Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

MARGARET KELLY (STACEY)

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

- et -

CONSEIL DES AINÉS

- et -

MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

les intimés

DÉCISION SUR REQUÊTE

2008 TCDP 42
2008/09/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

[1] L'intimé, Affaires indiennes et du Nord Canada (le ministère), a demandé au Tribunal de rejeter une plainte déposée par Margaret Kelly (Stacey) contre le ministère, sur le fondement que les questions soulevées dans la plainte faisaient l'objet d'un accord de règlement inconditionnel conclu par les parties en 2003.

[2] C'est la deuxième fois que l'intimé présente cette même demande. Le 27 mai 2008, le Tribunal a rejeté la requête statuant que la demande était prématurée vu la nécessité d'un dossier plus exhaustif qui lui permettrait de prendre une décision. Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur le fond de la requête et a expliqué que l'intimé était libre de déposer une requête semblable à une date ultérieure.

[3] Depuis cette décision, les parties ont communiqué tous les documents en leur possession ainsi que leurs énoncés de précisions. De plus, l'intimé a déposé deux affidavits à l'appui de la présente requête, le premier de Louis-Alexandre Guay, avocat pour le ministère de la Justice du Canada, et le deuxième d'Allan Tallman, bureau du Registre des Indiens du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. De nombreux documents étaient annexés à ces affidavits comme pièces - les plaintes, l'accord de règlement, la loi sur l'appartenance et un certificat attestant le recours à l'assistance d'un avocat indépendant. À mon avis, il y a maintenant suffisamment de documentation au dossier permettant de rendre une décision sur la présente requête.

Le contexte

[4] En 1999, la plaignante a déposé des plaintes relatives aux droits de la personne contre le Conseil des Mohawks de Kahnawake (le CMK) et le ministère. Elle a soutenu que le CMK a refusé de l'accepter comme membre de la bande en raison de sa situation familiale et que, en conséquence, elle s'est vu refuser les services offerts par le CMK. Elle a affirmé que le refus de services constituait une pratique discriminatoire au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Dans sa plainte contre le ministère, Mme Kelly (Stacey) a allégué que le ministère avait aussi agi de façon discriminatoire à son endroit en omettant d'intervenir dans la conduite de la bande et en continuant de financer le CMK pour la prestation de services qui lui ont censément été refusés.

[5] En 2003, la plaignante a réglé ses plaintes contre le CMK et le ministère. Au moment de la conclusion de l'accord, le CMK révisait sa loi sur l'appartenance. On croyait que la révision permettrait peut-être de régler les questions soulevées dans les plaintes. L'accord de règlement rendait compte de l'incertitude quant à la résolution de la plainte et disposait que, bien que Mme Kelly (Stacey) dégageait le CMK de toutes les actions qu'elle avait intentées ou pouvait intenter, si les deux parties ne parvenaient pas à régler la question relative à l'appartenance de manière satisfaisante d'ici le 31 décembre 2004, alors sa renonciation aux actions [traduction] dans la mesure seule où elle s'applique à la question relative à l'appartenance contre le CMK est nulle et sans effet.

[6] En revanche, la disposition dans l'accord de règlement concernant le ministère était inconditionnel. Cette disposition prévoyait que Mme Kelly (Stacey) dégageait le ministère et la Couronne de toutes les actions qu'elle avait intentées ou pouvait intenter découlant de quelque façon que ce soit des questions alléguées dans la plainte contre le ministère - y compris, entre autres, la réclamation pécuniaire et la question relative à l'appartenance contre le ministère.

[7] Mme Kelly (Stacey) a eu recours à un avocat indépendant avant de signer l'accord. D'après le certificat attestant le recours à l'assistance d'un avocat indépendant, Mme Kelly (Stacey) était parfaitement au courant des dispositions de l'accord de règlement et de leurs conséquences juridiques avant de le signer.

[8] Une fois l'accord de règlement signé, la Commission canadienne des droits de la personne l'a approuvé et un avis de désistement a été déposé devant le Tribunal dans les deux dossiers le 23 décembre 2003. L'accord de règlement pouvait être exécuté selon les mêmes modalités qu'une ordonnance de la Cour fédérale en vertu du paragraphe 48(3) de la Loi.

[9] En 2005, la plaignante a déposé de nouvelles plaintes contre le CMK, le ministère et le conseil des aînés dans lesquelles elle allègue que la question de son appartenance n'avait pas été réglée sous le régime de la loi nouvelle sur l'appartenance de la bande Kahnawake et qu'on avait continué de lui refuser l'accès aux programmes et aux services. Les plaintes ont été renvoyées au Tribunal aux fins d'instruction.

Analyse

[10] L'intimé, le ministère, soutient que le Tribunal devrait rejeter la plainte déposée contre lui étant donné que les questions soulevées dans celle-ci ont été réglées.

[11] L'intimé, le CMK, ne s'oppose pas à la requête. Il affirme que le présent litige ne concerne pas le ministère, mais qu'il s'agit d'un litige interne sur l'appartenance entre la plaignante et lui-même.

[12] La Commission ne s'oppose pas à la requête en rejet de la plainte contre le ministère.

[13] La plaignante, Mme Kelly (Stacey), a présenté l'observation selon laquelle, en tant que membre des Premières nations, elle ne relève pas d'une compétence canadienne. Elle ne reconnaît plutôt que la compétence d'un organisme traditionnel composé du peuple, en conformité avec la Grande loi de la paix et le traité du wampum à deux rangs. Elle croit que toutes les négociations engagées avec le gouvernement du Canada ne s'appliquent pas à elle. Il semblerait que ces négociations comprennent celles ayant mené à l'accord de règlement.

[14] À mon avis, le pouvoir du Tribunal de trancher la question soulevée en l'espèce découle du pouvoir que lui confère le paragraphe 50(2) de la Loi de trancher les questions de droit ou de fait dans les affaires dont il est saisi dans le cadre d'une instruction. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. La Société canadienne des postes, 2004 CF 81, la Cour fédérale a affirmé que décider d'une question préliminaire fait partie de l'instruction. Étant maître du déroulement de l'instance, le Tribunal avait le droit de débroussailler la procédure avant de tenir une audience sur le fond.

[15] Mme Kelly (Stacey) a reçu une indemnité pécuniaire pour avoir accepté de ne pas intenter d'autres actions quant aux questions soulevées dans la plainte contre le ministère. Les questions soulevées en 1999 dans la plainte contre le ministère sont identiques aux questions soulevées dans la plainte déposée en 2005 contre lui : le ministère n'avait pas empêché le CMK d'exclure Mme Kelly (Stacey) de l'appartenance à la bande et de refuser à celle-ci d'obtenir les avantages offerts aux membres. Bien que l'accord de règlement n'écarte pas la possibilité de déposer une plainte contre le CMK si Mme Kelly (Stacey) n'était pas satisfaite de l'issue du processus de renouvellement des membres, il défendait expressément cette possibilité quant au ministère. L'accord de règlement ne laissait aucune possibilité de soulever de nouveau la question à l'égard du ministère. Mme Kelly (Stacey) a obtenu de l'aide d'un avocat pour comprendre ce point.

[16] En l'espèce, la documentation au dossier révèle que Mme Kelly (Stacey) n'a signé l'accord qu'après avoir obtenu l'aide d'un avocat indépendant. L'avocat qu'elle a consulté a attesté être convaincu que Mme Kelly (Stacey) comprenait parfaitement et acceptait les dispositions de l'accord ainsi que les conséquences juridiques si elle le signait. Il était également convaincu que Mme Kelly (Stacey) ne se sentait pas tenue d'accepter l'accord de règlement ou contrainte à l'accepter; elle l'a signé volontairement.

[17] Mme Kelly (Stacey) n'a pas contesté la validité de sa renonciation sur le fondement de la contrainte, de la capacité, de la dénégation de signature ou de tout autre motif. Sa déclaration qu'elle ne reconnaît pas la compétence du gouvernement fédéral n'a aucune incidence sur la validité de sa renonciation.

[18] Dans la décision antérieure du Tribunal sur cette question, le vice-président Hadjis a fait remarquer que de nouveaux faits semblaient être survenus après la signature de la renonciation, qui pourrait avoir une incidence sur l'applicabilité de la renonciation. Ces faits comprenaient l'élaboration par le CMK d'une nouvelle loi sur l'appartenance et la délégation au conseil des aînés du pouvoir de décider de l'appartenance à la bande.

[19] Cependant, l'accord de règlement prévoyait clairement qu'une nouvelle loi sur l'appartenance était en cours d'élaboration et que, dépendamment de la façon dont cette loi s'appliquerait à la plaignante, il était possible qu'elle désire déposer une nouvelle plainte contre le CMK. Conséquemment, elle ne s'était pas réservé le droit de le faire contre le ministère. Par conséquent, la nouvelle loi sur l'appartenance n'a pas d'incidence sur l'applicabilité de la renonciation à la présente plainte contre le ministère.

[20] La question du pouvoir du ministère d'intervenir dans des affaires ayant trait à l'appartenance de la plaignante à la bande a été réglée en 2003. En conséquence, la délégation au conseil des aînés du pouvoir de décider de l'appartenance à la bande n'est pas pertinente quant à l'applicabilité de la renonciation à la plainte contre le ministère.

[21] Je crois donc que le dossier révèle maintenant que ni l'un ni l'autre de ces deux nouveaux faits n'ont d'incidence sur l'applicabilité de la renonciation à la plainte contre le ministère.

[22] Il ne s'agit pas d'une affaire où Mme Kelly (Stacey) à renoncé à son droit à la protection de la Loi. Elle a signé un accord selon lequel elle ne soulèverait pas de nouveau cette question particulière à l'égard du ministère; la question avait été réglée. Ce n'est pas comme signer un contrat de travail ou un bail qui interdit le recours à la Loi dans le cas de possibles violations de la Loi. Comme dans l'arrêt Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 4, je trouve difficile de dépeindre l'accord en l'espèce comme un accord de renoncer à la protection de la Loi.

[23] Le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a affirmé dans Thompson c. Providence Health Care, 2003 BCHRT 58, qu'il est manifestement dans l'intérêt public d'encourager les parties à résoudre leurs litiges de façon consensuelle et volontaire. Cet intérêt public serait fortement sapé si les parties, ayant conclu un accord définitif relativement à leur litige lié aux droits de la personne, avaient le droit, en l'absence de considérations relatives à l'intérêt public démontrant le contraire, de se présenter et de poursuivre une plainte devant le Tribunal. Mme Kelly (Stacey) a réglé sa plainte contre le ministère en 2003; elle ne devrait pas être autorisée à poursuivre aujourd'hui cette même plainte devant le Tribunal.

[24] La plainte de Mme Kelly (Stacey) contre le ministère est donc rejetée.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)

Le 30 septembre 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIERS DU TRIBUNAL :

T1268/8007, T1269/8107 et T1270/8207

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Margaret Kelly (Stacey) c. le Conseil des Mohawks de Kahnawake, le Conseil des aînés et le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

Le 30 septembre 2008

ONT COMPARU :

Aucune représentation

Pour la plaignante

Daniel Poulin

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Mary Lee Armstrong

Pour l'intimé (le Conseil des Mohawks de Kahnawake)

Aucune représentation

Pour l'intimé (le Conseil des ainés)

Virginie Cantave

Pour l'intimé (le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.