Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

GINO DUMONT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TRANSPORT JEANNOT GAGNON

l'intimée

DÉCISION SUR LE REDRESSEMENT

2003 TCDP 29

2003/07/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

(TRADUCTION)

[1] La présente concerne une affaire que la Section de première instance de la Cour fédérale a renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne en vue d'une nouvelle audience.

I. Historique de l'affaire

[2] Le 20 mars 1998, le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission ), alléguant que l'intimée avait exercé à son endroit une discrimination en refusant de continuer de l'employer en raison d'une déficience, soit un pneumothorax au poumon gauche.

[3] La Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction; une audience a eu lieu en octobre 2001.

[4] Le 1er février 2002, le Tribunal a rendu publique sa décision (la décision du Tribunal ) par laquelle il faisait droit à la plainte (Dumont c. Transport Jeannot Gagnon Inc., [2002] T.C.D.P. no 2 (T.C.D.P.) (QL)). Le Tribunal a ordonné à l'intimée d'indemniser le plaignant de ses pertes salariales. Toutefois, le Tribunal n'a pas ordonné le versement d'une indemnité spéciale, conformément au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi ), tel que libellé avant qu'il ne soit révisé par suite des modifications apportées par le projet de loi S-5 en 1998. Le Tribunal a conclu que le témoignage du plaignant à cet égard n'a pas démontré qu'il avait subi un préjudice moral justifiant le droit à une indemnité . Fait intéressant, l'examen de la transcription de l'audience révèle que la Commission n'a pas fait valoir devant le Tribunal d'arguments importants en faveur du versement d'une indemnité spéciale, se contentant d'une déclaration générale voulant que la preuve et la conduite de l'intimée permettent au Tribunal de rendre une ordonnance en ce sens.

[5] La Commission a demandé à la Cour fédérale de procéder à un contrôle judiciaire de la décision du Tribunal. La demande portait strictement sur le refus du Tribunal d'accorder une indemnité en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi.

[6] Le 9 décembre 2002, le jugement de la juge Tremblay-Lamer à l'égard de la demande de contrôle judiciaire a été rendu public (Commission canadienne des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280). La Cour a reconnu que la Loi confère au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d'accorder réparation. Cependant, la Cour a également soutenu que le refus du Tribunal d'envisager le versement d'une indemnité quelconque, malgré la preuve non contredite démontrant que le plaignant avait subi des dommages moraux, constitue un exercice déraisonnable de ce pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour a renvoyé l'affaire au Tribunal en vue d'une nouvelle audience devant un panel nouvellement constitué. La présidente du Tribunal m'a donc confié le soin de mener cette nouvelle audience.

[7] La Commission n<a pas produit de nouvelles preuves, mais elle a cependant présenté par écrit des observations fondées sur le dossier existant et particulièrement sur des extraits de la transcription du témoignage du plaignant. L'intimée a informé par lettre le greffe du Tribunal qu'elle n'avait pas d'observations ou de commentaires à formuler au sujet de l'affaire, se contentant d'affirmer que le plaignant n'avait pas subi de dommages moraux.

II. Cadre juridique et analyse

[8] Les faits à l'origine de la plainte sont tous survenus avant que la Loi ne fasse l'objet des modifications qui sont entrées en vigueur le 30 juin 1998. Dans l'ancienne version de la Loi, le paragraphe 53(3) se lisait comme suit :

Special compensation

(3) In addition to any order that the Tribunal may make pursuant to subsection (2), if the Tribunal finds that

(a) a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice wilfully or recklessly,

or

(b) the victim of the discriminatory practice has suffered in respect of feelings or self-respect as a result of the practice,

the Tribunal may order the person to pay such compensation to the victim, not exceeding five thousand dollars, as the Tribunal may determine.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:

a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;

b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

Indemnité spéciale

On a soutenu que le maximum de 5 000 $ doit être réservé aux affaires les plus graves parmi celles qui méritent l'octroi d'une indemnité spéciale (Premakumar c. Air Canada (2002), 42 C.H.R.R. D/63, par. 107 (T.C.D.P.); Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, 2003 TCDP 2, par. 128).

[9] De l'avis de la Commission, les tribunaux des droits de la personne accordent généralement une indemnité spéciale lorsqu'ils jugent qu'une plainte est fondée. Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles qu'ils refusent d'accorder une telle indemnité. Même s'il se peut fort bien qu'ils aient ordonné le versement d'une indemnité spéciale dans la plupart des cas où ils ont conclu qu'il y avait eu discrimination, je ne suis pas persuadé que, de façon générale, une telle ordonnance doive nécessairement être rendue. Il faut toujours examiner les circonstances entourant l'affaire et déterminer si les critères énoncés dans la Loi s'appliquent.

[10] En l'espèce, le plaignant a été embauché par l'intimée pour une période indéterminée à titre de chauffeur de camions semi-remorque affecté principalement au transport à longue distance. Après avoir subi une perforation du poumon gauche (pneumothorax) à l'occasion de la livraison d'un chargement en Ohio, il a suivi des traitements qui l'ont tenu à l'écart du travail pendant environ un mois. Cependant, l'intimée a informé le plaignant qu'il ne pourrait retourner au travail à la fin de cette période. Selon la décision du Tribunal, l'intimée a refusé de continuer d'employer le plaignant parce qu'il craignait une rechute. Le Tribunal a donc jugé que l'intimée avait exercé une discrimination envers le plaignant en raison de sa déficience.

[11] Par suite de son congédiement, le plaignant a été contraint de chercher un autre emploi. En mai 1998, lorsqu'il a décidé d'abandonner sa carrière de camionneur de long parcours, le plaignant avait travaillé pour au moins trois employeurs différents et avait eu quelques épisodes de chômage. Au cours de son témoignage, il a indiqué qu'à la suite de son congédiement, sa confiance en soi a commencé à s'effriter et il s'est demandé quels autres malheurs l'avenir lui réserverait.

[12] Le plaignant a également subi des pertes de revenus totalisant 1 700 $. Bien que le Tribunal ait ultérieurement ordonné à l'intimée d'indemniser le plaignant de ces pertes, le manque à gagner a nui à l'époque à son bien-être financier, et ce d'autant plus que ses revenus étaient relativement modestes. Les pertes en question ont peut-être même contribué à sa faillite ultérieure, mais je dois faire remarquer que la preuve à cet égard est insuffisante pour qu'on puisse tirer une telle conclusion.

[13] De façon générale, le plaignant est frustré d'avoir eu à subir ces inconvénients pour rien , pour reprendre les mots qu'il a utilisés.

[14] Compte tenu de toutes les circonstances pertinentes qui entourent cette affaire, j'ordonne à l'intimée de verser au plaignant la somme de 2 500 $ en guise d'indemnité spéciale, conformément au paragraphe 53(3) de l'ancienne version de la Loi. Conformément à la décision du Tribunal, des intérêts doivent être payés sur cette somme; cependant, le versement d'intérêts ne doit en aucun cas entraîner le dépassement de la limite de 5 000 $ (Canada (Procureur général) c. Hébert (1995), C.H.R.R. D/375, par. 23 (C.F., 1re inst.)).

« Originale signée par »


Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

le 30 juillet 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T639/2701

INTITULÉ DE LA CAUSE : Gino Dumont c. Transport Jeannot Gagnon

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 30 juillet 2003

ONT COMPARU :

Gino Dumont en son propre nom

Giacomo Vigna au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Jeannot Gagnon au nom de Transport Jeannot Gagnon

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