Tribunal canadien des droits de la personne

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MAGALY GERMAIN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

GROUPE MAJOR EXPRESS INC.

l'intimé

DÉCISION

2008 TCDP 33
2008/07/25

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. INTRODUCTION

A. LE CADRE JURIDIQUE

B. LES FAITS

C. APPLICATION DU DROIT AUX FAITS

(i) La crédibilité des témoins

(ii) Le congé de maternité

D. REDRESSEMENTS

I. INTRODUCTION

[1] En guise d'introduction, il serait bon de revoir l'objet de la Loi, ainsi que le rôle du Tribunal.

[2] La Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée) (la Loi) vise à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale. Compte tenu des termes puissants de son article 2, l'objet de la Loi est évident. Pour que tous puissent avoir des chances égales d' épanouissement, la Loi cherche à interdire les considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de la famille, la déficience, l'état de personne graciée et le sexe, qui priveraient un individu des opportunités d'emploi. C'est l'acte discriminatoire lui-même que la Loi vise à prévenir. Elle n'a pas pour objet de punir la faute, mais bien de prévenir la discrimination. (Voir : Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, au paras. 24 et 25.)

[3] L'objet de la Loi n'est donc pas d'attribuer à quelqu'un une responsabilité morale ou de punir. Il ne peut y avoir de doute que la législation canadienne est normalement rédigée de façon à éviter toute référence à l'intention, mis à part évidemment le paragraphe 53(3) de la Loi où le législateur a prévu que l'intention pouvait avoir un impact sur l'indemnité que l'auteur d'un acte discriminatoire peut être ordonné de payer à la victime.

[4] Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 547, la Cour suprême du Canada s'est exprimée clairement sur l'objet d'une telle Loi, jugeant que sa portée va plus loin que la discrimination volontaire :

C'est le résultat ou l'effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d'imposer à une personne ou à un groupe de personnes des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire.

[5] L'importance d'une loi portant sur les droits de la personne a été reconnue dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145. Le juge Lamer, tel était alors son titre, souligne, à la page 158, qu'une telle loi ne doit pas être considérée comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut [la] reconnaître pour ce qu' [elle] est, c'est-à-dire une loi fondamentale. Ce principe a été précisé davantage par le juge McIntyre, au nom d'une Cour suprême unanime, dans l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, à la p. 156 :

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions.

[6] La jurisprudence a donc reconnu à la Loi un caractère fondamental et quasi-constitutionnel, ce qui lui assure une suprématie de principe par rapport aux lois ordinaires. (Voir également : Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.)

[7] La législation canadienne en matière de droits de la personne envisage essentiellement la protection contre la discrimination. Dans le domaine de l'emploi, son objet plus particulier est de mettre fin à une exclusion arbitraire basée sur des idées préconçues à l'égard de caractéristiques personnelles qui, tout en tenant compte du devoir d'accommodement, n'affectent aucunement la capacité d'un individu de faire le travail.

[8] Dans l'extrait suivant du Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi (1984) (aussi appelé "Rapport Abella"), à la p. 2, (extrait reproduit dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, au par. 37) la commission s'exprime éloquemment à ce sujet :

L'égalité en matière d'emploi signifie que nul ne doit se voir refuser un débouché pour des raisons qui n'ont rien à voir avec sa compétence. Elle signifie le libre accès sans barrières arbitraires. La discrimination fait qu'un obstacle arbitraire vient souvent s'interposer entre la compétence d'une personne et sa possibilité d'en faire la preuve. Si quiconque désirant se réaliser a véritablement la possibilité d'accéder à l'emploi qui l'intéresse, on atteint alors une certaine égalité, c'est-à-dire le droit à l'égalité sans aucune discrimination.

Dans ce contexte, la discrimination s'entend des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l'accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d'emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort. L'intéressé n'est pas limité par ses capacités, mais par des barrières artificielles qui l'empêchent de mettre à profit son potentiel.

[9] Dans ce contexte législatif, la principale fonction du Tribunal canadien des droits de la personne est de nature juridictionnelle. Il tient des audiences formelles sur les plaintes dont il est saisi par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Il détient plusieurs des pouvoirs d'une cour de justice. Il est habilité à statuer sur des faits, à interpréter et à appliquer le droit aux faits qui lui sont soumis et à accorder les redressements appropriés. De plus, ses audiences sont structurées sensiblement de la même façon qu'un procès formel devant une cour de justice. Les parties en présence devant le tribunal présentent une preuve, font entendre et contre-interrogent des témoins, et présentent des observations sur l'application du droit aux faits. Le Tribunal ne mène pas ses propres enquêtes indépendantes sur les plaintes : le législateur a délibérément attribué à la Commission les fonctions d'enquêter sur les plaintes.

[10] L'audience devant le Tribunal canadien des droits de la personne a pour objectif de permettre au Tribunal d'entendre les preuves et les arguments pertinents afin de pouvoir déterminer s'il y a eu discrimination. À l'audience, le plaignant ou la plaignante a l'occasion d'expliquer, par sa preuve, en quoi il ou elle a fait l'objet d'une discrimination et quel redressement il ou elle cherche à obtenir. L'intimé pour sa part aura l'occasion de réfuter les allégations du plaignant et de contrer, le cas échéant, les demandes de redressement.

[11] Ce n'est pas le rôle du Tribunal de présumer des faits qui auraient dû être présentés, de tirer des conclusions d'hypothèses non fondées ou de refaire le travail des avocats. Le Tribunal prend le dossier tel qu'il est et rend la décision la plus équitable à la lumière des faits et arguments qui lui ont été présentés.

A. LE CADRE JURIDIQUE

[12] Magaly Germain (la plaignante) a déposé, le 12 septembre 2004, une plainte contre le Groupe Major Express Inc. (l' intimé). La plaignante allègue que l'intimé a exercé à son endroit de la discrimination en matière d'emploi contrairement à ce que prévoit l'article 7 de la Loi. Plus spécifiquement, la plaignante allègue que l'intimé a exercé de la discrimination à son endroit en raison de sa grossesse en refusant de la reprendre à son emploi à la suite de son congé de maternité. L'intimé, pour sa part, soutient qu'il n'a jamais refusé de reprendre la plaignante et que c'est plutôt elle qui a volontairement quitté son emploi en acceptant un poste ailleurs.

[13] Depuis les décisions de la Cour suprême dans les arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [ appelé également Meiorin ] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 [ appelé également Grismer ], la distinction classique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place à une méthode unifiée d'analyse des plaintes relatives aux droits de la personne. Selon cette méthode, il incombe d'abord à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination.

[14] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée. Les allégations faites par la partie plaignante doivent être dignes de foi afin de justifier la conclusion qu'une preuve prima facie a été établie. (Voir : Singh c. Statistique Canada, [1998] T.C.D.P. no 7, confirmée [2000] A.C.F. no 417 (C.F., 1re inst.), et Dhanjal c. Air Canada, [1997] A.C.F. no 1599, (1997) 139 F.T.R. 37.) Le décideur n'a pas à tenir compte de la réponse de l'intimé lorsqu'il détermine si le plaignant a établi une preuve prima facie. (O'Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985], 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28; voir aussi Dhanjal c. Air Canada, précité, au paragraphe 6, et Moore c. Société canadienne des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2007 TCDP 31, au paragraphe 85).

[15] Une fois une preuve prima facie établie, le fardeau se déplace sur l'intimée, qui doit alors fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée.

[16] La norme de la preuve dans les causes de discrimination est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, l'on peut conclure à la discrimination quand la preuve rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible. (Premakumar c. Air Canada, [2002] D.C.D.P. N° 3, au par. 81.) Un plaignant n'a pas à prouver que la discrimination était le seul facteur qui a influencé le comportement qui fait l'objet de la plainte. Il suffit que le plaignant établisse une preuve prima facie que la discrimination est l'un de ces facteurs. (Voir : Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029.)

B. LES FAITS

[17] L'intimé est une entreprise de camionnage interprovinciale et internationale qui opère essentiellement au Québec, en Ontario et vers les États-Unis. Daniel Gaudreau en est le président. En 2002, l'intimé a présenté à ses créanciers une proposition concordataire en vertu de Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3. La première assemblée des créanciers a eu lieu le 18 octobre 2002. La proposition a été acceptée par les créanciers et a pris effet le 5 novembre 2003. (La question de l'effet de la proposition concordataire sur la présente affaire à l'objet décision préliminaire : Germain c. Groupe Major Express Inc., 2007 T.C.D.P. 57.)

[18] La plaignante a été embauchée par l'intimé le 1er juillet 2002. Les modalités de l'entente d'emploi ont été mises par écrit et signées par les deux parties. Selon cette entente, la plaignante est embauchée à titre de répartitrice dans les opérations de la compagnie. L'entente prévoit que ses tâches consistent à assister la direction dans la gestion journalière des besoins de transport des clients et, plus particulièrement, à planifier les besoins des clients et le service de livraison avec les chauffeurs, à surveiller les rapports des chauffeurs et à subvenir à leurs besoins, à vérifier les dépenses de routes et tout autre travail exigé par la direction et relié à la répartition.

[19] Pour ce travail, le contrat d'emploi prévoit que la plaignante recevra un salaire hebdomadaire de 770 $, soit l'équivalent d'un salaire annuel de 40 040 $. L'entente, rédigée par l'intimé, ne prévoit ni période de probation, ni période de formation. Toutefois, en contre-interrogatoire, la plaignante dira qu'à partir du 2 juillet, j'étais en `training', reconnaissant ainsi qu'il y avait eu une période de formation au début de son emploi. Lors de son interrogatoire, M. Gaudreau précisera que dès son embauche en juillet il a fallu [que la plaignante] se familiarise avec l'entreprise et avec les chauffeurs. La deuxième semaine, elle a commencé à prendre le dessus et à mieux comprendre l'entreprise et le fonctionnement de notre système d'informatique LINK. J'en conclus que s'il y a eu une période de formation, celle-ci n'a pas dépassé les deux premières semaines d'embauche.

[20] Vers la fin juillet, début août 2002, la plaignante apprend qu'elle est enceinte. La date prévue pour l'accouchement est le 23 mars 2003. Elle dit en avoir informé son employeur immédiatement, ce que M. Gaudreau ne nie pas.

[21] Le premier mois de grossesse ne fut pas de tout repos. La plaignante souffre fréquemment de nausée. Elle dit ne pas avoir été au meilleur de sa forme physique. Elle précise avoir dû s'absenter de son travail à quelques reprises au début du mois de septembre 2002. Le 26 septembre 2002, son médecin lui donne un certificat médical qui atteste qu'elle sera absente du travail les 26 et 27 septembre pour raisons de santé. Toutefois, elle ne reviendra pas au travail après ces deux jours de congé de maladie.

[22] Le 25 octobre 2002, son médecin émet un nouveau certificat médical, plaçant la plaignante en arrêt de travail du 26 septembre 2002 jusqu'à son accouchement. Sur le certificat, le médecin indique que l'arrêt de travail est pour raison de santé (stress important et insomnie secondaire à son travail). Lors de son témoignage, la plaignante précisera qu'elle était en retrait préventif du travail en raison de complications du au fait que le placenta n'était pas en place ce qui pouvait être dangereux pour le bébé. Cependant, je constate que le certificat médical ne fait aucune référence à la condition médicale telle que décrite par la plaignante et aucune preuve ne fut présentée par la plaignante pour étayer cette affirmation. Quoi qu'il en soit, l'intimé n'a pas contesté cette preuve.

[23] Selon la plaignante, jusqu'à son arrêt de travail le 26 septembre 2002, ses relations avec son employeur étaient bonnes. Pour appuyer cette affirmation, elle précisera qu'en décembre 2002, malgré le fait qu'elle était en congé de maladie, elle est invitée au brunch de Noël de l'entreprise. Selon elle, sa date d'accouchement était alors connue de l'intimé, mais il n'avait pas encore été question de sa date prévue de retour au travail.

[24] La plaignante a accouché comme prévu au mois de mars 2003. Au mois d'avril, elle se rend chez l'intimé afin de présenter son nouveau-né à ses collègues de travail. Elle précise que c'est à ce moment qu'elle a laissé une lettre, datée du 14 avril 2003, indiquant le 12 janvier 2004 comme date de son retour au travail. C'est également à ce moment qu'elle a rencontré son remplaçant, M. Antoine Genest.

[25] Au mois de juin 2003, la plaignante dit avoir reçu un appel de M. Gaudreau qui lui demande s'il n'est pas possible qu'elle revienne au travail plus tôt, car il désirait partir en vacance au mois de juillet. Elle ajoute qu'il lui aurait même offert les services de sa belle-sur pour garder le bébé. La plaignante précise qu'il lui était impossible de revenir au travail à ce moment, car son bébé n'avait que trois mois et qu'en plus elle devait l'allaiter.

[26] Elle dit avoir eu une autre conversation avec M. Gaudreau au mois d'août 2003. À ce moment, M. Gaudreau voulait savoir quand elle reviendrait au travail. Elle ajoute qu'il insistait pour qu'elle revienne le plus tôt possible. Elle dit que l'insistance de M. Gaudreau la stressait; qu'elle ne voulait pas perdre son emploi. Elle précise avoir essayé, mais sans succès, de trouver une gardienne pour son enfant. Elle dit avoir expliqué à M. Gaudreau que tant et aussi longtemps qu'elle ne trouvait pas une gardienne fiable, elle s'en tenait à la date de retour au travail prévue pour janvier 2004.

[27] M. Gaudreau à une version différente de ce qui se serait produit après l'accouchement de la plaignante. Tout en reconnaissant qu'elle était venue leur présenter son nouveau bébé en avril 2003, il ajoute : Elle nous appelait pour dire qu'elle s'ennuyait de son emploi et elle disait qu'elle avait hâte de revenir. Elle disait qu'elle reviendrait en juin si elle pouvait trouver une gardienne. Il ajoute qu'au mois d'août 2003, elle l'aurait appelé pour lui dire qu'elle avait su que ça n'allait pas bien financièrement pour l'entreprise. Elle m'a demandé si l'entreprise risquait de fermer. Selon M. Gaudreau, ce qui inquiétait la plaignante à cette époque c'était sa sécurité d'emploi.

[28] L'intimé ajoute n'avoir pris connaissance qu'en septembre 2003 de la lettre du 14 avril 2003, dans laquelle la plaignante mentionne que son retour au travail est prévu pour janvier 2004. À l'audience, M. Gaudreau ajoutera qu'il est très surpris de voir la date d'avril sur cette lettre. C'est faux c'était en septembre que nous l'avons reçu et qu'elle nous a annoncé qu'elle reviendrait pour le 12 janvier 2004. Ça, on est catégorique. J'ai reçu cette lettre non en avril mais en septembre. Elle disait toujours qu'elle voulait revenir en juin, qu'elle avait hâte. Lorsque le Tribunal lui a demandé s'il avait la copie de la lettre que l'entreprise avait reçue avec la date de réception tamponnée sur celle-ci, il a répondu que ce n'était pas la pratique de l'intimé de tamponner la date de réception sur les lettres qu'il recevait. Il n'a donc pas été en mesure de produire une preuve pour étayer ses accusations voulant que la plaignante ait antidaté la lettre.

[29] En contre-interrogatoire, M. Gaudreau témoignera que la plaignante devait revenir au travail pour le mois de juin 2003. Il ajoute qu'en juin, elle aurait communiqué avec lui pour lui demander si elle pouvait revenir au travail en août ou septembre, car elle n'arrivait pas à trouver une gardienne pour son enfant. Finalement, il ajoute qu'en août, elle aurait écrit à l'employeur pour l'avertir de son retour pour le 12 janvier 2004. Or, cette lettre du mois d'août, si elle existe, n'a jamais été produite en preuve à l'audience et aucune explication n'a été donnée au Tribunal pour expliquer pourquoi elle n'était pas produite.

[30] Bien qu'il ait contre-interrogé la plaignante sur le contenu de sa lettre du 14 avril 2003, l'avocat de l'intimé n'a jamais mentionné que son témoin, M. Gaudreau, allait témoigner ne l'avoir jamais reçue avant septembre et qu'il allait même alléguer que la date sur la lettre de la plaignante était fausse.

[31] Quoi qu'il en soit, que l'intimé ait reçu la lettre en avril ou, comme il l'allègue, en septembre, il n'a jamais, soit par écrit, soit oralement, indiqué à la plaignante qu'il n'acceptait pas sa date de retour au travail. Du moins, il n'a fourni aucune preuve à cet effet.

[32] M. Gaudreau précise qu'en septembre 2003, Antoine Genest, le remplaçant de la plaignante, étant débordé, il a pris la décision d'embaucher un stagiaire pour lui venir en aide. Il ajoute même : On a négocié que s'il faisait l'affaire qu'on le garderait si [la plaignante] ne revenait pas.

[33] Le 17 octobre 2003, la plaignante appelle M. Gaudreau afin de discuter de son éventuel retour au travail en janvier 2004. C'est lors de cette conversation que M. Gaudreau lui aurait dit qu'elle n'avait plus sa place au sein de l'équipe et qu'il avait embauché M. Genest pour occuper à temps plein le poste de répartiteur. Selon la plaignante, il aurait ajouté qu'il était prêt à lui suggérer d'autres compagnies pour lesquelles elle pourrait travailler.

[34] Après cette conversation, la plaignante dit avoir appelé les normes du travail du Québec où on lui aurait suggéré d'écrire une lettre à son employeur afin de savoir si les liens d'emploi étaient véritablement rompus.

[35] Le 22 octobre 2003, la plaignante fait parvenir une lettre à M. Gaudreau confirmant leur conversation du 17 octobre. Dans cette lettre, qui se voulait, selon elle, un suivi à leur conversation téléphonique, elle indique à son employeur qu'elle a été surprise d'apprendre [...] qu'il l'avait attendu jusqu'en septembre et que puisqu'elle n'était pas revenue au travail, il avait dû engager François [le stagiaire] car [il] n'en pouvait plus d'être au dispatch. La plaignante ajoute dans sa lettre qu'elle avait demandé à M. Gaudreau si elle avait encore une place au sein de son entreprise et qu'il lui aurait répondue que son équipe de répartiteurs était maintenant complète [et] qu'il ne pouvait plus lui garantir un poste. Il aurait ajouté, selon elle, qu'il serait préférable qu'elle commence à se chercher un [nouveau] emploi. La plaignante écrit qu'elle a demandé à M. Gaudreau s'il avait l'intention d'attendre au 10 janvier pour lui annoncer qu'elle n'avait plus d'emploi, ce à quoi il aurait répondu, encore une fois selon la lettre, qu'il n'avait plus son numéro de téléphone.

[36] Elle écrit également dans sa lettre que l'employeur lui a dit que son remplaçant gagnait 39 000 $, par année, ce qui était moins que le salaire qu'il versait à la plaignante et que cela justifiait en soi sa décision de ne plus lui garantir son poste. Elle écrit : Ce que vous oubliez c'est que le congé de maternité existe pour permettre à la mère de consacrer tout son temps et son énergie à son nouveau-né. Par contre, dans la situation présente, je vais passer les deux derniers mois et demi de mon congé à m'inquiéter, à être insécure et probablement à me chercher un autre emploi, car durant cette même discussion vous m'avez fait ressentir que vous ne pouviez me garantir une qualité de vie au travail équivalente à celle que j'avais avant mon départ.

[37] Finalement, elle demande à son employeur de confirmer par écrit, avant le 5 novembre 2003, qu'elle pourra retourner à son travail en janvier 2004 au même poste et au même salaire. L'intimé n'a pas répondu à la lettre de la plaignante.

[38] En contre-interrogatoire, la plaignante précisera avoir envoyé cette lettre à l'intimé par courrier recommandé. Lors de son témoignage, M. Gaudreau dira ne pas se souvenir d'avoir reçu cette lettre. Demandé par l'avocat de l'intimé de produire une copie du reçu de la poste confirmant l'envoie, la plaignante lui a présenté un document qui a semblé satisfaire l'avocat puisqu'il n'a pas poursuivi sur cette ligne de questions. Lors des observations finales, l'intimé n'est pas revenu sur ce point.

[39] Malheureusement, le reçu de la poste n'a pas été produit en preuve et le Tribunal n'a donc pas pu en prendre connaissance. Cependant, je suis convaincu que s'il y avait eu un problème avec le document l'avocat de l'intimé n'aurait pas hésité à le produire et ne l'ayant pas fait, je ne peux que déduire qu'il confirme bel et bien l'envoi de la lettre.

[40] N'ayant pas reçu de réponse de l'employeur, la plaignante dit avoir commencé à se chercher un emploi. Le 3 novembre 2003, elle était embauchée par une compagnie du nom de Litière Royale pour laquelle elle avait déjà travaillé avant son embauche chez l'intimé. La date de son embauche à ce nouvel emploi est quelque peu étonnante, considérant que dans sa lettre du 22 octobre, elle avait laissé à son employeur jusqu'au 5 novembre pour lui confirmer si oui ou non il la reprendrait à son poste en janvier 2004. Elle explique qu'elle avait décidé de se chercher un emploi, car elle savait qu'en janvier il serait difficile de s'en trouver un à Québec.

[41] Selon M. Gaudreau, le 2 novembre, il appelle chez Litière Royale, un client de l'intimé, et, à sa grande surprise, c'est la plaignante qui répond au téléphone. Il ajoute : Je lui dit qu'est-ce que tu fais là? Si tu voulais revenir au travail pourquoi tu n'es pas revenu avec nous autres? Tout ce qu'elle m'a répondu c'est l'incertitude du Groupe Major Express. Elle ne sait pas si on va rester ouvert ou non. J'ai vu que [la plaignante] n'était pas intéressée avec Groupe Major Express. Un peu plus loin, il ajoutera La discussion ne m'a pas marquée. J'ai été plutôt surpris qu'elle était là. On ne savait pas qu'elle était là. Pour nous autres, elle était toujours malade, elle se cherchait une gardienne. Je ne savais absolument rien de ses efforts pour se chercher un emploi ailleurs. On ne l'a jamais congédié. On a été surpris de voir...on voulait avoir une réponse pourquoi elle était allée travailler ailleurs. On l'attendait à Groupe Major Express depuis plus d'un an passé à ce moment-là. Pour donner suite à cette conversation avec la plaignante et devant l'incertitude de son retour, M. Gaudreau dit qu'il a décidé de confirmer la permanence de M. Genest au poste de répartiteur principal.

[42] Lors de son témoignage, la plaignante n'a pas fait référence à une conversation téléphonique qu'elle aurait eue avec M. Gaudreau au début novembre 2003. Je note également que l'avocat de l'intimé n'a pas questionné la plaignante sur cette conversation.

[43] M. Gaudreau fait également référence à une autre conversation qu'il aurait eue avec la plaignante en décembre 2003. Selon M. Gaudreau, la plaignante l'aurait appelé pour l'informer qu'elle désirait revenir au travail le 12 janvier 2004. Il lui aurait alors dit qu'il fallait qu'elle se fasse une idée. Tu travailles chez Litière Royale. Tu reviens, tu ne reviens pas.

[44] Selon la plaignante, la conversation à laquelle M. Gaudreau fait référence n'aurait pas eu lieu en décembre 2003, mais plutôt en janvier 2004. Selon elle, c'est M. Gaudreau qui l'aurait appelé pour lui offrir de revenir travailler chez l'intimé. Toujours selon la plaignante, il lui aurait offert un différent poste à un salaire de 23 000 $, ce qui est beaucoup inférieur à celui qu'elle gagnait avant son congé de maternité. Il lui aurait aussi mentionné qu'elle n'occuperait plus le poste de répartitrice principale. Selon la plaignante, cette offre était inacceptable, car, seulement du point de vue du salaire, elle gagnait plus chez Litière Royale, où elle recevait un salaire de 27 000 $. Elle précise avoir demandé à M. Gaudreau de lui faire parvenir son offre par écrit en ajoutant que de toute façon elle était de nouveau enceinte.

[45] La plaignante ajoute n'avoir jamais reçu de confirmation écrite de l'offre que M. Gaudreau lui aurait faite en janvier 2004. Elle ajoute que pour sa part, elle n'a jamais donné suite à cette conversation, car elle ne prenait pas l'offre au sérieux.

[46] M. Gaudreau ne niera pas avoir appelé la plaignante chez elle, bien que son témoignage à ce sujet soit un peu confus : J'appelle [la plaignante] chez elle. C'est elle qui a appelé pour savoir si son emploi est toujours là pour le 12 janvier. J'ai dit à [la plaignante] vu ton expérience on va te faire une offre. On lui a offert 30 000 $ par année. Le jeune [le stagiaire], il gagnait 27 000 $. Donc, elle avait plus d'expérience que le jeune donc je lui ai donné une majoration (sic). Au bout de trois mois on verra. Elle n'a jamais parlé de mettre cela par écrit. Elle a dit OK, je te rappelle. Elle m'a rappelé 15 minutes après pour me dire je refuse ton offre. Tu me donnes 40 000 $ par année ou je ne reviens pas. Je lui ai dit que je ne pouvais pas lui payer 40 000 $ par année. Je lui ai demandé de faire son training de trois mois. Ton premier mois n'est même pas fait. J'ai pas fini de te montrer la job. Elle a refusé catégoriquement. Elle m'a raccroché au nez. Elle a rappelé et a dit qu'elle voulait 40 000 $. J'ai dit non je ne suis pas capable de te donner 40 000 $ et pas capable de te remettre à ton poste comme avant tu n'as pas l'expérience pour ça. Elle a refusé et a dit que de toute façon, je suis encore enceinte et elle m'a raccroché la ligne au nez.

[47] En contre-interrogatoire, il ajoute qu'a la suite de cette conversation son refus [d'accepter son offre] devient libératoire pour nous.

[48] Après leur conversation de janvier, M. Gaudreau aurait rappelé la plaignante en mai ou juin 2004. D'après la plaignante, il voulait savoir comment elle comptait lui rembourser un montant de 1 500 $ que l'employeur lui avait payé lors de son départ en congé de maternité. En effet, l'employeur avait alors payé à la plaignante trois semaines de salaires dont deux devaient être remboursées par la Commission de la Santé et de la Sécurité au Travail du Québec (la C.S.S.T.), du moins selon ce que les parties croyaient à l'époque. Toutefois, puisque l'intimé était une entreprise fédérale, la C.S.S.T. a refusé de rembourser l'employeur. Dans une entente datée du 7 janvier 2003, la plaignante s'était engagée à rembourser ce montant par des paiements de 100 $ par semaine pendant quinze semaines dès son retour au travail après son congé de maternité. Selon la plaignante, lors de leur conversation de juin 2004, elle aurait dit à son employeur qu'elle n'avait pas, à ce moment, les moyens de rembourser cette somme. La question aurait finalement été réglée lors d'une sentence arbitrale rendue le 3 mars 2005 dans une procédure en vertu de la Section XVI de la Partie III du Code canadien du travail concernant les deux mêmes parties.

C. APPLICATION DU DROIT AUX FAITS

(i) La crédibilité des témoins

[49] Le fardeau initial incombe à la plaignante d'établir un cas prima facie de discrimination. Une fois ce fardeau initial rencontré, il incombe alors à l'intimé de fournir une justification ou une explication de la conduite discriminatoire qui lui est reprochée. Dans le présent cas, la preuve présentée par les parties s'est limitée au témoignage de la plaignante et à celui de M. Gaudreau, pour l'intimé. Comme il fallait s'y attendre, ces deux témoins n'avaient pas les mêmes souvenirs, ni la même interprétation des événements pertinents. Sur plusieurs points, leurs témoignages se sont contredits me forçant de choisir lequel des deux témoignages est le plus crédible, ce qui n'est jamais une tâche facile.

[50] Sur la question de crédibilité, bien que son témoignage ne fut pas exempt de contradictions et d'ambiguïtés, j'ai tendance, pour les raisons qui suivent, à préférer la preuve soumise par la plaignante. Entre autres, la plaignante a appuyé plusieurs de ses affirmations avec une preuve écrite. Par exemple, elle a soumis en preuve une lettre datée du 14 avril 2003, qui informait son employeur qu'elle ne reviendrait au travail qu'en janvier 2004. Pour sa part, sur ce point, le témoin de l'intimé n'a fait qu'émettre une accusation sans fondement voulant que la date de cette lettre eût été falsifiée et que, quoi qu'il en soit, il ne l'ait reçu qu'au mois d'août ou au mois de septembre 2003. Toutefois, il n'a pas présenté la copie de la lettre que son entreprise aurait reçue et, à ma question à savoir si l'intimé n'avait pas en sa possession une lettre avec un tampon indiquant la date de réception, il m'a répondu que ce n'était pas la pratique de l'intimé d'apposer un tampon indiquant la date de réception sur les lettres qu'il recevait. Cette explication ne m'a pas convaincu et d'ailleurs elle n'explique pas pourquoi la lettre du mois d'août ou septembre 2004 n'a jamais été produite.

[51] Je constate également que lors de son contre-interrogatoire de la plaignante, l'avocat de l'intimé ne l'a pas vraiment interrogé sur le contenu de cette lettre et surtout il n'a pas attiré l'attention de celle-ci sur le fait que son témoin allait témoigner qu'il n'avait pas reçu la lettre en avril et qu'il mettrait même en doute la date qui était indiquée sur celle-ci. À cet effet, je rappelle que la règle établie dans l'arrêt Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), oblige l'avocat, à moins que le témoin n'ait déjà reçu un avis que sa crédibilité serait mise en question, à prévenir les témoins dont il entend mettre en doute la crédibilité ultérieurement. La justification de cette règle a été expliquée ainsi par lord Herschell, aux pages 70-71, de la décision :

[Traduction] Bien, vos Seigneuries, je ne peux m'empêcher d'affirmer qu'il m'apparaît absolument essentiel au déroulement régulier d'une instance, lorsqu'un avocat entend suggérer qu'un témoin ne dit pas la vérité sur un point en particulier, d'attitrer l'attention de ce témoin sur ce fait en lui posant en contre-interrogatoire certains questions indiquant qu'on fera cette imputation, et non d'accepter son témoignage et d'en faire abstraction comme s'il était absolument incontesté puis, lorsqu'il lui est impossible d'expliquer - ce qu'il aurait peut-être pu faire si ces questions lui avaient été posées - les circonstances qui, prétend-on, montrent que sa version des faits ne doit pas être retenu, de soutenir qu'il n'est pas un témoin digne de foi. Vos Seigneuries, il m'a toujours semblé que l'avocat qui entend mettre en doute le témoignage d'une personne doit, lorsque cette personne se trouve à la barre des témoins, lui donner l'occasion d'offrir toute explication qu'elle est en mesure de présenter. De plus, il me semble qu'il ne s'agit pas seulement d'une règle de pratique professionnelle dans la conduite d'une affaire, mais également d'une attitude essentielle pour agir de façon loyale envers les témoins. On souligne parfois le caractère excessif du contre-interrogatoire auquel un témoin est soumis, reprochant à ce contre-interrogatoire d'être abusif. Toutefois, il me semble qu'un contre-interrogatoire mené par un avocat péchant par excès de zèle peut se révéler beaucoup plus équitable pour le témoin que le fait de ne pas le contre-interroger puis de suggérer qu'il ne dit pas la vérité, je veux dire sur un point à l'égard duquel il n'est par ailleurs pas clair qu'il a été pleinement informé au préalable qu'on entendait mettre en doute sa crédibilité de sa version des faits.

( Voir également : R. v. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193 et Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2nd ed., LexisNexis Butterworth, pp. 954-957. )

[52] De plus, bien que sur certains aspects le témoignage de la plaignante ait également démontré certaines contradictions, j'ai trouvé, règle générale, son témoignage beaucoup plus crédible que celui du témoin de l'intimé.

[53] En ce qui concerne la conversation téléphonique du 17 octobre 2003, la plaignante soumettra en preuve une lettre datée du 22 octobre 2003, confirmant la teneur des discussions qu'elle aurait eues alors avec M. Gaudreau. M. Gaudreau ne niera pas avoir reçu cette lettre, bien qu'il dise ne pas s'en souvenir. Je note également que lors du contre-interrogatoire de la plaignante, l'avocat de l'intimé a demandé de voir le reçu de la poste confirmant l'envoi de cette lettre par courrier recommandé. Après avoir examiné ce document, Me Jobidon ne posa aucune autre question au témoin sur ce point, ni ne demandera que le reçu soit produit en preuve. J'en conclus que le document confirmait l'envoi de la lettre aux environs de la date prévue. J'en conclus également que le contenu de la lettre reflète fidèlement la conversation qui a eu lieu entre ces deux individus, puisqu'il n'a pas été contesté par l'intimé.

[54] Lors de son témoignage, M. Gaudreau a fait référence à deux conversations qu'il dit avoir eues avec la plaignante, en novembre et en décembre 2003. La plaignante n'a jamais fait référence à ces conversations et elle n'a jamais été contre-interrogée à leur sujet. Selon M. Gaudreau, c'est lors de la conversation de novembre qu'il a appris que la plaignante travaillait chez Litière Royale. Il ajoute que suite à cette conversation, il a décidé de confirmer la permanence de M. Genest, le remplaçant de la plaignante, au poste de répartiteur principal. Or, par la suite le témoignage de M. Gaudreau devient difficile à suivre. Selon lui, la plaignante l'aurait à nouveau contacté en décembre 2003 pour l'informer qu'elle était toujours intéressée à revenir travailler pour l'intimé en janvier 2004. M. Gaudreau lui aurait alors dit qu'il fallait qu'elle se fasse une idée. Tu travailles chez Litière Royale. Tu reviens, tu ne reviens pas. Si l'intimé avait appris, comme l'indique M. Gaudreau, au début du mois de novembre que la plaignante avait accepté un poste ailleurs et que cela l'avait amené à confirmer M. Genest dans le poste de répartiteur principal, alors pourquoi a-t-il à nouveau discuté avec elle, en décembre, de son retour possible au travail?

[55] En contre-interrogatoire, M. Gaudreau expliquera qu'il avait accepté de reprendre la plaignante même s'il venait d'accorder la permanence à M. Genest. Il ajoute que le poste de second répartiteur était toujours disponible car nous avions pris la décision de mettre à pied le second répartiteur [le stagiaire] pour le remplacer par la [plaignante]. Mais alors, pourquoi avoir agi ainsi, si déjà en novembre 2003, il considérait que la plaignante avait quitté son emploi? La décision de remercier le 22 décembre 2003, le stagiaire qui occupait le poste de deuxième répartiteur a été prise, selon M. Gaudreau, en raison du retour possible de la plaignante. En conséquence, cette conversation, si elle a eu lieu, doit donc s'être déroulée avant le 22 décembre 2003, date à laquelle le stagiaire a été remercié de ses services. Dans ce cas, pourquoi M. Gaudreau n'a-t-il pas informé la plaignante à ce moment que l'intimé n'allait pas la reprendre au poste de répartiteur principal, d'autant plus qu'il avait déjà confirmé M. Genest à ce poste?

[56] La chronologie des événements telle que présentée par M. Gaudreau est difficile à suivre. Bien qu'il affirme avoir parlé avec la plaignante de son retour possible lors d'une conversation téléphonique en décembre 2003, il semble que ce n'est que lors d'une conversation en janvier 2004, qu'il l'aurait informé que l'entreprise était en train de revoir le salaire des employés en raison de ses difficultés financières. Il aurait même indiqué que tous les salaires sont réduits de 15%. Il ajoute que lors de cette conversation : On a fait part à [la plaignante] qu'on va la reprendre, mais qu'on va renégocier son salaire, car l'entreprise ne peut payer deux salaires de 40 000 $. François [le stagiaire] est parti le 22 décembre. La plaignante a rappelé le 10 janvier et a demandé si le travail était prêt. J'ai dit oui, on est prêt à te reprendre. Vu le training que tu n'as pu compléter au début de ton emploi, vu ton manque d'expérience, on te repart comme deuxième dispatch derrière Antoine qui avait à ce moment un an d'expérience. On ne peut pas te remettre première avec deux semaines de training. En 2003, on était rendu à 30 camions et non 20 comme à l'époque où elle avait débuté.

[57] Lorsque M. Gaudreau affirme que l'entreprise ne peut pas payer deux salaires de 40 000 $, il fait évidemment référence au fait que M. Antoine Genest occupe maintenant le poste de premier répartiteur et qu'il reçoit un salaire de 40 000 $. Pourtant en contre-interrogatoire, il précisera : Il [Antoine Genest] a occupé le poste de répartiteur jusqu'en septembre 2004. Il a quitté le poste en raison de sa santé. Il savait au début que c'était un poste temporaire, mais parce qu'on ne savait pas quand [la plaignante] reviendrait cela s'éternisait. (C'est moi qui souligne.) Ainsi, M. Genest devait occuper ce poste sur une base temporaire jusqu'au retour de la plaignante. L'intimé n'avait donc aucune intention au départ de le confirmer dans ce poste sur une base permanente; il lui demandait de remplacer la plaignante pendant son congé de maternité. Il n'était également aucunement question, lors de l'embauche de M. Genest, du fait que la plaignante n'avait pas terminé sa période d'entraînement.

[58] M. Gaudreau ne niera pas avoir appelé la plaignante chez elle en janvier 2004, bien que son témoignage soit un peu confus : J'appelle [la plaignante] chez elle. C'est elle qui a appelé pour savoir si son emploi est toujours là pour le 12 janvier. D'une phrase à l'autre, il se contredit affirmant en premier avoir appelé la plaignante, pour ajouter immédiatement après que c'est la plaignante qui aurait appelé. Selon la teneur de cette conversation reproduite plus haut, l'intimé voulait renégocier le salaire de la plaignante en soutenant qu'elle n'avait pas terminé son entraînement. Or, le contrat d'embauche ne prévoit pas de période d'entraînement, ni la possibilité de réduction salariale en cas de congé prolongé.

[59] En contre-interrogatoire, M. Gaudreau ajoute un commentaire intéressant : Son refus devient libératoire pour nous. J'interprète ce commentaire comme une indication qu'à partir de ce moment l'intimé considérait les liens d'emploi avec la plaignante comme étant rompus. Cette affirmation est pour le moins étonnante à la lumière de son témoignage un peu plus tôt voulant qu'il ait décidé, suite à sa conversation de novembre 2003 avec la plaignante, de confirmer M. Genest dans le poste de répartiteur principal, le poste qu'occupait la plaignante. Au moment où M. Gaudreau a confirmé M. Genest dans le poste, il était conscient du fait que la plaignante s'attendait toujours à revenir travailler pour l'intimé. Or, il semble maintenant que ce ne sont pas les conversations de novembre et décembre 2003 qui sont libératoires, mais plutôt le refus de la plaignante, en janvier 2004, d'accepter un poste différent à un salaire moindre.

[60] Pour toutes ces raisons, je n'accorde pas une grande crédibilité au témoignage du témoin de l'intimé et lorsque celui-ci contredira celui de la plaignante, je préfèrerai le témoignage de celle-ci.

(ii) Le congé de maternité

[61] Bien que la grossesse ne soit ni un accident, ni une maladie et qu'il s'agisse très souvent d'un état voulu, il est incontestable qu'elle est un motif de santé valable pour s'absenter du travail. Pour l'employée, les conséquences économiques de l'incapacité d'exécuter les tâches que son travail comporte sont les mêmes que cette incapacité résulte d'une grossesse ou d'un autre motif de santé entraînant l'absence du travail. Or, ne pas considérer la grossesse de cette façon va à l'encontre de l'un des objets des lois anti-discrimination à savoir la suppression des désavantages injustes imposés à des personnes ou à des groupes dans la société. (Voir l'article 2 de la Loi qui parle du droit à l'égalité des chances d'épanouissement.) De plus, nous pouvons considérer ce désavantage comme un désavantage imposé aux femmes, car elles sont les seules à pouvoir donner naissance. D'ailleurs, le Parlement a codifié cette constatation au par. 3(2) de la Loi qui prévoit spécifiquement qu' une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée fondée sur le sexe.

[62] Il en ressort également qu'en concluant que les femmes, suite à un accouchement, n'ont pas droit à des congés de maternité sans subir d'effets néfastes sur leur emploi, on saperait un des objectifs des lois anti-discrimination en cautionnant une des façons les plus marquées de les désavantager. Ce serait avaliser l'imposition aux femmes d'une part disproportionnée des coûts de la grossesse. La suppression des fardeaux injustes imposés aux femmes et aux autres groupes dans la société constitue un objet clef des lois anti-discrimination. (Voir Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, aux paras 28 et 29.)

[63] L'objet du congé de maternité n'est pas l'encouragement de la constitution de familles. Il vise plutôt la protection de la santé et du bien-être des femmes enceintes et des nouvelles mères. Il va de soit que la grossesse et l'accouchement mettent la santé de la nouvelle mère à rude épreuve. Le congé de maternité vise à leur permettre de se relever de leur état afin qu'elles puissent dans les meilleures conditions possibles retourner sur le marché du travail. (Voir B.C. Government and Service Employees Union c. British Columbia (2002), 216 D.L.R. (4th) 322, au par. 17, tel que traduit dans Tomasson c. Canada (Procureur-général), 2007 C.A.F. 265).

[64] Dans le cas qui nous intéresse, la plaignante était en congé parental lorsque son employeur l'avisa en octobre 2003 qu'elle n'avait plus sa place au sein de son entreprise et qu'elle devait se chercher un emploi ailleurs. Bien qu'il soit vrai qu'il a en janvier 2004, offert un poste à la plaignante, ce poste n'était pas celui qu'elle avait occupé avant de devoir prendre un congé de maladie en raison de sa grossesse. L'emploi qui lui était proposé par l'employeur constituait une rétrogradation, accompagné d'une baisse substantielle de salaire.

[65] De l'ensemble de la preuve qui m'a été présentée, je conclus que la plaignante a établi une cause prima facie que l'intimé a exercé de la discrimination à son endroit en raison de sa grossesse en refusant de la reprendre à son emploi, au même poste et au même salaire, à la suite de son congé de maternité et de son congé parental.

[66] Le fardeau se déplace maintenant sur l'intimé, qui doit fournir une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée. L'intimé n'a pas présenté de preuve qui lui permet de rencontrer ce fardeau. En premier lieu, il donne comme explication que la plaignante avait accepté un travail ailleurs en novembre 2003. Par la suite, il témoigne qu'il était près à reprendre la plaignante en janvier 2004, mais dans un autre poste et à un salaire moindre puisqu'elle n'avait pas terminé sont entraînement et que son remplaçant avait plus d'expérience qu'elle. Or, comme nous l'avons vu plus haut, cette explication n'était pas convaincante et contredisait la preuve présentée par la plaignante. Le caractère incomplet et les contradictions de la preuve présentée par l'intimé m'amène à conclure qu'il n'a pas fourni une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée.

[67] J'en conclus donc que la plainte de Madame Germain à l'encontre de son employeur, Groupe Major Express Inc. est fondée.

D. REDRESSEMENTS

[68] Au niveau des redressements sollicités par la plaignante, je dois faire face au même problème que j'avais lors de la décision sur le fond avec la preuve de l'intimé, mais cette fois-ci c'est la preuve de la plaignante qui est loin d'être satisfaisante et concluante. Voici donc en résumé les éléments de preuve qui m'ont été présentés.

[69] La plaignante ne réclame pas sa réintégration au sein de l'équipe de l'intimé. Elle réclame cependant le salaire qu'elle dit avoir perdu en raison de son congédiement. Je constate toutefois qu'aucune preuve concrète n'a été déposée pour étayer cette réclamation.

[70] Tout au plus, m'a-t-elle présenté un historique de son emploi depuis novembre 2003. Ainsi, de novembre 2003 jusqu'à mars 2004, la plaignante a travaillé pour Litière Royale. En mars 2004, son médecin l'a mise en retrait préventif en raison de sa grossesse. Le 25 août 2004, elle a accouché de son deuxième enfant. Suite à son congé de maternité, elle n'est pas retournée travailler chez Litière Royale. Elle explique qu'elle venait de se séparer du père de son deuxième enfant et puisque celui-ci travaillait également pour Litière Royale, elle ne se sentait pas à l'aise d'y retourner.

[71] Après avoir quitté Litière Royale, elle dit avoir travaillé, à partir de septembre 2005, pendant trois mois, pour une compagnie de courtage en transport nommé Voyageur 2000. Elle ajoute que c'était un travail à temps plein et qu'elle recevait un salaire de 35 000 $ par année. Elle explique avoir quitté ce poste puisque, en raison de sa récente séparation, elle avait dû quitter le foyer familial et retourner vivre chez sa mère.

[72] Puisqu'elle avait épuisé son assurance-emploi pendant son congé de maternité, elle dit avoir retiré de l'assistance sociale pour la période qui a suivi son départ de chez Voyageur 2000. En juillet 2006, elle est allée travailler pour Saint-Lambert Transport, un courtier en transport. Finalement, le 20 novembre 2006, elle s'est trouvé un emploi à temps partiel avec FEDEX. Bien qu'elle dit être toujours à l'emploi de FEDEX, elle ajoute être en congé parental depuis le 2 mars 2008, puisqu'elle doit accoucher le 16 juin 2008. De plus, elle précise que depuis septembre 2007, elle est en arrêt de travail.

[73] Je ne peux sur la base de cette preuve incomplète conclure que la plaignante a subi une perte de salaire et je n'émettrai donc aucune ordonnance à cet effet.

[74] La plaignante réclame également un montant de 20 000 $ en dommages moraux, aux termes de l'alinéa 53(2)e) de la Loi soutenant que l'action de l'intimé l'a privé de trois mois de congé de maternité. Elle précise avoir dû se trouver une gardienne en catastrophe au mois de novembre, car elle devait se trouver un emploi et que cela avait chambardé sa vie lui occasionnant du même coup un certain stress.

[75] La preuve présentée à l'audience pour soutenir cette réclamation m'apparaît pour le moins mince et certainement insuffisante pour justifier le montant réclamé par la plaignante qui est le maximum prévu par la Loi. Cette preuve se limite au témoignage de la plaignante voulant qu'elle ait été affectée par la conduite de l'intimée. (Voir Transport Jeannot Gagnon c. Dumont 2002 CFPI 1280).

[76] Toutefois, je conviens que la conduite de l'intimée a causé un préjudice moral à la plaignante, si ce n'est qu'en terme d'anxiété. J'accorde donc une indemnité de 3 500 $ au titre de préjudice moral.

[77] La plaignante réclame également un montant afin de pouvoir rembourser ses frais d'avocat. Pour appuyer cette réclamation, elle a déposé en preuve un accord d'honoraire conditionnel qu'elle avait conclu avec son avocat. Je ne peux sur la base de cette preuve acquiescer à la demande de la plaignante. Un accord d'honoraire conditionnel ne peut pas être considéré comme une preuve des honoraires que la plaignante devra versée à son avocat.

[78] L'intérêt sur le montant de 3 500 $ accordé à titre de redressement est payable en conformité du paragraphe 53(4) de la Loi. Il devra être calculé selon la règle 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits la personne (03-01-04) au taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d'escompte fixé par la banque du Canada. L'intérêt courra à compter de la date de la plainte jusqu'à la date du versement de l'indemnité.

signée par
Michel Doucet

OTTAWA (Ontario)
Le 25 juillet 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1179/6106

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Magaly Germain c. Groupe Major Express Inc.

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 31 mars 2008
Le 1 avril 2008

Québec (Québec)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL

Le 25 juillet 2008

ONT COMPARU :

Jérôme Carrier

Pour la plaignante

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jacques Jobidon

Pour l'intimé

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