Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

SHIV CHOPRA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SANTÉ CANADA

l'intimé

DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps

2008 TCDP 39

2008/09/19

I. INTRODUCTION

II. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

A. L'objet de la plainte

B. Les conclusions et décisions des tribunaux antérieurs

(i) La plainte Drennan

(ii) Les commentaires du Dr Liston

(iii) L'incident Gunner

(iv) La nomination du Dr Scott

C. La carrière du Dr Chopra à Santé Canada

D. Le traitement injuste réservé au Dr Chopra

(i) La plainte Zohair

(ii) La plainte Elanco

(iii) La suspension imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance

(iv) L'exclusion du Dr Chopra de certains projets

E. La crédibilité du Dr Chopra

III. LES QUESTIONS DE FOND

A. Les dispositions applicables de la Loi canadienne sur les droits de la personne

(i) Article 7

(ii) Article 10

(iii) Article 14

(iv) Article 14.1

(v) Article 65

B. Les principes juridiques applicables

(i) Discrimination

(ii) Représailles

(iii) Harcèlement

C. Les allégations en cause

(i) Questions se rapportant aux divers postes à pourvoir

a) La nomination du Dr Scott (1995)

b) L'autonomination du Dr Paterson au poste de directeur du BMV (1997)

c) La nomination du Dr Lachance (1998)

d) La nomination du Dr Alexander (1999)

e) La nomination du Dr Butler (1999)

(ii) Questions liées à des incidents pouvant être qualifiés de discriminatoires

a) Les commentaires du Dr Lachance

b) La suspension de cinq jours

c) La plainte Zohair

d) La plainte Elanco

e) L'exclusion du Dr Chopra du projet Flumequine

(iii) La question de la discrimination systémique

IV. RÉPARATIONS

V. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Le 11 février 2004, la Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé la plainte H47521 au Tribunal canadien des droits de la personne, lui demandant, conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d'instruire la plainte.

[2] Le dossier révèle que, en réalité, deux formulaires de plainte ont été soumis au Tribunal. Le formulaire initial, daté du 13 mai 1998, indique à partir de 1992 comme date de la conduite alléguée, tandis que le formulaire daté du 12 janvier 1999 et modifiant le formulaire du 13 mai 1998 indique à partir de 1993 comme date de la conduite alléguée.

[3] Dans sa plainte, le plaignant, le Dr Shiv Chopra, qui, durant toutes les dates en cause, était évaluateur de médicaments à la Direction générale de la protection de la santé, à Santé Canada, affirme que Santé Canada a exercé une discrimination contre lui en le traitant défavorablement dans son emploi, plus exactement en lui refusant des possibilités de promotion, à cause de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique (il est originaire de l'Inde), contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le dossier montre que le plaignant a plus tard affirmé qu'il avait été victime de harcèlement et de représailles de la part de Santé Canada, allégations qui font entrer en jeu les articles 14 et 14.1 de la Loi.

[4] La Commission n'était pas présente à l'audience. Le plaignant et l'intimé étaient représentés par leurs avocats.

[5] Cette plainte soulève des questions de droit qui vont au-delà d'un constat de discrimination selon les articles 7 et 10 de la Loi, et au-delà d'un constat de harcèlement et de représailles selon les articles 14 et 14.1 de la Loi.

[6] Le dossier montre que, en 1992, le plaignant a déposé, devant la Commission canadienne des droits de la personne, une plainte portant sur des événements qui avaient eu lieu avant le 16 septembre 1992. Cette plainte fut d'abord instruite par une formation de trois membres de ce tribunal, le tribunal Soberman, lequel tira des conclusions de fait qui allaient au-delà du 16 septembre 1992.

[7] Le dossier montre que la décision rendue par le tribunal Soberman fut plus tard annulée par la Cour fédérale du Canada, et qu'un autre membre du tribunal, M. Athanasios Hadjis, fut chargé d'entendre des preuves nouvelles. Le tribunal Hadjis a tiré des conclusions de fait sur des événements qui s'étaient produits après le 16 septembre 1992 et tranché des questions qui avaient été soulevées après le 16 septembre 1992.

[8] À l'audience, l'objet de la plainte est devenu un point à éclaircir puisqu'il fallait savoir sur quelle période portait la plainte. En outre, vu les conclusions et décisions du tribunal Soberman et du tribunal Hadjis, la question de l'autorité de la chose jugée fut soulevée puisqu'il fallait savoir quelles questions avaient été tranchées par ces deux tribunaux.

[9] Avant de s'interroger sur le fond de la plainte, c'est-à-dire sur la violation possible, par l'intimé, des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi que des articles 14 et 14.1 de la Loi, le Tribunal examinera un certain nombre de questions préliminaires qui pourraient influer sur la solution des questions de fond.

II. LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[10] Avant d'examiner le fond de la plainte, il faut répondre à cinq questions préliminaires : A. l'objet de la plainte, B. les conclusions et décisions des tribunaux antérieurs, C. la carrière du Dr Chopra à Santé Canada, D. le traitement injuste réservé au Dr Chopra à Santé Canada et E. la crédibilité du Dr Chopra.

A. L'objet de la plainte

[11] Le dossier montre que, le 13 mai 1998, le plaignant a déposé, devant la Commission canadienne des droits de la personne, un formulaire de plainte portant le numéro H47521. Dans sa plainte initiale, le plaignant affirme que, à partir de 1992, Santé Canada a exercé de la discrimination à son endroit en le défavorisant au cours de son emploi, plus précisément en lui refusant des possibilités de promotion, à cause de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[12] Le 12 janvier 1999, le plaignant a déposé un deuxième formulaire de plainte qui modifiait le formulaire de plainte signé le 13 mai 1998, portant le numéro H47521. Dans le deuxième formulaire, le plaignant écrit que, à partir de 1993, Santé Canada a exercé contre lui une discrimination en le défavorisant au cours de son emploi, plus précisément en lui refusant des possibilités de promotion, à cause de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique, contrevenant ainsi aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[13] À l'audience, le plaignant a fait valoir que le formulaire modifié de plainte ne remplaçait pas le formulaire initial, mais le modifiait par l'ajout de l'article 10 de la Loi comme motif additionnel de distinction illicite. Selon le plaignant, la période visée par la plainte restait la même et cette période débutait en 1992.

[14] L'intimé a fait valoir que la seconde plainte remplaçait en réalité la première et que la période visée par la plainte était celle qui débutait en 1993. Il a aussi fait valoir que les incidents qui avaient eu lieu en 1992 avaient déjà été jugés par des formations antérieures, à savoir le tribunal Soberman et le tribunal Hadjis, et qu'ils ne pouvaient pas être rejugés.

[15] Il se trouve que les deux formulaires de plainte, le formulaire initial daté du 13 mai 1998 et le formulaire modifié daté du 12 janvier 1999, ont été soumis au Tribunal. La question de savoir ce qui a pu conduire le Dr Chopra à signer un formulaire modifié de plainte et d'indiquer une autre date dans la case période visée, devient donc théorique; il en va de même de la question de savoir si le formulaire modifié était ou non censé remplacer le formulaire initial. Comme je l'ai dit, les deux formulaires ont été soumis au Tribunal.

[16] Par ailleurs, le dossier montre que, après un long échange avec l'avocat de l'intimé au cours de son contre-interrogatoire, le plaignant a admis que la période visée par la présente plainte était la période allant de 1993 à 1999.

[17] Le Tribunal estime donc qu'il est validement saisi des deux formulaires de plainte, à savoir le formulaire initial et le formulaire modifié, et que la période visée par la plainte s'étend de 1993 à 1999.

B. Les conclusions et décisions des tribunaux antérieurs

[18] Le dossier montre que plusieurs incidents mentionnés dans la présente instance ont fait l'objet, de la part de formations antérieures, à savoir le tribunal Soberman et le tribunal Hadjis, de conclusions et décisions se rapportant à la plainte déposée par le plaignant contre l'intimé le 16 septembre 1992, ainsi qu'à la plainte déposée contre Santé Canada par l'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales (l'ACNRI). Ainsi, le dossier montre que le tribunal Hadjis a admis des preuves et tiré des conclusions se rapportant à des incidents, notamment des incidents survenus en 1993 et 1994, qui en théorie n'étaient pas visés par la plainte de 1992, laquelle portait sur des incidents n'allant pas au-delà de septembre 1992.

[19] Avant le début de la présente audience, l'intimé a déposé une requête priant le Tribunal de radier certains aspects de la plainte, compte tenu des conclusions tirées par M. Hadjis dans la décision Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [2001] D.C.D.P. n° 20 (QL), ainsi que dans la décision Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [1997] D.C.D.P. n° 3 (QL). Le Tribunal s'est montré peu disposé à supprimer certains aspects de la plainte. Cependant, il a examiné diverses allégations et rendu une série de décisions.

[20] Le Tribunal estime qu'il est lié par les conclusions et décisions de ses formations antérieures, notamment par celles des membres instructeurs suivants : Soberman, Sinclair, Hadjis et Groarke, et que, dans la mesure où des aspects ont déjà été étudiés et jugés par d'autres membres instructeurs, ils ne peuvent être rejugés. Ils font cependant partie intégrante de l'historique du litige entre Dr Chopra et Santé Canada. Ils constituent la toile de fond de la plainte actuelle. Cela dit, même s'ils constituent la toile de fond ou le contexte de la plainte actuelle, cela ne veut pas dire qu'il faut trancher à nouveau des questions qui l'ont déjà été.

[21] Après examen attentif des décisions Soberman et Hadjis, et compte tenu des points qui ont été soulevés dans la présente instance, le Tribunal croit devoir se pencher sur les incidents suivants pour savoir s'il convient de les inclure ou non dans les questions sur lesquelles il doit se prononcer : 1. la plainte Drennan, 2. les commentaires du Dr Liston, 3. l'incident Gunner, 4. la nomination du Dr Scott.

(i) La plainte Drennan

[22] Dans l'exposé des précisions annexé à sa plainte modifiée, le plaignant écrit que, au cours de 1993 (sic), le Dr W.G. Drennan, le Dr M.S. Wong (sic), le Dr L. Ritter et un agent non désigné des ressources humaines ont résolu de le diffamer en lançant contre lui une accusation fallacieuse de négligence professionnelle. Selon le plaignant, l'accusation devait servir dans l'évaluation de son rendement et s'est soldée par deux griefs et une enquête externe. Le plaignant affirme aussi que, lorsque cela fut découvert, les auteurs de la diffamation n'ont pas été sanctionnés et qu'on ne lui a présenté aucune excuse.

[23] Le dossier montre que, dans sa décision de 2001, M. Hadjis s'est exprimé sur la plainte déposée par le Dr Drennan contre le Dr Chopra en 1990. Selon le dossier, le Dr Chopra n'a eu connaissance de l'existence de la plainte qu'en 1993, à la suite d'une demande d'accès à l'information qu'il avait déposée.

[24] Au sujet de la plainte Drennan, le dossier révèle que, le 23 juillet 1990, le Dr Drennan, qui travaillait au Bureau des médicaments vétérinaires, a déposé une plainte contre le Dr Chopra à propos de la mise en circulation d'urgence d'un médicament. La plainte était inscrite dans une note de service adressée au Dr Yong, chef de la Division de l'innocuité pour les humains, et avait été versée dans le dossier personnel du Dr Chopra. Selon la plainte, le Dr Drennan avait, le 11 juillet 1990, interpellé le Dr Chopra au motif que celui-ci n'avait pas procédé promptement à la mise en circulation d'un certain médicament destiné à traiter des volailles en Saskatchewan. Le dossier montre que le Dr Yong aurait conclu à l'époque que la plainte était sans fondement et que le Dr Chopra n'avait pas agi mal à propos. Le Dr Yong n'avait donc pas, selon le dossier, donné suite à la note de service, mais, malheureusement, celle-ci était restée dans le dossier du Dr Chopra. Plusieurs mois après l'envoi de la note de service, le Dr Yong a informé le Dr Chopra de la plainte, durant la préparation de son évaluation de rendement de l'année 1990-1991, mais le Dr Chopra ne savait apparemment pas que la note avait été placée dans son dossier personnel (décision Hadjis, paragraphe 144).

[25] Dans sa décision, M. Hadjis écrit que l'inquiétude du Dr Chopra par suite de cet incident, dans la mesure où il concernait la plainte dont il était saisi, tenait au fait que la dispute qui avait eu lieu entre lui et le Dr Drennan, en juillet 1990, était survenue seulement deux jours après que le Dr Chopra eut fait parvenir au président de la Commission de la fonction publique une lettre, avec copie au sous-ministre Catley-Carlson, dans laquelle il lui faisait connaître ses préoccupations au regard de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale, ainsi que sa frustration causée par le fait que ni Santé Canada ni aucun autre organisme public ne l'avaient pressenti pour un poste de cadre (décision Hadjis, paragraphe 146).

[26] Au sujet des préoccupations du Dr Chopra, M. Hadjis a jugé que, hormis le court intervalle entre les deux événements, rien ne semblait établir de lien entre eux, et il a relevé à nouveau que le tribunal Soberman n'avait nullement évoqué cet élément dans sa décision. M. Hadjis a alors rejeté l'idée qu'une discrimination à l'encontre du Dr Chopra fût à l'origine de la plainte du Dr Drennan ou que cette plainte fût liée aux plaintes du Dr Chopra et à ses accusations de discrimination (décision Hadjis, paragraphe 290).

[27] Le Tribunal estime que les questions liées à la plainte Drennan ont été examinées à fond par le tribunal Hadjis. L'avocat du plaignant a reconnu au cours de la présente instance que la plainte déposée par le Dr Drennan en 1990, plainte dont l'existence a été découverte en décembre 1993, avait été l'objet d'une décision de M. Hadjis. Au reste, dans la décision qu'il a rendue dans l'affaire Bassude c. Santé Canada, 2005 TCDP 21, paragraphe 11, le membre instructeur Groarke a souligné que les parties étaient liées par les conclusions de M. Hadjis.

[28] Le Tribunal ne revisitera donc pas les questions, conclusions et décisions se rapportant à la plainte Drennan ni ne tirera d'autres conclusions de fait, notamment sur les questions suivantes : ladite plainte a-t-elle été portée en représailles au rapport du Dr Chopra sur l'équité en matière d'emploi? S'agissait-il d'une tentative de Santé Canada de discréditer le Dr Chopra? Était-elle ou non le signe d'une attitude raciste de la direction, ainsi que l'affirme l'avocat du plaignant? Enfin, quelles auraient pu être les raisons de la direction, à Santé Canada, de ne pas informer le Dr Chopra de l'existence de la plainte et de ne pas se prononcer sur la plainte? Les conclusions (ou non-conclusions) tirées par M. Hadjis dans sa décision concernant la plainte Drennan sont toutes aujourd'hui chose jugée.

(ii) Les commentaires du Dr Liston

[29] Le dossier montre que les commentaires formulés par le Dr Liston à propos du Dr Chopra en septembre 1992, commentaires qui sont reproduits dans une note rédigée par Mme Shirley Cuddihy, appelée la note Cuddihy, ont été examinés par le tribunal Hadjis.

[30] Il ressort de la décision Hadjis que, en septembre 1992, le sous-ministre de Santé Canada avait demandé à la Direction des ressources humaines l'avis de la haute direction sur les raisons pour lesquelles le Dr Chopra n'avait pas été promu à un poste de direction, et Mme Shirley Cuddihy, chef des relations de travail et opérations à la Direction des ressources humaines, avait été demandée de rédiger l'avis.

[31] Le dossier montre que Mme Cuddihy avait rencontré le Dr Liston, à l'époque sous-ministre adjoint de la Direction générale de la protection de la santé, et que le Dr Liston avait fait les commentaires suivants, qui ont été inclus dans la note de service que Mme Cuddihy a envoyé à son surveillant, M. Rod Ballantyne :

[traduction]

Comme promis, voici les notes que j'ai prises lors de mes conversations avec les Drs Liston et Somers.

Le Dr Liston a émis à la fois des commentaires de nature générale et des commentaires portant particulièrement sur S. Chopra.

Généralités :

Les employés que l'on pressent uniquement pour des postes de nature technique semblent mieux s'en tirer que lorsqu'on les pressent pour des postes de gestion. Les différences culturelles sont réduites au minimum lorsqu'il est uniquement question de la démarche scientifique. Toutefois, lorsqu'on se met à examiner les compétences non techniques comme l'aptitude à communiquer, à influencer, à négocier, très souvent, leur patrimoine culturel n'a pas mis l'accent sur ces questions et ces gens sont défavorisés.

La capacité d'interagir avec divers intervenants comme les représentants de l'industrie, de même que sur le plan interne avec les collègues, les subordonnés et les supérieurs, est importante. En outre, nous faisons des affaires à la façon nord-américaine : nous appliquons le modèle consensuel, qui est très étranger à certaines cultures.

Il semble que le Dr Liston ait eu un certain nombre d'entretiens avec Ivy Williams à ce sujet. Il y a cependant un léger paradoxe dans le fait de mettre l'accent sur ce qu'il faut à notre avis changer, parce que nous courons le risque d'avoir à nous défendre contre des accusations d'assimilation. Il affirme que nous devons offrir une formation aux membres des groupes minoritaires - nous devons leur présenter un miroir, et leur dire : À cause de votre origine culturelle, vous devez mieux communiquer pour en venir à adopter un style moins autoritaire. Ce n'est pas un problème de couleur, mais bien de culture, et ce n'est pas un problème de la direction générale ni même du Ministère, mais cela semble se produire le plus souvent dans des ministères comme le nôtre qui sont à vocation technique ou scientifique.

Détails relatifs à S. Chopra.

Il est autoritaire.

Il voyait dans [Shiv Chopra] une grande connaissance théorique et pensait qu'il avait avantage à acquérir des compétences non techniques. [Shiv Chopra] avait un style porté à l'affrontement dont les effets ne se sont manifestés que quelque temps après son affectation au poste de consultation rattaché au Dr Liston. Après un certain temps, les gens préféraient l'éviter plutôt que de se voir pris à partie par lui.

[Shiv Chopra] n'est pas un négociateur - il ne se fait pas d'alliés facilement.

Il ne s'est pas placé dans une situation qui le préparerait à occuper des postes au niveau de la haute direction.

[32] Le dossier montre que la note Cuddihy n'a pas été communiquée à l'époque au Dr Chopra. Le Dr Chopra a été informé de son existence et en a obtenu une copie à la suite d'une demande présentée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Le dossier montre que M. Hadjis s'est exprimé longuement sur les commentaires faits par le Dr Liston en 1992 et a tiré des conclusions de fait, de même que certains enseignements, sur l'incidence de ces commentaires sur la carrière du Dr Chopra.

[33] En ce qui a trait de la note Cuddihy, le tribunal Hadjis a estimé que l'on pouvait raisonnablement déduire des opinions exprimées par le sous-ministre adjoint, dans la note Cuddihy, qu'un lien avait été établi entre les décisions prises par l'intimé portant sur la nomination au poste de directeur et un motif de distinction illicite (décision Hadjis, paragraphe 269). Le tribunal Hadjis a aussi estimé que la note Cuddihy rendait compte exactement de la substance de la conversation de Mme Cuddihy avec le Dr Liston et que les propos du Dr Liston montraient qu'il tenait fondamentalement pour acquis que les personnes de culture différente n'ont peut-être pas les aptitudes nécessaires pour occuper un poste de haute direction, et cela parce que, dans leur culture, on n'a pas mis l'accent sur leurs compétences comportementales, telles que la communication, la persuasion et la négociation, ce qui jouerait contre elles (décision Hadjis, paragraphes 269 et 272).

[34] Le tribunal Hadjis a conclu que les remarques du Dr Liston visaient de toute évidence les membres des minorités visibles travaillant à Santé Canada, dont les origines nationales ou ethniques sont variées, y compris les personnes originaires de l'Asie du Sud comme le Dr Chopra (décision Hadjis, paragraphe 271). Selon M. Hadjis, les commentaires formulés par le Dr Liston au sujet du Dr Chopra rendaient compte de sa perception selon laquelle ce dernier comptait parmi les employés issus des minorités visibles qui n'avaient pas les compétences comportementales nécessaires à un bon gestionnaire (décision Hadjis, paragraphe 275).

[35] Le Tribunal ne revisitera donc pas les questions, conclusions et décisions se rapportant à la note Cuddihy, ni ne tirera de conclusions factuelles additionnelles, notamment sur les aspects suivants : Santé Canada a-t-il ou non pris les mesures qu'il fallait à l'endroit du Dr Liston? La conduite des gestionnaires de Santé Canada traduit-elle ou non une attitude raciste de la direction? Toutes les conclusions (ou non-conclusions) tirées par M. Hadjis dans sa décision et portant sur la note Cuddihy sont chose jugée et ne peuvent être remises en cause devant le Tribunal. Statuer autrement signifierait que des parties qui ne sont pas satisfaites de la décision d'un tribunal pourraient, à loisir, faire rejuger tel ou tel aspect à l'infini. Cela est contraire à la bonne administration de la justice.

(iii) L'incident Gunner

[36] Même si l'incident Gunner ne faisait pas partie de l'objet de la plainte déposée par le Dr Chopra en septembre 1992, le dossier révèle que le tribunal Hadjis s'est prononcé sur cet incident.

[37] Dans sa décision de 2001, M. Hadjis s'est exprimé ainsi sur l'incident Gunner :

Paragraphe 143

Le Dr Chopra a soutenu que le Dr Gunner avait fait en 1993 un commentaire diffamatoire à son endroit, après qu'il eut déposé sa plainte en matière de droits de la personne; il considère cet incident comme une preuve circonstancielle supplémentaire de l'[Traduction] attitude raciste de la direction, derrière des portes closes. Apparemment, quelque temps après la décision de faire relever le Bureau des médicaments vétérinaires de la Direction des aliments, le directeur général, le Dr Gunner, a rencontré le délégué syndical de l'IPFPC, D.R. Casorso; à cette occasion, il s'est enquis de l'existence de [Traduction] problèmes syndicaux au Bureau. Durant cet entretien, le Dr Gunner a posé à M. Casorso des questions au sujet de l'affaire Chopra. (Qu'en est-il de Shiv Chopra?) Lors d'une réunion subséquente à laquelle ont participé plusieurs membres du syndicat, M. Casorso a fait état des points abordés lors de cette discussion et notamment de la référence au plaignant. Le Dr Chopra s'est offusqué du fait qu'on n'ait pas abordé directement avec lui les questions qui le concernaient; par conséquent, il a déposé un grief demandant qu'on juge [Traduction] inconvenante la conduite du Dr Gunner à son endroit. M. Casorso lui ayant présenté ses excuses, le Dr Chopra a ultérieurement retiré son grief [Traduction] en signe de bonne foi.

Paragraphe 289

En outre, aucune preuve n'étaie la prétention du Dr Chopra voulant que la discrimination ait joué dans l'incident de 1993 mettant en cause un délégué syndical, voire même qu'on ait exercé contre lui des représailles en raison des plaintes qu'il avait déposées à l'encontre de l'intimé. Certes, les questions soulevées par le Dr Chopra et d'autres fonctionnaires, par l'entremise de l'ACNRI, avaient à ce moment-là créé certaines frictions entre ces employés et leurs employeurs. Dans ce contexte, il n'aurait pas été inopportun qu'un directeur général nouvellement nommé fasse enquête sur ces questions ou même qualifie ces différends de problème. C'est là une autre question à propos de laquelle le tribunal Soberman n'a pas tiré de conclusions.

[38] Le dossier montre que le tribunal Hadjis s'est exprimé en profondeur sur l'incident Gunner et a tiré des conclusions que le présent Tribunal ne saurait ignorer. Cette affaire est à toutes fins utiles chose jugée et le présent Tribunal ne s'y attardera pas davantage, si ce n'est dans le contexte de la plainte actuelle. Le Tribunal relève ici que le tribunal Hadjis a conclu que la conduite du Dr Gunner n'avait pas été discriminatoire.

(iv) La nomination du Dr Scott

[39] Même si la nomination du Dr Scott au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires ne faisait pas partie de l'objet de la plainte déposée par le Dr Chopra en septembre 1992, le dossier révèle que le tribunal Hadjis a étudié la question.

[40] Les paragraphes suivants de la décision Hadjis doivent être reproduits pour bien faire ressortir les conclusions et décisions de M. Hadjis au regard de la nomination Scott :

Paragraphe 136

Dans sa plainte, le Dr Chopra a allégué qu'il avait été traité injustement en raison de la manière dont ses évaluations de rendement ont été établies durant la période 1990-1992. À son avis, ce traitement dont il a fait l'objet est attribuable à sa couleur, à race et à son origine nationale ou ethnique. Dans sa plaidoirie finale, l'avocat de la Commission a également fait état d'un autre concours tenu en 1993, ainsi que d'un incident mettant en cause un délégué syndical et d'un grief déposé contre le plaignant après le dépôt de la plainte relative aux droits de la personne, afin de démontrer le caractère permanent du traitement discriminatoire. Je ferai remarquer qu'à part la question des évaluations de rendement, ces éléments n'ont pas été abordés dans la décision du tribunal Soberman, et ce même si tous les éléments de preuve qui s'y rattachent ont été présentés dans le cadre de la première audience.

Paragraphe 141

En décembre 1993, le Dr Chopra s'est porté candidat au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, classifié au niveau EX-02. Dans son témoignage, il a dit avoir vu l'avis annonçant ce concours avant de présenter sa candidature. Le jury de présélection a rejeté sa candidature pour le motif qu'il ne satisfaisait pas à deux des trois facteurs d'expérience mentionnés dans l'énoncé de qualités : i) expérience dans la gestion d'un organisme scientifique, médical ou vétérinaire dont les programmes sont polyvalents; et ii) expérience à titre de représentant ministériel auprès d'organismes extérieurs, y compris les médias et les organismes internationaux. En ce qui concerne le premier critère, on a jugé que son expérience n'était pas récente, comme l'exigeait le guide de présélection élaboré par le jury de présélection. Pour ce qui est du deuxième critère, on a estimé que rien ne démontrait qu'il avait eu de l'expérience sur le plan des relations avec les médias à titre de représentant de Santé Canada. On a jugé que le Dr Timothy Scott était le seul candidat parfaitement compétent, et c'est lui qui a obtenu le poste.

Paragraphe 142

Le Dr Chopra en a appelé (sic) de la nomination, alléguant que ses compétences et celles du Dr T. Scott n'avaient pas été bien évaluées. Le 14 novembre 1994, Mme Helen Barkley, du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, a rejeté l'appel. Dans sa décision, Mme Barkley a conclu que c'est à titre de simple citoyen et non à titre de représentant ministériel, que le Dr Chopra avait eu des rapports avec les médias, et que, de toute façon, ces rapports avec eu trait à des questions sociales. Donc, [Traduction] il ne possédait pas l'expérience de gestion qu'exigeait le poste. Elle a ajouté qu'elle n'avait décelé aucune preuve de préjugé de la part de l'un ou l'autre des membres du jury de présélection, Mme Francine Krueger, de la CFP, et le Dr Saul Gunner, directeur général de la Direction des aliments, dont faisait partie le Bureau des médicaments vétérinaires.

Paragraphe 288

Par ailleurs, le Dr Chopra n'a pas à mon avis fait l'objet d'un traitement défavorable dans le cadre du concours tenu en décembre 1993 pour doter le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Bien que sa candidature ait été rejetée à la présélection en raison de son manque d'expérience récente en gestion, on a également jugé qu'il ne répondait pas au deuxième critère sur le plan de l'expérience, à savoir les relations avec les organismes externes. On n'a produit aucune preuve indiquant que le Dr Chopra satisfaisait en fait à ce critère ou que le fait qu'il ne possédait pas cette expérience était attribuable à un comportement discriminatoire de la part de l'intimé. Je suis convaincu que le Dr Chopra n'était pas compétent pour le poste et que, par conséquent, le critère Shakes n'a pas été satisfait.

[41] Dans la décision Bassude c. Santé Canada, 2005 TCDP 21, le membre instructeur Groarke a estimé, s'agissant de la nomination Scott, que la question avait déjà été jugée.

[42] À l'audience, l'avocat du plaignant a fait valoir cependant que le tribunal Hadjis n'avait pas examiné ce qui était arrivé à la suite des mesures correctives qui ont été ordonnées quand le Dr Casorso a obtenu gain de cause dans son appel, et il a prié le Tribunal d'étudier la question. En réponse à cet argument, l'intimé a fait valoir que toute la question de la nomination du Dr Scott était maintenant chose jugée, affirmant que les faits étaient essentiellement les mêmes dans les deux cas (concours initial et concours ultérieur). Le plaignant a nié que la question fût chose jugée, parce que les points litigieux n'étaient pas les mêmes, même si les faits étaient sans doute les mêmes.

[43] Le dossier montre que, le 3 mars 2006, une formation du Tribunal a statué sur une objection formelle élevée par l'intimé à l'encontre du dépôt, par le plaignant, de preuves intéressant le processus de sélection qui avait conduit à la nomination du Dr Timothy Scott au poste de directeur, BMV (Basudde c. Santé Canada), 2006 TCDP 10 :

[28] Cela dit, le Tribunal ne peut cependant pas omettre de tenir compte du fait que M. Hadjis dans sa décision a effectivement tiré des conclusions de fait à l'égard des allégations de discrimination se rapportant à des événements survenus à un moment autre que durant la période de 1990 à 1992, à savoir la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV.

[29] À cet égard, M. Hadjis a conclu que le Dr Chopra n'avait pas fait l'objet d'un traitement qui l'avait défavorisé dans le cadre du concours de décembre 1993 visant à doter le poste de directeur, BMV. M. Hadjis a, en outre, conclu qu'il n'avait été fourni aucune preuve indiquant que le Dr Chopra avait, en fait, l'expérience requise pour traiter avec des organismes externes (décision Hadjis, au paragraphe 288). Sur cette base, M. Hadjis a conclu que le Dr Chopra n'avait pas les compétences requises pour occuper le poste et qu'il n'y avait aucune preuve prima facie de discrimination.

[30] Même si on peut dire que ces conclusions de fait tirées par M. Hadjis ne sont qu'accessoires à la question fondamentale qu'il devait trancher, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur, BMHP, je ne peux omettre d'en tenir compte.

[...]

[33] Le Tribunal conclut par conséquent ce qui suit : La période traitée par la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra était la période de 1990 à 1992, plus précisément jusqu'au 16 septembre 1992, date du dépôt de la plainte. La dotation du poste de directeur, BMHP, était au cur de la plainte déposée en 1992. Des allégations additionnelles de discrimination ont été soulevées au cours de la deuxième audience tenue par M. Hadjis à l'égard de la plainte déposée en 1992, notamment des allégations de discrimination se rapportant au processus de sélection de décembre 1993 qui a mené à la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV. Ces allégations, même si elles étaient accessoires et ne faisaient pas partie de la portée de la plainte déposée en 1992, ont amené M. Hadjis à tirer certaines conclusions de fait. Le Tribunal ne peut pas omettre de tenir compte de ces conclusions, mais elles doivent être examinées dans le contexte de la plainte déposée en 1992 et de l'analyse effectuée par M. Hadjis à l'égard du concours de décembre 1993.

[34] Dans son analyse de la preuve se rapportant au concours de 1993 (décision Hadjis, aux paragraphes 141 et 142), M. Hadjis a pris en compte seulement les faits se rapportant au concours initial. Il n'a pas traité des mesures correctives qui ont été mises en application après que M. Casorso eut gain de cause dans son appel. Il n'a pas traité non plus des événements survenus après la mise en application de ces mesures correctives ni de toute allégation de discrimination se rapportant aux événements qui ont suivi la mise en application des mesures correctives.

[35] Le Tribunal conclut, par conséquent, que les événements survenus après qu'eut été rendue la décision du CACFP en novembre 1994 n'ont pas été pris en compte par M. Hadjis et que ce dernier n'a pas rendu une décision à leur égard. Ses conclusions de fait se limitent au concours initial de 1993 et ne traitent pas de l'ensemble du processus se rapportant à la dotation du poste de directeur, BMV.

[36] Sur ce point, le Tribunal ne souscrit pas à l'affirmation de l'intimé selon laquelle les mesures correctives mises en application après la décision Casorso sont incluses dans l'ensemble du processus de sélection d'un directeur du BMV, processus qui a débuté en décembre 1993 et qui s'est terminé en février 1995 par la confirmation du Dr Scott au poste de directeur, BMV.

[44] Vu cette décision antérieure sur la question de la nomination du Dr Scott, le Tribunal examinera, comme partie intégrante de la présente plainte, les incidents survenus à la suite des mesures correctives qui furent ordonnées après que le Dr Carsoso eut obtenu gain de cause dans son appel.

C. La carrière du Dr Chopra à Santé Canada

[45] Le Dr Chopra est originaire de l'Inde. Il a commencé à travailler à Santé Canada en 1969. En 1987, il est devenu évaluateur de médicaments à la Division de l'innocuité pour les humains, Bureau des médicaments vétérinaires, au niveau VM-4. Son emploi à Santé Canada a pris fin en 2004.

[46] Le dossier montre que, durant son emploi à Santé Canada, le Dr Chopra a occupé deux fois des postes intérimaires, en 1988 et en 1996. La première fois, selon la preuve, le Dr Chopra a occupé à titre intérimaire le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, en 1988, durant environ six semaines, avant que le Dr Yong ne fût nommé à ce poste, puis ensuite, par intervalles, lorsqu'on le lui demandait, jusqu'en 1992 environ. La deuxième fois, selon la preuve, le Dr Chopra a occupé à titre intérimaire le poste de chef de la Division du système nerveux central et des médicaments endocriniens durant une période de quatre mois à la fin de 1996 et au début de 1997 (du 7 octobre 1996 au 7 février 1997) et que, en tant que chef de cette division, il agissait à l'occasion, durant quelques jours ici et là, comme directeur du Bureau des médicaments vétérinaires.

[47] Appelé à dire si quelqu'un au sein du ministère avait déjà émis des doutes sur son rendement lorsqu'il a occupé à titre intérimaire, à quelques reprises, le poste de chef ou de directeur, le Dr Chopra a affirmé qu'il n'en était rien, que personne, au sein du ministère ou en dehors, ne s'était plaint à son sujet lorsqu'il a agi comme directeur ou chef.

[48] Le dossier montre que, dès 1979, le Dr Chopra s'était montré désireux d'avoir des occasions d'acquérir une expérience de la gestion à des niveaux plus élevés. Ses évaluations annuelles, avant qu'il n'intègre le Bureau des médicaments vétérinaires, et alors qu'il travaillait au Bureau des médicaments, mentionnent que des programmes de formation à la gestion sont recommandés pour cet employé afin de répondre à ses aspirations professionnelles et qu'il avait reçu une formation approfondie en gestion.

[49] Les observations suivantes apparaissent dans son évaluation de 1979, signée par le Dr Ian Henderson : [TRADUCTION] Il est évident que cet employé considère que son avenir se trouve dans les domaines de l'élaboration de politiques et de la gestion. Il agit de facto comme chef de section pour la spécialité de l'immunologie, mais ceci n'a pas été établi formellement dans sa description de tâches, ni dans sa rémunération. Il est quelque peu frustré par son incapacité à progresser au sein de la structure de direction de la Direction générale de la protection de la santé et, à l'heure actuelle, il est à la recherche d'une occasion de s'engager sur la voie d'une carrière de gestionnaire, tout en tentant de maintenir son expertise dans la discipline scientifique de l'immunologie.

[50] Dans son évaluation de l'année 1980-1981, il est écrit que le Dr Chopra a reçu une formation approfondie en gestion, tandis que son évaluation de 1981-1982 mentionne qu'il a acquis une formation approfondie en gestion.

[51] Dans le cadre de son évaluation de 1981-1982, il est mentionné que cet employé a reçu une formation approfondie en techniques de gestion, notamment un diplôme en perfectionnement des cadres supérieurs de la Commission de la fonction publique et que son plein potentiel reste sous-utilisé, que, en dépit d'une formation régulière approfondie et d'une expérience des systèmes de gestion et en dépit d'une connaissance intime du contrôle réglementaire international des produits de soins de santé, aucun avancement professionnel véritable n'a été possible. Néanmoins, l'employé a pu maîtriser sa frustration et il continue de montrer de l'initiative et de l'énergie comme il sied à un professionnel. Ces observations sont répétées dans son évaluation de 1982-1983.

[52] Dans son évaluation de 1986-1987, il est écrit que, lorsque l'occasion lui en est donnée, le Dr Chopra se comporte en gestionnaire compétent. Dans son avant-dernière évaluation annuelle avant qu'il n'intègre le Bureau des médicaments vétérinaires, celle de 1987-1988, il est écrit que le Dr Chopra possède une vaste expérience des affaires de réglementation et a prouvé son aptitude à gérer les situations délicates qui requièrent à la fois des connaissances scientifiques, du tact et des compétences en écriture, qu'il pourrait obtenir un avancement à un niveau supérieur au sein du service et que ses aspirations devraient être prises en compte. Dans son évaluation de l990, signée par les Drs Yong et Messier, il est écrit que le Dr Chopra a la capacité de réaliser ses aspirations professionnelles (postes de direction). On l'encourage à participer au Programme d'affectations ministérielles. Ses évaluations ultérieures sont moins détaillées.

[53] Le dossier révèle que, en 1991, le Dr Chopra avait de nouveau manifesté, à des représentants de Santé Canada, M. Ballantyne et le Dr Liston, son intérêt pour des occasions d'acquérir une expérience de la gestion à des niveaux supérieurs. La preuve montre que le Dr Chopra s'était dit préoccupé par le fait que, selon lui, on lui refusait cette possibilité. Au cours de son témoignage, il a exprimé l'avis que le ministère offrait cette possibilité (c'est-à-dire l'expérience de la gestion hiérarchique) à tout le monde sauf à lui.

[54] Le Dr Chopra a dit à maintes reprises, durant son témoignage, qu'il répondait à toutes les conditions requises pour un poste de direction et que, à son avis, vu ses évaluations antérieures, il était plus à même que n'importe qui d'autre d'occuper des postes de direction, c'est-à-dire des postes de chef ou de directeur. La preuve montre que le Dr Chopra s'était laissé dire, à cet égard, qu'il lui fallait une expérience récente de la gestion hiérarchique.

[55] Il convient de noter, à propos de l'avancement professionnel du Dr Chopra, que M. Hadjis a tiré les conclusions suivantes dans sa décision de 2001 :

[261] Le plaignant a allégué que, au cours de cette même période (1969-1987), il n'a pas bénéficié de la part de son employeur des conseils et de l'aide qui lui auraient permis d'acquérir l'expérience en gestion nécessaire pour accéder à un poste de gestion supérieur. Dès 1974, on a conseillé au Dr Chopra de s'inscrire à des programmes de perfectionnement professionnel tels que le CAP; plus tard, on lui a conseillé de s'inscrire au PAM. La preuve montre que le plaignant n'a pas donné suite à ces recommandations.

[262] Le tribunal Soberman a conclu que de telles responsabilités ne peuvent être laissées totalement à la seule attention de l'employé dans une bureaucratie aussi grande et que l'insensibilité de l'intimé a aggravé la frustration du Dr Chopra et, en fin de compte, a fait naître chez lui des soupçons quant à la possibilité que la discrimination raciale ait joué un rôle dans le fait qu'il a été ignoré. Néanmoins, le premier tribunal a jugé que ces conclusions ne permettaient pas d'établir une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, j'ajouterai que les nouvelles preuves qui m'ont été présentées ont étayé l'argument voulant que, en fin de compte, c'est à l'employé qu'il incombe de chercher et d'obtenir de telles occasions de formation et d'avancement. Par conséquent, j'estime qu'on ne peut à partir de ces circonstances conclure qu'il y a eu discrimination de la part de l'intimé.

D. Le traitement injuste réservé au Dr Chopra

[56] Au soutien des allégations selon lesquelles le plaignant aurait été victime de discrimination, l'avocat du plaignant a évoqué plusieurs cas où, affirme-t-il, Santé Canada l'a traité injustement par comparaison avec d'autres employés de Santé Canada. Dans ses conclusions, l'avocat du plaignant affirmait que ces cas devraient être considérés comme des cas allant au-delà du traitement injuste dont le Dr Chopra a été victime par rapport à d'autres employés, pour englober les représailles ou le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[57] Vu que le Tribunal a déjà décidé de ne pas examiner les incidents ou aspects qui ont déjà été considérés par des formations antérieures, les incidents qui, selon le Tribunal, intéressent la présente instance sont 1. la plainte Zohair, 2. la plainte Elanco, 3. la suspension imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance en 1999, 4. l'exclusion du Dr Chopra de certains projets.

[58] À l'exception de la plainte Elanco, la plainte Zohair, la suspension du Dr Chopra et son exclusion de certains projets ne sont pas indiquées comme des cas de discrimination dans les formulaires de plainte ni dans les allégations additionnelles, la plainte Zohair et la suspension du Dr Chopra étant postérieures au dépôt des formulaires de plaintes et des allégations additionnelles en juin 1999.

(i) La plainte Zohair

[59] Le dossier montre que, en juillet 1999, Mme Shaida Zohair, secrétaire du chef de la Division de l'innocuité pour les humains, où le Dr Chopra travaillait comme évaluateur, a déposé une plainte de harcèlement à l'encontre du Dr Chopra. Santé Canada a ordonné l'ouverture d'une enquête indépendante. L'enquêteur a conclu que le Dr Chopra s'était peut-être rendu coupable d'arrogance, d'insensibilité ou de comportement condescendant, mais ni la fréquence - trois incidents seulement sur une période d'un an - ni la nature - ils n'étaient ni importants ni graves - des actes commis n'attestaient un comportement pouvant constituer du harcèlement. Selon la preuve, le Dr Chopra s'est vu imposer une réprimande par le directeur général de la Direction des aliments et qu'il a déposé un grief contre cette décision. La preuve montre aussi que le grief du Dr Chopra a été reçu par le sous-ministre adjoint, qui a ordonné que la lettre de réprimande soit enlevée du dossier du Dr Chopra.

[60] L'avocat du plaignant a dit, dans ses conclusions orales, que, s'il avait évoqué la plainte Zohair, c'était pour deux raisons précises : d'abord, pour montrer comment le Dr Chopra avait eu connaissance de la plainte - la plainte avait été déposée en juillet 1999 et le Dr Chopra n'en a été informé qu'en septembre 1999 - et ensuite pour montrer comment les plaintes déposées contre le Dr Chopra étaient considérées par rapport aux plaintes déposées par lui.

[61] À ce sujet, la preuve montre que le Dr Chopra a eu connaissance de la plainte par l'entremise de l'enquêteur. Il semble que personne au sein du ministère ne l'en avait informé. Aucune explication n'a été donnée de cette omission. La preuve montre aussi que le Dr Chopra avait le droit d'être informé de la plainte aussitôt après son dépôt.

[62] Dans le cadre de la présente instance, le Tribunal ne saurait tirer de cet incident davantage que les constatations suivantes : le ministère a fait enquête sur la plainte, une réprimande a été prononcée contre le Dr Chopra puis celui-ci a déposé un grief contre la réprimande et a obtenu gain de cause. Vu les conclusions de l'avocat du plaignant, le Tribunal devra examiner si la plainte Zohair constitue des représailles ou du harcèlement de la part de Santé Canada.

[63] Plus troublante cependant est l'affirmation que le Dr Chopra a faite au cours de son témoignage, lorsqu'il a dit que la plainte de Mme Zohair avait été manigancée par le ministère, c'est-à-dire que le ministère avait incité Mme Zohair à entrer en conflit avec lui. Cette affirmation est restée tout au long de l'audience une allégation non prouvée qui, de ce fait, mine la crédibilité du plaignant au regard de certaines de ses affirmations.

(ii) La plainte Elanco

[64] Dans l'exposé des précisions annexé à sa plainte modifiée, le plaignant écrit que, au début de 1997, il a encore une fois fait l'objet de calomnies et de diffamation de la part des Drs G. Paterson et D. Landry, qui l'ont accusé faussement d'avoir manifesté un comportement inacceptable envers Elanco, une entreprise pharmaceutique, lors d'une réunion du BMV. Les accusations avaient été suivies d'une plainte reconventionnelle et d'une menace de poursuites judiciaires, le plaignant ajoutant qu'aucune sanction n'a, encore une fois, été prise contre les auteurs des fausses accusations.

[65] L'incident Elanco a pour origine une lettre envoyée par le représentant d'une entreprise pharmaceutique, le Dr Dick, qui se plaignait d'une réunion à laquelle avaient assisté le Dr Chopra et des évaluateurs du BMV, à une époque où le Dr Chopra était le chef intérimaire de la Division du système nerveux central en février 1997. Le Dr Chopra a témoigné qu'il avait considéré la lettre comme une atteinte à sa réputation. Il a témoigné ensuite que non seulement le ministère ne l'a pas appuyé pas, mais encore que, en envoyant copie de la lettre à plusieurs personnes à l'intérieur de Santé Canada, il a contribué à noircir sa réputation. La preuve montre que le Dr Chopra a appris que la lettre ne serait pas utilisée à son détriment. En fait, le Dr Chopra n'a jamais été sanctionné à la suite de cet incident.

[66] La preuve montre que, après avoir reçu la lettre de plainte, le directeur général, le Dr Paterson, a écrit à Elanco, lui disant que l'affaire ne devrait pas être exacerbée. La décision de Santé Canada de tenter de désamorcer la situation n'a pas eu l'heur de plaire au Dr Chopra, qui voulait que le ministère sanctionne le Dr Dick et l'oblige à présenter des excuses. Devant l'inaction de Santé Canada, le Dr Chopra a déposé un grief, demandant l'ouverture d'une enquête. Le ministère a décidé, après l'instruction du grief, de faire un complément d'enquête. Cependant, le ministère a mis un terme à l'enquête lorsque le Dr Chopra a indiqué qu'il n'y participerait pas pleinement.

[67] Le Tribunal a du mal à voir en quoi la diffamation peut intéresser la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela dit, l'incident Elanco a été l'objet d'un intense échange de vues dans la présente instance. Durant l'audience, le Dr Chopra a établi un lien entre le traitement de la plainte par le ministère et la question de la discrimination. L'acte discriminatoire serait l'absence d'une réaction adéquate de Santé Canada devant la plainte du Dr Dick. Selon l'avocat du plaignant, l'attitude adoptée par le ministère dans la plainte Elanco s'inscrit dans le climat de discrimination dont le Dr Chopra a été victime au fil des ans à Santé Canada. Lorsqu'il est porté atteinte à la carrière du Dr Chopra par des commentaires défavorables, de dire l'avocat du plaignant, rien n'est fait, ou presque rien.

[68] Le Tribunal estime que l'accusation initiale de diffamation portée contre l'intimé à la suite de la plainte Elanco n'entre pas dans le champ de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par ailleurs, le Tribunal relève que, à l'époque, le Dr Chopra ne s'est jamais plaint d'une quelconque discrimination de la part de quiconque. Néanmoins, vu l'allégation du plaignant, le Tribunal examinera l'incident de la plainte Elanco au regard des questions de discrimination et de représailles.

(iii) La suspension imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance

[69] Le dossier montre que, le 26 mars 1999, le Dr Chopra a assisté à titre de conférencier à la conférence annuelle sur l'équité en matière d'emploi de Patrimoine Canada. Selon le sommaire des délibérations déposé en preuve, le Dr Chopra a précisé qu'il était intervenu personnellement dans la lutte contre le racisme au sein de la fonction publique au cours des dix années antérieures et que, durant cette période, il n'avait constaté aucune amélioration malgré ce que les délégués avaient pu entendre de la bouche d'autres présentateurs au cours de cette conférence annuelle. Le Dr Chopra a dit, dans son témoignage, qu'il avait exprimé alors une inquiétude, tirée de ses expériences personnelles à la suite de la décision ACNRI, ainsi que sa profonde insatisfaction à l'égard de la manière dont le ministère appliquait l'ordonnance issue de ladite décision. Selon lui, la situation n'évoluait pas.

[70] Le dossier montre aussi que le Dr Chopra avait envoyé aux organisateurs de la conférence un résumé de cinq lignes dans lequel il écrivait que les résultats obtenus depuis 1987 montraient que la Loi sur l'équité en matière d'emploi et les autres lois de même nature avaient eu pour effet de perpétuer un racisme sans freins. Le Dr Chopra ajoutait dans le résumé que tout donnait à penser qu'il en serait ainsi bien au-delà de l'an 2000.

[71] Le dossier montre que, quelques mois après la conférence, le Dr Lachance a envoyé une lettre au Dr Chopra portant la date du 21 juillet 1999. Dans sa lettre, le Dr Lachance se réfère à des propos tirés, semble-t-il, d'un enregistrement sonore des travaux de la conférence, où le Dr Chopra aurait dit : [traduction] Après trois ans à Santé Canada, vous avez eu des nouvelles de notre directeur général des Ressources humaines hier, Bob Joubert. Tout ce que je puis vous dire maintenant, je n'y étais pas, chaque mot était un mensonge parce que rien ne change à Santé Canada, et nous, à l'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales [il convient de noter ici que le Dr Chopra fut à une certaine époque membre de l'Alliance] envisageons de déposer une accusation d'outrage au tribunal contre les trois ministères, à savoir le Conseil du Trésor, la Commission de la fonction publique et Santé Canada.

[72] Durant son témoignage, le Dr Chopra n'a pas nié qu'il avait pu dire qu'il n'avait constaté aucune amélioration. Il a cependant nié tout d'abord avoir dit que M. Joubert était un menteur, puis il a affirmé qu'il ne pouvait pas nier ou confirmer s'il l'avait dit ou non, parce qu'il n'avait aucun moyen de le savoir. Le Dr Chopra a déclaré cependant que, si quelqu'un du ministère avait dit que tout avait été réglé et qu'il n'y avait plus aucun problème, alors c'était un mensonge.

[73] La preuve montre que, à la suite de cet incident, le Dr Lachance a imposé au Dr Chopra une suspension de cinq jours sans rémunération et que le Dr Chopra a déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique un grief se rapportant audit incident. La preuve montre que le grief du Dr Chopra est allé en arbitrage, que son grief a d'abord été rejeté par le sous-ministre adjoint, mais plus tard reçu par la Commission des relations de travail dans la fonction publique. L'arbitre a ordonné à l'employeur d'annuler la suspension, de verser au Dr Chopra le manque à gagner entraîné par ladite suspension et d'enlever du dossier du Dr Chopra tous les documents s'y rapportant. Le Dr Chopra a témoigné que le ministère ne lui a jamais présenté d'excuses pour l'avoir sanctionné à la suite des propos qu'il avait tenus.

[74] Dans ses conclusions, l'avocat du plaignant a dit que la question soulevée ici concerne la manière dont le ministère répond aux préoccupations du Dr Chopra. Il s'agit ici d'un cas où le Dr Chopra parle du racisme qui a cours dans la fonction publique, et où le ministère, par l'entremise du Dr Lachance, lui impose une sanction au lieu de s'asseoir avec lui pour examiner la question. Pour l'avocat du plaignant, le message envoyé par le ministère est que ce dernier ne tolérera aucun débat public ni aucune critique sur les questions de discrimination.

[75] L'avocat du plaignant a également affirmé au Tribunal que, selon lui, en imposant au Dr Chopra une suspension de cinq jours, le ministère, plus précisément le Dr Lachance, a exercé des représailles à l'encontre du Dr Chopra pour des propos qu'il avait tenus à la faveur d'une tribune. L'avocat du plaignant a ajouté que, selon lui, le ministère n'a pas aimé ce que le Dr Chopra avait dit sur le ministère et que, pour cette raison, le ministère lui a imposé une suspension. Pour l'avocat du plaignant, c'est là une marque de discrimination.

[76] Vu ces allégations, le Tribunal examinera si la suspension imposée par le Dr Lachance au Dr Chopra en 1999 était un acte discriminatoire et constituait des représailles exercées en réaction contre le dépôt d'une plainte.

(iv) L'exclusion du Dr Chopra de certains projets

[77] Le dossier révèle que le Dr Chopra a été exclu de certains examens scientifiques menés en 1991 (Ractopamine) et en 1993 (Flumequine) au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, au Bureau des médicaments vétérinaires. Le Dr Chopra a déclaré dans son témoignage qu'on ne lui a jamais expliqué pourquoi il avait été ainsi exclu.

[78] Au cours de son contre-interrogatoire portant sur ces incidents, le Dr Chopra a été prié de dire s'il considérait ou non son exclusion comme une marque de discrimination ou de représailles de la part de Santé Canada. Le Tribunal croit que la réponse donnée alors par le Dr Chopra était pour le moins imprécise, encore que le Dr Chopra ait précisé au cours de son témoignage qu'il n'avait pas vu cela comme une discrimination, mais comme des représailles, ajoutant qu'il avait eu le sentiment d'être ciblé par Santé Canada pour s'être plaint de racisme. L'avocat du plaignant a fait valoir que l'exclusion du Dr Chopra de l'étude Flumequine représente un exemple de certaines des possibilités qui, sans raison apparente, ont été refusées au Dr Chopra.

[79] Le tribunal Soberman et le tribunal Hadjis ne semblent pas avoir examiné cet aspect, c'est-à-dire l'exclusion du Dr Chopra de certains projets menés sous l'égide du Bureau des médicaments vétérinaires. En tout état de cause, son exclusion du projet Ractopamine aurait dû être examinée par le tribunal Soberman, qui s'était prononcé sur la plainte déposée par le Dr Chopra en septembre 1992. Quant à l'étude Flumequine, elle entre dans le champ de la plainte actuelle. Vu la nature de l'allégation faite par le Dr Chopra concernant le motif de son exclusion, le Tribunal se prononcera sur cette question dans le contexte d'une accusation de représailles.

E. La crédibilité du Dr Chopra

[80] Dès le début de ses observations, l'avocat de l'intimé a soutenu que la crédibilité était ici la question centrale, affirmant que le Dr Chopra n'était pas un témoin crédible, compte tenu de son attitude durant le contre-interrogatoire, de son comportement général, de ses généralisations hâtives, de la preuve contradictoire qu'il a produite, enfin des allégations de complot qu'il a faites.

[81] Au soutien de ces affirmations, l'avocat de l'intimé a fait valoir que le Dr Chopra avait refusé de répondre à certaines questions et s'était montré évasif dans ses réponses, qu'il avait donné des explications qui n'avaient aucun sens, qu'une partie de sa preuve était inexacte et que, très souvent, il n'avait pas réagi et s'était montré raisonneur. Pour l'avocat du plaignant, c'était là une attaque frontale menée contre le Dr Chopra.

[82] En réponse à l'attaque frontale de l'avocat de l'intimé contre la crédibilité du Dr Chopra, l'avocat du plaignant a entrepris de placer dans le contexte des questions posées l'attitude, les commentaires, les éclats et le témoignage général du Dr Chopra.

[83] Au cours de ses observations, l'avocat de l'intimé a renvoyé le Tribunal à l'affaire Dhanjal (Dhanjal c. Air Canada, [1996] D.C.D.P. n° 4), à l'affaire Martin (Martin c. Gouvernement de la bande Saulteaux, D.T. 07/02), à l'affaire Hill (Hill c. Air Canada, [2003] D.C.D.P. n° 3) et à l'affaire Singh (Singh c. Canada (Statistique Canada), [1998] D.C.D.P. n° 7), affirmant que nombre des commentaires faits dans ces précédents à propos du plaignant s'appliquaient directement au Dr Chopra. L'avocat de l'intimé s'est plus précisément référé aux passages suivants :

Dhanjal

L'attitude du plaignant en contre-interrogatoire, lequel a été relativement bref et mené correctement par l'avocat de l'intimée, a été révélatrice de sa personnalité. Il s'est montré agressif, tentant souvent d'éviter de répondre aux questions, argumentant souvent avec le procureur et allant même jusqu'à refuser de répondre à certaines questions. Le Tribunal a dû le rappeler à l'ordre en lui ordonnant de répondre aux questions posées et de cesser d'argumenter avec le procureur plus d'une fois. Le plaignant a même manqué de respect envers le procureur au moins une fois en traitant sa question d'idiote au lieu d'y répondre. Bref, par son attitude, le plaignant a accrédité pleinement la thèse de l'avocat de l'intimée, à savoir que M. Dhanjal est un individu irascible, peu coopératif et manipulateur et que ce sont ces traits de personnalité qui ont été la cause véritable de ses problèmes de relations de travail avec Guy Goodman. (Décision Dhanjal, paragraphe 181.)

Martin

J'ai également été peu convaincue par la preuve présentée par Julia Night. L'attitude de celle-ci était fort différente lors de son témoignage en interroga[toire] principal et de son contre-interrogatoire. Lors de son témoignage en interrogatoire principal, Mme Night semblait agréable et amicale, tandis que durant le contre-interrogatoire, elle était souvent sur la défensive et parfois très agressive. Mme Night a fait preuve d'un degré surprenant d'hostilité à l'endroit de l'avocat de la Commission, compte tenu que son rôle dans les événements ayant mené au dépôt de la plainte était marginal, et que sa conduite n'était pas en cause en l'espèce. (Décision Martin, paragraphe 102.)

Hill

M. Hill a été un témoin partial; sa perception des faits était souvent influencée par ses sentiments. Il a eu tendance à tout ramener à un dénominateur commun : le traitement injuste dont il a été l'objet. [...] J'ai néanmoins constaté que le comportement de M. Hill dans la salle d'audience était foncièrement agressif. Je comprends son sentiment d'injustice, mais il s'est nettement trompé ou mépris sur un certain nombre d'éléments et n'a pas voulu faire la part des choses. (Décision Hill, paragraphes 11 et 12.)

Singh

Le tribunal n'entretient aucun doute en ce qui concerne la bonne foi de M. Singh qui est convaincu d'avoir été la victime de discrimination en fonction de l'âge et de son origine nationale ou ethnique durant la presque totalité de son emploi à Statistique Canada : en fait, pendant toute la durée de son témoignage, le sentiment de l'outrage ressenti à l'égard du traitement que lui aurait infligé l'intimé était perceptible. Pendant toute la durée de son témoignage, toutefois, M. Singh a souvent fait des affirmations péremptoires lorsqu'il a semblé qu'il pensait que cela pourrait faire avancer sa cause. Même s'il retirait habituellement ces affirmations lorsqu'on l'encourageait à le faire, cette tendance suscite néanmoins des inquiétudes concernant la fiabilité de M. Singh comme témoin. (Décision Singh, paragraphe 169.)

[84] Après avoir entendu le témoignage du Dr Chopra, le Tribunal ne doute nullement que le Dr Chopra ressent de la colère et de l'amertume contre Santé Canada et qu'il a le sentiment d'avoir été victime d'un traitement injuste, de discrimination, de représailles et de harcèlement. Il a l'impression qu'une conspiration a été fomentée contre lui à Santé Canada et que Santé Canada a orchestré certains événements dans le dessein de le faire mal paraître.

[85] Le Tribunal considère que, durant son témoignage, le Dr Chopra a fait des généralisations hâtives qui portent atteinte à sa crédibilité ou, à tout le moins, à son objectivité ou qui donnent à penser qu'il n'a pas le sens des proportions. Ainsi, le Dr Chopra disait, à propos des commentaires du Dr Gunner (Qu'en est-il de Shiv Chopra?), qu'il croyait - il le croyait alors et il le croit maintenant - que les Canadiens sont aujourd'hui un peuple raciste. Mais il y a du racisme à Santé Canada et au sein du gouvernement du Canada. Comme je l'ai dit plus haut, le tribunal Hadjis a estimé que les commentaires du Dr Gunner n'étaient nullement discriminatoires, même si le Dr Chopra en a pris ombrage.

[86] Durant son témoignage, le Dr Chopra a exprimé l'avis que toute nomination faite à Santé Canada depuis 1977 avait été discriminatoire. Il est allé jusqu'à affirmer, s'agissant de savoir s'il y avait ou non des conflits interpersonnels entre lui et ses collègues, que les conflits en question étaient en fait des plaintes fabriquées de toutes pièces contre lui par la direction ou au nom de la direction.

[87] Naturellement, le Dr Chopra a droit à ses propres opinions, par exemple sur la question de savoir si le ministère, ou sa division, était ou non fonctionnel, sur la question de savoir si les plaintes étaient ou non portées contre lui personnellement ou contre le ministère, ou sur la question de savoir s'il s'entendait ou non avec les gens ou avec ses collègues. Tout cela est affaire d'opinion. Comme l'a dit l'avocat du plaignant, il s'agit là des manières de voir du Dr Chopra, et il peut avoir raison comme il peut avoir tort. Cela dit, le Tribunal ne saurait ignorer le fait que les vues exprimées sans réserve par le Dr Chopra sont enracinées dans de solides convictions qui nécessairement influencent l'opinion qu'il a de Santé Canada, de la direction de Santé Canada, de ses collègues ainsi que de la discrimination.

[88] Le Tribunal a aussi observé que, durant le contre-interrogatoire du Dr Chopra, ses réponses allaient le plus souvent bien au-delà de ce qui était nécessaire pour répondre à la question et que le Dr Chopra avait tendance à donner sa propre interprétation des choses. Naturellement, le Dr Chopra a le droit de donner une réponse complète aux questions qui lui sont posées. Néanmoins, ses réponses prenaient parfois la forme d'un long discours sur la discrimination au sein du ministère, sur l'absence de changements, etc. Maintes et maintes fois, le Tribunal a dû lui rappeler qu'il devait répondre à la question qui lui était posée et que, s'il voulait donner des renseignements additionnels, il devait le faire après avoir répondu à la question.

[89] Le Tribunal a remarqué aussi que, parfois, le Dr Chopra n'hésitait pas à faire des déclarations qui n'avaient aucun fondement dans la preuve, par exemple à propos du travail du Dr Alexander (son travail consistait à harceler les gens), de la plainte Zohair (le ministère a incité Mme Zohair à entrer en conflit avec lui), de la plainte Elanco (c'est Santé Canada qui était à l'origine de la plainte) et de l'incident Casorso (qu'en est-il de Shiv Chopra?), que le Dr Chopra rattachait aux commentaires du Dr Liston. Les déclarations de ce genre minent la crédibilité générale d'un témoin et, dans le cas du Dr Chopra, le Tribunal se doit d'être très prudent quant aux opinions qu'il a exprimées, plus particulièrement quant à sa manière d'interpréter les raisons pouvant expliquer les actions et décisions de Santé Canada.

[90] Après examen des extraits pertinents du témoignage du Dr Chopra, le Tribunal croit que le Dr Chopra avait tendance à faire des conjectures ou des suppositions sur certains événements, au lieu de dire qu'il ne savait pas, et à se targuer de connaître certains sujets ou à amplifier sa connaissance de certains sujets, par exemple les titres de compétence, les antécédents et l'expérience de collègues ou de gestionnaires. Souvent, dans ses réponses, le Dr Chopra ajoutait des petites observations qui étaient sans rapport avec la question posée.

[91] Le Tribunal voit le Dr Chopra comme une personne dogmatique, péremptoire, très sûre d'elle, fière, soucieuse de se faire entendre, une personne qui défend ses droits, qui a très à cur les questions d'équité en matière d'emploi, qui n'acceptera aucune forme de discrimination, flagrante ou subtile, qui déposera un grief dès qu'il aura l'impression de ne pas avoir été traité équitablement ou que l'on a pris des décisions qu'il juge déraisonnables. Il cédera rarement, même devant une preuve incontestable contredisant ses affirmations. La preuve montre aussi que, d'après son expérience passée auprès de Santé Canada, et d'après les décisions antérieures de tribunaux des droits de la personne, le Dr Chopra est d'avis que les représentants de Santé Canada sont des racistes, et que toute la population du Canada l'est aussi.

[92] Mais le Dr Chopra est également quelqu'un qui a travaillé dans un ministère qui, selon les conclusions d'un tribunal des droits de la personne, a agi d'une manière discriminatoire à l'égard des minorités visibles (la décision ACNRI) et auquel il a été ordonné d'appliquer des mesures correctives, temporaires et permanentes, visant à régler les questions de discrimination. Par ailleurs, le dossier montre que le Dr Chopra a été lui-même victime de discrimination de la part de Santé Canada (le tribunal Hadjis), que des événements se sont déroulés dans son dos alors qu'il travaillait à Santé Canada et que des commentaires défavorables ont été formulés à son sujet sans qu'il en soit informé (la plainte Drennan, la note Cuddihy et le Dr Liston).

[93] Le Tribunal est d'avis que, vu la manière dont le Dr Chopra s'est conduit durant son contre-interrogatoire, sa crédibilité est un aspect important, sinon crucial, dans la présente affaire, ainsi que l'a affirmé l'avocat de l'intimé. Cela dit, le Tribunal est néanmoins d'avis que, vu le contexte particulier dans lequel cette plainte a été déposée, c'est-à-dire après la décision ACNRI et la décision Hadjis, le Tribunal doit examiner plus avant les allégations faites par le Dr Chopra au regard des articles 7, 10, 14 et 14.1 de la Loi et considérer l'ensemble de la preuve, qu'elle soit testimoniale, documentaire ou circonstancielle, pour voir si les dispositions en cause ont été transgressées.

III. LES QUESTIONS DE FOND

[94] La plainte déposée par le Dr Chopra contre Santé Canada contient plusieurs allégations qui se rapportent à la discrimination, aux représailles et au harcèlement. Avant d'analyser chacune de ces allégations, il importe d'énoncer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui intéressent l'analyse desdites allégations, ainsi que les principes juridiques applicables.

A. Les dispositions applicables de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[95] La plainte du Dr Chopra se réfère aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, dans la mesure où le Dr Chopra allègue que son employeur s'est livré à du harcèlement et à des représailles, aux articles 14 et 14.1 de la Loi.

(i) Article 7

[96] Dans sa plainte, le Dr Chopra écrit qu'il a été victime de discrimination fondée sur son origine ethnique, puisqu'il est originaire de l'Inde. L'article 7 de la Loi dispose que Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; b) de le défavoriser en cours d'emploi. Les motifs de distinction illicite, qui sont énoncés à l'article 3 de la Loi, sont la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

(ii) Article 10

[97] Dans sa plainte, le Dr Chopra allègue que Santé Canada s'est livré à de la discrimination systémique et la violation par Santé Canada de l'article 10 de la Loi, ainsi rédigé : Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale : a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

(iii) Article 14

[98] Le Dr Chopra affirme que certaines des mesures prises par Santé Canada à son encontre constituent du harcèlement. L'alinéa 14(1)c) de la Loi est rédigé ainsi : Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d'emploi.

(iv) Article 14.1

[99] Le Dr Chopra soutient que nombre des mesures prises par Santé Canada constituaient des représailles. Au sujet des représailles, l'article 14.1 de la Loi est rédigé ainsi : Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

(v) Article 65

[100] L'article 65 de la Loi mérite également d'être mentionné au regard des dispositions susmentionnées de la Loi. Le paragraphe 65(1) dispose ainsi : Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie. Quant au paragraphe 65(2) de la Loi, il est ainsi rédigé : La personne, l'organisme ou l'association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s'il établit que l'acte ou l'omission a eu lieu sans son consentement, qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets.

B. Les principes juridiques applicables

[101] Il importe d'entrée de jeu d'exposer les principes juridiques applicables à l'examen des points soulevés par le plaignant contre l'intimé qui concernent la discrimination, les représailles et le harcèlement.

(i) Discrimination

[102] Dans les affaires portant sur les droits de la personne, de même que dans les affaires civiles, il incombe au plaignant, ou au demandeur, d'établir ce qu'il avance, selon la prépondérance de la preuve. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Ltd. (O'Malley), [1985] 2 R.C.S. 536.

[103] Cela dit, dans les procédures portées devant les tribunaux des droits de la personne, le plaignant doit établir une preuve prima facie de discrimination avant que la charge de la preuve soit transférée à l'intimé, lequel doit alors donner une explication raisonnable, autre qu'un simple prétexte, propre à convaincre le Tribunal que, par exemple, la raison pour laquelle une personne n'a pas été nommée à un poste n'avait absolument rien à voir avec un motif de distinction illicite. Comme l'écrivait le juge McIntyre dans l'arrêt O'Malley, la preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire est une preuve qui porte sur les allégations faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffit à justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé. Autrement dit, la preuve prima facie est une preuve qui, si elle est jugée crédible, et si l'intimé n'y répond pas d'une manière satisfaisante, suffira au plaignant pour avoir gain de cause.

[104] Dans la décision Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), [2005] A.C.F. n° 731, la Cour fédérale a jugé que le critère O'Malley était le critère juridique de la preuve prima facie de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon ce précédent, est une question mixte de droit et de fait la question de savoir si la preuve produite dans un cas donné suffit à établir une différence préjudiciable de traitement fondée sur un motif de distinction illicite, lorsque cette preuve est jugée crédible et que l'intimé n'y a pas répondu d'une manière satisfaisante (décision Morris, paragraphe 27).

[105] Le Tribunal partage l'opinion exprimée dans la décision Singh c. Canada (Statistique Canada), [1998] D.C.D.P. n° 7, au paragraphe 197, opinion selon laquelle, pour que soit établi une preuve prima facie de discrimination, le plaignant doit offrir davantage que des généralisations hâtives. Par ailleurs, comme on peut le lire dans la décision Bobb, une simple allégation selon laquelle telle ou telle conduite était motivée par des considérations raciales ne saurait remplacer une preuve des faits (Bobb v. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), [2004] A.J. No. 117, paragraphe 76). Le Tribunal partage également l'opinion selon laquelle un tribunal devrait s'abstenir de conclure à la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite lorsque la discrimination alléguée par le plaignant peut raisonnablement avoir une autre explication.

[106] La conviction, si ferme soit-elle, qu'une personne est victime de discrimination ne permet pas en droit de conclure à l'existence de discrimination ni n'établit une preuve prima facie de discrimination (Singh c. (Statistique Canada) [1998] D.C.D.P. n° 7, paragraphe 206). Comme on peut le lire dans la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., [2005] TCDP 32, au paragraphe 40, il doit exister une preuve, c'est-à-dire des faits matériels qui, s'ils sont jugés crédibles, rendront la discrimination plus probable que l'absence de discrimination, compte tenu de l'ensemble des circonstances.

[107] Finalement, pour qu'il y ait preuve prima facie de discrimination, il ne suffit pas au plaignant d'affirmer qu'il était qualifié ou plus qualifié, qu'il faisait partie d'un groupe qui a toujours été la cible de la discrimination et qu'il n'a pas obtenu le poste (Potocnik c. Thunder Bay (City), 1996 O.H.R.B.I.D. No 29, paragraphe 13).

[108] Au fil des ans, les tribunaux des droits de la personne ont reconnu que les plaignants disposent rarement d'une preuve directe attestant que la discrimination était le facteur à l'origine d'une décision ou d'un comportement, et cela parce que la discrimination n'est pas une attitude que l'on manifeste en général ouvertement. Comme on peut le lire dans la décision Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] D.C.D.P. n° 2, il est rare que l'on puisse établir la discrimination au moyen d'une preuve directe.

[109] Un plaignant qui allègue la discrimination doit donc le plus souvent s'en remettre à une preuve circonstancielle, et notamment à la manière dont telle personne ou telle organisation s'est comportée envers lui (Brooks c. Canada (Ministère des Pêches et des Océans), 2006 A.C.F. n° 1569, paragraphe 27). Le critère est le suivant : la preuve circonstancielle, si elle est jugée crédible, va-t-elle dans le sens de la discrimination alléguée?

[110] Dans la décision Brooks, le Tribunal écrivait, au sujet de la preuve circonstancielle, qu'il ne suffit pas que la preuve circonstancielle soit compatible avec une inférence de discrimination. Cela ne fait qu'établir la possibilité de discrimination, ce qui ne suffit pas à prouver le bien-fondé de la cause. La preuve doit être incompatible avec d'autres possibilités. (Décision Brooks, paragraphe 114.)

[111] Cela dit, comme on peut le lire dans la décision Wall c. Kitigan Zibi Education Council, [1997] D.C.D.P. no 6, la norme de preuve dans les affaires de discrimination reste la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités et, s'agissant de la preuve circonstancielle, le critère est le suivant : on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse (B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, Carwell, 1987, page 142).

[112] Partant, pour savoir si une conduite alléguée est ou non discriminatoire, le Tribunal doit analyser et examiner attentivement la conduite en soi ainsi que le contexte dans lequel elle s'est manifestée, en gardant à l'esprit, comme on peut le lire dans la décision Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] D.C.D.P. n° 2, que, pour qu'un plaignant obtienne gain de cause, il n'est pas nécessaire que la discrimination soit l'unique raison de l'acte reproché, il suffit qu'elle l'explique en partie (décision Marinaki, paragraphe 191). L'intention d'exercer de la discrimination ne permet pas de conclure à l'existence de discrimination (Nova Scotia (Human Rights Commission) v. Play it Again Sports Ltd, [2004] N.S.J. No 403, paragraphe 37).

[113] Quant à l'évaluation des chances qu'a une personne d'obtenir un poste intérimaire ou un poste permanent, l'avocat du plaignant a renvoyé le Tribunal à un arrêt de la Cour d'appel fédérale, Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401, et plus précisément à l'opinion du juge Marceau, en faisant valoir que, pour établir qu'une personne aurait obtenu un certain poste, il n'est pas nécessaire de prouver que, sans l'acte discriminatoire, elle aurait certainement obtenu le poste. Selon l'avocat du plaignant, il suffit de prouver que, sans l'acte discriminatoire, il est fort possible qu'elle l'aurait obtenu (décision Morgan, page 412).

(ii) Représailles

[114] La Loi canadienne sur les droits de la personne, dans sa forme actuelle, ne considère les représailles ou les menaces de représailles que dans le cadre d'une plainte qui a été déposée et d'une conduite qui fait suite à la plainte ainsi déposée (Witwicky c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2007] D.C.D.P. n° 28). La source des représailles doit donc être le dépôt d'une plainte et non, par exemple, un événement qui est survenu avant le dépôt de la plainte. La loi est claire. L'article 14.1 ne considère les représailles qu'en rapport avec le dépôt d'une plainte. Par ailleurs, comme l'écrivait le Tribunal dans la décision Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] D.C.D.P. n° 2, paragraphe 224, l'article 14.1 de la Loi est entré en vigueur le 30 juin 1998, sans effet rétroactif. Appliquer la nouvelle disposition de la Loi concernant les représailles aux actes survenus avant l'entrée en vigueur de la disposition, ce serait attacher des conséquences nouvelles à des incidents qui ont eu lieu avant l'entrée en vigueur de la disposition. On donnerait ainsi, selon le Tribunal, un effet rétroactif à la Loi, ce qui n'est pas en général admissible et ce que le libellé du texte législatif n'autorise pas.

[115] Le dossier montre que la plainte initiale du Dr Chopra porte la date du 13 mai 1998. Ainsi, pour être considéré comme une mesure de représailles aux termes de l'article 14.1 de la Loi, le fait invoqué dans une allégation de représailles doit avoir eu lieu après le 30 juin 1998. Il s'ensuit que le Tribunal ne saurait considérer comme représailles les actes ou faits antérieurs au 30 juin 1998, à savoir la présumée exclusion du Dr Chopra du projet Flumequine en 1993, la nomination Scott en 1994, l'incident Elanco en 1997, et la nomination du Dr Lachance en février 1998. Les seuls faits auxquels l'article 14.1 de la Loi puisse s'appliquer sont la plainte Zohair de 1999, la nomination du Dr Butler et du Dr Alexander en 1999 à des postes intérimaires et la suspension imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance en août 1999.

(iii) Harcèlement

[116] La Loi canadienne sur les droits de la personne ne définit pas le harcèlement, mais la jurisprudence donne une telle définition. Dans la décision Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, le Tribunal écrivait que le harcèlement réside essentiellement dans la création d'un climat de travail hostile qui porte atteinte à la dignité personnelle du plaignant. Dans la décision Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2002] D.C.D.P. n° 2, le Tribunal examinait les éléments qui doivent être pris en compte lorsqu'il s'agit de savoir s'il y a eu harcèlement au sens de l'article 14 de la Loi.

[117] Dans l'affaire Marinaki, le Tribunal exprimait l'avis que les victimes de harcèlement n'ont pas à démontrer qu'elles ont subi des pertes financières, et que, pour qu'un comportement soit assimilable à du harcèlement, il faut une certaine répétition ou persistance, encore que, dans certains cas, un seul incident grave suffise à constituer du harcèlement (décision Marinaki, paragraphes 188-191). Comme on peut le lire dans le jugement Bobb v. Alberta (Human Rights and Citizenship Commission), [2004] A.J. No 117, un seul incident peut, dans certains cas, suffire à créer un milieu de travail hostile. Dans ces cas, la nature de la conduite doit être appréciée selon la règle des données inversement proportionnelles : plus graves sont la conduite et ses conséquences, moins la répétition de cette conduite sera nécessaire; à l'inverse, moins grave sera la conduite, plus elle devra avoir persisté.

C. Les allégations en cause

[118] Vu la décision du Tribunal concernant la plainte Drennan, les commentaires Liston et l'incident Gunner, ces sujets ne font pas partie des questions sur lesquelles le Tribunal doit se prononcer au regard de la présente plainte.

[119] Les questions à examiner dans le cadre de la plainte actuelle sont de trois ordres : premièrement, le Tribunal examinera les aspects liés à divers postes à pourvoir, à savoir la nomination du Dr Scott au regard des mesures correctives qui furent ordonnées (1995), la nomination du Dr Lachance au poste de directeur, BMV (1997), l'autonomination du Dr Paterson au poste de directeur, BMV (1998), et les nominations du Dr Alexander et du Dr Butler comme chefs par intérim (1999). Deuxièmement, le Tribunal examinera les incidents que le plaignant a désignés comme porteurs de discrimination ou de représailles, à savoir les propos tenus par le Dr Lachance lors d'une réunion du BMV (1998), la suspension imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance (1999), la plainte Zohair (1999) et la plainte Elanco (1997). Troisièmement, le Tribunal examinera l'allégation de discrimination systémique faite par le plaignant.

[120] Comme je l'ai dit précédemment, le plaignant affirme, dans ses formulaires de plainte, ainsi que dans l'exposé des précisions annexé à l'un des formulaires de plainte et dans ses allégations additionnelles, qu'il a été victime de discrimination et de représailles de la part de Santé Canada et qu'il a été harcelé et discrédité par Santé Canada. Le Tribunal évaluera lesdites allégations au regard des éléments suivants : discrimination, représailles et harcèlement.

[121] Dans son exposé des précisions, l'avocat du plaignant écrit que, bien que la plainte du Dr Chopra soit fondée sur une preuve de discrimination se rapportant à plusieurs incidents particuliers, tous ces incidents doivent être considérés dans leur contexte et comme partie d'un schéma qui est le résultat de discrimination raciale systémique. Par conséquent, il est impératif que les incidents décrits dans la plainte soient considérés globalement et les uns par rapport aux autres, pour que les rapprochements requis puissent être faits et pour que des conclusions soient tirées concernant l'incidence de la discrimination systémique en milieu de travail.

[122] Dans ses observations finales, l'avocat de l'intimé a fait valoir que, pour nombre des allégations de discrimination faites par le Dr Chopra, aucun élément de preuve ne permet de conclure à la discrimination, si ce n'est de simples allégations de discrimination et de racisme, rien de plus, en tout cas rien qui puisse autoriser le Tribunal à conclure à la discrimination. Pour l'avocat de l'intimé, les allégations du Dr Chopra ne sont pas crédibles et aucune n'a été confirmée par qui que ce soit. Selon lui, la crédibilité est le facteur décisif en l'espèce. Par ailleurs, il soutient que les allégations qui n'ont pas été soulevées promptement devraient être considérées avec suspicion.

[123] Dans ses observations orales, l'avocat du plaignant a invité le Tribunal à examiner l'historique de la présente affaire, affirmant que l'historique en question comprend notamment les décisions antérieures rendues dans l'affaire Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales (la décision ACNRI), et l'affaire Chopra (la décision Hadjis), et que lesdites décisions présentent le contexte dans lequel s'inscrit la présente plainte. Pour l'avocat du plaignant, le Tribunal ne saurait ignorer les conclusions tirées par les formations antérieures, ni le contexte dans lequel elles ont été tirées, étant donné qu'elles l'ont été à l'époque de certains des faits se rapportant à la présente plainte et qu'elles auraient influé sur les perspectives de carrière du Dr Chopra.

[124] Sur ce point, l'avocat du plaignant a fait valoir qu'il sera extrêmement utile pour le Tribunal de savoir qu'il a été jugé que le ministère s'était livré à des actes discriminatoires à une époque immédiatement antérieure aux événements qui intéressent le Tribunal, ou à la même époque que lesdits événements. L'avocat du plaignant a aussi fait valoir que, s'il y a eu discrimination en 1991, alors, vu le passé du ministère, il y aura eu discrimination également après cette année-là.

[125] Le dossier montre que, dans la décision Hadjis, le Tribunal avait estimé que le candidat qui avait obtenu en 1991 le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits n'était pas qualifié, que le Dr Chopra avait été victime de discrimination au regard de cette nomination et que, si le Dr Chopra avait exercé à cette époque les fonctions de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits, il aurait pu justifier d'une expérience récente en gestion, condition préalable pour franchir l'étape de la présélection (décision Hadjis, paragraphe 266).

[126] Dans la décision Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales (la décision ACNRI), le Tribunal avait fait plusieurs constatations, à savoir les suivantes :

  1. il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la haute direction à Santé Canada;
  2. le fait que les membres des minorités visibles n'accèdent pas aux postes de direction ne peut pas s'expliquer par un manque d'intérêt ni un manque de compétences techniques ou professionnelles de leur part;
  3. le fait que les membres des minorités visibles à Santé Canada n'ont pas l'expérience requise en gestion pour pouvoir être promus à des postes de haute direction a été un thème courant dans les témoignages;
  4. l'expérience nécessaire en gestion peut être obtenue par la nomination à des postes intérimaires, par l'exercice de responsabilités de supervision et par des programmes de formation en gestion;
  5. les nominations intérimaires ont représenté une très forte proportion de l'ensemble des mesures de dotation à Santé Canada entre 1991 et 1995;
  6. les nominations intérimaires ont souvent été effectuées sans concours et selon un processus officieux. En conséquence, on ne prend pas en considération des personnes potentiellement qualifiées pour le poste ou, lorsqu'une nomination intérimaire est contestée, le processus de sélection ultérieur est influencé par un préjugé involontaire de telle sorte que la personne nommée à l'origine est habituellement maintenue en fonction;
  7. les membres des minorités visibles obtenaient proportionnellement moins de postes intérimaires que les autres employés;
  8. les membres des minorités visibles étaient désavantagés dans la façon dont ils prenaient connaissance des postes intérimaires à pourvoir. Les employés n'appartenant pas aux minorités visibles se voyaient plus souvent demandés par leurs gestionnaires de poser leur candidature, tandis que les membres des minorités visibles devaient être plus dynamiques afin de découvrir les possibilités de nominations intérimaires;
  9. les membres des minorités visibles recevaient une formation moindre en gestion que les employés n'appartenant pas aux minorités visibles;
  10. les employés n'appartenant pas aux minorités visibles étaient plus souvent informés des possibilités de formation en gestion par leurs gestionnaires, tandis que les membres des minorités visibles devaient compter beaucoup plus sur eux-mêmes pour prendre connaissance de ces possibilités;
  11. les membres des minorités visibles étaient désavantagés dans le domaine de la supervision d'autres employés. La formation en gestion et le fait d'avoir auparavant occupé un poste par intérim accroissaient la probabilité d'exercer des responsabilités de supervision tant pour les employés n'appartenant pas aux minorités visibles que pour les membres des minorités visibles. Cependant, dans le cas des employés n'appartenant pas aux minorités visibles et ayant reçu une formation en gestion, ou ayant occupé des postes par intérim, il y avait augmentation notable de la probabilité d'exercer des fonctions de supervision comparativement aux membres des minorités visibles;
  12. la haute direction considère les membres des minorités visibles comme culturellement différents au sein de Santé Canada et comme inaptes à occuper des postes de direction.

[127] Dans l'affaire ACNRI, le Tribunal a conclu que Santé Canada s'était livré à certaines pratiques de dotation en personnel qui étaient contraires à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et il a ordonné au ministère d'adopter et d'appliquer un programme spécial de mesures correctives, certaines d'entre elles de nature permanente et d'autres de nature temporaire.

(i) Questions se rapportant aux divers postes à pourvoir

[128] Dans ses formulaires de plainte datés du 13 mai 1998 et du 12 janvier 1999, ainsi que dans ses allégations additionnelles datées du 27 juin 1999, le plaignant écrit que, tout au long de sa carrière à Santé Canada, on lui a refusé des perspectives d'avancement. Il donne une série d'exemples pour montrer qu'on lui a refusé de telles perspectives, qu'aucun de ses collègues de race blanche n'a été traité de la même manière et que, s'il a été traité différemment des autres, c'est en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique.

[129] Le plaignant affirme aussi que Santé Canada a toujours évité d'offrir des postes de direction à des candidats qualifiés qui sont membres des minorités visibles et que la pratique générale du ministère consiste à recruter ses EX à l'intérieur même de Santé Canada, sauf si des candidats qualifiés et membres des minorités visibles sont intéressés par ces postes, auquel cas le ministère procède à un recrutement externe.

[130] Le Tribunal analysera donc les divers postes à pourvoir qui ont pu échapper au plaignant durant la période allant de 1993 à 1999, dans la mesure où d'autres tribunaux ne se sont pas prononcés sur les nominations en question.

a) La nomination du Dr Scott (1995)

[131] Dans les précisions jointes à sa plainte modifiée, le Dr Chopra écrit qu'il y a au moins deux exemples récents où des perspectives d'avancement lui ont été refusées. Puis il écrit que le premier de ces exemples remonte à 1997 (1993 après correction), lorsqu'il a rencontré le Dr Gunner, à l'époque directeur général de la Direction des aliments, lequel lui avait demandé ce qu'il convenait de faire pour qu'il soit traité avec équité. Le Dr Chopra lui avait répondu qu'il souhaitait se voir offrir le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires (BMV), qui était vacant. Le Dr Chopra avait alors posé sa candidature, mais elle avait été écartée. Quand il a fait appel de cette décision de dotation, on a rejeté son appel en lui disant que, s'il n'avait pas été retenu, c'était parce qu'il ne pouvait pas justifier d'une expérience de la gestion et des médias, ni d'une expérience internationale.

[132] Le plaignant affirme, dans son exposé des précisions, que rien de tout cela n'était vrai, qu'il pouvait justifier d'une expérience en gestion, acquise avant son intégration à Santé Canada et depuis qu'il avait intégré le ministère, le plus récemment en 1996, durant quatre mois, en tant que chef intérimaire de la Division des médicaments endocriniens, antiparasitaires et du système nerveux central. S'agissant de l'expérience des médias, le plaignant affirme qu'il a une grande expérience des médias, acquise à la faveur de son travail communautaire en matière de racisme et à la faveur de ses plaintes. S'agissant de l'expérience internationale, le plaignant dit qu'il est un boursier de l'Organisation mondiale de la santé.

[133] Le plaignant explique ensuite que le candidat retenu pour le poste de directeur du BMV fut le Dr Tim Scott, que le Dr Scott est de race blanche et qu'il vient d'Agriculture Canada. Le plaignant écrit que, peu après que le Dr Scott fut nommé au poste, il est devenu évident qu'il n'avait pas les compétences ni les connaissances requises pour le poste. Le plaignant affirme ensuite que le Dr Scott a obtenu à un certain moment une affectation spéciale auprès du directeur général de la Direction des aliments, le Dr George Paterson, et que celui-ci s'était lui-même désigné directeur intérimaire, tout en restant également directeur général et en conservant le Dr Scott en affectation spéciale auprès de lui. Le plaignant se dit alors convaincu que cela fut fait pour l'empêcher de présenter sa candidature au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires.

[134] Finalement, dans sa plainte, le plaignant évoque le fait que le poste de chef de la Division des médicaments endocriniens, antiparasitaires et du système nerveux central a été éliminé en février 1997 à la faveur d'une fusion, et il se dit convaincu que le poste de chef fut aboli pour l'empêcher, lui ainsi que les autres membres des minorités visibles au sein du BMV, de poser leur candidature à ce poste à la faveur d'un concours public.

[135] Comme je l'ai dit plus haut, le Tribunal n'examinera que les faits postérieurs à la décision d'ordonner des mesures correctives après que le Dr Casorso eut obtenu gain de cause dans son appel, il ne revisitera pas les questions examinées et tranchées par le tribunal Hadjis.

[136] Le plaignant est d'avis que les irrégularités que le ministère a été tenu de corriger auraient dû avoir pour résultat une nouvelle prise en compte de sa candidature au poste, outre celle du Dr Casorso, étant donné que la décision du comité d'appel de la Commission de la fonction publique profite à chacun des candidats, et, si le ministère n'a pas communiqué avec le plaignant, alors il faut considérer cela comme une mesure de représailles.

[137] Selon l'avocat du plaignant, le Dr Chopra aurait dû se voir offrir la possibilité de participer au nouveau concours, et, si le plaignant avait eu la possibilité de bénéficier des mesures correctives, il aurait été admis dans le concours et aurait dû être nommé au poste en question après les mesures correctives.

[138] D'après la preuve, le Dr Breton, de même que le Dr Chopra et le Dr Casorso, ont été écartés du premier concours parce qu'ils n'avaient pas l'expérience de la gestion ni l'expérience de représentant du ministère auprès des médias, deux conditions essentielles pour qu'un candidat fût admis dans le concours. Le dossier révèle aussi que le Dr Chopra et le Dr Casorso ont fait appel de la décision et que l'appel du Dr Chopra a été rejeté, tandis que celui du Dr Casorso a été accueilli.

[139] La preuve révèle aussi que, après que le Dr Casorso eut obtenu gain de cause dans son appel, le Dr Scott fut informé des mesures correctives destinées à répondre aux conclusions du comité d'appel. La preuve montre que nul n'a rencontré le Dr Chopra après que le Dr Casorso eut obtenu gain de cause dans son appel. En fait, la preuve révèle que, à l'exception du Dr Casorso, aucun des candidats qui avaient été écartés la première fois n'a été rencontré. Le Dr Breton, qui n'est pas membre d'une minorité visible, a témoigné que lui-même n'avait pas été rencontré après que l'appel du Dr Casorso fut accueilli.

[140] Dans ses observations orales, l'avocat de l'intimé a fait valoir qu'il n'y avait aucune raison pour l'intimé de communiquer avec le Dr Breton ou le Dr Chopra. Ce dernier s'était plaint de partialité devant le comité d'appel. Le dossier montre que, devant le comité d'appel, il avait déclaré avoir acquis de l'expérience considérable auprès des médias dans le secteur privé. Le comité d'appel avait relevé que l'expérience requise pour le poste était une expérience en tant que représentant ministériel auprès d'organismes externes. Le comité avait rejeté l'idée selon laquelle l'expérience acquise par le Dr Chopra auprès des médias en tant que particulier avait la même valeur que l'expérience en tant que représentant ministériel auprès des médias. Dans le cas du Dr Chopra, l'expérience récente et notable acquise au cours des cinq à dix années antérieures ne semble pas avoir été un facteur décisif.

[141] Selon le dossier, l'une des mesures correctives avait trait à l'élimination des critères temporels d'après lesquels l'expérience de la gestion d'une organisation scientifique, médicale ou vétérinaire dotée de programmes à volets multiples devait avoir été acquise au cours des dix années antérieures et avoir duré au moins cinq ans.

[142] Appelé à dire si, avec l'élimination des critères, c'est-à-dire des exigences susmentionnées de dix ans et cinq ans, il pensait qu'il aurait répondu à l'exigence relative à l'expérience, c'est-à-dire s'il avait l'expérience de la gestion d'une organisation scientifique, médicale ou vétérinaire dotée de programmes à volets multiples, le Dr Chopra a dit qu'on aurait dû lui donner l'occasion, comme au Dr Casorso, de se présenter devant le comité pour lui expliquer en quoi il répondait aux qualifications à l'origine de son élimination, et qu'il possédait de l'expérience préalable, une formation en gestion et une expérience pratique dans la formation de gestionnaires afin d'en faire de meilleurs gestionnaires dans une organisation scientifique et médicale. Durant son témoignage, le Dr Chopra a aussi fait valoir qu'une expérience récente n'était pas nécessaire parce qu'il avait fait le travail, qu'il avait reçu une formation et avait les connaissances requises, qu'il répondait à l'exigence d'une expérience des médias et qu'il avait une manière très délicate de composer avec les situations.

[143] Il convient de noter ici que, dans sa décision de 2001, M. Hadjis avait conclu que le Dr Chopra n'avait pas été la victime d'un traitement défavorable au regard du concours pour le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires ayant mené à la nomination du Dr Scott. M. Hadjis avait estimé sur ce point que, même s'il avait été éliminé à la présélection en raison de son manque d'expérience récente en gestion, on a également jugé qu'il ne répondait pas au deuxième critère sur le plan de l'expérience, à savoir les relations avec les organismes externes. On n'a produit aucune preuve indiquant que le Dr Chopra satisfaisait en fait à ce critère ou que le fait qu'il ne possédait pas cette expérience était attribuable à un comportement discriminatoire de la part de l'intimé. M. Hadjis avait conclu que, selon lui, le Dr Chopra n'était pas qualifié pour le poste (décision Hadjis, paragraphe 288). Durant son témoignage, le Dr Chopra a dit qu'il ne partageait pas les conclusions de M. Hadjis au regard de son expérience des médias.

[144] Le Tribunal estime que, même si l'on avait communiqué avec le Dr Chopra après que le Dr Casorso eut obtenu gain de cause dans son appel, il n'aurait pas pour autant répondu à l'une des conditions essentielles du poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, compte tenu de la conclusion de M. Hadjis.

[145] Le Tribunal estime donc que le plaignant n'a pas prouvé prima facie la discrimination au regard de cet aspect de la nomination du Dr Scott. Le simple fait que l'on n'ait pas communiqué avec le Dr Chopra ne suffit pas à établir une preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal estime que, même si le plaignant a raison de dire qu'on aurait dû communiquer avec lui après la mise en uvre des mesures correctives, aucun fait matériel établi n'ajoute foi à l'allégation selon laquelle, si l'on n'a pas communiqué avec lui, c'était à cause de son origine ethnique. La preuve montre que le Dr Breton, qui n'est pas membre d'une minorité visible, n'a pas lui non plus été rencontré après la mise en uvre des mesures correctives.

[146] Le Tribunal estime en outre que, si l'on n'a pas communiqué avec le Dr Chopra après que le Dr Casorso eut obtenu gain de cause dans son appel, il ne saurait pour autant s'agir d'une mesure de représailles de la part de Santé Canada. Comme je le disais plus haut, l'article 14.1 de la Loi n'est entré en vigueur que le 30 juin 1998 et il n'avait aucun effet rétroactif.

[147] Finalement, le Tribunal estime qu'aucune preuve n'a été apportée concernant l'élimination du poste de chef de la Division du système nerveux central et concernant le prétendu objet de cette élimination, c'est-à-dire la volonté d'empêcher le plaignant et d'autres membres des minorités visibles du Bureau des médicaments vétérinaires de poser leur candidature pour le poste à la faveur d'un concours public. Par conséquent, le Tribunal n'examinera pas cet aspect.

b) L'autonomination du Dr Paterson au poste de directeur du BMV (1997)

[148] La preuve révèle que, le 12 novembre 1996, le Dr Scott a été remplacé, à titre intérimaire, par le Dr Landry, chef de la Division de l'évaluation pharmaceutique, comme directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Le dossier montre que le Dr Yong avait occupé ce poste durant quatre mois avant le Dr Landry.

[149] Le Dr Chopra, qui, en février 1997, avait achevé une affectation intérimaire de quatre mois comme chef de la Division du système nerveux central, a témoigné qu'on ne lui a pas donné l'occasion d'occuper ce poste par la suite, parce que, selon le Dr Chopra, le Dr Paterson, directeur général, s'était nommé lui-même directeur intérimaire du Bureau. Selon le Dr Chopra, le Dr Paterson cumulait les deux postes, celui de directeur général et celui de directeur intérimaire du BMV, jusqu'à la nomination du Dr Lachance au poste de directeur en février 1998. Le Dr Chopra a témoigné qu'aucun concours n'avait été tenu pour doter le poste de directeur.

[150] Les Drs Paterson et Lachance n'ont pas été appelés à témoigner. Cela dit, il s'agit de savoir, dans le cadre de la plainte actuelle, si les mesures prises par le ministère étaient ou non discriminatoires, plus précisément si la décision de ne pas doter le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires ou d'attribuer des nominations intérimaires à d'autres personnes, y compris à des évaluateurs du Bureau, était ou non discriminatoire.

[151] Il convient de noter ici, au sujet du concours ayant mené à la nomination du Dr Scott, que le Dr Yong et le Dr Landry avaient tous deux été écartés en 1993 du concours tenu pour le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, comme l'avait été le Dr Chopra, mais qu'ils ont néanmoins été invités à occuper le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires pour une certaine période. La différence qui retient l'attention, c'est que le Dr Yong et le Dr Landry étaient tous deux chefs, ce qui n'était pas le cas du Dr Chopra, et avaient une plus grande expérience de la gestion que le Dr Chopra, qui venait de terminer une affectation intérimaire de quatre mois.

[152] Par ailleurs, si le Dr Chopra était devenu directeur intérimaire, il serait devenu le patron de son patron, le Dr Yong, une situation qui, du strict point de vue de la gestion, aurait pu être problématique puisque, une fois achevée l'affectation intérimaire, le Dr Chopra serait retourné à son poste d'évaluateur de médicaments au sein de la Division de l'innocuité pour les humains.

[153] Le Tribunal est d'avis que la procédure normale consiste à nommer le subalterne immédiat, en l'occurrence le Dr Yong et le Dr Landry, qui étaient chefs, et ce, depuis plusieurs années. La preuve révèle qu'aucun des collègues du Dr Chopra, c'est-à-dire aucun des autres évaluateurs, n'a été invité à occuper à titre intérimaire le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Le Tribunal convient avec l'avocat de l'intimé qu'il n'y a rien de fautif ou d'inhabituel en soi à ce que la direction décide d'éliminer temporairement un niveau de gestion.

[154] Cela dit, le Tribunal n'a pas à se demander, quant à la légitimité de l'occupation simultanée de deux postes par le Dr Paterson, si Santé Canada se conformait ou non à l'ordonnance rendue auparavant par le membre instructeur Groarke dans l'affaire ACNRI. Par ailleurs, la preuve montre que, à l'époque de l'autonomination du Dr Paterson au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, la Commission était en train de vérifier si Santé Canada se conformait à ladite ordonnance. La preuve montre que, selon la Commission, Santé Canada se conformait à l'ordonnance. Aucune preuve du contraire n'a été produite.

[155] Le Tribunal estime donc que, vu les circonstances, la décision du ministère de n'inviter à agir comme directeur du Bureau aucun des évaluateurs de la Division de l'innocuité pour les humains ou de la Division de l'évaluation pharmaceutique, les deux seules divisions qui existaient à l'époque au sein du Bureau des médicaments vétérinaires, semble avoir été raisonnable et ne saurait être qualifiée de discriminatoire.

[156] Le Tribunal estime donc que le plaignant n'a pas établi une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne l'autonomination du Dr Paterson comme directeur du Bureau des médicaments vétérinaires pour une certaine période en 1997.

c) La nomination du Dr Lachance (1998)

[157] Dans l'exposé des précisions annexé à sa plainte modifiée, le plaignant écrit qu'on lui a une deuxième fois, le 9 février 1998, refusé des perspectives d'avancement. À cette date, le Dr Paterson avait annoncé que le Dr André Lachance occuperait le poste de directeur étant donné que le Dr Scott avait pris sa retraite. Selon le plaignant, le Dr Lachance venait lui aussi d'Agriculture Canada et n'avait pas la formation requise ni l'expérience des domaines d'activité du Bureau, à savoir la science vétérinaire et la réglementation des médicaments. Le plaignant ajoute que l'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales (l'ACNRI) s'était opposée à sa nomination qui, selon elle, contrevenait à la décision du Tribunal rendue à propos de la plainte de l'ACNRI.

[158] Au sujet de la nomination du Dr Lachance, le plaignant a déposé des allégations additionnelles le 27 juin 1999. Dans ces allégations additionnelles, il écrit qu'il maintient que le Dr Lachance, qui est de race blanche, n'avait pas reçu la formation nécessaire, comme un diplôme en sciences vétérinaires, pour occuper le poste, et qu'il avait adressé une objection au directeur général, George Paterson, à propos de cette nomination. Le plaignant affirme ensuite que, en réponse à son objection à la nomination, le directeur général avait nié qu'une telle spécialisation fût requise.

[159] Dans l'exposé des précisions annexé à sa plainte modifiée, le plaignant évoque le fait qu'une pétition avait circulé concernant une remarque du Dr Lachance, remarque qui attestait une méconnaissance de la réalité culturelle. Au moment où il a été présenté officiellement aux employés du Bureau des médicaments vétérinaires le 9 février 1998, le Dr Lachance avait dit qu'il aimait bien les minorités visibles. Le plaignant affirme dans son exposé des précisions que, là encore, lui et d'autres candidats membres des minorités visibles ont été empêchés de poser leur candidature à un poste pour lequel ils étaient qualifiés, au bénéfice de candidats de race blanche moins qualifiés qui ont obtenu le poste sans devoir se soumettre à un concours.

[160] Les Drs Paterson, Scott et Lachance n'ont pas été appelés à témoigner. S'agissant du Dr Lachance, on s'est interrogé sur l'opportunité de l'appeler à témoigner. Le dossier révèle que, au début, l'avocat de l'intimé voulait produire un rapport médical qui aurait établi l'impossibilité pour le Dr Lachance de témoigner, vu son état de santé. Le Tribunal n'a jamais vu le rapport. L'avocat du plaignant s'est opposé au dépôt du rapport et a exigé que le médecin qui l'avait rédigé soit tenu de témoigner afin d'être contre-interrogé par l'avocat du plaignant. Finalement, ni le Dr Lachance ni son médecin n'ont été appelés à témoigner. Dans ses observations finales, l'avocat du plaignant a demandé au Tribunal de considérer défavorablement le fait que l'intimé n'avait pas appelé le Dr Lachance à témoigner et avait refusé d'appeler son médecin à témoigner.

[161] La preuve montre que, s'agissant de la nomination du Dr Lachance, une pétition a été envoyée à l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. La preuve révèle que, selon les auteurs de la pétition, la nomination du Dr Lachance était l'une des nombreuses nominations et promotions où le principe du mérite n'avait pas été observé. Les auteurs de la pétition se plaignaient de ce que le Dr Lachance arrivait d'Agriculture Canada pour remplacer sans concours le Dr Scott, alors que le Dr Scott avait été nommé à la suite d'un concours.

[162] Au cours de son témoignage, le plaignant a affirmé que, après la nomination du Dr Lachance, il avait émis des doutes sur sa nomination. Ses doutes portaient d'abord sur les titres de compétence du Dr Lachance et ensuite sur les remarques qu'il avait formulées lors d'une réunion après sa nomination. Le Dr Chopra a dit aussi qu'il s'était plaint au Dr Paterson à propos d'une culture organisationnelle insensible à la réalité raciale, une culture qui, malgré la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire ACNRI, demeurait présente au sein de la haute direction du ministère. Le Dr Chopra a témoigné que le Dr Paterson n'avait pas évoqué avec lui la question de savoir si la nomination du Dr Lachance s'accordait ou non avec l'ordonnance rendue dans l'affaire ACNRI. Selon le Dr Chopra, le Dr Paterson faisait partie du problème à Santé Canada.

[163] Dans son témoignage, le plaignant a réitéré sa conviction que le Dr Lachance n'avait pas la formation requise ni l'expérience des domaines d'activité du Bureau, à savoir la science vétérinaire et la réglementation des médicaments. Il a aussi exprimé la conviction que lui et d'autres candidats membres des minorités visibles avaient été empêchés de poser leur candidature à un poste pour lequel ils étaient qualifiés, et cela au bénéfice de candidats de race blanche moins qualifiés, qui avaient obtenu le poste sans passer par un concours.

[164] Le Dr Chopra a témoigné qu'on ne l'avait jamais rencontré pour savoir s'il était intéressé par le poste de directeur, à titre intérimaire, avant que la nomination ne soit faite et il a exprimé l'avis qu'on aurait dû penser à lui.

[165] Au sujet de l'énoncé de qualités afférent au poste de directeur, le Dr Chopra a été appelé à dire s'il répondait aux conditions de candidature pour la période de 1996 à 1998. Le Dr Chopra a répondu qu'il avait le niveau d'études requis, ainsi que le niveau d'expérience requis. Fort de l'expérience récente en gestion qu'il avait acquise comme chef intérimaire de la Division du système nerveux central, durant quatre mois, d'octobre 1996 à février 1997, il estimait répondre à toutes les conditions de candidature au regard de l'expérience.

[166] Le Dr Chopra a aussi soutenu qu'il avait également les connaissances requises, ainsi que la formation requise. Il a affirmé, se référant au Programme de perfectionnement des cadres supérieurs (PPCS), que personne n'avait reçu la formation structurée qu'il avait reçue. S'agissant de la connaissance des techniques de gestion, le Dr Chopra a invoqué son expérience en dehors du ministère, ajoutant qu'il était pleinement au fait de l'évaluation et du suivi des résidus de médicaments, qu'il avait une connaissance approfondie des programmes et activités existants de 1996 à 1998, ainsi que de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application. Le Dr Chopra a dit aussi qu'il avait une expérience considérable de la gestion des ressources tant humaines que financières et la capacité de gérer ces ressources, à quelque titre que ce soit, et qu'il répondait à toutes les autres caractéristiques liées aux aptitudes requises pour le poste, sans oublier les qualités personnelles.

[167] Pour l'avocat du plaignant, la présente affaire aurait été l'occasion idéale de promouvoir les minorités visibles, d'appliquer les principes de l'équité en matière d'emploi et de donner à un membre des minorités visibles de l'expérience en gestion au lieu de permuter deux autres employés. Pour lui, les droits de la personne supplantent toute autre considération.

[168] À propos de la nomination du Dr Lachance au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, le Tribunal a entendu le témoignage de Mme Gail Mclean. Mme Mclean était à l'époque directrice des services exécutifs, à Santé Canada.

[169] Mme Mclean a témoigné que le Dr Scott, un EX-2, voulait prendre sa retraite, mais qu'il ne voulait pas être pénalisé financièrement, étant donné qu'il n'avait pas atteint l'âge de la retraite ni ne possédait le nombre requis d'années de service. Mme McLean a témoigné que, à l'époque, il existait un programme, le Programme d'échange de postes, qui permettait à une personne sur le point de perdre son poste de prendre le poste d'une autre qui souhaitait prendre sa retraite. La preuve révèle que, à Agriculture Canada, le poste du Dr Lachance avait été déclaré excédentaire. Mme McLean a témoigné que, lorsque la décision fut prise de permuter le Dr Lachance et le Dr Scott, le ministère n'avait pas considéré l'effet sur les minorités visibles. Mme Mclean a témoigné aussi que l'on avait jugé que le Dr Lachance répondait aux exigences du poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires.

[170] Mme Mclean a expliqué que, pour être admissible à une permutation, les deux candidats devaient être du même niveau de gestion. D'après la preuve, le Dr Lachance était EX-2 à Agriculture Canada. Mme Mclean a témoigné que le ministère devait considérer une permutation avant d'effectuer une opération de dotation d'une autre nature, que ce soit une mutation ou un concours. Elle a témoigné que, à l'époque, le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires n'était pas vacant. Mme Mclean a affirmé aussi que la décision de procéder à une permutation était sans rapport avec le Dr Chopra et que c'est le Dr Scott qui en avait eu l'idée. Le Tribunal juge crédible le témoignage de Mme Mclean. Même si le Dr Paterson n'a pas été appelé à témoigner, la preuve montre que Mme Mclean est intervenue directement et immédiatement dans la permutation du Dr Landry et du Dr Scott.

[171] La preuve montre que la permutation a pris effet le 31 mars 1998, après que le Dr Scott eut quitté Santé Canada et que le Dr Lachance eut accepté l'offre de devenir directeur du Bureau des médicaments vétérinaires.

[172] Le Tribunal juge que, vu la procédure de permutation qui a été employée pour nommer le Dr Lachance, vu le témoignage de Mme Mclean sur les raisons qui avaient motivé le recours à cette procédure, c'est-à-dire le désir du Dr Scott de prendre sa retraite, vu son témoignage selon lequel la décision de procéder à une permutation était sans aucun rapport avec le Dr Chopra, le plaignant n'a pas prouvé prima facie qu'il y a eu discrimination. Le contexte et les circonstances entourant le départ du Dr Scott de Santé Canada et l'arrivée du Dr Lachance ne laissent voir aucune volonté de discrimination de la part de Santé Canada.

[173] Le Tribunal estime donc qu'il n'était pas discriminatoire de la part du ministère de ne pas offrir au Dr Chopra la possibilité de poser sa candidature au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires et que la décision a été prise pour véritablement rendre service au Dr Scott.

d) La nomination du Dr Alexander (1999)

[174] Dans ses allégations additionnelles datées du 26 juin 1999, le plaignant écrit que, lors d'une réunion tenue le 2 juin 1999 avec Mme Kerrie Strachan, agente des ressources humaines pour la Direction générale (et ancienne coordonnatrice des droits de la personne), il a été annoncé que le ministère procéderait à une nomination de quatre mois qui n'était assortie d'aucun droit d'appel. Le plaignant ajoute que Mme Strachan avait annoncé que, à la fin des quatre mois, le poste serait ouvert et un concours, avec examen et jury de sélection, aurait lieu. Il ajoute que, lorsqu'elle a été interrogée sur l'ordonnance rendue par le Tribunal dans l'affaire ACNRI et sur la transgression de cette ordonnance, Mme Strachan a refusé de débattre la question et la réunion a alors pris fin.

[175] Le plaignant écrit ensuite qu'il croit que cette nomination, de même que les possibilités qui lui furent refusées auparavant, en 1997 et 1998, sont manifestement discriminatoires et contreviennent d'une manière flagrante à l'ordonnance rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire ACNRI, qui obligeait Santé Canada à élaborer des pratiques propres à supprimer les barrières systémiques à l'avancement des employés membres des minorités visibles et propres à corriger la discrimination passée. Pour le plaignant, il est clair qu'il n'était pas pressenti pour les postes, que le ministère n'allait pas annuler la nomination du Dr Alexander et que le ministère avait pris des mesures qui constituaient des représailles à son encontre parce qu'il avait déposé une plainte de violation des droits de la personne, en ce sens qu'il était qualifié pour occuper les postes en question et qu'il en avait été écarté en raison de la plainte de harcèlement qu'il avait déposée.

[176] Dans ses allégations additionnelles datées du 26 juin 1999, le plaignant réaffirme que, en mai 1999, le Dr Lachance a nommé le Dr Ian Alexander chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains, pour une période de quatre mois. Le plaignant fait aussi part de sa conviction que le Dr Alexander, qui est de race blanche, n'avait ni l'expérience ni les études requises pour le poste.

[177] La preuve montre que, le 6 mai 1999, on a annoncé, lors d'une réunion de tout le personnel, que le Dr Yong, chef de la Division de l'innocuité pour les humains, serait en affectation durant un an et que, à compter du 5 mai 1999, le Dr Ian Alexander serait le chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains, durant une période de quatre mois. La preuve révèle que, au sein du Bureau des médicaments vétérinaires, le Dr Alexander était évaluateur à la Division de l'évaluation pharmaceutique et relevait du Dr Landry, tandis que le Dr Chopra était évaluateur à la Division de l'innocuité pour les humains et relevait du Dr Yong. La preuve montre aussi que, avant d'être offert au Dr Alexander, le poste intérimaire a été offert à un membre d'une minorité visible, à savoir le Dr Sharma, évaluateur à la Division de l'évaluation pharmaceutique, mais qu'il a refusé l'affectation intérimaire.

[178] La preuve montre que, s'agissant du poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, Santé Canada avait d'abord songé à pourvoir ce poste en y affectant un employé participant au Programme Cours et affectations de perfectionnement (CAP), que le seul candidat qualifié et disponible n'était pas intéressé par ce poste en tant qu'affectation CAP, que la décision fut prise de conduire un concours interne pour un poste intérimaire d'environ un an, ainsi que de nommer quelqu'un au poste durant une brève période pendant l'administration du concours, et que, à la lumière de certaines modifications projetées au sein de l'organisation, il avait été décidé que, avant de faire connaître cette affectation intérimaire, la classification du poste serait passée en revue.

[179] Durant son témoignage, le Dr Chopra a affirmé qu'aucun avis n'avait été affiché pour le poste intérimaire de chef, qu'il n'avait pas été mis au courant de la proposition d'organiser un concours pour la nomination intérimaire, qu'il n'avait pas été invité à poser sa candidature et qu'il n'avait pas été pressenti pour le poste. Le Dr Chopra a soutenu avoir eu connaissance après coup de la nomination du Dr Alexander. Le Dr Chopra a témoigné aussi que le Dr Alexander n'avait pas travaillé à la Division de l'innocuité pour les humains, qu'il n'avait pas les qualités requises pour les postes et n'avait aucune expérience s'y rapportant et qu'il avait été nommé sans concours, par décision du Dr Lachance. Le Dr Chopra a déclaré par ailleurs, durant son témoignage, qu'il était le plus qualifié pour le poste, qu'il avait récemment acquis de l'expérience de la gestion hiérarchique, puisqu'il avait été chef, durant quatre mois, au sein de l'une des Divisions de l'innocuité pour les animaux. Le Dr Chopra a également ajouté que le poste se trouvait directement dans son domaine immédiat de compétence, qu'il était le spécialiste dans ce domaine et qu'il justifiait d'une expérience internationale puisqu'il avait obtenu une bourse de l'OMS.

[180] Le Dr Chopra a affirmé durant son témoignage qu'il aurait bien voulu occuper en 1999 le poste de chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains. Il a ajouté qu'il avait trouvé étrange que, dans une note de K. Strachan, des Ressources humaines, le 30 avril 2003, plusieurs années après la nomination du Dr Alexander comme chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains, on puisse lire, s'agissant des raisons pour lesquelles des employés avaient été choisis en mai 1999 pour occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, que le Dr Lachance essayait à l'époque de s'assurer que les employés qui avaient été invités à occuper le poste n'entendaient pas poser leur candidature au poste quand il allait être pourvu en permanence, de manière à garantir l'équité de la nomination permanente. Selon le Dr Chopra, on procède aux nominations intérimaires et ensuite, le plus souvent, dans 93 p. 100 des cas, celui qui occupe le poste intérimaire obtient la permanence.

[181] La preuve montre que le Dr Chopra s'est opposé à la nomination du Dr Alexander, la jugeant discriminatoire et en contradiction flagrante avec l'ordonnance rendue par le Tribunal dans l'affaire ACNRI. Une lettre en ce sens, datée du 31 mai 1999, signée par le Dr Chopra et deux autres évaluateurs, a été envoyée au président de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans la lettre, le Dr Chopra et ses collègues demandent que la nomination du Dr Alexander soit annulée et que la même nomination soit offerte à des membres des minorités visibles travaillant à la Division de l'innocuité pour les humains.

[182] À l'audience, l'avocat de l'intimé a contesté l'affirmation du Dr Chopra selon laquelle Santé Canada avait transgressé l'ordonnance rendue par le Tribunal dans l'affaire ACNRI, et il s'est référé à la décision rendue antérieurement par le membre instructeur Groarke, où celui-ci avait jugé que toute question de conformité devait être soumise à la Cour fédérale. Pour sa part, l'avocat du plaignant a affirmé qu'il n'était pas dans son intention de poser la question de savoir si l'ordonnance rendue dans l'affaire ACNRI avait été observée ou non.

[183] Le dossier révèle que, dans une lettre datée du 8 juin 1999, le bureau du président de la CCDP avait répondu que l'ordonnance rendue dans l'affaire ACNRI obligeait Santé Canada à élaborer des programmes et pratiques propres à supprimer les obstacles systémiques qui avaient empêché l'avancement des employés membres de minorités visibles et à lancer des initiatives propres à corriger la discrimination passée. Le président ajoutait que l'objectif global de l'ordonnance était de veiller à ce que les minorités visibles à Santé Canada soient suffisamment représentées. On peut lire ensuite dans la lettre que l'ordonnance du Tribunal n'interdit pas la promotion de candidats n'appartenant pas à une minorité visible. La lettre mentionne ensuite que l'objet de la fonction de suivi exercée par la Commission d'après l'ordonnance du Tribunal est d'évaluer si Santé Canada fait des progrès acceptables en vue de l'observation des mesures permanentes et temporaires décrites dans l'ordonnance du Tribunal et que, à la date de la lettre, l'analyse de la Commission montrait que, dans l'ensemble, un tel progrès se voyait.

[184] Compte tenu de la lettre envoyée par la Commission canadienne des droits de la personne au Dr Chopra, où il est clairement indiqué que Santé Canada, en nommant le Dr Alexander chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains, ne transgressait pas l'ordonnance du Tribunal rendue dans l'affaire ACNRI, le Tribunal prend note du fait que Santé Canada n'a pas contrevenu à l'ordonnance ACNRI lorsque le ministère a nommé le Dr Alexander chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains.

[185] Par ailleurs, le Tribunal estime que le plaignant n'a pas prouvé prima facie qu'il y a eu discrimination au regard de la nomination, en mai 1999, du Dr Alexander au poste de chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains. Le dossier montre que le Dr Alexander avait l'expérience et la formation requises pour occuper ce poste. Le Dr Chopra a pu penser qu'il avait été victime de discrimination, mais une simple impression ne suffit pas à constituer une preuve prima facie de discrimination

[186] Cela dit, le Tribunal estime qu'il convient de noter que le Dr Chopra a écrit dans un document que le Dr Alexander avait été nommé chef intérimaire pour harceler les employés de la division. Cette idée montre clairement que, dès le départ, le Dr Chopra était mal disposé envers le Dr Alexander. La crédibilité du Dr Chopra s'en trouve amoindrie au regard de toute allégation de discrimination résultant de la nomination du Dr Alexander.

[187] S'agissant de l'affirmation du Dr Chopra selon laquelle la nomination constituait une mesure de représailles, le Tribunal estime que le Dr Chopra n'a pas expliqué en quoi la nomination du Dr Alexander avait valeur de représailles. Selon le Tribunal, le plaignant n'a pas établi que la nomination du Dr Alexander en mai 1999 comme chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains constitue de la part de Santé Canada une mesure de représailles en réponse au dépôt, par le Dr Chopra, d'une plainte relative aux droits de la personne.

e) La nomination du Dr Butler (1999)

[188] La preuve révèle que, en juillet 1999, le Dr Kelly Butler, chef de la Banque nationale de produits biologiques à Santé Canada, s'est vu offrir une mutation au poste de chef de la nouvelle Division des politiques et des programmes. Selon la preuve, une mutation est le déplacement d'un employé d'un poste à un autre poste du même groupe professionnel. La preuve montre que le Dr Chopra et certains de ses collègues ont déposé un grief devant la Commission de la fonction publique du Canada à l'encontre de la mutation du Dr Butler et que leur grief a été accueilli, l'enquêteur dans le dossier étant arrivé à la conclusion, le 9 novembre 2000, que la mutation du Dr Butler n'était pas conforme à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

[189] La preuve montre aussi que, à compter du 20 septembre 1999 et pour une période de quatre mois, jusqu'au 17 janvier 2000, alors qu'elle était demeurée chef de la nouvelle Division des politiques et des programmes, le Dr Butler avait été nommée chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains par le Dr Lachance. Le Dr Butler remplaçait le Dr Alexander dans le poste intérimaire. La preuve montre aussi que le Dr Butler a été nommée à nouveau chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains, du 17 janvier 2000 au 16 mai 2000, en attendant la classification de ce poste entreprise en décembre 1999, et qu'elle devait occuper le poste de directrice intérimaire du Bureau des médicaments vétérinaires durant l'absence du Dr Lachance, c'est-à-dire de janvier 2000 à février 2000.

[190] Appelé à dire pourquoi il était nécessaire à nouveau, le 20 septembre 1999, de pourvoir le poste occupé par le Dr Alexander, le Dr Chopra a dit que c'était parce que l'intérim du Dr Alexander avait expiré, de telle sorte qu'il devait être prolongé ou que quelqu'un d'autre devait être nommé. Le Dr Chopra a affirmé aussi, dans son témoignage, que le Dr Butler venait de l'extérieur du Bureau, qu'elle n'avait jamais travaillé au sein du Bureau, qu'elle n'avait aucune idée ni aucune connaissance du travail de la Division de l'innocuité pour les humains et que, selon lui, elle n'était pas qualifiée. Appelé à dire s'il avait déjà occupé le poste de chef de la Division, le Dr Chopra a témoigné qu'il avait occupé ce poste en 1988 durant environ six semaines, avant la nomination du Dr Yong, et par la suite, à certaines reprises, lorsqu'on le lui demandait, jusqu'en 1992 environ.

[191] Appelé à dire ce qu'il pensait de la nomination du Dr Butler, le Dr Chopra a soutenu qu'il n'approuvait pas cette nomination parce que c'était lui qui était le scientifique ayant le plus d'ancienneté au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, mais on ne lui avait jamais demandé d'occuper le poste, c'était toujours quelqu'un qui était de race blanche et qui venait de l'extérieur de la Division, d'abord le Dr Alexander, puis le Dr Butler, lesquels n'étaient, ni l'un ni l'autre, selon le Dr Chopra, qualifiés pour travailler dans cette Division.

[192] Selon le Dr Chopra, le Dr Butler n'était pas bilingue alors que le titulaire du poste devait être bilingue. Appelé à dire si, selon lui, il aurait été qualifié pour occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, le Dr Chopra a répondu que, puisqu'il était qualifié en 1988 et avait occupé le poste par intervalles, alors, même du point de vue de Santé Canada, il aurait certainement été qualifié.

[193] Le Dr Chopra a témoigné qu'il était le candidat le plus qualifié, qu'il avait, selon ses évaluations, toutes les qualités scientifiques, l'entregent et les aptitudes à la négociation, qu'il était courtois et bilingue, qu'il avait de l'expérience internationale, qu'il avait été boursier de l'OMS, qu'il avait une formation en gestion, procurée par la Commission de la fonction publique, qu'il avait travaillé comme formateur de gestionnaires à Santé Canada durant trois ans. Le Dr Chopra a fait observer aussi que le Dr Lachance, qui avait formulé des remarques racistes, nommait une personne de race blanche au poste même qui se trouvait dans son voisinage immédiat et relevait de son autorité immédiate.

[194] Au sujet des nominations du Dr Alexander et du Dr Kelly faites par le Dr Lachance, l'avocat du plaignant a fait valoir que, les deux fois, le Dr Chopra s'était vu refuser l'occasion d'occuper un poste de direction. L'avocat du plaignant a aussi fait valoir qu'il était troublant que le ministère refuse au Dr Chopra l'occasion d'occuper ce poste, en accordant ce poste au Dr Butler, alors que celle-ci occupait déjà un autre poste, voire deux autres postes, et qu'elle était nouvelle au Bureau des médicaments vétérinaires. Pour lui, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : pourquoi ne donnerait-on pas dans ces conditions le poste intérimaire au Dr Chopra? Pour l'avocat du plaignant, la conduite des gestionnaires de Santé Canada soulève des doutes sur la crédibilité du ministère et sur la question de la discrimination.

[195] L'avocat du plaignant affirme qu'il y avait un poste à la disposition du Dr Chopra, que le Dr Chopra était qualifié pour l'occuper, que d'autres se sont vu accorder le poste à plusieurs reprises et que ces nominations étaient motivées par des considérations raciales. Par ailleurs, pour l'avocat du plaignant, le ministère n'a pas donné d'explication valide des raisons pour lesquelles le Dr Chopra n'avait pas eu la chance d'occuper le poste. L'avocat du plaignant affirme également que tout cela équivaut à de la discrimination et il souligne que les conclusions tirées par le tribunal dans l'affaire ACNRI et par le tribunal Hadjis avaient clairement établi le fait que Santé Canada était une organisation où existait de la discrimination raciale à l'époque des faits visés par la présente plainte.

[196] L'avocat de l'intimé, pour sa part, a fait valoir que, même si la preuve montre que le Dr Chopra n'a pas été invité à poser sa candidature au poste intérimaire et qu'aucun concours n'a été organisé, cela ne signifie pas qu'il y a eu discrimination. Tout comme le Dr Chopra n'a pas été invité à poser sa candidature au poste intérimaire, aucun de ses collègues de la Division de l'innocuité pour les humains ne l'a été non plus, ni d'ailleurs aucun autre employé, qu'il fût partie ou non des minorités visibles. Tout le monde a donc été traité de la même façon.

[197] L'avocat de l'intimé a fait aussi valoir que Santé Canada n'était pas tenu d'offrir au Dr Chopra n'importe quel poste intérimaire qui pouvait se présenter et le fait que le poste ne lui a pas été offert, qu'il fût qualifié ou non pour l'occuper, ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination. Pour une raison quelconque, de dire l'avocat de l'intimé, Santé Canada n'a offert le poste à titre intérimaire à aucun des employés de la Division de l'innocuité pour les humains et une preuve prima facie n'est pas pour autant établie.

[198] La question ici n'est pas de savoir si le Dr Chopra aurait dû ou non devenir, ou serait ou non devenu, chef de la Division de l'innocuité pour les humains, au sein du Bureau des médicaments vétérinaires, mais de savoir s'il s'est vu ou non refuser un poste intérimaire en raison de sa race ou de son origine ethnique. Par conséquent, il n'importe pas de savoir si les deux personnes qui ont occupé par intérim le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains en 1998 ont obtenu le poste plus tard. La question est la suivante : le Dr Chopra, qui manifestait depuis des années de l'intérêt pour les postes de direction et qui avait déjà occupé par intérim le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains (1988) ainsi que le poste de chef de la Division des médicaments endocriniens, antiparasitiques et du système nerveux central (1996-1997), s'est-il vu refuser le poste intérimaire en raison de son origine ethnique?

[199] La nomination du Dr Butler au poste de chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains soulève plusieurs questions. Le Dr Butler a été, en juillet 1999, nommée chef d'une nouvelle division, la Division des politiques et des programmes. Le Dr Butler venait de l'extérieur du Bureau des médicaments vétérinaires, ce qui, d'après le dossier, n'est pas en soi inhabituel. Cela dit, il lui aurait fallu quelque temps pour s'adapter à ses nouvelles tâches et pour gérer la division efficacement.

[200] Or, le dossier révèle que, dès septembre 1999, le Dr Butler a été invitée à occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains durant une période de quatre mois, alors qu'elle était chef de la Division des politiques et des programmes. Par ailleurs, selon le dossier, en janvier 2000, elle a été invitée à nouveau à occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains tout en demeurant chef de la Division des politiques et des programmes et, en outre, elle devait agir simultanément en tant que directrice du Bureau des médicaments vétérinaires en l'absence du Dr Lachance.

[201] Le Tribunal trouve étrange qu'autant de tâches aient pu être confiées simultanément à une personne nouvellement arrivée au Bureau. Le Dr Butler n'a pas été appelée à témoigner, ni le Dr Lachance, pour expliquer au Tribunal pourquoi elle a été considérée comme la seule personne pouvant combler les vacances temporaires du poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains. Vu que le Dr Lachance a procédé à ces nominations, et puisque le Dr Lachance n'a pas été appelé à témoigner, le Tribunal n'a pu se faire expliquer la logique et le fondement de l'attribution de ces divers postes intérimaires à une seule personne, nouvelle au Bureau, si ce n'est la raison donnée quatre années après le fait par Mme Strachan, dans une note datée du 30 avril 2003. Comme je l'ai dit plus haut, dans sa note, Mme Strachan, qui n'a pas été appelée à témoigner, écrit, à propos de la raison pour laquelle des employés ont été choisis en mai 1999 pour occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, que le Dr Lachance essayait à l'époque d'inviter à ce poste des employés qui ne souhaitaient pas poser leur candidature au poste lorsqu'il serait pourvu en permanence, pour que la nomination permanente paraisse équitable. Le Tribunal juge étrange qu'une telle explication soit donnée quatre ans après le fait et, franchement, il trouve l'explication difficile à croire.

[202] Cela dit, le Tribunal ne saurait ignorer que les nominations intérimaires étaient effectuées par le Dr Lachance et que celui-ci était en désaccord avec le Dr Chopra sur de nombreux points. En outre, le Tribunal ne saurait ignorer que le Dr Chopra avait montré peu de temps auparavant qu'il souhaitait acquérir de l'expérience en gestion, qu'il avait occupé le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains en 1988, durant une période de six semaines, qu'il avait occupé le poste de chef de la Division du système nerveux central durant une période de quatre mois à la fin de 1996 et au début de 1997, et qu'il avait donc acquis récemment de l'expérience en gestion. Le Tribunal ne saurait ignorer non plus que le Dr Lachance avait formulé des commentaires à connotation raciste lors d'une réunion du Bureau des médicaments vétérinaires en février 1998. Finalement, le Tribunal ne saurait ignorer non plus que Santé Canada avait déjà été convaincu de discrimination à l'encontre du Dr Chopra et avait aussi fait l'objet d'une ordonnance dans l'affaire ACNRI, le tribunal saisi de ladite affaire ayant jugé que les membres de minorités visibles étaient victimes de discrimination dans leur accès à des postes de direction. Ce sont là toutes des circonstances que le Tribunal ne peut laisser de côté pour savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination.

[203] Comme je l'ai déjà dit, la preuve prima facie est la preuve qui porte sur les allégations faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Ltd. (O'Malley), [1985] 2 R.C.S. 536). Autrement dit, il s'agit d'une preuve qui, si elle est jugée crédible et si elle n'est pas suivie d'une explication convaincante de la part de l'intimé, suffira au plaignant pour obtenir gain de cause.

[204] Comme on peut le lire dans la décision Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] D.C.D.P. n° 2, si l'on conclut à la discrimination à partir de preuves circonstancielles à l'appui du plaignant, la conclusion doit être en accord avec l'allégation de discrimination et en contradiction avec toute autre explication rationnelle. Dans des cas comme celui-ci, ainsi qu'on peut le lire dans la décision Basi, tout dépendra de la capacité d'un tribunal de tirer des conclusions (qui seront raisonnables, voire incontournables) de la conduite de l'employeur. Une fois lesdites conclusions tirées, l'employeur a la charge d'expliquer ce qu'étaient ses motivations, plutôt que ce qu'elles semblaient être.

[205] Le Tribunal sait que la crédibilité du Dr Chopra au regard des allégations de discrimination qu'il a faites est en cause dans la présente affaire. Cela dit, le Tribunal doit néanmoins se demander si lesdites allégations sont fondées eu égard à l'ensemble de la preuve, y compris la preuve circonstancielle.

[206] Le Tribunal croit que le Dr Chopra a produit une preuve prima facie de discrimination en ce qui a trait à la nomination du Dr Butler comme chef de la Division de l'innocuité pour les humains en septembre 1999. Le Tribunal relève que le Dr Butler a été nommée à nouveau chef de la Division en janvier 2000. Le Tribunal ne tirera cependant aucune conclusion sur cette nouvelle nomination, puisqu'elle ne fait pas partie de l'objet de la présente plainte.

[207] Les éléments probants et les preuves circonstancielles établissant prima facie qu'il y a eu discrimination se rapportent au fait que le Dr Chopra avait affirmé qu'il souhaitait acquérir de l'expérience en gestion, qu'il avait deux fois, par le passé, occupé le poste de chef, qu'il avait acquis récemment de l'expérience en gestion, qu'il avait été par le passé victime de discrimination à Santé Canada en raison de son origine ethnique, que, à l'époque, Santé Canada avait récemment été convaincu, dans l'affaire ACNRI, de discrimination à l'encontre des minorités visibles, que le Dr Lachance avait par le passé formulé des commentaires à caractère raciste ou du moins à connotation raciste, comme l'a conclu le présent Tribunal, que le Dr Chopra et le Dr Lachance étaient en désaccord sur les questions de discrimination et finalement que la raison donnée dans la note de Mme Strachan pour justifier la conduite du Dr Lachance est difficile à croire. Le Tribunal est d'avis que ces éléments, considérés ensemble, suffisent à établir une preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal croit qu'il y a ici un léger relent de discrimination.

[208] Vu ces conclusions, l'intimé avait la charge d'apporter une explication raisonnable, autre qu'un simple prétexte, pouvant amener le Tribunal à croire que la discrimination n'avait eu aucune part dans la décision de nommer le Dr Butler, en septembre 1999, au poste de chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains. Le Tribunal croit que l'intimé n'a pas apporté cette explication.

[209] Le Dr Lachance n'a pas été appelé à témoigner, ni le Dr Butler. Il ne suffit pas à l'avocat de l'intimé de dire que Santé Canada peut nommer à un poste qui bon lui semble. Il est possible que la décision de ne pas nommer le Dr Chopra fût sans rapport aucun avec la discrimination et avec le bagage ethnique du Dr Chopra et fût attribuable par exemple au fait que le Dr Chopra ne s'entendait pas avec ses collègues ou qu'il n'était pas disponible. L'avocat de l'intimé affirme que personne d'autre, à la Division de l'innocuité pour les humains, ne s'est vu offrir le poste. Cela n'est pas une preuve convaincante que la sélection n'était pas entachée de discrimination. Il est possible que certains employés aient été invités à poser leur candidature et ont décliné l'invitation. Qui sait? Qui peut le dire? L'intimé n'a pas apporté au Tribunal de preuve concrète, il s'est limité à invoquer diverses possibilités.

[210] Le Tribunal estime donc que le Dr Chopra a été victime de discrimination, en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce qu'il n'a pas été invité à occuper le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains en septembre 1999.

[211] Cette conclusion ne tranche pas cependant la question suivante : si le Dr Chopra avait été nommé chef intérimaire de la Division de l'innocuité pour les humains en septembre 1999, aurait-il été plus tard nommé chef de cette division?

[212] Dans ses observations finales, l'avocat du plaignant s'est fondé sur l'arrêt Morgan, ainsi que sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Chopra c. Canada (P.G.), 2007 CAF 268, pour affirmer que le critère à employer afin de savoir si le Dr Chopra aurait ou non été nommé plus tard à un poste de chef ou de directeur est le suivant : il doit y avoir un rapport ou un lien de causalité entre le poste qui n'a pas été obtenu et la discrimination (arrêt Morgan, page 432).

[213] En ce qui a trait à cette question, le Tribunal ne saurait laisser de côté le fait que, en 2000, le Dr Chopra a échoué à l'épreuve du courrier n° 810 qui a été administrée pour le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains. Le dossier révèle que le Dr Chopra a contesté l'épreuve, qu'il disait discriminatoire, mais il n'a pas obtenu gain de cause. Le Dr Chopra n'a donc pas été en mesure de se faire valoir pour le poste permanent de chef de la Division de l'innocuité pour les humains.

[214] Le Tribunal ne peut donc pas établir de lien de causalité entre le fait que le Dr Chopra a été victime de discrimination pour le poste de chef intérimaire de la Division et le fait qu'il n'a pas obtenu le poste permanent de chef de la Division en 2000.

(ii) Questions liées à des incidents pouvant être qualifiés de discriminatoires

[215] Dans sa plainte, le plaignant mentionne plusieurs incidents qui, dit-il, étaient discriminatoires. Ce sont les événements suivants : les commentaires du Dr Lachance formulés lors d'une réunion du personnel du Bureau des médicaments vétérinaires, la suspension de cinq jours que lui a imposée le Dr Lachance dans le sillage de la conférence de Patrimoine Canada, la plainte Zohair, la plainte Elanco et le projet Flumequine. Le Tribunal examinera successivement chacun de ces incidents pour savoir s'ils ont valeur de discrimination, de représailles ou de harcèlement à l'encontre du Dr Chopra.

a) Les commentaires du Dr Lachance

[216] Dans l'exposé des précisions accompagnant sa plainte, le plaignant mentionne qu'une pétition a été distribuée, concernant une remarque du Dr Lachance qui traduisait une méconnaissance de la réalité culturelle. Lorsqu'il avait été officiellement présenté aux employés du Bureau des médicaments vétérinaires le 9 février 1998, le Dr Lachance avait dit qu'il aimait bien les minorités visibles. Dans ses allégations additionnelles datées du 27 juin 1999, le plaignant ajoute qu'il avait discuté des commentaires du Dr Lachance avec le directeur général, le Dr Paterson, et que celui-ci avait minimisé la gravité des commentaires qui, selon le Dr Chopra, l'avaient blessé, lui et certains de ses collègues du Bureau.

[217] Selon la preuve, le 9 février 1998, le Dr Lachance, qui venait d'être nommé directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, a été présenté au personnel du Bureau par le directeur général, le Dr Paterson, comme futur directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, en remplacement du Dr Scott.

[218] Selon le témoignage du Dr Chopra, le Dr Lachance, au moment de se présenter, aurait dit, en regardant son auditoire, qu'il aimait bien les minorités visibles. Le Dr Chopra a affirmé, durant son témoignage, qu'il avait trouvé la remarque vexante, vu la décision rendue par un tribunal antérieur dans l'affaire ACNRI. Le Dr Chopra a exprimé l'avis qu'il s'agissait là une remarque raciste.

[219] Le dossier révèle que, le 10 février 1998, le Dr Chopra a envoyé au Dr Paterson une note de service où il écrivait que les propos tenus par le Dr Lachance étaient des remarques de nature raciste, profondément insensibles, à l'endroit des employés du Bureau qui étaient membres des minorités visibles. Le Dr Chopra ajoute dans sa note qu'il s'agit là d'un exemple typique de la culture organisationnelle, une culture peu sensible à la diversité raciale, qui, malgré la décision antérieure rendue dans l'affaire ACNRI, se retrouve encore parmi les cadres supérieurs de ce ministère. Le Dr Chopra termine sa lettre en demandant que soit réexaminée la nomination du Dr Lachance.

[220] Le dossier montre également que, dans sa réponse à la note du Dr Chopra, le Dr Paterson a émis un doute sur l'exactitude des propos censément tenus par le Dr Lachance, en tentant de les placer dans leur contexte. Selon le Dr Paterson, le Dr Lachance voulait établir une bonne relation avec son nouveau personnel. Le Dr Paterson soulignait aussi le fait que les doutes du Dr Chopra concernant les commentaires du Dr Lachance n'étaient pas partagés par l'ensemble des employés du Bureau. La preuve révèle d'ailleurs que deux personnes qui étaient présentes à la réunion se sont désolidarisées des vues exprimées par le Dr Chopra.

[221] Le Dr Chopra a témoigné qu'il n'avait pas trouvé satisfaisante la réponse du Dr Paterson. Il a aussi affirmé qu'il avait eu le sentiment que le Dr Paterson prenait le parti du Dr Lachance et qu'il avait été très contrarié par la manière dont l'affaire avait été traitée, car selon lui cela montrait qu'il existait encore une mentalité raciste à Santé Canada.

[222] Dans une note envoyée au Dr Paterson, le Dr Lachance a expliqué, après avoir pris connaissance la note adressée au Dr Lachance par le Dr Chopra, que ce qu'il avait voulu faire, lors de la réunion en question, c'était établir immédiatement une bonne relation avec le plus d'employés possible du Bureau des médicaments vétérinaires, que, dans son poste antérieur, nombre de ses subalternes étaient membres de minorités visibles et que le contexte de la réunion du 9 février 1998 l'avait conduit à dire au personnel que son auditoire ressemblait à son ancien groupe d'employés, où les minorités visibles étaient largement représentées, et que cette situation lui plaisait particulièrement à lui. Finalement, le Dr Lachance écrivait que, contrairement à la déclaration sans indulgence formulée par le Dr Chopra le 10 février 1998 à propos de l'intention qu'il avait pu avoir cet après-midi-là, ses commentaires attestaient un niveau élevé de sensibilité culturelle envers les minorités visibles du Bureau.

[223] Au cours de l'audience, le Tribunal a entendu le témoignage de Mme Tang, conseillère en ressources humaines à la Section des services à la haute direction, à Santé Canada. Mme Tang a parlé de la formation que le Dr Lachance avait reçue à propos de la diversité en milieu de travail, après la réunion du 9 février 1998. Mme Tang a témoigné que le Dr Lachance avait participé le 8 décembre 1998 à un atelier appelé Entrevues de sélection impartiale fondée sur les compétences, puis, le 9 décembre 1998, à un autre cours de formation intitulé Construire des équipes de travail diversifiées. Selon la preuve, Mme Tang ignorait le contenu ou la substance de ces cours et elle n'a pu confirmer si le Dr Lachance avait en réalité assisté à l'un ou l'autre des cours auxquels il s'était inscrit.

[224] Le dossier révèle que l'affaire Lachance a abouti devant le Comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, où M. David Dodge, alors sous-ministre à Santé Canada, a comparu comme témoin et a été interrogé à propos des commentaires du Dr Lachance. Le dossier montre que M. David Dodge, qui n'a pas été appelé à témoigner dans la présente instance, a déclaré devant le Comité sénatorial, le 29 février 2000, au sujet des propos tenus par le Dr Lachance selon lesquels [traduction] il aimait bien les minorités visibles ou selon lesquels [traduction] tout cela est imprégné d'une mentalité axée sur les minorités visibles, que le Dr Lachance avait été informé que, quelles que fût son intention, il s'agissait là de propos inopportuns. Le Tribunal n'a aucune raison de croire que la transcription de la réunion du Comité sénatorial qui se rapportent au témoignage de M. Dodge ne sont pas exactes.

[225] Étant donné que M. Dodge et le Dr Paterson n'ont pas été appelés à témoigner, le Tribunal doit s'en remettre à sa propre interprétation des vues qu'ils ont exprimées à propos des commentaires formulés par le Dr Lachance lors de la réunion du 9 février 1999. Étant donné que le Dr Lachance n'a pas été appelé à témoigner, le Tribunal est d'avis que l'intimé aurait pu, outre les documents produits comme preuve, appeler le Dr Paterson à témoigner pour qu'il explique comment le ministère avait donné suite aux commentaires du Dr Lachance. Il en va de même pour M. Dodge.

[226] Dans ses observations orales, l'avocat du plaignant a fait valoir que les propos tenus par le Dr Lachance lors de la réunion du 9 février 1998 étaient plus qu'imprudents ou déplacés; c'étaient des propos tout à fait racistes et offensants et il n'importe pas que certaines personnes ne s'en soient pas offusquées. Pour l'avocat du plaignant, ce sont des propos qui non seulement sont discriminatoires, mais constituent du harcèlement.

[227] Pour sa part, l'avocat de l'intimé a fait valoir que le Tribunal ne peut déduire des propos du Dr Lachance que celui-ci était raciste et que, par conséquent, toutes ses décisions futures prises dans le cadre de son poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires devraient être qualifiées de discriminatoires ou racistes. Pour l'avocat de l'intimé, le Dr Chopra a jugé hors contexte les commentaires du Dr Lachance. S'agissant de savoir si les commentaires en question constituent du harcèlement, l'avocat de l'intimé a fait valoir qu'ils ne correspondent pas à la définition de ce qui constitue du harcèlement en droit. Une remarque unique ne satisfait pas au critère applicable au harcèlement.

[228] Le Tribunal juge que les commentaires formulés par le Dr Lachance lors de la réunion du 6 février 1998 étaient offensants pour le Dr Chopra et qu'ils étaient, quelle que soit la norme appliquée, de caractère raciste, même si certaines personnes qui se trouvaient là ne les ont pas jugés ainsi. Même si le Dr Lachance a pu les formuler dans le dessein, pour ainsi dire, de rompre la glace avec ses nouveaux collègues ou même s'ils pouvaient passer pour une marque d'amitié envers le groupe, ils attestent néanmoins un manque de sensibilité de la part du Dr Lachance envers les gens dont la peau n'est pas blanche et qui sont vus comme différents des personnes de race blanche. Le Dr Lachance ne voulait peut-être pas faire montre de discrimination envers les minorités visibles. Néanmoins, la jurisprudence est claire : l'intention d'une personne est sans rapport avec la question de savoir si elle a fait preuve ou non de discrimination envers quelqu'un d'autre (Nova Scotia (Human Rights Commission) v. Play it Again Sports Ltd, [2004] N.S.J. No. 403, paragraphe 36).

[229] Le Tribunal estime donc que le Dr Chopra non seulement a prouvé prima facie qu'il y a eu discrimination au regard des propos tenus par le Dr Lachance lors de la réunion du 9 février 1998, mais encore il a apporté une preuve convaincante que le Dr Lachance a exercé contre lui de la discrimination fondée sur sa race ou son origine ethnique, en violation de l'article 7 de la Loi. Comme il est écrit plus haut, l'intention d'exercer ou non de la discrimination est sans rapport avec la preuve de discrimination. Le critère est, d'abord et avant tout, le caractère raciste des propos en tant que tels, que la personne alléguant la discrimination ait été offensée ou non par les propos (Nova Scotia (Human Rights Commission) v. Play it Again Sports Ltd, [2004] N.S.J. No. 403).

[230] Les éléments que le Tribunal juge concluants au regard de la preuve prima facie sont le passé récent de discrimination à Santé Canada, le caractère intrinsèquement raciste des propos tenus - les Blancs par opposition aux non-Blancs, le fait que le Dr Chopra a été offensé par les propos et l'a fait savoir au directeur général, le manque de sensibilité du Dr Lachance et du Dr Paterson en réponse aux inquiétudes du Dr Chopra, enfin le fait que le Dr Lachance a reçu, après la réunion de février 1998, une formation sur la diversité en milieu de travail. L'intimé avait donc la charge de prouver que les propos du Dr Lachance n'étaient d'aucune façon discriminatoires. Le Tribunal croit que l'intimé n'a pas apporté cette preuve.

[231] Le Tribunal estime à cet égard que les lettres échangées entre le Dr Paterson et le Dr Lachance, ainsi qu'entre le Dr Paterson et le Dr Chopra, visent davantage à justifier ce qui avait été dit, qu'à admettre que les propos ont pu être offensants et discriminatoires. Le Dr Lachance et le Dr Paterson n'ont pas été appelés à témoigner et n'ont donc pas été en mesure d'éclairer davantage le Tribunal sur les propos qui ont été tenus lors de la réunion du 9 février 1998. Le Tribunal croit que l'intimé n'a pas donné d'explication crédible de la nature véritable des propos tenus par le Dr Lachance, et, comme ils n'ont pas témoigné, il ne croit pas que leurs explications écrites sont convaincantes.

[232] Ici encore, le Tribunal ne perd pas de vue que la crédibilité du Dr Chopra est sujette à caution. Cela dit, la preuve révèle clairement que, le lendemain du jour où le Dr Lachance a tenu ses propos, le Dr Chopra a fait savoir au directeur général qu'il s'était senti blessé par les propos en cause. Le Tribunal ne voit aucune raison de penser que la contrariété éprouvée par le Dr Chopra à la suite des propos tenus par le Dr Lachance n'était pas authentique et qu'elle était motivée par le désir d'exercer des représailles contre le Dr Lachance.

[233] Le Tribunal croit cependant que, vu le contexte dans lequel le Dr Lachance s'était exprimé, ses propos, bien que déplacés et racistes, ne constituent pas du harcèlement, parce qu'ils ne répondent pas aux critères énoncés dans Marinaki et Bobb. Le Tribunal est d'avis que les propos tenus lors de la réunion du 9 février 1998 constituent un incident isolé. Il n'y a ici ni persistance ni répétition et nous n'avons pas affaire à un comportement systématique. Le Tribunal relève qu'aucune preuve n'a été produite montrant que le Dr Lachance a tenu les mêmes propos à une autre occasion.

[234] Cela dit, le Tribunal est d'avis que, compte tenu du passé de Santé Canada, un passé marqué par la discrimination et une méconnaissance de la réalité raciale, et vu la décision ACNRI en particulier et les conclusions qui y ont été tirées, le ministère aurait dû agir plus énergiquement et aurait dû faire savoir publiquement qu'il n'approuvait pas la conduite du Dr Lachance, et qu'il ne tolérerait pas de commentaires de cette nature au sein du ministère.

[235] Le Tribunal juge que le Dr Paterson a traité avec peu d'égards la plainte du Dr Chopra. Sa première réaction a été de jeter le doute sur le souvenir qu'avait le Dr Chopra de l'incident, plutôt que de prendre l'incident au sérieux et de demander un complément d'enquête. Le Dr Paterson aurait dû voir dans la note de service du Dr Chopra un sujet de préoccupation, compte tenu de la décision ACNRI. Le Tribunal est d'avis que l'affaire Lachance n'aurait pas dû être ainsi montée en épingle et que, si elle avait été gérée convenablement, elle aurait conduit à un mot d'excuse du Dr Lachance ou, du moins, à une déclaration de sa part selon laquelle, s'il avait offensé quelqu'un par ses propos, alors il le regrettait et lui présentait ses excuses. Il semble que des excuses n'ont pas été présentées.

b) La suspension de cinq jours

[236] L'avocat du plaignant a fait valoir que la suspension de cinq jours imposée au Dr Chopra par le Dr Lachance était une mesure de représailles à l'encontre du Dr Chopra, qui n'avait pas mâché ses mots sur l'existence de pratiques racistes au sein de la fonction publique, en particulier à Santé Canada, et que ladite suspension était également discriminatoire.

[237] Pour sa part, l'avocat de l'intimé a fait valoir que, à l'époque où la suspension de cinq jours lui a été imposée, le Dr Chopra ne l'avait pas qualifiée d'acte discriminatoire, mais de mesure de représailles. À son avis, il n'y a aucun élément de discrimination ou de représailles dans la décision de suspendre le Dr Chopra. L'avocat de l'intimé a admis cependant que Santé Canada avait eu tort de considérer l'acte du Dr Chopra comme un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur, compte tenu de la décision rendue le 12 mars 2001 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

[238] Le Tribunal ne peut ignorer le fait que celui qui a suspendu le Dr Chopra était le Dr Lachance et que la suspension a été décrétée après que le Dr Chopra eut signé une pétition où était contestée la nomination du Dr Lachance, en février 1998, au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires et après que le Dr Chopra se fut plaint par écrit au directeur général des propos tenus par le Dr Lachance lors de sa première rencontre avec le personnel du Bureau des médicaments vétérinaires le 9 février 1998, ainsi qu'après que le Dr Chopra eut ajouté le 27 juin 1999 d'autres allégations à sa plainte initiale, allégations qui faisaient explicitement référence à la conduite discriminatoire du Dr Lachance.

[239] Le Tribunal ne peut ignorer non plus que, à la suite des propos que le Dr Lachance a tenus lors de la réunion du 9 février 1998, celui-ci, dans une note envoyée au Dr Paterson, a rendu la pareille au Dr Chopra en répondant à l'allégation faite par celui-ci dans sa note du 10 février 1998 adressée au Dr Paterson. Dans sa note au Dr Paterson, le Dr Chopra évoque le fait que le Dr Lachance avait fait une remarque désobligeante à l'égard des minorités visibles. La preuve montre que, dans sa propre note au Dr Paterson, le Dr Lachance évoque l'affirmation désobligeante faite par le Dr Chopra le 10 février 1998 concernant ses motivations cet après-midi-là. Le Tribunal considère la réponse du Dr Lachance comme le signe sans équivoque qu'il était prêt à tenir tête au Dr Chopra et que la table était mise pour de futures hostilités.

[240] Le Tribunal estime que ces divers éléments, outre le fait que le Dr Lachance aurait pu réagir différemment à la situation, comme l'a dit l'avocat du plaignant, et qu'il semblait persuadé qu'aucune discrimination ne régnait à Santé Canada, suffisent à établir une preuve prima facie de représailles, mais ne suffisent pas à établir une preuve prima facie de discrimination. Par ailleurs, le Tribunal considère que le Dr Lachance devait avoir eu vent de l'existence de la plainte du Dr Chopra et des allégations additionnelles faites contre lui en juin 1999.

[241] Le Tribunal est conscient cependant que, dans sa lettre datée du 11 août 1999, le Dr Lachance écrit, à propos de la conférence de Patrimoine Canada, qu'il considère que le Dr Chopra a manqué à son obligation de loyauté envers le ministère et que son inconduite délibérée est totalement inacceptable pour le ministère, et qu'il a donc décidé de suspendre le Dr Chopra pour une période de cinq jours ouvrables.

[242] Selon le dossier, l'intimé a choisi de ne pas faire témoigner le Dr Lachance. Comme on l'a vu précédemment, hormis les échanges qui ont eu lieu entre les parties et l'information qu'elles ont communiquée au Tribunal, le Tribunal n'a jamais été officiellement informé des raisons pour lesquelles le Dr Lachance n'a pas été appelé à témoigner. Le Tribunal devrait-il donc, sans entendre le Dr Lachance ou quelqu'un d'autre de Santé Canada, s'en remettre uniquement à la lettre adressée par le Dr Lachance au Dr Chopra le 11 août 1999, et déduire que l'unique raison qui a conduit le Dr Lachance à imposer au Dr Chopra une suspension de cinq jours était l'inconduite délibérée du Dr Chopra, et devrait-il conclure, vu le contexte dans lequel la décision a été prise, que les représailles n'avaient rien à voir avec sa décision?

[243] Comme on le sait, la discrimination ainsi que les représailles, souvent, n'apparaissent pas d'emblée. C'est souvent par l'interrogatoire direct d'un témoin que la vérité se fait jour. Sur ce point, il convient de citer l'ouvrage de Sopinka et al., The Law of Evidence in Canada, 1999, au paragraphe 6.321, où les auteurs écrivent ce qui suit : [traduction] Dans le même esprit, une conclusion défavorable peut être tirée à l'encontre d'une partie qui, sans se justifier, n'assigne pas un témoin important sur lequel elle exerce un contrôle exclusif. Cela équivaut en effet à un aveu implicite que la déposition du témoin absent serait contraire aux arguments de la partie concernée, ou du moins ne les appuierait pas.

[244] Le Tribunal estime que l'intimé, en n'assignant pas les témoins concernés, n'a pas réussi à prouver que l'esprit de vengeance n'était pas l'un des éléments qui ont conduit le Dr Lachance à imposer au Dr Chopra une suspension de cinq jours, vu les circonstances entourant l'imposition de la suspension. Le Tribunal estime donc que, vu le contexte, les représailles étaient, selon la prépondérance de la preuve, l'une des raisons ayant mené le Dr Lachance à imposer au Dr Chopra une suspension de cinq jours, le 11 août 1999, contrevenant ainsi à l'article 14.1 de la Loi.

c) La plainte Zohair

[245] Dans ses observations soumises au Tribunal, l'avocat du plaignant affirmait que la manière dont Santé Canada avait traité la plainte Zohair, ainsi que l'incident de la conférence de Patrimoine Canada, atteste le harcèlement exercé par Santé Canada envers le Dr Chopra. L'avocat du plaignant a souligné le fait que, alors que Santé Canada était prêt à agir promptement contre le plaignant, le ministère agissait moins promptement contre d'autres employés de Santé Canada dont la conduite, aux yeux du Dr Chopra, était condamnable.

[246] Le Tribunal ne voit pas, dans la manière dont Santé Canada a traité la plainte Zohair, une preuve de harcèlement de la part de Santé Canada. Le Tribunal croit que le plaignant n'a pas prouvé que cet incident répond au critère juridique permettant de conclure au harcèlement selon l'article 10 de la Loi. Par ailleurs, le Tribunal ne voit pas en quoi la manière dont Santé Canada a traité la plainte Zohair peut équivaloir à des représailles de la part de Santé Canada au motif que le Dr Chopra avait déposé une plainte de violation des droits de la personne. La preuve sur ce point est tout simplement inexistante.

d) La plainte Elanco

[247] Le Tribunal estime que le Dr Chopra n'a produit en preuve aucun fait important établissant que la manière dont le ministère a donné suite à la plainte Elanco était discriminatoire et était motivée par l'origine ethnique du Dr Chopra. Le Tribunal estime donc que le plaignant n'a pas ici prouvé prima facie la discrimination au regard de la plainte Elanco. De simples allégations de discrimination, sans plus, ne constituent pas une preuve prima facie de discrimination.

[248] Cela dit, puisque l'incident Elanco s'est produit en 1997, avant l'entrée en vigueur de l'article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'action ou l'inaction de Santé Canada au regard de cet incident ne saurait être considérée comme une mesure de représailles selon la Loi.

e) L'exclusion du Dr Chopra du projet Flumequine

[249] Le plaignant a témoigné que son exclusion du projet Flumequine en 1993 ne constituait pas une discrimination directe, mais une mesure de représailles à son encontre parce qu'il avait soulevé, au sein du Bureau, des questions touchant les droits de la personne.

[250] Vu que le projet Flumequine a eu lieu en 1993, bien avant l'entrée en vigueur de l'article 14.1 de la Loi, le Tribunal juge que le plaignant n'a pas répondu à la condition juridique qui permettrait au Tribunal de dire qu'il y a eu représailles en raison d'une plainte déposée par le plaignant.

(iii) La question de la discrimination systémique

[251] Dans son formulaire de plainte daté du 12 janvier 1999, le plaignant écrit qu'aucun de ses collègues de race blanche n'a été traité comme il l'a été et que, s'il a été traité d'une manière différente, c'est à cause de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Le plaignant écrit aussi que, pour pourvoir les postes de direction, Santé Canada trouve toujours le moyen de ne pas recourir à des candidats qualifiés qui sont membres des minorités visibles et que le ministère a pour habitude de recruter les EX à l'intérieur même de Santé Canada, sauf si des candidats qualifiés membres de minorités visibles sont intéressés par ces postes, auquel cas le ministère procède à un recrutement externe.

[252] Dans son exposé des précisions, le plaignant écrit aussi que, s'il jamais eu de promotion à Santé Canada, c'est en partie à cause de l'existence d'une discrimination raciale systémique exercée par la haute direction de Santé Canada à l'encontre des minorités visibles et il nomme ensuite les cadres supérieurs qui, selon lui, pratiquent une discrimination raciale systémique.

[253] Le plaignant écrit aussi, dans son exposé des précisions, que le ministère ne lui a pas procuré la formation nécessaire ni les autres moyens de perfectionner ses aptitudes et ses compétences. D'une certaine façon, affirme-t-il, Santé Canada trouve toujours le moyen d'éviter que des candidats appartenant aux minorités visibles accèdent à des postes de direction. Finalement, le plaignant soutient que ces pratiques attestent l'existence d'une discrimination systémique à Santé Canada, en violation de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[254] Les allégations du plaignant concernant l'existence de discrimination systémique à Santé Canada durant la période allant de 1993 à 1999 ont une vaste portée. Comme je l'écrivais plus haut, celui qui allègue une chose doit la prouver, et il ne suffit pas d'alléguer simplement l'existence de discrimination sans en apporter la preuve, ni d'avoir la ferme conviction que la discrimination règne à Santé Canada.

[255] La discrimination systémique en milieu de travail a été définie ainsi dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114, aux pages 1139 et 1143 : discrimination qui résulte de la simple application de procédures établies de recrutement, d'embauchage et de promotion, dont aucune n'est nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination systémique est souvent involontaire. Elle résulte de l'application de pratiques et politiques établies qui ont une incidence négative sur l'embauchage et les perspectives d'avancement d'un groupe donné. Elle est accentuée par les attitudes des gestionnaires et des collègues qui acceptent des visions stéréotypées conduisant à la ferme conviction que les membres du groupe concerné sont incapables d'accomplir telle ou telle tâche, même si cette conclusion est objectivement fausse. La Cour suprême écrivait en outre que, pour combattre la discrimination systémique, il est essentiel d'instaurer un climat dans lequel les pratiques et attitudes négatives puissent être combattues et découragées.

[256] Le Tribunal est conscient que, par le passé, Santé Canada a été déclaré à la traîne s'agissant de la nomination de membres des minorités visibles à des postes de direction. Les conclusions tirées par le Tribunal dans l'affaire ACNRI, ainsi que sa décision dans cette affaire, montrent clairement que Santé Canada ne répondait pas aux conditions de la Loi canadienne sur les droits de la personne au regard des perspectives d'emploi offertes aux minorités visibles.

[257] Le Tribunal ne peut non plus laisser de côté le fait que, par le passé, le Dr Chopra a connu nombre de difficultés au sein du ministère : une plainte déposée contre lui sans qu'il soit informé de son existence (Drennan), une note rédigée à son sujet sans qu'il soit informé de sa teneur (Cuddihy), son exclusion de projets auxquels ses collègues étaient invités à prendre part, et cela sans qu'on lui donne aucune explication (projet Flumequine), la suspension de cinq jours qui lui a été imposée par le Dr Lachance (conférence de Patrimoine Canada), la réprimande qu'il a reçue du Dr Le Magueur (plainte Zohair). En outre, le dossier montre que le Dr Chopra a vu de nombreuses nominations et postes intérimaires lui échapper : la nomination du Dr Scott (1993-1995), la nomination du Dr Lachance (1998), la nomination du Dr Alexander (1999), la nomination du Dr Butler (1999), toutes des nominations qui selon lui étaient entachées de discrimination. Tous ces incidents ont pesé sur le Dr Chopra, qui en est venu à penser que la discrimination régnait au sein de Santé Canada. Tous ces incidents qui ont concerné une seule personne permettent-ils au Tribunal de conclure qu'il y avait, à Santé Canada, durant la période visée par la plainte (1993-1999), une forme de discrimination systémique qui imprégnait toute l'organisation?

[258] Le dossier révèle que, en septembre 2002, la période de cinq ans prévue pour l'application de l'ordonnance rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire ACNRI était achevée et que, par lettre datée du 13 mai 2003, la Commission canadienne des droits de la personne écrivait que Santé Canada s'était pleinement conformé à toutes les mesures énoncées dans l'ordonnance du Tribunal. Plus précisément, la Commission écrivait, dans sa lettre au sous-ministre de Santé Canada, que l'analyse faite par la Commission montrait que, durant la période de cinq ans, la représentation des minorités visibles à Santé Canada avait nettement augmenté dans les catégories et aux niveaux intéressant l'ordonnance du Tribunal. La Commission ajoutait que le net progrès constaté n'aurait pas pu être accompli sans l'engagement des cadres supérieurs de Santé Canada. La lettre mentionnait également que, d'après les données sur le recrutement dans l'échelon administratif supérieur EX et dans les groupes de relève pour cet échelon, les membres des minorités visibles recevaient une part équitable de telles nominations, et recevaient également, pour les niveaux indiqués dans l'ordonnance du Tribunal, une part des postes intérimaires qui était conforme aux attentes. Dans sa lettre, la présidente de la Commission reconnaît que Santé Canada se conforme aujourd'hui pleinement à toutes les mesures indiquées dans l'ordonnance du Tribunal dans l'affaire ACNRI.

[259] Le Tribunal ne peut laisser de côté ces faits et constatations. Il convient de noter ici que la période visée par l'ordonnance rendue par le Tribunal dans l'affaire ACNRI va de 1997 à 2002 et englobe certaines des allégations de discrimination qui sont faites par le plaignant.

[260] Durant son témoignage, le plaignant a contesté que Santé Canada se conformait pleinement à toutes les mesures indiquées dans l'ordonnance accompagnant la décision ACNRI. Comme je l'écrivais plus haut, le plaignant a droit à ses opinions. Cela dit, des allégations, si fermes soient-elles, qui prétendent contredire des faits avérés et non contestés doivent être prouvées.

[261] Le Tribunal croit que le plaignant n'a pas, selon la prépondérance de la preuve, établi que Santé Canada n'est pas venu à bout de la discrimination systémique après l'ordonnance rendue par le Tribunal dans l'affaire ACNRI, ni établi que la discrimination systémique existait encore à Santé Canada durant la période allant de 1997 à 2002.

[262] Puisque le plaignant n'a pas apporté de preuve contredisant les constatations de la Commission, le Tribunal n'a aucune raison de conclure que la discrimination systémique existe encore à Santé Canada, ni d'ordonner à Santé Canada de prendre d'autres mesures pour régler des questions de discrimination générale ou systémique.

[263] Cela dit, il ne s'ensuit pas que la discrimination n'a pas existé ou n'aurait pu exister dans un passé récent au sein de Santé Canada, ni que des personnes au sein du ministère n'ont pu agir, à l'occasion, comme l'indique le dossier, d'une manière discriminatoire. Des incidents passés de discrimination peuvent, avec raison, donner à penser que la discrimination existe encore dans le milieu de travail. Cependant, ils ne prouvent pas en tant que tels l'existence de discrimination systémique. Un ou plusieurs constats de discrimination ne suffisent pas en soi à établir l'existence d'une discrimination systémique au sein d'une organisation telle que Santé Canada.

[264] Le plaignant affirme que tous les gestionnaires à Santé Canada exercent une discrimination raciale systémique à l'encontre des membres des minorités visibles et que toutes les nominations faites au sein du ministère au cours des 20 dernières années ont été discriminatoires. Le Tribunal ne peut non plus ignorer le fait que ces allégations du plaignant demeurent non étayées tant que des faits concrets ne sont pas portés à son attention. Des généralisations hâtives comme celles qu'a faites le plaignant, sans en apporter la preuve, nuisent en définitive à sa crédibilité sur la question de savoir si Santé Canada s'est ou non conformé à l'ordonnance rendue dans l'affaire ACNRI, et elles se répercutent défavorablement sur la promotion des droits de la personne.

[265] Le Tribunal estime donc que le plaignant n'a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que Santé Canada a contrevenu à l'article 10 de la Loi.

IV. RÉPARATIONS

[266] Le Tribunal croit que la plainte déposée par le Dr Chopra est étayée sous trois aspects :

  1. les propos tenus par le Dr Lachance le 9 février 1998 étaient des propos discriminatoires à l'endroit du Dr Chopra ainsi qu'à l'endroit des personnes qui travaillaient à l'époque au sein du Bureau des médicaments vétérinaires et qui n'étaient pas de race blanche, et les propos en question étaient contraires à l'alinéa 7b) de la Loi;
  2. la suspension de cinq jours imposée le 11 août 1999 au Dr Chopra par le Dr Lachance était le résultat d'une forme de représailles contre le Dr Chopra parce qu'il avait déposé une plainte de violation des droits de la personne, et ladite suspension était contraire à l'article 14.1 de la Loi;
  3. le Dr Chopra a été victime d'une discrimination parce qu'on ne lui a pas offert en septembre 1999 le poste intérimaire de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, ce qui contrevenait à l'alinéa 7b) de la Loi.

[267] L'avocat du plaignant a demandé, dans ses observations orales, que le Dr Chopra soit dédommagé pour les atteintes morales liées à la discrimination et aux représailles dont il a pu être la victime. Vu les conclusions tirées par le Tribunal au regard des incidents que le Tribunal a assimilés à de la discrimination et à des mesures de représailles, le Tribunal est d'avis qu'une somme de 4 000 $ pour les atteintes morales est une somme raisonnable. Le Tribunal est conscient que deux des trois incidents qu'il a assimilés à de la discrimination ou à des mesures de représailles se sont produits après le 30 juin 1998, date à laquelle le plafond de l'indemnité pour préjudice moral a été haussé à 20 000 $.

[268] Dans ses observations finales, l'avocat du plaignant a demandé que le plaignant soit indemnisé pour tout manque à gagner lié à un acte discriminatoire. Vu que le Tribunal a estimé que le Dr Chopra avait été victime d'une discrimination en 1999 pour le poste intérimaire de chef de la Division de l'innocuité pour les humains, le Dr Chopra a droit à une indemnité correspondant à la différence entre ce qu'il aurait gagné comme chef intérimaire et ce qu'il aurait gagné à l'époque comme évaluateur.

[269] Les parties ont indiqué au Tribunal qu'elles établiraient entre elles la somme liée au manque à gagner. Le Tribunal demeure cependant saisi de la question des dommages-intérêts si les parties ne parviennent pas à s'entendre.

V. ORDONNANCE

[270] Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal déclare que l'intimé a porté atteinte aux droits du plaignant protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne, plus précisément les articles 7 et 14.1 de la Loi, et il ordonne ce qui suit :

  1. le plaignant a droit à la somme de 4 000 $ pour atteintes morales;
  2. le plaignant a droit, au titre du manque à gagner, à une somme correspondant à la différence entre ce qu'il aurait gagné s'il avait occupé le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains durant une période de quatre mois en septembre 1999 et ce qu'il aurait gagné comme évaluateur;
  3. le plaignant a droit aux intérêts sur les sommes susmentionnées, conformément au paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne.

Pierre Deschamps

OTTAWA (ONTARIO)

le 12 septembre 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T901/2104

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Shiv Chopra c. Santé Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 19 et 20 janvier 2006

Les 14 et 15 février 2006

Les 1er, 3, 8, 9, 10, 28, 29 et 30 mars 2006

Les 9, 10 et 24 mai 2006

Les 6 et 20 juin 2006

Les 15, 25, 26 et 27 septembre 2006

Les 18 et 21 décembre 2006

Les 30 et 31 janvier 2007

Les 20 et 21 mars 2007

Les 3, 5 et 27 avril 2007

Le 1er juin 2007

Les 10, 11 et 12 septembre 2007

Les 2, 3 et 4 octobre 2007

Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL

Le 19 septembre 2008

ONT COMPARU :

David Yazbeck

Pour le plaignant

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

David Migicovsky

Pour l'intimé

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