Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 14/93 Décision rendue le 20 août 1993

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE

PATRICIA HEBERT

la plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

les intimées

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: J. GRANT SINCLAIR, c.r. - président MARIE CROOKER - membre RICHARD NOONAN - membre

ONT COMPARU:

ARNOLD FRADKIN AND Avocat des intimées, les Forces armées LT. COMDR. H. MacDOUGALL canadiennes

Me PETER ENGELMANN Avocat de la Commission

DATES ET LIEU Du 17 au 19 février 1992; DE L'AUDIENCE Halifax (Nouvelle-Écosse)

Du 3 au 5 mars 1992 et du 4 au 6 mai 1992; Ottawa (Ontario)

TABLE DES MATIERES

I. FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE

a) Patricia Hebert

b) Comparaison entre Hebert et d'autres candidats au PFOR

II. LA PLAIGNANTE

III. ACUITÉ VISUELLE ET ERREUR DE RÉFRACTION

a) L'acuité visuelle et l'erreur de réfraction chez Hebert

b) Erreur de réfraction

c) Acuité visuelle

d) Corrélation entre l'erreur de réfraction et l'acuité visuelle

e) Tableau de normes visuelles dans les Forces armées canadiennes

f) Témoignage d'expert - Myopie et acuité visuelle

g) Normes visuelles pour les personnes qui sont chargées de veiller à la sécurité du public

IV. FORMATION D'UN PHYSIOTHÉRAPEUTE AU SEIN DES FAC

a) Le profil de carrière d'un physiothérapeute au sein des FAC

b) Exigences liées aux physiothérapeutes des FAC

c) Doctrine de la responsabilité illimitée

d) Le système de soutien médical des FAC sur le terrain

e) Expérience vécue par Michelle Lott, physiothérapeute au sein des FAC

f) Expérience vécue par une physiothérapeute de l'armée américaine lors de la Guerre du Golfe

g) Exemption relative aux normes d'enrôlement

V. PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

a) La plainte et la défense

b) Principes d'interprétation

c) La défense d'EPJ

d) Risque lié à la sécurité et EPJ

e) Preuve de l'accroissement du risque

VI. RÉPARATION

I. FAITS A L'ORIGINE DU LITIGE

a) Patricia Hebert

Patricia Hebert (Hebert), la plaignante en l'espèce, est issue d'une famille de militaires. Son père s'est joint à l'ARC en 1964 et est actuellement affecté à Lahr, en Allemagne, comme adjudant au sein des Forces armées canadiennes (FAC). A la date de la présente audience, Hebert demeurait avec sa famille, travaillant à temps partiel à la base tout en poursuivant ses études dans un collège communautaire.

Comme membre d'une famille de militaires, elle a connu une existence marquée par le mouvement et le changement. Elle a vécu dans différentes bases militaires, tant au Canada qu'en Europe. Elle a l'intention de poursuivre dans la même veine et de devenir physiothérapeute au sein des FAC.

A cette fin, Hebert a déposé, en avril 1987, une demande d'adhésion au Programme de formation des officiers de la force régulière (PFOR) des FAC. Si elle était acceptée, elle devait s'inscrire à la Dalhousie University pour obtenir un baccalauréat en sciences et, une fois la première année terminée, présenter une demande à l'école de physiothérapie.

Hebert a réussi le test d'aptitudes des FAC; cependant, le médecin qui l'a examinée lui a dit que sa vue sans correction était très faible et qu'elle avait peu de chances d'être acceptée dans les FAC. Elle satisfaisait cependant aux autres critères d'ordre médical.

Le jour de l'entrevue qu'elle devait avoir en mai 1987, le centre de recrutement des FAC lui a téléphoné pour lui dire de ne pas se déplacer, parce que, selon le Tableau des normes visuelles des FAC, sa vue était classée V6. Ce tableau prescrit la norme d'enrôlement relative à l'acuité visuelle en ce qui a trait à la vision corrigée et non corrigée. Hebert répondait à la norme relative à la vision corrigée, mais non à la norme minimale de vision non corrigée (V4) et sa candidature a donc été rejetée.

b) Comparaison entre Hebert et d'autres candidats au PFOR

Le capitaine Jacques De Bellefeuille, qui travaille à la Direction du recrutement des FAC, a commenté la demande d'adhésion au PFOR de Hebert. Ce programme vise à offrir aux candidats une formation leur permettant d'obtenir un diplôme de premier cycle. Les personnes qui étaient acceptées poursuivaient leurs études dans un collège militaire canadien ou dans une université civile, si les cours choisis n'étaient pas offerts dans un collège militaire. Le Programme permet normalement de subventionner de 500 à 700 candidats par année et, dès la fin de leurs études subventionnées, ceux-ci deviennent officiers dans les FAC et travaillent dans leur spécialité.

En 1987, l'année au cours de laquelle Hebert a présenté sa demande, on a compté 41 demandes d'adhésion au PFOR dans le domaine de la physiothérapie; de ces demandes, dix ont été retenues et ont fait l'objet d'offres dont huit ont été acceptées. Parmi les huit personnes acceptées, deux étaient des étudiants de niveau secondaire, tandis que les autres étaient des étudiants de niveau universitaire de premier cycle. Le capitaine De Bellefeuille a comparé les notes scolaires de Hebert et le résultat qu'elle a obtenu lors du test d'aptitudes générales des FAC avec les résultats des huit candidats qui ont été acceptés. Lorsque Hebert a présenté sa demande d'adhésion au PFOR, elle venait de terminer ses études secondaires; cependant, à la date de l'audience, elle avait obtenu un baccalauréat en sciences de la Dalhousie University.

Les critères utilisés pour choisir les candidats au PFOR sont fondés sur les normes médicales, sur les résultats du test d'aptitudes générales, sur le rendement académique et sur le potentiel militaire. Hebert n'a pas passé le test du potentiel militaire, parce qu'elle n'a pas réussi le test médical. Selon le capitaine De Bellefeuille, il aurait fallu que Hebert excelle lors du test du potentiel militaire pour surpasser les autres candidats sur le plan des résultats généraux, étant donné qu'elle a obtenu un résultat inférieur à celui des dix candidats auxquels des offres ont été faites en ce qui a trait aux autres critères.

Le capitaine De Bellefeuille a ajouté que l'évaluation du potentiel militaire était le critère le plus important aux fins de l'acceptation au PFOR et que Hebert aurait peut-être obtenu un très bon résultat, compte tenu du milieu militaire dont elle provient. En outre, le fait de détenir un diplôme universitaire au moment de la présentation d'une demande d'adhésion au PFOR constitue un avantage.

II. LA PLAIGNANTE

Le 6 juin 1987, Hebert a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte contre le ministère de la Défense nationale (MDN), alléguant que celui-ci avait fait montre de discrimination fondée sur une déficience à son endroit, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Le 15 décembre 1988, elle a modifié sa plainte, soutenant que les FAC avaient fait montre de discrimination fondée sur une déficience à son endroit, contrairement aux articles 7 et 10 de la LCDP.

III. ACUITÉ VISUELLE ET ERREUR DE RÉFRACTION

a) L'acuité visuelle et l'erreur de réfraction chez Hebert

Hebert porte des lentilles cornéennes en permanence depuis 1984. Son médecin est le Dr Mohammad Humayun, ophtalmologiste et médecin consultant dans un certain nombre d'hôpitaux de la région d'Halifax. C'est en septembre 1984 que le Dr Humayun l'a

examinée pour la première fois. Il a constaté, à cette époque, une erreur de réfraction, non corrigée, de -6 3/4 à -7 dioptries. Lorsqu'il l'a examinée pour la dernière fois, en 1990, l'erreur de réfraction était de -8 dioptries pour l'oeil gauche et -8.5 dioptries pour l'oeil droit; il n'y a eu aucun changement au cours des deux dernières années. Sa vision corrigée est 20/25, ce qui est presque une vision normale.

b) Erreur de réfraction

Le major Walter Delpero, membre des Forces armées canadiennes et ophtalmologiste titulaire d'un certificat de qualification, a témoigné. Selon le major Delpero, le mot dioptrie est utilisé pour décrire une faiblesse de l'oeil ou son corollaire, le degré de correction nécessaire. L'erreur de réfraction est l'incapacité de l'oeil de former le foyer avec précision sur la rétine, et les dioptries servent à mesurer l'erreur de réfraction.

Il y deux types d'erreur de réfraction: l'hypermétropie qui est une mauvaise vue des objets proches dans laquelle le point de convergence des rayons lumineux se trouve en arrière de la rétine, ce qui brouille la vision. Le second type d'erreur de réfraction est la myopie qui se traduit par une mauvaise vue à distance, laquelle se produit lorsque le point de convergence des rayons lumineux se trouve en avant de la rétine. L'hypermétropie se mesure en dioptries positives, et une lentille convergente ou une puissance dioptrique positive est utilisée pour la corriger; quant à la myopie, elle se mesure en dioptries négatives et une lentille divergente est utilisée pour la corriger. Hebert est myope.

c) Acuité visuelle

L'acuité visuelle se mesure généralement à l'aide des planches de Snellen. Selon cet optotype, l'acuité visuelle normale se mesure à une distance de 20 pieds. La personne qui a une vision de 20/20 a une vision normale. Selon les planches de Snellen, la personne qui a un résultat de 20/60 peut voir à une distance de 20 pieds les mêmes détails qu'une personne qui a une vision normale peut voir à 60 pieds. La fraction de Snellen exprime la distance de reconnaissance du test par l'oeil mesuré, par rapport à l'oeil normal. Plus ce rapport est bas, plus la vision de la personne est abîmée, c'est-à-dire plus le vice de réfraction est grand.

d) Corrélation entre l'erreur de réfraction et l'acuité visuelle

La corrélation entre l'erreur de réfraction et l'acuité visuelle est illustrée au Tableau X-10 de l'étude de Duke-Elder; elle se présente de la façon suivante:

MYOPIE A.V. MYOPIE A.V

0,50D. 20/25 3,00D. 20/285 1,00D. 20/65 4,00D. 20/420 1,50D. 20/110 5,00D. 20/565 2,00D. 20/165 6,00D. 20/775

Bien que cela n'apparaisse pas sur ce tableau, -7 dioptries serait égal à environ 20/1000 et -8 dioptries à 20/1500. Une personne myope, par exemple, ayant une erreur de réfraction de -0,5 dioptries aurait une acuité visuelle de 20/25. A l'autre extrémité de l'échelle, le myope ayant une erreur de réfraction de -8,0 dioptries (comme Hebert) aurait une acuité visuelle de 20/1500.

e) Tableau de normes visuelles dans les Forces armées canadiennes

La norme visuelle ordinaire pour les nouvelles recrues dans les Forces armées canadiennes est V4 tant pour la vision non corrigée que pour la vision corrigée. Les différentes catégories d'acuité visuelle sont décrites dans le Tableau de normes visuelles présenté ci-dessous.

TABLEAU DE NORMES VISUELLES

Vision non corrigée Vision corrigée

Catégorie Meilleur oeil Autre oeil Meilleur oeil Autre oeil

Loin Près* Loin Près* Loin Près* Loin Près*

V1 6/6 N5 et N14 6/9 N6 et N18 S/O S/O S/O S/O

V2 6/18 N10 et N24 6/18 N10 et N24 OU OU N8 et N16 N12 et N36 6/6 N5 et N14 6/9 N6 et N18 6/12 6/30

V3 6/120 S/O 6/120 S/O 6/6 N5 et N14 6/9 N6 et N18

V4 S/O S/O S/O S/O 6/9 N6 et N18 6/120 N36

Tant que l'erreur de réfraction ne dépas se pas plus ou moins 7,00 dioptries d'équivalence sphérique.

V5 Cette catégorie est réservée aux militaires du cadre actif dont la catégorie visuelle est inférieure à V4 mais qui ont, de l'avis de l'ophtalmologiste consultant, une acuité visuelle suffisante pour remplir de façon satisfaisante les fonctions propres à leur métier ou à leur emploi présent et pour continuer à le faire sans inconvénient. Si cette catégorie risque d'avoir des répercussions sur la carrière du militaire ou qu'un reclassement satisfaisant ne peut pas être effectué, il faut alors envisager la libération en vertu de l'article 15.01(3)b) des ORFC.

V6 Cette catégorie est attribuée aux candidats dont l'acuité visuelle est inférieure aux normes de V4. Seul un ophtalmologiste peut l'accorder aux militaires du cadre actif qui ne peuvent pas se classer à une catégorie supérieure.

* La vision de près se mesure au moyen d'une carte à caractère TIMES romains à la distance normale de lecture (30 cm à 50 cm) et à la distance de 100 cm. La distance de 100 cm est importante dans la cabine de pilotage d'un aéronef et dans d'autres milieux semblables ainsi que pour les utilisateurs de tubes cathodiques de visualisation. Si deux valeurs sont indiquées, par exemple N5 et N14, la première désigne la distance de lecture et la seconde la distance de 100 cm.

Les équivalents approximatifs de l'optotype à caractères TIMES romains N, de l'optotype Jaeger et de l'optomètre sont:

N5 = J2 = 0,5m N6 = J3 = 0,6m N8 = J5 = 1,0m N10 = J7 = 14m N12 = J8 = 1,6m

N14 = J10 = 20m N16 = J11 = 2,2m N18 = J12 = 2,5m N24 = J20 = 40m N36 = J30 = 6,0m

La personne dont la catégorie visuelle est V1 a essentiellement une vision normale ou presque normale, c'est-à-dire 20/20 ou 20/30 selon l'optotype de Snellen. Les personnes qui ont cette acuité visuelle ont peu de problèmes de réfraction et n'ont pas besoin de correction.

La catégorie V2 indique qu'il existe un faible degré de myopie ou d'hypermétropie. Les personnes appartenant à cette catégorie ont une acuité visuelle de 20/40 à 20/60 et n'ont pas besoin de correction. Quant à la personne dont la catégorie visuelle est V3, elle aurait une acuité visuelle d'environ 20/400; elle ne pourrait probablement pas fonctionner sans correction. Elle pourrait toutefois voir suffisamment bien pour pouvoir se déplacer sans trébucher, lire les noms de rue à une distance raisonnable ou voir venir les gens ou les automobiles.

Pour ce qui est de la catégorie V4, la norme minimale pour les nouvelles recrues dans les Forces armées canadiennes, l'erreur de réfraction ne doit pas dépasser plus ou moins 7,0 dioptries d'équivalence sphérique, ce qui donnerait avec la planche de Snellen des résultats entre 20/400 et 20/1000. Les personnes de cette catégorie ont une faible vision non corrigée, mais cette vision peut être très facilement corrigée par des verres correcteurs.

Selon le témoignage du Dr Delpero, une erreur de réfraction de -8 dioptries correspond à une acuité visuelle d'environ 20/1500. Toutefois, avec une telle baisse de l'acuité visuelle, il serait plus juste d'appliquer une plus petite équivalence, soit de 20, ce qui donnerait 1/75. Au-delà d'un pied de distance, un myope ayant une vision non corrigée de 8 dioptries pourrait probablement voir la couleur d'une automobile, mais il n'en verrait ni les détails ni la marque et ne pourrait certainement pas lire le numéro de la plaque minéralogique ni distinguer les traits du conducteur. Il ne verrait qu'une masse mouvante.

Le Tableau de normes visuelles contient deux autres catégories, V5 et V6. La catégorie V5 est réservée aux militaires du cadre actif dont l'acuité visuelle, qui a déjà été conforme aux normes de V4, est maintenant inférieure à ces normes; ces militaires peuvent rester dans les Forces armées s'ils sont capables de remplir de façon satisfaisante les fonctions propres à leur emploi.

On suppose que les militaires qui sont classés dans la catégorie V5 ont suffisamment de compétence et d'expérience dans leur métier pour compenser la perte d'acuité visuelle. Toutefois, ces militaires ne gardent pas automatiquement leur emploi ou ne restent pas automatiquement dans l'Armée; la décision dépend de l'opinion d'un ophtalmologiste consultant.

En conséquence de ce raisonnement, une nouvelle recrue ne peut être classée V5, car elle n'a pas suivi l'entraînement et elle n'a pas d'expérience militaire. Les nouvelles recrues s'enrôlent généralement à un très jeune âge, 18 ou 19 ans, et il est difficile de prédire, selon le Dr Delpero, la baisse de vision dont ils pourront être l'objet. Vu l'incertitude, tant sur le plan de la détérioration future de leur vision que sur leur capacité de s'acquitter des fonctions attendues des recrues, ces sujets ne sont pas classés dans la catégorie V5.

Le Dr Delpero convient qu'il y a très peu de différence entre une erreur de réfraction de -7 dioptries et de -8 dioptries, mais la différence est importante lorsqu'on considère le fait que les fortes myopies sont associées à une plus grande incidence de pathologies oculaires diverses. Les études montrent qu'à partir de -8.00D le risque de décollement de la rétine est beaucoup plus grand. Le glaucome et la cataracte peuvent aussi être causés par une forte myopie.

A son avis, la vision non corrigée de 7 dioptries (catégorie V4), qui est fréquente comme norme d'enrôlement, constitue une norme très généreuse bien qu'elle ne soit pas la norme optimale. Cependant, si les Forces armées élevaient la norme à V2, par exemple, ce qui constituerait un niveau de fonctionnement plus optimal, le nombre de personnes qui posséderaient les attributs requis pour faire partie de l'Armée canadienne serait grandement réduit.

f) Témoignage d'expert - Myopie et acuité visuelle

Les intimés ont aussi appelé un témoin, le Dr James Sheedy, optométriste qualifié, titulaire d'un doctorat en optique physiologique. Il est professeur-clinicien agrégé et chef de la VDT/Occupational Vision Clinic à la faculté d'optométrie de l'Université de la Californie. Il est aussi directeur de recherches cliniques pour Allergon Humphrey, un fabricant d'instruments ophtalmiques employés pour le diagnostic et le traitement des maladies des yeux. Le Dr Sheedy a publié de nombreux articles sur le sujet, a présenté de nombreux exposés éducatifs et a agi comme expert-conseil à diverses occasions et devant les tribunaux.

Le Dr Sheedy a présenté au Tribunal une série de diapositives 3mm qui montrent ce qu'une personne myope peut voir à 20 pieds de distance à la lumière du jour; chaque diapositive représentait une erreur de réfraction différente, allant de -.5 dioptries à -8 dioptries. Il a aussi présenté une série de diapositives 6mm montrant les mêmes degrés d'erreur de réfraction la nuit. Toutes les diapositives illustrant la vision de jour étaient une photographie de la même scène: deux personnes dans une rue d'un quartier résidentiel où l'on peut voir des arbres, du gazon, le ciel et des automobiles en stationnement; l'un des deux personnages tient une petite pancarte sur laquelle est inscrite le degré d'erreur de réfraction en dioptries.

La série de diapositives 3mm montrait, sans aucun doute possible, que la personne qui souffre d'une myopie de -8 dioptries est incapable d'identifier quoi que ce soit sur la photo. L'image et les couleurs ne formaient qu'une tache floue. A -7 dioptries, les images restaient très floues et non identifiables. Il y a peu, sinon pas de différence entre -7 dioptries et -8 dioptries en ce qui a trait à la capacité d'identifier quoi que ce soit sur la diapositive. A -6 dioptries, les objets entourant l'image deviennent plus gros; les formes sont visibles mais non identifiables. La différence entre -6 et -5 dioptries, quant à la capacité de reconnaître les objets, est négligeable.

Ce n'est qu'à -4 dioptries que les objets et le décor commencent à être reconnaissables et sont plus clairs. A -3 dioptries les objets ou les images sont reconnaissables et à -2 dioptries on distingue clairement les personnages et le décor. Ces diapositives montrent que jusqu'à près de -4 dioptries, il est très difficile, le jour, pour un myope de distinguer assez clairement les objets et que ce n'est vraiment qu'à -3 dioptries que le myope peut distinguer les objets et les rapports spatiaux.

La série de diapositives visant à illustrer la vision nocturne montrait une même scène comprenant plusieurs personnes et objets à l'intérieur d'une maison. A -8 dioptries, il est impossible d'identifier quoi que ce soit sur la diapositive. Là encore, il y a peu de différence entre -8 et -7 dioptries quant à la capacité d'identifier les objets ou les rapport spatiaux, et ce n'est qu'à -3 dioptries que les images commencent à se préciser. A -2 dioptries, on peut faire la différence entre les personnages et le décor, et l'image ne devient vraiment claire qu'à -1 dioptrie.

Selon le Dr Sheedy, bien que les diapositives sur la vision de jour aient montré un milieu visuellement riche, comprenant de nombreux objets et des contrastes marqués, l'objet de l'image ne devient clair que lorsque la myopie est de l'ordre de -2 dioptries.

Les diapositives sur la vision de nuit montrent que lorsque le milieu visuel est pauvre en indices, comme dans une scène de nuit, même ceux qui ont une bonne vision on du mal à identifier les objets. L'image est évidemment encore beaucoup plus floue pour ceux qui ont des problèmes de vision.

Le Dr Sheedy a déposé également, à titre d'élément de preuve, la Classification internationale des maladies, 9e éd. (CIM-9) et se réfère particulièrement au Tableau 3 du CIM-9 qui est une Classification des atteintes de la vision, suivant leur intensité. Il importe de souligner que ce tableau classifie l'acuité visuelle corrigée et non l'acuité visuelle non corrigée.

Le Tableau 3 contient les données suivantes:

Acuité visuelle avec la Classification meilleure correction

de 20/10 à 20/25 Vision normale

de 20/30 à 20/60 Vision presque normale

de 20/70 à 20/160 Atteinte visuelle modérée ou vision faible

de 20/200 à 20/400 Atteinte visuelle grave ou faible vision, cécité au sens de la loi (É.-U.)

de 20/500 à 20/1000 Déficit visuel profond ou faible vision, cécité modérée

inférieure à 20/1000 Déficit visuel presque total, cécité grave, cécité presque totale

Cet élément de preuve souligne l'ampleur de la perte de vision dont souffrirait Hebert si ses verres correcteurs venaient à se perdre ou à se déloger et qu'elle se retrouvait avec une vision non corrigée. Avec une myopie de -8 dioptries, non corrigée, elle serait considérée presque totalement aveugle. Ce tableau montre aussi le degré d'acuité visuelle acceptable par les Forces armées canadiennes à titre de norme d'enrôlement ordinaire. Une personne appartenant à la catégorie V4 présenterait, avec une vision non corrigée, une erreur de réfraction de ou de - 7 dioptries. Selon le tableau 3, cette personne serait classée dans la catégorie des déficits visuels profonds ou faible vision, cécité modérée. On trouverait dans la catégorie V3, les personnes qui souffrent d'une atteinte visuelle grave ou qui sont aveugles au sens de la loi. Ce n'est que dans la catégorie V2 et au-dessus que l'on trouve ceux qui ont une atteinte visuelle modérée, selon cette classification. On ne peut dire si cet élément de preuve témoigne en faveur de l'adoption, par les Forces armées canadiennes, d'une norme visuelle non corrigée ou d'une norme visuelle non corrigée plus élevée.

g) Normes visuelles pour les personnes qui sont chargées de veiller à la sécurité du public

Le Dr Sheedy s'est porté à la défense d'une norme non corrigée pour les personnes chargées de veiller à la sécurité du public et pour les militaires, en expliquant que les personnes qui

travaillent dans ces domaines doivent être capables de faire efficacement leur travail sans correction visuelle et qu'elles ne doivent pas non plus être exposées à perdre leurs verres correcteurs au cours de leur travail. Les policiers, par exemple, se trouvent souvent dans des situations où leurs lunettes peuvent être arrachées ou leurs lentilles cornéennes délogées. Il est aussi possible que les verres puissent nuire à la vision de celui qui les porte, ou la réduire gravement, lorsqu'il pleut ou qu'il neige, ou lorsqu'il y a de la brume ou du brouillard.

Le Dr Sheedy a cité un rapport qu'il a préparé à l'intention de la Gendarmerie royale du Canada. Dans ce rapport, intitulé Visual Requirements: Static Guard of the Royal Canadian Mounted Police, il analyse les exigences de la G.R.C. en ce qui concerne les capacités visuelles, pour que les membres de la garde stationnaire soient en mesure de répondre aux exigences de leur tâche qui consiste essentiellement à protéger les ambassades étrangères à Ottawa. Une grande partie du travail consiste à observer des personnes et des véhicules dans diverses conditions. Les gardes stationnaires doivent très souvent patrouiller à pied; en service, ils portent des révolvers et ils ont des mitrailleuses dans leurs guérites. Le Dr Sheedy a fait remarquer que les exigences minimales pour les membres de la garde stationnaire sont les mêmes que pour les autres membres de la G.R.C., soit une vision corrigée de 20/20 pour le meilleur oeil et de 20/30 pour l'autre oeil, et une vision non corrigée de 20/60 pour chaque oeil ou de 20/40 pour le meilleur oeil et de 20/100 pour l'autre oeil.

Dans son rapport, il mentionnait également qu'une enquête effectuée par la G.R.C. auprès de dix-huit corps policiers du Canada a révélé que quinze de ces corps policiers ont des exigences plus sévères que la G.R.C.; les normes de deux de ces corps policiers sont à peu près aussi sévères et le dernier a des normes moins sévères. On a aussi examiné les normes visuelles en vigueur pour les unités anti-terroristes dans les pays étrangers: tous exigent une vision non corrigée allant de 20/20 à 20/200, la plupart se situant entre 20/40 et 20/60.

Ce rapport faisait aussi état des résultats d'un questionnaire rempli par 108 policiers qui portent des lentilles cornéennes pour travailler. Voici ces résultats:

[Traduction]

1. Est-il déjà arrivé que vos lentilles cornéennes se déplacent et que cela nuise à votre vision?

Lentilles dures 31,3 % Oui

Perméables aux gaz 10,5 %

Lentilles souples 19,2 %

2. Avez-vous déjà souffert, pendant le travail, d'une irritation des yeux due à des facteurs environnementaux (poussière, fumée, vent, etc.) qui vous a forcé à enlever vos lentilles cornéennes?

Dures 56,2% Oui Perm. aux gaz 57,9 %

Souples 46,6 %

3. Avez-vous déjà souffert, pendant le travail, d'une irritation des yeux due à des facteurs environnementaux, qui a nui à votre vision?

Dures 68,8 % Oui

Perm. aux gaz 52,6 %

Souples 46,6 %

4. Avez-vous déjà perdu une lentille cornéenne pendant votre travail?

Dures 18,8 % Oui

Perm. aux gaz 10,5 %

Souples 9,6 %

5. Avez-vous déjà souffert d'une irritation des yeux (pour avoir porté vos lentilles trop longtemps, à cause d'une infection ou d'une blessure, etc) assez marquée pour vous empêcher de porter vos lentilles cornéennes pour travailler?

Dures 37,5 % Oui

Perm. aux gaz 31,6 %

Souples 32,9 %

Un article écrit par le Dr Sheedy en 1986 (intitulé Contact Lenses for Police Officers) et publié dans la revue de l'American Optometric Association est également pertinent. Dans le résumé de cet article on peut lire:

[TRADUCTION]

La plupart des municipalités exigent que les futurs policiers aient un degré minimum d'acuité visuelle non corrigée. La première raison pour laquelle on exige une acuité visuelle non corrigée est le fait qu'un agent peut se faire arracher ses lunettes de force; il doit alors posséder un degré minimum d'acuité visuelle pour pouvoir continuer son travail. Le présent article examine les arguments en faveur du port de lentilles cornéennes pour contourner la norme exigeant une acuité visuelle non corrigée, ainsi que

les arguments qui s'y opposent. Bien que plusieurs facteurs font de la personne qui porte des lentilles cornéennes une recrue moins désirable, il n'en reste pas moins que celui qui ne répond pas aux normes en matière d'acuité visuelle non corrigée, mais qui n'a pas de difficulté à porter des lentilles cornéennes, peut remplir les fonctions de policier sans risque et avec efficacité. On recommande donc aux municipalités de ne pas appliquer la norme en matière d'acuité visuelle non corrigée dans le cas des candidats qui portent avec facilité leurs lentilles cornéennes. On y discute également de lignes directrices relativement à l'application de cette politique.

En conclusion, le Dr Sheedy a déclaré que:

[TRADUCTION]

"La personne qui n'a pas de difficulté à porter ses lentilles cornéennes, et qui ne répond pas aux normes d'acuité visuelle non corrigée, peut remplir les fonctions de policier en toute sécurité et avec efficacité, et avec un minimum de risque seulement. Ce risque concerne le très faible danger que le policier perde une lentille cornéenne dans une bagarre ou dans l'eau. Il est très difficile de refuser un emploi pour cette raison seulement. Par conséquent, il serait raisonnable de ne pas appliquer la norme d'acuité visuelle non corrigée dans le cas d'un candidat qui n'a aucune difficulté à porter ses lentilles cornéennes."

A l'annexe C de l'article du Dr Sheedy, ce dernier recommande que l'AOA modifie les normes recommandées en matière d'acuité visuelle pour les policiers. Il déclare que:

[TRADUCTION]

La personne qui porte des lentilles cornéennes est probablement moins exposée à ce que ses lentilles soient déplacées ou arrachées pendant le travail que ne l'est celle qui porte des lunettes. Les services de police peuvent donc envisager la possibilité de ne pas appliquer la norme en matière d'acuité visuelle non corrigée dans le cas des porteurs de lentilles cornéennes qui portent facilement ces lentilles, aux conditions suivantes:

  1. Qu'il soit prouvé que le candidat a porté sans difficulté ses lentilles cornéennes pendant toute l'année qui a précédé sa candidature.
  2. Que les autorités policières reconnaissent qu'il est nécessaire de s'assurer périodiquement que les policiers concernés portent bien leurs lentilles cornéennes au travail.
  3. Que le porteur de lentilles cornéennes subisse, au moins une fois par année, un examen de la vue fait par un optométriste ou un ophtalmologiste, afin de s'assurer qu'il porte toujours ses lentilles sans difficulté.

En ce qui concerne le risque qu'une lentille se déplace ou se perde, les trois médecins experts, le Dr Humayun, le Dr Delpero et le Dr Sheedy, ont convenu que les lentilles cornéennes se sont considérablement améliorées depuis quelques années, surtout sur le plan des matériaux utilisés pour leur fabrication et des solutions servant à leur nettoyage et à leur conservation. Il est par conséquent beaucoup plus difficile de les déloger ou de les déplacer et elles causent beaucoup moins d'infection ou d'irritation des yeux. Dans son témoignage, Hebert a mentionné qu'à l'école secondaire elle pratiquait un certain nombre de sports, comme le basket-ball et la course, et qu'elle faisait partie des équipes de l'école. Elle est une fervente du camping, elle fait beaucoup de randonnée et pratique la natation. Lorsqu'elle s'adonne à ces activités, elle porte toujours ses lentilles cornéennes; lors de son témoignage, elle a déclaré qu'elle n'avait perdu une lentille qu'une seule fois: au moment où elle l'enlevait, penchée au-dessus du lavabo. Jamais une de ses lentilles ne s'est délogée ou déplacée pendant toutes les années où elle a porté ce genre de correction. Elle enlève ses lentilles lorsqu'elle se met au lit et les remet dès son réveil; elle n'a pas besoin d'un miroir pour les enlever ou les mettre. Elle a déclaré qu'elle utilisait une solution tout usage pour conserver, désinfecter et nettoyer ses lentilles et qu'elle n'a jamais besoin de les enlever parce qu'elles irritent ses yeux. Depuis qu'elle porte des lentilles cornéennes, elle a eu une seule infection aux yeux.

Le Dr Sheedy et le Dr Delpero ne s'inquiètent pas tant de la perte des lentilles cornéennes que du fait que ces lentilles exigent des soins particuliers, administrés de façon hygiénique, et que pour ce faire, le porteur de lentilles doit disposer d'un milieu propre où il peut se laver les mains, et utiliser une solution stérile pour éviter la contamination qui peut provoquer des infections oculaires. Selon le Dr Delpero, qui a l'expérience des forces armées, lorsque les militaires sont en campagne, il n'est pas possible de garantir des conditions hygiéniques parce qu'il est difficile de se procurer de l'eau chaude et des solutions stériles.

Le Dr Delpero a en outre soutenu que le port de lentilles cornéennes n'est pas recommandé lorsque la chaleur ou la sécheresse sont extrêmes ou lorsqu'il y a de la poussière, de la fumée ou des saletés dans l'atmosphère. A son avis, les lentilles cornéennes souples peuvent se comporter comme des éponges qui absorbent l'humidité lorsque l'environnement est sec; les lentilles ont alors tendance à coller à l'oeil et à causer de la gêne et de l'irritation.

Le Dr Humayun a convenu que le port de lentilles cornéennes n'est pas possible dans certaines situations, par exemple lorsque les yeux sont irrités ou infectés. Il a aussi admis que des particules de poussière ou de saleté peuvent se glisser derrière les lentilles et irriter la cornée. Dans ces cas, il recommande à la personne qui porte des lentilles d'avoir aussi une paire de lunettes qu'elle peut porter en cas d'infection ou d'irritation. Il n'a pas admis qu'une chaleur intense peut empêcher une personne de porter des lentilles cornéennes. D'après son expérience, et il est originaire d'un pays où la chaleur peut être très grande, ce facteur ne cause pas de grosses difficultés pour les porteurs de lentilles cornéennes.

Le Dr Humayun croit que le port de lentilles cornéennes est tout indiqué dans le cas de Hebert : tout d'abord parce qu'elle présente une erreur de réfraction marquée et ensuite parce qu'elle est très motivée et qu'elle a donné des preuves d'une très grande hygiène. Parce qu'il n'a pas l'expérience ni la connaissance des politiques et des procédures des Forces armées canadiennes, il n'a pu cependant se prononcer sur la façon dont Hebert se comporterait en temps de guerre. Il a toutefois affirmé qu'il croyait qu'elle fonctionnerait aussi bien que quiconque en milieu clinique ou hospitalier.

Le conseiller juridique de la Commission a déposé un résumé d'une étude de l'OTAN intitulée Danish Briefing on Contact Lenses Trials, dans le but de contester la position du Dr Delpero selon laquelle les lentilles cornéennes ne devraient pas être portées dans certaines situations. Selon la conclusion contenue dans ce résumé, les lentilles cornéennes souples utilisées par les corps policiers pour protéger les yeux de leurs membres contre les gaz lacrymogènes ont amélioré le rendement de ceux qui les portaient. Ils ont pu garder les yeux ouverts plus facilement et s'orienter plus rapidement et plus facilement.

L'effet des gaz lacrymogènes sur les yeux de ceux qui portaient des lentilles cornéennes souples a été minime par rapport à la réaction provoquée chez ceux qui n'en portaient pas. Les auteurs de l'étude en concluent donc que la sécurité et l'efficacité des porteurs de lentilles cornéennes souples face aux gaz lacrymogènes ont été clairement prouvées.

Le Dr Delpero a refusé d'accepter les conclusions du résumé tant qu'il ne connaîtra pas le contexte de l'étude et son mandat. Il a aussi fait remarquer que l'étude en question portait sur les gaz lacrymogènes et non sur un gaz irritant ou sur une matière telle que la poussière ou la fumée. Il a maintenu sa position selon laquelle les lentilles cornéennes sont contre-indiquées là où il y a de la fumée, des gaz ou de la poussière.

Le Dr Sheedy et le Dr Delpero ont tous deux convenu que n'importe qui serait incommodé dans un environnement envahi par une épaisse fumée ou par la poussière, et tous deux ont soutenu que dans ce genre de situation, le porteur de lentilles cornéennes devrait enlever ses lentilles.

IV. FORMATION D'UN PHYSIOTHÉRAPEUTE AU SEIN DES FAC

Le major Peter Bey, chef des normes à l'École des aspirants- officiers des Forces canadiennes de Chilliwack, a témoigné au sujet du programme de formation élémentaire des aspirants- officiers dans les FAC. Le cours de formation vise à permettre aux élèves d'acquérir les aptitudes militaires de base. Il s'agit d'un cours de douze semaines réparti en deux périodes, une de sept semaines et l'autre, de cinq semaines. Après avoir suivi ce cours, les aspirants-officiers devraient être en mesure d'exécuter des tâches de commandement, de direction, de gestion et certaines autres tâches qui sont imposées à tous les officiers conformément aux exigences énoncées dans la Description des exigences militaires fondamentales - O (DEMFO).

La formation élémentaire est un type de formation qui est contrôlée de façon à minimiser le risque de blessures graves auquel les aspirants sont exposés. Comme il n'y a pas simulation des conditions de guerre réelles au cours de la formation élémentaire, les aspirants-officiers ne font pas l'expérience véritable du travail dans ce genre de conditions pendant le cours. La formation élémentaire permet également d'évaluer le potentiel des candidats comme officiers au sein des FAC.

Au cours des sept premières semaines, la formation élémentaire se compose, tous les jours, d'exercices de gymnastique, de manoeuvres et de cours portant sur les premiers soins, les opérations de survie de base et la lecture de cartes géographiques. Au cours des troisième et quatrième semaines, les candidats sont sur le terrain et apprennent à vivre et à manoeuvrer dans ce milieu. Pendant la dernière semaine, les candidats sont entraînés au tir à la carabine, sous surveillance étroite. C'est également pendant cette même semaine qu'ils passent les tests d'aptitude physique.

La deuxième partie de la formation des physiothérapeutes a lieu au camp Borden. Pendant cette phase, les élèves reçoivent une formation sur le maniement des pistolets et doivent réussir le test s'y rapportant. Ils font également des exercices relatifs à la guerre NBC : ainsi, ils apprennent à mettre et à enlever la combinaison de protection NBC ainsi que le masque à gaz et apprennent comment manoeuvrer en portant la combinaison et le masque et comment les décontaminer. Cette formation est contrôlée et a lieu dans une chambre à gaz, et non dans des conditions reproduisant la guerre ou le combat.

Une bonne partie de la preuve des FAC a porté sur cet aspect précis de la formation et sur les problèmes que peut éprouver une personne qui porte des verres correcteurs.

L'adjudant Douglas Humby, instructeur à l'École de guerre NBC du camp Borden, a donné une démonstration des exercices et de la formation se rapportant à la guerre NBC. Plus précisément, il a montré comment mettre et enlever le masque ainsi que la combinaison de protection.

D'après l'adjudant Humby, le port de la combinaison de protection en cas de guerre NBC se fait conformément à divers codes ou avertissements. Il existe trois niveaux d'avertissements, soit le TOPP low, le TOPP medium et le TOPP high. L'avertissement TOPP low est donné lorsqu'il est évident que l'ennemi a des armes chimiques, mais qu'il ne les a pas encore utilisées; l'avertissement TOPP medium correspond aux cas où l'ennemi a utilisé des produits chimiques et en utilisera d'autres; quant à l'avertissement TOPP high, il se rapporte aux cas où l'ennemi vient d'utiliser des produits chimiques dont les effets se feront sentir sous peu. Lorsque l'avertissement TOPP low est donné, la combinaison de protection en cas de guerre NBC n'est pas portée, mais chaque membre des Forces la garde près de lui en tout temps. S'il s'agit de l'avertissement TOPP medium, la combinaison est portée, mais le masque ne l'est pas encore; dans le cas de l'avertissement TOPP 3, l'équipement complet de protection contre les guerres NBC est revêtu.

Une fois que l'avertissement est donné, l'exercice de port du masque doit se faire en neuf secondes; le membre doit enlever le masque de son support, cesser de respirer, fermer les yeux et mettre le respirateur selon la méthode prescrite.

Lorsqu'un membre des FAC porte des lunettes, l'exercice doit encore se faire en neuf secondes, mais une méthode différente est utilisée pour mettre et enlever le masque. Le membre ne peut porter de lentilles cornéennes lorsqu'il y a un risque d'utilisation de produits chimiques et elles ne sont pas portées au cours de la formation relative aux guerres NBC. Chaque candidat des FAC qui porte des verres correcteurs a droit à deux paires de lunettes et à une paire de lunettes de combat. Les lunettes de combat sont obtenues sur prescription et sont adaptées à chaque membre des FAC qui les porte. Elles sont conçues de façon à s'ajuster parfaitement au visage et sur les tempes et peuvent être portées sous le masque de protection contre les guerres NBC sans rendre celui-ci moins étanche.

L'adjudant Humby a donné une démonstration du port du masque avec les lunettes de combat et il a semblé que, sous le masque, les lunettes n'étaient pas bien placées sur le visage. D'après l'expérience qu'il a vécue lorsqu'il a participé à la formation de membres des FAC sur l'emploi de l'équipement de protection contre les guerres NBC, les membres n'aiment pas utiliser des lunettes de combat, parce qu'il est difficile de bien les placer sur le visage lorsque vient le moment de porter le masque. Dans ce genre de situation, ils ont tendance à ne pas porter de lunettes sous le masque.

Au cours de son témoignage, l'adjudant Humby a admis que les lunettes qu'il a utilisées pour la démonstration n'étaient pas parfaitement ajustées à son visage et qu'il est possible de conserver l'étanchéité du masque tout en portant les lunettes de combat.

Les témoins n'étaient pas unanimes sur la question de savoir s'il est possible de porter efficacement les lunettes de combat sous le masque de protection contre les guerres NBC.

D'après le major Delpero, les lunettes de combat deviennent rapidement inconfortables lorsqu'elles sont portées sous le masque et elles ont tendance à devenir embuées. Cependant, il n'a jamais entendu parler de plaintes au sujet du port de lunettes de combat ou au sujet du fait qu'elles se seraient délogées sous le masque.

Le major Robert Moneypenny, administrateur des services de santé dans les FAC et commandant du premier hôpital de campagne canadien, situé à Petawawa, a vécu une expérience différente. Il a présenté un témoignage très pertinent, étant le seul témoin en l'espèce qui a été envoyé à la Guerre du Golfe et qui a dû porter l'ensemble de l'équipement de protection contre les guerres NBC, lorsqu'il a été confronté à un risque réel d'agression chimique. Le major Moneypenny porte des lunettes. Il a dit qu'il n'a jamais porté ses lunettes de combat ou d'autres lunettes sous le masque lorsque l'avertissement était donné. En effet, il ne voulait pas risquer de porter quoi que ce soit qui puisse

diminuer l'étanchéité du masque. S'il avait porté ses lunettes de combat, il aurait pu obtenir une bonne étanchéité, mais il a constaté que ses lunettes de combat n'étaient pas bien ajustées lorsqu'elles étaient portées sous le masque et qu'elles n'étaient pas tout à fait au niveau de ses yeux. Il risquait donc de voir les choses en double ou de porter des lunettes qui, en plus de ne pas corriger sa vision, étaient mal placées sur son visage. Il avait donc pris l'habitude de mettre le masque sans lunettes lorsqu'une alerte de guerre NBC était donnée. Son acuité visuelle était telle que, même s'il ne pouvait fonctionner aussi efficacement qu'il l'aurait voulu, il pouvait se passer de verres correcteurs lorsqu'il portait son masque de protection. A son avis, la question de savoir s'il y a lieu de porter des lunettes sous le masque est une décision qui revient à chacun; il a décidé de ne pas le faire et préféré avoir une bonne étanchéité tout en sachant qu'il ne pourrait pas voir aussi bien qu'avec des lunettes de combat.

Le colonel R.J. Hotchin, administrateur des services de santé, a témoigné sur différents aspects, notamment sur la question des lunettes de combat. Selon lui, ses lunettes de combat étaient assez confortables et il pouvait les porter pendant quelque temps sous le masque de protection contre les guerres NBC. Cependant, il a éprouvé de la difficulté à mettre le masque et à l'enlever lorsqu'il portait des lunettes, même si celles-ci sont bien ajustées.

a) Le profil de carrière d'un physiothérapeute au sein des FAC

Le major Kellerman, coordonnateur de carrières pour les médecins militaires, et le capitaine Patrick Todd, officier d'état-major - Description de groupes professionnels militaires à la Direction de la planification des effectifs, ont tous deux témoigné au sujet du profil de carrière d'un physiothérapeute au sein des FAC.

Il existe actuellement 25 postes de physiothérapeutes dans les FAC. Lorsqu'un physiothérapeute termine sa formation élémentaire, il est affecté à l'hôpital ou à la clinique d'une base ou à l'un des grands hôpitaux des FAC. Chacun des grands hôpitaux de Halifax, de Valcartier, d'Esquimalt, de Victoria ainsi que le centre médical de la Défense nationale situé à Ottawa compte un physiothérapeute, tout comme c'est le cas pour chacune des grandes bases des FAC.

Les FAC exploitent également un hôpital de campagne canadien dont l'établissement principal se trouve à Petawawa et dont le personnel cadre se compose d'environ 36 personnes qui voient à ce que l'unité soit prête à être affectée à tout moment en région. Un total de 224 postes sont affectés à l'hôpital de campagne; les autres postes, dont celui du physiothérapeute, sont comblés par des membres supplémentaires qui occupent un poste ailleurs et qui sont affectés à l'hôpital de campagne au moment du déploiement.

Les membres du personnel médical des FAC ne conservent pas toujours la même affectation. Ils sont plutôt affectés à différents postes à tour de rôle, et ce, pour deux raisons.

L'une est d'ordre professionnel : une personne doit exercer divers types d'emploi à différents niveaux pour obtenir l'expérience et la formation nécessaires pour occuper un poste plus élevé au sein des FAC. La seconde concerne le moral des membres des FAC : les affectations ne sont pas toutes aussi intéressantes les unes que les autres; certaines comportent un certain degré d'isolement ou d'éloignement et il n'est pas souhaitable de laisser des personnes occuper ces postes pendant une période prolongée. Ainsi, selon le principe opérationnel en vigueur pour tous les membres du personnel médical des FAC, chacun doit avoir sa juste part d'avantages et d'inconvénients.

Les circonstances individuelles peuvent être prises en compte au moment des affectations. Ainsi, le niveau qu'un membre a atteint dans l'évolution de sa carrière, sa situation familiale et les répercussions d'une affectation donnée constituent des facteurs pertinents. Cependant, le plus important des facteurs réside dans les besoins liés au service. S'il est nécessaire d'affecter un physiothérapeute à un poste donné, celui-ci doit être comblé. Même si l'on tient compte des préférences individuelles, ce sont les besoins liés au service qui l'emportent en dernier ressort sur les désirs de la personne concernée.

b) Exigences liées aux physiothérapeutes des FAC

Au sein des FAC, il existe environ 100 GPM pour les militaires du rang et environ 38 GPM pour les officiers. Un groupe professionnel militaire (GPM) est fondamentalement un domaine de carrière au sein de l'armée. Bien que le principe de la souplesse en matière d'emploi existe dans les FAC, en pratique, il arrive rarement qu'un militaire actif change de GPM.

Il existe pour chaque GPM des exigences spéciales qui énoncent les tâches et les fonctions qu'une personne doit être en mesure d'exécuter ainsi que le degré de connaissances et de compétence qu'elle doit avoir pour ce faire. Les militaires doivent également se conformer à la DEMFO.

Le rôle du physiothérapeute consiste avant tout à favoriser la conservation des effectifs militaires en fournissant des services de physiothérapie et en prévenant les dysfonctionnements d'ordre physique. Le physiothérapeute doit également utiliser et gérer les installations et les ressources liées à la physiothérapie, former du personnel, conseiller et informer les malades et fournir des services de consultation. Il n'existe pas de sous- occupation dans la structure de la profession de physiothérapie au sein des forces régulières.

Les physiothérapeutes militaires doivent permettre aux malades de retourner rapidement au service actif et aider les médecins militaires en évaluant les malades ainsi qu'en élaborant et en appliquant des programmes de traitement appropriés.

L'évolution normale du physiothérapeute militaire qui a obtenu son diplôme universitaire est décrite dans les exigences professionnelles et couvre trois périodes de perfectionnement. Au cours de la première période de perfectionnement, niveau 1, tous les membres suivent le cours élémentaire ainsi que le cours dans le cadre d'un préceptorat dans un grand hôpital militaire

canadien. Ils doivent alors consolider, dans un milieu médical, les aptitudes et les connaissances militaires et cliniques qu'ils ont récemment acquises. Après avoir suivi le programme de préceptorat, les lieutenants travaillent dans un grand hôpital militaire canadien comme thérapeutes de l'état-major. Il s'agit habituellement de la première affectation, qui correspond au début du niveau 2 de la première période de perfectionnement.

Lorsqu'ils atteignent la deuxième phase de perfectionnement, niveau 1, avec le grade de capitaines, ils peuvent être affectés à des postes comportant une seule responsabilité dans un hôpital ou une clinique d'une base.

Les emplois offerts au niveau 2 de cette phase deviennent plus diversifiés. Les militaires peuvent alors demander un poste dans la recherche et la formation, un poste d'échange avec l'étranger, un poste d'officier d'état-major au quartier général de la Défense nationale ou certains postes ne faisant pas partie des GPM. Au cours de cette période, la formation vise à perfectionner les aptitudes gestionnelles et les aptitudes cliniques spécialisées. C'est également au cours de cette période que les demandes d'adhésion à un programme permettant d'obtenir une maîtrise peuvent être présentées.

Dès qu'il est promu major, le thérapeute militaire entreprend la troisième phase de perfectionnement, niveau 1. Ces personnes occuperont un poste supérieur dans un grand établissement médical ou un centre médical régional. On encourage les membres à accepter un poste ne faisant pas partie du GPM. La formation porte surtout sur le perfectionnement des aptitudes de gestion et sur l'exercice de fonctions habituellement confiées aux membres du personnel supérieur. Les physiothérapeutes militaires supérieurs peuvent se voir offrir la possibilité de poursuivre leur formation au collège d'état-major du commandement des Forces canadiennes.

D'après la preuve présentée, un seul thérapeute des FAC est major.

Les périodes de perfectionnement sont résumées dans les tableaux suivants :

PREMIERE PÉRIODE DE PERFECTIONNEMENT - NIVEAU 1

Rang : lieutenant

Emploi faisant partie du GPM : poste dans le cadre d'un préceptorat dans un grand hôpital militaire canadien sous la surveillance d'un capitaine avec ancienneté comme physiothérapeute

PREMIERE PÉRIODE DE PERFECTIONNEMENT - NIVEAU 2

Rang : lieutenant

Emploi faisant partie du GPM : physiothérapeute de soins généraux dans un grand hôpital militaire canadien.

DEUXIEME PÉRIODE DE PERFECTIONNEMENT - NIVEAU 1

Rang : capitaine

Emploi faisant partie du GPM

  1. Physiothérapeute dans un hôpital ou dans une clinique d'une base
  2. Physiothérapeute de soins généraux dans un grand hôpital militaire canadien

DEUXIEME PÉRIODE DE PERFECTIONNEMENT - NIVEAU 2

Rang : capitaine

Emploi faisant partie du GPM

  1. Physiothérapeute supérieur dans un grand hôpital militaire canadien
  2. Physiothérapeute supérieur de section au CMDN
  3. Agent de formation de techniciens, d'internes et d'étudiants en physiothérapie.

TROISIEME PÉRIODE DE PERFECTIONNEMENT - NIVEAU 1

Rang : major

Emploi faisant partie du GPM

  1. Chef de la Division de la physiothérapie au CMDN

Il convient de souligner que, au cours de son évolution professionnelle, chaque physiothérapeute des FAC est appelé à travailler dans un grand hôpital militaire canadien ou dans un hôpital ou une clinique d'une base pendant chaque période de perfectionnement, quel que soit son rang.

La description des exigences relatives au physiothérapeute énonce Bgalement les fonctions et les tâches que le physiothérapeute doit accomplir ainsi que les aptitudes et les connaissances qu'il doit avoir. Il n'est pas nécessaire de reproduire ces exigences dans la présente décision. Aux fins de la présente cause, il suffit de savoir que les physiothérapeutes doivent fournir des services de physiothérapie dans le cadre d'opérations médicales et doivent avoir les aptitudes voulues pour assurer ces services dans tous les types d'environnement et non seulement dans un hôpital ou dans une clinique. A cet égard, ils doivent posséder une connaissance de base des principes caractérisant les différents échelons et niveaux du soutien médical et connaître le rôle et les fonctions des unités médicales de troisième et de quatrième lignes, comme l'hôpital de campagne et les centres de convalescence, le rôle et les fonctions de l'ambulance de

campagne, notamment le système d'évacuation des malades, ainsi que le rôle des installations médicales stationnaires pendant la mobilisation.

En outre, le physiothérapeute doit dispenser des soins de physiothérapie pendant les opérations de défense lors d'une de guerre NBC et doit avoir la compétence voulue pour agir dans un cas d'urgence de cette nature. Il doit avoir une connaissance de base des techniques de manipulation et de traitement des victimes dans ce genre d'environnement ainsi que des techniques de décontamination du personnel et du matériel dans des circonstances similaires.

Enfin, le physiothérapeute doit être en mesure de fournir des services de physiothérapie pendant des catastrophes; il doit avoir suffisamment de connaissances pour agir dans ce genre de situation et connaître les grandes lignes du plan d'action des hôpitaux en cas de catastrophe et des mesures d'intervention en vigueur dans un établissement de soins de santé en cas d'urgence nucléaire. Il doit aussi connaître en profondeur le rôle de la physiothérapie dans l'application du plan d'intervention en cas de catastrophe.

c) Doctrine de la responsabilité illimitée

Le lieutenant-commander Kenneth Lait, de la Direction de la structure des forces, a témoigné au sujet du rôle des FAC. Selon cette personne, le premier rôle des FAC consiste à assurer la protection du Canada et des intérêts nationaux canadiens au pays et à l'étranger. Ce rôle couvre la défense, la souveraineté et les responsabilités civiles au Canada. La deuxième priorité concerne les opérations de défense collectives par l'entremise de l'OTAN, y compris les opérations de défense du continent en collaboration avec les États-Unis. Quant au troisième rôle, il consiste à soutenir la paix et la sécurité internationales par des opérations liées à la stabilité et au maintien de la paix, par des mesures de vérification et de contrôle des armes et par des activités axées sur l'aide humanitaire.

Le lieutenant-commander Lait a cité au Tribunal le paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale, qui énonce la politique des FAC concernant la responsabilité illimitée. Voici le libellé de cette disposition :

La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

Cependant, même si chaque membre des FAC est soumis à l'obligation de service légitime, il est rare que les professionnels des soins de santé exécutent des tâches autres que celles de leur profession. Les tâches ne faisant pas partie de leur profession seraient habituellement exercées dans le cadre de fonctions internes au Canada, notamment dans les cas d'évacuation sanitaire ou d'intervention lors de catastrophes ou d'autres types d'urgences similaires. Un exemple serait la récente tornade à Barrie, au cours de laquelle les membres du personnel

militaire qui suivaient alors des cours au camp Borden ont apporté leur aide. Les membres du personnel des FAC ont participé à l'occasion à ce que l'on pourrait appeler des activités non professionnelles.

Lorsqu'on a demandé au lieutenant-commander Lait s'il était possible qu'un physiothérapeute soit affecté à un poste dans des conditions de guerre, il a répondu que, depuis la Seconde Guerre mondiale, les FAC ont participé à deux opérations militaires, par opposition à des opérations de maintien de la paix, soit en Corée et lors de la Guerre du Golfe. Cependant, au fil des années, les FAC ont participé à plusieurs opérations internationales de maintien de la paix des Nations Unies. Ces opérations et la participation des FAC, c'est-à-dire la contribution de celles-ci et les GPM concernés, sont détaillées dans un document qui a été présenté en preuve et qui est intitulé Aide-Memoire, International Peacekeeping Operations, 1947-1991. Il appert de ce document qu'au cours de cette période, le Canada a participé à trente opérations de maintien de la paix des N.U. Parmi les membres du personnel canadien affectés à ces opérations, mentionnons des observateurs, des ingénieurs des signaux, des membres de la police militaire, des agents de liaison, etc. Aucun physiothérapeute n'a participé à ces opérations de maintien de la paix.

Le lieutenant-commander Lait n'est au courant d'aucune situation au cours de laquelle un physiothérapeute des FAC a été appelé à intervenir sur la ligne avant dans un combat et il est peu probable que ce genre de situation se produise.

Le brigadier-général W.B. Vernon, chef d'état-major, opérations, a témoigné pour les FAC. Il est officier d'infanterie dans les FAC depuis 1965 et, auparavant, il était membre de la milice. Il a travaillé surtout dans le domaine de la direction d'unités de campagne ou comme officier d'état-major, opérations.

Le brigadier-général Vernon a souligné que chaque membre des FAC s'engage à accomplir les tâches de soldat d'abord et celles de son métier ensuite. Chaque membre des FAC doit posséder les aptitudes de combat de base. Cependant, la formation offerte par les FAC n'est pas aussi approfondie pour tous les membres, en raison des contraintes de temps et d'argent. Les FAC cherchent plutôt à atteindre un équilibre entre les besoins en soldats et les besoins en spécialistes. Lorsqu'un membre des FAC fait partie d'une équipe de soutien plutôt que d'un bataillon de combat, comme c'est le cas pour 50 % des membres, il devrait exercer ses tâches premières sans avoir recours à ses aptitudes d'intervention en situation de combat. Ainsi, la formation est fondée sur les besoins liés à des interventions immédiates et varie en fonction de l'unité à laquelle un membre est affecté.

Le brigadier-général Vernon a également renforcé le concept de la responsabilité illimitée des membres des FAC selon lequel, lorsque vous portez l'uniforme et que vous prêtez serment, les événements se produisant par la suite, y compris le décès, constituent une conséquence logique de l'obligation que vous avez contractée. Il s'ensuit que toute personne est tenue d'aller là où les FAC l'envoient. Personne n'a le choix. Vous allez là où

on vous envoie, soit parce que votre unité a été choisie, soit parce qu'on a besoin de vous comme membre supplémentaire ou comme membre d'une équipe de renfort.

Le brigadier-général Vernon a été interrogé au sujet de la possibilité que l'hôpital de campagne soit déployé dans un pays étranger. Il a répondu que, en ce qui a trait aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, les sapeurs fournis par les FAC jouissent d'une très bonne réputation et sont constamment en demande. Auparavant, les FAC fournissaient des escadrons de commandement et services et des escadrons de transmission ainsi que des unités de logistique. Au fil des années, les FAC ont modifié les types d'unités qui ont été affectées aux différentes missions des Nations Unies. A Chypre, ce sont principalement des unités d'infanterie qui sont en poste, mais des unités d'artillerie ainsi que des unités blindées ont également été envoyées là-bas. Aujourd'hui, ce sont les troupes de combat, les membres du quartier général, les ingénieurs et les spécialistes qui sont en demande. En ce qui a trait à la prévisibilité, les FAC peuvent contrôler le type de troupes envoyées dans une mission des Nations Unies dans environ 30 % des cas. Dans les autres cas, la décision relève du gouvernement canadien et des Nations Unies et dépend des besoins et des pays concernés ainsi que de la mesure dans laquelle ceux-ci peuvent répondre à ces besoins. En raison de tous ces facteurs, le processus est assez imprévisible.

En ce qui a trait à la question de savoir si, dans un avenir prévisible, il est probable que le Canada déploie un hôpital de campagne comprenant un ou deux physiothérapeutes dans le cadre de l'exécution de ses obligations envers l'ONU, le brigadier-général a répondu qu'à l'heure actuelle, selon le plan de mesures d'urgence de l'armée, les FAC doivent former et déployer un nombre important de troupes outre-mer. Ce plan prévoit la formation d'une unité appelée le Groupe de soutien du Canada, dont le personnel médical est nombreux. Le brigadier-général a cependant ajouté que les FAC n'ont nullement l'intention de déployer l'hôpital de campagne outre-mer dans un avenir rapproché. Il n'a pu garantir que l'hôpital de campagne ne serait pas déployé outre-mer, dans une zone dangereuse, à court terme. Toutefois, il n'a pu dire non plus que cela se produirait.

Le major Robert Moneypenny, commandant du premier hôpital de campagne canadien, a également dit qu'il n'y a pas de réponse simple à la question de savoir s'il y a de bonnes chances qu'un physiothérapeute soit déployé dans une situation présentant des conditions de guerre. Selon lui, la réponse à cette question dépend de la mission. A cet égard, il convient de comprendre la démarche selon laquelle les éléments d'appoint, y compris les physiothérapeutes, sont choisis et affectés à l'hôpital de campagne.

D'abord, le premier hôpital de campagne canadien est un concept théorique et n'existe pas encore. Le premier hôpital de campagne qui a été envoyé à la Guerre du Golfe comme élément de la contribution canadienne n'était pas un hôpital de campagne, mais plutôt, selon le major Moneypenny, qui en était le commandant, un

hôpital chirurgical avancé. A l'heure actuelle, les FAC planifient la formation d'un hôpital de campagne complet et acquièrent progressivement les ressources nécessaires à cette fin.

Un hôpital de campagne complet est en mesure de déployer 140 lits et 11 salles d'opération. Il peut également déployer des centres chirurgicaux avancés qui sont en mesure d'intervenir plus rapidement et de se rendre à un endroit donné avant le reste de l'unité. L'hôpital de campagne est presque entièrement mobile et autonome et peut être affecté dans le monde entier. L'unité compte deux physiothérapeutes et deux auxiliaires médicaux qui travaillent comme aides-physiothérapeutes. L'hôpital de campagne peut être affecté à des opérations humanitaires ou utilisé pour aider les forces civiles ou les autorités provinciales ou fédérales partout au Canada. Il peut également être utilisé pour des opérations de maintien de la paix et être affecté partout où les Nations Unies désirent qu'un hôpital de campagne soit établi.

Le major Moneypenny a décrit le processus de dotation en personnel de l'hôpital de campagne en se reportant à Rendez-vous 1992, exercice d'entraînement de grande envergure tenu à Wainwright tous les deux ou trois ans. L'hôpital de campagne canadien avait alors pour mission de fournir du soutien de troisième ligne, notamment des services de chirurgie d'urgence, des services de radiographie et certains services de laboratoire, et de maintenir une salle pouvant contenir de 20 à 40 lits. Une fois que la mission a été définie, il a fallu concevoir un programme médical et déterminer les éléments du service de soutien et les ressources administratives nécessaires à l'appui du programme.

Lorsque les services médicaux et administratifs et les autres services de soutien sont déterminés et que le nombre de personnes et de membres faisant partie de certains GPM est connu, les membres supplémentaires appelés en renfort sont choisis et réunis et leur formation débute.

Chaque membre de l'unité médicale reçoit une formation individuelle du même degré, ses aptitudes au tir avec une arme personnelle sont examinées et il doit passer une épreuve de tir avec l'arme requise pour son rang. Il suit également un cours de recyclage sur la guerre NBC.

Lorsque tous les membres atteignent le même degré d'aptitude militaire, ils sont répartis en sous-unités et entreprennent une formation dans leur spécialité à l'hôpital de campagne. Ainsi, le physiothérapeute apprend le fonctionnement de la section de physiothérapie, le pharmacien, celui de la pharmacie et l'infirmière, celui de l'infirmerie. Enfin, tous les membres du personnel médical se réunissent pour suivre une formation collective afin de comprendre le fonctionnement de l'ensemble de l'unité hospitalière.

Les mêmes mesures de planification et d'organisation ont été prises dans le cadre de la participation médicale canadienne à la Guerre du Golfe. Aucun physiothérapeute ne faisait partie du contingent des FAC qui a été affecté au Golfe, étant donné que les ressources médicales canadiennes se composaient d'un hôpital

chirurgical avancé qui a été envoyé au Golfe comme élément des Forces britanniques au Moyen-Orient. En raison de la directive de transit et de la mission des Forces, l'hôpital chirurgical avancé ne pouvait être maintenu pendant plus de 48 heures. Compte tenu de cette directive, les seules mesures possibles étaient l'évacuation des soldats blessés et les traitements chirurgicaux nécessaires pour maintenir les personnes en vie. Aucun physiothérapeute n'était requis pendant ce délai de 48 heures.

d) Le système de soutien médical des FAC sur le terrain

La preuve qui a été présentée à ce sujet provenait du major Moneypenny et du colonel R.J. Hotchin, administrateur des services de santé dans les FAC. Le système de soutien médical se compose de quatre lignes qui sont de nature successive; plus on recule d'une ligne à l'autre, plus le système est complexe. Le concept des lignes de soutien médical est un concept théorique et il ne correspond pas à la forme linéaire que nous connaissons.

La première ligne est la ligne la plus rapprochée du champ de bataille et correspond à l'unité médicale qui est autonome. Elle se compose habituellement d'un médecin militaire, d'auxiliaires médicaux et de brancardiers. La principale fonction de cette unité consiste à trouver et à secourir les blessés ainsi qu'à appliquer des mesures pour les maintenir en vie de façon à pouvoir les déplacer vers l'arrière, mais non à garder les victimes ou à leur donner des traitements autres que les premiers soins sur le champ de bataille.

La deuxième ligne s'occupe surtout de l'évacuation et procède à une forme rudimentaire de triage. Elle compte un certain nombre d'ambulances de campagne et sa principale tâche consiste à assurer l'évacuation des blessés jusqu'au premier endroit où ils peuvent recevoir les traitements chirurgicaux de base, lesquels sont administrés à la troisième ligne.

L'élément clé est l'hôpital de campagne, qui est un service médical déployé sur le terrain plutôt qu'une structure construite pour dispenser des soins médicaux. L'hôpital est habituellement aménagé sous une tente et il dispose des ressources nécessaires pour traiter les blessés. L'équipe de soutien médical affectée à la troisième ligne a avant tout pour tâche d'administrer les traitements chirurgicaux de base et se compose de deux grandes unités, soit un hôpital chirurgical avancé, qui est entièrement mobile pour suivre l'évolution du combat et qui s'occupe principalement des opérations chirurgicales de sauvetage, ainsi qu'un hôpital de campagne, qui se trouve légèrement à l'arrière et qui peut accomplir toutes les tâches chirurgicales de l'hôpital avancé; il dispose cependant de ressources médicales et chirurgicales plus complètes et est en mesure de garder les victimes pendant un certain temps.

L'évacuation se fait depuis l'hôpital de campagne jusqu'à la quatrième ligne, qui consiste habituellement en un hôpital pluridisciplinaire de type civil disposant d'installations de traitement complètes.

L'hôpital chirurgical avancé se compose habituellement de quelque 60 lits, tandis que l'hôpital de campagne a une capacité de 100 à 500 lits et l'hôpital de quatrième ligne peut contenir jusqu'à mille lits.

Les physiothérapeutes sont affectés à la troisième ligne, à l'hôpital de campagne. Habituellement, ils ne travaillent pas à l'hôpital chirurgical avancé. Ils ont deux grands rôles à jouer à l'hôpital de campagne, soit un rôle clinique, qui comprend les soins visant à alléger les souffrances, le triage, les mesures précédant l'intervention chirurgicale afin de mieux préparer le blessé à la chirurgie à l'hôpital de campagne et les soins post- chirurgicaux, qui visent à augmenter les chances de rétablissement du blessé lorsqu'il recule à la quatrième ligne.

L'autre grande fonction du physiothérapeute consiste à permettre aux personnes qui sont moins gravement blessées de retourner au service actif.

Aujourd'hui, le champ de bataille et les zones limitrophes ne sont pas déterminés de façon précise. Ce n'est que lorsque les positions sont bien délimitées qu'un hôpital de campagne serait relativement certain d'être éloigné et protégé du combat. En fait, la conduite de la guerre est beaucoup plus fluide de nos jours et les mouvements sont loin de se limiter à ceux de deux lignes opposées qui avancent et reculent.

Les organisations médicales qui seraient normalement protégées et éloignées du combat sont donc exposées à un plus grand danger. Elles pourraient maintenant être vulnérables en cas d'attaque terrestre ou aérienne, d'attaque à l'aide d'artillerie et même de guerre NBC. En outre, même si les installations médicales sont protégées, selon la Convention de Genève, il arrive souvent qu'elles se trouvent à proximité d'autres installations comme des aires d'entreposage des munitions, des emplacements utilisés pour les communications entre points fixes et des sources d'approvisionnement en carburant, qui représentent des cibles légitimes. Les unités médicales qui se trouvent à proximité de ces installations sont donc exposées à de grands dangers.

e) Expérience vécue par Michelle Lott, physiothérapeute au sein des FAC

Michelle Lott, qui travaille actuellement comme physiothérapeute dans une clinique privée du Nouveau-Brunswick, a témoigné au nom de la Commission. Avant de travailler dans cette clinique, elle a été physiothérapeute au sein des FAC pendant cinq ans. Mme Lott a été choisie pour suivre la formation dans le cadre du PFAO en février 1983. A l'époque, sa vision était classée V3 et elle est devenue V4 pendant qu'elle était membre des FAC. Mme Lott porte des lunettes et doit en porter pour accomplir ses tâches normales.

Mme Lott a suivi le programme de formation élémentaire à Chilliwack au cours de l'été 1983. Pendant cette formation, elle a constamment porté ses lunettes et n'a éprouvé aucun problème; toutefois, pendant la formation relative à la guerre NBC, elle a dû enlever ses lunettes, parce qu'elles n'étaient pas bien

ajustées sous le masque à gaz. Exception faite de cette occasion, ce n'est que pendant la période au cours de laquelle elle a suivi une formation aux techniques répulsives qu'elle a dû enlever ses lunettes. Elle les a enlevées par mesure de prévention, pour éviter de les briser.

Au cours de la formation élémentaire, elle disposait d'une autre paire de lunettes que l'armée lui avait fournie. Selon elle, l'armée avait pour politique de fournir deux paires de lunettes aux membres qui portent des verres correcteurs. Elle se rappelle que d'autres aspirants-officiers qui ont suivi la formation en même temps qu'elle portaient des lunettes ou d'autres aides visuelles et, selon elle, aucun d'eux n'a éprouvé de problèmes pendant la formation élémentaire. Elle a terminé cette formation avec succès, tout comme les autres membres qui étaient avec elle et qui portaient des lunettes.

Au cours de la période de cinq ans qu'elle a passée dans les FAC, Mme Lott a travaillé comme physiothérapeute dans un hôpital ou une clinique des FAC. Elle a eu l'occasion de travailler une fois en dehors d'un hôpital; en effet, en septembre 1986, elle a accompagné le groupe médical canadien en Norvège et y est restée pendant environ cinq semaines pour dispenser des soins médicaux aux autres unités des FAC qui participaient à des exercices de formation.

Pendant cette période, elle a fourni des services de physiothérapie aux soldats qui ont été blessés lors des exercices d'entraînement. Les services de physiothérapie étaient assurés à l'hôpital de campagne qui se trouvait à l'arrière du champ de bataille.

Au cours des exercices, lorsqu'elle fournissait des services de physiothérapie, elle portait ses lunettes et n'a éprouvé aucun mal à accomplir ses tâches.

Le type de traitement que Mme Lott administrait sur le terrain était semblable au traitement et à la thérapie qu'elle faisait suivre aux malades dans un milieu civil. En outre, elle a été appelée à administrer des traitements pour les affections de l'appareil locomoteur, des traitements visant à alléger la douleur, des traitements relatifs à la rééducation des muscles, etc. Pendant ces exercices, le physiothérapeute avait pour tâche principale de fournir les traitements nécessaires pour permettre aux blessés de retourner à leurs unités et de participer aux exercices de formation, dans la mesure du possible.

Lorsque Mme Lott a travaillé comme physiothérapeute en Norvège au cours de ces exercices d'entraînement, elle n'a pas été soumise à des conditions reproduisant une situation de combat; en fait, les installations étaient plutôt confortables. L'équipe dont elle faisait partie n'était pas exposée à des attaques à l'arme automatique ou à des lancements de roquettes ou encore à des agressions chimiques, biologiques ou nucléaires. Au cours de l'expérience qu'elle a vécue au sein des FAC, elle ne s'est jamais trouvée dans ce type de situation de guerre et n'a pu dire si elle aurait été en mesure, dans ces conditions, de travailler comme physiothérapeute tout en portant des lunettes.

Mme Lott n'a pas porté de lentilles cornéennes lors de la formation élémentaire, parce qu'elle estimait qu'elle n'avait pas assez de temps pour les mettre et accomplir ses autres tâches pendant la période allouée le matin. En outre, elle ne disposait pas d'installations stériles appropriées pour les nettoyer lorsqu'elle a été appelée à participer aux exercices sur le terrain.

Lorsque Mme Lott a quitté les FAC, elle était capitaine. En plus de travailler comme physiothérapeute, elle a dû exercer les tâches régulières d'un militaire, notamment les fonctions d'officier de service de la base. La seule autre tâche non liée E sa profession qu'elle a dû remplir comme militaire était celle d'officier d'administration hospitalière, qui lui a été confiée lorsqu'elle était en poste à Halifax. Il s'agissait d'un poste sur appel auquel une personne pouvait être affectée pour une période d'une semaine à la fois.

Son travail comme physiothérapeute au sein de l'armée concernait avant tout le traitement des affections de l'appareil locomoteur. Habituellement, le traitement consistait en une forme d'électrothérapie, de rééducation des muscles ou de thérapie par manipulations. Si elle avait été appelée à intervenir dans une situation de guerre comme physiothérapeute, le traitement qu'elle aurait administré aurait été plus complet.

f) Expérience vécue par une physiothérapeute de l'armée américaine lors de la Guerre du Golfe

Le lieutenant Lisa Depasquale est physiothérapeute dans la marine américaine et a été affectée à l'hôpital mobile de la marine qui a été déployé dans le Golfe. Elle a témoigné au sujet des problèmes qu'un physiothérapeute militaire appelé à travailler en temps de guerre peut rencontrer. Un hôpital mobile est semblable à un hôpital de campagne : il est exploité sur terre, il est souple et peut être déplacé d'un point à l'autre. Il vise principalement à offrir un soutien médical au Marine Corps.

Comme physiothérapeute, le lieutenant Depasquale devait habituellement traiter divers types de blessures, dont les lésions à l'épaule, à la jambe et au bras, les traumatismes crâniens fermés, les blessures à la colonne vertébrale, les plaies, les brûlures et les blessures causées par la pratique d'un sport.

Pendant qu'elle était dans le Golfe, avant le début de la guerre, elle a traité des types de blessures semblables ainsi que des lésions par souffle, des brûlures, des morsures de serpent et diverses blessures mineures découlant de brûlures causées par le carburant et les détritus. Lorsqu'elle était dans le Golfe, elle a également agi comme aide chirurgicale dans la salle d'opération et comme officier de triage dès le début des hostilités terrestres.

L'objectif était de traiter les blessés et d'en retourner le plus grand nombre possible à leurs unités. Pendant leur déploiement, le lieutenant Depasquale et deux techniciens en physiothérapie ont traité 4 658 blessés. La majorité des personnes qui avaient

subi des blessures causées par la pratique d'un sport étaient renvoyées dans leurs unités, tandis que les blessés plus graves étaient retournés chez eux.

Le lieutenant Depasquale porte des lunettes. Son erreur de réfraction est de -1,75 dioptries à l'oeil droit et de -2,75 dioptries à l'oeil gauche, soit 20/100 et 20/150. Elle porte des lentilles cornéennes à l'occasion et en a porté au cours des cinq dernières années.

Elle s'est rendue dans le Golfe le 1er septembre 1990. Elle a alors apporté trois paires de lunettes et une pièce à insérer dans le masque à gaz. Le masque à gaz fait partie de la combinaison MOP, l'équivalent américain de la combinaison de protection en cas de guerre NBC des FAC. Le personnel militaire des États-Unis ne pouvait porter de lentilles cornéennes dans le Golfe, en raison des risques d'infection liés aux conditions environnementales.

A son arrivée, le lieutenant Depasquale a d'abord dû participer à la construction de l'hôpital mobile. La partie principale de l'hôpital, qui comptait 38 sections de 300 pieds de long chacune, avait été construite par un premier groupe et le reste de l'hôpital, par les autres membres du personnel de celui-ci. Tous les membres du personnel médical, y compris les médecins et le physiothérapeute, ont participé à la construction de l'hôpital.

Il a fallu environ 12 jours pour terminer la construction de l'hôpital. Au cours de cette période, il faisait très chaud et le sable s'élevait souvent en raison des vents violents qui soufflaient. Ce climat chaud et venteux a persisté pendant toute la période de six mois au cours de laquelle elle est restée dans le Golfe. Comme l'eau et les installations hygiéniques étaient restreintes, elle avait beaucoup de mal à maintenir des conditions stériles ou même à se laver les mains aussi souvent qu'elle le voulait.

Le lieutenant Depasquale a participé comme tous les autres membres qui ont été affectés à l'hôpital mobile, non seulement à la construction de celui-ci, mais aussi au remplissage de sacs de sable et à la formation de tranchées. Pendant ces travaux, elle a brisé et perdu toutes les lunettes qu'elle avait apportées ou a dû s'en défaire. Elle n'a pu remplacer ses lunettes et a passé la dernière partie de son séjour dans le Golfe sans verres correcteurs. Elle pouvait voir de près, mais il lui était difficile de reconnaître les personnes se trouvant à plus de 60 ou 70 verges d'elle.

D'après ce qu'elle a pu constater, d'autres personnes ont aussi perdu ou brisé leurs lunettes, mais certaines ont pu régler le problème, parce qu'elles avaient apporté quatre ou cinq paires de lunettes. Elle a remarqué que, même s'il était interdit de porter des lentilles cornéennes, certaines personnes portaient des lentilles souples et, lorsque le vent a commencé à leur causer des problèmes, elles ont eu une infection à l'oeil et n'ont pu porter leurs lentilles.

Lorsqu'elle a décrit les conditions environnementales, le lieutenant Depasquale a souligné que l'hôpital de campagne se trouvait très près de deux raffineries de pétrole. Le combustible a été brûlé et les produits qui s'échappaient dans l'air étaient épais. Cette émanation a fortement irrité ses yeux. En raison de ces conditions, soit la chaleur, le vent et le sable, elle n'a jamais songé à porter des lentilles cornéennes pendant son séjour dans le Golfe.

Pendant la période de préparation militaire qui a précédé les hostilités, les blessures les plus fréquentes étaient des blessures causées par la pratique d'un sport et quelques lésions par souffle. Lorsque les hostilités ont débuté, de nombreuses alertes ont été signalées et le risque d'une attaque par des produits chimiques était toujours présent, de sorte que le personnel de l'hôpital devait porter fréquemment le masque à gaz et la combinaison. La pièce à insérer sous le masque à gaz qui a été fournie au personnel militaire américain n'était à peu près pas fonctionnelle, parce qu'elle ne restait pas en place sous le masque. Toutes ses collègues ont vécu une expérience semblable avec ces pièces. En conséquence, dans ce genre de situation, le lieutenant Depasquale a fonctionné à peu près dans tous les cas sans aide visuelle.

Lorsqu'il y avait une alerte aux missiles, la démarche consistait à se rendre à un blockhaus qui était entouré de sacs de sable et qui se trouvait à quelques verges du complexe hospitalier. Il était facile de trouver les blockhaus le jour; toutefois, le soir, la situation était bien différente. En cas d'alerte, il fallait d'abord mettre le masque à gaz en moins de huit secondes, revêtir ensuite la combinaison de protection et se rendre au blockhaus. Une de ses collègues, qui portait des lunettes, a été prise de panique lors d'une alerte aux produits chimiques; confuse, elle a finalement trouvé le blockhaus, mais ce n'était pas celui auquel elle devait se rendre.

Le lieutenant Depasquale a tenu à dire qu'il y a de grandes différences entre le travail dans des conditions de paix et le travail dans des conditions de guerre. La première différence réside dans la disponibilité de fournitures et d'un milieu stériles. En outre, en temps de guerre, il faut se tenir constamment prêt à intervenir et parfois travailler en situation de guerre NBC. De plus, en temps de guerre, il y a beaucoup plus de lésions par souffle et de brûlures qu'en temps de paix. Il y a aussi menace de danger imminent.

Enfin, en temps de guerre, les membres du personnel médical sont beaucoup plus interdépendants. Chaque personne doit pouvoir faire sa part, comme le lieutenant Depasquale l'a souligné, afin de ne pas devenir un fardeau. Si un collègue portant des lunettes ne peut fonctionner de façon efficace sans lunettes, le lieutenant Depasquale ne voudrait pas que cette personne fasse partie de son unité, en raison des conséquences sur le plan de la sécurité pour cette personne, pour les autres membres de l'unité et pour les patients.

Au cours de son contre-interrogatoire, le lieutenant Depasquale a dit qu'environ 750 personnes travaillaient à l'hôpital mobile et

que la majorité d'entre elles portaient des lunettes. Elle a ajouté que, même si le port de lentilles cornéennes était interdit, certaines personnes en portaient quand même; au moins deux des personnes qui résidaient sous sa tente en portaient. Elle a également convenu que les pièces à insérer dans les masques que l'armée américaine fournissait étaient bien différentes des lunettes de combat fournies par les FAC, parce qu'elles n'étaient pas adaptées pour chaque membre.

Le lieutenant Depasquale a mentionné que plusieurs personnes ont souffert d'une irritation oculaire, parce qu'elles étaient exposées à des conditions environnementales difficiles et aussi parce qu'elles devaient se laver avec de l'eau qui n'était pas stérile.

g) Exemption relative aux normes d'enrôlement

La Commission a demandé au capitaine De Bellefeuille si les FAC pouvaient accorder une exemption relative aux normes visuelles d'enrôlement. Même s'il a reconnu qu'une politique d'exemption existe au sein des FAC, il a fait une distinction entre la catégorie médicale afférente à un GPM et la norme d'enrôlement minimale. Il peut y avoir dispense à l'égard de la norme d'enrôlement minimale, mais seulement si la norme relative au GPM est inférieure. En ce qui a trait à la norme de vision, il n'existe aucune occupation au sein des FAC pour laquelle la norme de vision est inférieure à V4. Lorsqu'on parle d'une exemption au niveau des recrues, on fait allusion à une baisse de la norme d'enrôlement, mais non à un niveau inférieur à la norme relative aux GPM.

Ce témoignage est confirmé par le document intitulé Normes médicales applicables aux Forces canadiennes, dont une partie a été déposée par l'avocat de la Commission. Voici un extrait du chapitre 3 intitulé Interprétation des normes médicales :

Normes d'enrôlement

1. Les recrues doivent répondre à une certaine norme pour être admissibles au plus vaste éventail de métiers. Le plus grand dénominateur commun serait trop restrictif, tandis que le plus petit dénominateur commun entraînerait l'enrôlement de trop de recrues dont les possibilités d'emploi sont limitées. Étant donné qu'on veut maintenir les normes médicales dans les Forces canadiennes à un niveau supérieur et qu'il est inévitable que la catégorie de beaucoup de militaires en service doit être réduite au cours de leur carrière, il importe que la norme médicale exigée des recrues soit élevée. C'est pourquoi la catégorie médicale généralement exigée à l'enrôlement dans les Forces canadiennes est la suivante :

V CV H G O A 4 3 2 2 2 5

Il s'agit de la norme d'enrôlement. Les recrues doivent atteindre au moins cette norme. Si le métier

dont elles veulent faire partie exige une norme plus élevée, elles doivent également y répondre.

2. Certains candidats aux Forces canadiennes peuvent posséder des qualités particulières, notamment une certaine expérience ou compétence dans la pratique d'un métier ou d'une profession qui rend leur enrôlement tout à fait souhaitable. L'administration peut, dans ces cas, autoriser une exception aux normes d'enrôlement. On peut alors attribuer à l'emploi postulé la catégorie médicale qui figure à l'annexe D.

5. La cote V6, G6 ou O6 signifie que le militaire est médicalement inapte au service et que sa libération doit être demandée en vertu de l'article 3(a) de l'ORFC 15.01, laquelle ne peut être approuvée par le Chef - Service de santé, DSSS.

6. Lorsque la cote devient inférieure à celle qui est prévue à l'annexe D pour son métier, mais que ladite cote est supérieure à celle qui est indiquée au paragraphe 5, les restrictions qu'a la cote sur la carrière du militaire posent un problème d'ordre administratif et le cas doit être étudié par le Conseil de révision médicale des carrières.

D'après l'annexe D des Normes médicales, il n'existe aucun GPM pour lequel la norme visuelle exigée est inférieure à V4.

Comme on peut le voir à la lecture du paragraphe 1 des Normes médicales, les FAC proposent une norme médicale composée de six facteurs pour le recrutement, soit V, CV, H, G, O et A. La norme d'enrôlement minimale est la suivante : 4 3 2 2 2 5. Selon le capitaine De Bellefeuille, les deux normes pour lesquelles une exemption est le plus fréquemment accordée sont les normes correspondant aux facteurs G et O.

Prenons le cas d'un mécanicien d'aéronef qui travaille pour une société d'aviation privée et qui respecte tous les critères d'enrôlement, sauf qu'il est G3. Il se peut qu'en raison de sa formation spécialisée, il soit très souhaitable de l'enrôler dans l'armée, pourvu que les FAC ne refusent pas de ce fait à un autre Canadien vivant au Canada la chance de combler le poste. Dans ce genre de situation, les FAC songeraient certainement à accorder une exemption relative à la norme d'enrôlement.

Le capitaine De Bellefeuille a également fait une distinction entre les recrues et les militaires actifs. Lorsque l'évaluation médicale d'un militaire actif devient inférieure au profil médical relatif au GPM, il ne s'agit plus de se demander s'il y a lieu d'accorder une exemption; il faut plutôt que le cas soit examiné par le Conseil de révision médicale des carrières (CRMC), qui étudie le rendement de la personne concernée au fil des années et détermine si elle peut continuer à exercer son métier, même si ses capacités à cet égard ont diminué. Ce n'est pas vraiment une exemption, même si cette mesure porte ce nom. C'est plutôt une décision par laquelle le CRMC juge qu'il convient de garder à l'emploi des FAC un membre dont le profil médical est inférieur à celui qui correspond au GPM.

V. PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES

a) La plainte et la défense

Hebert allègue que le MDF et les FAC ont fait montre de discrimination à son endroit en refusant de l'employer en raison de sa déficience, contrairement aux articles 7 et 10 de la LCDP. Voici le libellé de ces dispositions :

7. Constitue un acte discriminatoire le fait

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
  2. de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi,

directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
  2. de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel

pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

Selon le paragraphe 3(1) de cette même Loi, la déficience constitue un motif de distinction illicite.

Les FAC ne contestent pas le fait que l'erreur de réfraction de la plaignante soit une déficience au sens de la Loi ni le fait que leur refus de traiter sa demande d'enrôlement constitue à première vue de la discrimination fondée sur un motif illicite selon la LCDP. Elles soutiennent plutôt que Hebert n'a pas été acceptée dans leur organisation parce qu'elle ne satisfaisait pas aux normes minimales d'enrôlement, lesquelles constituent un fondement légitime permettant de déterminer quelles personnes seront enrôlées dans les Forces. Les FAC ont donc cherché à démontrer que la norme d'acuité visuelle relative à l'enrôlement constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au sens de l'alinéa 14a) de la LCDP, dont le libellé est le suivant :

Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

b) Principes d'interprétation

Nous nous reportons d'abord à l'article 2 de la LCDP, qui énonce l'objet de la Loi en ces termes :

... tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Il faut également se rappeler que la Cour suprême du Canada a dit à maintes reprises que la LCDP constitue une loi spéciale ou même une loi quasi constitutionnelle et que les droits de la personne doivent être interprétés de façon large et libérale, afin que l'on puisse éliminer les pratiques discriminatoires : Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, 156; O'Malley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, 547; C.N. c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114, 1134-1136; Robichaud c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 84, 92; R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, 268.

Selon le corollaire de ce principe, il faut nécessairement interpréter de façon restrictive les exceptions énoncées dans des lois antidiscriminatoires. Comme la Cour suprême l'a dit dans Ville de Brossard c. Québec (1988), 10 C.H.R.R. D/5515; 2 R.C.S. 279, les restrictions énoncées dans la législation sur les droits de la personne au titre d'exigences professionnelles justifiées devraient, en principe, être interprétées de façon restrictive, puisqu'elles ont pour effet d'annuler des droits qui, par ailleurs, devraient bénéficier d'une interprétation libérale.

Lorsqu'une preuve prima facie de discrimination est établie, il appartient à l'employeur d'établir l'existence d'une EPJ. Il s'agit du fardeau de la preuve applicable en matière civile, soit celui de la prépondérance des probabilités : Etobicoke, précité, par. D/783.

c) La défense d'EPJ

Les principes juridiques applicables à une EPJ ont été examinés dans plusieurs décisions rendues par le Tribunal des droits de la personne, la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada; celle-ci s'est prononcée à ce sujet dans Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 et sa plus récente décision est l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta Human Rights Commission, [1990] 12 C.H.R.R. D/417; [1990] 2 R.C.S. 489.

Comme c'est dans l'affaire Etobicoke qu'une EPJ a été examinée pour la première fois, c'est cette décision qui constituera le point de départ de notre analyse. Dans cette cause-là, il s'agissait d'une contestation liée à l'imposition d'un âge de retraite obligatoire pour les pompiers; le juge McIntyre a Bnoncé pour la première fois le critère relatif aux EPJ et a précisé que ce critère comportait un élément subjectif et un élément objectif :

... Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général. (à la page D/783).

On n'a nullement soutenu ou cherché à démontrer que les normes d'acuité visuelle imposées par les FAC aux fins de l'enrôlement ne sont pas imposées de façon honnête et de bonne foi. Le litige en l'espèce ne porte pas sur cet aspect.

Le présent Tribunal doit donc se prononcer sur le second volet du critère énoncé dans l'affaire Etobicoke, soit l'élément objectif. L'employeur doit démontrer l'existence d'une nécessité raisonnable à l'aide d'une preuve fondée sur les faits proprement dits et non sur des généralisations ou de simples impressions. A cette fin, l'employeur doit également tenir compte de la nature de l'emploi et de la question de savoir s'il comporte ou non un risque lié à la sécurité. Comme l'a dit le juge McIntyre dans l'affaire Etobicoke :

Devant l'incertitude du vieillissement, deux solutions, à mon avis, s'offrent à l'employeur. Il peut fixer l'âge de la retraite à soixante-cinq ans ou plus, et le cas échéant, il ne peut être accusé de discrimination fondée sur l'âge aux termes du Code. D'autre part, il peut, en ce qui concerne certains types d'emplois, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique comme c'est le cas des pilotes de ligne aérienne, des conducteurs de trains et d'autobus, des policiers et des pompiers, estimer que le risque d'erreur humaine imprévisible que comporte le maintien de tous les employés à leur poste jusqu'à soixante-cinq ans peut justifier l'application à tous les employés d'un âge de retraite fixé arbitrairement... Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général. (aux pages D/783-784)

Les FAC soutiennent qu'il est nécessaire d'imposer une norme professionnelle prévoyant une exclusion générale dans le cas de toutes les personnes qui ne peuvent respecter la norme d'acuité visuelle. Cette exclusion générale serait justifiée, en termes simples, par le fait que ce groupe de personnes présente un risque d'erreur humaine suffisant, avec toutes les conséquences qui en découlent. Le Tribunal doit donc déterminer si les FAC ont démontré, de façon tangible et probante, que la norme d'acuité visuelle imposée aux fins de l'enrôlement est raisonnablement nécessaire en raison du risque lié à la sécurité.

d) Risque lié à la sécurité et EPJ

Le concept du risque dans le contexte d'une défense d'EPJ a été examiné dans plusieurs causes depuis l'affaire Etobicoke. Dans Air Canada c. Carson, (1985) 5 C.H.R.R. D/2848 (C.A.F.), on a soutenu devant la Cour qu'il suffisait, pour démontrer l'existence d'une EPJ, de prouver qu'il y avait augmentation minime des risques. Rejetant cette proposition, la Cour a dit ce qui suit :

Il existe toute une différence entre une augmentation minime des risques et un risque minime acceptable, cette dernière expression laissant entendre contrairement à la première qu'il est possible de mesurer l'acceptabilité d'un risque...

Il ressort donc clairement des décisions citées par le juge McIntyre qu'il n'avait pas l'intention en les invoquant d'approuver une manière particulière de mesurer le risque. Néanmoins, le fait qu'il ait lui- même présenté le litige en affirmant qu'il s'agissait de déterminer s'il existait un risque d'erreur humaine suffisant, indique la reconnaissance d'un certain degré de risque qui correspond davantage à la notion de risque acceptable qu'à celle de risque minime. (à la page D/2854)

Dans C.P.R. c. Mahon, (1987) 8 C.H.R.R. D/4263, la Cour d'appel fédérale s'est éloignée de cette interprétation et a conclu que, pour établir un risque d'erreur humaine suffisant,

... la preuve ... doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures. En d'autres termes, l'adjectif suffisant en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré ... (à la page D/4268)

Pendant quelque temps après la décision rendue dans l'affaire Mahon, on a pensé que, si un employeur pouvait démontrer que l'emploi d'une personne engendrait un accroissement du risque lié à la sécurité, cette preuve suffisait aux fins d'établir l'existence d'une EPJ, que le risque en question soit marginal ou important.

A notre avis, la décision rendue dans l'affaire Mahon n'est plus la règle. Nous nous fondons à cet égard sur de récentes décisions rendues par le Tribunal des droits de la personne et d'autres tribunaux. Dans Central Alberta Dairy Pool, précité, la Cour suprême a réexaminé la décision qu'elle avait rendue dans CNR c. Bhinder, [1985] 2 R.C.S. 561, et a conclu qu'elle avait commis une erreur en décidant que l'exigence professionnelle dont il était question dans cette affaire (l'obligation de porter un casque de sécurité) constituait une EPJ. En effet, d'après l'évaluation des faits du Tribunal, l'omission de porter le casque de sécurité aurait pour effet d'accroître le risque, mais de façon marginale seulement. La Cour suprême a poursuivi en ces termes :

Vu ces conclusions de fait du tribunal, il est à mon avis difficile d'appliquer la conclusion de la majorité de cette Cour que la règle du casque de sécurité était raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité de M. Bhinder, de ses compagnons de travail et du public en général. (à la page D/432)

En outre, dans la récente décision qu'a rendue la Cour d'appel fédérale dans Procureur général du Canada c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (CAF), le juge Linden a dit ce qui suit au sujet du risque :

La deuxième plainte du requérant est que, si quelque degré de risque est prouvé, quelque minime soit-il, une EPJ est établie. J'ai déjà indiqué que la preuve n'avait pas convaincu le tribunal de l'existence d'un risque accru. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'aborder cette question. Le cas échéant, il faudrait tenir compte de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, dans lequel le juge Wilson a indiqué que l'arrêt Bhinder était peut-être mal fondé pour le motif que le risque accru dans les circonstances n'était que très léger et, ainsi, n'aurait pas pu fonder la défense d'EPJ. (à la page 411)

Dans Robinson c. Les Forces armées canadiennes, (1992) 15 C.H.R.R. D/95 et dans Thwaites c. Forces armées canadiennes, décision T.D. 9/93 rendue le 7 juin 1993, le Tribunal en est arrivé à la même conclusion et a décidé que la preuve d'un accroissement mineur ou négligeable du risque ne suffit pas pour démontrer l'existence d'une EPJ. L'accroissement du risque doit être important.

Cette interprétation est conforme à l'article 2 de la LCDP et le Tribunal l'a bien résumée dans l'affaire Thwaites, où il a dit ce qui suit :

La norme du risque important reconnaît la nécessité de tolérer un certain degré de risque car les activités humaines ne sont pas absolument sans risque. Certes, cette norme protège les préoccupations légitimes au sujet de la sécurité en milieu de travail, mais elle ne garantit pas le degré le plus élevé de sécurité, soit l'élimination de tout risque accru. En effet, elle fait en sorte que les objectifs de la Loi soient

atteints en favorisant l'intégration professionnelle des personnes qui ont des déficiences, bien qu'il en résulte une augmentation des risques, qui est cependant contenue dans des limites acceptables. (à la page 49)

Comment évaluer un accroissement important du risque

Quand un risque accru devient-il un risque important? Peut-on l'évaluer de façon quantitative, en termes de pourcentage? Un accroissement de 5 % est-il important? Doit-il atteindre 20 % pour l'être? Nous ne connaissons aucune décision dans laquelle cette question a été examinée, sauf dans l'affaire Thwaites. A notre avis, l'analyse présentée dans cette dernière décision constitue un excellent point de départ et nous avons l'intention de la reprendre aux fins du présent litige.

Dans l'affaire Thwaites, le Tribunal a rejeté l'évaluation fondée sur un pourcentage, parce qu'il est difficile de dire ce qu'est un pourcentage important, notamment lorsqu'il est peu élevé.

Le Tribunal a plutôt proposé la méthode suivante :

C'est par rapport à l'emploi particulier que l'on peut le mieux mesurer le risque important et seulement par comparaison avec les autres risques rattachés au milieu de travail. De cette manière, les autres risques tolérables que présente l'emploi établissent des seuils de risque. Si des risques d'ampleur comparable sont acceptables dans un milieu de travail donné, alors les risques que présente une personne VIH-positive ne peuvent pas être considérés comme importants. En recourant à une analyse comparative des risques, on reconnaît que les employeurs ne peuvent pas compter sur un milieu de travail totalement sûr. Au lieu de cela, la norme du risque important a pour but de supprimer les risques qui constituent une menace importante à la santé et à la sécurité. Dans chaque cas, il faut déterminer quel risque sera tenu pour important et donc inacceptable, en précisant la nature et l'ampleur des autres risques qui sont tolérés parce qu'ils sont acceptables dans un milieu de travail particulier. En faisant une analyse comparative des risques, on est plus à même de déterminer si le risque est important. (Voir, de façon générale, S.D. Watson, Eliminating Fear Through Comparative Risk: Docs, AIDS and the Anti- Discrimination Ideal (1992) 40 Buffalo L. Rev. 738). (à la page 51)

e) Preuve de l'accroissement du risque

La norme d'acuité visuelle minimale que les FAC imposent aux fins de l'enrôlement est la norme V4. Cette norme permet une vision inférieure à la vision normale; il est donc évident que les FAC sont prêtes à accepter un certain risque d'erreur humaine et que le niveau acceptable du risque se situe à 7 dioptries. En conséquence, il s'agit de savoir si la vision de Hebert représente un accroissement important ou même une simple augmentation du degré de risque que les FAC ont accepté lorsqu'elles ont formulé leurs normes d'enrôlement.

Lorsque le Dr Sheedy a présenté les diapositives, le Tribunal a constaté qu'il y a peu de différence entre une erreur de réfraction de -7 dioptries et une de -8 dioptries en ce qui a trait à la capacité de distinguer les objets et les rapports spatiaux à une distance de 20 pieds. En fait, cette preuve démontre qu'il est très difficile de faire une distinction visuelle significative avant le niveau de -4 dioptries et ce n'est qu'au niveau de -3 dioptries que les objets deviennent clairs. D'après ce que nous avons pu comprendre, une erreur de réfraction de -3 dioptries correspondrait au moins à la norme V3 et peut-être à la norme V2 du Tableau des normes visuelles.

En outre, le Dr Delpero a reconnu qu'il y a peu de différence entre une erreur de réfraction de -7 dioptries et une erreur de - 8 dioptries en ce qui a trait à l'acuité visuelle. Cependant, il a précisé qu'il y a une différence considérable entre ces deux niveaux d'erreur de réfraction, parce que les degrés plus élevés de myopie sont associés à un plus grand nombre de pathologies oculaires. Même si cette précision est peut-être valable de façon générale, la preuve n'indique nullement que Hebert souffrait d'une maladie oculaire en raison de sa myopie ou qu'elle avait de fortes chances de contracter une maladie de cette nature dans un avenir rapproché.

Il convient également de se reporter au témoignage du Dr Sheedy au sujet de la Classification internationale des maladies (9e éd. (CIM-9)). Le tableau 3 de l'ouvrage CIM-9, Classification des atteintes de la vision suivant leur intensité, présente une classification de l'acuité visuelle avec la meilleure correction. Au niveau correspondant à la meilleure acuité avec correction, soit 20/25, la vision de Hebert serait considérée comme une vision presque normale, d'après ce tableau. Cependant, le Dr Sheedy s'est servi de ce tableau pour mettre en relief le degré d'atteinte à la vision non corrigée de Hebert. Selon le tableau 3, la vision de Hebert serait classifiée comme suit : déficit visuel presque total, cécité grave. D'après ce tableau, une personne présentant une erreur de réfraction de -7 dioptries est classée comme suit : cécité modérée, déficit visuel profond.

Le fait que les FAC soient prêtes à admettre au sein de leur organisation une personne dont la vision non corrigée n'est que marginalement supérieure à celle de Hebert va à l'encontre de l'argument selon lequel il est nécessaire d'imposer une norme de vision sans correction dans le cas des physiothérapeutes. C'est ce que l'on doit conclure, à moins de dire que l'erreur de réfraction de Hebert, soit -8 dioptries, ne représente pas un accroissement important ou même un accroissement du degré de risque que les FAC jugent acceptable. En conséquence, à notre avis, les FAC n'ont pas démontré que la norme V4 appliquée aux GPM des physiothérapeutes est raisonnablement nécessaire.

Cependant, notre conclusion ne repose pas seulement sur ce raisonnement. Pour justifier la norme d'acuité visuelle qu'elles imposent, les FAC doivent démontrer qu'il existe un risque réel, et non seulement un risque possible, qu'un physiothérapeute des FAC perde ses verres correcteurs et soit incapable de fonctionner efficacement. Selon la description des exigences militaires

fondamentales, au cours de leur évolution professionnelle, les physiothérapeutes membres des FAC sont appelés à travailler dans un grand hôpital militaire canadien ou dans un hôpital ou clinique d'une base, quel que soit le rang ou la phase de perfectionnement qu'ils ont atteint. Au cours de son témoignage, Michelle Lott, qui a été physiothérapeute dans les FAC pendant cinq ans, a dit que, comme physiothérapeute, elle a travaillé uniquement dans un milieu hospitalier, sauf lorsqu'elle a accompagné l'hôpital de campagne canadien en Norvège pendant une période de cinq semaines, au cours de laquelle l'hôpital de campagne a offert son soutien aux unités de combat des FAC qui participaient à des exercices de formation.

Pendant cette période, l'hôpital de campagne lui-même n'a pas participé à des exercices de cette nature et était situé bien en retrait du champ de bataille. Les seules fonctions non professionnelles qu'elle a exercées lorsqu'elle était physiothérapeute militaire sont celles d'officier de service de la base ou d'officier d'administration hospitalière, lorsqu'elle était en poste à Halifax. Il s'agissait d'un poste sur appel d'une durée d'une semaine à la fois.

Selon les FAC, la doctrine de la responsabilité illimitée s'applique tout autant aux physiothérapeutes militaires qu'aux autres membres. Cela signifie que chaque membre des FAC est tenu d'aller là où les Forces lui disent d'aller. Personne n'a le choix. Comme l'a dit le brigadier-général Vernon, vous allez là où vous êtes envoyé parce que votre unité a été choisie ou parce que vous servez d'élément de renfort ou d'appoint.

Selon toute vraisemblance, un physiothérapeute affecté en dehors du Canada travaillerait comme membre supplémentaire de l'hôpital de campagne canadien, lorsque celui-ci est déployé. Le major Moneypenny a décrit la démarche de dotation en personnel de l'hôpital de campagne et a souligné que chaque physiothérapeute faisant partie du groupe des 25 physiothérapeutes des FAC peut être affecté à l'hôpital de campagne.

Les FAC invoquent le témoignage du lieutenant Depasquale, physiothérapeute au sein de l'armée américaine qui a décrit l'expérience qu'elle a vécue comme physiothérapeute au cours de la Guerre du Golfe. Elle a dû faire face à des conditions environnementales défavorables, comme la chaleur suffocante, les vents violents, la présence de contaminants dans l'air et l'absence d'installations de nettoyage stériles. En outre, elle a dû participer à des travaux physiques difficiles au cours desquels elle a perdu ou brisé trois paires de lunettes et vivait constamment sous la menace d'une agression biologique ou chimique.

Les FAC invoquent également le témoignage de l'adjudant Humby et du major Moneypenny, qui ont indiqué à quel point il est difficile de porter des lunettes sous le masque de protection contre les guerres NBC. Dans le cas du major Moneypenny, le seul témoin en l'espèce qui a été envoyé au Golfe, il a décidé de ne pas porter de lunettes sous le masque, parce qu'il était difficile de mettre le masque rapidement et de maintenir ses lunettes bien en place sous le masque.

Il a également été mis en preuve que les FAC et l'armée américaine interdisaient le port de lentilles cornéennes dans le Golfe, en raison des conditions environnementales et du risque élevé d'irritation ou d'infection à l'oeil.

La preuve indique clairement que Hebert, compte tenu de son taux d'erreur de réfraction de -8 dioptries, aurait beaucoup de mal à fonctionner comme physiothérapeute si elle était incapable de porter ses lentilles cornéennes ou si elle les perdait sans pouvoir les remplacer.

Cependant, il faut se demander quelles sont les chances que Hebert se trouve dans la même situation que le lieutenant Depasquale. Selon le lieutenant-commander Lait, au cours de la période allant de 1947 à 1991, le Canada a participé à trente opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Aucun physiothérapeute n'est intervenu au cours de ces opérations. Le major Moneypenny, le commandant de l'hôpital de campagne canadien, a dit que, même si le Canada a fourni un hôpital chirurgical avancé au cours de la Guerre du Golfe, aucun physiothérapeute n'a été affecté à cet hôpital de campagne. Il a ajouté qu'il n'y a pas de réponse simple à la question de savoir si un physiothérapeute des FAC serait envoyé dans une situation de guerre; la réponse dépend de la nature de la mission et des besoins de celle-ci. Dans le cas de la Guerre du Golfe, en raison de la directive de transit que les Forces appliquaient, il n'était pas nécessaire qu'un physiothérapeute fasse partie des effectifs de l'hôpital de campagne, qui était un hôpital chirurgical avancé.

Lorsqu'on lui a demandé s'il était possible de prévoir les chances de déploiement de l'hôpital de campagne ailleurs qu'au Canada, le brigadier-général Vernon a dit qu'on ne pouvait garantir que cela ne se produirait pas ou affirmer que cela se produirait.

Il est toujours possible que des physiothérapeutes membres des FAC soient envoyés dans un milieu marqué par des hostilités et, dans ce genre de situation, il est possible qu'ils soient tenus de fonctionner en l'absence de verres correcteurs.

Cependant, beaucoup de choses doivent se produire : l'hôpital de campagne doit être déployé et compter un physiothérapeute parmi ses membres; le déploiement doit avoir lieu dans un milieu marqué par des hostilités; l'environnement doit être tel qu'il est impossible de porter des lentilles cornéennes ou de remplacer facilement des lunettes perdues.

Au cours des quelque quarante-cinq années pendant lesquelles le Canada a participé à des opérations de maintien de la paix ou à d'autres opérations militaires comme la Guerre du Golfe, aucun physiothérapeute des FAC n'a été déployé dans ce type de situation. Nous sommes donc d'avis que la possibilité que tous ces événements surviennent ne constitue pas un motif justifiant l'exclusion d'Hebert des FAC. La possibilité est trop éloignée et ne permet pas de dire qu'une norme de vision non corrigée est raisonnablement nécessaire dans le cas d'un physiothérapeute.

Enfin, nous nous reportons à l'article de 1986 intitulé Contact Lenses for Police Officers que le Dr Sheedy a rédigé et qui a été publié dans le Journal of the American Optometric Association. Cet article, qui a été déposé en preuve, concerne les avantages et les inconvénients liés au fait de permettre aux personnes portant des lentilles cornéennes de contourner la norme d'acuité visuelle non corrigée. Il convient de souligner que le Dr Sheedy s'est fondé en partie sur un autre rapport qui a été présenté en preuve et qui concerne les membres de la garde stationnaire pour approuver une norme d'acuité visuelle non corrigée dans le cas des policiers et des unités antiterroristes. Dans ce dernier rapport, le Dr Sheedy a présenté les résultats d'un questionnaire auquel ont répondu des policiers qui portent des lentilles cornéennes pendant l'exercice de leurs fonctions. Dans ce questionnaire, les policiers ont mentionné que leurs lentilles cornéennes se déplaçaient et les empêchaient de bien voir pendant l'exercice de leurs fonctions, que leurs yeux devenaient irrités par la poussière, la fumée et le vent, de sorte qu'ils devaient enlever leurs lentilles ou que, même si leurs yeux n'étaient pas irrités, la présence de certains éléments dans l'environnement nuisait à leur vision et que leurs yeux sont devenus tellement irrités par suite du port prolongé des lentilles cornéennes ou d'une infection qu'ils ont dû les enlever pendant qu'ils étaient en service. Malgré ces résultats, dans son article de 1986, le Dr Sheedy a conclu que, bien qu'il existe plusieurs facteurs qui font des personnes portant des lentilles cornéennes des recrues moins désirables, un bon porteur de lentilles cornéennes dont la vision est inférieure à la norme de vision non corrigée pourrait exercer les tâches d'un policier de façon sûre et efficace et il est raisonnable d'accorder une dispense à cet égard dans le cas de cette personne.

Hebert est considérée comme une bonne candidate portant des lentilles cornéennes. Si un policier qui porte des lentilles cornéennes et qui éprouve des problèmes d'irritation ou d'autres problèmes causés par la présence de certaines substances dans l'environnement, comme la poussière, la fumée ou le vent, ou encore une irritation telle qu'il est incapable de porter ses lentilles pendant l'exercice de ses fonctions ne doit pas être assujetti à une norme de vision non corrigée, le physiothérapeute des FAC qui est appelé à travailler principalement dans un hôpital ou dans une clinique ne devrait pas y être assujetti non plus.

Pour tous ces motifs, nous concluons que, d'après la preuve présentée en l'espèce, il n'est pas nécessaire d'imposer une norme de vision non corrigée pour les physiothérapeutes et, à notre avis, les FAC n'ont pas démontré l'existence d'une EPJ.

VI. RÉPARATION

Au cours des plaidoiries, l'avocat de la Commission a soutenu que la réparation appropriée serait la suivante :

  1. placer Hebert dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si elle n'avait pas été victime de discrimination;
  2. ordonner aux FAC de mettre fin à la pratique discriminatoire;
  3. accorder à la plaignante une indemnité pour le préjudice moral qu'elle a subi en raison de la pratique discriminatoire.

On n'a pu indiquer avec certitude au cours de l'audience quand aurait lieu le prochain concours d'adhésion au PFOR pour les physiothérapeutes, le cas échéant. En outre, il nous apparaît plus approprié d'examiner le cas de Hebert en tenant compte des titres et qualités qu'elle possédait à la date de l'audience plutôt qu'en nous reportant à ceux qu'elle avait lors de sa demande initiale. A l'époque, elle venait de terminer ses études secondaires, alors qu'elle est maintenant titulaire d'un baccalauréat en sciences.

Le Tribunal ordonne donc aux FAC d'accepter Hebert dans le PFOR, si elle décide de présenter sa candidature, pourvu qu'elle respecte les normes d'enrôlement minimales des FAC autres que la norme d'acuité visuelle non corrigée ainsi que les autres conditions d'adhésion audit programme. Le Tribunal ordonne également aux FAC d'examiner la candidature de la plaignante selon sa propre valeur et non par rapport aux autres demandes d'adhésion au PFOR pour le poste de physiothérapeute.

Le Tribunal ordonne en outre aux FAC de mettre fin à leur pratique discriminatoire, soit l'application d'une norme d'acuité visuelle non corrigée pour déterminer les personnes admissibles à s'enrôler dans les FAC comme physiothérapeutes.

Enfin, le Tribunal ordonne aux FAC de verser à Hebert un montant de 5 000 $ à titre d'indemnité conformément à l'article 53 de la LCDP ainsi que les intérêts sur ce montant à compter de la date de la plainte.

Fait le 24 juin 1993.

J. Grant Sinclair, c.r. Président

Marie Crooker Membre

Richard Noonan Membre

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