Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Nancy Green

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Commission de la fonction publique, Conseil du trésor et

Développement des ressources humaine du Canada

les intimés

Décision

Membre : Elizabeth Leighton et Sheila Devine
Date : Le 28 octobre 2003
Référence : 2003 TCDP 34

Table des matières

I. Antécédents de fait

II. La question à débattre

III. La preuve

IV. Conclusion

I. Antécédents de fait

[1] En 1989, Nancy Green a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne parce qu’elle était d’avis qu’elle n’avait pas obtenu d’avancement au ministère intimé, Développement des ressources humaines Canada (DRHC), en raison d’actes discriminatoires de la part des intimés.

[2] Après avoir fait enquête sur les allégations, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, qui l’a instruite. Le 26 juin 1998, le Tribunal a rendu sa décision. Il a conclu que Mme Green avait été victime d’actes discriminatoires de la part des intimés. Cette décision a été confirmée, sous réserve de légères modifications, à la suite d’un contrôle judiciaire effectué par la Cour fédérale (Section de première instance).

[3] La décision du Tribunal prévoyait le versement de plusieurs indemnités.

[4] En 2000, Mme Green a reçu une indemnité forfaitaire pour compenser les pertes salariales subies entre 1989 et 2000. De plus, toujours en 2000, elle s’est vu accorder des intérêts à l’égard de l’indemnité forfaitaire afin de compenser le fait qu’elle n’avait pas eu la possibilité d’investir l’argent qu’elle aurait dû recevoir durant la période 1989‑2000.

[5] Dans ses observations qu’elle a formulées à la fin de l’audience sur les questions de fond, la Commission avait soutenu que ‘ Nancy Green avait droit à une indemnité majorée afin de tenir compte des conséquences fiscales négatives qu’entraîne le fait de recevoir une somme forfaitaire... et qu’elle ne devrait pas avoir à verser plus d’impôt qu’elle en aurait payé si elle avait touché une rémunération annuelle de PM‑6 depuis 1988’.

[6] Le Tribunal a accepté les observations de Mme Green ainsi que celles de l’avocat de la Commission, à savoir que les mesures réparatrices devraient résulter en une réparation intégrale. En d’autres termes, Mme Green ne devrait pas, par suite des actes discriminatoires commis par les intimés, être dans une situation différente de celle où elle aurait été, n’eût été de ces actes.

[7] Dans sa décision du 26 juin 1998, le Tribunal a émis une ordonnance que les parties en arrivent à un chiffre avec lequel Mme Green et le Ministère sont d’accord afin de tenir compte des conséquences fiscales de la décision, le chiffre en question devant représenter la majoration. En l’espèce, il s’agit d’un montant supplémentaire, non assujetti à l’impôt, qui doit être versé à Mme Green, une victime d’actes discriminatoires, afin de compenser les conséquences fiscales négatives des mesures réparatrices.

[8] Le Tribunal a précisé dans sa décision qu’il conservait sa compétence à l’égard de la question de la majoration pour le cas où les parties ne pourraient s’entendre sur un montant acceptable. Le cas échéant, l’une ou l’autre des parties pourraient retourner devant le Tribunal pour lui demander que plus amples renseignements et d’autres éléments de preuve soient acceptés par le Tribunal au sujet de la majoration et de la façon dont le montant qui y correspond a été calculé pour tenir compte des conséquences fiscales négatives des ordonnances correctives.

[9] Mme Green a ultérieurement présenté une requête en ce sens. Le Tribunal a consacré plusieurs jours à l’audition de témoignages en personne, y compris celui d’un témoin expert, et a reçu en preuve un certain nombre de pièces.

II. La question à débattre

[10] Selon le témoignage de Mme Green, il est nécessaire que [TRADUCTION] quelqu’un [lui dise] qu’on a tenu compte des conséquences fiscales réelles [des mesures réparatrices]. Ayant reçu une indemnité forfaitaire pour compenser le revenu perdu entre 1989 et 2000, ainsi que des intérêts et un chèque (sans retenue d’impôt) qui portait la mention majoration et ne comportait aucune autre explication, Mme Green désirait savoir comment la majoration avait été calculée et si on avait tenu compte des conséquences fiscales dans le calcul de celle‑ci. En outre, elle voulait savoir quelle méthode les intimés avaient suivie pour veiller à ce que le calcul de la majoration se traduise par une réparation intégrale.

[11] Plus précisément, la question qu’il faut se poser est la suivante : Est‑ce que la majoration telle que déterminée par les intimés, a été bien calculée et est suffisante pour compenser les conséquences fiscales des mesures de redressement dont Mme Green a bénéficié par suite des actes discriminatoires commis par les intimés?

III. La preuve

[12] Mme Green a présenté un certain nombre de scénarios différents montrant comment l’ajout à son revenu d’emploi de l’indemnité forfaitaire et des intérêts adjugés avait résulté en une déclaration de revenus sans précédent pour l’année 2000. Les données fiscales de base qu’elle a fournies pour les années d’imposition antérieures ont confirmé sa prétention selon laquelle elle recevait habituellement un petit remboursement d’impôt. Mme Green croyait qu’il continuerait d’en être ainsi, compte tenu de l’ordonnance corrective voulant qu’elle bénéficie d’une majoration afin de compenser les conséquences fiscales des versements suite aux ordonnaces du Tribunal. Elle s’attendait même à recevoir pour l’année 2000 un remboursement d’impôt plus important que celui qu’elle avait obtenu les années antérieures, du fait qu’elle avait pu cotiser à son REER une somme considérable.

[13] Après avoir reçu l’indemnité forfaitaire accordée par le Tribunal, Mme Green a cotisé à son régime enregistré d’épargne-retraite un montant de près de 30 000 $ – l’équivalent de ses droits de cotisation –, car elle n’avait pas versé les cotisations annuelles maximales entre 1989 et 2000. Compte tenu de ses cotisations fiscales antérieures, elle croyait que le transfert d’une somme pareille à son REER lui vaudrait une économie d’impôt considérable. Elle prévoyait bénéficier pour l’année 2000 d’un remboursement d’impôt qui équivaudrait à environ la moitié de la somme cotisée à son REER, soit environ 15 000 $. Si on ne lui avait pas adjugé d’intérêts cette année‑là (2000), son raisonnement aurait été valable. Le document qu’elle a déposé en preuve et qui montre les calculs (revenu d’emploi, indemnité forfaitaire, cotisation REER maximale, etc.) relatifs à sa déclaration de revenus pour l’année 2000 confirment sa prétention.

[14] L’ajout aux revenus déclarés par Mme Green pour l’année 2000 des intérêts accordés conformément à l’ordonnance du Tribunal de 1998 a modifié le tableau. Le versement des intérêts sur l’indemnité n’a donné lieu à aucune retenue d’impôt. La Loi de l’impôt sur le revenu n’exige pas qu’on prélève l’impôt sur quelque paiement d’intérêts que ce soit. Par conséquent, outre les maigres intérêts qu’elle a reçus sur ses placements en 2000, Mme Green a obtenu un versement d’intérêts presque aussi élevé que la somme cotisée à son REER. Le taux d’imposition applicable à ce revenu d’intérêts imputé à l’année 2000 s’établissant à près de 50 %, le remboursement de 50 % qu’elle avait prévu en raison de la cotisation REER a presque complètement fondu.

[15] Lors de son témoignage devant le Tribunal, Mme Green a fait remarquer que si elle avait cotisé chaque année à son REER le maximum entre 1989 et 2000, ses cotisations auraient crû exponentiellement. Ces années‑là, les épargnants qui ont fait des placements en actions dans le cadre de leur régime enregistré d’épargne-retraite, où les gains ne deviennent imposables qu’au moment du retrait de l’argent, ont connu de très bons rendements. Mme Green a raté cette occasion, étant donné qu’elle ne disposait pas des sommes qu’elle aurait normalement eu en sa possession si elle n’avait pas été victime de discrimination.

[16] Les intimés n’ont tenu compte d’aucune de ces conséquences fiscales lorsqu’ils ont calculé le montant correspondant à la majoration en 2000. En fait, le calcul a été effectué avant que les intimés ne soient mis au courant des détails relatifs à la déclaration de revenus de Mme Green pour l’année 2000. Roger Dart, le directeur intérimaire des Services financiers, Région de l’Ontario, à DRHC, et la personne à laquelle Mme Green s’est adressée alors qu’elle tentait de comprendre la façon dont la majoration avait été calculée, a indiqué lors de son témoignage devant le Tribunal que la majoration représentait simplement la différence en impôt à payer du fait que Mme Green a touché une année donnée, sous forme de placement forfaitaire, le revenu d’emploi qui aurait normalement été réparti sur une période de onze ans. Bien qu’il ait fait remarquer que la méthode de calcul de la majoration en question n’avait jamais été mise en doute auparavant et qu’on n’avait pas songé aux conséquences fiscales de l’indemnité accordée, il a indiqué lors de son témoignage que le calcul était conforme tout en s’appuyant sur les meilleures estimations que son ministère pouvait faire.

[17] L’expert financier de Mme Green, M. Brian Saxe, qui est comptable agréé, était du même avis. Selon l’opinion d’expert qu’il a fournie, le calcul par les intimés de la majoration représentant l’indemnité forfaitaire accordée à Mme Green a été effectué comme il se doit. Sa préoccupation, à titre de comptable prié d’examiner les conséquences fiscales de l’indemnité forfaitaire et des intérêts adjugés, résidait dans le fait que Mme Green n’était pas dans la position où elle aurait été si le versement des intérêts avait été échelonné sur une période de onze années plutôt que d’être fait au cours d’une année donnée. À son avis, on aurait dû utiliser une méthode de calcul tenant compte des conséquences fiscales négatives découlant du versement forfaitaire d’intérêts à Mme Green. Toutefois, il n’a présenté aucune méthode de rechange qui aurait pu être utilisée pour calculer la majoration.

IV. Conclusion

[18] Le Tribunal est particulièrement préoccupé par le fait que le témoignage de M. Roger Dart, jumelé à celui de Mme Green, indique qu’on n’a pas tenu compte des conséquences fiscales des indemnités accordées dans le cadre de la décision du Tribunal de juin 1998.

[19] Dans ses réponses aux questions spécifiques que lui a posées Mme Green en contre-interrogatoire, M. Dart a maintenu que le calcul de la majoration a été fondé sur le texte de la décision et sur certaines explications fournies par le ministère de la Justice relativement à son interprétation. Il a dit ne pas se souvenir d’avoir discuté des conséquences fiscales. Il s’agissait, selon lui, de déterminer la façon de calculer la majoration proprement dite. [Témoignage de M. Dart, p. 33567.] Par ailleurs, Mme Green a indiqué lors de son témoignage que DRHC n’avait pas communiqué avec elle au sujet de la majoration.

[20] L’ordonnance initiale se lisait comme suit : ... que Nancy Green reçoive de son employeur une majoration l’indemnisant des effets fiscaux négatifs attribuables à la non-réception d’un revenu annuel .... Cette majoration peut être calculée par le service chargé de la rémunération à la Commission de la fonction publique. Le tribunal conserve sa compétence à cet égard. S’il est impossible d’arriver à un chiffre avec lequel Mme Green et le ministère sont d’accord, le tribunal entendra les observations à ce sujet.

[21] L’ordonnance rendue prévoyait que Mme Green et son ministère devaient communiquer entre eux. Face au manque de communication, Mme Green a jugé qu’il fallait retourner devant le Tribunal pour lui présenter les renseignements que M. Dart a fournis lors de son témoignage au sujet du calcul de la majoration.

[22] La lacune qui était évidente lors de l’audience initiale du Tribunal semble avoir persisté. Après l’audience, il y a eu un manque évident de communication entre les intimés et leur employée, situation qui a engendré de la méfiance et de la mésentente. De toute évidence, il continue d’exister un froid entre Mme Green et les intimés sur le plan de la communication. Cette lacune a été, et semble demeurer, la principale cause de l’appréhension de Mme Green et de ses difficultés à comprendre les motifs de son employeur. Cependant, le Tribunal n’a pas à ce moment‑ci compétence pour statuer sur le manque persistant de communication. Certaines des ordonnances rendues par le Tribunal dans le cadre de sa décision de 1998 visaient à remédier à ce problème.

[23] Compte tenu des éléments de preuve qui ont été présentés au Tribunal au sujet du calcul de la majoration, il semble, selon la prépondérance des probabilités, que le calcul effectué par les intimés ait été exact. Il ressort des témoignages de M. Roger Dart et de l’expert de Mme Green, M. Brian Saxe, que la méthode utilisée tienne compte suffisamment et correctement des conséquences fiscales du versement de l’indemnité forfaitaire.

[24] L’adjudication d’intérêts visait à remédier au fait que Mme Green avait été privée de la possibilité de placer son argent par suite des actes discriminatoires qui l’avait empêchée de continuer d’occuper un poste de PM‑6 et de connaître une progression normale de carrière dans la fonction publique. Aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, il s’agit d’un revenu d’intérêts imposable l’année où il est versé. Mme Green a dû déclarer ce revenu dans sa déclaration fiscale pour l’année 2000. Sa prétention à l’égard de l’adjudication d’intérêts veut que les intérêts fassent partie intégrante de la réparation accordée pour compenser les actes discriminatoires des intimés et qu’on n’aurait pas dû, par conséquent, en tenir compte dans le calcul de la majoration.

[25] Aucune explication n’a été fournie au Tribunal quant à la façon de procéder. Bien que Mme Green ait présenté un certain nombre de scénarios, il existe à cet égard de nombreuses autres options possibles. Mme Green aurait-elle dû demander un échelonnement du revenu d’intérêts sur un certain nombre d’années? Aurait‑elle dû demander que les déclarations fiscales qu’elle avait produites sur une certaine période fassent l’objet de réévaluation de façon à inclure une partie du revenu d’intérêts dans chacune de celles‑ci?

[26] Une question intéressante se pose ici : est‑il possible de rétablir la victime de l’acte discriminatoire dans la position où elle aurait été, n’eût été de l’acte reproché? Dans son témoignage, M. Dart a affirmé qu’on ne lui avait jamais expliqué la notion de réparation intégrale tout en faisant remarquer qu’il ne la comprenait pas. Bien sûr, cette notion découle de l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel qu’il est précisé à l’article 2. La Loi vise à lutter contre les pratiques discriminatoires et à permettre de prendre des mesures pour remédier à ces pratiques afin que tous les individus aient droit à l’égalité des chances d’épanouissement….

[27] Dans le cas de Mme Green – comme dans la plupart des cas –, cet objectif ne sera probablement jamais totalement atteint. Du point de vue financier, il est peu probable que Mme Green puisse connaître une période où le marché des valeurs mobilières sera similaire à celui qui existait dans les années 90. Elle a perdu à jamais l’occasion de faire des placements dans une période aussi extraordinaire. Aucune méthode de calcul ne saurait assurer une réparation intégrale dans ce scénario.

[28] Les intimés devraient‑ils être responsables de l’impôt à payer à l’égard des intérêts adjugés pour tenir compte des occasions de placement perdues par Mme Green? Si Mme Green avait fait durant la période 1989‑2000, en dehors de son REER, des placements qui lui auraient valu un taux de rendement correspondant exactement à celui accordé par le Tribunal (le taux des obligations d’épargne du Canada), il lui aurait fallu payer l’impôt exigible sur ces intérêts. Si elle avait fait durant cette période des placements REER qui lui auraient procuré le rendement des obligations d’épargne du Canada, le produit de ces placements serait imposé incessamment au moment du retrait de l’argent. Comment peut‑on dans le calcul de la majoration tenir compte de ces conséquences fiscales hypothétiques? Cela est impossible dans le contexte de la prépondérance des probabilités. Le Tribunal n’a été saisi d’aucun élément de preuve donnant à croire qu’il existe une méthode de rechange qui permettrait vraisemblablement de tenir compte, aux fins du calcul de la majoration, de toutes les conséquences fiscales des mesures de redressement.

[29] Par conséquent, même si le Tribunal estime que le manque de communication et de participation des parties au calcul de la majoration est inacceptable, le calcul définitif de la majoration, tel qu’effectué par les intimés, est sans doute celui qui se rapproche le plus de l’estimation raisonnable qui pouvait être faite sans faire appel à des raisonnements empiriques ou hypothétiques.

[30] Par conséquent, le Tribunal conclut que la majoration, telle que calculée par les intimés, constitue une réponse adéquate au volet de la décision du 26 juin 1998 ordonnant de verser à Mme Green une indemnité majorée afin de compenser les conséquences fiscales des mesures de redressement.

Signée par

Elizabeth Leighton
Présidente

Sheila Devine
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 28 octobre 2003

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T447/0296

Intitulé de la cause : Nancy Green c. Commission de la fonction publique du Canada, Conseil du Trésor et Développement des ressources humaines du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 28 octobre 2003

Date et lieu de l’audience : les 12 et 13 août 2003

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Nancy Green, pour elle même

Philippe Dufresne, pour la Commission canadienne des droits de la personne (Requête sur le redressement seulement)

Jan Brongers, pour les intimés

Référence : D.T. 6/98
Le 26 juin 1998

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