Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

CAROL COOK

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PREMIÈRE NATION D'ONION LAKE

l'intimée

DÉCISION SUR LA REQUÊTE DE LA COMMISSION CANADIENNE

DES DROITS DE LA PERSONNE

POUR AMENDER LA PLAINTE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Paul Groarke, membre

Décision no 1

2002/04/22

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LES QUESTIONS DE DROIT

III. LA QUESTION DE COMPÉTENCE

IV. LE PRÉJUDICE

V. L'ESPÈCE

VI. LA DÉCISION

I. INTRODUCTION

[1] La plaignante a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne le 7 octobre 1999. Dans la plainte, elle allègue que la Première nation d'Onion Lake [traduction] [m']a traitée d'une manière discriminatoire lorsqu'elle n'a pas retenu [ma] candidature au programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle, à cause de ma déficience (hépatite C), contrairement aux dispositions de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] La formule de plainte porte, notamment, les renseignements détaillés suivants :

Le ou vers le 20 septembre 1999, j'ai présenté ma candidature à un programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle, d'une durée de six mois, dispensé par le centre d'apprentissage. Toutes les demandes devaient être soumise au bureau du bien-être social de l'intimée. Pour être admissible au programme, il fallait être bénéficiaire d'aide sociale, ne pas avoir consommé de drogue ou d'alcool depuis au moins six semaines, ne pas avoir à ce moment de démêlés avec la justice et être en mesure d'assister aux cours, quotidiennement, durant six mois. Je suis d'avis que je répondais à tous les critères [d'admission] énoncés par l'intimé.

Le 7 octobre 1999, j'ai téléphoné à ma travailleuse sociale, Mme Bonnie Whitstone, au sujet du résultat de ma demande. Mme Whitstone m'a renvoyée à la directrice du développement social, Mme Marvina Pete. Le même jour, j'ai téléphoné à Mme Pete et cette dernière m'a alors dit que je n'avais pas été retenue aux fins du programme à cause de mon état de santé, à savoir à cause de l'hépatite C.

La conversation entre Mme Cook et Mme Pete semble faire l'objet d'un litige.

[3] Le 18 décembre 2001, la Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne d'instruire la plainte. Le Tribunal a par la suite envoyé un questionnaire à toutes les parties dans le cadre de sa planification de l'instruction. Le 7 février 2002, la Commission a retourné le questionnaire, indiquant qu'elle souhaitait déposer une requête :

[Traduction] … modifier la formulation de la plainte par l'ajout des mots et/ou l'alcoolisme après les mots hépatite C au premier paragraphe de ladite plainte.

Le Tribunal a fixé une date d'audience et a ordonné à la Commission de déposer ses observations sur la requête pour amender la plainte, au plus tard le 1er mars.

[4] La Commission a communiqué ses observations sur la requête, au moyen d'une lettre. Ladite lettre porte ce qui suit :

[Traduction] Les motifs de la requête sont que l'intimée a avisé la Commission que la candidature de la plaignante n'avait pas été retenue aux fins du programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle parce qu'elle a un sérieux problème d'alcool.

La même lettre renvoie ensuite à une lettre de George Forsyth, directeur des opérations à la Première nation d'Onion Lake. Une copie de la lettre de ce dernier est incluse dans un cahier de preuve documentaire produit par la Commission; il y répond à un certain nombre de questions écrites de Mme Wheatley, enquêtrice à la Commission canadienne des droits de la personne.

[5] Dans sa réponse à l'une des questions, M. Forsyth a écrit ce qui suit :

[Traduction]
4. Pourquoi la candidature de Mme Cook n'a-t-elle pas été retenue aux fins du programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle?

Pour être franc, Mme Cook a un grave problème d'alcool. Elle n'a pas tenté de participer à quelque forme de réadaptation que ce soit relativement à son problème. Elle a perdu ses enfants à cause de sa consommation abusive d'alcool et, malgré cette épreuve, continue à en consommer.

Vous prendrez note, à la lecture de la formule de demande (point no 4) que la personne qui pose sa candidature doit signer une déclaration d'abstinence d'alcool et de drogue durant au moins les six semaines qui précèdent la date de la demande. Mme Cook n'a pas pu satisfaire à cette condition.

M. Forsyth a aussi déclaré que l'hépatite C n'a jamais été prise en compte dans la décision à savoir si la candidature de Mme Cook devait être retenue aux fins du programme.

[6] Le 11 mars, la Première nation d'Onion Lake a présenté ses observations sur la requête de la Commission. Dans son exposé, au paragraphe 8, elle soutient que [traduction] la modification demandée est substantielle et représente un changement important de la plainte qui aura pour effet de modifier complètement la nature et la portée de l'instruction. Au paragraphe 9, elle ajoute ce qui suit :

[Traduction] L'allégation … selon laquelle Mme Cook a fait l'objet d'un acte discriminatoire parce qu'elle ne s'était pas abstenue de consommer de l'alcool et de la drogue durant au moins les six semaines qui précédaient la date de sa demande représente une instruction d'une portée beaucoup plus vaste, y compris l'objet du programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle, et peut donner lieu à la question de motif justifiable d'une privation ou de l'établissement d'une distinction au sens de l'alinéa 15(1)g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La modification demandée entraînera une audience beaucoup plus longue et plus complexe que l'audience de la plainte telle qu'elle est présentement formulée, concernant l'hépatite C.

L'intimée ajoute à son argument et se plaint que la Commission était au courant des faits à l'origine de sa requête plus de deux ans avant de la présenter.

[7] Onion Lake soulève ensuite une question de compétence. Elle soutient que le Tribunal ne peut procéder que sur renvoi de la Commission. Étant donné que la question de l'alcoolisme n'a jamais été soulevée dans le cadre de l'enquête initiale, la Commission n'a pas renvoyé la plainte concernant l'alcoolisme au Tribunal. Il s'ensuit que [traduction] les conditions réglementaires prescrites pour l'exercice de la compétence du Tribunal n'existeraient pas, si l'amendement demandé devait être permis.

[8] Le 19 mars, dans une lettre, la Commission a répliqué aux observations susmentionnées. Elle a allégué ce qui suit :

[Traduction] La jurisprudence est claire sur le fait que même lorsqu'un amendement se rapporte à une question de fond, le Tribunal peut ordonner l'amendement. Le seul facteur dont le tribunal doit tenir compte consiste à savoir si le fait de rendre une ordonnance ayant pour effet d'amender une plainte causera un préjudice à un intimé.

La Commission soutient que l'intimée n'a pas subi de préjudice réel dans la cause immédiate. Elle rejette aussi la proposition selon laquelle [traduction] du point de vue de la question de compétence, une plainte doit avoir été l'objet d'une enquête au même motif que celui qui est l'objet de l'instruction du Tribunal.

II. LES QUESTIONS DE DROIT

[9] Il existe deux questions de droit distinctes dans la cause immédiate. La première consiste à savoir si le Tribunal a compétence pour instruire une plainte que n'a pas examinée la Commission. La deuxième est simplement celle de savoir quand un amendement doit être permis. L'intimée a exprimé sa préoccupation, dans un tel contexte, au sujet de la question du délai. La nécessité d'examiner la jurisprudence relativement aux deux questions de droit susmentionnées deviendra manifeste.

III. LA COMPÉTENCE

[10] Les éléments essentiels de l'argument concernant la compétence sont relativement simples. Aux termes du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission canadienne des droits de la personne peut demander au Tribunal d'instruire une plainte. Le paragraphe 49(2) porte en outre que le président du Tribunal, sur réception de la demande, désigne un membre, ou trois membres, pour instruire la plainte. Il s'ensuit que la décision de faire instruire une plainte est du ressort de la Commission plutôt que de celui du Tribunal. L'article 50 de la Loi énonce les pouvoirs du Tribunal et confère au membre, ou aux membres, le pouvoir d'instruire la plainte.

[11] La jurisprudence est centrée sur les faits de chaque cause, plutôt que sur les questions de droit. Elle établit que le mot plainte doit être interprété dans son sens large, d'une manière qui englobe toute la portée des allégations de la partie plaignante. Il arrive à un point, toutefois, où la modification d'une plainte ne peut plus être réputée un simple amendement et où elle constitue fondamentalement une nouvelle plainte (1). Il ne peut être dit, dans de telles circonstances, que la Commission a demandé une instruction et le Tribunal n'a pas compétence pour procéder.

[12] La Cour fédérale a traité de la compétence de la Commission pour amender une plainte. Dans l'affaire la plus récente où elle en a traité, Bell Canada c. S.C.C.É.P., [1998] A.C.F. no 1609 (QL), au paragraphe 45, la Cour d'appel fédérale a déclaré qu'il peut être du devoir d'un enquêteur de suggérer la modification de la plainte afin qu'elle soit conforme aux éléments de preuve.

Il ne serait d'aucune utilité d'exiger que l'enquêteur, dans un tel cas, recommande le rejet de la plainte en raison de vices et exige le dépôt d'une nouvelle plainte de la part du plaignant ou de la part de la Commission elle-même en vertu du paragraphe 40(3) de la Loi. Cela reviendrait à ériger, dans la législation sur les droits de la personne, le genre de barrières procédurales contre lesquelles la Cour suprême du Canada s'est prononcée.

Dans une autre affaire, subséquente, Tiwana c. Canada (C.C.D.P.), [2000] A.C.F. no 1955 (C.F.1re inst.), paragraphe 32, la Section de première instance de la Cour fédérale a permis à un plaignant de modifier une plainte pour le motif de discrimination fondée sur l'âge.

[13] Les affaires susmentionnées traitent, toutefois, de modifications au cours d'une enquête. Les circonstances ne sont pas les mêmes une fois que le Tribunal a été saisi d'une plainte. Dans I.M.P. Group Limited c. Dillman (1995), 24 C.H.R.R. D/529, par exemple, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a critiqué une commission d'enquête parce que cette dernière avait permis une modification qui allait au-delà des faits de la plainte initiale. Au paragraphe 35, page 332, la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction] Ainsi que le dit l'avocat de la société, il ne s'est pas simplement agi d'une extension, élaboration ou clarification de la plainte de harcèlement sexuel déjà devant la commission d'enquête. Soulever une nouvelle plainte à l'étape de l'audience contournerait tout le processus législatif qui est structuré de manière à permettre des tentatives de conciliation et de règlement. Cette question n'a pas été l'objet des étapes préliminaires d'enquête, de conciliation et de renvoi par la Commission pour faire instruire la plainte en vertu de l'alinéa 32a) de la Loi. La commission d'enquête a traité d'une question dont elle n'avait jamais été saisie.

La Commission serait la dernière à avancer que le Tribunal a le droit d'ouvrir une instruction sans renvoi de la Commission.

IV. LE PRÉJUDICE

[14] La deuxième question de droit en l'espèce consiste à savoir quand il est indiqué de permettre un amendement. La Commission a invoqué Cousens c. Association des infirmières et infirmiers du Canada (1981), 2 C.H.R.R. D/365, où une commission d'enquête de l'Ontario a examiné une plainte au motif de discrimination liée à l'origine ancestrale. Au début de l'audience, la Commission a demandé à la commission d'enquête d'examiner deux autres motifs de discrimination, la nationalité et le lieu d'origine. La commission d'enquête a rejeté l'objection de l'intimée, en se fondant sur le fait qu'il était dans l'intérêt public que tous les aspects d'une plainte soient entendus dans le cadre d'une seule audience. Il n'existait aucune raison de limiter la description précise des faits devant la commission d'enquête au motif spécifique énoncé dans la plainte.

[15] La commission d'enquête dans Cousens a néanmoins statué qu'un intimé doit être avisé de toute modification suffisamment à l'avance pour lui permettre de préparer sa réplique. L'amendement ne doit pas être accordé s'il cause un préjudice à l'intimé. Le corollaire est également exact. Dans Canada (P.G.) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228 (C.A.F.), la Cour d'appel a statué qu'un tribunal pouvait rendre des conclusions de discrimination en vertu de l'article 10 de la Loi canadienne des droits de la personne, même si la plainte avait été déposée en vertu de l'article 7. La Cour a statué, à la page 248, que les allégations présentées en vertu des divers articles ne pouvaient être distinguées l'une de l'autre sur le plan pratique. Étant donné l'absence de preuve de préjudice effectivement subi, le tribunal était dûment saisi en vertu des deux articles de la Loi.

[16] Le même raisonnement a été retenu dans d'autres causes. Dans Tabar & Lee c. Scott and Westend Construction Limited (1982), 3 C.H.R.R. D/1073, une commission d'enquête de l'Ontario a traité d'un certain nombre de questions préliminaires. Ce faisant, elle a établi une distinction entre la forme et le fond de la plainte. Cette distinction a été appliquée dans Barnard c. Fort Frances Board of Police Commissioners (1986) 7 C.H.R.R. D/3167 (Comm. d'enq. de l'Ont.) et Renaud c. School District No. 23, (1987) 8 C.H.R.R. D/4255 (B.C.H.R.C.). Dans les trois causes susmentionnées, il a été conclu qu'un tribunal ne devait pas adopter une approche stricte eu égard aux détails spécifiques propres à chaque plainte. Un tribunal est fondamentalement tenu d'entendre le fond de la plainte dont il est saisi.

[17] La règle de pratique est par conséquent que les questions qui découlent d'un même ensemble de circonstances factuelles devraient normalement être entendues ensemble. Il s'agit là d'une règle juridique générale, qui rehausse l'efficience de la procédure et prévient la possibilité de décisions incompatibles. Dans le contexte des droits de la personne, cette règle reconnaît aussi le fait inévitable que les plaintes sont habituellement déposées avant la tenue d'une enquête en profondeur, sans avoir bénéficié d'un examen juridique. Elles sont donc souvent imprécises. Il s'ensuit, au plan pratique, que les commissions et les tribunaux doivent disposer d'un certain pouvoir de modifier les plaintes de manière à ce qu'elles soient conformes au droit et à la preuve.

[18] Il convient d'observer que le préjudice a servi de critère dans d'autres contextes. Dans Uzoaba c. Canada (Service correctionnel) (1994), 26 C.H.R.R. D/361 (T.C.D.P.), par exemple, la Commission a voulu introduire des éléments de preuve au sujet d'événements survenus avant les faits ayant donné lieu à la plainte. L'intimé a alors soutenu que la décision de la Commission d'élargir la portée de la plainte irait à l'encontre des principes de justice naturelle. Dans sa décision défavorable à la Commission, ce tribunal a statué que l'introduction de tels éléments de preuve porterait préjudice à l'intimé et devait donc être refusée.

[19] La question des amendements, ou modifications, a revêtu un caractère prééminent dans le contexte des allégations de représailles de l'intimé contre un plaignant parce que ce dernier avait déposé une plainte. Dans Kavanagh c. S.C.C. (31 mai 1999), T505/2298 (T.C.D.P.), la présidente du tribunal a repris le même raisonnement que la Commission d'enquête de l'Ontario dans Entrop c. Compagnie pétrolière impériale Ltée (1994) 23 C.H.R.R. D/186, paragraphe 9 :

[Traduction] Il serait difficile au plan pratique, inefficace et injuste d'exiger que les personnes présentent des allégations de représailles seulement dans le cadre d'une procédure distincte. Cela les obligerait à se placer au bas de la liste d'attente en vue de la tenue d'une enquête, d'une conciliation et d'une décision sur des questions fondamentalement liées à la procédure déjà en cours. Dans la mesure où des représailles seraient destinées à intimider ou à empêcher un plaignant de tenter de faire appliquer ses droits en vertu du Code, cela porterait atteinte à l'intégrité de la procédure initiale et reviendrait à se moquer de l'objet évident du Code qui est de protéger les plaignants contre les conséquences négatives qui pourraient découler d'une demande de protection en vertu du Code. Il convient de traiter des allégations de représailles dans le contexte de la plainte initiale.

La même démarche a été suivie dans Fowler c. Flicka Gymnastics Club, 31 C.H.R.R. D/397 (B.C.H.R.C.), où la partie plaignante a soutenu que l'amendement découlait [traduction] des faits constituant le fondement de la plainte initiale.

[20] La règle concernant les allégations de représailles peut probablement être considérée comme une exception à la pratique générale en matière d'amendement. Cette pratique semble être que les amendements seront normalement permis s'ils ne modifient pas le fond de la plainte, tel qu'il est reflété dans les faits pertinents de la cause. Par ailleurs, un amendement qui porterait préjudice à la cause de l'intimé ne devrait pas être permis. La jurisprudence ne traite pas du degré de préjudice qui suffit pour justifier un refus d'amender, mais il doit s'agir d'un préjudice réel et important. Il faut qu'il existe un préjudice effectivement subi. Il peut aussi exister des facteurs implicitement préjudiciables, comme le retard. Ces facteurs pourraient inclure la perte de l'enquête et du processus de conciliation.

[21] Dans certaines affaires, un retard semblerait revêtir un caractère préjudiciable inhérent. Dans Canada (P.G.) c. Canada (C.C.D.P.) (1991) 36 C.C.E.L. 3 (C.F., 1re inst.), [1991] A.C.F. no 334 (QL), le juge Muldoon a statué que la Commission ne pouvait amender une plainte sans exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai prescrit pour le dépôt d'une plainte. Dans E.C.W., Local 916 c. Énergie atomique du Canada (1984) 5 C.H.R.R. D/2066 (T.C.D.P.), un amendement de la plainte a été refusé pour le motif qu'il aurait retardé davantage la procédure. Presque 5 ans s'étaient écoulés entre la date du dépôt de la plainte et la date de la décision.

V. L'ESPÈCE

[22] Ce qui précède m'amène à l'espèce. La première question est celle de savoir si le Tribunal a compétence pour considérer l'amendement proposé. L'intimée, pour l'essentiel, soutient que la plainte ainsi modifiée est fondée sur des allégations que la Commission n'a jamais examinées. De ce fait, l'amendement introduit une nouvelle plainte, qui n'a jamais été renvoyée au Tribunal. La question, du point de vue de la jurisprudence, est celle de savoir si l'amendement modifierait les allégations de fait énoncées dans la plainte. La réponse simple semble être oui.

[23] La plaignante et la Commission font valoir que la décision à savoir quelle candidature devrait être retenue aux fins du programme en cause a été entachée d'une certaine forme de préjudice. Mme Cook semble croire avoir été victime d'une injustice. La plainte concerne la façon dont elle a été traitée à titre de personne et porte qu'un acte discriminatoire a été commis à son endroit. Elle ne conteste ni la façon dont le programme est conçu ni ses critères d'admission.

[24] La question de savoir si le programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle présente un caractère discriminatoire inhérent est une question distincte. Elle n'a jamais fait partie de la plainte initiale. La plainte et les détails y afférents n'indiquent pas que les critères d'admission du programme donnent naissance à l'exercice d'une discrimination qui défavoriserait les candidats aux prises avec un problème d'alcoolisme, du fait qu'ils exigent que les candidats ne consomment pas d'alcool. Mme Cook a simplement allégué qu'on ne lui avait pas permis de s'inscrire au programme parce qu'elle était atteinte d'hépatite C. Elle n'a pas contesté l'exigence selon laquelle il fallait que le candidat n'ait consommé ni drogue ni alcool depuis au moins six semaines. En fait, Mme Cook a affirmé avoir satisfait le critère susmentionné.

[25] L'intimé dit croire qu'il fait maintenant l'objet d'une nouvelle attaque, sur un front plus vaste, qui remet en question la totalité du programme d'apprentissage de l'autonomie fonctionnelle. Un tel état des choses soulève des questions profondes pour Onion Lake, qui exige que tous les employés s'abstiennent de consommer des drogues et de l'alcool. La préoccupation est ici que toute attaque contre cet aspect du programme mine l'une des politiques fondamentales qui sous-tend le fonctionnement de la réserve. Il s'agit d'une question systémique qui ne semble pas avoir été examinée au cours de l'enquête. Il s'ensuit qu'elle n'a jamais été renvoyée au Tribunal et ne peut être intégrée à la plainte. À mon avis, le Tribunal n'a pas compétence pour juger de cette question.

[26] L'affaire ne s'arrête pas là. Les pièces déposées auprès du Tribunal portent à croire à l'existence d'un malentendu entre les parties. De ce fait, il semble judicieux d'ajouter un addenda à la présente décision. Si Mme Cook ne consommait ni drogue ni alcool, il se peut bien que la question de discrimination contre la personne se pose. La nature précise d'une telle discrimination peut être liée, ou pas, au fait qu'elle était atteinte d'hépatite C et pourrait inclure l'alcoolisme. Il est possible de croire que de telles circonstances pourraient donner lieu à un argument selon lequel elle n'aurait pas été admise au programme parce qu'elle était alcoolique, en dépit du fait qu'elle répondait aux critères du programme. Si telle est la préoccupation de la Commission, je ne peux que dire qu'elle se situe nettement en deçà des paramètres de la jurisprudence qui établissent qu'un tribunal a le pouvoir d'aller au-delà d'une interprétation étroite du libellé de la plainte.

[27] La Commission peut soulever cette question d'une portée beaucoup plus restreinte au début de l'audience. Je ne vois rien dans la présente décision qui empêche le membre qui instruit la plainte de se pencher sur cet aspect de la plainte ou d'ordonner un amendement qui aurait pour effet d'inclure ledit aspect dans le champ de l'instruction. Il semble ressortir de la jurisprudence que le tribunal aurait le pouvoir d'examiner un tel motif, avec ou sans amendement. La seule question à trancher serait celle de savoir si l'intimée a reçu un préavis suffisant des faits et des éléments de preuve pertinents sur lesquels la Commission s'appuie pour démontrer le bien-fondé de l'allégation. Il s'agit là d'un point sur lequel le membre instructeur de l'affaire devra statuer.

VI. LA DÉCISION

[28] Par conséquent, la requête de la Commission pour amender la plainte est rejetée, sous réserve de l'addenda susmentionné. Si une divulgation plus poussée est requise, le Tribunal ordonne à la Commission de la faire dans les plus brefs délais.

Original signé par


Paul Groarke, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 22 avril 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T693/8101

INTITULÉ DE LA CAUSE : Carol Cook c. Première nation d'Onion Lake

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 22 avril 2002

ONT COMPARU :

Carol Cook Pour elle-même

Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne

John Beckman, c.r. Pour la Première nation d'Onion Lake

1. 1 Comme l'a dit le juge Muldoon dans Canada (P.G.) c. Canada (C.C.D.P.), infra, à la page 99.

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