Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

ALAIN PARISIEN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMMISSION DE TRANSPORT RÉGIONALE D'OTTAWA-CARLETON

l'intimée

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2002-07-15

MEMBRE INSTRUCTRICE : Anne L. Mactavish

[TRADUCTION]

[1] Alain Parisien allègue que la Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton (OC Transpo) a fait preuve de discrimination à son endroit en omettant de remplir son obligation d'adaptation compte tenu de sa déficience et en mettant fin à son emploi, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. OC Transpo a licencié M. Parisien le 15 février 1996 pour absentéisme chronique. Au moment des incidents qui ont donné lieu à sa plaine, M. Parisien était membre de la section locale 279 du Syndicat uni du transport. À la suite du renvoi de M. Parisien, le syndicat a déposé un grief en son nom. Le grief a été entendu, dans le cadre d'un processus d'arbitrage accéléré, par l'honorable George Adams le 20 novembre 1998. Le 4 décembre 1998, M. Adams a rendu sa décision dans laquelle il a conclu qu'OC Transpo avait des motifs valables pour mettre fin à l'emploi de M. Parisien. Le grief a été rejeté en conséquence.

[2] Entre-temps, le 20 septembre 1996, M. Parisien a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant qu'OC Transpo avait omis de remplir son obligation d'adaptation compte tenu de sa déficience et ne lui avait pas permis de participer à un programme de réadaptation. Selon la plainte de M. Parisien, si OC Transpo avait pris en compte sa déficience, son emploi à l'entreprise se serait poursuivi. En avril 2002, la Commission a renvoyé la plainte relative aux droits de la personne de M. Parisien au Tribunal canadien des droits de la personne aux fins d'audition.

[3] OC Transpo conteste la compétence du Tribunal pour entendre la plainte de M. Parisien, soutenant que :

  1. la plainte relative aux droits de la personne de M. Parisien relevait de la compétence exclusive de l'arbitre du travail;
  2. du fait du principe de la chose jugée, le Tribunal n'a pas compétence pour entendre la plainte de M. Parisien, car l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question est en cause;
  3. parce que l'irrecevabilité fondée sue l'identité de la cause d'action s'applique à la présente affaire, le Tribunal n'a pas compétence pour l'entendre.

[4] La Commission canadienne des droits de la personne soutient que le Tribunal n'est pas l'institution indiquée pour examiner les observations d'OC Transpo à cet égard. Selon la Commission, OC Transpo a avancé des arguments similaires à ceux formulés devant le Tribunal lors du traitement de la plainte de M. Parisien par la Commission. Nonobstant les observations d'OC Transpo, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire au Tribunal aux fins d'audition. La Commission soutient que l'institution indiquée pour effectuer le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de renvoyer l'affaire au Tribunal est la section de première instance de la Cour fédérale du Canada. Le Tribunal n'a pas compétence pour examiner la conduite de la Commission.

[5] Chacune des questions sera abordée de façon consécutive, en commençant par les observations de la Commission relatives à la compétence du Tribunal pour entendre la requête d'OC Transpo.

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL POUR ENTENDRE LA REQUÊTE D'OC TRANSPO

[6] La Commission se fonde sur la décision du juge Gibson dans l'affaire Oster c. Section locale 400 (Section des services maritimes), International Longshormen's and Warehousemen's Union (1) pour appuyer son argument que le Tribunal n'a pas compétence pour entendre la requête d'OC Transpo.

[7] Dans l'affaire Oster, la Commission a décidé de proroger le délai prescrit pour le dépôt de la plainte, conformément à l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après que l'affaire a été renvoyée au Tribunal aux fins d'audition, l'intimé a déposé une requête préliminaire auprès du Tribunal en vue du rejet de la plainte de Mme Oster pour les quatre motifs suivants : la plainte a été déposée hors du délai fixé; des délais déraisonnables ont causé préjudice à l'intimé; il y a eu abus de procédure; l'irrecevabilité de la plainte en raison du principe de la chose jugée s'applique. Par la suite, le Tribunal a rejeté la requête de l'intimé. Dans le cadre du contrôle judiciaire, l'intimé a soulevé les questions suivantes, à savoir si le Tribunal : avait appliqué le mauvais critère afin de déterminer si l'intimé avait subi un préjudice en raison du délai dans le dépôt de la plainte; avait commis une erreur en déterminant que l'intimé ne pouvait se prévaloir du délai d'un an prévu dans la Loi; avait commis une erreur en omettant de considérer si la plainte constituait un abus de procédure. Il convient de mentionner que le juge Gibson ne s'est pas particulièrement arrêté à la décision du Tribunal quant au principe de la chose jugée.

[8] En concluant que le Tribunal avait commis une erreur dans sa décision qu'il avait compétence relativement aux objections préliminaires de l'intimé, le juge Gibson a indiqué que parce que l'intimé avait décidé de ne pas demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de proroger le délai prescrit à l'alinéa 41(1)e) de la Loi, ce dernier ne pouvait soulever de questions qui découlent directement de cette décision auprès du Tribunal.

[9] Bien qu'il ait été clairement établi dans la décision Oster que le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas compétence pour surveiller les mesures et les décisions prises par la Commission canadienne des droits de la personne, ce qui revient exclusivement à la Cour fédérale, je ne crois pas que la décision Oster appuie la position de la Commission dans le cas présent.

[10] Selon la Commission, la requête présentée par OC Transpo constitue une contestation de la décision de la Commission de renvoyer la plainte de M. Parisien au Tribunal. Si tel était le cas, une telle contestation aurait dû être présentée à la Cour fédérale.

[11] Toutefois, la requête d'OC Transpo ne constitue pas une demande de contrôle judiciaire par le Tribunal de la décision de la Commission de renvoyer le cas de M. Parisien au Tribunal. Plutôt, OC Transpo conteste la compétence du Tribunal pour entreprendre la procédure pour les motifs énoncés ci-dessus.

[12] Bien que le Tribunal ne puisse réexaminer les décisions de la Commission, il ne s'ensuit pas de la décision Oster qu'une fois qu'une décision discrétionnaire est rendue par la Commission, conformément à l'article 41 ou 44 de la Loi, le Tribunal n'a pas du tout compétence pour examiner les faits sous-jacents qui donnent lieu à la contestation. La question des délais illustre ce point. Bien que le Tribunal n'ait pas compétence pour réexaminer une décision de la Commission en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi touchant l'instruction d'une plainte déposée passée le délai d'un an, le Tribunal peut néanmoins considérer si le délai avant l'ouverture des audiences (y compris le temps écoulé entre la décision de la Commission et l'audience) a fait de sorte que la tenue d'une audition équitable soit impossible (2).

[13] Dans le cas présent, il convient de tenir compte des pouvoirs qu'exerce la Commission au stade de l'enquête. La Commission est un organisme d'examen et non un organisme décisionnel et, à l'encontre du Tribunal, n'est pas habilitée à rendre des décisions touchant des questions de droit générales (3). Après avoir reçu les observations d'OC Transpo relativement au principe de la chose jugée, la Commission pouvait exercer ou non son pouvoir discrétionnaire, conformément à l'article 44 de la Loi, et refuser de renvoyer la plainte de M. Parisien au Tribunal aux fins d'audition parce qu'une enquête n'était pas justifiée ou pour tout autre motif énoncé à l'alinéa 41c), d) ou e). La Commission n'était toutefois pas habilitée à statuer sur la question à savoir si le principe de la chose jugée s'appliquait, privant ainsi la Commission (et partant le Tribunal) de sa compétence. Comme l'a signalé la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Société canadienne des postes c. Barrette, au stade de l'enquête :

[...] la Commission devait pour le moins examiner la décision de l'arbitre pour déterminer si, à la lumière de cette décision et des conclusions de l'arbitre quant aux faits et à la crédibilité des intervenants, la plainte ne s'inscrivait pas dans les critères énoncés à l'alinéa 41(1)d), et non pour déterminer si elle doit se conformer à la décision de l'arbitre (4)

[14] De toute évidence, il revient au Tribunal d'examiner les limites de sa propre compétence et de trancher toute question procédurale ou en matière de preuve relative à une plainte (5). Par conséquent, je suis satisfaite que j'ai compétence pour entendre la requête d'OC Transpo.

COMPÉTENCE EXCLUSIVE DE L'ARBITRE EN VERTU DE LA CONVENTION COLLECTIVE

[15] M. Parisien a travaillé à OC Transpo comme conducteur d'autobus à temps plein de novembre 1977 au 15 février 1996. M. Parisien aurait souffert du syndrome de stress post-traumatique ainsi que d'insomnie chronique. Bien que je n'aie pas l'intention de passer en revue de façon détaillée à ce point-ci les antécédents d'assiduité de M. Parisien pour les besoins de la présente requête, il suffit de dire que M. Parisien a éprouvé des difficultés considérables à se présenter régulièrement au travail en raison de ses maladies. Selon les dossiers d'OC Transpo, entre janvier 1984 et février 1996, M. Parisien s'est absenté pendant 1 664 jours complets et 33 jours partiels. Le 15 octobre 1996, OC Transpo a mis fin à l'emploi de M. Parisien pour absentéisme involontaire chronique.

[16] Le 21 février 1996, le syndicat de M. Parisien a déposé un grief en son nom. Il est indiqué sur le formulaire que le grief a été déposé pour renvoi injustifié. Tel qu'il a été indiqué ci-dessus, le grief a été rejeté. OC Transpo conteste maintenant la compétence du Tribunal pour instruire la plainte de M. Parisien, soutenant qu'en vertu des principes établis par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Weber c. Hydro Ontario (6) et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (City) Board of Police Commissioners (7), un arbitre a compétence exclusive pour examiner toute question qui découle d'une convention collective.

[17] Dans l'affaire Weber, la Cour suprême du Canada a déterminé que lorsqu'un différend découle essentiellement d'une convention collective, le plaignant doit donner suite à sa plainte dans le cadre du processus d'arbitrage. Pour les motifs énoncés dans ma décision antérieure dans l'affaire Eyerley c. Seaspan International Limited (8), je suis d'avis que l'affaire Weber n'établit pas la proposition selon laquelle les arbitres du travail et le processus d'arbitrage des plaintes relatives aux droits de la personne prévus par la Loi ne peuvent avoir des compétences concurrentes. Parallèlement, je suis satisfaite que la décision dans l'affaire Regina Police peut facilement être distinguée de la situation actuelle. De plus, je ne suis pas convaincue que la nature essentielle de la plainte relative aux droits de la personne présentée par M. Parisien découle de la convention collective (9). Plutôt, la plainte de M. Parisien est fondée sur le présumé manquement d'OC Transpo à ses obligations prescrites par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

APPLICATION DU PRINCIPE DE L'IRRECEVABILITÉ FONDÉE SUR L'IDENTITÉ DE LA QUESTION

[18] OC Transpo soutient qu'en vertu du principe de la chose jugée, le Tribunal n'a pas compétence pour entendre la plainte de M. Parisien, car l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question s'applique. La raison d'être de l'irrecevabilité est d'empêcher les parties de contester de nouveau les questions qui ont fait l'objet de décisions antérieures. Trois éléments essentiels déterminent l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question :

  1. la même question doit être tranchée dans chaque procédure;
  2. la décision qui donne lieu à l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question est finale;
  3. les parties aux deux procédures sont les mêmes ou ont connexité d'intérêts (10).

Selon OC Transpo, les trois conditions sont réunies dans le cas présent.

[19] L'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question est une doctrine d'intérêt public qui a été conçue pour promouvoir les intérêts de la justice (11). Sa raison d'être est d'empêcher les parties d'intenter une nouvelle action relativement à des questions qui ont déjà été tranchées lors de procédures antérieures. Les considérations de principe qui sous-tendent cette doctrine comprennent la nécessité de mettre fin aux litiges ainsi que le souci de protéger les individus contre des actions judiciaires multiples intentées pour les mêmes circonstances (12). Des inquiétudes ont également été soulevées concernant le coût des procédures répétées ainsi que le risque de résultats incohérents lorsqu'une même question est entendue par divers tribunaux (13).

[20] Bien que des requêtes de cette sorte soient souvent présentées lors de procédures devant le Tribunal canadien des droits de la personne, je tiens à souligner que des doutes persistent quant à savoir si les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne ont modifié la common law relativement à l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question, empêchant son application dans des circonstances comme celles dans le cas présent (14).

[21] Le décideur a une marge de manœuvre et peut refuser d'appliquer l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question dans les cas où cette application serait contraire aux intérêts de la justice (15). Nonobstant des considérations d'ordre législatif, les tribunaux spécialisés se sont montrés réticents à appliquer, pour des motifs de politique, le principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question en vue de déterminer les plaintes relatives aux droits de la personne (16).

[22] Supposons, pour les besoins de la présente requête, que la décision rendue par un autre tribunal administratif fait en sorte qu'un plaignant ne puisse déposer une plainte relative aux droits de la personne au niveau fédéral, il reste à déterminer si les circonstances dans cette affaire entraînent l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question.

(i) S'agit-il de la même question à trancher dans chaque procédure?

[23] OC Transpo fait valoir que le principe arbitral de l'absentéisme involontaire, c'est-à-dire qu'un employeur a le droit de toucher les bénéfices qui lui reviennent aux termes du contrat d'emploi, est corrélé à l'obligation d'adaptation de l'employeur, sans toutefois subir de contrainte excessive. Afin de déterminer si le renvoi d'un employé est justifié, l'arbitre du travail doit se demander si l'absentéisme était attribuable à une déficience, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et, dans l'affirmative, si l'employeur a rempli son obligation d'adaptation envers l'employé au point de subir une contrainte excessive (17).

[24] Dans le cas présent, OC Transpo soutient que le syndicat qui représente M. Parisien a nettement présenté la question touchant l'obligation d'adaptation de l'employeur à l'égard de M. Parisien à l'arbitre Adams, et que M. Adams s'est penché sur cette question et a conclu que la norme en matière de contrainte excessive avait été satisfaite. C'est pourquoi OC Transpo affirme que le cas présent peut être distingué de la décision rendue par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Ford Motor Co. of Canada c. Ontario (Commission des droits de la personne) (18).

[25] La Commission a fait valoir que la question que devait trancher l'arbitre Adams consistait à savoir si le licenciement de M. Parisien par OC Transpo était injuste, tandis que la question dont est saisi le Tribunal consiste à savoir s'il y a eu manquement aux obligations énoncées à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[26] Je suis d'avis que la question que devait trancher l'arbitre Adams n'est pas la même que celle sur laquelle le Tribunal doit se prononcer. Il est évident, suivant la décision de M. Adams, ainsi que du formulaire de grief et des observations formulées par les parties au processus d'arbitrage, que bien que les parties aient de toute évidence invoqué la Loi canadienne sur les droits de la personne, en bout de ligne, l'arbitre devait déterminer si le renvoi de M. Parisien par OC Transpo était injuste. Par contre, le présent Tribunal doit déterminer si M. Parisien a fait ou non l'objet d'un acte discriminatoire, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. On peut en outre faire remarquer que les droits en cause dans le grief déposé au nom de M. Parisien sont des droits privés aux termes d'une convention collective, qu'ont conclue le Syndicat uni du transport et OC Transpo. Par contre, les droits dont il est fait mention dans la plainte relative aux droits de la personne de M. Parisien sont quasi constitutionnels, droits qui s'inscrivent dans la politique officielle et qui reflètent les intérêts plus larges du public (19).

(ii) S'agit-il d'une décision finale?

[27] Le Code canadien du travail prévoit qu'une décision rendue par un arbitre est finale et qu'elle lie les parties, sous réserve seulement d'un contrôle judiciaire en raison d'une erreur juridictionnelle. Aucune procédure pour contrôle judiciaire n'a été entamée relativement à la décision de l'arbitre Adams.

[28] M. Parisien a indiqué qu'il n'était pas au fait d'autres recours possibles pour contester la décision de l'arbitre Adams, et qu'il avait présumé que la décision de l'arbitre était finale.

[29] Parce qu'une demande de contrôle judiciaire n'a pas été présentée dans les délais prescrits, je suis d'avis que l'exigence en matière d'irrévocabilité a été établie.

(iii) Est-ce que les parties aux deux procédures sont les mêmes?

[30] Le dernier élément essentiel entraînant l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question tient au fait que les parties aux deux procédures sont les mêmes ou qu'elles ont connexité d'intérêts. Les parties au grief de M. Parisien étaient OC Transpo et le Syndicat uni du transport. Je suis prête à reconnaître que le Syndicat uni du transport a connexité d'intérêts avec M. Parisien.

[31] Les parties à la présente procédure sont M. Parisien, OC Transpo et la Commission canadienne des droits de la personne. Selon OC Transpo, le fait que la Commission ne soit pas une partie à la procédure relative au grief ne devrait pas empêcher de conclure à l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question dans le cas présent. Selon OC Transpo, afin d'établir le bien-fondé de la plainte, la Commission doit montrer qu'il y a eu discrimination en s'appuyant sur les mêmes faits que ceux qui ont été présentés à M. Adams. Cela entraînerait une nouvelle action relativement à la même question ainsi qu'au nom du même plaignant. OC Transpo est d'avis que la Commission peut être vue comme ayant connexité d'intérêts avec M. Parisien.

[32] Suivant l'examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il est clairement établi que la Commission et M. Parisien sont toutes deux parties à la procédure, conformément à la Loi (20). Chacun joue un rôle distinct dans la procédure devant le Tribunal (21). La Commission ne représente pas M. Parisien. Plutôt, il revient à la Commission de représenter l'intérêt public (22), ce qui reflète la nature quasi constitutionnelle des droits garantis par la Loi. À mon avis, la conclusion selon laquelle la Commission a connexité d'intérêts avec un plaignant serait contraire aux considérations de principe qui sous-tendent la Loi. Une telle conclusion entraverait la capacité de la Commission canadienne des droits de la personne à adopter une position dans l'intérêt du public, en raison des conclusions dans d'autres procédures dont elle ne serait pas au fait et auxquelles elle n'aurait pas la possibilité de participer.

[33] Ayant conclu que la Commission n'a pas connexité d'intérêts avec M. Parisien, il s'ensuit que les parties aux deux procédures ne sont pas les mêmes, et partant, que le troisième élément essentiel à l'établissement de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question est absent.

[34] Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que le principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question soit en cause dans le cas présent. Je note également que même si les trois éléments essentiels à l'établissement de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question sont présents, les décideurs ont une certaine marge de manœuvre leur permettant de refuser d'appliquer le principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question, là où cela entraînerait une injustice (23). À mon avis, il y a plusieurs raisons pour lesquelles il conviendrait d'exercer ce pouvoir dans le cas présent. Le grief de M. Parisien a fait l'objet d'un traitement dans le cadre du processus d'arbitrage accéléré, processus qui vise à ne pas porter préjudice à l'une ou l'autre partie. Peut-être qu'en raison de la nature accélérée du processus d'arbitrage, la décision de l'arbitre ne fait nullement mention de la Loi canadienne sur les droits de la personne ni de tout texte de droit relatif aux droits de la personne. En outre, elle ne fait pas mention du concept de la contrainte excessive. En effet, toute la question de l'obligation d'adaptation a été abordée dans deux phrases seulement. Dans les circonstances, même si les éléments nécessaires étaient réunis pour établir l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question, je refuserais de juger la cause irrecevable.

APPLICATION DU PRINCIPE DE L'IRRECEVABILITÉ FONDÉE SUR L'IDENTITÉ DE LA CAUSE D'ACTION

[35] OC Transpo invoque également le principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action, faisant valoir que, dans la mesure où les intérêts de la Commission diffèrent de ceux de M. Parisien, le principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action s'applique; ainsi, le Tribunal n'a pas compétence pour entendre l'affaire.

[36] Au même titre que l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question, l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action est un aspect du principe de la chose jugée touchant la preuve, suivant lequel une partie qui a intenté une action et a été déboutée est empêchée d'intenter une seconde action afin de faire révoquer la décision dans la procédure antérieure. Alors que l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question empêche une partie de présenter de nouveaux arguments entourant une question qui a déjà été tranchée, l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action interdit l'affirmation, dans une seconde action, de revendications qui auraient dû être soulevées dans l'action antérieure, ce qui permet d'empêcher les poursuites par étapes (24).

[37] Dans ses observations relatives à la présente question, OC Transpo a réitéré son argument que M. Adams s'est prononcé sur sa compétence à entendre la question relative aux droits de la personne qui était en cause dans la plainte, et a tranché la question en rejetant le grief de M. Parisien. OC Transpo soutient que donner suite à la plainte de M. Parisien représenterait une poursuite par étape.

[38] J'ai certaines réserves concernant les observations d'OC Transpo qui portent sur l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action, compte tenu de son affirmation que M. Adams s'est prononcé sur sa compétence à examiner la question des droits de la personne et qu'il a tranché cette question dans le cadre du processus d'arbitrage. Tel qu'il a été indiqué ci-dessus, lorsqu'une question est soulevée puis tranchée dans une action antérieure impliquant les mêmes parties, il s'agit du principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question et non du principe de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action. J'ai déjà abordé la question de l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la question ci-dessus dans la présente décision.

[39] Par contraste, l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action entrerait en ligne de compte lorsqu'une partie n'a pas soulevé une cause d'action lors d'une action antérieure, cause qui aurait de fait dû l'être (25). En pareilles circonstances, l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action pourrait servir à empêcher une même partie d'affirmer lors d'actions ultérieures qu'une nouvelle cause d'action découle de la même situation. Je ne crois pas comprendre qu'OC Transpo affirme que bien que la question de discrimination n'ait pas été présentée à M. Adams, elle aurait dû l'être, et que cette omission entraîne l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action, ce qui prive le Tribunal de sa compétence.

[40] Comme je l'ai mentionné antérieurement, la question des obligations d'OC Transpo en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été soulevée dans le processus d'arbitrage, même si c'était dans le contexte de l'examen de la question à savoir s'il y avait eu ou non violation des droits contractuels en vertu de la convention collective. Par conséquent, il ne s'agit pas d'une situation entraînant l'irrecevabilité fondée sur l'identité de la cause d'action.

EFFETS DES CHANGEMENTS APPORTÉS À LA POLITIQUE RELATIVE À L'ABSENTÉISME D'OC TRANSPO

[41] Enfin, OC Transpo soutient que la question à savoir si sa politique relative à l'absentéisme est contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne n'est plus pertinente, car la politique a depuis été modifiée. Dans les circonstances, l'intérêt à éviter les procédures répétées l'emporte sur l'intérêt public que pourrait avoir la Commission dans la présente procédure.

[42] Il me semble que le fait que la politique relative à l'absentéisme d'OC Transpo ait depuis été modifiée pourrait comporter des répercussions sur le redressement éventuellement accordé, dans la mesure où la plainte de M. Parisien serait accueillie, mais ne devrait comporter aucune incidence sur la question à savoir si le Tribunal a compétence pour entendre la plainte de M. Parisien.

[43] À la lumière des motifs susmentionnés, la requête d'OC Transpo est rejetée.

Originale signée par

Anne L. Mactavish

WINNIPEG (Manitoba)

Le 15 juillet 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO du dossier du Tribunal : T699/0402

INTITULÉ DE LA CAUSE : Alain Parisien c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 15 juillet 2002

ONT COMPARU :

Alain Parisien Pour lui-même

Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Stephen Bird Pour l'intimée

1. 1 [2001] A.C.F. no 1533.

2. 2 Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), [2000] 2 R.C.S. 307.

3. 3 Se reporter au paragraphe 50(2) de la Loi. Voir également Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, p. 891.

4. 4 [2000] 4 C.F. 145, p. 157 (C.A.F.).

5. 5 Se reporter à l'alinéa 50(3)e) de la Loi.

6. 6 [1995] 2 R.C.S. 929.

7. 7 [2000] 1 R.C.S. 360.

8. 8 Décision no 2, 2000-08-02.

9. 9 À cet égard, il convient de souligner que la convention collective en vigueur, qu'avaient conclue OC Transpo et le Syndicat, ne renfermait pas de clause d'interdiction de discrimination.

10. 10 Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248.

11. 11 Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] S.C.J. no 46.

12. 12 Angle, supra., p. 267, J. Laskin (opinion dissidente).

13. 13 Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 17 O.R. (3d) 267 (C.A. de l'Ont.).

14. 14 Canada (P.G.) c. Commission canadienne des droits de la personne et al., (1991) 43 F.T.R. 47, p. 69 (1 re inst. C.F.).

15. 15 Minott c. O'Shanter Development Co., [1999] O.J. no 5, para. 23 (C.A. de l'Ont.), para. 49-50.

16. 16 Société canadienne des postes c. Barrette, [1999] 2 C.F. 250; (1998), 15 Admin. L.R. (3d) 134; 157 F.T.R. 278, para. 79. (Révisée pour d'autres motifs [2000] 4 C.F. 145 [C.A.F.]).

17. 17 Section locale 7884, Syndicat des métallurgistes unis d'Amérique c. Ford Coal, [1999] B.C.J. no 2109, (B.C.C.A.). Voir aussi Air BC Ltd. and C.A.L.D.A., Re, 50 S.A.C. (4e) 93.

18. 18 [2001] O.J. no 4937, demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada [2002] C.S.C.A. no 69 (C.S.C.). Dans l'affaire Ford, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que le plaignant ne peut être empêché de déposer une plainte relative aux droits de la personne lorsque l'arbitre n'a pas abordé la question de l'existence ou non d'un milieu de travail défavorable. Par conséquent, la Cour a statué que l'arbitre ne s'était pas penché sur cette question.

19. 19 Commission des droits de la personne de la Saskatchewan c. Cadillac Fairview Corporation Ltd., [1999] S.J. n o 217 (C.A. de la Saskatchewan), para. 20.

20. 20 Paragraphe 50(1).

21. 21 Premakumar c. Air Canada, décision no 2, 2002-04-26.

22. 22 Article 51.

23. 23 Danyluk, supra.

24. 24 Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, (2e éd.), p. 1078 et suivantes. Cela a été décrit comme le principe du pouvoir et du devoir (Lange, The Law of Res Judicata in Canada, p. 113).

25. 25 Sopinka, ibid., p. 1079.

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