Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 21/93 Décision rendue le 8 décembre 1993

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

RINO MICHAUD

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: ROGER DOYON - président MARIE-CLAUDE LANDRY - membre JOANNE COWAN-McGUIGAN - membre

ONT COMPARU: M. Donovan et Major R. Smith, avocats de l'intimée, les Forces armées canadiennes

F. Lumbu, avocat de la Commission

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 25 au 28 mai 1993 Edmunston (Nouveau-Brunswick)

Les 5 au 9 juillet 1993 Québec (Québec)

INTRODUCTION

Le 25 novembre 1992, M. Keith C. Norton, président du Comité du Tribunal des Droits de la Personne, constituait le présent tribunal dans le but d'examiner la Plainte déposée par M. Rino Michaud, en date du 31 août 1990, telle que modifiée le 9 octobre 1990, contre l'intimée, Les Forces armées canadiennes.

L'acte de constitution du tribunal a été déposé sous la cote T-1.

LA PLAINTE

Le 31 août 1990, M. Rino Michaud s'adressait à la Commission Canadienne des Droits de la Personne pour déposer une plainte à l'endroit de l'intimée, Les Forces armées canadiennes. Cette plainte fut modifiée le 9 octobre 1990.

Au soutien de celle-ci, le plaignant allègue que l'intimée a agi de façon discriminatoire à son endroit en refusant de continuer de l'employer pour cause de déficience physique, Soit l'amputation de la jambe droite au- dessus du genou en contravention des dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne des Droits de la Personne, L.R. (1985) ch H 6.

M. Michaud estime qu'en dépit de cette amputation il a toujours réussi à accomplir sans difficulté les taches reliées à son emploi et que son congédiement est discriminatoire et relié uniquement à sa déficience physique.

La plainte, telle que modifiée le 9 octobre 1990, est produite sous la cote C-2.

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LES FAITS

Le tribunal a procédé à l'audition de la plainte dans un premier temps à Edmundston, N.B. , les 25, 26, 27 et 28 mai 1993 et, dans un deuxième temps, à Québec, les 5, 6, 7, 8 et 9 juillet 1993.

Les Forces armées canadiennes se composent des membres au service de la force régulière et de ceux au service de la force de réserve appelée également la milice qui regroupe les types de service suivants: (Pièce I-24). 1. Service de réserve classe A. 2. Service à temps partiel d'une durée minimale de soixante (60) jours qui s'effectue à raison de deux (2) soirs par semaine et une fin de semaine par mois et qui S'échelonne de septembre à juin.

3. Service de réserve classe B: service de nature temporaire à temps plein pour une période indéterminée. 4. Service de réserve classe C: service à temps plein pour une période déterminée afin d'occuper un poste dans la force régulière.

L'article 9.05 de L'O.R.F.C. (Pièce I-25) stipule que:

"Un membre de la force de réserve peut être affecté à la force régulière uniquement avec son consentement."

Cette règle souffre une exception lorsque le gouverneur en conseil, lors de circonstances prévues à l'article 9.01 de L'O.R.F.C., met en service Les Forces armées canadiennes ou tout élément constitutif, unité ou élément de ces forces ou l'un de leurs officiers ou militaires de rang. En pareil cas, il y a obligation de servir.

Le 1er octobre 1968, M. Rino Michaud, alors âgé de 17 ans, s'est enrôlé dans les Forces armées canadiennes comme membre de la force de réserve, classe A, pour y exercer le métier de fantassin. Il faisait partie du 1er régiment royal du Nouveau-Brunswick qui est un bataillon d'infanterie composé de trois (3) compagnies de fantassins. Il était membre de la compagnie A cantonnée à Edmundston alors que les compagnies 8 et C sont cantonnées respectivement à Frédéricton et Grand-Sault.

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Le travail de milicien au sein de la compagnie A consiste généralement en deux (2) soirs par semaine de parade et instruction et une fin de semaine par mois, du vendredi soir au dimanche, consacrée à l'entraînement. Le temps de travail peut être augmenté suivant les disponibilités budgétaires. Au cours de l'hiver, les membres de la compagnie A sont appelés à participer à un exercice militaire pendant une fin de semaine sur un terrain d'entraînement situé à Baker Brook, Nouveau-Brunswick, soit à environ 20 milles d'Edmundston. Au surplus, se tient l'exercice dit du printemps où les miliciens sont invités à se rendre au camp militaire de Gagetown pour une fin de semaine de familiarisation avec différents types d'armes et, si les disponibilités budgétaires le permettent, ils s'adonnent à des séances de tir. Enfin, au cours de l'été, les miliciens peuvent participer à des exercices militaires d'été d'une durée de 9 à 10 jours. Pour le secteur des Forces armées canadiennes de la région de l'Atlantique, ils ont lieu au camp militaire de Gagetown, Nouveau-Brunswick, et sont appelés MILCON. Il s'agit d'une période d'entraînement militaire intensif en exercices sur le terrain d'environ 10 jours. On y pratique les tactiques de guerre, soit en position offensive ou défensive, soit en position de repli, et on effectue des patrouilles de reconnaissance pour découvrir l'emplacement de l'ennemi et rendre compte de sa situation. Ces exercices s'effectuent autant le jour que la nuit. Quelques jours sont consacrés à des compétitions d'endurance entre les meilleurs éléments de chacun des régiments.

Comme l'indique la pièce C-3, le plaignant a gravi avec succès plusieurs échelons dans la force de réserve. Il se qualifie comme fantassin le 9 mai 1969 et devient caporal le 1er juin 1970. Après avoir été promu sergent le 1er septembre 1971 et adjudant le 1er octobre 1973, il s'est qualifié comme adjudant-maître le 2 mai 1984. Bien que remplissant la fonction de sergent-major de compagnie, il ne fut reconnu comme tel que le 2 mai 1985. En 1980, il a reçu la médaille militaire de la décoration canadienne remise après 12 ans de loyaux services.

La fonction sergent-major de compagnie imposait à M. Michaud d'importantes responsabilités. Elle comporte des tâches administratives afin de contrôler la présence des miliciens et s'assurer que tous les équipements nécessaires pour la tenue des exercices militaires soient en place et en bon état. Il voit à l'enseignement de la drill ainsi qu'au bon ordre et à la discipline. Il est en charge de l'application des règlements militaires. En préparation pour la tenue de l'exercice d'hiver, le sergent-major de compagnie organise, au manège militaire, une fin de semaine de familiarisation où est enseignée aux participants la façon de faire usage de l'équipement d'hiver. Dans les jours qui précèdent l'exercice d'hiver, il accompagne le commandant de compagnie au terrain d'entraînement pour une patrouille de reconnaissance visant à établir le site du campement. il doit arpenter le périmètre de l'emplacement du campement et déterminer où les bivouacs seront dressés, ce qui nécessite une marche dans la neige, généralement en raquettes, variant, suivant le nombre de participants de 200 à 300 mètres.

Pendant la fin de semaine de l'exercice proprement dit, tous les miliciens de la compagnie présents se déplacent par camion jusqu'au terrain d'entraînement. Ils doivent se rendre au site de campement à pied en portant des raquettes, transportant leur équipement et en ne créant qu'un seul sentier pour éviter que l'ennemi ne connaisse l'ampleur des troupes.

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La distance alors à parcourir peut varier de 100, 200 mètres jusqu'à un kilomètre suivant les directives du commandant de compagnie. Au site de campement, les miliciens procèdent au montage des bivouacs. Le sergent- major de compagnie supervise le travail ce qui nécessite beaucoup de marche autour du campement. Les participants se rendent ensuite aux endroits déterminés afin d'établir la position de combat qui se trouve en terrain montagneux au site d'entraînement de Baker Brook- La distance à parcourir peut varier de 2 à 3 kilomètres mais peut, parfois, atteindre 10 kilomètres. On procède alors à la construction d'abris composés de neige, de bois et de branches pour se dissimuler de l'ennemi. Si l'exercice avait lieu en été, on creuserait des tranchées. Le sergent-major de compagnie doit effectuer une visite des abris pour vérifier si le travail a été accompli suivant les ordres émis, ce qui l'oblige à parcourir des distances Plus ou moins considérables à pied.

Le dimanche, il y a démantèlement du camp sous la supervision du sergent- major de compagnie. Les équipements sont chargés à bord des camions et ramenés au manège militaire où le sergent-major de compagnie assume la responsabilité de les vérifier quant à leur quantité, leur contenu et voir à leur entreposage au quartier-maître ou à leur retour à la base Gagetown, s'il y a lieu.

Lors de l'exercice du printemps, consacré à la familiarisation avec différents types d'armes, le sergent-major de compagnie s'assure du nombre de participants et il prend les dispositions nécessaires pour que soit effectué le transport à Gagetown.

Telles étaient les fonctions remplies par le sergent-major de compagnie, Rino Michaud, jusqu'en juillet 1984.

Le 20 juillet 1984, alors qu'il n'était pas dans l'exécution de ses fonctions de milicien, le plaignant a subi un accident de motocyclette qui devait conduire à l'amputation de sa jambe droite au-dessus du genou et nécessiter le port d'une prothèse. Ce port d'une prothèse oblige M. Michaud à rendre visite à son médecin à Québec, environ 2 fois l'an, afin que soient apportés, pour un meilleur confort, des ajustements à sa prothèse (Volume 2, page 415). De plus, depuis son amputation, il a dû changer de prothèse à tous les 2 ou 3 ans, dans le but d'en améliorer la qualité.

Etant alors en période de réhabilitation, le plaignant n'a pu reprendre son travail dans la milice en septembre 1984 et il a obtenu un permis d'absence jusqu'en mars 1985. Quant à son emploi civil, il était pompier au service de la ville d'Edmundston et, suite à l'accident il fut muté, en 1987, comme opérateur de sous-station au département d'électricité de cette même ville. Le travail qu'il accomplit depuis ce temps consiste à surveiller par ordinateur le fonctionnement de la centrale électrique.

A la reprise de son emploi comme milicien, l'adjudant-maître Michaud a été maintenu dans sa fonction de sergent-major de compagnie. Ses supérieurs immédiats, tant le major Melanson, commandant de la compagnie A que le lieutenant-colonel Leonard, commandant du bataillon et son successeur le lieutenant-colonel Johnson, n'ont pas jugé à propos de soumettre l'adjudant-maître Michaud à un examen médical et ils ont décidé de le garder dans son poste de sergent-major de compagnie jusqu'à ce qu'intervienne les instances supérieures.

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Cette décision a été prise en premier lieu parce que la compagnie A ne disposait d'aucune personne qualifiée pour assumer la fonction de sergent-major de compagnie. En second lieu, M. Michaud n'avait plus que six (6) ans à accomplir dans la force de réserve pour obtenir la décoration appelée Rosette décernée après 22 ans de service. En troisième lieu, M. Michaud était un excellent milicien et on a agi particulièrement par sympathie (Volume 3, pages 696, 697, 698) (Volume 5, pages 988, 989).

M. Michaud soutient qu'il a continué à remplir les tâches rattachées à sa fonction comme auparavant et qu'il a participé à tous les exercices de sa compagnie.

De plus, en 1986, 1987 et 1988, l'adjudant-maître Michaud a participé au MILCON à Gagetown, Nouveau-Brunswick. On lui a confié la tâche de sergent-major d'administration du camp. Il devait superviser toute la bonne marche du camp, que ce soit la nourriture, l'assistance aux blessés ou aux malades, le transport à l'hôpital, la sentinelle de nuit. Sa tâche le tenait occupé de 6 h 00 le matin jusqu'à l'heure du coucher.

En 1988, le plaignant a travaillé pendant 2 à 3 mois à la préparation de la parade, le Freedom of the City, qui a eu lieu à Edmundston avec la participation des miliciens, des compagnies A, B et C. Il a participé lui-même à cette parade, derrière son commandant qui l'a félicité pour le travail accompli.

Comme sergent-major de compagnie, M. Michaud a également eu l'occasion de prendre les dispositions pour fournir les équipements et effectifs requis lors de participation de la compagnie A à des activités de bénévolat dans la communauté comme ce fut le cas lors des Jeux Olympiques spéciaux tenus à Edmundston en 1988.

Chaque compagnie de milice bénéficie du support d'un militaire de la force régulière.

Pour la compagnie A, le représentant de la force régulière était le sergent Gallant. Au cours de l'année 1988, une friction s'est créée entre le sergent Gallant et l'adjudant-maître Michaud qui a décidé lui-même de remédier à la situation.

Comme il ne lui restait qu'environ un (1) an de service à accomplir pour atteindre le nombre d'années requis afin d'obtenir son droit à la retraite et la décoration Rosette, M. Michaud, à la reprise des activités de la milice en septembre 1988, a offert de céder son poste de sergent-major de compagnie à un collègue, l'adjudant Couturier, qui s'était récemment qualifié comme adjudant-maître et ce, afin de permettre à ce dernier d'acquérir de l'expérience et aux plus jeunes miliciens de gravir les échelons. Il a accepté alors de devenir quartier-maître tout en conservant son grade d'adjudant-maître. Il s'agit d'un travail de magasinier qui assume la responsabilité et le contrôle de tout l'équipement nécessaire au bon fonctionnement de la compagnie.

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Au début de janvier 1989, un quartier-maître de classe B, soit emploi à temps plein, a été affecté à la compagnie A de sorte que les services de l'adjudant-maître Michaud n'étaient plus requis au quartier-maître. De plus, comme une compagnie ne doit disposer que d'un seul sergent-major, fonction alors accomplie par l'adjudant Couturier, le plaignant fut assigné à des tâches administratives. Craignant qu'on lui reproche que la qualité de son travail soit à l'origine de l'abandon de son poste de sergent- major en septembre 1988, M. Michaud s'est adressé au major Melanson, commandant de la compagnie, afin d'obtenir une lettre de ce dernier démontrant qu'il n'avait pas cédé son poste de sergent- major de compagnie en raison de son incapacité à accomplir la fonction mais pour permettre à un autre d'acquérir de l'expérience. De plus, il soutenait qu'il avait cédé son poste que temporairement et qu'il désirait le réintégrer.

Le 23 mars 1989, le major Melanson lui remettait une lettre produite comme pièce C-6 et qui se lit comme suit:

"PROTECTED / PROTEGE

511 Michaud

"A" COY IRNBR 38 Court Street Edmundston, N.B. E3V 1S3

le 23 mars, 1989

AFFECTATION: SERGENT-MAJOR DE COMPAGNIE

1. A la demande du ci-haut mentionné, cette lettre sera insérée dans le dossier personnel de 108 935 511 Adjudant- Maître Michaud J.E.R., lorsque signé par l'individu et l'officier commandant de la compagnie A.

2. Lorsque la Cie A débuta son entraînement régulier le 08 septembre 1988, nous étions de nouveau confronté avec le dilemne d'un quartier-maître. C'est alors que l'Adjum Michaud a offert ses services et son expertise à titre de quartier-maître de la cie A et procurant en même temps l'opportunité à un Adjum récemment qualifié d'être affecté à la position de Sergent-Major de Cie.

3. La note suivante doit être très précise. Le changement ci-haut indiqué ne survient pas en raison de rendements négatifs de l'Adjum Michaud à titre de Sergent-Major de Cie. Toutefois en considérant sa catégorie médicale suite à son accident survenu le 20 juillet 1984, il lui était quasi impossible de remplir adéquatement ses fonctions de Sergent-Major de Cie surtout dans une Compagnie de fantassins.

4. Avec l'affectation d'un magasinier (Classe B) à la Cie A en vigueur le 09 janvier 1989, les services de l'Adjum Michaud n'étaient plus requis à titre de quartier-maître. En considérant aussi les facteurs du paragraphe 3., l'Adjum Michaud n'est plus en mesure de remplir ses fonctions de Sergent-Major de Cie.

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J'ai lu cette lettre et suis en accord avec ses contenues.

8 Mai 89

Date Adjudant-Maître Michaud J.E.R.

LP Melanson Major Officier Commandant"

M. Michaud a refusé de signer cette lettre parce qu'il n'était pas d'accord avec son contenu. Toutefois, ce n'est que le 8 mai 1989 qu'il a accepté de signer ce document devant l'impossibilité d'en faire modifier le contenu et vu que la référence à sa catégorie médicale n'était corroborée par aucun rapport médical à cet effet.

Entretemps, soit le 20 avril 1989, le major Melanson lui a demandé de remettre les clés du manège militaire et du bureau qu'il avait en sa possession parce que sa carrière militaire était finie et qu'il n'avait plus à se présenter au manège militaire. (Volume 2, page 403)

Le 11 mai 1989, le major Melanson lui a présenté un avis de libération projetée dont il a refusé d'accuser réception. Cet avis, aux dires du plaignant, bien que signé par le major Melanson pour le lieutenant-colonel Johnson, commandant de l'unité du bataillon, en date du Il mai 1989, aurait été porté à sa connaissance avant cette date. Il en a tout de même accusé réception le 17 mai 1989.

L'avis de libération projetée dont l'entrée en vigueur était prévue pour le 26 mai 1989 et produit comme Pièce C-7 est recommandé en vertu du motif 3 (b) du tableau ajouté à l'article 1501 des O.R.F.C. dont les raisons sont exprimées comme suit:

"Pour raisons médicales, suite à une incapacité/invalidité et incapable de remplir ses fonctions dans le métier présent ou emploi présent et ne pouvant être employé avantageusement sous présente politique du services/des forces, tel que spécifié par le Commandant le 20 avril 1989."

Cet avis stipule également que l'adjudant-maître doit aviser son commandant par écrit dans les 14 jours de son intention de s'opposer à sa libération. Ce même document comporte, en ... /il son paragraphe 4, une clause par laquelle il exprime son intention de s'opposer à sa libération et qu'il a signé le 18 mai 1989. Comme l'exigeait l'avis de libération projeté, M. Michaud adressait, le 25 mai 1989, une lettre à son commandant le major

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Melanson pour lui exprimer son opposition à sa libération, comme le démontre la lettre produite comme Pièce C-7 et qui se lit comme suit:

"154, 35 ième Avenue Edmunston, N.-B. E3V 2V6

le 25 mai, 1989

Major LP Melanson Cie A IRNBR 38, rue Court Edmundston, N.-B. E3V 1S3

Monsieur Melanson:

1. La présente lettre est pour vous informer que je m'oppose à ma libération au sein de la compagnie A du IRNBR pour les raisons suivantes:

a. Je considère qu'après 19 ans de loyaux services, une raison médicale n'est pas valable et c'est surtout une vengeance d'une certaine personne travaillant au sein de la compagnie qui vous pousse à agir ainsi.

b. Je voudrais aussi vous souligner que depuis mon accident, j'ai manqué seulement 6 mois d'entraînement et que j'ai rarement manqué un soir d'administration ou d'entraînement spéciale soit comme: fin de semaine, Milcon, parades, exercices d'hiver et j'en passe. Je peux garantir que depuis les 5 dernières années et je fus très impliqué au sein de votre organisme et que je n'ai rien à me reprocher.

c. Tous les emplois que j'ai occupé depuis les 5 dernières années ont été accompli toujours avec efforts et à la meilleure de mes connaissances. Je n'ai reçu que des éloges concernant mes emplois ultérieurs et quelques plaintes de votre compagnie.

2. Pour terminer, je désire vous aviser que je m'oppose à ma libération et que je tiens fortement à être de retour à mon poste dans les brefs délais car les raisons Mentionnées dans votre lettre du 26 avril-dernier ne sont pas valables.

Bien à vous,

JER Michaud Adjudant-maître."

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Dérogeant à la procédure de grief prévue à l'article 19 du document intitulé Ordre et règlement des Forces armées canadiennes (1-2), le plaignant s'est adressé au Député Fédéral de sa circonscription et, le 21 novembre 1989, le Ministre Associé de la Défense Nationale l'informait que le major Melanson n'avait pas l'autorité pour envisager de le libérer pour raison médicale et que les mesures entreprises en ce sens étaient suspendues. (Pièce P-8)

Suite à cette interruption des procédures visant sa libération, le plaignant a été rappelé au travail pour se consacrer à des tâches administratives. Il fut par la suite convié, le 8 novembre 1989, à un examen médical à Gagetown par le lieutenant Mark Smith, médecin militaire.

Le rapport médical produit comme Pièce I-9 indique que la catégorie médicale G202, qui est la catégorie médicale minimale pour un militaire exerçant le métier de fantassin, était modifiée pour devenir G203.

Lorsqu'un individu s'enrôle dans Les Forces armées canadiennes, il doit se soumettre à un examen médical et par la suite à tous les 5 ans jusqu'à l'âge de 40 ans ou lors d'une promotion. L'adjudant- maître Michaud avait subi un examen médical en 1984 avant d'être promu adjudant-maître.

La catégorie médicale de M. Michaud avait été établie, lors de cet examen, à G202, laquelle correspond à la norme minimale requise, tant lors de l'enrôlement que pour l'exercice du métier de fantassin. (I-23 b)

Le major Serge Gagnon, médecin dans Les Forces armées canadiennes et gérant de carrière au quartier général de la défense nationale à Ottawa expose:

"La médecine qui se pratique dans Les Forces armées canadiennes est une médecine occupationnelle, c'est-à-dire que le médecin, en plus de poser un diagnostic, en plus d'entreprendre un traitement, doit fournir au commandant militaire concerné des informations quant aux limites d'emploi que cet individu devrait avoir compte tenu de son problème médical.

A la section 3, de la pièce I-9 intitulée recommandation du médecin militaire, le Docteur Smith indique qu'il n'y a aucune limitation au niveau géographique. Au niveau occupationnelle, il mentionne que l'adjudant-maître Michaud a des limitations. Il doit éviter de courir sur de longues distances et toutes activités physiques devront être faites au propre rythme de l'individu, et selon sa tolérance." (Volume 6, pages 1266, 1267)

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A l'examen physique, le médecin militaire fait la remarque suivante:

"Le patient affirme qu'il est capable de marcher de longues distances et qu'il peut marche sur des surfaces inégales telles que celles qu'on rencontre en campagne, dans le champs. Le patient est capable de courir mais a des difficultés avec sa démarche, mais sa démarche est irrégulière lorsqu'il a sa prothèse. Et il ne serait pas capable de courir à grande vitesse." (Pièce I-9)

Le médecin qui procède à l'examen médical ne peut que recommander le changement de catégorie médicale et le Docteur Smith a recommandé que la catégorie médicale 02 soit modifiée par 03. Pour éviter toute erreur, cette recommandation doit recevoir l'approbation du médecin du commandant de secteur et du médecin- chef de la force mobile. Le Docteur McDonald, médecin du commandant de secteur, a approuvé le changement de catégorie de l'adjudant-maître Michaud de même que le Docteur Gagnon qui était médecin-chef de la force mobile. L'une de ses responsabilités était d'approuver les changements de catégorie médicale pour toutes les unités de milice à travers le Canada.

La pièce I-26 du document intitulé: Catégorie 'médicale et conseil médical de révision des carrières - milice énonce à son article 3:

"Dès qu'un membre actif de la milice se voit attribuer une nouvelle catégorie médicale permanente inférieure à la norme médicale requise pour son métier, un conseil médical de révision des carrières sera réuni dans les plus brefs délais.

Dans le cas du grade de soldat à capitaine, le conseil médical de révision des carrières se fait au niveau du secteur et se compose comme suit: 1. Président: un officier supérieur d'état major (OSEM) logistique et administration de secteur 2. Membres: le médecin de secteur (à titre de membre non votant), Un représentant de l'arme (métier du concerné) et un officier d'état major (OEM) 2 Opération et entraînement du secteur 3. Secrétaire: Un officier d'état major (OEM) désigné par le président."

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Le conseil médical de révision des carrières s'est réuni le 17 avril 1990 pour analyser le cas de l'adjudant-maître et était composé de son président, le lieutenant-colonel Elliston, lui-même fantassin et OSEM logistique et administration de secteur, le major Norby OEM2, entraînement, le capitaine Clark OEM, opération et le lieutenant-colonel Reed, physiâtre et médecin de secteur et le capitaine Herlt agissant comme secrétaire.

Le conseil médical de révision des carrières a à juger de l'ensemble de la situation et à analyser les aspects suivants:

  1. L'exigence opérationnelle;
  2. le problème médical particulier de l'individu;
  3. Les limitations pratiques des tâches actuelles que Les Forces armées canadiennes ont à remplir;
  4. les recommandations de l'officier de sélection du personnel;
  5. les autres emploi disponibles. (Volume 6, page 1301)

Quatre options s'offrent au conseil médical de révision des carrières:

  1. Retenir le militaire sans restriction
  2. Retenir le militaire avec certaines restrictions
  3. Transférer le militaire dans un autre métier
  4. Libération du militaire.

Le conseil médical de révision des carrières a décidé de libérer l'adjudant-maître Michaud pour le motif 3-b de la pièce I-24 qui se lit comme suit:

"Lorsque du point de vue médical, le sujet est invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi et qu'il ne peut pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présents règlements des Forces armées canadiennes."

La libération de l'adjudant-maître Michaud s'est effectivement concrétisée le 8 novembre 1990.

LA PREUVE

Le tribunal a suivi avec beaucoup d'intérêt le témoignage du Docteur Gagnon qui a expliqué le contenu d'un document intitulé: Normes médicales applicables aux Forces canadiennes. (I-23) Le Docteur Gagnon s'exprime ainsi:

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"Les Forces armées canadiennes ont adopté un système de cote médicale qui leur permet de normaliser les examens médicaux et d'offrir ... au commandant d'unité une description Succincte du degré d'employabilité de leur personnel." (Volume 7, page 1321)

On procède par un système de cote et l'ensemble de ces cotes constitue le profil médical. Il débute par l'année de naissance et se complète par les six (6) facteurs Suivants: V - pour acuité visuelle CV - pour acuité de perception chromatique H - pour acuité auditive G - pour facteur géograhique 0 - pour facteur professionnel ou occupationnel. Le facteur occupationnel (0) doit retenir notre attention. Il se décrit comme:

"Tout travail qui entraîne un effort et une fatigue physique de même qu'une activité intellectuelle et une tension nerveuse." (Pièce I-23, page 2-4)

La cote alphabétique 0 est assortie d'une cote numérique de 1 à 6. La cote 01 est le reflet d'une aptitude supérieure et 06 est celui d'une inaptitude au service militaire pour raison de santé.

Dès son enrôlement, l'individu se voit attribuer une cote médicale et la cote médicale minimum pour le facteur professionnel est 02. Elle s'applique également à celui qui exerce le métier de fantassin. La cote 02 est attribuée à celui qui est sans infirmité médicale, si ce n'est quelques Points faibles qui ne l'empêchent pas d'accomplir un travail physique pénible et d'atteindre un niveau d'endurance acceptable lors d'un combat au front. Cette personne est apte au plein emploi sauf certaines tâches qui exigent l'aptitude supérieure. (Pièce I-23, page 2-5)

La cote 03 démontre une aptitude physique moyenne. Elle est attribuée à celui qui souffre d'une légère affection médicale ou psychologique l'empêchant d'accomplir un travail ardu ou de travailler sous tension sur de longues périodes. Il peut toutefois accomplir la plupart des tâches en travaillant avec modération. (Pièce I-23, page 2-5).

En quoi consiste le métier de fantassin?

Le fantassin est un soldat qui participe à différentes phases de guerre soit l'attaque, la défensive, le repli et la patrouille de reconnaissance. Il doit se déplacer à pied sur certaines

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distances parfois considérables en transportant son équipement et son arme personnelle.

M. Michaud reconnaît d'ailleurs dans son témoignage que le métier de fantassin est très exigeant:

"Q. M. Michaud, savez-vous qu'un fantassin doit être capable de marcher de longues distances?

R. Oui.

Q. Et qu'il doit être capable de grimper au-dessus des obstacles?

R. Oui.

Q. Et de sauter vite d'un camion?

R. Oui.

Q. Et d'être capable de porter un soldat blessé?

R. Oui.

Q. Est-ce qu'ils sont des choses que vous pratiquez pendant vos exercices?

R. C'est pas des choses que je pratique pendant les exercices parce que C'est - c'est pas - c'est pas - c'est dans ma c'est dans mon devoir à moi de le faire. J'ai - je suis fantassin. Je suis sergent. Je suis sergent. J'étais sergent-major puis c'est dans ma ligne de conduite pour ces exercices. Si c'est à faire je vas le faire. Je suis prêt à le faire. Je suis prêt à essayer. Je suis prêt à prouver je suis capable. Et vous allez me donner la chance je vais le faire.

Q. Mais ce sont des choses qui sont raisonnables de demander des hommes - des hommes sous votre commande?

R. Oui.

Q. Etes-vous d'accord qu'un sergent devrait mener par son exemple?

R. Oui.

Q. Est-ce un principe de leadership dans l'armée qu'on ne doit pas demander aux hommes de faire une chose qu'on est incapable de faire soi-même?

R. J'ai - j'ai prouvé mes choses par le passé et

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puis il y a jamais personne qui m'a reproché de rien, jamais.

Q. Ce n'est pas la question. La question est-ce un principe de leadership qu'un leader soit capable de faire des choses qu'on demande de ses hommes?

R. Oui."

Le capitaine Ouellette lui-même fantassin explique en quoi consiste ce métier:

"Nous autres, si jamais qu'on est en guerre, les fantassins c'est nous autres les premiers en avant." (Volume 4, page 716)

Il ressort des témoignages entendus que le métier de fantassin exige une excellente condition physique car ce métier est exigeant et astreignant.

Plusieurs témoins entendus à la demande de l'intimée ont expliqué en quoi consistait la carrière militaire. L'individu qui embrasse la carrière militaire accepte de devenir un soldat. Il sera d'abord et avant tout un soldat quelle que soit la fonction qu'il assumera dans l'armée. Chaque recrue, lors de son enrôlement, est assignée à un métier. Par voie de conséquence, on ne peut être militaire sans avoir de métier. Le militaire doit toujours être en mesure d'accomplir sa mission première qui est celle d'être soldat et ce, peu importe qu'il appartienne à la force régulière ou à la force de réserve.

En vertu de la nouvelle politique des Forces armées canadiennes appelée la force totale, on vise à diminuer le nombre de militaires de la force régulière et à augmenter le nombre de ceux de la force de réserve. La preuve démontre que de plus en plus de membres de la milice acceptent d'accomplir des missions outre-mer. C'est notamment le cas en Yougoslavie. Même si le service ne devient obligatoire pour le milicien que par décret du gouverneur en conseil, les risques de réalisation de cet ordre de service obligatoire semblent s'accentuer.

Le lieutenant-colonel Chapados répond aux questions du tribunal:

Membre Landry:

"Q. Croyez-vous qu'avec les nouvelles politiques de réduction des forces régulières et l 'augmentation des réservistes ce ne serait pas plus probable que le gouvernement passe un décret?"

Le témoin:

"R. C'est fort probable. Si le gouvernement veut contribuer envers les Nations-Unies mais ne peut se permettre de garder un effectif de force régulière au niveau actuel il diminue, là les probabilités d'avoir des décrets pour appeler des réservistes augmenteraient, oui."

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Membre Landry:

"Q. Le gouvernement en poste a déjà pris des engagements. Il y a déjà eu avant lui des engagements pris au niveau de l'OTAN de l'ONU et de tout ça."

Le témoin:

"R. C'est ça."

Membre Landry:

"Q. Alors si on veut respecter ces mandats-là ?"

Le témoin:

"R. Si on veut respecter ces mandats-là, les possibilités d'avoir un décret augmentent, oui. Mais je ne peux pas plus dire en quelle proportion." (Volume 7, page 1374)

Sur la participation des fantassins lors de mesures de maintien de la paix, le lieutenant-colonel Chapados s'exprime ainsi:

"Les fantassins sont beaucoup demandés de ce temps-ci et ils vont dans les missions les plus exigeantes, les plus difficiles, présentement. En Yougoslavie, c'est 2 bataillons de fantassins qui sont là-bas. Ce sont les missions les plus exigeantes et dangereuses maintenant." (Volume 7, page 1373)

Le rôle du sergent-major de compagnie apparait au document I-10 intitulé: Le sergent-major de compagnie. Son rôle et ses responsabilités y sont clairement décrites. Elle ont également été très bien expliquées par le plaignant lui-même et les témoignages du lieutenant Bérubé et du sergent-major Couturier.

Suite à l'amputation de sa jambe droite, l'adjudant-maître Michaud était-il toujours en mesure d'exercer sa fonction de sergent-major d'une compagnie de fantassins? Bien que l'adjudant-maître Michaud réponde par l'affirmative à cette question, la preuve demeure très contradictoire et le tribunal retient, sur ce point, le témoignage du major Melanson, du lieutenant Bérubé et du sergent-major Couturier.

Le major Melanson répond ainsi aux questions du procureur de l'intimée:

"Q. Est-ce que vous avez jamais défendu au sergent-major Michaud de faire des tâches physiques dans le champs?

R. Non et je ne me rappelle pas de lui avoir formellement interdit de participer là à des opérations.

Q. Donc, il a accompagné les exercices que vous faisiez?

R. Oui.

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Q. Est-ce qu'il faisait des tâches physiques dans les mesures qu'il pouvait?

R. Selon ses - selon ses capacités.

Q. Oui? O.K.

Q. Là, il a travail - il a fait des aspects physiques, des tâches de sergent-major comme vous dites selon ses capacités. Correct?

R. Oui." (Volume 3, page 644)

Le lieutenant Bérubé révèle de son côté que lors du premier exercice d'hiver faisant suite à son amputation, soit en 1986, le plaignant l'a informé qu'il ne coucherait pas dans le champs mais se rendrait coucher au manège militaire pour revenir le lendemain matin. Il a dit:

"Ce n'est pas propice avec ma jambe." (Volume 6, page 1114)

Même lorsqu'il était disponible pour le faire, le lieutenant Bérubé déclare:

"Moi, je ne l'ai jamais vu coucher dans le champs avec nous autres après son amputation." (Volume 6, page 1118)

Et il ajoute:

"... que ce soit l'été ou l'hiver, il n'a jamais couché dans la même tente que moi." (Volume 6, page 1159)

Ce bivouac, M. Michaud aurait dû le partager avec le lieutenant Bérubé et le commandant de la compagnie.

Le lieutenant Bérubé affirme que le sergent-major Michaud était exempté de participer à la patrouille de reconnaissance sur le site d'entraînement en préparation de l'exercice d'hiver:

"On envoyait un autre ou il envoyait un autre pour le remplacer. Habituellement, c'était l'adjudant Couturier ou Gibson ou un autre adjudant." (Volume 6, page 1120)

Le lieutenant Bérubé a également eu connaissance que lors de l'exercice, le plaignant a perdu sa prothèse.

"Q. Est-ce que vous n'avez jamais vu M. Michaud avoir des problèmes à marcher avec sa prothèse dans la neige?

R. Je m'en rappelle une fois qu'il a perdu sa prothèse. C'était à peu près à 100 mètres du chemin.

Q. Est-ce que vous pourriez expliquer de façon plus détaillée qu'est-ce qui s'est passé cette fois-là?

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R. Comme je disais tout à l'heure, les véhicules restaient au chemin. On était à peu près, disons, 150 mètres, du bivouac, des tentes disposées comme elles devaient être. Il y avait ce qu'on appelle un cri discipline - je ne sais pas comment le dire en français, que tout le monde suit, et on suit toujours le même chemin pour être certain que si l'ennemi viendrait, par exemple, qu'on verrait des pistes nouvelles. Ca fait qu'on suivait ça. Ca devient bien compacté, ça devient dur.

Rino venait par ce chemin-là. Il était venu visiter les tentes. Il devait être alentour de la brunante du soir, 7 heures peut-être, quelque chose de même. Puis, en sien retournant, je ne sais pas s'il a marché à côté de la piste puis que c'était moins dur, puis il a calé, puis sa prothèse a arraché. Il s'est assis là puis il l'a mise en place, puis il est reparti." (Volume 6, page 1122)

Le sergent-major Michaud était responsable de la drill. Le lieutenant Bérubé déclare qu'il s'occupait de former la parade, de procéder à l'inspection mais il confiait la lecture de drill à un autre adjudant, soit Couturier ou Gidbon. (Volume 6, page 1164)

Le lieutenant Bérubé répond ainsi à la question du membre Landry:

Membre Landry:

"Est-ce que d'après vous les fonctions d'un sergent-major pouvaient continuer à être effectuées selon les responsabilités et selon ce qui vous a toujours été enseigné par M. Michaud, compte tenu de son problème?"

Le témoin:

"Moi, la fonction de sergent-major je la vois comme ça prend quelqu'un en très bonne condition physique, parce que c'est lui le modèle pour tous les sous-officiers. Plus ça allait plus ça devenait exigeant de toute façon, parce qu'avec le concept de force totale et tout ça, même le système de recrutement a changé beaucoup. On était plus exigeant sur nous autres. On demandait plus de conditionnement physique etc ... Je pense que ça devenait plus difficile pour lui de suivre. En exercice on se promène avec probablement 30 kilos sur le dos. C'est assez exigeant." (Volume 6, page 1141)

Sur ce dernier point, le sergent-major Couturier corrobore les affirmations du lieutenant Bérubé. (Volume 6, page 1206).

En outre, selon lui, l'adjudant-maître Michaud a suggéré de lui céder son poste de sergent-major de compagnie pour lui permettre de l'expérience et aux Plus jeunes de gravir les échelons. Il désirait accomplir le travail moins exigeant de quartier-maître.

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Après avoir élaboré sur les responsabilités d'un sergent-major de compagnie, M. Couturier confirme le lieutenant Bérubé en affirmant que suivant son expérience de sergent-major de compagnie, M. Michaud n'était plus en mesure d'accomplir toutes les fonctions d'un sergent-major de compagnie de fantassin.

Les parties ont reconnu la qualité de témoin-expert du Major Milczarek, médecin spécialisé en physiâtrie. Le major Milczarek a obtenu un doctorat en médecine en 1983 et il est Physiâtre depuis 1990. Au cours de sa carrière, il a eu l'occasion de traiter de nombreux amputés. Le tribunal accorde toute crédibilité à son témoignage.

Il a été appelé à rencontrer le plaignant à la demande des procureurs de l'intimée le 7 avril 1993 et rédiger un rapport médical le 13 avril 1993. (Pièce I-30) Dans son expertise, le Docteur Milczarek s'interroge sur la capacité du plaignant malgré son handicap, de servir sur des opérations militaires prolongées et, pour lui, le facteur important est le suivant:

"My only concern is with respect to endurance of the residual stump under load" (Pièce I-30).

Le major Milczarek explique:

"Dans le cas des amputés, que ce soit en bas du genou ou en haut du genou ça n'a pas d'importance. Qu'est-ce qu'on essaie de maintenir, c'est l'intégrité du moignon parce que ça devient son pied, en fait. Même s'il a une prothèse, c'est la première partie vivante qui touche à la prothèse. Ici, qu'est-ce qui me concernait, c'est l'intégrité du moignon sous condition de stress, que ce soit un stress de friction ou un stress de pression." (Volume 7, page 1481-1482).

Lors d'exercices militaires, le Docteur Milczarek émet l'opinion que l'adjudant-maître Michaud, S'il était appelé à marcher quelques milles ou de courir avec un gros fardeau sur son dos, tel un sac à dos, et ce, pendant quelques jours Ou semaines, le moignon serait incapable d'endurer cette pression sans qu'il y ait détérioration de la peau. De PluS, le major Milczarek estime que dans une situation isolée de campagne le patient ne serait probablement plus en mesure de porter sa prothèse et il ne pourrait pas marcher de longues distances. Il explique ainsi cette prise de position:

"Si on prend le meilleur scénario où il y a seulement une petite rougeur, ça peut prendre 12 à 24 heures à guérir, si on soulage la pression ou la cause irritante qui a commençé l'ulcère. Durant ces 12 à 24 heures là, il peut se déplacer, mais sans prothèse, c'est-à-dire qu'il peut prendre des béquilles, il pourrait prendre une canne, mais on va pas trop vite avec des instruments comme ça."

Q. Si on continue à porter sa prothèse, qu'est-ce qui arrive ?

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R. Probablement qu'il progresserait à l'autre stage, c'est-à-dire on commence à briser la peau même. Il n'y a plus de rougeur, il y a vraiment une brisure de la peau superficielle et si on continue à appliquer la pression ou le fardeau - petit fardeau, longue durée - la profondeur augmente.

Après ça on parle de guérison, pas de 12 à 24 heures, on parle plutôt de 2 à 7 jours dépendant de la profondeur de cette plaie. (Volume 7, page 1488).

Appelé à commenter les capacités d'un amputé, tel que le plaignant, de marcher sur de longues distances en comparaison avec des personnes qui ne sont pas amputées, le témoin affirme:

"Les amputés marchent ... ils dépensent plus d'énergie qu'un non-amputé, c'est-à-dire qu'on sait que les amputés vont adopter une vélocité de marche confortable, qui est efficace à conserver l'énergie. Alors ils vont marcher à une moyenne 1,5 à 1 pied par seconde de moins qu'un non-amputé.

Si vous commencez à parler de minutes, il va prendre 60 pieds à la minute. Alors il va dépenser plus d'énergie si on lui demande de marcher à une vitesse qui n'est pas sa vitesse confortable.

L'autre problème d'un amputé c'est qu'il a vraiment perdu le contrôle de sa démarche au niveau de la cheville. Il a encore un genou intact, alors il peut contrôler les mouvements antérieurs et postérieurs du reste du pied de la jambe, mais qu'est-ce qu'il perd c'est le contrôle des ajustements minimes qui se font au niveau de la cheville.

Quand on marche sur un terrain plat il n'y a pas beaucoup d'ajustement qu'on doit faire avec la cheville ... les muscles qui contrôlent la cheville et le pied. Disons on va prendre de la gravelle ou du sable de plage. On sait que notre pied commence à aller de droite à gauche et il y a beaucoup de mouvement latéral, des petits baissements des fois. Notre pied contrôle ça automatiquement, sans ça on serait en train tout le temps de se tordre la cheville. Le pied d'un amputé n'a pas de contrôle volontaire même si on a les pieds qui bougent un peut, en haut, en bas, de côté, on a toutes sortes de .... pieds prosthétiques qu'est-ce qui arrive avec les amputés c'est que le premier tissu vivant qui est en contact avec la prothèse prend le stress. Au niveau du genou on n'est pas capable de faire des ajustements rapides et des ajustements minimes. On fait des gros ajustements, des mouvements plutôt brusques.

Si, disons qu'il y a un stress soudain sur le côté extérieur ou latéral du pied, l'en-dedans du moignon va prendre ce coup-là immédiatement. Il ne

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pourra pas se corriger. C'est pour ça que les amputés ont tendance à développer des plaies plus vite que quelqu'un développerait une plaie à un pied, disons en marchant la même vitesse. C'est beaucoup plus vite." (Volume 7, page 1490, 1491, 1492)

En comparaison avec la vitesse que peut faire un amputé par rapport à celle d'une personne non-amputée, le Docteur Milczarek élabore:

"Quand on parle de vitesse, moi je parle de course à pied, c'est impossible vraiment d'un amputé ... disons on prend quelqu'un qui court à - je vais prendre un numéro n'importe quel numéro - 10 kilomètres heure avant son amputation. Après l'amputation il ne pourrait pas courir à cette vitesse-là. Qu'est-ce qu'il perd c'est la force de poussée du pied parce que quand un coureur atterrit sur son pied il n'atterrit pas sur le talon. Il atterrit sur le bout du pied et le pied même agit presque comme une planche de plongeon. Ca le propulse. Alors l'amputé a perdu ça aussi. Même si on a les pieds qui donnent un peu d'énergie kynéthique, on va dire, qu'il garde un peu l'énergie et simule la poussée. On ne peut pas faire ça. Et aussi quand un amputé court encore le même problème. Le premier tissu qui prend l'impact c'est le moignon et le moignon est pas destiné à prendre des impacts directs. La partie entre le pied et le genou est destinée à transférer les forces pas à les prendre directement. Le pied a un dessin spécial pour prendre le poids et les chocs. Alors c'est encore là le problème que les plaies se développement beaucoup plus vite chez un amputé." (Volume 7, pages 1492, 1493)

La prépondérance de la preuve est clairement à l'effet que l'adjudant-maître Michaud n'était plus en mesure, suite à l'amputation de sa jambe droite, d'accomplir son métier de fantassin et toutes les tâches de sa fonction de sergent-major de compagnie.

LE DROIT

Pour disposer de la présente affaire, le tribunal doit se référer à la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R. (1985), ch. H-6, et plus particulièrement aux dispositions suivantes:

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les

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individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. (1976-77, ch. 33, art. 2; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 1 et 28.

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés Sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. 7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;"

La jurisprudence relative aux droits de la personne a établi le principe qu'en matière de discrimination, il appartient au plaignant d'établir devant le tribunal qu'à première vue il est victime d'un acte discriminatoire. Le procureur de l'intimée a admis que le plaignant avait satisfait à cette obligation. (Volume 9, page 1639)

Une fois la discrimination établie à première vue, il y a lieu de s'interroger sur la nature de la discrimination.

Ayant été appelés à se prononcer sur la notion de discrimination, nos tribunaux ont établi une distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte. La Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Thérèse O'Mally contre Simpsons Sears Ltée (1985) 2 RCS, page 536, a fait cette distinction. A la page 551:

"On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. A cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, (ici, on embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun noir). En l'espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la loi. D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une

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règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. (... ) Une condition adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer."

Dans l'arrêt Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool (1990), 2 RCS, page 489, la Juge Wilson apporte une précision sur la notion de discrimination directe. A la page 513:

"Comme le Juge McIntyre le fait observer dans l'arrêt O'Mally le critère de L'EPN de l'arrêt Etobicoke a été formulé dans le contexte d'un cas de discrimination directe fondé sur l'âge. En matière d'emploi, la discrimination directe consiste essentiellement à formuler une règle qui fait une généralisation quant à l'attitude d'une personne à remplir un poste selon son appartenance à un groupe dont les membres partagent un attribut personnel commun, tel l'âge, le sexe, la religion. L'idéal que visent les lois sur les droits de la personne est justement de faire en sorte que chacun reçoive un traitement égal en tant qu'individu eu égard à ces attributs. Par conséquent, la justification d'une règle révélant un stéréotype de groupe dépend ou bien de la validité de la généralisation ou bien de l'impossibilité d'évaluer chaque cas individuellement ou des deux."

Sommes-nous en présence -d'un cas de discrimination directe ou indirecte?

Le plaignant, sergent-major d'une compagnie de fantassins, a perdu son emploi en raison de sa déficience physique, soit l'amputation de sa jambe droite. Les Forces armées canadiennes ont légitimement mis sur pied des normes médicales minimales dans le but de déterminer les conditions d'employabilité d'un individu lors de son enrôlement et au cours de sa carrière militaire. La décision de libérer un militaire fantassin parce que sa cote médicale est inférieure à la cote minimale requise en raison de l'amputation d'une jambe crée une distinction fondée sur un motif de distinction illicite. En effet, des personnes perdent leur emploi parce qu'elles appartiennent à groupe de personnes souffrant de déficience qui les empêchent de satisfaire aux normes médicales fixées par l'employeur. Il s'agit d'une règle qui

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est neutre à première vue. En conséquence, la discrimination fondée sur une déficience physique serait fréquemment une discrimination directe.

Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke 1982, 1 RCS, page 202, il a été décidé qu'une règle déterminant la retraite obligatoire à 60 ans constituait une discrimination directe fondée sur l'âge. Dans l'affaire St-Thomas c. Forces armées canadiennes (1991), CHRR, volume 14, décision 38, le tribunal tire la conclusion suivante au paragraphe 17:

"Le tribunal est d'avis que la règle des Forces armées canadiennes selon laquelle les asthmatiques sont inaptes au service militaire constitue une discrimination directe."

Dans l'affaire Procureur général du Canada c. Rosin (1991), 1 CSF, page 391, il fut décidé que le refus d'employeur un cadet en raison du fait qu'il était borgne constituait une discrimination directe.

Enfin, dans l'arrêt Ville de Brossard c. Commission des droits de la personne, (1988) 2 RCS, page 279, il fut statué qu'une politique antinépotisme est une discrimination directe fondée sur l'état civil.

Le tribunal arrive à la conclusion que la règle des Forces armées canadiennes à l'effet qu'un fantassin, ayant subi l'amputation d'une jambe, n'est plus apte au service militaire, constitue une discrimination directe.

La discrimination directe étant établie, l'article 15-a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne peut trouver son application. Pour ce faire, il appartient alors à l'intimée de démontrer que a libération de l'adjudant-maître Michaud résulte de l'application d'une exigence professionnelle justifiée.

Cet article se lit comme suit:

"15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;"

La Cour Suprême du Canada, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke (1982), 1 RCS, page 202, a apporté des précisions sur la notion d'exigences professionnelles justifiées. A la page 208:

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"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses conditions de travail et le public en général."

L'exigence professionnelle justifiée doit d'abord répondre aux critères subjectifs établis par l'arrêt Etobicoke:

"Elle doit être imposée honnêtement, de bonne foi, et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique..."

Le plaignant, suite à l'amputation de sa jambe droite, s'est vu imposer la cote médicale G203 laquelle est inférieure à la cote C202 requise pour exercer le métier de fantassin.

La cote 03 est imposée lorsque la personne souffre d'une légère affection médicale ou psychologique l'empêchant d'accomplir un travail ou de travailler sous tension sur de longues périodes.

Dans le cas de l'amputation d'une jambe, l'imposition de cette cote apparaît tout à fait justifiée et elle n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de l'intimée.

La preuve a révélé que le métier de fantassin exige une excellente condition physique. Le fantassin doit être capable de participer à toutes les phases de la guerre. Il est appelé à se déplacer à pied ou en utilisant des raquettes en terrain rempli souvent d'obstacles et les distances à parcourir peuvent varier suivant les circonstances. L'ensemble des témoignages entendus démontre que le plaignant, suite à l'amputation de sa jambe, n'était plus en mesure d'accomplir le métier de fantassin, ni l'ensemble des tâches d'un sergent-major de compagnie de fantassin.

Est-ce qu'il y a lieu d'établir une différence entre les fonctions que doit remplir un fantassin dans la force de réserve et celles qu'il doit remplir dans la force régulière?

En référence à la cause Galbraith c. Canada (Canadian Armed Forces), CHRR, volume 10, le tribunal fait siens, aux paragraphes

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45857 45858, les propos du tribunal des droits de la personne dans le cas d'un artilleur:

45857 "Il ressort de la preuve que les fonctions d'un artilleur sont pénibles et exigentes sur le plan physique. On attend de l'artilleur qu'il soit compétent non seulement dans son métier mais également en tant que soldat. Comme l'a déclaré l'adjudant en chef Guttin: (traduction) Vous êtes soldat d'abord et ensuite homme de métier. Même si je suis disposé à reconnaître qu'en temps de paix il peut fort bien y avoir une différence de nature entre les fonctions exécutées par un artilleur faisant partie de la milice et celles d'un artilleur appartenant à la force régulière, je suis également convaincu qu'en temps de guerre il n'existe à toute fin pratique aucune distinction."

45858 "Je ne suis pas disposé à faire de distinction entre les artilleurs de la milice et les artilleurs de la force régulière afin de déterminer ce que constitue une exigence professionnelle justifée. A mon avis, le souci des Forces armées canadiennes à l'égard de la sécurité n'en est pas réduit et n'en demeure pas moins réel du fait que les membres de la milice s'entraînent beaucoup moins souvent que leurs homologues de force régulière et qu'ils ne peuvent être dépêchés à quelque part que s'ils sont placés en service actif. Les artilleurs de la milice sont appelés à posséder une vaste d'aptitudes ne différant pas de façon substantielle de celles qui sont nécessaires dans la force régulière. Le fait est, une fois qu'ils sont placés en service actif, les membres de la milice doivent être en mesure d'assumer les tâches qui leur sont assignées. L'aptitude de l'individu à s'acquitter de ces fonctions aura des répercussions non seulement sur sa propre sécurité et en raison du fait que le travail d'équipe et la confiance mutuelle sont des facteurs essentiels, sur la sécurité des membres de l'équipe, mais également sur la sécurité des canadiens et la défense du Canada. A la lumière de ces considérations, il n'est pas déraisonnable pour les Forces armées canadiennes d'appliquer des normes d'enrôlement strictes à l'égard des nouvelles recrues de la milice."

Si le plaignant n'était pas en mesure d'exercer son métier de fantassin, comment expliquer qu'il soit demeuré au sein de la force de réserve de mars 1985 à novembre 1990?

Il ressort de la preuve que les supérieurs immédiats de M. Michaud, plutôt que d'exiger qu'il se soumette à un examen médical suite à l'amputation de sa jambe, ont préféré fermer les yeux jusqu'à l'intervention des hautes instances militaires.

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Les motifs avoués étaient ceux de l'absence de miliciens qualifiés pour assumer la fonction de sergent-major de compagnie, la sympathie et la volonté de permettre au plaignant de compléter les 22 années de service lui permettant d'obtenir la décoration Rosette. Pour ce faire, les tâches que ne pouvait accomplir le plaignant ont été confiées à d'autres militaires.

Toutefois, l'adjudant-maître Michaud a cédé son poste de sergent- major de compagnie pour obtenir celui de quartier-maître. Lorsque ce poste fut assigné à un milicien classe B, il n'y avait plus de poste de sergent-major de compagnie disponible.

L'irrégularité qui s'est produite n'était pas de nature à faire perdre les conditions d'honnêteté et de bonne foi de l'exigence professionnelle justifiée.

Il y a donc lieu de conclure que l'intimée a démontré le critère subjectif requis par l'arrêt Etobicoke.

L'exigence professionnelle justifiée doit également rencontrer le critère objectif énoncé dans le jugement Etobicoke:

"Elle - la restriction - doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé et ses compagnons de travail et le public en général."

Le témoignage du Docteur Milczarek et son expertise médicale démontrent que le plaignant, s'il était appelé à marcher ou à courir sur quelques milles avec un poids sur son dos, le moignon de sa jambe droite ne pourrait subir la pression aussi bien en regard de la durée que du poids et qu'il y aurait détérioration de la peau dont la gravité pourrait nécessiter l'enlèvement de sa prothèse et l'inactivité pendant une période variant de 12 à 24 heures jusqu'à 7 jours.

En outre, le Docteur Milczarek a expliqué que l'amputé ne peut marcher et courir à la même vitesse qu'un non-amputé.

Dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1 CF, page 209, l'Honorable Juge Pratte, à la page 21, déclare:

"La décision rendue par la Cour Suprême du Canada dans Etobicoke appuie la proposition selon laquelle une exigence imposée par l'employeur dans l'intérêt de la sécurité doit pour être reconnue comme une exigence professionnelle normale être raisonnablement nécessaire afin d'éliminer un risque suffisante de blessure.

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Dans l'arrêt Pinter, d'autre part, la Cour Suprême a reconnu comme étant une exigence professionnelle normale celle qui, si elle n'était pas respectée, exposerait l'employé, à un risque plus grand de subir des blessures quoique seulement légèrement plus grand.

Il ressort donc de ces décisions, à mon sens, qu'à plus forte raison, l'exigence reliée au travail qui, seloin la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudice grave au grand public doit ètre considérée comme une exigence professionnelle normale."

Permettre au plaignant de maintenir son emploi de fantassin constituerait un risque qu'il subisse des blessures.

De plus, comme le travail de soldat est un travail d'équipe, sa déficience peut mettre en danger ses compagnons de travail et la sécurité du public en général.

Qu'en est-il de l'obligation d'accommodement?

La Cour Suprême, dans l'affaire Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool (1990) 2 RCS, page 489, en est venue à la conclusion que l'obligation d'accommodement s'avérait nécessaire uniquement en regard de la discrimination directe comme il a déjà été démontré dans la présente affaire.

A la page 514 de cet arrêt, on dit ceci:

"Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibée, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le Juge McIntyre, cela saperait le fondement même du moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'ils doivent l'être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l'employeur ne réussit pas à démontrer qu'il s'agit d'une EPN. Une telle règle doit être distinguée d'une règle qui, neutre en son apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s'applique. En pareil cas, le groupe de personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s'applique. Dans les faits, fréquemment, le groupe lésé se composera d'une

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seule personne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu'elle s'appliquera à tous sauf aux personnes sur lesquelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l'employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir de contrainte excessive."

CONCLUSION

Le tribunal conclut que l'intimée a démontré que libérer le plaignant de la force de réserve parce qu'il lui avait imposé une cote médicale inférieure à G202 en raison de l'amputation de sa jambe droite au-dessus du genou constitue une exigence professionnelle justifiée en regard des dispositions de l'article 15 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. (LR 1985, ch. H-6)

EN CONSEQUENCE, LE TRIBUNAL:

REJETTE la plainte formulée par Rino Michaud à la Commission des droits de la personne suite à sa libération des Forces armées canadiennes le 8 novembre 1990.

SIGNE à Ville de Saint-Georges, le 13 septembre 1993

ME ROGER DOYON PRESIDENT

SIGNE A COWANSVILLE, Québec, le 27 septembre 1993

Marie-Claude Landry membre

SIGNE A EAST RIVERSIDE, N.B., le 20 septembre 1993

Joanne Cowan McGuigan membre

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