Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Keith Dawson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Bande indienne D’Eskasoni

l'intimée

Décision

Membre : J. Grant Sinclair

Date : Le 17 juin 2003

Référence : 2003 TCDP 22

Table des matières

I. Faits

II. Décision

III. Intérêts

IV. Ordonnance

I. Faits

[1] Keith Dawson, le plaignant en l’espèce, a déposé une plainte en date du 27 février 1996 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Dans sa plainte contre la bande indienne d’Eskasoni, M. Dawson allègue que le chef et le conseil d’Eskasoni ont exercé à son endroit une discrimination en raison de sa race et de sa couleur (blanche), en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en refusant de lui accorder des prestations d’aide sociale parce qu’il n’est pas membre de la bande.

[2] Au début de l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits devant le Tribunal. Selon cet exposé, les parties ont convenu des faits présentés ci‑après.

  1. M. Dawson est un homme de race blanche qui n’est pas membre de la bande indienne d’Eskasoni et qui n’est pas admissible à ce statut puisqu’il n’est pas un Indien inscrit.
  2. M. Dawson vit dans la réserve d’Eskasoni avec sa femme, une Indienne inscrite qui est membre de la bande. Il est autorisé à vivre dans la réserve en raison de son mariage avec sa conjointe indienne.
  3. Eskasoni administre un régime d’assistance sociale à l’intention des personnes admissibles qui vivent dans la réserve, en vertu d’une entente de financement MAINC-Premières nations visant les exercices 2003‑2004 à 2007‑2008. Des ententes de financement similaires sont en place depuis 1987.
  4. Du fait qu’il vit dans la réserve, M. Dawson n’est pas admissible aux prestations provinciales d’aide sociale.
  5. En 1988, M. Dawson a présenté à Eskasoni une demande de prestations d’aide sociale. Il s’est vu refuser l’octroi de telles prestations du fait que, par principe, Eskasoni n’accorde pas de prestations d’aide sociale à des personnes qui ne sont pas membres de la bande.
  6. En 1996, M. Dawson a présenté à Eskasoni une nouvelle demande de prestations d’aide sociale à la suite de la décision rendue par le Tribunal dans MacNutt c. Bande indienne de Shubenacadie, [1995] D.C.D.P. no 14, affaire dont les faits étaient similaires et dans laquelle le Tribunal a statué que le fait de refuser d’accorder des prestations d’aide sociale à une personne qui n’est pas un Indien inscrit allait à l’encontre de l’article 5 de la Loi.
  7. Eskasoni a refusé à nouveau d’acquiescer à sa demande parce qu’il n’était pas membre de la bande.

[3] À l’audience, Eskasoni a admis que M. Dawson a droit à des prestations d’aide sociale. Eskasoni a accepté de verser à M. Dawson une somme forfaitaire correspondant au total des prestations d’aide sociale auxquelles il était admissible au cours de la période comprise entre juillet 1998 et le 2 juin 2003, la date de l’audience, moins 100 $ pour chaque mois de cette période, montant qui, selon les estimations de M. Dawson, équivaut au revenu qu’il a gagné en occupant divers emplois à temps partiel. Eskasoni a consenti à verser des intérêts sur ce montant net pour la même période. Eskasoni a également accepté d’inscrire le nom de M. Dawson sur sa liste des personnes vivant dans la réserve qui sont bénéficiaires de prestations d’aide sociale au 2 juin 2003.

[4] Enfin, Eskasoni a consenti à renoncer et à mettre fin à l’acte discriminatoire consistant à refuser d’accorder des prestations d’aide sociale à des personnes qui ne sont pas membres de la bande mais qui, autrement, sont admissibles.

II. Décision

[5] La Commission et M. Dawson ont également demandé au Tribunal d’ordonner qu’Eskasoni, en guise de mesures de redressement, verse une indemnité de 20 000 $ pour préjudice moral conformément à l’alinéa 53(2)e) de la Loi et une indemnité spéciale de 20 000 $ aux termes du paragraphe 53(3) de la Loi, en raison des présumés actes délibérés et inconsidérés qui ont été commis.

[6] Avant le 30 juin 1998, l’indemnité maximale que le Tribunal pouvait accorder en cas de conduite délibérée et inconsidérée, de préjudice moral ou d’atteinte à la dignité personnelle était de 5 000 $. Depuis le 30 juin 1998, date de l’entrée en vigueur des modifications contenues dans le projet de loi S‑5, la Loi prévoit une indemnité maximale de 20 000 $ pour préjudice moral et de 20 000 $ pour conduite délibérée ou inconsidérée.

[7] M. Dawson a déposé sa plainte en 1996. La Commission a soutenu que les modifications contenues dans le projet de loi S‑5 s’appliquent quand même. Elle a simplement fait valoir que le refus d’accorder des prestations d’aide sociale est un acte discriminatoire de longue date de la part d’Eskasoni. Elle n’a invoqué aucun autre motif ni fondement juridique.

[8] Je n’accepte pas cet argument car, pour qu’une modification législative ait automatiquement un effet rétroactif, il suffirait que le plaignant continue de subir les conséquences d’un événement survenu il y a longtemps. L’analyse doit être et est beaucoup plus complexe, comme en fait foi la décision du Tribunal dans Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, (2001) 39 C.H.R.R. D/237, p. D/288 à 290. Dans cette affaire, le Tribunal, pour les motifs énoncés dans la décision, a conclu que l’application de l’article 53, tel que modifié en 1998, est strictement prospective. Je fais miens les motifs invoqués dans Nkwazi; par conséquent, l’indemnité maximale que ce Tribunal peut accorder à M. Dawson en l’espèce, à titre d’indemnité spéciale, est de 5 000 $.

[9] Dans son témoignage, M. Dawson a dit que les seuls emplois qu’il a été en mesure de trouver, durant la période 1988‑1996, étaient occasionnels et à temps partiel. Lorsqu’il a cessé de recevoir des prestations d’assurance-emploi, il a fait une demande à Eskasoni car il n’était pas admissible à des prestations provinciales d’aide sociale. Lors de son témoignage, il a indiqué que le refus d’Eskasoni l’avait grandement bouleversé. Il estimait qu’il avait cotisé au régime pendant vingt ans lorsqu’il travaillait mais que cela ne lui importait guère, car il se disait qu’il aurait peut-être besoin d’aide sociale un jour. Cependant, lorsque ce jour est arrivé, on a refusé de lui accorder des prestations. À son avis, on a refusé de lui accorder les [TRADUCTION] droits fondamentaux dont bénéficient le reste des citoyens de notre pays – pourquoi?. M. Dawson a exprimé les mêmes sentiments dans une lettre en date du 8 octobre 1996 qu’il a écrite à la Commission.

[10] Selon l’entente de financement MAINC-Premières nations et plus particulièrement l’alinéa 3.01e) du chapitre 3 intitulé Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones, M. Dawson était nettement en droit de recevoir d’Eskasoni des prestations d’aide sociale. Cependant, en 1988, la bande a rejeté sa demande, indiquant qu’il n’était pas membre de celle‑ci. En 1996, même après que le Tribunal eut rendu sa décision dans l’affaire MacNutt, selon laquelle une telle politique ou pratique était discriminatoire, Eskasoni a encore refusé de lui verser des prestations d’aide sociale.

[11] Eskasoni a fait valoir qu’elle attendait la décision finale de l’appel dans l’affaire MacNutt avant de réexaminer sa politique consistant à ne pas accorder d’aide sociale aux personnes qui ne sont pas membres de la bande. À mon avis, Eskasoni a agi de façon inconsidérée en continuant d’agir comme elle le faisait alors qu’il existait une décision juridique claire et nette indiquant qu’un tel acte était discriminatoire. Sur la foi des divers éléments de preuve exposés ci‑dessus, je conclus que M. Dawson devrait recevoir l’indemnité maximale de 5 000 $ que prévoyait le paragraphe 53(3) de la Loi avant que celle‑ci ne soit modifiée.

III. Intérêts

[12] Il ne reste plus qu’à déterminer le taux d’intérêt applicable au montant net à verser au titre des prestations d’aide sociale. La Commission a soutenu que ce taux d’intérêt devrait correspondre au taux qui s’applique aux obligations d’épargne du Canada, soit 5 % en l’espèce. Eskasoni a pour sa part prétendu que le taux d’intérêt devait être de 2 %. Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté d’éléments de preuve à l’appui de sa position.

[13] La règle 9(12) des Règles de procédure provisoires du Tribunal prévoit qu’à moins d’une ordonnance à l’effet contraire, les intérêts doivent être calculés de la façon qui y est décrite. Ni l’une ni l’autre des parties ne m’a présenté d’arguments voulant que ce Tribunal rende une ordonnance à l’effet contraire. Par conséquent, les intérêts à verser par Eskasoni à l’égard du montant net auquel M. Dawson a droit pour la période allant de juillet 1998 au 2 juin 2003 au titre des prestations d’aide sociale doivent être calculés conformément à la règle 9(12).

IV. Ordonnance

[14] Le Tribunal ordonne :

  1. qu’Eskasoni renonce et mette fin à son acte discriminatoire qui consiste à refuser d’accorder des prestations d’aide sociale à des résidents de la réserve d’Eskasoni qui ne sont pas membres de la bande mais qui, autrement, sont admissibles;
  2. qu’Eskasoni verse à M. Dawson une somme forfaitaire correspondant aux prestations d’aide sociale auxquelles il avait droit pendant la période allant de juillet 1998 au 2 juin 2003, moins 100 $ pour chaque mois de cette période, plus les intérêts sur la somme forfaitaire pour la période comprise entre juillet 1988 et le 2 juin 2003. Les intérêts doivent être calculés conformément à la règle 9(12) des Règles de procédure provisoires du Tribunal;
  3. qu’Eskasoni inscrive le nom de M. Dawson sur la liste de ses bénéficiaires d’aide sociale au 2 juin 2003, afin qu’il reçoive les prestations d’aide sociale auxquelles il a droit à compter de cette date;
  4. qu’Eskasoni verse à M. Dawson une indemnité spéciale de 5 000 $ conformément au paragraphe 53(3) de la Loi, telle que libellée avant qu’elle ne soit modifiée. Cette indemnité n’ouvre pas droit au versement d’intérêts.

[15] Si elles sont incapables de s’entendre sur le montant à verser à M. Dawson au titre des prestations d’aide sociale ou sur les intérêts sur cette somme, les parties doivent en informer le Tribunal au plus tard le 15 juillet 2003. Je réserve ma compétence pour trancher ces questions dans une telle éventualité.

Signée par

J. Grant Sinclair

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 17 juin 2003

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T756/0603

Intitulé de la cause : Keith Dawson c. Bande indienne d’Eskasoni

Date de la décision du tribunal : Le 17 juin 2003

Date et lieu de l’audience : Sydney (Nouvelle-Écosse)

Comparutions :

Keith Dawson, pour lui même

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Charles Broderick, pour l'intimée

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