragraphe 6.
  5. Par conséquent, le PG est la partie qu’il convient de désigner comme intimé.
  6. Le Tribunal a pour pratique de substituer le PG à des ministères fédéraux ou entités fédérales désignés comme intimés. La décision Plante c. GRC, 2003 TCDP 28, au paragraphe 7 [Plante], en est un exemple.
  7. En outre, le paragraphe 23(1) de la LRCECA commande cette substitution.
  8. La substitution ne sera pas préjudiciable au plaignant pour les raisons suivantes :
    1. le PG ne réclame pas le dépôt d’un exposé des précisions additionnel, et la CFP non plus;
    2. la substitution ne compliquera pas le traitement de la plainte, car un seul avocat représentera l’intimé;
    3. la substitution n’entraînera aucun retard dans l’instruction de la plainte.
  9. Toute ordonnance éventuelle aurait force exécutoire à l’encontre de la Couronne, et le MPO et la CFP seraient responsables des mécanismes d’exécution de cette ordonnance et de la mise en application de mesures de réparation. L’intimé ne cherche pas à embrouiller les responsabilités qu’une ordonnance éventuelle du Tribunal pourrait lui imposer.
  10. Dans la décision Lacroix c. Procureur général du Canada, 2009 TCDP 35 [Lacroix], où il était allégué que la GRC avait fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant, le Tribunal a mentionné plusieurs affaires mettant en cause la GRC et dans lesquelles le PG avait été désigné comme intimé, indépendamment du fait qu’il n’était pas la partie visée par les allégations de discrimination : Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48 [Maillet]; Berberi c. Canada (Procureur général), 2009 TCDP 21 [Berberi].
  11. Dans la décision Lacroix, précitée, au paragraphe 8, le Tribunal a souligné que la GRC ne pouvait être désignée en son nom propre, puisque sa loi constitutive ne le permettait pas.
  12. Comme on peut le voir dans l’intitulé de la décision Tremblay c. Procureur général du Canada (représentant la Commission de la fonction publique, le Conseil du Trésor du Canada et le Bureau de la sécurité des transports du Canada, 2004 TCDP 15 [Tremblay], le Tribunal a suivi la pratique consistant à ce que le PG agisse comme intimé dans le cas où les intimés sont des émanations de la Couronne fédérale.
  13. Les faits de l’affaire Procureur général du Canada c. Brown, 2008 CF 734 [Brown] diffèrent de ceux de la présente plainte. (Je n’aborderai pas en plus grand détail les observations de l’intimé concernant la décision Brown, précitée, car j’estime qu’elle traite de l’ajout de parties à une plainte devant le Tribunal. Lorsque j’ai demandé aux parties de présenter des observations sur cette décision de la Cour fédérale, je considérais que cette décision était importante pour la question qui se posait alors, à savoir s’il fallait ajouter la CFP en tant qu’intimée. Toutefois, cette question — et, en conséquence, la décision Brown — est devenue sans objet au vu de ma conclusion sur la question sous-jacente.)

La position du plaignant

[61] Le plaignant s’oppose au remplacement du MPO et de la CFP par le PG à titre d’intimé pour les motifs suivants :

  1. La requête de l’intimé n’est pas conforme à l’article 8 des Règles.
  2. La substitution demandée ferait en sorte de rendre incertain le statut juridique du MPO et de la CFP au cours de l’instruction.
  3. L’intimée devrait être Claire Dansereau, l’ancienne sous‑ministre du MPO, puisque c’est à son encontre que le plaignant avait déposé sa plainte à l’origine; tout ce qu’il faudrait, c’est insérer son nom avant celui du MPO dans l’intitulé.
  4. Dès lors que le terme « peuvent » est employé au paragraphe 23(1) de la LRCECA, le PG n’est pas le seul à pouvoir être désigné comme intimé dans une instance contre le gouvernement fédéral. La désignation du PG à titre d’intimé est donc discrétionnaire, et non obligatoire.
  5. Qui plus est, la LRCECA fait uniquement référence à des poursuites judiciaires; elle est muette au sujet du Tribunal.
  6. C’est la Loi sur la gestion des finances publiques ainsi que ses annexes, et non la LRCECA, qui établit quels secteurs du gouvernement fédéral peuvent agir à titre de personnes juridiques dans le cadre de procédures judiciaires. La conclusion tirée dans Lacroix sur cette question est erronée.
  7. Au regard des plaintes soumises au Tribunal, il n’existe aucune pratique établie relativement au remplacement par le PG à titre d’intimé lorsqu’un ministère fédéral est initialement désigné comme intimé. De fait, la substitution proposée est hautement irrégulière et totalement illogique.
  8. En outre, cette partie de la requête est trop tardive, et le remplacement proposé porterait préjudice au plaignant en ce qu’il ne saurait pas quels rôles le MPO et la CFP joueraient dans le cadre de l’instruction, ni les règles qui les régiraient au cours de celle-ci.
  9. La Politique sur les services juridiques et l’indemnisation du Secrétariat du Conseil du Trésor (la « politique du Conseil du Trésor ») décrit la façon dont la LRCECA doit être appliquée. L’article 8 de cette politique énonce les rôles et responsabilités du ministère de la Justice. Rien, ni dans cette disposition ni ailleurs dans la politique, n’exige le remplacement par le PG à titre d’intimé dans les instances devant le Tribunal, et rien non plus n’oblige le ministère de la Justice à représenter le PG dans de tels cas.

La position de la Commission

[62] Dans sa réponse datée du 27 août 2013, la Commission ne s’est pas opposée à la requête, étant entendu que [traduction] « [...] le remplacement par le procureur général du Canada rendra toute ordonnance éventuelle exécutoire à son encontre, comme à l’encontre de Pêches et Océans Canada ».

[63] Dans sa réponse, l’intimé a déclaré que la position de la Commission témoignait d’une [traduction] « mauvaise compréhension » des demandes qu’il avait formulées dans sa requête, mais il n’a pas clarifié en quoi se manifestait cette mauvaise compréhension. Il y a remédié au cours de la conférence préparatoire téléphonique du 20 décembre, précisant que, à supposer que le Tribunal accueille la requête de l’intimé, que le plaignant établisse le bien-fondé de sa plainte à l’audience et que le Tribunal ordonne à la CFP ou au MPO de prendre des mesures ou de verser des sommes d’argent, le PG lui-même ne serait pas tenu, sur le plan interne, de prendre ces mesures ou d’effectuer ces paiements. L’avocat de l’intimé a précisé que le PG pourrait faire et ferait en sorte que la CFP et le MPO respectent une telle ordonnance du Tribunal.

[64] Dans ses observations écrites supplémentaires datées du 3 janvier 2014, la Commission a déclaré que, selon sa compréhension de la requête de l’intimé, celle-ci visait à remplacer l’intimé, le MPO, par le PG, mais aussi à inclure la CFP comme intimée, et que toute ordonnance du Tribunal aurait force exécutoire à l’encontre du MPO et de la CFP, c’est-à-dire à l’encontre de la Couronne. C’est au regard des circonstances particulières de la présente plainte et de la présente requête que, dans sa réponse du 27 août 2013, la Commission ne s’est pas opposée à la requête de l’intimé et qu’elle ne s’y oppose toujours pas.

[65] La Commission a également fourni une liste de deux pages d’instances devant le Tribunal où le PG avait été désigné comme intimé sans être pour autant l’auteur de la discrimination. Cette liste comprend des instances dans lesquelles une requête – par ailleurs accueillie – qui visait à changer l’intimé pour le remplacer par le PG avait été présentée au cours des procédures; la décision Lacroix y figure.

[66] Bien qu’elle ne s’oppose pas à la requête de l’intimé, la Commission a présenté les observations suivantes :

a) En réalité, la LRCECA ne prévoit pas d’approche générale qui exigerait que le PG soit nommé comme intimé dans toutes les plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées contre les ministères fédéraux.

b) La LRCECA traite des litiges concernant la responsabilité délictuelle. Dans les arrêts Seneca College c. Bhaduria [1981] 2 RCS. 181 [Seneca College] et Honda Canada Inc. c. Keays [Honda Canada], la Cour suprême du Canada a conclu que la discrimination ne constitue pas un délit civil. Les plaintes de discrimination doivent être examinées par les entités de défense des droits de la personne qui ont été créées par la loi. Dans les secteurs de l’emploi et des services qui relèvent de la compétence fédérale, seule la Loi offre un recours en cas de plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Dès lors que la Commission et le Tribunal sont constitués par la Loi, une plainte en matière de droits de la personne visant le gouvernement fédéral n’est pas une « poursuite » au sens de la LRCECA.

c) L’article 21 de la LRCECA mentionne la Cour fédérale et les cours supérieures des provinces en tant qu’instances ayant compétence pour instruire les actions intentées contre la Couronne. La LRCECA est toutefois silencieuse au sujet des procédures administratives, et l’instruction des plaintes renvoyées au Tribunal est une procédure administrative.

d) Bien que la Loi sur le ministère de la Justice dispose que le PG est chargé « des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale », elle n’exige pas que le PG soit désigné comme intimé ou défendeur dans le cadre de tels litiges où la Couronne est partie.

Analyse

Loi sur la gestion des finances publiques

[67] L’objectif de la Loi sur la gestion des finances publiques est énoncé en ces termes dans le passage précédant l’article 1 : « [l]oi relative à la gestion des finances publiques, à la création et à la tenue des comptes du Canada et au contrôle des sociétés d’État ».

[68] Cette loi a donc pour objet la gestion des finances et des ressources humaines, et non la gestion du système judiciaire. Elle renferme des annexes qui classent les différents secteurs de l’administration fédérale en tant que ministères, agences et sociétés d’État, mais avec pour objectif ultime d’appuyer la gestion des finances publiques et des ressources humaines. Il n’y est pas question de la façon dont les procédures judiciaires doivent être menées.

La Politique du Conseil du Trésor

[69] La Politique du Conseil du Trésor indique comment et dans quelles circonstances le Conseil du Trésor fournit aux fonctionnaires de l’État des services juridiques ou une indemnisation pour les frais juridiques engagés et les protège d’une responsabilité personnelle s’ils font l’objet d’une réclamation ou d’une poursuite. L’un des objectifs de la Politique du Conseil du Trésor est de « protéger les intérêts de l’État en ce qui concerne sa responsabilité réelle ou éventuelle résultant des actes ou des omissions de ses fonctionnaires […] » (Politique du Conseil du Trésor, article 5.1).

[70] Bien que les responsabilités du ministère de la Justice énumérées à l’article 8.2 de la Politique n’incluent aucune mention portant que le PG doit agir comme intimé de remplacement chaque fois qu’une action est intentée contre un ministère fédéral, cet article doit être situé dans le contexte de l’objectif poursuivi par la Politique du Conseil du Trésor, à savoir protéger les intérêts de l’État en ce qui concerne sa responsabilité réelle ou éventuelle. Et cette politique constitue l’un des moyens pour y parvenir. Elle ne vise pas à énoncer ou à décrire les concepts juridiques enchâssés dans les lois, pas plus qu’elle ne mentionne la LRCECA.

[71] En outre, la Politique du Conseil du Trésor n’est pas une loi du Canada; il ne s’agit pas d’un texte législatif. Créée en vertu de l’article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques, elle est une politique qui sert à des fins indicatives et informatives, et qui n’a pas le pouvoir de la loi ni l’autorité de la chose jugée.

[72] Les raisons pour lesquelles le PG est mentionné à titre d’intimé dans l’intitulé de la décision Tremblay ne sont pas précisées dans cette décision. Je ne peux donc accorder beaucoup de poids à cette affaire, sauf pour mentionner que l’intimé est le PG.

La Loi canadienne sur les droits de la personne

[73] Le terme « personne » n’est pas défini dans la Loi elle-même. Par conséquent, il faut tenter de dégager une telle définition en cherchant à discerner l’intention du législateur à partir du terme employé et des dispositions où il se trouve, en tenant compte du contexte et du sens clair et ordinaire, mais aussi en conformité avec l’esprit et l’objet de la loi (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général)), 2011 CSC 53). Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a également déclaré qu’au moment d’interpréter une loi relative aux droits de la personne, il faut « se rappeler qu’elle exprime des valeurs essentielles et vise la réalisation d’objectifs fondamentaux » (ibidem). La Cour a ajouté qu’il convient de l’interpréter libéralement et téléologiquement de manière à reconnaître sans réserve les droits qui y sont prévus et à leur donner pleinement effet.

[74] L’analyse de l’esprit de la Loi met en lumière les points suivants :

  • a) les plaintes sont déposées à l’encontre d’une « personne » ou de plusieurs personnes (par. 40(1));

  • b) la personne visée par la plainte a le droit de prendre part à l’instance devant le Tribunal (art. 50.1);

  • c) le Tribunal peut rendre une ordonnance contre « la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire » (par. 53(2) et (3));

  • d) la Loi lie Sa Majesté du chef du Canada (par. 66(1)).

[75] L’analyse de l’esprit de la loi permet ainsi de conclure que le terme « personne », aux fins de la Loi, s’entend notamment de Sa Majesté du chef du Canada. Le Tribunal est ainsi habilité à rendre des ordonnances contre Sa Majesté.

[76] Quant à l’objet de la Loi, le langage non équivoque utilisé à l’article 2 révèle que celle-ci, en somme, vise à favoriser la capacité de tous les individus de « s’épanouir » en leur garantissant à cette fin l’égalité des chances d’y parvenir sans être victimes de discrimination et d’actes discriminatoires. Elle vise aussi bien à remédier à une telle discrimination, si celle-ci est avérée, qu’à la prévenir (CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne, [1987] 1 RCS 1114).

[77] Le Tribunal s’inscrit dans l’esprit et les objectifs de la Loi. La raison d’être de sa fonction juridictionnelle est de veiller à ce que les objectifs de la Loi – prévenir la discrimination et y remédier – soient mis en œuvre. À cette fin, le Tribunal doit interpréter toute ambiguïté dans la Loi de manière à favoriser, plutôt qu’à contrecarrer, la réalisation des objectifs de la Loi (Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, au paragraphe 26).

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (LRCECA)

[78] L’énoncé qui se trouve au-dessus de l’article 1 de la LRCECA décrit celle-ci en tant que « [l]oi relative à la responsabilité civile de l’État et aux procédures applicables en matière de contentieux ».

[79] Bien que la LRCECA ne mentionne pas expressément les procédures administratives, et qu’elle semble limiter à la « responsabilité délictuelle » l’objet des poursuites engagées contre l’État en Ontario, elle ne renferme aucune définition du terme « poursuites ». J’estime que, puisque la LRCECA est décrite comme une loi concernant la responsabilité civile de l’État et les poursuites auxquelles l’État est partie, on peut se reporter à ses dispositions et les appliquer de manière à promouvoir les objets de la LCDP énoncés en son article 2.

[80] Selon l’article 2 de la LRCECA, « État » s’entend de « Sa Majesté du chef du Canada » ou d’une province.

[81] L’article 2.1 de la LRCECA définit le terme « personne » de la manière suivante : « Pour l’application des articles 3 à 5, personne s’entend d’une personne physique majeure et capable autre que Sa Majesté du chef du Canada […] ».

[82] Les articles 3 à 5 de cette même loi portent sur la responsabilité civile de l’État.

[83] Les ministères, les commissions et les autres entités du gouvernement fédéral, qui ne sont pas des « personnes » juridiques au sens de la LRCECA, ne peuvent être parties à des litiges (en poursuite ou en défense) en leur nom propre, à moins que leurs lois constitutives ne leur accordent ce pouvoir. Ces entités ne sont pas non plus des personnes au sens de la LCDP. Elles sont des émanations de l’État, qui, pour sa part, s’entend de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province. Une bonne partie de la jurisprudence citée, particulièrement celle du Tribunal, confirme cette interprétation, tout comme la décision Gravel de la Cour fédérale.

[84] L’État forme donc une seule et même entité, puisqu’il s’incarne en la personne de Sa Majesté du chef du Canada. Les ministères fédéraux, commissions et autres institutions, qui ne sont pas des personnes, sont des éléments de l’État, lequel est représenté par la personne de Sa Majesté du chef du Canada. Le MPO et la CFP font ainsi partie de l’État, qui est une entité unique.

[85] Toutefois, l’article 2.1 de la LRCECA exonère la personne de Sa Majesté du chef du Canada de toute responsabilité. Le paragraphe 66(1) de la LCDP dispose que cette loi lie Sa Majesté du chef du Canada. Par ailleurs, la LCDP exige qu’une « personne » agisse comme intimé. Ces dispositions semblent donc contradictoires.

[86] Mais la LRCECA n’exonère pas l’État lui-même de toute responsabilité.

[87] Le paragraphe 23(1) de la LRCECA traite des poursuites, et définit de quelle manière il convient d’exercer des poursuites contre la Couronne. De telles poursuites peuvent être exercées contre le procureur général du Canada, à moins que la législation fédérale permette qu’elles soient exercées contre l’organisme mandataire de l’État en cause.

[88] Ainsi, pour que l’on puisse obtenir réparation des ministères fédéraux qui relèvent de l’État, lequel est à son tour Sa Majesté du chef du Canada, comme le prévoit le paragraphe 66(1) de la LCDP, c’est le procureur général qui doit être nommé à titre d’intimé, conformément au paragraphe 23(1) de la LRCECA.

[89] Tel est l’effet conjugué de la LCDP et de la LRCECA, laquelle permet de promouvoir l’esprit, les valeurs et les objectifs qui sous-tendent la LCDP en désignant le PG à titre d’intimé dans la plainte.

[90] Les décisions citées, y compris celles jointes en annexe aux observations additionnelles de la Commission datées du 3 janvier2014, confirment qu’au cours des dernières années, le Tribunal a eu comme pratique de substituer le PG à des ministères fédéraux lorsque ceux-ci avaient initialement été désignés comme intimés.

[91] Dans la décision Lacroix (précitée), il a été établi que l’intimé désigné devait être le PG, et qu’aucune mention de l’entité représentée par le PG ne devait suivre le nom de celui-ci dans l’intitulé. Toutefois, dans la présente plainte, le MPO et la CFP sont des émanations de la Couronne qui se trouvent au cœur de la plainte – le MPO, en raison des allégations contenues dans la plainte selon lesquelles il aurait omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant dans le cadre d’un processus de dotation où la norme et la pratique dite de la « bonne personne » ont été appliquées; et la CFP, en tant que responsable de la conception et de la mise en œuvre de cette norme et de cette pratique dont elle délègue l’application au MPO, et dont le recours, selon la plainte, engendre de la discrimination systémique à l’endroit du plaignant et de ceux présentant la même déficience que lui.

[92] Par conséquent, pour tous les motifs qui précèdent, il convient de désigner le PG en tant qu’intimé, et de préciser, dans l’intitulé, qu’il représente les émanations de la Couronne que sont la CFP et le MPO. En effet, cette précision ne contredit en rien la désignation du PG en tant qu’intimé désigné. L’intitulé sera libellé de la sorte par souci de clarté et de transparence de l’instruction.

X. La désignation de l’ancienne sous-ministre à titre d’intimée

La position du plaignant

[93] Bien qu’il n’ait pas présenté de requête sur la question, le plaignant a affirmé à de nombreuses reprises, dans les documents qu’il a présentés, que l’intimée devrait être Claire Dansereau, qui était sous-ministre du MPO à l’époque des incidents allégués dans la plainte.

[94] Dans sa réponse à la requête de l’intimé, le plaignant a ajouté le nom de Mme Dansereau à l’intitulé afin que la partie intimée soit désignée comme suit : « Claire Dansereau, PÊCHES ET OCÉANS CANADA – Intimée (MPO) ». Ailleurs dans les documents qu’il a présentés au Tribunal, il a déclaré que Mme Dansereau devrait être ajoutée comme intimée, et qu’elle était l’intimée appropriée selon le droit.

Le plaignant fonde sa position sur les arguments suivants :

  • la plainte mentionnait initialement le nom de Mme Dansereau en tant qu’intimée;

  • elle est une « personne » au sens de la Loi et des Règles;

  • elle était la personne responsable du défaut allégué du MPO de répondre aux besoins du plaignant, ainsi que de la mise en œuvre, par le MPO, de la politique de la « bonne personne »;

  • le MPO n’est pas une personne juridique;

  • le plaignant avait informé Mme Dansereau, entre autres personnes, de son insatisfaction à l’égard de la procédure d’adaptation mise de l’avant par le MPO;

  • Mme Dansereau était au fait de la question des mesures d’adaptation et de la discrimination, et, à la connaissance du plaignant, elle n’a rien fait pour mettre un terme à celle-ci;

  • elle était personnellement au courant, mais aussi responsable, du point de vue organisationnel, de la conduite reprochée au personnel du MPO, comme il est précisé dans la plainte.

La position de l’intimé

[95] Dans ses observations en réponse à la requête, l’intimé s’oppose à ce que Mme Dansereau soit désignée comme partie. L’intimé affirme qu’elle n’a pas agi au-delà du cadre de ses fonctions, pas plus qu’elle n’a agi à titre personnel relativement à quelque question liée à la plainte, mais qu’elle agissait seulement à titre d’employée de la Couronne. Puisque le PG représente la Couronne, il n’y a pas lieu d’ajouter Mme Dansereau comme partie.

La position de la Commission

[96] La Commission n’a pas présenté d’observations sur cette question.

Analyse

Procédure

[97] Comme il a été indiqué précédemment, le paragraphe 8(3) des Règles s’applique à la procédure prévue lorsque le plaignant, l’intimé ou la Commission souhaite ajouter une partie à l’instruction. Le fait de se conformer au paragraphe 8(3), et particulièrement au passage de cette disposition qui exige de signifier la requête à la partie éventuelle – en lui donnant ainsi avis de la procédure – de même qu’à celui qui donne à la partie éventuelle le droit de présenter des arguments au sujet de la requête, donne l’occasion à la partie éventuelle de savoir de quoi il retourne et de s’exprimer sur la question de son ajout comme partie, et ce, avant que le Tribunal ne décide si elle devrait ou non être désignée comme telle.

[98] Autrement dit, la partie éventuelle a le droit de bénéficier des règles de justice naturelle, qui comprennent l’occasion de se faire entendre avant que ne soit rendue une décision touchant directement ses intérêts. Le fait d’être ajoutée comme partie intimée relativement à l’instruction d’une plainte fondée sur la LCDP peut avoir des conséquences importantes. Ce serait un manquement aux principes de justice naturelle que de simplement désigner une personne comme partie à l’instruction, avec toutes les obligations et conséquences qui s’ensuivent, sans lui donner un préavis suffisant de l’ordonnance sollicitée et lui donner ensuite la possibilité pleine et entière de prendre connaissance des questions auxquelles elle fait face et de présenter des observations au Tribunal à ce sujet. Cela est d’autant plus vrai dans les circonstances actuelles, alors que l’intéressée n’occupe plus le poste de sous-ministre au MPO. Elle n’est peut-être même pas au courant de la présente instance, ni de l’intention du plaignant de l’ajouter comme partie.

[99] Le plaignant n’a pas signifié d’avis de requête à Mme Dansereau afin de l’informer qu’il souhaitait l’ajouter comme intimée; cet avis aurait pu lui donner l’occasion de présenter au Tribunal des arguments sur la question. Par conséquent, le plaignant ne s’est pas conformé au paragraphe 8(3) des Règles en ce qui concerne sa requête visant à désigner Mme Dansereau comme partie.

[100] Qui plus est, si l’intimé a formulé de brèves objections quant à l’ajout de Mme Dansereau, je ne suis pas convaincue que ces objections signifient pour autant que les paragraphes 8(3) et 3(1) ont été mis en application. Il m’est impossible d’en déduire que l’intimé a avisé Mme Dansereau de la requête et qu’il a le mandat de présenter des observations en son nom.

[101] Pour les motifs qui précèdent, je ne puis, dans les circonstances de l’espèce, déterminer s’il y a lieu d’ajouter Mme Claire Dansereau à titre d’intimée visée par la plainte.

XI. Ordonnance

  1. L’intimé dans la présente plainte doit être identifié de la manière suivante : « Procureur général du Canada (représentant le ministère des Pêches et des Océans Canada et la Commission de la fonction publique du Canada) », avec prise d’effet immédiate.
  2. Dans la mesure où le plaignant désire ajouter Mme Claire Dansereau ou toute autre personne comme partie à la plainte :
    1. il doit se conformer aux paragraphes 3(1) et 8(3) des Règles;
    2. il peut utiliser, en guise d’avis de requête, une lettre adressée à la partie éventuelle où est précisée la réparation qu’il recherche. En tout état de cause, l’avis de requête doit clairement indiquer les coordonnées de l’agent du greffe responsable du dossier, à qui l’on peut s’adresser pour obtenir des renseignements d’ordre administratif relativement au dépôt de documents;
    3. il doit joindre à l’avis de requête une copie de la présente décision, le formulaire de plainte, l’ensemble des exposés des précisions ayant été déposés et tout autre document qu’il souhaite inclure dans sa requête;
    4. il doit signifier à la partie éventuelle, à l’intimé et à la Commission les documents visés aux alinéas 2b) et 2c) de la présente ordonnance, et les déposer au Tribunal dans les quatorze (14) jours suivant la date de la présente décision;
    5. la Commission et l’intimé doivent déposer leurs réponses à la requête visée au paragraphe 8(3) et les signifier dans les quatorze (14) jours suivant la date où ils ont reçu signification de la part du plaignant;
    6. le plaignant doit, s’il y a lieu, déposer sa réponse et la signifier à la Commission, à l’intimé et à la partie éventuelle dans les sept (7) jours suivant la date où il a reçu les réponses dont il est question au précédent alinéa 2e).

Signée par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 6 février 2014

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