Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 10/92 Rendue le 5 août 1992

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

ENTRE:

NICOLE BENOIT

La plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La commission

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

L'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL:

Roger Doyon - Président Claudette B. Bergeron - Membre Nicolas Cliche - Membre

ONT COMPARU: François Lumbu Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Marc Santerre Avocat de l'intimée DATES ET LIEU DE 11 au 14 février 1992 L'AUDIENCE: à Montréal (Québec)

INTRODUCTION

Le Tribunal, composé de Roger Doyon, Claudette B. Bergeron, Nicolas Cliche, est unanime quant aux motifs de la présente décision.

LA PLAINTE

Le 21 septembre 1988, Dame Nicole Benoit portait une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne à l'endroit de la Société Canadienne des Postes. Elle allègue avoir été victime d'un acte discriminatoire en raison de sa race, couleur (noire) et de son origine ethnique (haïtienne) contrairement a l'article 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle soutient de plus que l'intimée a adopté des lignes de conduite de manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou dune catégorie d'individus en raison de leur race, couleur (noire) et origine ethnique (haïtienne) en violation de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plainte produite sous la pièce C-1 se lit comme suit:

"La Société canadienne des postes a discriminé à mon endroit en refusant de continuer A m'employer en raison de ma race, (noire) et origine ethnique (haïtienne) contrairement A l'article 7 de la Loi canadienne des droits de la personne.

De plus, la Société canadienne des Postes applique des lignes de conduite dune manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou dune catégorie d'individus en raison de leur race, couleur (noire) et origine ethnique (haïtienne) contrairement a l'article 10 de la Loi canadienne des droits de la personne.

En octobre 1987, j'ai commencé a travailler comme employée occasionnelle régulière au Bureau de poste situé au 1500, rue Ottawa, Montréal, et ce, jusqu'en juin 1988 comme commis primaire. J'ai travaillé de 5 A 6 jours par semaine sans problème jusqu'en mai 1988. En juin 1988, un nouveau superviseur, Serge Roy, est entré en fonctions. Celui-ci a alors réduit mes jours de travail à appel à 3 jours par semaine puis il m'a dit que j'étais sur. Lorsque quelques jours plus tard je lui téléphonais pour savoir à quel moment je

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pourrais travailler, il m'a dit qu'il n'y avait plus d'ouvrage. Je lui ai demandé pourquoi il faisait cela, il m'a déclaré qu'il agissait selon les directives de son supérieur, J.P. Charest.

Je sais qu'il y avait beaucoup de travail à faire. J'ai toujours fait mon travail avec précaution et je dépassais les standards moyens de classement de lettres. De plus, A ma connaissance, on n'a jamais trouvé d'erreurs dans mon travail.

J'allègue que Serge Roy et J.P. Charest ont réduit mes heures de travail et mont congédiée en raison de ma race, couleur et origine ethnique.

En l'espace de deux semaines après l'arrivée de Serge Roy, celui-ci et J.P. Charest, ont aussi renvoyé 20 personnes noires d'origine haïtienne. A ce jour, il ne reste plus qu'une seule personne noire travaillant à la section de Serge Roy alors qu'il y en avait 30 sur 85 employés(es) lors de mon arrivée.

Toutefois, il y a eu désistement de la partie de la plainte visant l'application de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de sorte que le débat se limite a l'application de l'article 7 de cette loi.

La plainte doit être examinée en référence au paragraphe 3(1) et a l'alinéa a) de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) ch.H-6 (version modifiée).

Le paragraphe 3(1) de la Loi se lit comme suit:

"Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondéssur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'age, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de la personne graciée ou la déficience."

L'article 7 de la Loi énonce:

"Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

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a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi;"

LES FAITS

La preuve démontre qu'au cours de la période qui nous intéresse, l'intimée opérait un centre de tri postal situé au 1500, rue Ottawa, A Montréal. Dans ce centre, on procède au triage du courrier pour les villes de Montréal et Laval ainsi que dans la partie de la rive sud comprise dans Longueuil, St-Lambert, Greenfield Park et Brossard.

L'organigramme de direction de ce centre de tri postal se compose d'un directeur assisté d'un gestionnaire, de surintendants de secteurs, de surveillants de premier niveau, de surveillants de modules et ce, sur chaque quart de travail.

On divise les opérations du tri postal en trois (3) secteurs:

  1. secteur manuel, secteur mécanique et secteur de réception et d'expédition du courrier.

Le secteur de tri manuel se divise a son tour en trois (3) secteurs:

  1. primaire court et long, primaire grand format et tri final.

Le secteur du tri primaire manuel court et long se subdivise en 11 modules de 20 a 40 employés sous la responsabilité d'un surveillant.

Le tri manuel primaire court et long consiste A procéder au triage de lettres de format court et long. Une fois trié, le courrier est acheminé au tri final qui est un tri par route de facteur.

Pour le tri manuel primaire court et long, l'employé est placé devant un casier subdivisé en 126 petits casiers. Le courrier, apporté dans une corbeille et contenant 450 lettres, est remis à 1'employé qui le verse sur sa table de travail. Sur le côté de la corbeille, se trouve une petite pochette dans laquelle a été placée une carte d'escorte codée éndiquant le type de courrier, éoit primaire court et long ou primaire grand format. A l'intérieur de la carte

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d'escorte codée, il y a un jeton de couleur qui détermine l'engagement de livraison du courrier. Avant de débuter son travail de classement des lettres, l'employé doit accrocher ce jeton sur un petit crochet fixé à son casier.

Cette opération est importante car elle permet de calculer la performance de l'employé puisque ces jetons sont ramassés a toutes les deux (2) heures.

L'employé procède au classement du courrier en le plaçant dans les petits casiers suivant la méthode RTA. Il s'agit dune méthode alphabétique en référence aux trois (3) premières lettres du code postal indiqué. En l'absence de RTA, le courrier est classé dans de petits casiers avec des couleurs indiquant des secteurs par ordre alphabétique et acheminé au tri final. Pour le courrier destiné à llextérieur du traitement de Montréal, il y a trois (3) petits casiers. L'un est utilisé pour le courrier destiné aux Etats-Unis, le second pour l'étranger soit l'extérieur du Canada et les Etats-Unis et le dernier pour l'extérieur de Montréal. Il y a également de petits casiers pour le courrier non affranchi ou non suffisamment affranchi ou sans adresse.

Au tri manuel primaire court et long, les ingénieurs de la Société canadienne des Postes, suite à une étude de temps et mouvement, ont établi que la norme minimale de tri est de 1657 lettres à l'heure soit environ 3½ corbeilles.

On apporte également une surveillance constante au contrôle de la qualité du travail. Bien que le maximum soit demandé, on tolère une marge d'erreur de 1%-. Les surveillants de secteur, le surintendant, vérifient constamment la qualité du travail de l'employé de même que le gestionnaire A l'occasion. Pour ce faire, ils se rendent au casier de l'employé et évaluent le travail accompli et la performance réalisée en utilisant la méthode de rendement Baker. L'application de cette méthode démontre que l'employé doit déposer une lettre dans le casier a toutes les deux (2) secondes pour répondre a la charge standard de travail. L'employé embauché par l'intimée, la Société canadienne des Postes, comme employé occasionnel est d'abord assigné aux opérations du tri manuel primaire court et long lequel ne comporte aucune exigence particulière si ce n'est que de savoir lire, le travail étant très simple réaliser.

Lors de son embauche, l'employé reçoit des explications sur les méthodes de travail. Comme le tri manuel primaire est le travail de base, l'employé qui founit une prestation de travail satisfaisante augmente ses chances d'être affecté au

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tri mécanique ou final de sorte que ses heures de travail seront augmentées; ainsi, il obtiendra une meilleure sécurité d'emploi.

Généralement, après deux (2) semaines de travail, l'employé occasionnel assigné au tri manuel primaire court et long est en mesure d'accomplir un travail satisfaisant.

Pendant la période d'octobre 1987 mai ou juin 1988, les opérations du tri manuel primaire sur le quart de travail de nuit nécessitaient I'emploi de 80 personnes à titre d'employé régulier et entre 350 et 400 personnes sur appel comme employé occasionnel dont 180 à 250 par quart de travail de nuit.

En avril 1988, la Société canadienne des Postes a procédé a une réorganisation importante. Le centre de tri de Laval a cessé ses opérations de sorte que la majorité des employés de ce centre de tri ont été relocalisés au centre de tri de la rue Ottawa et le courrier acheminé au même endroit. Avant la réorganisation, les opérations du centre de tri, rue Ottawa, nécessitaient de 1400 à 1500 heures de travail d'employés occasionnels par nuit. Pendant la période de restructuration et d'adaptation, le nombre d'heures de travail des employés occasionnels est passé a 1900 heures par nuit.

Suite à l'introduction de la méthode dite RTA et à l'addition de nouvelles machines au tri mécanique et une fois la période d'adaptation terminée, le nombre d'heures de travail des employés occasionnels a diminué progressivement pour atteindre 700 heures par nuit.

Comme cette situation allait réduire considérablement le nombre d'employés occasionnels affectués au quart de travail de nuit, le gestionnaire de ce quart de travail, Jean-Paul Charest, a pris I'initiative de scinder en deux (2) leur semaine de travail, soit du lundi au mercredi et du jeudi au samedi. Vu qu'il s'agissait d'un changement majeur, le gestionnaire a décidé de rencontrer lui-même tous les employés occasionnels du quart de travail de nuit et ce, par module. ...Je voulais être certain que le message soit le même pour tout le monde et que les ens comprennent bien dans quelle situation nous étions. -?Volume 2, page 273.)

Ces rencontres se sont échelonnées sur une période de trois (3) nuits et ce, en présence du surveillant de module. Au moment de ces rencontres, aucune décision n'avait été prise concernant le personnel qui serait remercié. Malgré la mise en oeuvre de cette nouvelle politique de répartition de

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travail, des licenciements séimposaient et le gestionnaire, Jean-Paul Charest, a exigé des surveillants de lui fournir une évaluation des employés occasionnels afin de maintenir 1éemploi de ceux offrant une meilleure performance et de licencier les moins performants.

La mise en vigueur d'une semaine de travail de trois (3) jours séétant avérée infructueuse, la semaine de travail a été ramenée A cinq (5) jours comme auparavant, de sorte qu'à la fin de la période de réorganisation, l'opération du tri manuel court et long sur le quart de travail de nuit requérait l'emploi de 180 employés occasionnels dont 100 à 125 par quart de travail de nuit.

La preuve révéle que la plaignante a été embauchée par l'intimée le 26 avril 1987, comme employée occasionnelle, affectée au tri manuel du courrier court et long sur le quart de travail de soir. Elle fut assignée à l'établissement de l'intimée du 1500, rue Ottawa, a Montréal.

Suivant la piéce I-I, intitulée annexe 2, et indiquant ses heures de travail, il appert que Nicole Benoit a travaillé de façon sporadique du 26 octobre 1987 au 28 février 1988, soit 15 jours. Elle affirme, dans son témoignage, qu'elle offrait un rendement de travail plus que satisfaisant allant même jusqu'a réaliser le classement de quatre (4), à cinq (5) et méme sept (7) corbeilles a l'heure alors que la norme exigée est de 3½ corbeilles à l'heure.

Pendant qu'elle était assignée au quart de travail de soir, le gestionnaire était M. Hébert Loisel, possédant 32 ans d'expérience comme superviseur au tri manuel. Ce témoin a eu l'occasion de vérifier le travail de la plaignante et il a constaté qu'elle faisait beaucoup d'erreurs. Durant que mes employés réguliers faisaient trois (3) cabarets à l'heure, Mme Benoit en faisait ¼ ou peut-étre ½ maximum. - (Volume 2, page 424.)

Transférée au quart de travail de nuit au début de mars 1988, Mme Benoit y a travaillé de façon réguliére particulièrement en avril et mai. Le gestionnaire Hébert Loisel a été appelé à travailler sur cette équipe de nuit afin de vérifier le travail des employés occasionnels qui étaient plus nombreux au cours de cette période et à collaborer a leur formation.

Son travail consistait a vérifier les casiers et a séassurer que les employés occasionnels donnent un bon rendement. (Volume 2, page 408).

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Lorsqu'il constatait des erreurs, il en avisait l'employé et il veillait également à la productivité des employés. Volume 2, page 412, 413.

Q. Est-ce que vous étiez en mesure également de voir les employés productifs ou non?

R. C'est facile à voir. Avec la connaissance que j'avais, lorsque ... a toutes les deux heures, d'abord, on ramasse les jetons pour savoir la productivité, ensuite on marque ga sur un tableau. Nous demandons 100 pour cent, mais a 90 pour cent ... dans le temps on demandait 90 pour cent.

Alors si on arrivait avec 80 pour cent ou 75 pour cent, il y a quelque chose qui ne marchait pas à quelque part.

Q. Quand vous parlez du volume, 90 pour cent c'est

R. Du courrier trié.

Q. ... de votre secteur.

R. De notre secteur, oui. Et d'un coup d'oeil, je pouvais voir l'employé qui produisait assez bien et l'employé qui ne produisait pas.

Pour savoir l'employé qui ne produisait pas, j'employais la méthode Baker. D'abord, je regardais dans le secteur quels sont ceux qui produisaient, et je voyais tout de suite l'employé qui produisait et l'employé qui ne produisait pas.

Lorsque je voyais un employé qui ne produisait pas, j'employais la méthode Baker.

M. Loisel a eu à vérifier a plusieurs reprises le travail de Mme Benoit et il a constaté qu'il n'y avait pas d'amélioration malgré qu'il lui ait expliqué ses erreurs et la façon d'y remédier. Au lieu de reconnaître ses erreurs, elle persistait a mettre la faute sur les autres employés. Il tire les conclusions suivantes: (Volume 2, pages 418, 419)

Q. Au niveau de la qualité du tri, qu'est-ce que vous constatiez dans le travail de Mme Benoit?

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R. J'ai constaté qu'il y avait 95 pour cent d'erreurs.

Q. Quand vous dites 95 pour cent d'erreurs, ça veut dire que c'était beaucoup d'erreurs?

R. Je pense bien. Ca ne peut pas être pire que ça. Il y a seulement 5 pour cent de bien classé. C'est presque zéro. C'est nul; c'est zéro. Comment voulez-vous, avec un pourcentage d'erreurs comme ça, qu'on garantisse les services aux clients de la livraison dans les deux jours? C'est impossible?

M. Loisel a avisé le surveillant Serge Roy et le gestionnaire Jean- Paul Charest de l'inefficacité du travail de la plaignante. Le surveillant de module, Serge Roy, était chargé de s'assurer que le courrier soit bien classé et que les employés rencontrent les normes exigées par l'employeur, soit la qualité du travail et la productivité. Il avait sous sa responsabilité 80 employés réguliers, dont 40 employés occasionnels. La plaignante était parmi ceux-ci.

M. Serge Roy a constaté à plusieurs reprises que Mme Benoit faisait de nombreuses erreurs de tri du courrier. Dans son pigeonnier, elle pouvait avoir 90 pour cent des lettres qui étaient mal classées - (Volume 3, pages 479 à 482.)

Malgré les avertissements répétés, non seulement il n'y avait pas d'amélioration, mais elle prétextait que ce n'était pas elle qui faisait des erreurs.

Du 1er février 1988 au mois de juin 1988, M. Jean-Yves Rhéaume était superviseur par intérim au tri manuel primaire court et long du quart de travail de nuit sous l'autorité du gestionnaire, Jean-Paul Charest. Sa charge de travail consistait à superviser à quatre (4) ou cinq (5) reprises le travail d'environ 35 employés occasionnels en leur transmettant la formation de base et en surveillant la productivité et la qualité de leur travail.

La plaignante s'est jointe a son équipe en mars 1988, en même temps que d'autres employés en provenance de l'équipe de travail de soir. La majorité était de race noire mais il y en avait aussi de race espagnole et également des québécois. Le superviseur Rhéaume a eu l'occasion de vérifier fréquemment le travail de la plaignante. Celui-ci n'était pas bon et sa production déficiente de sorte qu'il devait lui accorder une surveillante intensive comme à d'autres travailleurs qui éprouvaient des difficultés à

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atteindre les exigences normales de l'occupation. Il a informé le gestionnaire, Jean-Paul Charest, des difficultés de la plaignante.

Les premiéres remarques sur les performances de travail de Mme Benoit ont été transmises au gestionnaire, Jean-Paul Charest, environ deux (2) semaines aprés qu'elle eut débuté sur le quart de travail de nuit, soit vers le début d'avril 1988. Ces remarques émanaient du gestionnaire Hébert Loisel, des superviseurs Jean-Yves Rhéaume, Claude Pelletier et du surveillant Serge Roy. Elles étaient a l'effet que Mme Benoit n'était pas performante au niveau de sa vitesse de tri et au niveau de sa qualité de tri. - (Volume 1, page 190).

Pour s'assurer du bien-fondé des remarques regues relativement aux performances de la plaignante, le gestionnaire, Jean-Paul Charest, a décidé de vérifier personnellement.

Une premiére vérification, en mai 1988, lui a permis de constater que Mme Benoit commettait beaucoup d'erreurs de classement dans son casier. L'ayant alors informée de ces erreurs et sur la façon d'y remédier, celle-ci les attribuait a l'employé ayant classé avant qu'elle ne débute son quart de travail.

Comme ces explications pouvaient être valables, M. Charest a procédé, environ deux (2) semaines plus tard, à une seconde vérification aprés s'être assuré que le casier de Mme Benoit était vide au début de son quart de travail. Il a alors constaté qu'après une (1) heure de travail, elle avait commis beaucoup d'erreurs et trié une seule corbeille. Le pourcentage d'erreurs c'était beaucoup plus que de l'ordre de 20 à 30%. Les erreurs étaient énormes. - (Volume 1, page 198).

Informée de la mauvaise qualité de son tri et de sa faible performance, l'employée soutenait qu'elle classait en moyenne sept (7) corbeilles A l'heure, ce qui était impossible selon M. Charest parce que sept (7) corbeilles, ça représente tout près de 3000 lettres dans 126 casiers différents... Quand une personne classe quatre (4) corbeilles à l'heure, elle est performante. Exceptionnellement, on va avoir des personnes qui peuvent se rendre jusqu'a cinq (5) corbeilles à l'heure mais c'est vraiment exceptionnel. - (Volume 1, pages 202, 203).

M. Charest n'a pas jugé bon de congédier la plaignante au moment de ces constatations pour les raisons suivantes:

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... La personne travaillait au primaire court et long, donc ce sont les gens qui faisaient moins d'heures. Vous avez sûrement vu que sur l'équipe de soir les heures n'étaient pas nombreuses. Donc, on leur donnait plus de temps quand même pour apprendre.

Vous avez aussi le fait qu'il y a des gens qui apprennent plus lentement que d'autres. On était aussi dans une période où on avait besoin des aides occasionnelles en grand nombre, et que le bureau d'emploi ne pouvait suffire à notre demande.

De plus, on était conscient que la majorité de notre clientèle provenait du bien-être social et qu'à moins de mauvaise volonté, on était patient. (Volume 2, page 254).

La mise en vigueur du nouvel horaire de travail a obligé le gestionnaire, Jean-Paul Charest, à procéder au renvoi de 12 employés occasionnels et ce, sans égard a la race, ou à leur origine ethnique. Ces employés ont été informés de leur départ par leur surveillant de secteur. Le témoin Charest s'exprime ainsi:

"Q. Ces personnes-la, est-ce qu'elles étaient toutes des personnes de race noire ou des personnes haïtiennes?

R. Ah, non, définitivement pas. Je me souviens d'une Mme Lacelle, entre autres, parce que je suis allé a Travail-Canada par la suite pour ce cas-la. C'est une personne de race blanche qui reste a Pointe-aux- Trembles, native au Québec. Je ne congédie pas en fonction de la race mais en fonction de la performance." (Volume 1, page 205).

C'est le gestionnaire Jean-Paul Charest qui a pris la décision de procéder au renvoi de la plaignante.

Volume 1, page 212.

Q. Et qui a pris la décision finale la de congédier madame?

R. La décision finale m'appartient a moi en tant que gestionnaire de quart, sous la recommandation de mon surintendant ou de mes surveillants.

LE PRESIDENT: Mais effectivement est-ce que c'est vous qui l'avez prise?

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LE TEMOIN: Oui, effectivement c'est moi, ils n'ont pas le droit de congédier un surveillant de premier niveau.

QUESTIONS EN LITIGE

Est-ce que l'intimée, la Société canadienne des Postes, a refusé de continuer d'employer ou de continuer d'employer la plaignante en raison de sa race, de la couleur de sa peau, ou de son origine ethnique? Qui plus est, la race, la couleur de la peau ou l'origine ethnique de la plaignante ont-ils été l'un des motifs de la perte d'emploi de Nicole Benoit?

LE FARDEAU DE LA PREUVE

Le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve dans les cas de discrimination ont été exposés dans de nombreuses décisions plus particuliérement dans L'affaire Julius Israel c. Commission canadienne des droits de la personne et un autre, (1983) 4 CHRRD/616, à la page 1617:

"Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l'ordre de présentation des él'ments de celle-ci. Il semble que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve soient les mémes dans tous les cas de refus d'emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer des commissions d'enquéte canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d'abord établir qu'il s'agit, a premi6re vue, d'un acte discriminatoire. Il incombe ensuite a l'employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit a nouveau au plaignant qui doit démontrer que l'explication fournie niest qu'un simple prétexte et que la discrimination est véritablement a l'origine des actes de l'employeur."

LA PREUVE

Il convient d'analyser si la plaignante a réussi A démontrer de fagon prima facie le contenu des allégués de la plainte qu'elle a formulée.

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Mme Benoit déclare dans sa plainte:

"En octobre 1987, j'ai commençé a travailler comme employée occasionnelle réguliére au bureau de poste situé au 1500, rue Ottawa, Montréal, et ce jusqu'en juin 1988 comme commis primaire. J'ai travaillé 5 à 6 jours par semaine sans problème jusqu'en mai 1988."

Lors de son témoignage, la plaignante a soutenu, qu'à son embauche, elle a travaillé pendant deux (2) mois à raison de trois (3) jours semaine pour travailler par la suite cinq (5) a six (6) fois par semaine de façon régulière. (Volume 1, page 43).

L'intimée a produit la pièce I-1 intitulée Annexe 2 qui démontre le nombre de jours et d'heures travaillés par la plaignante au cours de sa période d'emploi du 26 octobre 1987 au 27 juin 1988, soit 36 semaines. Pour la période du 26 octobre 1987 au 29 mars 1988, soit 21 semaines, elle n'a travaillé que de façon sporadique n'accumulant que 100 heures de travail sur 16 jours.

Au cours de la période du 20 mars 1988 au 27 juin 1988, soit 15 semaines, elle a travaillé de façon plus régulière et, à l'occasion, a raison de cinq (5) jours semaines.

La plainte et le témoignage de la plaignante ne reflétent pas la réalité démontrée par la piéce I-1. De plus, alors que Mme Benoit soutient qu'elle fut embauchée sur le quart de travail de nuit, la piéce I-1 révéle qu'elle a débuté son travail le 26 octobre 1987 au quart de travail de soir pour étre mutée, en mars 1988, au quart de travail de nuit.

A la plainte, on peut lire:

"En juin 1988, un nouveau superviseur, Serge Roy, est entré en fonction. Celui-ci a réduit mes jours de travail à trois (3) jours par semaine, puis il m'a dit que j'étais sur appel. Lorsque quelques jours plus tard je lui téléphonais pour savoir a quel moment je pourrais travailler, il m'a dit qu'il n'y avait plus d'ouvrage."

La preuve révéle que la réorganisation mise sur pied par l'intimée devait entrainer une réduction des heures de travail des employés occasionnels et, par le fait même, une réduction de cette main- d'oeuvre. Pour minimiser les conséquences de cette réorganisation, le gestionnaire,

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Jean-Paul Charest, a décidé de scinder la semaine de travail en trois (3) jours soit du lundi au mercredi et du jeudi au samedi. Cette mesure ne visait pas Mme Benoit en particulier mais l'ensemble des employés occasionnels alors assignés au quart de travail de nuit. Toutefois, la façon de procéder des représentants de l'intimée telle que mentionnée a la plainte et le témoignage de la plaignante sur ce point sont contradictoires.

Mme Benoit raconte: (Volume 1, pages 16-17).

«Q. Qu'est-ce qui s'est produit une fois que M. Serge Roy est arrivé?

R. Une fois que M. Serge Roy est arrivé, il y a une nuit qu'on est venu travailler. A 6 heures du matin, il a contacts le personnel objet travaillais parce qu'il devait diviser le groupe en deux équipes. Il y a une équipe qui travaillait du lundi au mercredi, l'autre équipe du jeudi au samedi.

Mais il y avait une autre liste qu'il avait. C'était le nom des personnes qu'il devrait congédier. Mais mon nom n'était pas indiqué sur cette liste après que Serge a fini de citer les noms des personnes qu'il devait révoquer, moi je l'ai suivi, ainsi que beaucoup de personnes qui l'avaient suivi aussi.

J'ai demandé à Serge Roy quels jours ie vais travailler, parce qu'il y avait deux équipes. Je ne savais de quelle équipe ie faisais partie. Il m'a dit: Il n'y a plus d'ouvrage pour vous ici, c'est fini. J'ai dit: Comment ça se fait?

Q. Alors, il vous a dit que c'était fini.

R. Oui. Il m'a dit qu'il n'y avait plus d'ouvrage pour moi. Je lui ai demandé comment ga se fait qu'il n'y a plus d'ouvrage pour moi parce que mon nom n'était pas mentionné sur la liste de révocation. Et il m'a répondu: Vas-t'en a la maison, il n'y a pas d'ouvrage pour vous ici, madame."

La preuve révéle que le gestionnaire Charest, vers le début de juillet 1988, a lui-même rencontré les employés occasionnels pour leur expliquer les modifications envisagées a la semaine de travail. La mise en application a eu lieu environ 15 jours plus tard. Au surplus, lors des rencontres avec les employés occasionnels, aucune décision n'avait encore été prise relativement à l'identité des

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employés occasionnels assignés à la semaine de travail du lundi au mercredi et de ceux assignés à la semaine de travail du jeudi au samedi. Le gestionnaire, Jean-Paul Charest, avait demandé un rapport au surveillant de module sur les employés occasionnels afin de garder les plus performants, les autres devant être congédiés. L'identité de ceux-ci n'était pas encore connue.

La preuve révéle également que la façon de procéder de l'intimée, lors du congédiement d'un employé occasionnel, consistait simplement a ne plus le rappeler au travail et de l'en informer qu'a sa demande.

Il est tout de méme curieux de constater que la plaignante n'ait pas relaté ces faits qui auraient pu être fort incriminants a l'endroit de l'intimée lors du dépôt de sa plainte. Bien que la façon d'agir de l'intimée, lors du congédiement d'un employé occasionnel, soit pour le moins inusité et ne saurait être admise en d'autres circonstances, tel qu'en droit du travail, elle doit être retenue puisqu'elle apparaît à la plainte elle-même et qu'elle est corroborée par la preuve.

Dans sa plainte, Mme Benoit allègue:

"Je sais qu'il y avait beaucoup de travail à faire."

La preuve révèle au contraire que les heures de travail octroyées aux employés occasionnels assignes au quart de travail de nuit ont diminué progressivement vers le début de juillet 1988 pour passer de 1900 heures à 700 heures et que le nombre d'employés occasionnels est passé de 350 a 450 qu'il était à 180.

Mme Benoit soutient, dans sa plainte:

"J'ai toujours fait mon travail avec précaution et je dépassais les standards moyens de classement."

La prépondérance de la preuve démontre de toute évidence que la plaignante ne rencontrait pas les exigences standards de l'employeur. De plus, face aux remarques de ses supérieurs, elle prétextait, au lieu de reconnaître ses erreurs et tenter de mieux performer, qu'elle était victime des erreurs des autres employés. Elle soutenait, en outre, atteindre des performances exceptionnellement réalisables ou même impossible à réaliser telles que cinq (5) et même sept (7) corbeilles a l'heure.

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Mme Benoit affirme dans sa plainte:

"De plus, à ma connaissance, on n'a jamais trouvé d'erreurs dans mon travail."

Le témoignage du superviseur, Hébert Loisel, fort de 32 ans d'expérience et qui a eu à vérifier le travail de la plaignante, tant sur le quart de travail de soir que sur le quart de travail de nuit, est accablant. Le témoignage du gestionnaire du quart de travail de nuit, Jean-Paul Charest, qui a vérifié A deux (2) reprises le travail de la plaignante et le témoignage du surveillant de module, Serge Roy, qui avait la plaignante sous sa responsabilité, sont concluants.

Il ne fait aucun doute que Mme Benoit n'avait pas les aptitudes pour accomplir le travail qui lui était assigné bien que la preuve démontre qu'il puisse étre (généralement accompli de façon satisfaisante aprés deux 2) semaines d'entraînement, la plaignante affirmant qu'une période de deux (2) à trois (3 jours était suffisante. - (Volume 1, page 12).

La plainte énonce également que:

"Serge Roy et Jean-Paul Charest ont réduit mes heures de travail et mont congédiée en raison de ma race, couleur et origine ethnique."

Mme Benoit a-t-elle été victime de racisme de la part des représentants de l'intimée?

Quoiqu'elle ne l'ait point allégué au soutien de sa plainte, elle prétend que le surveillant de module, Serge Roy, lui aurait refusé A une reprise la persmission de s'absenter pour se rendre a la chambre de bain. Le témoin Serge Roy prétend qu'il ne peut refuser la permission puisqu'il nest pas nécessaire qu'elle soit exigée. La régle établie lorsqu'un employé désire se rendre à la chambre de bain est a l'effet qu'il suffit d'indiquer d'un geste de la main qu'il s'absente. Nestor Datchi, qui a travaillé avec Serge Roy comme surveillant de module, confirme les dires de ce dernier.

La preuve démontre, hors de tout doute, que les heures de travail ont été réduites pour tous les employés occasionnels du quart de nuit, quelle que soit leur race, la couleur de leur peau ou leur origine ethnique.

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Quant au congédiement la preuve révéle que I'intimée a procédé au congédiement des employés occasionnels qui ne satisfaisaient point aux exigences du travail à accomplir et maintenir l'emploi des employes offrant une prestation de travail convenable et ce, sans égard à la race, la couleur de la peau et l'origine ethnique.

Le témoignage de Nestor Datchi, citoyen de race noire, est révélateur. Embauché par l'intimée en 1987 comme employé occasionnel, il a été assigné au tri manuel primaire pour passer ensuite au tri final. En juillet 1988, il est promu comme superviseur par interim et un an plus tard, il est devenu superviseur permanent.

L'intimée aurait pu prétendre que le congédiement de l'intimée résultait de modifications apportées à la répartition des heures de travail des employés occasionnels assignés au quart de travail de nuit . L'intimée a plutôt démontré que le congédiement de la plaignante résultait de son incompétence a accomplir le travail auquel elle était assignée et qu'il était justifié.

CONCLUSION

La plaignante n'a pas démontré que prima facie la perte de son emploi a résulté de la commission d'un acte discriminatoire de la part de l'intimée en violation des dispositions du paragraphe 3(l) et de I'alinéa a) de I'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

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EN CONSEQUENCE, le Tribunal d-appel:

Rejette la plainte formulée par Nicole Benoit a la Commission des droits de la personne suite a son congédiement de la Société Canadienne des Postes.

SIGNE ET FAIT à Ville St-Georges le 18e juin 1992.

ROGER DOYON président

SIGNE à La Malbaie, le 24 juin 1992.

CLAUDETTE B. BERGERON Membre

SIGNE à ville St-Joseph le 6 juillet 1992

NICHOLAS CLICHE Membre

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