Tribunal canadien des droits de la personne

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LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.C. 1976-77, ch. 33 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : ASSOCIATION CANADIENNE DES PARAPLÉGIQUES

la plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

ÉLECTIONS CANADA - LE BUREAU DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU CANADA LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/CENTRE-NORD LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/ST. JAMES LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/FORT GARRY LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE BRANDON-SOURIS

les intimés

et

PEOPLE IN EQUAL PARTICIPATION INC.

la partie intéressée DÉCISION DU TRIBUNAL Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne : Me R. Duval

Avocats des intimés : Me E.W. Olson, c.r., et Me V. Rachlis

Avocats de la partie intéressée : Me Campbell Wright et Me John L. Sinclair

Dates et location de l'audience : Le 2 novembre 1988 (conférence préparatoire à l'audience) Les 23 et 24 novembre 1990 Winnipeg (Manitoba)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

LES PLAINTES

LA PREUVE DES PLAIGNANTS

Y A-T-IL EU DES ACTES DISCRIMINATOIRES?

PLAINTE GÉNÉRALE

Y AVAIT-IL UN MOTIF JUSTIFIABLE?

RESPONSABILITÉ DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

LES RÉPARATIONS

ORDONNANCES

ANNEXE A

ANNEXE B

INTRODUCTION

Au Canada, le droit de vote de chacun est un droit fondamental de notre mode de vie démocratique. Ce principe est énoncé à l'article 3 de la Loi constitutionnelle. En outre, selon un droit de la personne bien établi, les personnes souffrant d'une déficience ne se verront pas refuser l'accès aux services, installations ou moyens d'hébergement destinés au public et ne seront pas défavorisées à l'occasion de cette fourniture, à moins que ce refus d'accès ou cette distinction ne repose sur un motif justifiable. En septembre 1984, une élection générale a eu lieu au (1) Canada. Les plaintes en l'espèce ont été déposées par des personnes qui souffrent d'une déficience, ce qui est admis, et qui allèguent qu'en raison de l'absence de bureaux de vote offrant l'accès de plein-pied, une personne n'a pu se rendre aux bureaux de vote, dans un cas, et sept autres personnes ont vu leur droit d'accès entravé au point où leurs droits ont été violés. Les intimés dans les plaintes sont les présidents d'élection de quatre circonscriptions électorales du Manitoba et le Bureau du directeur général des élections du Canada.

L'avocat des intimés a résumé comme suit les questions sur lesquelles le Tribunal doit se prononcer :

  1. Le Tribunal a-t-il la compétence voulue pour statuer sur la plainte numéro P04310 (la plainte générale)?
  2. La conduite des intimés qui est reprochée dans les plaintes constituait-elle de la discrimination fondée sur une déficience?
  3. S'il y a eu discrimination pour cause de déficience, était-elle fondée sur un motif justifiable?
  4. Si le Tribunal en vient à la conclusion qu'un président d'élection a violé la LCDP, mais non Élections Canada, le directeur général des élections du Canada peut-il être tenu responsable selon les règles de la responsabilité du fait d'autrui?
  5. S'il y a eu discrimination en 1984 et que le Tribunal est d'avis que ces violations ont été corrigées, devrait-il accorder une réparation?

La preuve en l'espèce a été présentée devant moi à Winnipeg les 23 et 24 octobre 1990. A la fin des plaidoiries, les avocats des parties ont convenu qu'il était nécessaire de présenter des mémoires. Le dernier mémoire a été reçu le 18 septembre 1991. La remise des mémoires a été reportée jusqu'à l'audition d'une requête par laquelle l'avocat des intimés demandait l'autorisation de présenter une nouvelle preuve. Ma décision au sujet de cette requête se trouve à l'annexe A du présent jugement. J'ai également joint à la présente décision l'annexe B, où l'on peut lire les

1 En raison de la date des événements en question, les dispositions citées des lois pertinentes sont les dispositions qui étaient en vigueur avant la révision des Lois de 1985.

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motifs que j'ai invoqués pour ajouter People in Equal Participation Inc. comme partie au litige.

Quinze témoins ont été convoqués à l'audience. L'avocat de la Commission des droits de la personne a fait témoigner Jim Derksen, Marianne Bossen, Karen Bauhs, Lucy Deluca, Don Ament, Keith Russell, John Lane et Linda Chodak, tandis que l'avocat des intimés a appelé à la barre Phil Cels, Joan Belisle, Elgin Rutledge, Anne McDonald, Darlene Gray, Kathleen Patterson et Andrée Lortie.

LES PLAINTES

Je dois me prononcer en l'espèce sur neuf plaintes. Huit d'entre elles ont été déposées par des personnes qui ont été inscrites sur la liste des électeurs et qui se sont rendues au bureau de scrutin pour voter. Dans l'autre plainte, qui est de nature générale, la Division du Manitoba de l'Association canadienne des paraplégiques déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'Association a été avisée par certains de ses membres que les bureaux de scrutin établis pour l'élection fédérale générale du 4 septembre 1984 ne sont pas accessibles pour les personnes à mobilité réduite. La Division du Manitoba de l'Association canadienne des paraplégiques, agissant au nom de ses membres, a des motifs raisonnables de croire qu'un nombre inconnu de résidants à mobilité restreinte du Manitoba font l'objet d'une discrimination, pour le motif qu'un nombre important de bureaux de scrutin et même, dans certains cas, de bureaux de scrutin par anticipation établis pour l'élection fédérale générale du 4 septembre 1984 ne sont pas accessibles pour eux, contrairement à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. (P04310)

Comme j'ai l'intention à ce moment-ci de revoir les plaintes de chacun des plaignants, je présente ci-après sous forme de tableau un résumé de chacune d'elles.

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Numéro de Emplacement du Nature du bureau Conscription Président plainte/ bureau de scrutin électorale d'élection/ plaignant en question intimé _________________________________________________________________________

PO4570 Ft. Rouge School Bureau de Winnipeg/ K. Patterson Jim Derksen 120 Mayfair scrutin Fort Garry

PO4568 Ft. Rouge School Bureau de scrutin Winnipeg/ K. Patterson Lucy Deluca 120 Mayfair par anticip. Fort Garry

PO4272 Ft. Rouge School Bureau de scrutin Winnipeg/ K. Patterson John Lane 120 Mayfair par anticip. Fort Garry

PO4571 Holy Rosary Bureau de scrutin Winnipeg/ Kaye Patterson Karen Bauhs Church, 510 River Fort Garry

PO4573 Earl Oxford Jr. Bureau de scutin Brandon/ Phil Cels Murray High School Souris Chaudak

PO4574 St. David's Bureau de scrutin Brandon/ Phil Cels Keith Church, Oak Lake Souris Russell

PO4569 St. Margaret's Bureau de scrutin Winnipeg/ Joan Belisle Marianne Anglican Church St. James Bossen Westminster Bureau de scrutin United Church (sic) par anticip.

PO4587 Grain Exchange Bureau de scrutin Winnipeg/ Anne McDonald Don Ament Curling Club Centre-Nord

LA PREUVE DES PLAIGNANTS

Jim Derksen (Winnipeg/Fort Garry - K. Patterson)

Jim Derksen souffre d'une déficience qui le contraint à se déplacer en fauteuil roulant. Le 4 septembre 1984, il a conduit lui-même sa camionnette pour se rendre à son bureau de scrutin, qui

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se trouvait à l'école Fort Rouge, au 120 Mayfair Avenue, à Winnipeg. Sa camionnette est munie d'une plate-forme élévatrice pour fauteuil roulant. Il a constaté qu'il devait monter quelques marches pour se rendre à la porte donnant accès au bureau de scrutin. Il s'est rendu de l'autre côté de l'immeuble pour trouver une entrée plus accessible et n'en a pas vu. Après être sorti de sa camionnette, il s'est assis près des marches et a attendu. Lorsqu'une personne est passée près de lui, il lui a demandé d'aller à l'intérieur de l'immeuble et de trouver des gens pour l'aider à monter les marches.

La personne est entrée dans l'immeuble et est revenue avec deux autres hommes. Ces trois personnes ont soulevé ensemble M. Derkson pour l'emmener en haut; le plaignant s'est ensuite rendu à l'isoloir et, après avoir voté, il s'est fait aider par les mêmes personnes pour redescendre. M. Derksen a dit qu'il a été très contrarié par le fait d'avoir dû demander de l'aide pour se rendre au bureau de scrutin. Il se sentait lésé. Il a dit qu'il n'aimait pas se faire transporter pour monter et descendre les marches. Il a relaté plusieurs cas où des personnes se sont blessées en l'aidant de cette façon. Il a dit qu'il préférait vivre de façon très indépendante et qu'il n'aimait pas demander aux gens de l'aider et dépendre de leur bon vouloir pour avoir accès [TRADUCTION] à quelque chose que je considère comme un droit que j'ai acquis à ma naissance comme Canadien (volume 1 de la transcription, page 8).

Au cours de son contre-interrogatoire, M. Derksen a déclaré que, lors d'élections antérieures, il s'était prévalu de la possibilité de voter au bureau de scrutin par anticipation, pour être certain de voter à un endroit offrant l'accès de plein-pied.

Il avait alors été inscrit sur la liste des électeurs autorisés à voter à l'école Fort Rouge. Il n'a pas cherché à savoir si le bureau de scrutin se trouvait au niveau de la rue, [TRADUCTION] parce que j'ai présumé, en raison de la Charte des droits et libertés et tout ça, que nous avions fait suffisamment de progrès pour avoir un bureau de scrutin au niveau de la rue (volume 1 de la transcription, page 12).

Lucy Deluca (Winnipeg/Fort Garry - K. Patterson)

Lucy Deluca est une paraplégique qui se déplace en fauteuil roulant. Elle demeure au 606-230 Roslyn Road, à Winnipeg.

Elle a dit que, le 27 août 1984, elle a voté au bureau de scrutin par anticipation qui se trouvait à l'école Fort Rouge, au 120 Mayfair Avenue. Elle s'y est rendue avec d'autres personnes, qui se déplacent également en fauteuil roulant. Elle est en fauteuil roulant depuis 41 ans. Elle a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Lorsque nous sommes arrivés là-bas, nous avons constaté que nous devions monter environ quatre ou cinq marches pour entrer dans l'école afin d'exercer notre droit de vote» (volume 1 de la transcription, page 43). Elle est entrée dans l'immeuble avec de l'aide. Le chauffeur d'autobus qui l'avait emmenée a essayé de trouver quelqu'un pour l'aider. Le concierge de l'immeuble et un vieil homme qui l'avait accompagnée l'ont transportée en haut. Elle a voté et, par la suite, ils l'ont redescendue. Elle était très contrariée par cette situation, parce que l'homme qui l'a aidée

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était âgé. Elle avait décidé de ne pas voter au bureau de scrutin régulier, parce que celui-ci se trouvait à la Holy Rosary Church (église du Saint-Rosaire) et elle savait que le vote devait avoir lieu au sous-sol, ce qui l'aurait obligée à descendre deux escaliers.

En contre-interrogatoire, elle a dit qu'elle s'était rendue à l'école Fort Rouge pour voter, parce qu'on lui avait dit que le bureau de vote se trouvait au niveau de la rue. Elle avait communiqué avec le président d'élection et celui-ci lui avait dit que le bureau de scrutin se trouvait au niveau de la rue. C'est sur la foi de ces renseignements qu'elle a demandé aux personnes qui l'accompagnaient de venir voter avec elle au bureau de scrutin par anticipation et tous s'y sont rendus à bord de la camionnette Handi Transit. Elle a ajouté qu'il y avait d'autres écoles dans la région où le bureau de vote offrait l'accès de plein-pied, mais elle n'a pas donné d'exemples et on ne lui en a pas demandé non plus.

John Lane (Winnipeg/Fort Garry - K. Patterson)

John Lane est un quadriplégique qui se déplace en fauteuil roulant. Il est directeur général de l'Association canadienne des paraplégiques, Division du Manitoba, et est également membre du conseil d'administration national de l'Association nationale. Il a voté au bureau de scrutin par anticipation plutôt qu'au bureau de scrutin régulier, situé à l'église du Saint-Rosaire, parce que celui-ci était inaccessible. Lorsqu'il l'a appris, il a téléphoné au président d'élection et celui-ci lui a confirmé que l'église était inaccessible. Il a demandé quels étaient les bureaux de scrutin accessibles pour lui et s'est fait dire qu'il y avait un bureau de scrutin par anticipation accessible à l'école Fort Rouge, située sur la rue Mayfair. Il a insisté auprès de la personne qui lui a donné ce renseignement, parce qu'il craignait que l'école Fort Rouge ne soit pas accessible, mais elle lui a répété que l'école était accessible et il l'a crue sur parole. Il a présumé qu'une rampe d'accès avait récemment été installée à l'école. Il s'est donc rendu à l'école Fort Rouge pour voter au bureau de scrutin par anticipation. A son arrivée là-bas, il a constaté qu'il devait monter trois ou quatre marches pour entrer dans l'immeuble. Il a aussi constaté qu'il lui était impossible de signaler sa présence à des personnes qui se trouvaient à l'intérieur de l'immeuble pour demander de l'aide. Il a attendu. Finalement,

[TRADUCTION] une personne a tourné la tête et m'a vu et deux personnes sont sorties. Je ne voulais pas qu'elles me soulèvent, parce que, en toute franchise, il s'agissait de représentants bénévoles animés de bonnes intentions, mais l'un d'eux était assez âgé et l'autre n'était pas jeune non plus. Comme ils ont insisté, je leur ai dit comment s'y prendre pour me soulever, mais nous étions tous assez nerveux. (volume 1 de la transcription, page 67)

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Il a donc voté après avoir été emmené dans l'immeuble et il a ensuite été transporté à l'extérieur. Lorsqu'on lui a demandé de dire ce qu'il pensait de tout ça, il a déclaré qu'il était contrarié et frustré, parce qu'on lui avait assuré que l'immeuble était accessible. Il a été frustré d'abord en apprenant que le bureau de scrutin régulier était inaccessible.

En plus de nous expliquer les problèmes auxquels il a dû faire face lorsqu'il a tenté de voter, M. Lane nous a parlé des mesures que son Association et lui-même ont prises pendant plusieurs années afin d'aider les personnes qui souffrent d'une déficience physique et qui veulent voter. En 1980, lorsque le Comité parlementaire spécial concernant les invalides et les handicapés a mené des audiences un peu partout au Canada, il a participé à une présentation dont le but était d'expliquer au Comité les problèmes vécus par certaines personnes qui tentaient d'exercer leur droit de vote. Ces problèmes ont été relevés dans le rapport du Comité qui a été publié en 1981. L'année 1981 était l'Année internationale des personnes handicapées et M. Lane a présumé qu'en septembre 1984, on aurait grandement amélioré les possibilités d'accès. A la suite de l'expérience qu'il a lui-même vécue au bureau de scrutin par anticipation, il s'est demandé si les douze personnes de son bureau avaient dû faire face à des problèmes de ce genre et il a constaté qu'environ la moitié des personnes qui s'y trouvaient ont pu confirmer que leurs bureaux de scrutin n'étaient pas accessibles. Lorsqu'il a téléphoné aux membres du conseil d'administration, il a reçu le même type de réponse. Sur la foi de ces renseignements, il a communiqué avec la Commission des droits de la personne la veille du jour du scrutin et a demandé ce qui pouvait être fait. [TRADUCTION] Nous manquions de temps et il ne semblait pas y avoir grand-chose à faire, sauf, peut-être, déposer une plainte au nom des Manitobains, ce que nous avons fait peu de temps après l'élection, je pense (volume 1, page 70).

Lorsqu'on lui a demandé quelle était la réparation qu'il recherchait dans la présente cause, il a répondu ce qui suit :

  1. Une déclaration selon laquelle Élections Canada est légalement et publiquement tenu de répondre de façon raisonnable aux besoins des personnes handicapées lors des élections. Une décision claire selon laquelle l'accès de plein-pied est un droit qui doit être protégé et qu'Élections Canada doit respecter.
  2. A ce sujet, il a donné les précisions suivantes : [TRADUCTION] ... nous ne nous attendons pas à ce que chaque bureau de scrutin soit accessible, parce que nous comprenons qu'il y a des problèmes réels dans certains cas; ce que nous voulons, ce sont des mesures raisonnables. Nous nous attendons donc, d'abord et avant tout, à ce que l'on tente de choisir, dans la mesure du possible, des bureaux de vote accessibles pour les personnes en fauteuil

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    roulant le jour du scrutin, parce que nous estimons que les personnes ont le droit de voter le jour du scrutin et de bénéficier de toute la campagne dans leur propre bureau de scrutin. (volume 1 de la transcription, page 73)

  3. L'adoption de certaines des recommandations formulées dans le projet de loi C-79 au sujet des bureaux de scrutin multiples, notamment l'exigence quant à l'accessibilité de tous les bureaux de scrutin par anticipation, de tous les bureaux d'élection où les gens vont voter et de tous les bureaux de scrutin multiples.
  4. Une décision imposant à Élections Canada l'obligation d'expliquer les raisons pour lesquelles l'accès ne peut être assuré, lorsque c'est le cas. Tout électeur devrait pouvoir déterminer si les bureaux de scrutin sont accessibles ou non et ces renseignements devraient être publiés au moins trois jours avant le dernier jour de vote par anticipation.
  5. Une décision imposant l'obligation d'apposer des panneaux indiquant de façon appropriée les endroits où l'immeuble est accessible et de mettre à la disposition des électeurs des places de stationnement appropriées à chaque bureau de scrutin.

En contre-interrogatoire, M. Lane a dit qu'Élections Canada a modifié ses procédures après l'élection de 1984. En conséquence,

[TRADUCTION] La situation était nettement supérieure lors de l'élection de 1988. Pas seulement au Manitoba, mais partout ailleurs. C'était loin d'être parfait, mais l'amélioration était telle qu'elle a suscité des commentaires de plusieurs. (volume 1 de la transcription, page 90)

Il a ajouté que [TRADUCTION] ... compte tenu du fait que la cause était devant la Commission des droits de la personne et faisait l'objet d'une grande publicité dans les médias, il (le directeur général des élections) a organisé une élection accessible (volume 1 de la transcription, page 90).

Karen Bauhs (Winnipeg/Fort Garry - K. Patterson)

Karen Bauhs est une personne à mobilité restreinte et doit se déplacer en fauteuil roulant. Elle a dit au cours de son témoignage qu'elle était en fauteuil roulant depuis sept ans. Le 4 septembre 1984, elle est allée voter à l'église du Saint-Rosaire, située sur la River Avenue, à Winnipeg, mais elle s'est heurtée au problème suivant. Lorsqu'elle s'est rendue à l'église pour voter, elle a constaté que les bureaux de scrutin se trouvaient au sous- sol. Il lui fallait descendre deux escaliers pour se rendre au bureau de scrutin et, sans aide, elle en était incapable. Elle est donc revenue chez elle et a demandé à sa colocataire de

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l'accompagner. Après s'être fait aider de celle-ci pour descendre les marches, elle a voté et sa colocataire l'a aidée à remonter les marches. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle a ressenti en constatant qu'elle ne pouvait voter sans aide, elle a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«J'étais vraiment en colère. Je ne m'attendais pas à faire face à cet obstacle-là et j'étais tout simplement en colère» (volume 1 de la transcription, page 37). A ce moment-là, elle était en fauteuil roulant depuis environ un an seulement et il ne lui était pas venu à l'idée qu'elle ne pourrait peut-être pas voter sans aide.

En contre-interrogatoire, Mme Bauhs a dit qu'elle demeurait à ce moment-là au 504 - 246 Roslyn Road, soit à environ trois rues de l'église du Saint-Rosaire. Elle a dit que cette église-là se trouve au niveau de la rue. Un foyer est situé près de l'entrée, mais l'endroit est trop petit pour servir de bureau de scrutin. Elle a dit savoir que d'autres personnes à mobilité restreinte se sont rendues à cette même église pour voter et ont dû faire face à des problèmes semblables. En outre, lorsqu'elle s'est rendue là-bas, il y avait environ cinq personnes qui attendaient de se faire aider.

Murray Chodak (Brandon/Souris - Phil Cels)

Murray Chodak est un quadriplégique qui doit utiliser le fauteuil roulant. Son épouse, Linda Chodak, a dit au cours de son témoignage qu'ils habitent à Brandon, au Manitoba. En se rendant au travail le 4 septembre 1984, ils se sont arrêtés à leur bureau de scrutin, qui se trouvait à l'école Earl Oxford, à Brandon. D'après ce qu'ils avaient vécu au cours d'expériences précédentes, les gens votaient dans la bibliothèque située au rez-de-chaussée de l'école.

Lorsqu'ils sont entrés dans l'immeuble, ils ont vu des panneaux indiquant que le bureau de scrutin se trouvait au deuxième étage; la seule façon de s'y rendre était de monter deux escaliers. Mme Chodak a dit qu'elle s'est rendue personnellement au bureau de scrutin, où se trouvaient deux personnes. Elle a demandé pourquoi le bureau de scrutin avait été aménagé là, alors que le vote a habituellement lieu à la bibliothèque. On lui a simplement répondu qu'il était là. Elle a dit à ces personnes que son mari était en fauteuil roulant et qu'il ne pouvait monter les marches. Voici ce que lui a répondu le président d'élection :

[TRADUCTION]

... vous auriez dû aller au bureau de scrutin par anticipation et j'ai dit que le bureau de scrutin se trouve habituellement à la bibliothèque et nous savons que nous pouvons aller à l'école Earl Oxford, c'est pourquoi nous ne sommes pas allés au bureau de scrutin par anticipation.

Je ne me souviens pas si je lui ai demandé de déplacer le bureau de scrutin en bas. Elle n'a pas offert de ... (volume 1 de la transcription, page 118).

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En conséquence, M. et Mme Chodak ont tous deux quitté l'immeuble sans voter.

Keith Russell (Brandon/Souris - Phil Cels)

Keith Russell est un quadriplégique qui se déplace en fauteuil roulant. Le 4 septembre 1984, il est allé voter à son bureau de scrutin situé à la St. David's United Church (église unie St. David), près d'Oak Lake, au Manitoba. Lorsqu'il est arrivé au bureau de scrutin avec son épouse, il a constaté que l'isoloir se trouvait au sous-sol de l'immeuble. Pour se rendre au bureau de scrutin, il lui aurait fallu descendre plusieurs marches de ciment.

Son épouse est alors allée voter et il a ensuite décidé, avec son épouse, qu'il ne voterait pas. Il a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Par chance, un des secrétaires d'élection a demandé à mon épouse si j'étais à l'extérieur. Elle a répondu oui et ils lui ont remis un bulletin de vote qu'elle m'a apporté. Après avoir inscrit mon vote en me servant du tableau de bord de mon camion, je lui ai remis mon bulletin et elle l'a rapporté. (volume 1 de la transcription, pages 53 et 54)

Il a dit qu'il estimait avoir été traité différemment et d'une façon qui n'était pas très professionnelle. Il a fait remarquer que son épouse aurait pu apporter le bulletin de vote, monter jusqu'au milieu de l'escalier, inscrire le vote elle-même, rapporter le bulletin en bas et le déposer dans la boîte de scrutin.

M. Russell est agriculteur. L'élection a eu lieu pendant la période des récoltes en 1984. Il travaillait 16 heures par jour à ce moment-là et, lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'était pas allé voter au bureau de scrutin par anticipation, il a répondu qu'il était très occupé à l'époque et que, de plus [TRADUCTION] je ne voyais vraiment pas pourquoi je me serais donné du mal pour savoir où je pourrais voter alors que j'avais le droit, en principe, de voter en même temps que tout le monde (volume 1 de la transcription, pages 54 et 55).

Marianne Bossen (Winnipeg/St. James - Joan Belisle)

Marianne Bossen est une paraplégique qui doit utiliser le fauteuil roulant. Selon la liste électorale, elle devait aller voter à la St. Margaret's Anglican Church (église anglicane St. Margaret), située à Winnipeg, qui n'offrait pas d'accès de plein-pied. Mme était au courant et savait aussi qu'il y aurait un scrutin par anticipation dans sa circonscription à la Westminster United Church (église unie de Westminster) et qu'une rampe donnant accès au rez-de-chaussée y avait été installée. Elle a téléphoné au bureau de l'église pour savoir où aller voter et elle s'est fait dire que le vote aurait lieu au sous-sol. Elle a demandé s'il y avait un ascenseur dans l'église qui lui permettait de descendre au sous-sol et on lui a répondu par la négative. Elle a alors téléphoné au bureau du président d'élection pour lui expliquer son problème et savoir ce que l'on pourrait faire pour lui permettre d'aller voter. Finalement, elle a obtenu des renseignements sur la

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démarche qu'un électeur handicapé doit suivre, conformément au paragraphe 43(7.1) de la Loi électorale du Canada, pour obtenir un certificat de transfert et voter dans un bureau de scrutin par anticipation. En faisant un autre appel téléphonique, elle a appris que le certificat de transfert lui permettrait de voter à la Harstone United Church (église unie de Harstone) le 26 août 1984; cet endroit offrait un accès de plein-pied. Mme Bossen utilise les services de Handi Transit. Elle a fait des réservations chez Handi Transit plusieurs jours à l'avance et a voté au bureau de scrutin par anticipation situé à l'église unie de Harstone en se servant de son certificat de transfert. Lorsqu'elle a quitté le bureau de scrutin, elle a offert ses services à l'un des partis politiques comme représentante au scrutin. Elle a dit qu'elle était très frustrée à l'idée de n'avoir pu voter à son bureau de scrutin habituel, d'autant plus qu'elle s'est donné beaucoup de mal et a dû engager des frais pour aller voter.

Au cours de son contre-interrogatoire, Mme Bossen a dit que l'église anglicane St. Margaret se trouvait à peu près au coin de chez elle. L'église unie de Westminster est située à quelques rues de là, mais la plaignante pouvait aussi s'y rendre facilement.

C'est en raison de la nécessité de se rendre à l'église unie de Harstone qu'elle a dû utiliser les services de Handi Transit. Lorsqu'on lui a demandé si elle pensait qu'il y avait près de chez elle en 1984 un édifice public qui pouvait servir de bureau de scrutin et qui offrait l'accès de plein-pied, elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Je n'en connais aucun» (volume 1 de la transcription, page 35).

Don Ament (Winnipeg/Centre-Nord - Anne McDonald)

Don Ament est un quadriplégique qui se déplace en fauteuil roulant. Le 4 septembre 1984, il est allé voter à son bureau de scrutin situé au Grain Exchange Curling Club, sur la rue Garry, à Winnipeg. A son arrivée là-bas, il a constaté qu'il devait monter trois ou quatre marches avant d'entrer dans l'immeuble pour aller voter. Lorsqu'une femme est passée près de lui, il lui a demandé si elle voulait prévenir les agents qu'il était à l'extérieur et qu'il voulait voter. La dame a obtempéré à sa demande et un agent d'élection est sorti. Après avoir constaté la présence de M. Ament, il est retourné dans l'immeuble et est ressorti avec une urne et un bulletin de vote. En conséquence, M. Ament a voté à l'extérieur de l'immeuble, dans le terrain de stationnement. Cette façon de procéder l'a mis en colère. Avant d'aller voter, il ignorait que l'immeuble n'offrait pas d'accès de plein-pied.

J'ai indiqué que les intimés ont présenté une preuve. Cette preuve portait sur la défense de motif justifiable et non sur la question de savoir si l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne avait ou non été violé. En conséquence, je résumerai la preuve présentée par les intimés un peu plus loin dans cette décision.

Y A-T-IL EU DES ACTES DISCRIMINATOIRES?

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Voici le libellé de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

Actes discriminatoires

5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public

  1. d'en priver, ou
  2. de défavoriser, à l'occasion de leur fourniture,

un individu, pour un motif de distinction illicite. Pour bien comprendre l'article 5, il y a lieu de tenir compte également des articles suivants : Objet

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

. . .

MOTIFS DE DISTINCTION ILLICITE

Dispositions générales

3(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Dans la plainte P04573 (Murray Chodak), une violation du paragraphe 5a) est alléguée, tandis que dans les autres plaintes personnelles et dans la plainte générale, c'est une violation du paragraphe 5b) qui est reprochée.

Les avocats des parties ont présenté des arguments au sujet du sens du mot priver qui est utilisé au paragraphe 5a). Selon son sens ordinaire, le mot priver peut signifier un refus délibéré ou, subsidiairement, un événement qui a tendance à nier un droit d'une personne sans sa connaissance. Il a été dit de façon déterminante que, pour conclure qu'il y a eu violation de l'article

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5 de la Loi, il n'est pas nécessaire que la conduite reprochée ait été intentionnelle. Dans Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1987) 1 R.C.S. 1114, aux pages 1132 à 1138, la Cour suprême du Canada a passé en revue les principes d'interprétation à appliquer.

Compte tenu de l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je suis porté à interpréter le mot priver d'une façon relativement large. Je suis d'avis que M. Chodak a été privé de l'accès au bureau de scrutin à la Earl Oxford Junior High School, étant donné que le bureau se trouvait à un endroit qui n'offrait pas d'accès de plein-pied. Cet événement et le problème qu'il a occasionné ont été signalés au scrutateur, qui a refusé de faire quoi que ce soit pour aider M. Chodak. Celui-ci a donc été privé de son droit de vote.

Comme je l'ai mentionné, les autres plaintes personnelles et la plainte générale portent sur des allégations fondées sur le paragraphe 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est évident que, dans les cas des plaignants Derksen, Deluca, Lane, Bauhs, Russell et Ament, l'omission de mettre à leur disposition des bureaux de scrutin offrant un accès de plein-pied les a placés dans une situation différente de celle des autres électeurs. C'était là une distinction défavorable pour eux, étant donné que chacun a dû, lorsqu'il a tenté de voter, faire face à des problèmes que n'ont pas rencontrés les autres électeurs. La question que je dois trancher est celle de savoir si ce traitement différent et le problème qu'il a engendré constituent une distinction défavorable pour ces personnes au sens du paragraphe 5b) de la Loi. Pour répondre à cette question, il faut examiner la nature des effets de la privation en question sur les plaignants, parce qu'une différence de traitement ne saurait constituer dans tous les cas une violation du paragraphe 5b) de la part d'un intimé donné.

Les décisions dont l'on pourrait s'inspirer pour répondre à cette question sont peu nombreuses, parce que la plupart des causes portant sur les droits de la personne découlent de situations d'emploi et que peu de litiges ont porté sur une allégation de discrimination dans la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement. Dans Re Saskatchewan Human Rights Commission et al v. Canadian Odeon Theatres Limited (1985) 18 D.L.R. 4th, 93, le plaignant a acheté un billet et est entré dans une salle de cinéma, mais il a dû rester dans son fauteuil roulant et se placer à l'avant de la salle. Il a déposé une plainte conformément au Saskatchewan Human Rights Code, alléguant qu'il avait fait l'objet d'une distinction fondée sur une déficience physique à l'égard de services ou d'installations offerts au public. Un arbitre a tranché en sa faveur. Cette décision a été infirmée en appel, mais rétablie après un autre appel devant la Cour d'appel de la Saskatchewan. Le juge Vancise, J.C.A., qui a rendu le jugement majoritaire, a dit ce qui suit (p. 113) :

13

[TRADUCTION]

La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si les installations physiques publiques qui sont utilisées pour présenter des films et qui, en pratique, engendrent une distinction à l'encontre d'un membre du public pour un motif prohibé, c'est-à-dire une déficience physique, constituent de la discrimination.

A la page 115, le juge s'est exprimé comme suit :

[TRADUCTION]

Le fait de traiter une personne différemment des autres n'équivaut pas toujours à de la discrimination, tout comme le fait de traiter toutes les personnes de la même façon ne permet pas non plus de trancher définitivement le litige. Si le traitement a des conséquences défavorables qui sont incompatibles avec les objets de la législation, parce qu'elles restreignent ou nient un droit pleinement reconnu pour tous et l'exercice de ce droit, le traitement sera discriminatoire : voir également Re Rocca Group Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R. (3d) 529, 22 Nfld. & P.E.I.R. 1; Post Office v. Union of Post Office Workers, [1974] 1 W.L.R. 89.

La discrimination dans le contexte des droits de la personne est une exclusion, une restriction ou une préférence de traitement qui est fondée sur l'une des caractéristiques protégées et qui a pour effet d'entraver ou d'empêcher l'exercice des droits et libertés garantis par le Code.

Pour déterminer si Huck a été victime de discrimination en l'espèce, il faut appliquer les principes que je viens d'énoncer. Avant de le faire, je dois nécessairement décrire l'acte ou les actes qui a ou ont eu un effet discriminatoire. Il appert d'un examen de la plainte déposée et de la preuve que les actes discriminatoires reprochés sont les suivants : d'abord, le fait qu'avant de lui vendre un billet, on l'a obligé à accepter de se placer à un siège d'une allée régulière ou de rester dans son fauteuil roulant, juste avant la première rangée de sièges et, en second lieu, l'omission de lui offrir la possibilité de choisir lui-même l'endroit où il se placerait pour regarder le film de la même façon qu'on le fait pour les autres membres du public. La question en l'espèce est celle de savoir si la conduite de l'intimée envers Huck, qui est une personne à mobilité restreinte, a constitué un traitement restrictif et défavorable pour lui. Dans l'affirmative, ce traitement constitue un acte discriminatoire et est contraire à l'alinéa 12(1)b).

14

Le juge Halvorson a décidé que l'assemblée législative ne désirait pas que les personnes qui offrent des services au public pourvoient aux besoins spéciaux de ceux qui souffrent d'une déficience physique. Selon lui, tout ce que l'alinéa 12(1)b) exige, c'est que l'on offre aux personnes souffrant d'une déficience physique les mêmes installations et les mêmes services que ceux que l'on offre au public, ni plus ni moins. A cette fin, a-t-il conclu, si l'assemblée législative avait voulu davantage, elle l'aurait dit. En toute déférence, cette interprétation du paragraphe 12(1) ne m'apparaît pas appropriée. Il faut donner au Code une interprétation libérale qui assure le respect des objets énoncés à l'article 3. Le droit à la dignité et le droit à l'égalité, qui sont inaliénables, ne pourront être respectés, si le Code est interprété de la façon proposée par le juge Halvorson.

. . .

Comme l'a dit la commission d'enquête, j'admets que, pour savoir si M. Huck a été victime de discrimination, il fallait déterminer si le service ou l'installation fourni [à Huck] était sensiblement différent de ce que l'intimée offrait à l'ensemble du public. Ce que l'on a offert à M. Huck, c'était un endroit précis d'où il pourrait regarder le film en restant dans son fauteuil roulant. Il n'avait d'autre choix que de se placer avant la première rangée de sièges pour regarder le film. Les autres membres du public qui ne souffraient pas d'une déficience physique pouvaient se placer là où ils voulaient pour voir le film. Ils pouvaient s'asseoir à la place de leur choix, selon la méthode premier arrivé, premier servi. L'omission d'offrir à M. Huck un choix de places constitue un traitement défavorable fondé sur la déficience du plaignant. Il n'est guère logique de fournir des rampes d'accès et des salles de bain aménagées pour les personnes souffrant de déficiences physiques, si l'on ne prend aucune disposition pour leur permettre de voir le film.

Compte tenu des faits présentés en l'espèce, je suis d'avis que la conduite de l'intimée, qui a obligé Huck à accepter de regarder le film depuis un siège d'une aile régulière ou dans un endroit situé avant la première rangée de sièges et qui a omis de lui offrir de la même façon qu'aux autres le droit de choisir un endroit où il pourrait se placer pour regarder le film, constituait une exclusion et une

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restriction fondées sur une déficience physique. C'est là un acte discriminatoire au sens de l'alinéa 12(1)b) du Code. Même si les actes reprochés ne se voulaient pas discriminatoires, il n'en demeure pas moins que le résultat du comportement de l'intimée constitue de la discrimination.

Je suis d'avis que, dans chacun des cas susmentionnés, la différence de traitement découlant de l'absence d'accès de plein-pied constituait une distinction défavorable au sens du paragraphe 5b). A mon avis, dans chacun de ces cas, l'embarras, le risque de blessure ou les inconvénients causés ont entraîné des conséquences négatives importantes qui, compte tenu de l'importance du droit de vote et des objets de la Loi canadienne sur les droits de la personne, constituaient une violation du paragraphe 5b) de la Loi.

Je suis également d'avis que l'absence d'accès de plein-pied à l'église anglicane St. Margaret et à l'église unie de Westminster constitue une distinction défavorable au sens du paragraphe 5b) dans le cas de Marianne Bossen, même si elle n'est pas allée voter à l'un ou l'autre de ces endroits. Les efforts qu'elle a dû faire pour obtenir les renseignements et prendre les dispositions nécessaires pour se rendre à un bureau de scrutin offrant un accès de plein-pied étaient tellement différents des efforts requis des autres électeurs que, compte tenu de l'importance du droit en litige, je dois conclure que cette disposition a été violée. Si les renseignements concernant l'endroit où elle pouvait voter avaient été plus facilement accessibles pour elle, j'en serais peut-être arrivé à une conclusion différente au sujet de cette plainte.

PLAINTE GÉNÉRALE (P04310)

L'avocat des intimés soutient que la plainte générale énoncée à la page 3 de la présente décision devrait être rejetée, [TRADUCTION] parce qu'elle dépasse la compétence du présent Tribunal (page 38 de son mémoire). Il cite l'alinéa 33b)(ii) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont le libellé est le suivant :

Sous réserve de l'article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime la plainte irrecevable dans les cas où il apparaît à la Commission

b) que la plainte

(ii) n'est pas de sa compétence.

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ainsi que l'alinéa 5c) de l'article 32 de cette même Loi, selon lequel

(5) Pour l'application de la présente Partie, la Commission n'est validement saisie d'une plainte que si l'acte discriminatoire

  1. a eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente ou qu'elle avait le droit d'y revenir;
  2. a eu lieu à l'extérieur du Canada alors que la victime était un citoyen canadien ou qu'elle était admise au Canada pour y résider en permanence; ou
  3. tombe sous le coup des articles 8, 10, 12 ou 13 et a eu lieu au Canada sans qu'il soit possible d'en identifier la victime.

Selon l'avocat, [TRADUCTION] Il appert clairement du libellé du texte législatif que le Tribunal ne peut entendre une plainte lorsqu'il n'y a pas de victime pouvant être identifiée avec précision.

L'avocat de la Commission des droits de la personne soutient que le résultat de l'application combinée des alinéas 5a) et 5b de l'article 32 de la Loi est le suivant :

[TRADUCTION]

«il y aura discrimination au sens de l'article 5 de la Loi si la victime de l'acte discriminatoire reproché peut être identifiée. La Loi n'exige pas que la victime soit identifiée par son nom.»

J'ai décidé de rejeter cette plainte, non pas pour cause d'absence de compétence, mais parce que la preuve n'appuie pas la plainte et qu'elle est insuffisante sur plusieurs points, dont je ne relèverai que les suivants. La preuve qui a été présentée porte sur trois groupes de personnes :

  1. Huit personnes ont été nommées dans les plaintes personnelles. Si la plainte générale constitue une répétition des huit autres plaintes, il ne conviendrait pas de permettre que les mêmes questions fassent l'objet de plusieurs plaintes.
  2. L'avocat de la Commission des droits de la personne a cherché à justifier cette plainte pour le motif suivant :

[TRADUCTION] Le Tribunal a cité le témoignage de M. Lane, qui se trouve au volume 1 de la transcription officielle, à la page 69. Cette partie du témoignage de M. Lane indique que les employés de l'Association canadienne des paraplégiques et les membres de son conseil d'administration ainsi que les membres de

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l'Association ont constaté que leur bureau de scrutin n'était pas accessible.

Tout ce que l'on peut dire de cette partie du témoignage de M. Lane, c'est que ce dernier a reçu de ces personnes un rapport selon lequel leur bureau de scrutin était inaccessible. A mon avis, la preuve ne permet pas de dire que les bureaux de scrutin où devaient se rendre les personnes non nommées étaient effectivement inaccessibles.

c)Lucy Deluca a dit au cours de son témoignage qu'elle est allée à l'école Fort Rouge pour voter en compagnie d'autres personnes qui se sont rendues avec elle à bord de la camionnette Handi Transit. Ces personnes non nommées ont fait face aux mêmes problèmes que Mme Deluca. Elles n'ont pas été appelées comme témoins et la preuve ne permet pas de dire, entre autres choses, qu'elles étaient inscrites sur la liste électorale de ces endroits ou qu'elles étaient admissibles à voter là-bas.

Si l'avocat de la Commission des droits de la personne a raison de dire que la Loi n'exige pas que l'identité de la victime soit dévoilée, question au sujet de laquelle il n'est pas nécessaire que je me prononce, il serait très rare sans doute que l'on puisse établir tous les éléments énoncés dans la Loi sans faire témoigner la personne concernée et dévoiler par le fait même le nom de cette personne.

Y AVAIT-IL UN MOTIF JUSTIFIABLE?

Ayant jugé que le plaignant dans chacune des plaintes personnelles susmentionnées a établi à première vue le bien-fondé de sa plainte contre les présidents d'élection intimés, j'examine maintenant le paragraphe 14g) de la Loi, dont le libellé est le suivant :

14. Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

. . .

g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

Les avocats des parties ont admis que, lorsqu'une violation apparente de l'article 5 a été établie, il incombe aux intimés de

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prouver que le refus ou la distinction est fondé sur un motif justifiable. De nombreuses décisions ont été rendues au sujet du sens des mots exigence professionnelle justifiée que l'on trouve au paragraphe 14a), notamment l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harold E. Hall et Vincent Gray c. Municipalité d'Etobicoke [1982] 1 R.C.S. 202. Dans cette cause- là, un pompier a été remercié de ses services à l'âge de 60 ans, conformément aux clauses d'une convention collective. Une plainte de discrimination a été déposée selon le Code ontarien des droits de la personne et la Cour a dû déterminer si la clause concernant la retraite, qui était discriminatoire à première vue, pouvait être considérée comme une qualification et exigence professionnelle réelle au sens de la loi de l'Ontario. Dans son jugement, la Cour suprême du Canada a énoncé un critère à deux volets que l'employeur doit respecter pour justifier une restriction donnée comme qualification ou exigence professionnelle réelle. Le critère comporte un élément subjectif et un élément objectif. Selon l'aspect subjectif, l'intimée doit démontrer qu'elle a imposé la restriction avec la conviction sincère qu'elle visait à assurer la bonne exécution du travail. Selon l'élément objectif du critère, l'intimée doit démontrer que la restriction était raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail. En outre, lorsqu'on allègue une distinction défavorable, il a été décidé dans certains cas que, si l'employeur refuse de prendre des dispositions raisonnables pour répondre aux besoins d'un employé sans subir trop d'inconvénients pour autant, la conduite reprochée ne sera pas justifiée. Voir, par exemple, le jugement rendu dans Alberta Human Rights Commission v. Central Alberta Dairy Pool et al [1990] 6 W.W.R. 193.

Les avocats des deux parties en l'espèce ont admis que le critère énoncé au paragraphe 14g) de la Loi fédérale est semblable à celui de l'article 14a). Ils reconnaissent également qu'aucune décision n'a encore été rendue au Canada au sujet de la façon d'appliquer le concept du motif justifiable dans le contexte d'une allégation de refus de services fondé sur une déficience. L'avocat des intimés m'a demandé d'appliquer un critère semblable à celui qui a été élaboré dans l'affaire Ontario Court of Appeal and Re Zurich Insurance and Ontario Human Rights Commission (1987) 59 O.R. 2d, 325, décision confirmée dans 70 O.R. 2d, 639. Dans cette cause-là, qui ne portait pas sur une situation d'emploi, un homme âgé de 20 ans a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur l'âge, le sexe et l'état civil selon la loi de l'Ontario lors de l'établissement de la prime relative à son assurance responsabilité automobile. La Cour a décidé que la disposition était justifiable, étant donné qu'elle était raisonnable et imposée de bonne foi. Cependant, l'avocat de la Commission des droits de la personne souligne que, dans la loi de l'Ontario, les mots motifs justifiés de façon raisonnable et de bonne foi sont utilisés, alors qu'au paragraphe 14g) de la Loi fédérale, il est question uniquement de motif justifiable.

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D'autre part, l'avocat de la Commission des droits de la personne a cité à ce sujet l'arrêt Procureur général du Canada c. Mark Rosin et Commission canadienne des droits de la personne [1991] 1 C.F 391. Aux pages 408 et 409 de ses motifs, le juge Linden, J.C.A., a dit ce qui suit :

Il est clair que les actes accomplis en violation apparente de l'article 5 peuvent être justifiés conformément à l'alinéa 15g) et que les actes contraires aux articles 7 et 10 peuvent être justifiés conformément à l'alinéa 15a). Les normes énoncées dans ces deux dispositions sont très semblables. La Cour suprême du Canada vient de préciser qu'il n'existe pas de différence entre les expressions exigences professionnelles réelles et qualifications professionnelles réelles, il s'agit de termes équivalents et de même portée. (Voir le juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, à la page 502.) De la même manière, on pourrait conclure que les deux expressions - exigences professionnelles justifiées (alinéa 15a)) et motif justifiable (alinéa 15g)) - ont la même signification, sauf que la première expression est applicable aux situations d'emploi, alors que la deuxième est utilisée dans d'autres contextes. Le choix de ces différents termes pour justifier une discrimination à première vue ne constitue donc qu'une question de forme plutôt qu'une question de fond. Je mentionnerai par conséquent les deux expressions sous le sigle d'EPJ.

En matière d'EPJ, le droit a été précisé dans une certaine mesure par la Cour suprême dans la récente décision qu'elle a rendue dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne) (précité). Au nom de la majorité (4-3), madame le juge Wilson a statué que, lorsqu'une règle crée une discrimination directe (ce qui était, d'un commun accord, le cas en l'espèce), l'employeur doit justifier la règle discriminatoire dans sa totalité. Il n'est pas nécessaire, comme c'est le cas en matière de discrimination indirecte, de tenir compte des mesures d'accommodement adoptées à l'égard des personnes en cause. En cas de discrimination directe, la règle demeure ou tombe en entier, puisqu'elle s'applique également à tous les membres du groupe. Pour décider de la validité d'une telle règle, le tribunal doit décider si elle était raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public. Il incombe à l'employeur d'établir que la règle ou la norme est une EPJ. Il ne suffit pas de s'appuyer sur des présomptions et sur le soi-disant bon sens; pour

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établir la nécessité de la règle discriminatoire, une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert est nécessaire pour l'établir suivant la prépondérance des probabilités. Sans cette exigence, la protection offerte par les lois en matière de droits de la personne serait effectivement vide de sens. Par conséquent, il est nécessaire, pour justifier une discrimination directe à première vue, de démontrer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'il était raisonnablement nécessaire de le faire, ce qui constitue à la fois un critère subjectif et objectif. (Voir Central Alberta Dairy Pool, précité; le juge McIntyre dans Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; voir également Les effets de la décision Bhinder sur la Commission des droits de la personne : rapport spécial au Parlement (1986).)

En se fondant sur cette décision, l'avocat de la Commission des droits de la personne soutient qu'avant de pouvoir se décharger du fardeau de la preuve qui leur avait été transféré, les intimés doivent démontrer que les refus ou les distinctions étaient justifiables et raisonnablement nécessaires.

Il est difficile de transposer le critère que nos tribunaux ont soigneusement élaboré pour les appliquer dans des situations d'emploi aux cas portant sur un refus ou une distinction lors de la prestation de services. La question à trancher est celle de savoir si les intimés m'ont convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le refus d'accès était honnêtement justifié. Pour statuer sur cette question, j'ai tenté d'appliquer le critère subjectif et le critère objectif élaborés dans l'affaire Etobicoke.

Selon le critère subjectif, les intimés seraient tenus de démontrer que le refus d'accès reposait sur la conviction honnête qu'il était imposé dans le but de favoriser le déroulement approprié de l'élection. Selon le critère objectif élaboré conformément au paragraphe 14a), les intimés devraient démontrer que le refus d'accès était raisonnablement nécessaire pour assurer le déroulement efficace et économique de l'élection. Cependant, il me semble qu'il ne convient pas d'accorder trop d'importance à des facteurs économiques pour déterminer si le refus d'accès à un établissement non commercial est vraiment justifié. De plus, une norme élevée de prudence sera requise, en raison de l'importance du droit apparemment violé.

L'avocat des intimés a tenté de prouver que le refus ou la distinction, dans chacun des cas, était honnête et justifié, parce qu'il était impossible pour les présidents d'élection de chacune des circonscriptions électorales en question de fournir un accès de plein-pied. Compte tenu de cette impossibilité, le refus d'accès aurait été raisonnablement nécessaire. Cependant, si les intimés n'ont pas établi qu'il était impossible de fournir un endroit

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offrant un accès de plein-pied, je dois déterminer s'ils ont prouvé que le refus était néanmoins raisonnablement nécessaire et justifié. J'examine donc maintenant la preuve présentée au nom des intimés.

Kathleen Patterson (plaintes de Derksen, Deluca, Lane et Bauhs) Kathleen Patterson a été présidente d'élection dans la circonscription électorale de Winnipeg/Fort Garry. Lorsqu'elle a été nommée pour la première fois en 1977, elle a été envoyée à Ottawa pour suivre une formation approfondie de trois jours. Afin de trouver dans la région des immeubles qui pourraient convenir comme bureaux de scrutin, elle a dit qu'elle s'est fondée en partie sur les expériences antérieures. Elle a aussi téléphoné à des églises, à des écoles et à des clubs sociaux, en plus de patrouiller elle-même la région en automobile. Elle a circulé surtout dans la région de Fort Garry, parce que les rues étaient complexes. [TRADUCTION] C'était tout simplement un cauchemar que de tenter de fixer les limites... (volume 2 de la transcription, page 43). Elle a mentionné que l'une des premières choses qu'elle a faites, c'est d'établir des sections de vote. Lorsqu'on lui a demandé quelles étaient les directives qu'elle avait reçues au sujet de l'importance de l'accès de plein-pied, elle a répondu ce qui suit:

[TRADUCTION]

Élections Canada en a parlé et a dit qu'il fallait y accorder de l'importance, mais ce n'était pas toujours possible. ... Vous deviez tenir compte de l'accessibilité pour tous les électeurs qui se trouvaient à l'intérieur des limites des bureaux de scrutin par anticipation. Nous essayions de trouver un endroit central qui serait accessible pour tous. Nous devions tenir compte de l'ensemble de l'électorat. (volume 2 de la transcription, pages 44 et 45)

En 1977, Mme Patterson s'est informée auprès d'une personne du ministère des Travaux publics du gouvernement fédéral qui est venue et a examiné quelques-uns des immeubles de la région et elle a conclu, en se fondant sur l'avis de cette personne, que l'installation de rampes d'accès était impossible, car il aurait été très dangereux de le faire. Elle a reconnu la pièce R-10, soit l'avis de scrutin par anticipation qu'elle a publié et dans lequel elle mentionnait que tous les huit bureaux de scrutin par anticipation offraient un accès de plein-pied. D'après l'avis en question, l'école Fort Rouge offrait un accès de plein-pied. Lorsqu'on lui a demandé quels étaient les renseignements qu'elle avait cherché à obtenir au moment où elle a décidé que l'école Fort Rouge servirait de bureau de scrutin par anticipation, voici ce qu'elle a répondu :

[TRADUCTION]

Dans le passé, l'école Fort Rouge a toujours servi de bureau de scrutin, notamment comme bureau de scrutin par anticipation. Toutes les écoles qui étaient des bureaux de scrutin par anticipation se trouvaient dans le secteur scolaire numéro 1 de Winnipeg. J'ai donc téléphoné au secteur scolaire numéro 1 de Winnipeg, j'ai parlé à

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Mme Griffin qui s'occupait de louer les écoles et je lui ai demandé l'autorisation d'utiliser ces écoles; je lui ai aussi demandé si les écoles offraient un accès de plein-pied. Elle pensait que oui et j'ai donc décidé de les utiliser comme bureaux de scrutin par anticipation. (volume 2 de la transcription, page 51)

Mme Patterson a constaté subséquemment que l'école Fort Rouge n'offrait pas d'accès de plein-pied. On lui a ensuite demandé ce qui s'était passé dans le cas de l'église du Saint-Rosaire, où se trouvait l'un des bureaux de scrutin réguliers. Elle a dit que, lors d'une élection précédente, elle s'était rendue à cette église, elle avait parlé au pasteur et elle avait constaté que l'église n'offrait pas d'accès de plein-pied. Voici ce qu'elle a ajouté :

[TRADUCTION]

Je cherchais de l'espace dans cette région- là. Lorsque je suis allée le voir en 1984, je voulais vérifier s'ils avaient fait installer un ascenseur dans l'église, parce que, lors des élections précédentes, je n'ai pas utilisé l'église St-Ignace pour la simple raison qu'il fallait descendre plusieurs marches là-bas, mais ils avaient installé un ascenseur et une rampe d'accès à l'extérieur et même un ascenseur à l'intérieur. J'ai donc pensé qu'on avait fait la même chose à l'église du Saint-Rosaire, mais ce n'était pas le cas. (volume 2 de la transcription, page 52)

Selon elle, il fallait descendre une douzaine de marches à l'intérieur de l'église pour se rendre à l'auditorium, où se trouvait le bureau de scrutin. Elle a dit qu'elle n'avait pas le choix. Elle les a éliminés. Elle s'est informée au sujet de l'édifice situé au 55, Nassau et on ne lui a pas permis de s'en servir comme bureau de scrutin si des personnes autres que les résidants devaient s'y rendre. A l'immeuble situé au 1, Evergreen, il y avait suffisamment d'électeurs pour qu'on y aménage un bureau de scrutin; c'est ainsi qu'on s'est servi de l'entrée comme bureau pour les résidants de l'immeuble.

Même si les renseignements en indiquaient davantage, des huit bureaux de scrutin par anticipation, six offraient l'accès de plein-pied et on pouvait en dire autant de 35 des 42 autres bureaux de scrutin.

En contre-interrogatoire, Mme Patterson a mentionné que, lorsqu'elle a constaté que l'école Fort Rouge n'était pas accessible, elle n'a pas envisagé la possibilité de faire installer une rampe d'accès temporaire. Elle a recherché un autre endroit et s'est informée des possibilités qu'offrait l'église du Saint- Rosaire. Elle a constaté que l'entrée de l'église était située au niveau de la rue, mais qu'il fallait descendre un grand escalier à l'intérieur pour se rendre à l'auditorium.

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Elle a reconnu qu'il existe une résidence pour personnes âgées de l'autre côté de la rue, pas très loin de l'immeuble situé au 55, Nassau, et que cette résidence offre un accès de plein-pied. Elle n'a pu se rappeler si elle avait envisagé ou non la possibilité d'utiliser l'immeuble comme bureau de scrutin lors de l'élection de 1984. Elle se souvient d'avoir reçu des appels téléphoniques de certaines personnes qui se demandaient si le bureau de scrutin par anticipation de l'école Fort Rouge était accessible et se rappelle avoir répondu par l'affirmative jusqu'à ce qu'elle apprenne la vérité.

Phil Cels (plaintes de Chodak et Russell) Au cours de son témoignage, Phil Cels a dit qu'il a été président d'élection dans la circonscription électorale de Brandon/Souris lors de l'élection de septembre 1984. Il a alors été aidé par un secrétaire d'élection du nom de Terry Penten, qui est décédé en 1985. Il a dit qu'après avoir été nommé en 1981, il a suivi un programme de formation. Il a été interrogé au sujet de la démarche qu'il a suivie pour choisir l'emplacement des bureaux de scrutin.

[TRADUCTION] Je me rappelle qu'en général, ma tâche consiste à trouver des bureaux de scrutin accessibles pour le plus grand nombre de personnes possible, pour l'ensemble de la population, de façon que les gens puissent voter facilement. Dans ce contexte, j'examinais les endroits où les gens avaient l'habitude de voter dans le passé. Je me rappelle m'être fondé sur l'avis de certaines personnes qui vivaient dans des régions situées à l'extérieur de Brandon et qui m'ont mentionné les endroits où les gens votaient habituellement ainsi que les endroits disponibles des édifices publics où l'on pouvait aller voter. Nous examinions donc avant tout les édifices publics de la section de vote qui étaient disponibles et accessibles. Je ne me rappelle pas précisément si j'ai insisté sur la question de l'accès de plein-pied, mais je pense que j'ai dû en tenir compte, du moins de façon générale. (volume 1 de la transcription, page 130)

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi l'église St. David a été choisie comme bureau de scrutin, M. Cels a répondu ce qui suit:

[TRADUCTION]

«Je n'ai pas beaucoup de renseignements précis et je ne puis que présumer qu'elle a été choisie en raison des habitudes antérieures» (page 135). Interrogé au sujet du choix de l'école Earl Oxford, il a répondu que l'école avait déjà été utilisée comme bureau de scrutin précédemment et qu'elle mettait alors à la disposition la bibliothèque située au rez-de-chaussée. Lors de l'élection en question, les modalités ont été convenues avec une autre personne, qui est décédée depuis ce temps, et M. Cels n'a pu expliquer pourquoi on a utilisé une pièce située à l'étage supérieur ou pourquoi le changement a été autorisé. Il a dit qu'il a eu une conversation avec le concierge de l'école plusieurs années après

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l'élection, mais qu'il n'a pu obtenir de renseignements utiles qui pourraient expliquer la raison de la modification. M. Cels a formulé quelques hypothèses à ce sujet, mais son témoignage ne m'a pas aidé aux fins des décisions que je devais prendre. Il a ajouté qu'il n'a pas donné de directives aux scrutateurs au sujet des mesures à prendre dans le cas des personnes en fauteuil roulant qui se présenteraient pour voter à des bureaux n'offrant pas d'accès de plein-pied, mais il savait qu'il y avait des bureaux de scrutin de ce genre. Dans la circonscription électorale de Brandon/Souris, huit des neuf bureaux de scrutin par anticipation offraient un accès de plein-pied et il en était de même pour 166 des 175 bureaux de scrutin le jour du scrutin.

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Elgin Rutledge

Elgin Rutledge est secrétaire-trésorier de la municipalité rurale de Woodsworth depuis 18 ans. Il connaît bien les caractéristiques géographiques de la région et l'emplacement des édifices publics qui se trouvent dans la municipalité. Il connaît l'église St. David. Il a dit qu'en 1984, il n'y avait pas d'édifice public dans la région de l'église St. David et il n'y avait aucune autre église. L'édifice public qui offrait un accès de plein-pied et qui était le plus rapproché de l'église St. David se trouvait à Oak Lake, dans une circonscription électorale autre que celle où demeurait Keith Russell.

Joan Belisle (plainte de Bossen)

Joan Belisle a été présidente d'élection dans la circonscription électorale de Winnipeg/St. James lors de l'élection de septembre 1984. Après avoir été nommée à ce poste en 1976, elle a suivi une formation de quatre jours à Ottawa. Elle a dit que, lorsque des élections sont déclenchées, une des premières priorités consiste à choisir l'emplacement des bureaux de scrutin par anticipation et des bureaux de scrutin. Elle avait l'habitude de circuler en voiture dans la région pour déterminer les endroits qui offraient l'accès de plein-pied et qui pourraient convenir comme bureaux de scrutin pour le jour de l'élection, ou encore comme bureaux de scrutin par anticipation. Elle a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«J'imagine que je voulais trouver avant tout des endroits offrant un accès de plein-pied ainsi que ... Je ne voulais pas que les électeurs soient tenus de traverser des artères où la circulation est dense, comme la Sargent Avenue, la Ellice Avenue ou la Portage Avenue et, dans la mesure du possible, j'ai donc choisi les bureaux de scrutin de façon que les électeurs ne soient pas obligés de traverser des grandes rues» (volume 1 de la transcription, page 158). Elle a dit que le nombre élevé de personnes âgées dans sa circonscription électorale a été un facteur très important dont elle a tenu compte dans le choix des bureaux de scrutin.

Lorsqu'on lui a demandé si l'église unie de Westminster offrait un accès de plein-pied, elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Je me rappelle qu'il y avait une rampe d'accès à cette église. Il était donc possible d'entrer dans l'église et nous l'avons utilisée dans le passé, mais ils nous ont manifestement placés au sous-sol pour cette élection-là» (volume 1 de la transcription, page 163). Lorsqu'on lui a demandé si d'autres immeubles offrant un accès de plein-pied auraient pu être utilisés comme bureaux de scrutin au lieu de cette église, elle a parlé d'un nouvel édifice au sujet duquel elle s'était informée, mais elle n'avait pas eu l'autorisation de l'utiliser; exception faite de cet édifice-là, [TRADUCTION] Je ne me souviens pas s'il y en avait. C'était le problème à l'époque. Elle a reconnu que l'église St. Margaret n'offrait pas d'accès de plein-pied et qu'elle était au courant de cette lacune à l'époque. Lorsqu'on lui a demandé s'il était possible d'utiliser un autre immeuble au lieu de l'église

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St. Margaret, elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«... dans les régions plus vieilles en 1984, où tous les immeubles offrent maintenant l'accès de plein-pied, il était très difficile à l'époque de trouver des édifices qui offraient ce type d'accès.» (volume 1 de la transcription, page 164)

Au cours de son contre-interrogatoire, Mme Belisle a mentionné qu'il y avait l'église unie de Westminster. Le problème se trouvait à l'intérieur :

[TRADUCTION]

Si je me souviens bien, on faisait des rénovations dans l'église à l'époque et je me rappelle qu'ils ont décidé d'utiliser le sous-sol de l'église comme bureau de scrutin par anticipation; il devenait alors nécessaire de descendre quelques marches. (transcription, page 169)

Elle a reconnu qu'elle n'a aucunement cherché à faire installer une rampe temporaire menant au sous-sol. [TRADUCTION] A cette époque, cela ne faisait pas partie de ce que nous pouvions faire selon la Loi électorale qui était en vigueur (transcription, page 169). Elle n'a pas communiqué avec le bureau du directeur général des élections pour déterminer s'il y avait des fonds disponibles pour aménager les bureaux de scrutin de façon qu'ils offrent un accès de plein-pied. A ce sujet, elle a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

Si nous pouvions trouver un endroit qui offrait l'accès de plein-pied, c'est ce que nous choisissions. Tout ce que je dis, c'est qu'en 1984, dans ma région, qui est une région établie depuis longtemps, il y avait très peu d'immeubles à cette époque qui offraient ce genre d'accès. Vous ne pouviez pas, comme par magie, trouver ce type d'endroits simplement parce que les élections étaient déclenchées. J'ai fait de mon mieux pour en trouver. (volume 1 de la transcription, page 173)

Mme Belisle s'est également fait demander s'il était possible d'installer des rampes pour augmenter le nombre d'immeubles offrant un accès de plein-pied. Sa réponse a été la suivante :

[TRADUCTION]

J'imagine que, dans certains cas, on aurait pu le faire. Je ne sais pas si nous aurions eu les fonds nécessaires à cette fin à l'époque. J'ai fait et j'ai fourni ce que j'ai pu dans les circonstances. (volume 1 de la transcription, page 174)

En ce qui a trait aux endroits choisis pour les bureaux de scrutin par anticipation, elle a dit que, même si un seul bureau de scrutin par anticipation devait offrir l'accès de plein-pied selon les exigences de la Loi, elle a essayé d'en trouver le plus possible. Elle a souligné que, depuis ce temps, on a installé des rampes d'accès dans plusieurs églises pour permettre aux paroissiens d'y avoir accès plus facilement.

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Des six bureaux de scrutin par anticipation, trois ou quatre offraient l'accès de plein-pied et ce type d'accès existait également dans 95 des 160 autres bureaux de scrutin.

Anne McDonald (plainte de M. Ament)

Anne McDonald a été présidente d'élection dans la circonscription électorale de Winnipeg/Centre-Nord. Après sa nomination en 1979, elle a été envoyée à Ottawa pour suivre une formation d'une semaine. Elle a parlé des personnes qui l'ont aidée à trouver des endroits pouvant servir de bureaux de scrutin. Elle a dit que sa fille, Darlene Gray, a fait une grande partie de la recherche, parce qu'elle avait la voiture.

Selon elle, en 1984,

[TRADUCTION] Nous avons essayé de trouver les endroits qui convenaient le mieux sur le plan de l'accès. Cependant, comme la circonscription se trouve dans une vieille partie de la ville, il est difficile d'y trouver des immeubles qui offrent un accès de plein-pied. Alors, je pense que nous avons fait de notre mieux dans les circonstances... (volume 2 de la transcription, page 16)

Elle a dit qu'on lui avait demandé de trouver le plus grand nombre possible de bureaux de scrutin offrant un accès de plein-pied (volume 2 de la transcription, page 19). Mme McDonald a mentionné qu'elle préférait utiliser la Plaza By the Riverside comme bureau de scrutin, comme on l'avait fait précédemment. Cependant, comme la direction a refusé de permettre aux personnes qui n'habitaient pas l'immeuble d'y entrer, Mme McDonald a dû trouver un autre endroit. Elle a dit que le club de curling de Fort Rouge [TRADUCTION] était le seul endroit que nous avons pu trouver et qui n'était pas trop éloigné de tout (volume 2 de la transcription, page 20). Elle a reconnu que l'édifice du Grain Exchange Curling Club n'offrait pas d'accès de plein-pied et qu'elle le savait.

Mme McDonald a veillé à ce que le bureau du président d'élection offre l'accès de plein-pied. Six bureaux de scrutin par anticipation sur six offraient ce type d'accès et on pouvait en dire autant de 100 des 126 autres bureaux de scrutin.

En contre-interrogatoire, elle a mentionné qu'une fois qu'on était entré dans l'immeuble, [TRADUCTION] il y avait deux ou trois marches à monter (volume 2 de la transcription, page 21). Elle n'est pas certaine du nombre exact de marches. Lorsqu'elle a constaté que l'immeuble n'était pas accessible en raison de l'existence de ces marches, elle n'a pas envisagé la possibilité de faire installer une rampe d'accès temporaire, [TRADUCTION] parce que nous ne sommes pas autorisés ... nous n'avions pas d'allocation que nous aurions pu utiliser pour aménager des rampes d'accès... En 1984, je crois que je n'étais pas autorisée à faire installer des rampes (volume 2 de la transcription, page 22). Lorsqu'on lui a

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demandé si elle avait communiqué avec le bureau du directeur général des élections pour vérifier si des fonds étaient disponibles à cette fin, elle a donné la réponse suivante [TRADUCTION] Je ne me souviens pas si je l'ai fait ou non, Monsieur (volume 2 de la transcription, page 23).

Darlene Gray

Darlene Gray est la fille d'Anne McDonald. Elle a aidé sa mère à remplir ses tâches de présidente d'élection. Elle a personnellement reçu une formation de Joan Belisle. Après la nomination de sa mère, Mme Gray a circulé dans la région de la circonscription électorale pour mieux la connaître. Elle était accompagnée de sa mère. Elle avait appris où se trouvaient les bureaux de scrutin lors de l'élection précédente. Elle a dit que, d'après les directives qu'elle avait reçues, [TRADUCTION] nous devions, dans la mesure du possible, choisir des bureaux de scrutin où une rampe d'accès avait été aménagée ou des endroits où il n'y avait pas de marche... et nous avons fait de notre mieux pour trouver des bureaux de scrutin répondant à ces critères (volume 2 de la transcription, page 29). Elle a dit qu'elle a tenu compte de certains autres facteurs,

[TRADUCTION] comme la proximité par rapport aux habitations des électeurs. On ne voulait pas qu'ils s'éloignent trop de la maison ou qu'ils aient à traverser les grandes artères. Le type d'immeuble lui- même, nous choisissions, de préférence, des édifices publics. L'état de l'édifice : nous ne voulions pas que les électeurs aillent dans des immeubles qui tombent en ruines. Il y avait de nombreux facteurs. J'espère que je les ai tous nommés. (volume 2 de la transcription, page 29)

Elle a dit qu'une fois qu'elle avait fait le tour de la région, elle cherchait à communiquer avec la direction d'un immeuble qui l'intéressait ou avec l'organisme public chargé de l'administrer. Avant une élection, vous ne pouvez que tenter de vous entendre avec la direction.

[TRADUCTION] Vous ne pouvez conclure d'entente finale avant que les élections ne soient déclenchées. Il est possible de trouver un endroit qui est idéal et de constater par la suite, lorsque les élections sont déclenchées, que l'immeuble n'est pas disponible (volume 2 de la transcription, page 30).

Elle a confirmé que l'immeuble connu sous le nom de Plaza By the Riverside n'était pas disponible pour l'élection. Elle a dit ce qui suit

[TRADUCTION] J'étais très ennuyée, parce que cela signifiait que nous avions perdu un bureau de scrutin qui offrait un accès de plein-pied et il devenait très difficile de trouver un autre endroit (volume 2 de la transcription, page 35). Elle a dit qu'elle s'est informée au sujet de la gare du CN, mais qu'elle n'a pu obtenir l'autorisation de l'utiliser. Il y avait aussi dans la région une autre résidence pour personnes âgées qui offrait l'accès de plein-pied, mais elle n'était pas disponible. Il y avait également une église qu'elle avait l'habitude d'utiliser, mais elle

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n'offrait pas d'accès de plein-pied. L'immeuble du Grain Exchange Curling Club a été choisi, [TRADUCTION] parce qu'il était situé à proximité des bureaux de scrutin que nous voulions utiliser (volume 2 de la transcription, page 36). Elle savait qu'il y avait des marches.

En contre-interrogatoire, Mme Gray s'est fait demander si elle avait tenté de rendre l'immeuble temporairement accessible pour les personnes qui devaient se déplacer en fauteuil roulant et elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«nous n'avions pas la possibilité de le faire» (volume 2 de la transcription, page 38).

[TRADUCTION]

«Nous n'étions pas autorisés à aménager de rampes d'accès ou à demander à la direction de l'immeuble de le faire» (volume 2 de la transcription, page 39).

Lorsqu'on lui a demandé si elle avait envisagé la possibilité de faire installer temporairement une rampe d'accès portative là-bas, elle a répondu en ces termes :

[TRADUCTION]

«Non, nous n'étions pas autorisés à cette époque à faire ce genre de choses... Élections Canada n'accorde pas de fonds pour l'aménagement, la location ou l'installation de rampes d'accès». Bien qu'elle ne se soit pas informée auprès du directeur général des élections, elle a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«d'après moi, nous n'étions pas autorisés à le faire» (volume 2 de la transcription, page 39).

Andrée Lortie

Andrée Lortie est directrice adjointe du groupe de la planification opérationnelle et des services internationaux d'Élections Canada depuis juillet 1990. Auparavant, elle a été directrice générale adjointe des élections pendant 14 ans. Entre 1981 et 1990, elle a travaillé pour Élections Canada dans le cadre de certains projets spéciaux. Elle a dit qu'elle avait participé à l'élaboration des critères relatifs aux directives à donner aux présidents d'élection. Elle a donc dû tenir compte de diverses catégories d'électeurs, comme les malvoyants, les malentendants, les sans-abri, les illettrés et les personnes souffrant d'une déficience physique. Élections Canada retient parfois les services de conseillers de l'extérieur pour obtenir des avis à ce sujet.

Elle a dit qu'en 1984,

[TRADUCTION] Nous avions un programme d'information intensif; une des annonces portait explicitement sur le vote par anticipation et tous ... les renseignements concernaient la façon d'aller voter aux bureaux de scrutin par anticipation; il y avait un certain nombre de présidents d'élection que vous pouviez consulter, si vous aviez besoin de renseignements spéciaux, et vous pouviez voter à l'avance à leurs bureaux, si vous ne pouviez vous rendre à un bureau de scrutin ordinaire; vous pouviez aussi obtenir un certificat de transfert. (volume 2 de la transcription, page 75)

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Dans l'annonce, il était également question des personnes souffrant d'une incapacité ou d'une déficience.

En ce qui a trait aux directives données aux présidents d'élection au sujet de l'accès de plein-pied, elle a donné les précisions suivantes :

[TRADUCTION]

R. Pour 1984, du moins, les présidents d'élection ont reçu une note selon laquelle ils devaient choisir des endroits offrant un accès de plein-pied, faire un effort spécial pour que tous les bureaux de scrutin par anticipation offrent ce type d'accès et essayer dans la mesure du possible d'avoir ce type d'accès à tous les bureaux de scrutin, en autant que ce choix ne nuise pas indûment aux autres électeurs.

Q. Parlez-vous des bureaux de scrutin par anticipation ou aussi des bureaux de scrutin réguliers?

R. Je parle des deux.

Q. Des deux?

R. Oui. On insistait définitivement beaucoup plus sur les bureaux de scrutin par anticipation.

Q. Nous avons vu ce que prévoient les dispositions de la Loi électorale dans le cas des bureaux de scrutin par anticipation et nous savons que, selon cette Loi, il doit y avoir au moins un bureau de scrutin par anticipation offrant l'accès de plein-pied. Comment cette exigence de la Loi se comparait-elle aux directives que le directeur général des élections donnait aux présidents d'élection?

R. La comparaison donnait des résultats positifs. Les directives étaient définitivement plus strictes que le texte législatif.

Q. D'après vous, est-ce que les présidents d'élection, du moins au Manitoba, sinon ailleurs au Canada, dépassaient les exigences législatives, et je parle uniquement des exigences de la Loi électorale du Canada concernant les bureaux de scrutin par anticipation?

R. Nous les dépassions définitivement, parce que, si je me souviens bien, dans certaines régions du Manitoba, de toute façon, 100 des 119 bureaux de scrutin par anticipation offraient l'accès de plein-pied.

Les directives données aux présidents d'élection se trouvent à l'onglet 1 de la pièce R-12 et se lisent comme suit:

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[TRADUCTION]

Dans la mesure du possible, choisir comme bureaux de scrutin par anticipation des endroits facilement accessibles pour tout électeur qui doit se déplacer en fauteuil roulant, qui souffre d'une autre déficience ou qui est âgé. Au moins un bureau de scrutin par anticipation offrant l'accès de plein-pied doit être établi dans chaque municipalité urbaine de la circonscription électorale.

. . .

Le principal facteur régissant le choix des bureaux de scrutin est l'accessibilité. Dans la mesure du possible, un bureau de scrutin doit être situé à un endroit central, dans une école ou un autre édifice public, comme un centre communautaire, l'entrée d'une église, une salle de loisirs et ainsi de suite. Pour aider les électeurs qui sont infirmes ou handicapés, les présidents d'élection doivent faire de leur mieux pour trouver des bureaux de scrutin situés au rez-de- chaussée, dans des immeubles où se trouvent des ascenseurs ou des rampes d'accès spéciales.

Elle a dit que c'étaient là les directives qui ont été envoyées aux présidents d'élection avant l'élection de 1984 et que ces directives font partie du manuel à consulter tout au long de la période électorale. Mme Lortie a reconnu l'un des avis de scrutin par anticipation qui ont été déposés en preuve devant moi (pièce R- 10). Elle a dit que la démarche qui consistait à apposer des vignettes indiquant les bureaux de vote qui offrent l'accès de plein-pied a été modifiée pour l'élection de 1988. A la suite du changement apporté à la politique, tous les bureaux de scrutin par anticipation devaient offrir l'accès de plein-pied. En conséquence, on peut voir sur le formulaire une image représentant un fauteuil roulant imprimé à côté de chaque bureau de scrutin par anticipation, alors que, selon la démarche qui était suivie antérieurement, une vignette était apposée à côté de l'emplacement de chaque bureau de scrutin par anticipation. Mme Lortie a souligné que, en plus d'avoir la possibilité de voter à un bureau de scrutin régulier, à un bureau de scrutin par anticipation ou conformément à un certificat de transfert, les électeurs peuvent voter au bureau du président d'élection dès le jour 21, sauf pendant la période du vote par anticipation, le dimanche et le jour du scrutin. Elle est au courant de cas où des électeurs se sont présentés à un bureau de scrutin le jour du scrutin et ont constaté que l'immeuble n'offrait pas d'accès de plein-pied. Si l'électeur demandait l'accès de plein-pied pour entrer dans l'immeuble, une boîte était apportée à l'extérieur ou près de la porte ou on aidait la personne à entrer pour se rendre au bureau de scrutin.

Mme Lortie nous a parlé des audiences que le Comité parlementaire a tenues vers 1981 dans tout le pays au sujet de

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l'accessibilité. A la suite de ces audiences, le Rapport du Comité spécial concernant les invalides et les handicapés a été publié. Ce Rapport comportait la recommandation suivante : Renvoyer au Comité permanent l'étude de toutes les questions concernant l'accessibilité aux bureaux de scrutin pour les électeurs.

Mme Lortie a ajouté que le directeur général des élections a formulé, dans les rapports qu'il a présentés au Parlement pour les années 1983, 1984 et 1988, des recommandations touchant l'amélioration des procédures et qu'il n'a pas cessé de demander depuis ce temps que l'on déploie constamment des efforts pour améliorer les services.

Dans le Rapport statutaire de 1983 déposé comme pièce R-14, on peut lire la recommandation suivante : Je recommande donc que la Loi électorale du Canada soit modifiée de façon à prévoir que le bureau que chaque président d'élection doit ouvrir dès l'émission du bref d'élection soit aménagé à l'endroit de la circonscription électorale le plus commode pour la majorité des électeurs et situé dans un immeuble commercial avec accès de plein-pied ou ascenseurs. Des dispositions particulières pourraient être prévues pour les cas exceptionnels, qui devraient toutefois recevoir l'approbation préalable du directeur général des élections.

Pour sa part, le Rapport statutaire de 1984 déposé comme pièce R-15 comportait la recommandation suivante : 45- Vote des électeurs invalides

Comme l'a suggéré le Comité spécial concernant les invalides et les handicapés, et afin de mieux servir les électeurs invalides, il est proposé que, dans certains cas, le scrutateur soit autorisé à sortir la boîte de scrutin du bureau du scrutin.

Recommandation

Que, lorsqu'un bureau de scrutin n'offre pas un accès de plein-pied, le scrutateur et le greffier du scrutin soient autorisés à porter la boîte de scrutin et les documents nécessaires à l'entrée, voire à l'extérieur du bureau de scrutin, afin de permettre à un électeur invalide de déposer son vote.

Entre-temps, des élections ont eu lieu le 19 septembre 1984. Le projet de loi C-79 a subséquemment été déposé devant le Parlement et, s'il avait été adopté, il aurait apporté les modifications suivantes :

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  1. Le paragraphe 4(1) aurait été modifié de façon à prévoir qu'Élections Canada est tenue d'assurer le respect des dispositions de la Loi.
  2. Le paragraphe 9(1) aurait été modifié de façon à exiger que le bureau du président d'élection offre un accès de plein-pied.
  3. Le paragraphe 33(1) aurait été modifié de façon à prévoir que les bureaux de scrutin offriront, dans la mesure du possible, l'accès de plein-pied et que, dans les cas où cet accès ne peut être assuré, le président d'élection expliquera à tout électeur qui le demandera pourquoi cet accès n'est pas disponible.
  4. Le paragraphe 33(6.1) aurait été ajouté de façon à exiger que chaque centre de scrutin offre l'accès de plein-pied.
  5. Le paragraphe 33(9) aurait été modifié de façon à prévoir que, dans la mesure du possible, tout bureau de scrutin doit offrir l'accès de plein-pied aux électeurs.
  6. Le paragraphe 33(10) aurait été ajouté de façon à prévoir la création de bureaux de scrutin mobiles pour les personnes âgées ou invalides.

Cependant, le projet de loi C-79 est mort au Feuilleton lorsque les élections de 1988 ont été déclenchées, ce qui n'a pas empêché le directeur général des élections d'adopter des mesures administratives. Le personnel de son bureau a consulté le Barrier- Free Design Centre de Toronto pour tenter de concevoir des endroits dépourvus d'obstacles pour la tenue des élections. C'est à la suite de ces consultations que le document apparaissant à l'onglet 2 de la pièce R-12 a été remis aux présidents d'élection et c'est conformément à ces directives qu'une élection que M. Lane a appelée accessible s'est déroulée.

Mme Lortie a également parlé au cours de son témoignage des documents suivants :

  1. Directives révisées remises aux présidents d'élection en 1988 au sujet de l'accessibilité des bureaux de scrutin (pièce R- 12, onglet 2)
  2. Normes qu'Élections Canada a élaborées de concert avec le Barrier-Free Design Centre de Toronto en 1988 (pièce R-12, onglet 3)
  3. Note de service remise à tous les présidents d'élection en date du 29 juillet 1988 au sujet de l'accessibilité des bureaux de scrutin (pièce R-12, onglet 4)

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  4. Note de service remise à tous les présidents d'élection en date du 29 septembre 1988 au sujet de l'accès de plein-pied des bureaux de scrutin (pièce R-12, onglet 5)
  5. Liste des bureaux de scrutin offrant l'accès de plein-pied par rapport au nombre de bureaux de scrutin aménagés lors de l'élection générale de 1988 (pièce R-12, onglet 6)
  6. Rapport du directeur général des élections du Canada fait en 1989 (pièce R-12, onglet 7)
  7. Note de service remise au président d'élection de la circonscription électorale de York-Nord en date du 12 octobre 1990 au sujet des bureaux de scrutin offrant l'accès de plein-pied (pièce R-12, onglet 8)
  8. Énoncé de politique adopté en principe par le comité de gestion (pièce R-12, onglet 9).

Il appert de ces documents que, lors de l'élection générale de 1988, 92 pour cent des bureaux de scrutin offraient l'accès de plein-pied. Au Manitoba, la moyenne s'élevait à 96 pour cent. Les principes de la procédure révisée qui a permis d'obtenir cette élection accessible peuvent se résumer comme suit :

  1. Tous les bureaux des présidents d'élection doivent offrir l'accès de plein-pied.
  2. Tous les bureaux de scrutin par anticipation doivent offrir l'accès de plein-pied.
  3. Tous les centres de scrutin doivent offrir l'accès de plein-pied. Dans la mesure du possible, les bureaux de scrutin ordinaires qui ne se trouvent pas dans un centre de scrutin doivent être aménagés dans des endroits qui offrent l'accès de plein-pied, sauf s'il est physiquement impossible de le faire ou sauf si ces mesures causent des inconvénients à la majorité des électeurs qui doivent aller voter à ces endroits.
  4. Dans tous les cas où les présidents d'élection sont incapables de trouver un bureau de scrutin offrant l'accès de plein-pied, ils doivent être prêts à indiquer à l'électeur qui le demande les motifs justifiant l'absence d'accès de plein-pied.
  5. Les bureaux de révision doivent être situés dans des endroits offrant l'accès de plein-pied.
  6. Lorsqu'un stationnement est disponible, une place de stationnement doit être réservée aux handicapés.
  7. On pourrait modifier les locaux loués en y aménageant temporairement des rampes d'accès, pourvu que celles-ci respectent certaines exigences.

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8. Les présidents d'élection doivent préparer et remettre à Élections Canada un rapport selon une forme approuvée au sujet de l'accessibilité des bureaux de scrutin.

Mme Lortie a mentionné qu'Élections Canada n'a pas reçu des présidents d'élection une demande d'autorisation d'aménager une rampe d'accès lors de l'élection de 1984.

Élections Canada recueille actuellement des renseignements au sujet des immeubles qui offrent l'accès de plein-pied et qui sont disponibles dans tout le pays. Voici ce qu'elle a dit à ce sujet :

[TRADUCTION]

Nous avons constamment cherché à nous améliorer et à obtenir le maximum, au point où nous choisissions les bureaux de scrutin qui n'offraient pas accès de plein-pied uniquement dans les cas où le scrutin ne pouvait être tenu autrement. En outre, le directeur général des élections a été consulté récemment au sujet de sa politique et de ses intentions et il a dit alors qu'il accueillerait très bien cette politique stricte ou que, à tout le moins, il n'aurait pas de mal à l'accepter, si elle faisait l'objet d'une loi et si elle était intégrée dans la Loi électorale du Canada au moyen d'un projet de loi omnibus ou de modifications apportées à ce texte législatif. (volume 2 de la transcription, pages 101 et 102)

Au cours du contre-interrogatoire, l'avocat de la Commission des droits de la personne a fait allusion aux directives de mars 1988 (pièce R-12, onglet 2) et a dit ce qui suit : [TRADUCTION] ... J'ai compris que c'était une forme de compromis. En d'autres mots, si le choix d'un emplacement donné doit causer des inconvénients à la majorité des électeurs et qu'aucun immeuble avec accès de plein-pied n'est disponible, le bureau de scrutin serait quand même aménagé à cet endroit, même si cela cause des inconvénients aux électeurs. C'est bien ça?

R. Je pense que nous devons tenir compte des inconvénients.

Q. Oui?

R. Si cela signifie que nous devons demander à la population d'une région de parcourir une distance de cinquante milles, il s'agit définitivement là d'un inconvénient pour la plupart et c'est un inconvénient majeur, parce qu'il ne s'agit pas simplement d'un bureau qui est mieux placé parce qu'il se trouve de l'autre côté de la rue ou dans le parc où les électeurs ont toujours voté auparavant. (volume 2 de la transcription, pages 112 et 113)

36

A la page 114, il a posé les questions suivantes :

[TRADUCTION]

Q. Oui, ce que je vous demande, c'est si votre bureau a envisagé la possibilité de louer des porte-fauteuils roulants pour escalier?

R. Pas en 1988, mais nous le faisons maintenant, conformément à notre nouvelle politique selon laquelle nous voulons que tous les endroits offrent l'accès de plein-pied. Nous indiquons qu'il peut y avoir des élévateurs, des treuils portatifs et ainsi de suite, quelle que soit la façon dont ils pourraient être utilisés pour offrir l'accès de plein-pied, en plus des rampes d'accès.

Q. Quel que soit le nombre de marches, avec ce type de dispositif?

R. En autant qu'il est sûr et qu'il est physiquement possible de l'installer.

Q. Mais c'est beaucoup plus facile que d'aménager des rampes d'accès temporaires, n'est-ce pas? Je veux dire qu'il y a bien des cas où il ne serait pas possible d'aménager une rampe temporaire, mais que l'installation de l'un ou l'autre de ces dispositifs permettrait d'offrir l'accès de plein-pied?

R. C'est exact.

A la page 119, on peut lire les questions et réponses suivantes :

[TRADUCTION]

Q. En d'autres mots, jusqu'en 1988, jusqu'à ce que le directeur général des élections se montre très strict au sujet de l'accès de plein-pied, le choix des bureaux de scrutin reposait avant tout sur la tradition?

R. C'était définitivement ça.

Q. Je vois. Vous nous avez parlé de l'article 33 de la Loi à la page 99. D'après ce que le personnel de votre bureau comprend au sujet de l'article 33, l'accès pratique dont il est question dans cette disposition n'a rien à voir avec l'accès de plein-pied : cela concerne la nécessité de choisir un endroit commode pour la majorité des électeurs, c'est ça?

R. C'est de cette façon qu'il a été interprété. On parlait de commodité, et maintenant on parle d'accès. Selon la nouvelle orientation que nous avons adoptée, le sens du mot accès a été élargi et signifie maintenant l'accès de plein-pied.

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Au cours de son réinterrogatoire, Mme Lortie s'est fait demander s'il était facile d'obtenir des dispositifs mécaniques autres que des rampes d'accès en 1984 et elle a répondu qu'elle l'ignorait.

J'ai admis en preuve comme pièces R-16 et R-17 le rapport de la Commission des droits de la personne qui a été publié en 1990 et qui s'intitule Inégalité d'accès - Enquête sur l'accessibilité d'un échantillon des bureaux fédéraux ainsi qu'un résumé du rapport. Selon le rapport, l'accessibilité des édifices publics occupés par les organismes fédéraux dans la région de Winnipeg pour les personnes en fauteuil roulant variait de 45,92 pour cent à 75,51 pour cent. Ainsi, pour Emploi et Immigration Canada, le résultat était de 71,88 pour cent, pour la Commission des droits de la personne, de 45,92 pour cent, pour Santé nationale et Bien-être social Canada, de 67,23 pour cent et pour la Fonction publique du Canada, de 75,51 pour cent.

Après avoir examiné attentivement toute la preuve qui a été présentée au nom des intimés, je suis d'avis qu'il n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu'il était impossible d'offrir l'accès de plein-pied à M. Lane, à Mme Deluca, à Mme Bauhs ou à M. Derksen dans la circonscription de Winnipeg/Fort Garry ou à M. Chodak dans la circonscription de Brandon/Souris. Mme Patterson ne m'a pas convaincu qu'elle a envisagé la possibilité d'aménager le bureau de scrutin à la résidence pour personnes âgées située sur Roslyn Road plutôt qu'à l'église du Saint-Rosaire. Elle ne s'est pas rendue elle-même à l'école Fort Rouge. Lorsqu'elle a constaté que cette école n'offrait pas l'accès de plein-pied, elle n'a fait aucun effort pour aviser les électeurs souffrant d'une déficience, que ce soit en publiant un avis dans un journal ou en téléphonant à l'Association canadienne des paraplégiques ou encore en veillant à ce qu'une personne soit disponible à l'entrée de l'école Fort Rouge pour donner une explication aux électeurs auxquels son personnel ou elle-même avait donné des renseignements inexacts. Elle n'a pas fait de démarches non plus pour savoir s'il était possible d'aménager une rampe d'accès temporaire et d'obtenir des fonds à cette fin, le cas échéant. Bien que j'en arrive à cette conclusion, je ne veux pas pour autant minimiser ses efforts. Elle m'a semblé une présidente d'élection compétente qui a bien travaillé lors de l'élection de 1984. Cependant, il est question ici d'un droit de la personne qui est important et, s'il est nécessaire de fournir une aide supérieure pour permettre à un président d'élection de s'acquitter pleinement de ses responsabilités et si des frais doivent être engagés, le directeur général des élections devrait fournir l'aide et les fonds nécessaires. Dans ces circonstances, je suis également d'avis que l'intimée ne m'a pas convaincu que le refus était raisonnablement nécessaire, même si l'on s'est informé auprès du secteur scolaire de Winnipeg et que l'on a obtenu des renseignements inexacts.

38

Dans le cas de la plainte concernant M. Chodak, l'intimé Cels n'a pas expliqué pourquoi son personnel ou lui-même n'a pas exigé que le bureau de scrutin de la circonscription Brandon/Souris soit aménagé au rez-de-chaussée, comme on l'avait fait lors des élections précédentes. L'intimé n'a donc pas établi que le respect de ce droit important était impossible ou que, subsidiairement, le déni du droit était raisonnablement nécessaire. La situation a été aggravée par le fait que, lorsque M. et Mme Chodak sont allés voter, s'attendant raisonnablement alors à ce que M. Chodak ait accès au bureau de scrutin, le scrutateur ou le secrétaire d'élection a refusé de faire quoi que ce soit pour essayer de corriger la situation et a reproché aux Chodak de ne pas avoir pris d'autres dispositions pour aller voter.

En ce qui a trait aux plaintes de M. Russell, de M. Ament et de Mme Bossen, les intimés ont prouvé que le refus du droit était raisonnablement nécessaire et je rejette les plaintes, parce que l'absence d'accès de plein-pied était fondée sur un motif justifiable.

39

  1. Plainte de Keith Russell
  2. Compte tenu du témoignage d'Elgin Rutledge, je suis convaincu qu'il n'était pas possible de trouver un bureau de scrutin offrant l'accès de plein-pied plutôt que d'utiliser l'église St. David.

  3. Plainte de Don Ament
  4. Compte tenu du témoignage de Mme McDonald et de Mme Gray, je suis convaincu qu'il n'était pas possible de trouver un bureau de scrutin offrant l'accès de plein-pied au lieu de l'immeuble du Grain Exchange Curling Club.

  5. Plainte de Marianne Bossen
  6. Compte tenu du témoignage de Mme Belisle et de Mme Bossen, je suis convaincu qu'il n'était pas possible de trouver un bureau de scrutin offrant l'accès de plein-pied pour remplacer l'église anglicane St. Margaret ou un bureau de scrutin par anticipation pour remplacer l'église unie de Westminster.

RESPONSABILITÉ DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS

Le directeur général des élections est-il responsable des violations de la Loi commises par les présidents d'élection des circonscriptions de Winnipeg/Fort Garry et de Brandon/Souris? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte des dispositions suivantes de la Loi électorale :

4.(1) Le directeur général des élections doit

a) diriger et surveiller d'une façon générale les opérations électorales et exiger de tous les officiers d'élection l'équité, l'impartialité et l'observation des dispositions de la présente loi;

b) transmettre, à l'occasion, aux officiers d'élection les instructions qu'il juge nécessaires à l'application efficace des dispositions de la présente loi; et

c) exercer tous les autres pouvoirs et remplir toutes les autres fonctions que lui attribue la présente loi.

(2) Lorsque, au cours d'une élection, il appert au directeur général des élections que, par suite d'une erreur, d'un calcul erroné, d'une urgence ou d'une circonstance exceptionnelle ou imprévue, une des dispositions de la présente loi ne concorde pas avec les exigences de la situation, le directeur général des élections peut, au moyen d'instructions générales ou particulières, prolonger le délai imparti pour faire tout acte, augmenter le nombre d'officiers d'élection ou de bureaux de scrutin ou autrement adapter une des dispositions de la présente loi à la réalisation de son objet, dans la mesure où il le juge nécessaire pour faire face aux exigences de la situation.

7.(1) Le gouverneur en conseil peut nommer un président d'élection pour toute nouvelle circonscription

40

et un nouveau président d'élection pour toute circonscription dans laquelle la charge de président d'élection devient vacante au sens du paragraphe (2).

(2) La charge d'un président d'élection n'est pas vacante, sauf s'il meurt, ou si, avec la permission préalable du directeur général des élections, il démissionne, ou s'il est démis de ses fonctions, pour cause, au sens du paragraphe (3).

(3) Le gouverneur en conseil peut destituer, pour cause, tout président d'élection qui

  1. a atteint l'âge de soixante-cinq ans;
  2. cesse de résider dans la circonscription pour laquelle il est nommé;
  3. est incapable pour cause de maladie, d'incapacité physique ou mentale ou pour un autre motif de s'acquitter d'une manière satisfaisante de ses fonctions conformément à la présente loi;
  4. ne s'est pas acquitté de façon compétente de ses fonctions ou de l'une de ses fonctions conformément à la présente loi;
  5. après sa nomination, s'est rendu coupable de partialité politique, que ce soit ou non dans l'exercice de ses fonctions sous le régime de la présente loi; ou
  6. n'a pas terminé la révision des limites des sections de vote situées dans sa circonscription comme l'a ordonné le directeur général des élections en conformité du paragraphe 10(1).

L'avocat des intimés m'a demandé de rejeter la plainte formulée contre le directeur général des élections, pour le motif qu'il n'est pas l'employeur des présidents d'élection et n'est aucunement responsable des violations commises.

Pour sa part, l'avocat de la Commission des droits de la personne m'a demandé de conclure à la responsabilité du directeur général des élections. Il n'allègue pas que celui-ci est l'employeur des présidents d'élection, mais il soutient qu'il n'est pas nécessaire d'établir l'existence d'un lien commettant-préposé. Dans son mémoire, il a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Il est reconnu depuis longtemps que, aux fins de la législation sur les droits de la personne, les liens d'emploi ne doivent pas être tranchés selon les règles des liens entre le commettant et le préposé.» Il a cité les arrêts Cormier v. Human Rights Commission (Alberta) and Ed Block Trenching Ltd. (1986) 56 A.R. 351, Canadien Pacifique Limitée c. Commission canadienne des droits de la personne et Gilles Fontaine [1991] C.F. 571, 578, Procureur général du Canada c. Mark Rosin et Commission canadienne des droits de la personne

41 [1991] 1 C.F. 391 (Cour d'appel fédérale) et Robichaud c. Canada [1987] 2 R.C.S. 84, 95.

Après avoir examiné attentivement (1) la nature étendue de la portée de la responsabilité selon la jurisprudence susmentionnée, (2) l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne et (3) l'obligation d'origine législative pour le directeur général des élections de donner des directives aux présidents d'élection, je suis d'avis que l'intimé, Élections Canada, est responsable des violations de la Loi que les présidents d'élection intimés ont commises. En outre, je suis d'avis que les directives qu'a données Élections Canada aux présidents d'élection dans la pièce R-6 étaient insuffisantes et ont permis aux présidents d'élection de croire que la norme de conduite requise d'eux était inférieure à celle à laquelle ils étaient tenus de se conformer selon moi. Ma conclusion sur ce point est renforcée par le fait que les directives plus strictes qui ont été données en 1988 (pièce R-12, onglet 2) ont donné lieu à une élection accessible. Je n'ai pas tenu compte des événements subséquents pour déterminer s'il y avait violation apparente de l'article 5 de la Loi. Cependant, il m'apparaît approprié d'en tenir compte pour déterminer si les intimés ont établi un motif justifiable et si Élections Canada est responsable à l'égard de ces violations, et pour déterminer la réparation à accorder.

LES RÉPARATIONS

J'ai indiqué les réparations que M. Lane demande au nom de l'Association canadienne des paraplégiques. L'avocat de la Commission des droits de la personne m'a demandé de prononcer les déclarations suivantes :

  1. tous les bureaux des présidents d'élection et tous les bureaux de scrutin par anticipation doivent offrir l'accès de plein-pied;
  2. tous les bureaux de scrutin doivent être accessibles pour les personnes en fauteuil roulant, sauf dans les cas où, selon le paragraphe 53(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des inconvénients indus seraient ainsi causés;
  3. il doit y avoir des enseignes appropriées indiquant où se trouve l'accès;
  4. il doit y avoir des places de stationnement appropriées;
  5. il faut afficher dans le bureau de tous les présidents d'élection une liste de tous les bureaux de scrutin accessibles pour que le public puisse la consulter;
  6. cette liste doit être publiée dans les journaux assez longtemps avant le jour du scrutin pour que les personnes qui ne peuvent voter à leur bureau de scrutin régulier parce que celui-ci n'offre pas l'accès de plein-pied puissent se rendre
  7. 42

    aux bureaux de scrutin par anticipation ou demander un certificat de transfert;

  8. après toute élection, le directeur général des élections doit présenter un rapport annuel à la Commission au sujet des progrès accomplis en ce qui a trait à l'accessibilité des bureaux de scrutin. Cette obligation de rendre compte prend fin trois (3) ans suivant la date de la décision du Tribunal;
  9. des copies desdits rapports doivent être remises à l'Association canadienne des paraplégiques;
  10. les bordereaux de recensement doivent comporter une mention de l'endroit où les gens peuvent s'informer au sujet de l'accessibilité des bureaux de scrutin;
  11. le directeur général des élections doit remettre une lettre d'excuses à l'Association canadienne des paraplégiques.

L'avocat des intimés soutient que je ne devrais pas tenir compte des points 5, 6 et 9, étant donné que la Commission des droits de la personne n'a pas présenté de preuve à l'appui de ces demandes et qu'il n'avait donc aucune raison de poser des questions à Mme Lortie à ce sujet lorsqu'il l'a interrogée. En conséquence, a-t-il dit, le Tribunal a été privé de la possibilité de recevoir le témoignage de Mme Lortie sur ces points. J'ai subséquemment proposé à l'avocat des intimés de corriger la situation, s'il était d'avis qu'une preuve supplémentaire était nécessaire. Il a décidé de répondre en remettant un autre mémoire, continuant d'affirmer qu'il a été privé de la possibilité de présenter une preuve sur ces questions. Il n'a pas cherché par requête à faire rouvrir le dossier et à présenter une preuve supplémentaire et je suis convaincu que les questions ont été pleinement débattues devant moi et que je suis en mesure de me prononcer à leur sujet.

ORDONNANCES

Compte tenu des mesures positives importantes adoptées par Élections Canada après l'élection de 1984, je suis convaincu qu'aucune excuse n'est nécessaire, sauf dans le cas de M. Chodak.

Je suis d'avis que la violation de l'article 5 commise par le président d'élection, qui s'explique en partie par l'insuffisance des directives données par Élections Canada, ainsi que le comportement du scrutateur ou du secrétaire d'élection au bureau de scrutin sont inacceptables à un tel point qu'il convient d'ordonner que l'intimé s'excuse par écrit auprès de M. Chodak.

Je fais les déclarations suivantes :

  1. Le président d'élection de la circonscription de Winnipeg/Fort Garry et Élections Canada ont commis une violation de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cas des plaignants John Lane, Lucy

    43

    Deluca, Karen Bauhs et Jim Derksen (plaintes numéros P04272, P04568, P04571 et P04570).

  2. Le président d'élection de la circonscription de Brandon/Souris et Élections Canada ont commis une violation de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cas du plaignant Murray Chodak (plainte numéro P04573).
  3. Élections Canada et le président d'élection de la circonscription de Brandon/Souris doivent s'excuser par écrit auprès de Murray Chodak dans les trente jours de la délivrance de la présente décision.
  4. Le droit à un traitement égal des électeurs du Canada qui souffrent d'une déficience physique comprend le droit de chaque électeur aux éléments suivants :
    1. l'accès de plein-pied aux bureaux de tous les présidents d'élection et à tous les bureaux de scrutin par anticipation;
    2. l'accès de plein-pied à tous les autres bureaux de scrutin, sauf si cette exigence empêche l'établissement d'un bureau de scrutin dans une région;
    3. le droit d'être avisé au moins 26 jours avant le jour du scrutin, si un bureau de scrutin d'une région n'offre pas d'accès de plein-pied;
    4. le droit d'être informé par le président d'élection de la circonscription, sur demande, de la raison pour laquelle un bureau de scrutin n'offre pas d'accès de plein-pied;
    5. des enseignes indiquant où se trouve l'accès de plein-pied d'un bureau de scrutin, des espaces de stationnement appropriés et des enseignes indiquant l'emplacement du stationnement réservé aux électeurs souffrant d'une déficience.

Les avocats des parties ont passé en revue les mesures appropriées qui pourraient être adoptées pour indiquer aux électeurs handicapés, avant le jour du scrutin, les bureaux de vote qui n'offrent pas d'accès de plein-pied afin de respecter l'exigence c).

Parmi ces possibilités, mentionnons la parution d'un avis dans les journaux indiquant les bureaux de scrutin qui sont accessibles et les bureaux qui ne le sont pas, une mention des bureaux de scrutin qui sont inaccessibles sur les bordereaux de recensement délivrés pour ces régions de scrutin ou une mention de ces bureaux sur l'avis de recensement qui suit le recensement et qui est posté à chaque électeur inscrit sur la liste des électeurs 26 jours avant le jour du scrutin. L'avocat des intimés soutient que cette dernière solution représente l'option la plus pratique. D'après la preuve et

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les arguments qui ont été présentés, je suis convaincu qu'il est possible d'indiquer à tous les électeurs d'une région les bureaux de scrutin qui n'offrent pas d'accès de plein-pied au moins 26 jours avant le jour de l'élection, ce qui permettra aux personnes lésées de prendre d'autres dispositions. Il appartient au directeur général des élections de déterminer comment communiquer les renseignements aux personnes concernées.

Compte tenu des mesures qu'Élections Canada a adoptées depuis 1984 pour améliorer l'accessibilité des bureaux de scrutin, il ne m'apparaît pas nécessaire de rendre une ordonnance indiquant exactement la façon dont les élections doivent se dérouler. Il s'agit là d'une fonction qui appartient davantage au Parlement et à Élections Canada; en outre, en raison des changements de technologie, la procédure à suivre pour assurer le respect des exigences législatives sera certainement modifiée. Le présent litige a été débattu selon les critères de l'accès de plein-pied et des rampes d'accès. Avec le temps, il sera peut-être possible d'installer des ascenseurs, des escaliers roulants ou d'autres dispositifs qui offriront une meilleure solution que les rampes d'accès.

Pour les raisons indiquées aux pages 53 et 54 de la présente décision, je rejette les plaintes numéros P04574 (Keith Russell), P04567 (Don Ament) et P04569 (Marianne Bossen).

Pour les raisons indiquées aux pages 20 et 21 de la présente décision, je rejette la plainte générale (P04310).

J'aimerais remercier les avocats de toutes les parties de leur précieuse collaboration ainsi que des arguments sérieux qu'ils ont présentés. Ils m'ont grandement facilité la tâche.

Le 18 décembre 1991 Perry W. Schulman

45

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.C. 1976-77, ch. 33 (version modifiée)

ANNEXE A

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT Me PERRY W. SCHULMAN, c.r.

ENTRE

ASSOCIATION CANADIENNE DES PARAPLÉGIQUES

la plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

ÉLECTIONS CANADA - LE BUREAU DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU CANADA LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/CENTRE-NORD LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/ST. JAMES LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/FORT GARRY LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE BRANDON-SOURIS

les intimés

et

PEOPLE IN EQUAL PARTICIPATION INC.

la partie intéressée

Les 23 et 24 octobre 1990, une audience a eu lieu devant moi à Winnipeg dans la cause précitée. Pendant l'audience, l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne et celui des intimés ont appelé des témoins. Après la présentation de la preuve, les avocats des parties m'ont demandé l'autorisation de déposer des mémoires. L'avocat de la Commission m'a demandé de lui accorder jusqu'au 1er décembre pour déposer le premier mémoire. Par la suite, il m'a demandé de reporter ce délai au 21 décembre et, encore une fois, au 25 janvier 1991. Le 4 février, l'avocat de la Commission a fait savoir à l'agent du Tribunal que les parties avaient convenu qu'il n'était pas nécessaire de déposer les mémoires

46

avant le règlement d'une question qu'ont soulevée les avocats des intimés.

Le 13 février 1991, les avocats des intimés ont écrit à l'agent du Tribunal pour demander l'autorisation de rouvrir la preuve des intimés [TRADUCTION] afin de présenter en preuve certains documents qui ont été préparés après l'audience. Dans une lettre en date du 26 février, l'avocat de la Commission s'est opposé à cette demande. Le 6 mars 1991, l'avocat de People in Equal Participation Inc. (P.E.P.), (qui n'est pas le même que celui qui a comparu pour P.E.P. à l'audience) a fait savoir que sa cliente ne s'opposait pas à la requête des intimés.

Les parties ont exprimé le désir de plaider la requête lors d'une conférence téléphonique. On a tenté à plusieurs reprises de fixer une date pour la tenue d'une conférence à laquelle participeraient tous les avocats et l'arbitre. Comme il était difficile de fixer une date, j'ai entendu les observations de l'avocat des intimés et de celui de P.E.P. par téléphone et j'ai reçu subséquemment le mémoire des avocats de chacune des parties. J'ai reçu le dernier de ces mémoires, qui provenait de l'avocat de la Commission, le 3 mai 1991.

Les plaintes en litige concernent l'accessibilité des bureaux de scrutin pour les personnes handicapées. L'avocat des intimés demande l'autorisation de rouvrir la preuve, [TRADUCTION] dans le seul but de faire admettre en preuve les documents suivants :

  1. L'étude intitulée Inégalité d'accès : enquête sur l'accessibilité d'un échantillon des bureaux fédéraux, publiée en décembre 1990 par la Commission canadienne des droits de la personne.
  2. Résumé de l'étude susmentionnée.
  3. Article du Winnipeg Free Press intitulé Human Rights Office Inaccessible en date du 24 décembre 1990.
  4. Lettre en date du 23 janvier 1991 adressée par David Hosking, directeur général de la CCDP, au rédacteur en chef du Winnipeg Free Press au sujet de l'article concernant l'accessibilité des bureaux.

L'avocat des intimés a cité l'ouvrage de Sopinka et Lederman intitulé The Law of Evidence in Civil Cases, notamment la page 541, où les auteurs s'expriment comme suit :

[TRADUCTION] Il y a trois stades après la présentation de la preuve au cours desquels on peut demander l'autorisation d'ajouter une nouvelle preuve :

  1. une fois que la preuve est close, mais avant que les motifs de jugement ne soient rendus;
  2. 47

  3. une fois que les motifs de jugement sont rendus, mais avant que le jugement n'ait été inscrit;
  4. une fois que le jugement a été inscrit.

Dans les cas (1) et (2), le critère à appliquer est le même. Le juge de première instance dispose d'un large pouvoir discrétionnaire pour autoriser la présentation d'une preuve supplémentaire, que ce soit pour sa propre satisfaction ou lorsqu'il estime que c'est nécessaire dans l'intérêt de la justice.

L'avocat de l'intimé a poursuivi en ces termes :

[TRADUCTION]

Le critère est plus strict lorsqu'on veut présenter une nouvelle preuve une fois que le jugement a été inscrit. Cependant, quel que soit le critère appliqué, il n'aurait pas été possible d'obtenir la preuve visée par la présente demande assez rapidement pour l'utiliser au cours de l'instruction. Cette preuve aura vraisemblablement une influence importante sur le résultat de la cause et il faut probablement y ajouter foi, compte tenu de l'auteur.

Il soutient que la preuve concernée est pertinente en ce qui a trait à la question qui découle du paragraphe 14g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (aujourd'hui le paragraphe 15g) de la Loi de 1985), qui prévoit une défense de motif justifiable pour ce refus ou cette distinction. Il a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

En l'espèce, ce que nous soutiendrons finalement au sujet du motif justifiable, c'est que l'on ne pouvait disposer de bureaux de scrutin offrant l'accès de plein-pied dans les circonscriptions concernées ... et qu'il était impossible à l'époque de convertir les installations existantes. ...

Enfin, la question se résumera à celle de savoir ce qui était raisonnable dans les circonstances ... ce qui était raisonnable n'est pas une norme arbitraire établie par le Tribunal, mais doit plutôt être une norme établie par la preuve.

Selon l'avocat, [TRADUCTION] l'étude indiquant la norme de rendement des organismes fédéraux dans la région de Winnipeg (et ailleurs) constituerait une preuve utile au sujet de cette norme.

L'avocat de P.E.P. consent à la réouverture de la preuve pour l'ajout des documents proposés.

L'avocat de la Commission s'oppose à l'admission de la preuve proposée, parce que cette preuve n'est pas pertinente et n'a aucun lien avec la plainte. Voici comment il s'exprime à ce sujet :

48

[TRADUCTION]

En outre, je ne vois toujours pas pourquoi l'intimé pourrait soutenir que l'étude en question est pertinente, étant donné qu'elle n'était pas disponible au moment où la recherche d'immeubles a été faite.

J'ai lu les décisions qu'ont citées Sopinka et Lederman et les arrêts subséquents dans lesquels ces décisions ont été mentionnées. A mon avis, avant qu'un tribunal n'autorise la réouverture d'une cause et l'ajout d'une preuve supplémentaire, la preuve doit non seulement être pertinente aux fins du litige, mais elle doit aussi avoir une importance considérable pour le sort d'un point en litige dans la cause. Cependant, à la page 543 de leur ouvrage, Sopinka et Lederman soulignent que les tribunaux n'appliquent pas de la façon la plus stricte qui soit les critères liés à la présentation d'une preuve supplémentaire dans les [TRADUCTION] procédures sommaires comme les procédures d'affiliation, par exemple, qui comportent un élément d'intérêt public. Il y a un élément d'intérêt public en jeu en l'espèce. Dans ses motifs de jugement rendus le 10 février 1990, la Cour d'appel fédérale a souligné l'importance du droit en jeu en l'espèce, soit [TRADUCTION] le droit de vote qui caractérise le mode de vie démocratique de tous les Canadiens.

En me fondant sur les mémoires que j'ai reçus, je dirais que les documents numéros un et deux de la preuve que l'on propose d'ajouter ont une pertinence marginale au sujet du litige en l'espèce; cependant, en raison de l'importance du litige pour l'ensemble du public, je suis prêt à assouplir le critère qui s'appliquerait par ailleurs et à trancher les doutes sur ce point en faveur des intimés. Quant aux documents 3 et 4, ils ne m'apparaissent pas pertinents et je les rejette. J'autorise donc les intimés à présenter en preuve, comme pièces R-16 et R-17, les documents 1 et 2 mentionnés dans la demande.

Il y a encore deux questions à trancher. L'avocat de la Commission et celui de P.E.P. doivent déterminer s'ils présenteront ou non une preuve en réponse aux documents susmentionnés. S'ils décident de ne pas le faire, j'aimerais fixer une date définitive pour le dépôt des observations écrites de l'avocat de la Commission et une date pour le dépôt des réponses. Le délai écoulé depuis la fin de l'audience est déjà assez long. J'accorde à l'avocat de la Commission un délai de sept (7) jours pour répondre à ces questions. Dans le même délai, je m'attends à ce que l'avocat de P.E.P. me dise s'il désire ou non présenter une preuve. Si, pour une raison ou pour une autre, je ne reçois pas de réponse dans les sept (7) jours, je fixerais alors des dates limites sans autre avis.

FAIT le 15 mai 1991.

Perry W. Schulman, c.r.

49

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.C. 1976-77, ch. 33 (version modifiée)

ANNEXE B

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT Me PERRY W. SCHULMAN, c.r.

ENTRE

ASSOCIATION CANADIENNE DES PARAPLÉGIQUES

la plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

ÉLECTIONS CANADA - LE BUREAU DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS DU CANADA LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/CENTRE-NORD LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/ST. JAMES LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE WINNIPEG/FORT GARRY LE PRÉSIDENT D'ÉLECTION DE LA CIRCONSCRIPTION DE BRANDON-SOURIS

les intimés

L'audience en l'espèce doit avoir lieu devant moi du 23 octobre au 26 octobre 1990. THÉRESA DUCHARME a demandé, au nom de People in Equal Participation Inc., le statut nécessaire pour participer à l'audience. La correspondance reçue de la requérante a été expédiée à chacune des parties pour que celles-ci la commentent. L'avocat des intimés a dit qu'il ne s'opposait pas à la demande. Pour sa part, le directeur général de l'Association canadienne des paraplégiques conteste la demande. L'avocat de la Commission des droits de la personne a fait savoir qu'il n'avait pas d'observation à formuler au sujet de la demande.

La demande est fondée sur l'article 50 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi m'autorise, si je le désire, à donner un avis à tout intéressé, en plus du plaignant et de la personne contre laquelle la plainte est formulée, et m'ordonne de donner à toutes les parties auxquelles l'avis a été remis la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l'intermédiaire d'un

50

avocat. Je ne connais pas d'autres cas où un tribunal a dû se prononcer sur une demande de cette nature, sauf un cas où l'on cherchait à ajouter une partie pour qu'elle soit assujettie à une ordonnance du tribunal ou pour permettre à l'employé dont l'employeur est intimé dans la cause de contester l'allégation liée à sa conduite.

La requérante demande le plein statut pour comparaître par l'entremise de son avocat, présenter une preuve, contre-interroger les témoins et formuler des observations. Il semble que la requérante compte 150 membres, dont certains sont des handicapés. L'objectif de la requérante consiste à [TRADUCTION] intégrer et former toutes les personnes pour favoriser l'acceptation de l'intégration multiculturelle et multireligieuse. Nous avons été avisés que la requérante veut participer au litige dans le principal but de contester la plainte et de [TRADUCTION] protéger et promouvoir le droit de tous les citoyens, quelle que soit leur déficience, qu'ils soient illettrés, aveugles, malentendants, quadriplégiques, isolés ou âgés ou qu'ils souffrent d'une déficience mentale, de voter le jour du scrutin.

Pour déterminer si je dois ou non accorder la demande, j'ai tenu compte des facteurs que la Cour divisionnaire de l'Ontario a mentionnés dans l'affaire Re Royal Commission on the Northern Environment, (1983) 144 D.L.R. 3rd 416, aux pages 418 et 419. Dans la récente enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones, les commissaires d'enquête ont appliqué ce jugement et ont accordé le statut dans la cause de Helen Betty Osborne à la société Indigenous Women's Collective of Manitoba, Inc. et conjointement à la bande indienne de Norway House, au conseil tribal des Cris des marais et à Mme Justine Osborne.

Je suis d'avis que la requérante a suffisamment d'intérêt dans le litige pour se voir accorder le statut dans les circonstances de la présente cause. Cependant, j'aimerais attirer l'attention de la requérante sur le libellé des plaintes et préciser que l'enquête portera uniquement sur les questions qui y sont mentionnées.

FAIT le 8 mai 1990.

Perry W. Schulman, c.r.

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