Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

NADIA CAZA

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TÉLÉ-METROPOLE INC.

- et -

MANON MALO

les intimées

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2001/04/11

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis, Président

LA REQUÊTE DES INTIMÉES

[1] Le 7 novembre 1996, Mme Nadia Caza a déposé une plainte contre son employeur, Télé-Métropole Inc. (Télé-Métropole). Le 7 janvier 1999, la plaignante a également déposé une plainte contre son superviseur à cette date, Mme Manon Malo. Mme Caza allègue dans la première plainte que Télé-Métropole a exercé contre elle de la discrimination fondée sur son origine nationale ou ethnique (égyptienne et arabe), en l'a défavorisant en cours d'emploi et en ne l'assurant pas d'un milieu de travail exempt de harcèlement, le tout contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans sa deuxième plainte, elle allègue que Mme Malo l'avait harcelée à cause de son origine nationale ou ethnique, contrairement à l'article 14 de la Loi. Le 16 janvier 2001, la Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé les plaintes de Mme Caza au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction.

[2] Les deux intimées sont représentées par les mêmes procureurs et elles s'opposent à la poursuite des procédures à ce moment-ci pour le motif qu'il existe une crainte raisonnable de partialité institutionnelle à l'égard du Tribunal canadien des droits de la personne. Plus précisément, les intimées affirment que le Tribunal ne jouit pas d'une indépendance institutionnelle suffisante pour assurer aux parties une audience équitable et impartiale.

[3] À cet égard, les intimées se fondent sur le jugement récent de la Cour fédérale dans l'affaire Bell Canada c. ACET, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (Bell Canada)(1). Dans Bell Canada, la juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a conclu que le Tribunal n'était pas un organisme indépendant et impartial du point de vue institutionnel puisque la Commission canadienne des droits de la personne a le pouvoir de prendre des ordonnances liant le Tribunal(2). La juge Tremblay-Lamer a également conclu que l'indépendance du Tribunal était compromise par le fait qu'il faut obtenir l'approbation de la présidente du Tribunal pour qu'un membre dont le mandat est échu puisse terminer une affaire dont il a été saisi(3). Par conséquent, la juge Tremblay-Lamer a ordonné la suspension des procédures dans l'affaire Bell Canada jusqu'à ce que les problèmes qu'elle a soulevés en ce qui concerne le régime législatif aient été réglés.

[4] Les intimées soutiennent que le régime législatif considéré par la juge Tremblay-Lamer comme insuffisant pour assurer l'indépendance du Tribunal entre en jeu dans la présente instance et que, par conséquent, l'on devrait suspendre les procédures jusqu'à ce que les défauts identifiés par la Cour fédérale aient été remédiés et le Tribunal soit en mesure d'assurer aux parties une audience équitable et impartiale.

[5] De façon subsidiaire, les intimées soumettent que le Tribunal pourrait se prévaloir de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale qui lui permet de renvoyer devant la section de première instance de la Cour fédérale, toute question de droit, de compétence ou de pratique et procédure.

[6] Dans sa réplique, la Commission canadienne des droit de la personne fait observer le fait que l'arrêt Bell Canada est en instance d'appel et qu'il ne s'agit pas, par conséquent, d'un jugement définitif. Cet appel a été entendu le 3 au 5 avril 2001, et la cause est présentement en délibérée. De plus, la Commission fait valoir que l'affaire Bell Canada diffère de la présente instance, car, contrairement à cette cause, la présente instance n'est pas une affaire de parité salariale. Il n'existe aucune ordonnance prise par la Commission en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui pourrait s'appliquer aux plaintes de Mme Caza et qui, par conséquent, pourrait entraver l'exercice du pouvoir juridictionnel d'un ou plusieurs membres du Tribunal entendant cette affaire. Selon la Commission, il n'y a pas d'indication que le mandat d'un des membres instructeurs qui pourraient instruire la plainte échoira avant la fin de l'audience de celle-ci; alors, la question de la prolongation du mandat d'un membre n'est pas susceptible de se poser. La Commission invoque, à l'appui de sa position, les motifs énoncés dans la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne, dans l'affaire de Stevenson c. Service canadien du renseignement de sécurité,(4) (Stevenson) en date du 7 novembre 2000.

[7] Mme Caza n'a fait aucune représentation relativement à ces questions à part d'exprimer auprès de l'agent du greffe du Tribunal canadien des droits de la personne chargé du dossier, son désir de voir la cause se poursuivre dans les plus brefs délais.

[8] La présidente du Tribunal canadien des droits de la personne m'a chargé d'examiner et de décider de ces questions. Les arguments des parties ont été présentés par écrit et il n'y a pas eu de représentations orales.

L'ANALYSE DES ARGUMENTS DES PARTIES

[9] Pour répondre aux représentations de la Commission, les intimées se sont appuyées sur cinq décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, dans les affaires de Jackson c. Gendarmerie Royale du Canada(5), Martin c. Administration locale indienne de Saulteaux (6), Houlihan c. Halifax Employers' Association(7), Quigley c. Ocean Construction Supplies(8) et Eisler c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (9) . Ces décisions ont toutes été rendues après la décision dans Stevenson. Je résume ci-après les conclusions pertinentes qui ressortent de ces cinq décisions:

  1. Le fait que le jugement rendu par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Bell Canada soit en instance d'appel n'est pas pertinent car, à ce moment-ci, il s'agit d'un jugement formel valide qui a un effet obligatoire pour tout affaire devant le Tribunal dans la mesure où les faits qui existent dans une cause devant le Tribunal ne diffèrent pas de ceux dans l'affaire Bell Canada. [Houlihan, Eisler]
  2. La portée de l'arrêt Bell Canada n'est pas limitée aux cas où la Commission a pris des ordonnances conformément au paragraphe 27(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon la juge Tremblay-Lamer, le problème que posent les ordonnance découle des dispositions de cette loi qui confèrent à la Commission le pouvoir de prendre des ordonnances, et non de l'existence des ordonnances proprement dites. Ce pouvoir découle de la Loi qui régit toutes les instances dont le Tribunal canadien des droits de la personne est saisi. Par conséquent, le jugement dans l'affaire Bell Canada s'applique aux cas où il n'existeraient pas d'ordonnances. [Eisler, Quigley, Houlihan, Martin, Jackson]
  3. Le problème soulevé par la juge Tremblay-Lamer, relativement à la question de la prolongation du mandat d'un membre, ne concerne pas la façon dont le pouvoir discrétionnaire que la Loi accorde à la présidente peut être exercé dans un cas particulier, mais plutôt l'existence du pouvoir discrétionnaire proprement dit. La Cour fait remarquer qu'il n'y a aucune garantie objective que les décisions antérieures ou courantes d'un membre dont le mandat est échu n'auraient pas d'effets négatifs sur le maintien en fonction dudit membre. On peut donc présumer que le fait qu'un membre sache qu'il pourrait être appelé ultérieurement à demander à la présidente l'autorisation de terminer une affaire dont il a été saisi pourrait influencer la prise de décisions du membre au cours de l'exercice de son mandat. [Eisler, Quigley, Houlihan, Martin, Jackson]
  4. Même si on prend connaissance des dates d'échéance des mandats des membres du Tribunal, le mandat de la plupart d'entre eux doit expirer au cours de 2001, et dès juin 2001 pour certains. Compte tenu des exigences du processus judiciaire, il est loin d'être certain que la question de l'expiration du mandat ne se posera pas. [Eisler, Houlihan]
  5. Dans chacune des cinq causes pré-citées, le Tribunal a conclu que l'arrêt Bell Canada s'applique et a décidé d'ajourner les instances sine die, jusqu'à ce que le législateur ait remédié aux problèmes décrits par la juge Tremblay-Lamer, en ce qui concerne la Loi, ou jusqu'à ce que l'on ait déterminé que le Tribunal canadien des droits de la personne est indépendant et impartial au niveau institutionnel.

[10] Je partage et adopte comme les miennes, les opinions énoncées dans ces cinq décisions du Tribunal(10). À l'instar des plaintes dans ces affaires, les plaintes de Mme Caza ne touchent pas une question d'équité salariale, mais les problèmes soulevés par la juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Bell Canada s'imposent quand même. Je m'associe également aux inquiétudes suivantes exprimées par le Tribunal dans l'affaire Eisler(11):

[traduction] C'est avec beaucoup de réticence que j'en viens à cette conclusion. Il est bien établi qu'il est dans l'intérêt public de faire en sorte que les plaintes de discrimination soient traitées de façon expéditive. Ma décision d'ajourner sine die la présente instance ne sert pas l'intérêt public. Elle ne sert pas l'intérêt de Mme Eisler, qui, plus de deux ans après avoir déposé sa plainte de discrimination devant la Commission, ne peut toujours pas se présenter devant le Tribunal. Elle ne sert pas non plus l'intérêt des présumés auteurs de l'acte discriminatoire au sein du CN : l'épée de Damoclès que représentent les allégations non prouvées de discrimination continuera de pendre au-dessus de leurs têtes pendant une période indéterminée, sans qu'ils aient l'occasion de se défendre.

Cependant, l'intérêt public ne se limite pas à une justice expéditive : les Canadiens qui ont recours à la procédure en matière de droits de la personne ont droit à une audience devant un tribunal équitable et impartial. Selon la Cour fédérale, le Tribunal canadien des droits de la personne ne constitue pas un tel tribunal.

[11] Je constate que dans l'espèce, le délai depuis le dépôt de la première plainte est plus de quatre ans.

ORDONNANCE

[12] Pour toutes ces raisons, la requête des intimées est accueillie. La présente instance est ajournée sine die jusqu'à ce que la législation ait remédié aux problèmes décrits par la juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Bell Canada relativement à la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou jusqu'à ce que l'on ait jugé que le Tribunal canadien des droits de la personne est indépendant et impartial au niveau institutionnel. Par conséquent, la demande subsidiaire des intimées au sujet d'un renvoi à la Cour fédérale de ces questions, est rejetée.


Athanasios D. Hadjis, Président

OTTAWA (Ontario)

Le 11 avril 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T633/2101

INTITULÉ DE LA CAUSE : NADIA CAZA c. TÉLÉ-MÉTROPOLE INC. ET MANON MALO

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 11 avril 2001

ONT COMPARU :

Nadia Caza la plaignante

Giacomo Vigna pour la Commission canadienne des droits de la personne

Stéphane Fillion pour Télé-Métropole Inc. et Manon Malo

1. Dossier no. T-890-99, 2 novembre 2000.

2. Voir les par. 27 (2) et (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Paragraphe 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4. Dossier no. T568/2600, le 7 novembre 2000.

5. Dossier no. T611/6900, le 17 janvier 2001

6. Dossier no. T589/4700, le 8 décembre 2000

7. Dossier no. T609/6700, le 8 décembre 2000

8. Dossier no. T582/4000, le 18 décembre 2000

9. Dossier no. T588/4600, le 12 décembre 2000

10. Dans deux autres décisions rendues dans les affaires de Rampersadsingh c. Wignall, dossier no. T591/4900, le 24 janvier 2001, et Paterson c. Verbil Transport, dossier no. T631//1901 et T632/2001, le 29 mars 2001, le Tribunal canadien des droits de la personne en est venu à des conclusions semblables à celles énoncées dans les cinq causes pré-citées.

11. Supra, note 9, page 8

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