Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

HEIDI BOZEK

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MCL RYDER TRANSPORT INC.

- et -

NEIL McGILL

les intimés

Décision sur la requête pour inclure ALLIED SYSTEMS (CANADA) COMPANY

à titre d'intimée et sur la requête pour rejeter les plaintes pour cause de retard

Décision no 1

2002/11/27

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

[1] Heidi Bozek a déposé deux plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, l'une contre Neil McGill et l'autre contre MCL Ryder Transport Inc. Les deux plaintes portent la date du 25 mars 1996.

[2] La présente décision se veut la réponse aux deux requêtes présentées au Tribunal. La première requête, qui a été déposée par la Commission et l'un des intimés, Neil McGill, vise à obtenir une ordonnance pour ajouter Allied Systems (Canada) Company à titre d'intimée dans la présente instance. La deuxième requête, qui a été présentée par Neil McGill et MCL Ryder Transport Inc. et qui a été appuyée par Allied Systems (Canada) Company, vise à obtenir une ordonnance pour rejeter les plaintes de Heidi Bozek sans la tenue d'une audience.

I. REQUÊTE POUR AJOUTER ALLIED SYSTEMS (CANADA) COMPANY À TITRE D'INTIMÉE

[3] MCL Ryder Transport Inc. a été maintenue en Nouvelle-Écosse en tant qu'entité corporative sous le nom de MCL Ryder Transport Incorporated le 9 décembre 1997. Le 18 décembre 1997, MCL Ryder Transport Incorporated a fusionné, aux termes de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse (L.R., ch. 81, art. 1), avec un certain nombre de sociétés. La société née de la fusion porte le nom d'Allied Systems (Canada) Company.

[4] Dans les observations qu'ils ont initialement présentées, la Commission et Neil McGill ont retracé l'historique de l'entreprise avant la fusion, et le Tribunal a demandé que les parties lui soumettent d'autres observations au sujet des incidences en droit corporatif de la continuation d'existence et de la fusion de MCL Ryder Transport Inc. par rapport à la requête visant à ajouter Allied Systems comme partie. Les parties ont présenté les observations demandées.

[5] En ce qui touche la continuation d'existence de MCL Ryder Transport Inc. en Nouvelle-Écosse, il semble, selon le par. 133(4) de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse, que cette société ait poursuivi son activité en tant qu'entité ayant les mêmes biens, avoirs et obligations qu'auparavant et qu'elle ait continué d'être assujettie à toute action ou poursuite civile, criminelle ou administrative en instance, et ce quelle que soit la juridiction. Selon Fraser & Stewart (Company Law of Canada, 6e éd., 1993), l'existence de la société originale ne prend pas fin dans un cas semblable. L'entreprise conserver son identité; le seul changement se situe au niveau de la loi applicable (p. 572).

[6] La Commission et Neil McGill ont produit notamment deux arrêts-clés au sujet des conséquences d'une fusion en droit corporatif, soit les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans les affaires Witco Chemical Co. Canada Ltd. c. Oakville, [1975] 1 R.C.S. 273, et R. c. Black and Decker Manufacturing Co., [1975] 1 R.C.S. 411.

[7] Dans le premier cas, Witco Chemical Company Canada avait fusionné le 30 décembre 1971 avec Argus Chemical Canada Limited pour former Argus Chemical Canada Limited. Le 31 décembre 1971, l'avocat de Witco, qui n'était pas au courant de la fusion, a engagé contre la Ville d'Oakville une poursuite au nom de sa cliente. Witco a demandé de modifier le bref afin que le nom d'Argus, la société issue de la fusion, soit substitué au sien à titre de demanderesse. La défenderesse s'est opposée à la requête, faisant valoir que la demande avait été déposée par une demanderesse non existante et qu'on ne pouvait, à cause du délai de prescription, permettre une telle modification.

[8] L'affaire s'est retrouvée devant la Cour suprême du Canada, qui a autorisé la modification. La Cour suprême a fondé sa conclusion sur l'article de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario précisant que, dans un cas pareil, il y a fusion des sociétés en une seule et même société. La Cour a affirmé que chaque société fusionnante continue d'exister en tant que personne morale. Comme la personnalité morale de Witco n'avait pas cessé d'exister, la conclusion voulant que la demande ait été faite au nom d'une demanderesse non existante n'était pas justifiée.

[9] Dans Black and Decker, Black and Decker Manufacturing Company Limited, DeWalt Canada Limited et Master Pneumatic Tools (Canada) Ltd. ont convenu de fusionner sous le nom de Black and Decker Manufacturing Company Limited. Il s'agissait en l'occurrence de déterminer si la responsabilité pénale des présumées violations de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions par la société fusionnante Black and Decker pouvait être transférée à la société née de la fusion.

[10] La Cour suprême, après avoir examiné les dispositions pertinentes de la Loi sur les sociétés par actions au Canada, a conclu, comme elle l'avait fait dans Witco, qu'en cas de fusion, aucune nouvelle société n'est créée et aucune ancienne société ne disparaît (p. 415). L'objectif dans le cas d'une fusion n'est pas le même que dans le cas d'un achat d'actions ou de biens. On a recours à des mécanismes juridiques différents, généralement dans le but exprès d'assurer la continuité d'existence des sociétés constituantes, comme le prévoit la législation qui s'applique aux sociétés. Par conséquent, la poursuite contre la société issue de la fusion a été autorisée.

[11] La Companies Act de la Nouvelle-Écosse renferme les mêmes dispositions que la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario et la Loi canadienne sur les sociétés par actions quant aux effets de la continuation d'existence d'une société et d'une fusion.

[12] Sur la foi de la législation de la Nouvelle-Écosse et des arrêts Witco et Black and Decker de la Cour suprême, j'ai conclu que MCL Ryder Transport Inc. continue d'exister en tant que société constituante d'Allied Systems (Canada) Company, laquelle possède tous les biens, droits, privilèges et concessions des sociétés constituantes et est devenue responsable de tous leurs contrats, dettes et obligations (voir le par. 134(12) de la Companies Act de la Nouvelle-Écosse).

[13] Par conséquent, j'ordonne par la présente que la plainte de Heidi Bozek déposée contre MCL Ryder Transport Inc. soit modifiée afin d'y substituer le nom Allied Systems (Canada) Company comme partie intimée en lieu et place de celui de MCL Ryder Transport Inc.

II. Requêtes pour rejeter la plainte sans la tenue d'audience

[14] On a invoqué comme motifs à l'appui de ces requêtes la présumée inconduite de la Commission et son retard à traiter les plaintes et à enquêter sur celles-ci. Les intimés soutiennent que la situation équivaut à un abus de procédure, à un manquement à la justice naturelle et à une inobservation de l'équité procédurale, autant d'éléments qui leur auraient causé un préjudice irrémédiable. Plus particulièrement, les intimés allèguent qu'ils ne sont pas en mesure de présenter une défense pleine et entière en raison des faits et gestes de la Commission et de son retard à traiter les plaintes.

[15] La Commission fournit deux réponses à ces arguments. D'abord, la Commission affirme qu'une fois qu'une plainte lui a été renvoyée, ce Tribunal ne peut la rejeter sans la tenue d'une audience. Le cas échéant, il se trouverait à réviser pour ainsi dire la décision de la Commission de lui renvoyer la plainte. Subsidiairement, la Commission fait valoir que le Tribunal devrait être le seul à pouvoir juger des conséquences de ses présumés faits et gestes au regard de l'ensemble de la preuve produite durant l'audience sur le fond.

[16] Je traiterai d'abord de la position subsidiaire de la Commission. Ce faisant, je me pencherai en premier lieu sur la décision rendue par la Cour d'appel de Terre-Neuve dans l'affaire Newfoundland (Human Rights Commission) v. Newfoundland (Department of Health), [1995] N.J. no 12 (Q.L.); (1998) 13 Admin. L.R. 3d 142, une affaire qui portait exactement sur la même question. Bien que le Tribunal ne soit pas lié par cette décision, j'estime que le raisonnement énoncé par cette cour est particulièrement instructif et utile.

[17] En l'occurrence, on alléguait dans la plainte déposée auprès de la Human Rights Commission de Terre-Neuve que les intimés avaient exercé une discrimination fondée sur l'origine nationale et sociale. La Commission a renvoyé la plainte à une commission d'enquête. Au début de l'audience, les intimés ont demandé, par voie d'objection préliminaire, que la commission d'enquête rejette la plainte pour cause d'absence de compétence. Elle a prétendu que les intimés n'étaient pas à proprement parler des employeurs contre lesquels on pouvait porter plainte en vertu du Human Rights Code de Terre-Neuve. La commission d'enquête a souscrit à cet argument et rejeté la plainte sans la tenue d'une audience sur le fond. La Commission en a appelé de cette décision, faisant valoir que l'objection préliminaire était prématurée et que la commission d'enquête aurait dû instruire toute la preuve portant sur la plainte avant de se pencher sur la question de la compétence.

[18] La Cour d'appel de Terre-Neuve a accueilli le pourvoi. Elle a alors énoncé un certain nombre de principes juridiques que je considère pertinents pour trancher les requêtes des intimés. Le premier principe, qui est clairement établi en droit, veut que les tribunaux administratifs soient maîtres de leur propre procédure et jouissent notamment du pouvoir discrétionnaire de décider de la manière de traiter les objections préliminaires. Ensuite, lorsqu'il s'agit d'une requête pour trancher une question de droit à titre préliminaire, il est loisible à la commission d'enquête de recevoir une preuve orale ou par affidavit et de tirer des conclusions de fait sur la foi de cette preuve. Toutefois, dans le cas de questions de fait et de droit complexes et entremêlées, il est plus opportun que la commission d'enquête tienne une audience en bonne et due forme avant de se prononcer sur la question préliminaire.

[19] Je souscris à ces principes. J'irais même plus loin. À mon avis, ce Tribunal devrait au moins disposer d'un dossier de preuves complet avant de se pencher sur des requêtes préliminaires visant à rejeter une plainte sans la tenue d'une audience, pour cause de retard et en raison du préjudice que subiraient les intimés. Il faudrait un exposé conjoint des faits ou une preuve par affidavit ou encore une audience; il faudrait également la possibilité pleine et entière de procéder à un contre-interrogatoire, si nécessaire, et de présenter des arguments. À cela, j'ajouterais la mise en garde suivante : dans les cas où les questions de fait et de droit sont complexes ou entremêlées, on devrait attendre la tenue d'une audience en bonne et due forme avant de pouvoir présenter des objections préliminaires.

[20] Les intimés ont saisi le Tribunal d'une pléthore de documents à l'appui de leurs requêtes. Leurs observations et les arguments présentés par la Commission en réplique renferment de longs exposés des faits, dont aucun n'a été prouvé. Le Tribunal n'a été saisi d'aucune preuve et d'aucun exposé conjoint des faits. Il a proposé la tenue d'une audience, ce à quoi les intimés se sont opposés.

[21] J'ai examiné très soigneusement les observations des parties. Je ne saurais l'affirmer catégoriquement, mais il me semble que la principale question qui se pose à l'égard des plaintes en est une de crédibilité. L'objection fondamentale des intimés est que le retard de la Commission à traiter les plaintes et la perte des dossiers de la Commission les ont empêchés, en fait, de préparer une argumentation à la fois solide et crédible. Les témoins sont décédés ou ne peuvent être retrouvés ou leurs souvenirs se sont estompés; les dossiers de la société et la mémoire corporative ont disparu. La Commission conteste ces allégations et fait valoir que les intimés sont à même de réagir aux plaintes en contre-interrogeant les témoins de la Commission ou en faisant témoigner d'autres témoins. Au dire de la Commission, aucun témoin ne joue un rôle crucial dans la défense de la cause des intimés.

[22] Il y a des faits à prouver. Il y a des faits et des questions qui sont contestés. En l'absence de dossier de preuves, je ne vois pas comment ce Tribunal peut se prononcer sur la requête des intimés visant le rejet des plaintes sur une base préliminaire. Par conséquent, j'ai conclu que les requêtes des intimés visant à rejeter les plaintes doivent être ajournées sans préjudice ou sans porter atteinte de quelque autre façon au droit des intimés de revenir à la charge avec ces requêtes à n'importe quel moment au cours de l'audience sur le fond des plaintes ou au moment de la clôture de la preuve.

[23] Ayant ajourné les requêtes jusqu'à l'audience, je n'ai point à me prononcer sur la question à savoir si ce Tribunal a le pouvoir de rejeter, sans la tenue d'une audience, une plainte que la Commission lui a renvoyée.

Originale signée par


J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)

le 27 novembre 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NOS : T716/2102 et T717/2202

INTITULÉ DE LA CAUSE : Heidi Bozek c. MCL Ryder Transport Inc. et Neil McGill

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 27 novembre 2002

ONT COMPARU :

Heidi Bozek en son propre nom

Giacomo Vigna au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

John-Edward C. Hyde au nom d'Allied Systems (Canada) Company

John-Paul Alexandrowicz au nom de MCL Ryder Transport Inc.

Karen M. Anderson au nom de Neil McGill

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