Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : VIOLET PRINCE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTERE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Lee Ongman, Présidente Lois Rae Serwa, Membre Gulzar Samji, Membre

ONT COMPARU: Daniel Russell Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Mary Humphries Avocate du ministère de la Justice

Perry Shawana Avocat de Violet Prince

DATES ET LIEU DE Du 7 au 9 juillet 1992 inclusivement, L'AUDIENCE: Prince George (Colombie-Britannique)

TRADUCTION

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LES FAITS

Mme Violet Prince (appelée aussi la plaignante) a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (ci-après appelée la Commission), dans laquelle elle soutient que le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (ci-après appelé le ministère) a commis à son égard un acte de discrimination fondée sur la religion, contrevenant ainsi à la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci- après appelée la Loi). Elle affirme, plus particulièrement, que le ministère a agi de façon discriminatoire en refusant, pour des motifs ayant trait à la religion, de payer les frais de pension nécessaires pour que sa fille puisse fréquenter l'école privée catholique, le tout en contravention de l'article 5 de la Loi. Les faits principaux de l'espèce ne sont pas contestés.

Mme Prince est une Indienne inscrite appartenant à la nation des Porteurs. Elle est catholique pratiquante. Elle a une fille, Charlotte Prince, qu'elle a inscrite au Prince George College, une école secondaire privée catholique située à environ cent vingt-cinq milles de chez elle. Elle voulait que sa fille fréquente cet établissement plutôt que l'école publique non confessionnelle de sa ville, Fort St.James.

La preuve établit qu'avant 1987, le ministère avait assumé les frais de pension des élèves de Fort St.James qui étudiaient au Prince George College.

Le ministère avait avisé par écrit le Conseil de bande, le 28 mars 1987, du fait que la politique du ministère prévoyait que les élèves devaient fréquenter l'école la plus près de chez eux :

[TRADUCTION]

Les parents qui choisissent d'inscrire leurs enfants dans un autre établissement que l'école située la plus près de chez eux assument tous les frais supplémentaires occasionnés par ce choix, notamment les frais de scolarité excédant la moyenne provinciale, les frais de déplacement, les frais de pension etc.

La plaignante a envoyé sa fille étudier au Prince George College au mois de septembre 1987 et a persévéré dans ses efforts pour obtenir que le ministère modifie sa décision de principe et la défraie du coût de la pension. La fille de la plaignante a terminé l'année scolaire 1987 au Prince George College. Elle y fut de nouveau inscrite au mois de septembre 1988 et elle y demeura trois mois. Elle fut ensuite transférée à l'école secondaire de Fort St.James. Elle étudia dans cet établissement public, puis finit par se lasser et abandonna ses études, sans terminer l'année scolaire 1988-1989.

Pendant l'année où la fille de la plaignante a fréquenté le Prince George College, ni la plaignante ni le ministère n'ont acquitté les frais de pension demandés par l'établissement et, apparemment, la note est demeurée impayée.

En résumé, l'acte dont se plaint Mme Prince est le refus du ministère d'assumer les frais de subsistance de sa fille pendant que celle-ci se

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trouvait à l'extérieur du foyer et la politique en cause est celle qui consiste à ne pas octroyer de fonds pour la pension des Indiens inscrits qui souhaitent étudier dans des établissements éloignés. La plaignante fait valoir qu'à l'égard des Indiens inscrits de Fort St.James, cette politique constitue de la discrimination indirecte fondée sur la religion.

La Loi canadienne sur les droits de la personne énonce à l'article 2 :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

La Loi définit en outre, à l'article 5, ce qui constitue un acte discriminatoire. C'est cette définition qui est en cause dans la plainte :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

  1. d'en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

OBJECTION PRÉLIMINAIRE PORTANT SUR LA COMPÉTENCE

Avant l'audition de la preuve relative à la question de la discrimination religieuse prohibée à l'article 5 de la Loi, l'avocate de l'intimé, invoquant l'article 67 de la Loi, a présenté une objection préliminaire visant la compétence du Tribunal. Cette dernière disposition prévoit ce qui suit :

La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

L'avocate de l'intimé, Me Humphries, soutient que l'objet de la plainte étant la politique en matière d'éducation formulée par le ministère en vertu de l'article 115 de la Loi sur les Indiens, le Tribunal n'a pas à entendre la preuve et à prendre connaissance des faits concernant le fond de l'affaire pour trancher la question de l'application de l'article 67 à l'espèce.

Me Russell a invoqué trois décisions, savoir les affaires Louise Courtois et Marie Jeanne Raphael c. Ministère des Affaires indiennes, 11 C.H.R.R. D/41 et Desjarlais c. Piapot Band No. 75, [1989] 3 C.F. 605; 102 NR 71.

Me Russell a cité l'affaire Piapot à l'appui de son argument voulant que seule l'audition de toute la preuve existante concernant le fond de

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l'espèce permettrait au Tribunal de déterminer si des gestes accomplis par le ministère relevaient de sa compétence et bénéficiaient donc de la protection prévue à l'article 67 de la Loi.

Afin de se montrer équitable envers toutes les parties, le Tribunal a décidé d'entendre l'ensemble de la preuve avant de se prononcer sur la question de sa compétence en regard de l'article 67.

Le libellé de cette dernière disposition est clair et concis. Son but est d'empêcher que les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'entrent en conflit avec l'application de la Loi sur les Indiens, laquelle est elle-même discriminatoire puisqu'elle confère de nombreux privilèges et donne aux Premières Nations certaines possibilités auxquelles la population canadienne en général n'a pas droit.

L'avocat de la Commission fait valoir qu'une action qui, à première vue, semble fondée sur la Loi sur les Indiens et paraît donc jouir de la protection générale prévue à l'article 67 peut perdre cette protection si elle n'est pas accomplie en vertu des pouvoirs conférés par ladite loi. Dans l'affaire Piapot, il n'existait aucun pouvoir ni aucune disposition de la Loi sur les Indiens ou de ses règlements d'application permettant l'adoption de la motion suivante passée par la bande de Piapot:

[TRADUCTION]

Que le conseiller Johnny Rockthunder demande un vote de non- confiance contre [...] Rose Desjarlais [...] Certaines plaintes concernent l'âge de Rose [...]

Motion adoptée.

Il est mentionné, dans l'extrait de la décision reproduit dans le dossier de jurisprudence et de doctrine fourni au Tribunal, que la Loi sur les Indiens ne prévoit ni expressément ni implicitement le pouvoir de passer une telle motion et, qu'en conséquence, la motion ne constitue pas une disposition prise en vertu de cette loi au sens de l'exception énoncée au paragraphe 63(2) (maintenant l'article 67) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il est clair, en l'espèce, que le ministère dispose du pouvoir de formuler des politiques et de prendre des décisions en matière d'éducation, ainsi qu'il est prévu aux articles 114 à 122 de la Loi sur les Indiens.

L'article 115 de la Loi sur les Indiens est ainsi conçu :

115. Le ministre peut :

  1. pourvoir à des normes de construction, d'installation, d'enseignement, d'inspection et de discipline relativement aux écoles, et prendre des règlements à cet égard;
  2. assurer le transport, aller et retour, des enfants à l'école;
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  4. conclure des accords avec des institutions religieuses pour le soutien et l'entretien des enfants qui reçoivent leur instruction dans les écoles dirigées par ces institutions;
  5. appliquer la totalité ou une partie des sommes d'argent qui seraient autrement payables en faveur ou pour le compte d'un enfant qui fréquente un pensionnat, à l'entretien de l'enfant à cette école.

Cette disposition confère manifestement au ministre le pouvoir particulier de prendre des décisions et d'établir des politiques au sujet du financement de l'entretien des enfants qui fréquentent des pensionnats.

En dépit de l'existence de l'article 115, Me Russell, pour le compte de la Commission, et Me Shawana, pour celui de la plaignante ont répliqué en soumettant leur interprétation de l'article 118 de la Loi sur les Indiens, lequel est libellé ainsi :

118. Tout enfant indien tenu de fréquenter l'école doit fréquenter celle que le ministre peut désigner, mais aucun enfant dont le père ou la mère, selon le cas, est protestant ou protestante, ne peut être assigné à une école dirigée par des catholiques romains, et aucun enfant dont le père ou la mère, selon le cas, est catholique romain ou catholique romaine, ne peut être assigné à une école dirigée par des protestants, sauf sur des instructions écrites du père ou de la mère, suivant le cas.

Ils soutiennent que l'article 118 oblige le ministère à assurer une instruction catholique à un enfant indien si cet enfant ou son père ou sa mère le souhaitent. Toute politique qui va à l'encontre de cette obligation contrevient directement à l'article 118 et, par conséquent, est illégale et ne peut bénéficier de la protection prévue à l'article 67, puisqu'il s'agit d'un acte ou d'une politique non autorisée par la Loi sur les Indiens.

Le Tribunal rejette cette argumentation. Il estime qu'il s'agit d'une interprétation alambiquée de l'article 118, une disposition qui lui paraît exprimée dans un langage clair. Le tribunal est d'avis que le ministère n'a pas forcé la fille de Mme Prince à fréquenter une école protestante et n'a pas enfreint la loi.

En conséquence, le Tribunal conclut que le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada a agi dans les limites des pouvoirs que lui conférait la Loi sur les Indiens et que l'article 67 s'applique en l'espèce. Il rejette donc la plainte déposée par Mme Violet Prince.

FAIT ce 15e jour de novembre 1992.

LEE ONGMAN

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LOIS RAE SERWA

GULZAR SAMJI

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