Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

BERYL NKWAZI

la plaignante

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

l'intimé

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 1/01

2001/02/05

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LE DROIT

III. LA PREUVE

A. Contexte

B. Emploi occasionnel au CPR

C. Accès à la formation à l'unité Churchill

(i) Analyse

D. Indemnité de rappel

(i) Analyse

E. Rémunération d'intérim

(i) Analyse

F. La limite de 125 jours

(i) Analyse

G. Tentative d'intimidation à l'égard de Gordon Hirschfeld

(i) Analyse

H. La période de repos

(i) Analyse

I. Le concours de recrutement d'infirmiers(ères)

(i) Analyse

J. L'incident du 7 novembre 1997

(i) Analyse

K. Accès à Team Links

(i) Analyse

L. La plainte de Mme Nkwazi et le non-renouvellement de son contrat

(i) Analyse

M. Qui a pris la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi, quand cette décision a-t-elle été prise et pourquoi?

(i) Analyse

N. Les références fournies par Mme Thompson

(i) Analyse

O. Conclusion relative à la responsabilité

IV. RÉPARATION

A. Intégration/réintégration

B. Perte de salaire

C. Excuses

D. Préjudice non pécuniaire

E. Références

F. Intérêts

G. Frais de justice

H. Recours systémiques

I. Conservation de la compétence

V. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Beryl Nkwazi a travaillé plusieurs années comme infirmière occasionnelle au Centre psychiatrique régional, établissement qui est situé à Saskatoon et qui relève du Service correctionnel du Canada (SCC). Elle a allégué avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire en cours d'emploi au SCC en raison de sa race et de sa couleur. Mme Nkwazi a également allégué que le SCC a refusé de la garder à son emploi pour les mêmes raisons.

II. LE DROIT

[2] Mme Nkwazi a déposé une plainte en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Conformément à cet article, le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou de la défavoriser en cours d'emploi, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite.

[3] La race et la couleur sont des motifs de distinction illicite.

[4] Dans une affaire de cette nature, le fardeau de la preuve incombe à Mme Nkwazi : elle doit établir une preuve prima facie de discrimination. Le cas échéant, il incombe ensuite à l'intimé de fournir une explication raisonnable de la conduite jugée répréhensible (1).

[5] La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'intimé (2). Les allégations faites par la plaignante doivent être dignes de foi afin de justifier la conclusion qu'une preuve prima facie a été établie (3).

[6] Si le SCC fournit une explication raisonnable de la conduite qui lui est reprochée, il incombera ensuite à Mme Nkwazi de démontrer que l'explication n'était qu'un prétexte et que les actes de son employeur ont réellement été motivées par des considérations discriminatoires (4).

[7] Il est difficile de prouver des allégations de discrimination à l'aide de preuves directes. Tel que précisé dans Basi, la discrimination n'est habituellement pas un phénomène qui se manifeste ouvertement (5). Il appartient au Tribunal d'examiner toutes les circonstances afin de déterminer s'il existe ce qu'on a appelé dans Basi de subtiles odeurs de discrimination.

[8] En matière de discrimination, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités qui s'applique habituellement dans les causes civiles ordinaires. Dans le cas d'une preuve circonstancielle, on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus que probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (6).

[9] Pour faire droit à une plainte, il n'est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la conduite ou les décisions de l'employeur (7).

III. LA PREUVE

[10] Ont été entendus au cours de cette audience, qui a duré presque trois semaines, quelque 29 témoins. Vu l'ampleur de la preuve produite au cours de l'audience, et afin d'en arriver à une décision cohérente, j'ai décrit les éléments de preuve par rapport à chacune des principales allégations de Mme Nkwazi. J'ai traité de chaque question séparément, mais j'ai examiné chaque allégation au regard de l'ensemble de la preuve, afin de déterminer s'il existait chez l'intimé une tendance perceptible à se conduire de façon discriminatoire.

A. Contexte

[11] Mme Nkwazi est une femme de race noire originaire du Zimbabwe. Elle a reçu une formation d'infirmière psychiatrique en Angleterre, où elle a acquis le titre d'infirmière autorisée et d'infirmière psychiatrique autorisée en 1978. Après avoir travaillé comme infirmière de santé publique en Angleterre, Mme Nkwazi a émigré au Canada en 1983. Peu après son arrivée à Saskatoon, Mme Nkwazi a donné naissance au premier de ses trois enfants. Par la suite, elle n'a pas travaillé durant plusieurs années afin de se consacrer entièrement à sa famille. Après la rupture de son mariage en 1989, Mme Nkwazi a suivi des cours de recyclage en sciences infirmières et a réussi les examens canadiens de sciences infirmières. Elle a ensuite travaillé pendant une couple d'années dans divers hôpitaux avant d'entreprendre des études de baccalauréat en sciences à l'Université de la Saskatchewan. Elle a obtenu son diplôme de bachelière ès sciences avec distinction en 1995.

[12] Au cours de ses études à l'Université de la Saskatchewan, Mme Nkwazi a fait un stage au Centre psychiatrique régional (CPR), établissement qui est situé à Saskatoon et qui relève du Service correctionnel du Canada. Le CPR est un hôpital psychiatrique faisant partie du système correctionnel qui dispense des soins psychiatriques aux détenus fédéraux.

[13] Après avoir obtenu son diplôme, Mme Nkwazi a cherché du travail comme infirmière. Incapable de trouver un emploi à temps plein, elle a accepté un poste d'infirmière occasionnelle au CPR le 23 octobre 1995. En tant que mère célibataire ayant trois enfants à charge, Mme Nkwazi souhaitait obtenir un emploi à temps plein. Par conséquent, elle a continué de chercher un poste à temps plein, tout en nourrissant l'espoir que le poste qu'elle occupait au CPR deviendrait un poste à temps plein.

B. Emploi occasionnel au CPR

[14] Mme Nkwazi a été engagée pour une période initiale de trois mois. Avant d'entrer en fonction, Mme Nkwazi a signé un contrat énonçant ses conditions d'emploi au CPR. Le contrat de Mme Nkwazi faisait référence à certaines dispositions du Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique, qui traite de diverses questions : les diverses formes de congé, la paye de vacances, le travail supplémentaire, les jours fériés, l'admissibilité à la rémunération d'intérim, etc.

[15] La période d'application du contrat initial de Mme Nkwazi allait du 23 octobre 1995 au 23 janvier 1996. Son horaire de travail n'était pas fixe; elle était appelée en cas de besoin. À titre d'employée occasionnelle, elle ne pouvait pas selon son contrat travailler plus de 125 jours au cours d'une période de 12 mois. Son contrat stipulait qu'aucune disposition ne devait être interprétée comme une offre d'emploi indéterminé.

[16] Le contrat de Mme Nkwazi a été renouvelé neuf fois -- pour une période de trois mois dans chaque cas. Chaque contrat subséquent comportait des clauses similaires du point de vue des conditions d'emploi.

[17] Le CPR comprend un certain nombre d'unités où sont données différentes formes de traitement aux détenus atteints de divers troubles psychiatriques. À titre d'employée occasionnelle, Mme Nkwazi pouvait être affectée à n'importe quelle unité au sein de l'établissement. Toutefois, à des fins administratives, chaque employé occasionnel était affecté à une unité particulière. Mme Nkwazi était affectée à l'unité Churchill. Selon Mme Nkwazi, on appelait d'abord les employés occasionnels affectés à l'unité Churchill lorsque des postes de travail étaient disponibles au sein de cette unité.

C. Accès à la formation à l'unité Churchill

[18] Mme Nkwazi a allégué que c'est lorsqu'on a offert une formation au personnel de l'unité Churchill qu'elle a pour la première fois été l'objet d'un traitement discriminatoire de la part du SCC en raison de sa race ou de sa couleur.

[19] À l'été 1996, l'unité Churchill, qui jusqu'alors accueillait des détenus de sexe masculin, a été transformée en pavillon réservé aux délinquantes relevant du système carcéral fédéral. Afin d'être en mesure de répondre aux besoins particuliers de ces femmes, le personnel infirmier qui devait travailler à l'unité Churchill a reçu une formation en août 1996. On ne sait pas trop qui a fait le choix des employés devant recevoir cette formation.

[20] Mme Nkwazi est d'avis que, à titre d'employée occasionnelle affectée à l'unité Churchill, elle aurait dû bénéficier de cette formation. Lorsqu'elle a appris qu'une formation allait être donnée, Mme Nkwazi a communiqué avec Anita Uwiera, qui participait à l'établissement du programme des femmes à l'unité Churchill. Elle a demandé à Mme Uwiera si elle pouvait participer au programme de formation. Au dire de Mme Nkwazi, ce n'est qu'après avoir fait une demande en ce sens qu'elle a pu prendre part au programme, lequel avait déjà débuté. Mme Nkwazi a suivi la formation en question durant 18 jours; il semble que la durée totale du programme ait été de 21 jours.

[21] Mme Nkwazi a affirmé initialement que d'autres employés occasionnels, de race blanche, notamment Tracey Houk Kushniruk, avaient été invités à participer au programme de formation, même s'ils ne l'avaient pas demandé. Elle a ensuite affirmé dans son témoignage qu'au moment où la formation a été donnée, Mme Kushniruk était une employée nommée pour une période déterminée.

[22] Mme Nkwazi a reconnu que les employés occasionnels n'étaient habituellement pas invités à participer aux programmes de formation du personnel.

[23] Mme Uwiera a affirmé dans son témoignage que la formation a été donnée aux personnes qui devaient travailler à l'unité Churchill. Elle a confirmé que Mme Nkwazi n'avait pas été invitée initialement à prendre part au programme de formation. Après que Mme Nkwazi eut discuté de la question avec elle, Mme Uwiera a porté celle-ci à l'attention de Tim Leis, qui était à l'époque directeur des Programmes et Opérations au CPR. Suite à l'entretien de Mme Uwiera avec M. Leis, Mme Nkwazi a été autorisée à recevoir la formation.

[24] Mme Kushniruk a confirmé qu'elle avait été invitée dès le départ à participer au programme de formation, et qu'elle n'avait pas eu à le demander. Elle a dit qu'elle travaillait à l'unité Clearwater comme employée nommée pour une période déterminée au moment où le programme des femmes a été institué à l'unité Churchill. Lorsqu'elle a entendu parler du nouveau programme conçu à l'intention des délinquantes, elle a demandé à y être affectée, demande qui a subséquemment été acceptée. Mme Kushniruk s'est ensuite vu offrir une formation qui visait à lui fournir les outils nécessaires pour travailler auprès des délinquantes. Vers la fin d'août 1996, Mme Kushniruk a été avisée que son contrat ne serait pas renouvelé du fait que les besoins en personnel avaient changé; elle est alors redevenue une employée occasionnelle en janvier 1997.

(i) Analyse

[25] Selon la preuve produite par Mme Nkwazi, les employés occasionnels ne sont habituellement pas invités à participer aux programmes de formation du personnel. Rien n'indique que d'autres occasionnels que Mme Nkwazi aient reçu la formation nécessaire pour travailler auprès des délinquantes. Toutefois, selon l'avocate de Mme Nkwazi, Mme Kushniruk a été invitée à suivre la formation même si on savait qu'elle redeviendrait une employée occasionnelle. Selon Me Glazer, c'est une preuve que Mme Nkwazi a été l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de sa race et de sa couleur.

[26] Je ne souscris pas aux arguments de l'avocate à cet égard. L'examen de la preuve documentaire contemporaine donne à croire que la décision de ne pas prolonger la durée déterminée de l'emploi de Mme Kushniruk au-delà du 31 décembre 1996 n'a été prise que le 23 août 1996, soit plusieurs semaines après le début du programme de formation.

[27] S'il est vrai que Mme Nkwazi a été exclue à l'origine du programme de formation, il est plus probable à mon avis que la décision initiale de ne pas l'inclure ait été fondée sur son statut d'employée occasionnelle et n'ait rien eu à voir avec sa race ni sa couleur.

D. Indemnité de rappel

[28] Le deuxième exemple de traitement discriminatoire cité par Mme Nkwazi avait trait à l'indemnité de rappel. Selon Mme Nkwazi, les employés occasionnels rappelés au travail avaient droit à l'indemnité minimale équivalant à trois heures de paye, même si on les renvoyait à la maison après moins de trois heures.

[29] Le 24 octobre 1996, Bill Hayes a téléphoné à Mme Nkwazi pour lui demander de venir travailler. Mme Nkwazi s'est présentée au travail à 6 h 45 du matin et a travaillé jusqu'à 8 h; à ce moment, Albert Boucher lui a dit qu'on n'avait plus besoin d'elle et qu'elle pouvait rentrer chez elle. Mme Nkwazi a été rémunérée pour 1,25 heure, soit le temps qu'elle avait travaillé.

[30] Mme Nkwazi a affirmé qu'on ne lui avait pas expliqué alors pourquoi on n'avait plus besoin d'elle et qu'elle avait appris subséquemment qu'une gestionnaire du nom de Diane Neufeld désirait qu'une autre employée, une certaine Winnie Church, la remplace. Mme Nkwazi ne se souvenait pas exactement où elle avait entendu cela.

[31] Mme Nkwazi a dit que le fait d'être renvoyée à la maison alors qu'elle avait prévu travailler un poste complet l'avait beaucoup bouleversée. M. Hayes lui a alors donné l'assurance qu'elle aurait droit à l'indemnité minimale de trois heures de paye et s'est dit étonné qu'elle n'ait pas été rémunérée en conséquence. Mme Nkwazi a parlé de cette situation avec plusieurs collègues, à qui elle a demandé si on leur avait appliqué le même traitement. Bonnie Roth a manifestement informé Mme Nkwazi qu'elle avait régulièrement reçu l'indemnité minimale dans les cas où on l'avait retournée à la maison prématurément. Jackie Kemp aurait dit à Mme Nkwazi que, d'après elle, les employés occasionnels avaient droit à l'indemnité de rappel.

[32] Mme Nkwazi a également demandé à Carol Smith, chef du Personnel au CPR, si elle avait droit à l'indemnité de rappel. Selon Mme Nkwazi, Mme Smith lui aurait dit qu'elle n'avait pas droit à l'indemnité minimale de trois heures. Mme Nkwazi n'a pas poussé l'affaire plus loin. Il semble qu'elle ait également parlé de la chose à Reg Brecknell, l'ancien chef du Personnel, bien que son témoignage à cet égard ne soit pas tout à fait probant.

[33] Mme Roth a déclaré dans son témoignage qu'on lui avait dit parfois de retourner à la maison après lui avoir demandé de venir travailler, simplement parce qu'on avait rappelé trop d'employés. Elle a affirmé qu'elle avait touché l'indemnité minimale de trois heures de paye dans ces cas-là. Toutefois, lorsqu'on lui a montré ses fiches de relevé de paye, elle a admis que dans plusieurs cas où on l'avait retournée à la maison après moins de trois heures de travail, elle n'avait été payée que pour les heures vraiment effectuées. Mme Roth a également affirmé dans son témoignage qu'elle avait déjà tenté d'obtenir des éclaircissements relativement à la politique régissant les indemnités de rappel et qu'il lui avait été impossible de dénicher le texte pertinent. Elle ne savait pas exactement si les employés nommés pour une période déterminée ou indéterminée étaient traités différemment des employés occasionnels.

[34] Jackie Kemp a témoigné, mais on ne lui a pas posé de questions au sujet de l'indemnité de rappel. Mme Kushniruk a reconnu avoir travaillé une fois durant 2,5 heures et avoir été payée pour ces heures-là. Toutefois, Mme Kushniruk a affirmé qu'il avait alors été convenu à l'avance que son poste de travail serait écourté.

[35] Reg Brecknell était chef du Personnel au moment où Mme Nkwazi a soulevé la première fois la question de l'indemnité de rappel. Il se souvient que Mme Nkwazi est venue le voir à ce sujet. M. Brecknell aurait alors dit à Mme Nkwazi que l'admissibilité à l'indemnité de rappel était régie par la convention collective et que celle-ci ne s'appliquait pas à elle puisqu'elle était une employée occasionnelle. Par conséquent, elle n'avait pas droit à l'indemnité de rappel. M. Brecknell a indiqué que Mme Nkwazi s'était montrée particulièrement obstinée et il a précisé qu'elle n'avait pas paru contente de son explication.

[36] Carol Smith a pris la relève de Reg Brecknell en tant que chef du Personnel en octobre 1996, moment où M. Brecknell est devenu directeur associé des Programmes au sein d'une des unités du CPR. Mme Smith a expliqué que la politique sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique stipule que, sous réserve de tout édit du Conseil du Trésor, les employés occasionnels ont droit à l'indemnité de rappel. L'admissibilité à l'indemnité de rappel est régie par les dispositions de la convention collective pertinente -- en l'occurrence, la convention relative aux services de santé. L'article 10.01 de cette convention précise que les employés ont droit à un minimum de trois heures de paye lorsqu'ils sont rappelés au travail en dehors de leurs heures normales de service. Au dire de Mme Smith, on a demandé au Conseil du Trésor de fournir des directives au sujet de l'application de ces dispositions aux employés occasionnels du CPR. Dans une note de service en date du 2 août 1996, Bonnie Davenport, chef régional des Relations de travail, a indiqué que les employés occasionnels ayant un horaire normal de travail avaient droit au minimum de trois heures de paye lorsqu'ils étaient rappelés au travail. L'employé occasionnel qui, par exemple, remplace un membre du personnel qui suit un cours de formation a un horaire normal de travail. Toutefois, les dispositions relatives à l'indemnité de rappel ne s'appliquent pas aux employés auxquels on fait appel de façon sporadique, car il s'agit d'employés auxquels on a recours en cas de besoin et qui n'ont pas d'horaire de travail normal. Selon Mme Smith, cette politique s'applique à tous les employés occasionnels travaillant au CPR.

[37] Mme Smith a affirmé dans son témoignage que peu de temps après qu'elle eut pris la relève de M. Brecknell, Mme Nkwazi a communiqué avec elle pour s'enquérir de son admissibilité à l'indemnité de rappel. Elle a alors expliqué à Mme Nkwazi qu'elle ne répondait pas aux critères énoncés dans la convention collective. La discussion s'est terminée là-dessus.

[38] Mme Neufeld a nié avoir demandé de renvoyer Mme Nkwazi à la maison le 24 octobre 1996, faisant remarquer qu'elle était à l'époque directrice des Programmes à l'unité MacKenzie et qu'elle n'avait rien à voir avec l'unité Churchill.

(i) Analyse

[39] La politique qui régit l'admissibilité des employés occasionnels à l'indemnité de rappel minimale équivalant à trois heures de paye prête à confusion et ne semble pas avoir été communiquée clairement aux employés visés. En fait, lorsque Bonnie Roth a tenté d'expliquer la question de l'admissibilité à l'indemnité de rappel, elle a été incapable de le faire. Il n'y a rien d'étonnant à ce que Mme Nkwazi se soit inquiétée de ne pas avoir reçu l'indemnité minimale de trois heures de paye à l'occasion de sa prestation du 24 octobre 1996.

[40] Cela étant dit, des documents du CPR produits en preuve qui remontent à des dates antérieures à celle de la plainte de Mme Nkwazi donnent à croire que les employés occasionnels qui étaient dans la même situation qu'elle n'avaient pas droit à l'indemnité de rappel. Les témoignages de Mme Roth et de Mme Kushniruk indiquent que d'autres employés occasionnels, de race blanche, étaient traités de la même façon. Je ne puis donc conclure que la race ou la couleur aient eu quoi que ce soit à voir avec la décision de lui refuser l'indemnité de rappel.

[41] Je ne puis conclure non plus que Mme Neufeld ait eu quoi que ce soit à voir avec le fait que Mme Nkwazi a été renvoyée à la maison le 24 octobre. Le témoignage de Mme Nkwazi à cet égard n'est fondé que sur des rumeurs. Elle n'a pas été en mesure d'indiquer la source de ses renseignements. Non seulement Mme Neufeld a-t-elle expressément nié avoir eu quoi que ce soit à voir avec la décision de renvoyer Mme Nkwazi à la maison ce jour-là, mais elle ne travaillait même pas à l'unité Churchill à l'époque.

E. Rémunération d'intérim

[42] C'est un fait connu que les employés occasionnels ont droit à une rémunération d'intérim lorsqu'ils assument les fonctions d'un poste plus élevé que le leur. Mme Nkwazi a affirmé qu'on lui confiait de temps à autre la responsabilité de l'unité Churchill et qu'elle recevait une rémunération d'intérim lorsqu'elle assumait cette fonction supplémentaire. Elle a cité un certain nombre de cas où elle a reçu la rémunération d'intérim.

[43] Mme Nkwazi a affirmé qu'elle a agi comme infirmière responsable les 3 et 4 mai 1997, puis à nouveau du 29 juin au 2 juillet, les 19 et 20 juillet et les 16 et 17 août, et qu'elle n'a reçu la rémunération d'intérim pour aucun de ces postes. Elle a indiqué qu'elle n'avait pas donné suite à l'affaire parce qu'elle avait peur de faire des vagues. Mme Nkwazi a ensuite cessé d'inscrire au registre des postes les périodes où elle agissait comme responsable. Elle a également mentionné qu'à une occasion, en décembre 1997, on lui avait versé la rémunération d'intérim pour deux postes au cours desquels elle n'avait pas agi en fait comme responsable. Mme Nkwazi n'a pu expliquer pourquoi elle avait reçu ce versement.

[44] À l'appui de sa réclamation, Mme Nkwazi a produit une formule (Autorisation et demande trimestrielles de rémunération d'intérim - Personnel infirmier), qui est datée du 2 juillet 1997 et qui semble avoir été signée par Sandra Pozniak, la directrice associée des Programmes à l'unité Churchill. Fait étonnant, bien qu'il soit indiqué sur la formule que celle-ci porte sur la période allant du 1er avril au 30 juin, il y est fait mention de postes qui s'inscrivent dans la période comprise entre mai et août, pour laquelle Mme Nkwazi a allégué s'être vu refuser indûment la rémunération d'intérim.

[45] Sandra Pozniak n'a pas témoigné. Carol Smith a confirmé qu'un employé occasionnel qui occupe un poste plus élevé que le sien durant deux postes consécutifs a droit à la rémunération d'intérim. La règle des deux postes consécutifs est énoncée dans la convention collective du personnel infirmier.

[46] Mme Smith a noté certaines irrégularités dans la documentation produite par Mme Nkwazi à l'appui de sa réclamation. Plus précisément, la formule Autorisation et demande trimestrielles de rémunération d'intérim - Personnel infirmier est censée porter sur le trimestre allant du 1er avril au 30 juin 1997 et semble avoir été signée par Mme Pozniak immédiatement après la fin du trimestre. Néanmoins, le document semble faire mention de postes travaillés par Mme Nkwazi en juillet et août -- après que la formule eut été approuvée par Mme Pozniak. Selon Mme Smith, il aurait fallu faire de plus amples recherches avant de payer le montant réclamé. Elle a admis volontiers que si les réclamations étaient fondées, Mme Nkwazi aurait dû toucher la rémunération d'intérim pour la période en question.

(i) Analyse

[47] Personne ne conteste que les infirmiers et infirmières occasionnels ont droit à la rémunération d'intérim lorsqu'ils agissent comme infirmier(ère) responsable durant deux postes consécutifs. Ce qu'on met en doute, c'est si Mme Nkwazi s'est vu refuser à tort la rémunération d'intérim pour les postes où elle prétend avoir agi comme infirmière responsable en mai, juin, juillet et août 1997, et si des considérations discriminatoires ont influé sur ce refus.

[48] La preuve documentaire sur laquelle Mme Nkwazi fonde sa prétention laisse perplexe. Il semble bizarre qu'un document qui est censé être un registre des postes pour la période allant du 1er avril au 30 juin ait également servi à inscrire des postes en juillet et août. Je suis d'autant plus préoccupée par la fiabilité de la documentation que Mme Pozniak semble avoir approuvé la formule le 2 juillet 1997. Il est éminemment raisonnable qu'un superviseur approuve les registres des postes à la fin de la période sur laquelle portent les registres en question. Il est pour le moins bizarre qu'on inscrive des postes additionnels sur le document, une fois que celui-ci a été approuvé par le superviseur. Comment Mme Pozniak aurait-elle pu savoir, le 2 juillet 1997, que Mme Nkwazi agirait comme infirmière responsable à la mi-août? De plus, en supposant que Mme Nkwazi ait effectivement agi comme infirmière responsable les 16 et 17 août, pourquoi cela n'a-t-il pas été inscrit sur la formule d'autorisation et de demande trimestrielles de rémunération d'intérim du personnel infirmier correspondant au trimestre compris entre le 1er juillet et le 30 septembre?

[49] Il se peut qu'il existe une explication tout à fait raisonnable relativement à la façon dont ces registres ont été remplis. Toutefois, Mme Nkwazi n'a pas témoigné en contre-preuve et elle n'a pas tenté d'expliquer les incohérences que comportait la documentation, lorsque Mme Smith a émis des doutes à ce sujet.

[50] Au regard de l'ensemble de la preuve, je ne suis pas convaincue que Mme Nkwazi ait démontré qu'elle était en fait l'infirmière responsable aux dates en question. En conséquence, je n'ai pas à déterminer si elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire fondé sur la race ou la couleur par rapport au refus de la rémunération d'intérim.

F. La limite de 125 jours

[51] Mme Nkwazi soutient qu'elle a été soumise à la limite de 125 jours prévue par son contrat d'emploi au CPR, tandis que d'autres employés, de race blanche, ont été autorisés à travailler plus de 125 jours au cours d'une période de douze mois. Elle a également affirmé que Diane Neufeld lui a dit de cesser de venir au travail avant qu'elle ait atteint sa limite de 125 jours.

[52] Examinons d'abord la deuxième allégation. Mme Nkwazi a affirmé qu'en août 1997, Mme Neufeld a eu une conversation avec elle au sujet du nombre de jours qu'il lui restait à travailler avant sa date anniversaire. À ce moment-là, Mme Neufeld était la directrice des Programmes à l'unité Churchill. Mme Neufeld aurait dit à Mme Nkwazi qu'elle avait accumulé près de 125 jours depuis la dernière date anniversaire et qu'il ne lui restait que quatre jours de travail. Mme Nkwazi a déclaré qu'elle ne savait pas exactement combien de jours il lui restait et que c'est ce qu'elle a dit à Mme Neufeld. Mme Neufeld a maintenu catégoriquement que Mme Nkwazi avait presque atteint sa limite, forçant celle-ci à annuler trois des sept postes de travail auxquels elle avait été affectée.

[53] Mme Nkwazi a affirmé dans son témoignage qu'elle avait alors été très bouleversée, mais qu'elle n'a pas mis en doute la parole de Mme Neufeld, car celle-ci était très influente au CPR et participait à de nombreuses décisions en matière d'embauche à l'établissement. Mme Nkwazi a déclaré qu'elle avait alors été inactive pendant environ trois semaines.

[54] Mme Nkwazi a dit que Sandra Pozniak l'avait appelée à la maison le 15 septembre. Mme Pozniak a informé Mme Nkwazi qu'il y avait eu une erreur dans le calcul du nombre total de ses postes et qu'il lui restait, en fait, sept postes de travail avant d'atteindre la limite de 125 jours. Mme Nkwazi est rentrée au travail le lendemain et a travaillé jusqu'au 9 octobre 1997, date où elle a atteint la limite de 125 jours.

[55] Mme Neufeld ne se souvient pas de la discussion en question avec Mme Nkwazi, mais elle n'a pas nié qu'elle ait pu avoir lieu. Il incombe normalement au directeur associé des Programmes d'exercer un contrôle sur le nombre de postes que travaillent les employés occasionnels. Mme Neufeld a émis l'hypothèse qu'elle avait peut-être dû s'occuper de cette question pendant que Mme Pozniak était en vacances. Elle ne se souvient pas que Mme Pozniak lui ait dit qu'il y avait eu une erreur dans le calcul du nombre de postes de travail qui restait à Mme Nkwazi.

[56] Dans le cadre de l'examen de la plainte de Mme Nkwazi, Carol Smith a interrogé Mme Neufeld au sujet des allégations de cette dernière. Selon Mme Smith, Mme Neufeld a admis que, vers la fin d'août 1997, elle avait informé Mme Nkwazi qu'elle avait presque atteint la limite de 125 jours.

[57] Tel qu'indiqué précédemment, Sandra Pozniak n'a pas témoigné.

[58] L'examen des fiches de temps de Mme Nkwazi pour cette période a permis de confirmer qu'elle avait travaillé onze jours en août 1997, son dernier jour de travail étant le 24 août. Mme Nkwazi a ensuite été inactive jusqu'au 16 septembre. L'examen des fiches de temps de Mme Nkwazi pour l'année précédente a confirmé que, tout au cours de l'année, Mme Nkwazi avait travaillé de façon soutenue au CPR; il est rare, en fait, que plusieurs jours se soient écoulés sans qu'elle obtienne un poste de travail. Aucune autre interruption de trois semaines n'a été constatée.

[59] L'autre aspect de la plainte de Mme Nkwazi par rapport à la limite de 125 jours est son allégation qu'elle a été soumise à cette limite, tandis qu'un employé de race blanche du nom de Gordon Hirschfeld a été autorisé à travailler plus de 125 jours au cours d'une période de douze mois. Mme Nkwazi fonde son allégation sur des discussions qu'elle a eues avec M. Hirschfeld.

[60] En contre-interrogatoire, Mme Nkwazi a admis que, entre octobre 1996 et octobre 1997, elle avait elle-même dépassé la limite de 125 jours, ayant travaillé au total 126 jours durant cette période. L'examen des fiches de temps pertinentes a confirmé cela.

[61] M. Hirschfeld a déclaré dans son témoignage qu'il avait travaillé comme infirmier occasionnel au CPR entre juillet 1994 et septembre 1995, moment où il a été nommé à un poste pour une période déterminée. M. Hirschfeld a dit de ne pas avoir été soumis à la limite de 125 jours à l'époque où il travaillait comme employé occasionnel. Selon lui, l'examen de ses fiches a révélé qu'il avait travaillé 133 jours durant l'année complète où il a occupé un poste d'employé occasionnel. À son avis, il a accumulé un plus grand nombre de jours de travail -- peut-être jusqu'à 150 -- mais il n'était pas été en mesure de vérifier cela.

[62] M. Hirschfeld a été prié d'examiner ses fiches de temps de façon relativement détaillée en contre-interrogatoire. Durant cet examen, il est devenu évident que, dans les cas où il avait travaillé plus que ses heures normales au cours d'un poste régulier, il avait comptabilisé le temps supplémentaire comme un poste distinct aux fins du calcul du nombre total de jours travaillés. Il a admis par la suite que le temps supplémentaire ne devrait pas être comptabilisé à titre de jour travaillé. Une fois ce rajustement effectué, il a finalement affirmé qu'il était possible qu'il ait travaillé au total 128 jours l'année où il a occupé un poste d'occasionnel. Carol Smith a déclaré que, dans certains cas, la limite de 125 jours était dépassée par inadvertance à cause d'erreurs de calcul.

[63] Theresa Kosmas, une employée occasionnelle de race blanche, a indiqué dans son témoignage qu'elle avait été soumise à la limite de 125 jours.

(i) Analyse

[64] Je suis convaincue qu'en août 1997, Mme Neufeld a affirmé à Mme Nkwazi qu'elle avait presque atteint la limite de 125 jours et qu'il ne lui restait plus que quatre jours de travail avant sa date anniversaire. Le témoignage de Mme Nkwazi à cet égard a été clair et sans équivoque. En revanche, bien que Mme Neufeld ait dit qu'elle ne souvenait pas de l'événement en question, elle n'était pas prête à dire qu'il ne s'était pas produit. En outre, la fiabilité du témoignage de Mme Neufeld a été mise en doute par le témoignage de Carol Smith, qui a déclaré à l'audience que Mme Neufeld avait confirmé antérieurement qu'elle avait eu la discussion en question avec Mme Nkwazi.

[65] En outre, le nombre de postes qui restait était, de toute évidence, une question qui revêtait beaucoup plus d'importance pour Mme Nkwazi que pour Mme Neufeld; en conséquence, le souvenir de Mme Nkwazi à cet égard risque d'être plus précis.

[66] Ayant examiné les fiches de temps en question, je suis également convaincue que la déclaration de Mme Neufeld à Mme Nkwazi à cet égard était inexacte, et qu'il restait à cette dernière un plus grand nombre de jours de travail avant qu'elle atteigne la limite de 125 jours. Il reste à déterminer si la race ou la couleur de Mme Nkwazi ont influé sur la conduite de Mme Neufeld.

[67] Je ne suis pas convaincue que ni la race de Mme Nkwazi ni sa couleur aient eu quelque influence sur les gestes posés par Mme Neufeld en août 1997. L'examen des fiches de temps des employés occasionnels du CPR ont certes de quoi nous laisser très perplexes. Il est difficile de déterminer facilement le nombre précis de jours qu'un employé occasionnel peut avoir travaillé au cours d'une année. Ce point a été illustré à l'aide de graphiques alors qu'on a demandé à divers témoins d'indiquer en se reportant à leurs fiches de temps combien de postes ils avaient travaillés à diverses périodes.

[68] Si confuse que soit la situation, il reste qu'on tient des fiches quant au nombre de postes que travaillent les employés occasionnels et que l'information à cet égard peut être vérifiée en se référant à des données objectives. Ça n'a pas de bon sens que Mme Neufeld affirme à Mme Nkwazi qu'elle avait atteint sa limite, sachant fort bien que tel n'était pas le cas. Plusieurs témoins ont affirmé dans leur témoignage qu'il est notoire que les employés occasionnels surveillent étroitement le nombre de jours où ils ont travaillé. Il est donc raisonnable de présumer que Mme Nkwazi aurait été au courant de toute erreur de calcul en ce qui touche le nombre de postes qui lui restait. Si Mme Nkwazi pensait qu'il lui restait plus de jours de travail, elle n'avait qu'à demander au service du personnel de vérifier ce qui en était.

[69] Il semble beaucoup plus probable que la section de la paye et des avantages sociaux du CPR ait fait une erreur de calcul et ait fourni à Mme Neufeld des renseignements erronés. Lorsque l'erreur a par la suite été constatée, la direction de l'unité Churchill en a été avisée et Mme Nkwazi a pu continuer de travailler jusqu'à ce que la limite ait été atteinte.

[70] En ce qui concerne l'autre aspect de la plainte de Mme Nkwazi relative à la limite de 125 jours, soit l'allégation qu'elle a été soumise à cette limite contrairement à d'autres, je ne suis pas convaincue, compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, que ce volet de la plainte de Mme Nkwazi soit de quelque façon fondé.

[71] Cette allégation est basée sur les discussions de Mme Nkwazi avec Gordon Hirschfeld. On peut comprendre que Mme Nkwazi ait été préoccupée, car il est évident que M. Hirschfeld lui a dit qu'il avait été autorisé à travailler beaucoup plus que 125 jours au cours d'une période de douze mois. Bien que M. Hirschfeld persiste à croire qu'il a travaillé pendant quelque 150 jours en 1994-1995, le fait est que les fiches de temps qu'il a signées ne confirment tout simplement pas sa prétention à cet égard. Il est évident que M. Hirschfeld ne comprenait pas pleinement le mode de comptabilisation des jours de travail, et il se peut fort bien que cet élément explique les affirmations qu'il a faites à Mme Nkwazi ainsi que son témoignage.

[72] Il est évident que le CPR tente de limiter à 125 le nombre de jours de travail des employés occasionnels au cours d'une période de douze mois. En raison de la confusion à laquelle prêtent les fiches de temps, ce n'est peut-être pas toujours fait et il arrive que certains employés dépassent la limite. C'est ce qui s'est produit dans les cas de Mme Nkwazi et de M. Hirschfeld. Par conséquent, je ne puis conclure que Mme Nkwazi a fait l'objet à cet égard d'un traitement discriminatoire et préjudiciable fondé sur la race ou la couleur.

G. Tentative d'intimidation à l'égard de Gordon Hirschfeld

[73] Dans son témoignage, M. Hirschfeld a soulevé une question qui mérite d'être commentée même si elle n'est pas directement liée aux allégations que comporte la plainte de Mme Nkwazi. Gordon Hirschfeld a affirmé que, le 19 octobre 1999, Diane Neufeld l'avait interpelée pour lui dire qu'elle voulait lui parler. La conversation a eu lieu dans une salle d'entrevue. Mme Neufeld aurait alors informé M. Hirschfeld que son nom avait fait surface dans le contexte d'une plainte relative aux droits de la personne. Mme Neufeld a indiqué à M. Hirschfeld qu'il avait apparemment déclaré avoir travaillé 180 jours au cours d'une année au CPR et elle lui a dit qu'il avait intérêt à vérifier ses faits. Mme Neufeld a précisé à M. Hirschfeld qu'il pouvait obtenir les renseignements voulus auprès des Ressources humaines. Selon M. Hirschfeld, Mme Neufeld a déclaré ce qui suit à propos d'un éventuel témoignage de sa part : Nous vous taillerons alors en pièces. M. Hirschfeld a indiqué que Mme Neufeld paraissait fâchée et qu'il a perçu son message comme une menace.

[74] M. Hirschfeld a affirmé qu'il avait à nouveau rencontré Mme Neufeld quelques heures plus tard. À cette occasion, Mme Neufeld lui a demandé de se rendre aux Ressources humaines et de signer une déclaration indiquant qu'il n'avait pas travaillé 180 jours. M. Hirschfeld a dit à Mme Neufeld qu'il ne le ferait pas tant qu'il n'aurait pas parlé à quelqu'un à la Commission canadienne des droits de la personne.

[75] De son propre aveu, M. Hirschfeld s'est senti menacé et intimidé par la conduite de Mme Neufeld parce que celle-ci était très influente au CPR. Il a été tellement bouleversé par ce qui s'était passé qu'il est retourné à la maison et a rédigé un compte rendu de ses discussions avec Mme Neufeld. Les notes rédigées par M. Hirschfeld ont été produites à l'audience.

[76] M. Hirschfeld a exprimé une vive inquiétude à l'idée d'avoir à présenter cette information et à l'égard des effets que cela pourrait avoir sur son emploi, indiquant qu'il travaillait encore au CPR et que son travail là-bas lui permettait de soutenir sa femme et ses deux enfants.

[77] Mme Neufeld a reconnu avoir rencontré M. Hirschfeld le 19 octobre 1999. Selon Mme Neufeld, Paul Urmson, le directeur des Programmes et Opérations au CPR, lui a dit qu'il avait reçu un exemplaire du rapport d'enquête de la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de la plainte de Mme Nkwazi. M. Urmson aurait dit que le rapport d'enquête attribuait certains commentaires à sa femme, qui était elle-même une employée du CPR. Il avait demandé à sa femme si elle avait vraiment fait les commentaires en question, ce qu'elle avait nié. M. Urmson a suggéré à Mme Neufeld et à Carol Smith de parler aux autres employés dont les noms étaient mentionnés dans le rapport afin de vérifier s'ils avaient fait les affirmations qu'on leur attribuait.

[78] Selon Mme Neufeld, ils craignaient de faire ce qu'on leur demandait à cause de la façon dont ce serait perçu. L'Administration régionale les aurait apparemment avisés qu'il n'y avait aucun problème à demander simplement aux employés s'ils avaient été cités correctement. Il a donc été décidé que M. Urmson et Mme Smith parleraient à Bonnie Roth, et que Mme Neufeld s'entretiendrait avec Gordon Hirschfeld. Mme Neufeld a affirmé qu'en rétrospective, c'était stupide de sa part d'avoir un entretien seul à seul avec M. Hirschfeld et qu'elle ne savait pas pourquoi elle l'avait fait.

[79] Mme Neufeld a confirmé qu'elle avait rencontré M. Hirschfeld dans une salle d'entrevue. Elle a dit avoir discuté du fait que le nom de M. Hirschfeld était mentionné dans le rapport de la Commission. Ils ont également discuté de la règle des 125 jours qui s'applique aux employés occasionnels. Mme Neufeld a confirmé avoir dit à M. Hirschfeld qu'il pouvait vérifier auprès du Personnel le nombre de jours qu'il avait travaillés afin de vérifier ses faits. Selon Mme Neufeld, la conversation s'est terminée là-dessus. Mme Neufeld a nié avoir menacé M. Hirschfeld. Elle a également nié avoir dit qu'elle le taillerait en pièces. Mme Neufeld a indiqué qu'elle était éjà nerveuse à l'idée d'avoir à discuter avec M. Hirschfeld, étant consciente que la rencontre pourrait être perçue comme étant de nature coercitive et qu'elle a donc pris soin de peser ses mots. Mme Neufeld ne se souvient pas d'avoir eu une deuxième conversation avec M. Hirschfeld ce jour-là.

(i) Analyse

[80] Il existe d'importantes incohérences entre le témoignage de Gordon Hirschfeld et celui de Diane Neufeld relativement à ce qui s'est passé lors de la rencontre du 19 octobre 1999. Je n'hésite aucunement à privilégier le témoignage de M. Hirschfeld par rapport à celui de Mme Neufeld. Même s'il semble que M. Hirschfeld ait peut-être exagéré dans ses allégations concernant le nombre de jours où il a travaillé comme employé occasionnel au CPR, la description de sa rencontre avec Mme Neufeld était claire et précise. Le témoignage de M. Hirschfeld est demeuré inébranlable en contre-interrogatoire et était appuyé par les notes qu'il avait rédigées peu après la rencontre en question. De toute évidence, M. Hirschfeld était très nerveux d'avoir à aborder cette question devant le Tribunal et il était vivement inquiet des répercussions possibles de son témoignage sur sa carrière. M. Hirschfeld n'avait rien à gagner en faisant ces allégations à l'encontre de Mme Neufeld, et beaucoup à perdre.

[81] En revanche, le témoignage de Diane Neufeld à ce sujet a été loin d'être convaincant. Elle a affirmé que l'idée de rencontrer M. Hirschfeld suscitait chez elle de l'inquiétude. Néanmoins, elle est allée de l'avant et a pris l'initiative de le rencontrer, même si deux gestionnaires sont allés rencontrer Bonnie Roth. Le comportement de Mme Neufeld doit être examiné à la lueur du fait qu'elle est une gestionnaire d'expérience -- et qu'elle était tout à fait consciente du fait que sa rencontre avec M. Hirschfeld pourrait être perçue comme revêtant un caractère coercitif. Mme Neufeld a affirmé qu'en rétrospective, c'était stupide de sa part de rencontrer seule M. Hirschfeld. Mme Neufeld ne me paraît pas une personne stupide. Je ne puis que conclure qu'elle a pris délibérément la décision de rencontrer Gordon Hirschfeld et que la description que ce dernier a faite de la discussion est tout à fait exacte.

[82] La tentative de Mme Neufeld pour intimider Gordon Hirschfeld n'est pas vraiment pertinente par rapport aux allégations faites par Mme Nkwazi, mais le style de gestion de Mme Neufeld a été examiné de façon relativement détaillée au cours de l'audience. Plusieurs employés du CPR ont affirmé dans leur témoignage que leurs expériences de travail avec Mme Neufeld avaient été positives. Dans ce contexte, les gestes posés par Mme Neufeld à l'endroit de Gordon Hirschfeld sont importants, car ils ont rapport au style de gestion de Mme Neufeld ainsi qu'à sa crédibilité.

H. La période de repos

[83] Mme Nkwazi a allégué que Mme Neufeld avait tenté de l'empêcher de participer à un concours pour un poste d'infirmier(ère) en octobre 1997.

[84] Mme Nkwazi a affirmé que, le 9 octobre 1997, elle avait mangé à la même table que Mme Neufeld, Shirley Junop et Sandra Pozniak au CPR. Mme Pozniak aurait alors rappelé à Mme Nkwazi que c'était son dernier jour de travail puisqu'elle avait atteint la limite de 125 jours. Elle lui aurait ensuite demandé si elle reviendrait travailler au CPR. Mme Nkwazi a répondu qu'elle reviendrait au travail à sa date anniversaire, le 23 octobre. Selon Mme Nkwazi, Mme Neufeld serait intervenue dans la conversation et aurait dit qu'elle ne pouvait revenir le 23 octobre puisqu'il lui fallait prendre une période de repos d'une semaine après sa date anniversaire et qu'elle ne pouvait pas revenir avant le 30 octobre. Mme Nkwazi aurait dit qu'elle n'avait jamais entendu parler d'une chose pareille; Mme Neufeld lui aurait alors donné l'assurance que c'était là la procédure. Mme Nkwazi était très préoccupée, mais elle n'a pas voulu contredire Mme Neufeld et a quitté la table.

[85] Mme Nkwazi a affirmé qu'elle avait eu peur de contredire Mme Neufeld à ce sujet, à cause de la grande influence dont jouissait cette dernière au CPR. Elle a demandé ultérieurement à Theresa Kosmas si elle avait déjà entendu parler de la nécessité de prendre une période de repos. Mme Kosmas a répondu que non. Mme Nkwazi a décidé de laisser courir et de ne rien faire de plus à ce moment-là.

[86] Theresa Kosmas a confirmé que Mme Nkwazi lui avait dit qu'on lui avait demandé de prendre une période de repos. Elle a indiqué qu'elle n'avait jamais entendu parler d'une chose pareille et a demandé à Mme Nkwazi qui lui avait dit cela. Au dire de Mme Kosmas, Mme Nkwazi a refusé dans un premier temps de lui préciser qui lui avait dit cela, mais elle lui avait avoué plus tard que c'était Mme Neufeld qui lui avait dit de rester à la maison. Mme Kosmas a déclaré dans son témoignage que sa conversation avec Mme Nkwazi avait eu lieu dans le salon situé à l'avant du CPR. Elle a d'abord affirmé que la conversation avait eu lieu en octobre 1997, mais elle a admis ultérieurement qu'elle s'était peut-être produite plusieurs mois plus tard.

[87] Lorraine Gibney, une infirmière psychiatrique autorisée travaillant au CPR, a témoigné au sujet d'une conversation téléphonique qu'elle a eue avec Mme Nkwazi et au cours de laquelle cette dernière lui a raconté que Mme Neufeld lui avait dit de ne pas se rendre au travail et de prendre une période de repos. Mme Gibney a déclaré que l'incident était resté gravé dans sa mémoire tellement il était bizarre. Il semble que cette discussion ait eu lieu dans la semaine du 23 octobre.

[88] Le 23 ou 24 octobre, Bonnie Roth a téléphoné à Mme Nkwazi à la maison. Elle a indiqué à Mme Nkwazi qu'un avis annonçant un concours pour un poste d'infirmier(ère) d'une durée déterminée avait été affiché le 22 octobre et que la date de clôture des candidatures était le 29 octobre. Mme Nkwazi a constaté que le délai accordé pour la présentation des candidatures coïncidait avec la période pour laquelle Mme Neufeld lui avait dit de ne pas venir au travail. Elle a conclu que Mme Neufeld tentait de l'exclure du concours. Mme Nkwazi a affirmé que si Mme Roth ne l'avait pas appelée, elle n'aurait jamais su qu'un concours avait été lancé. Il s'est avéré que Mme Nkwazi a posé sa candidature.

[89] Bonnie Roth a affirmé qu'elle avait téléphoné à la fois à Mme Nkwazi et à Mme Kosmas (qui elle aussi ne travaillait pas cette semaine-là parce qu'elle avait atteint la limite de 125 jours) pour les informer du concours. Mme Roth a dit qu'elle avait elle-même pris l'initiative de faire les appels et que personne au sein de la direction lui avait demandé d'appeler Mme Kosmas ou Mme Nkwazi. Mme Kosmas a confirmé qu'elle avait été mise au courant du concours grâce à un appel téléphonique de Bonnie Roth.

[90] Mme Nkwazi a dit être retournée au travail le 29 octobre 1997. Elle a indiqué que l'un de ses superviseurs du nom de Joyce Jackson lui avait téléphoné à la maison ce jour-là. Mme Jackson lui a demandé de venir travailler en soirée. Mme Nkwazi a expliqué à Mme Jackson qu'il lui était impossible d'aller travailler ce jour-là. Mme Jackson a téléphoné à Mme Nkwazi un peu plus tard, disant qu'elle avait été incapable de trouver quelqu'un, et elle lui a à nouveau demandé de venir travailler. Mme Nkwazi a dit qu'elle hésitait à le faire à cause de ce que Mme Neufeld avait dit, mais que Mme Jackson était coincée et qu'on était presque au 30 octobre. Aussi a-t-elle accepté de se rendre au travail.

[91] Joyce Jackson se rappelle de s'être entretenue au téléphone avec Mme Nkwazi vers le 29 octobre 1997 pour lui demander de venir au travail. Selon Mme Jackson, Mme Nkwazi a d'abord refusé. Mme Jackson a compris que le refus de Mme Nkwazi était motivé par le fait qu'elle avait atteint la limite de 125 jours et qu'on lui avait dit qu'elle ne pouvait aller travailler. Mme Jackson a poursuivi ses démarches pour trouver une autre infirmière occasionnelle et commençait à être désespérée. Elle a indiqué que Mme Nkwazi l'avait rappelée un peu plus tard ce jour-là pour lui dire qu'elle viendrait travailler.

[92] À titre de chef du conseil des soins infirmiers du CPR, Mme Neufeld était responsable du déroulement du concours visant à recruter du personnel infirmier. Mme Neufeld a dit ne pas se souvenir d'avoir déjeuné avec Mme Nkwazi le 9 octobre et a catégoriquement nié lui avoir dit de ne pas venir travailler avant le 30 octobre 1997, déclarant qu'elle n'aurait eu aucune raison de le faire puisqu'il n'y a pas de période de repos obligatoire. Selon Mme Neufeld, si elle avait voulu mettre en doute une telle affirmation de sa part, Mme Nkwazi aurait disposer de nombreux recours possibles. Si Mme Nkwazi l'avait fait, il n'y aurait rien eu là.

[93] Mme Neufeld a dit qu'elle ne savait pas exactement quand le besoin de recruter d'autres infirmiers(ères) avait surgi, mais elle a affirmé qu'on s'était soudainement retrouvé à court de personnel. Elle a convenu que le délai d'une semaine accordé pour poser sa candidature dans le cadre du concours était plutôt court, étant donné qu'on accordait au moins deux semaines dans la plupart des cas. À ce propos, Mme Neufeld a déclaré :

[Traduction]

Nous voulions accélérer le processus. Elle a expliqué que le délai accordé pour la présentation des candidatures avait été écourté étant donné que, même si en théorie la zone de concours n'était pas restreinte au CPR, le concours s'adressait aux employés occasionnels qui y travaillaient déjà. Carol Smith a déclaré qu'à son avis, le délai accordé était suffisant puisque l'avis de concours était diffusé uniquement au sein du CPR.

[94] Shirley Junop ne se souvenait pas précisément d'avoir mangé avec Mme Nkwazi le 9 octobre 1997, mais elle a reconnu que c'était possible. Elle a dit ne se souvenir d'aucune discussion au sujet de la date anniversaire de Mme Nkwazi, de son retour au travail ou de la nécessité pour elle de prendre une période de repos. Mme Junop a indiqué qu'il y avait beaucoup de bruit de fond dans la salle à manger. Elle a également pris la peine de préciser qu'elle préfère ne pas prêter attention aux conversations des autres, à moins d'être invitée à prendre part à la discussion. Le nom de Sandra Pozniak figurait sur la liste de témoins de l'intimé, mais elle n'a pas été appelée à témoigner.

[95] Après que Mme Nkwazi eut pour la première fois fait part à la direction du CPR de ses préoccupations à l'égard des actes posés par Mme Neufeld, Mme Smith a commencé à examiner ses allégations. Le 17 février 1998, Mme Smith a rédigé un compte rendu sommaire des préoccupations soulevées par Beryl Nkwazi, dans lequel elle a résumé ses discussions avec diverses personnes mêlées à la plainte de Mme Nkwazi. Mme Smith a confirmé, sous serment, que le document rend compte fidèlement de ces discussions. Dans le compte rendu de Mme Smith, on peut lire que [Traduction] [Mme Neufeld] a affirmé avoir personnellement informé Beryl du concours imminent et elle ne comprend pas, par conséquent, pourquoi elle a fait ces allégations. La version de Mme Smith diffère de celle de Mme Neufeld, qui a nié avoir jamais prétendu qu'elle avait personnellement informé Mme Nkwazi de la tenue du concours. Mme Neufeld a affirmé qu'elle avait parlé à Dolores Stevens, qui l'avait assurée que Mme Nkwazi avait été informée du concours par Mme Roth.

[96] Mme Stevens a dit avoir téléphoné à Mme Kosmas après avoir appris l'existence du concours afin de l'en informer. Elle a ajouté qu'elle avait demandé à Mme Roth d'aviser Mme Nkwazi. Selon Mme Stevens, cette démarche a été faite par gentillesse.

(i) Analyse

[97] La question à savoir si Mme Nkwazi a été forcée de prendre une période de repos se résume finalement à une question de crédibilité entre Mme Nkwazi et Mme Neufeld. Mme Nkwazi a affirmé que Mme Neufeld lui avait dit de ne pas venir au travail entre le 23 octobre et le 30 octobre. Mme Neufeld nie lui avoir jamais dit pareille chose. Je n'hésite aucunement à privilégier le témoignage de Mme Nkwazi par rapport à celui de Mme Neufeld.

[98] Mme Nkwazi a été à la barre des témoins pendant trois jours. Durant ce temps, elle a été soumise à un contre-interrogatoire long et minutieux. Bien qu'on ait décelé dans son témoignage des inexactitudes quant à un certain nombre de points mineurs, un grand nombre de ces incohérences -- particulièrement celles qui ont trait aux politiques du CPR qui sont en vigueur -- s'expliquent par la confusion. Somme toute, elle a été à mon avis un témoin crédible. Mme Nkwazi a fait preuve d'une dignité sereine lorsqu'elle a témoigné au sujet d'événements dont elle a manifestement beaucoup souffert, et son témoignage à cet égard a été dans une large mesure cohérent et inébranlable.

[99] Le témoignage de Mme Nkwazi au sujet de la période de repos est indirectement corroboré par celui de Joyce Jackson, lequel n'a pas été mis en doute par l'avocat de l'intimé. Même si les témoins cités par l'intimé ont contredit sur de nombreux points ceux appelés par Mme Nkwazi, il y a eu unanimité sur le fait que Mme Nkwazi a toujours été disposée à accepter les postes de travail qu'on lui offrait au CPR. Selon Mme Jackson, le ou vers le 29 octobre, Mme Nkwazi a refusé une première fois de venir travailler lorsqu'elle le lui a demandé. Mme Nkwazi a répondu à Mme Jackson qu'on lui avait dit de ne pas venir au travail. Mme Jackson a compris que c'était parce que Mme Nkwazi avait atteint la limite de 125 jours. Bien que cela puisse constituer une explication raisonnable du refus d'un employé d'accepter un poste de travail, ce n'est peut-être pas en l'occurrence la véritable explication. La date anniversaire de Mme Nkwazi tombait le 23 octobre. Ce jour-là, elle commençait une nouvelle année aux fins du calcul des 125 jours. Non seulement Mme Nkwazi n'avait-elle pas atteint la limite de 125 jours, le 29 octobre 1997, mais elle n'avait pas encore travaillé un seul jour au cours de la nouvelle année de travail.

[100] Il appert que Mme Nkwazi était disponible pour travailler le 29 octobre. Nous savons que Mme Nkwazi acceptait tous les postes qu'on lui offrait. Elle était bien loin d'avoir atteint la limite de 125 jours au cours de la période de douze mois visée. Pourquoi alors a-t-elle hésité à venir au travail lorsque Mme Jackson le lui a demandé? Au regard de toutes les circonstances, la seule conclusion raisonnable est que Mme Neufeld lui avait dit de ne pas se présenter au travail.

[101] L'avocat du SCC a fait remarquer que Mme Nkwazi devait de toute façon être en congé du 9 au 23 octobre. Si Mme Neufeld avait eu l'intention de l'exclure du concours, elle aurait simplement pu faire coïncider le délai accordé pour présenter les candidatures avec l'absence de Mme Nkwazi. Personne n'aurait pu mettre en doute le comportement de Mme Neufeld, si les choses s'étaient produites ainsi. Pourquoi alors, selon l'avocat, Mme Neufeld aurait-elle risqué d'être l'objet d'une plainte en inventant l'histoire de la période de repos obligatoire?

[102] Le problème que pose cet argument n'est pas seulement le fait que rien ne prouve que le concours aurait pu être tenu plus tôt, mais également que la preuve que nous possédons donne à croire que c'est le contraire qui se produit : Mme Neufeld a indiqué elle-même dans son témoignage que le concours s'est déroulé très rapidement après qu'on eut pris la décision de recruter d'autres employés.

[103] L'avocat du SCC a également insinué que Mme Nkwazi avait inventé la discussion avec Mme Neufeld à propos de la période de repos afin d'expliquer son échec subséquent lors du concours. Encore une fois, cette théorie n'est pas corroborée par la preuve : Mme Gibney et Mme Kosmas ont dit avoir discuté de la question de la période de repos avec Mme Nkwazi avant que les résultats du concours ne soient connus (8). On a émis certains doutes quant au moment où a eu lieu la discussion entre Mme Nkwazi et Mme Kosmas; l'avocat du SCC a souligné que Mme Kosmas n'était pas au travail durant la période où la conversation est censée avoir eu lieu. Cela est vrai, mais Mme Kosmas s'est rendue au CPR au début de novembre pour participer aux entrevues dans le cadre du concours. Il est donc possible qu'elle ait eu la conversation en question avec Mme Nkwazi avant la fin du concours. Même en supposant que la discussion de Mme Kosmas avec Mme Nkwazi n'a eu lieu qu'après l'annonce des résultats du concours, Mme Gibney a été formelle : sa discussion avec Mme Nkwazi a eu lieu peu de temps après que Mme Roth eut téléphoné à cette dernière à la maison -- bien avant l'annonce des résultats du concours. Son témoignage à cet égard est demeuré inébranlable en contre-interrogatoire, et Mme Gibney a été à mon avis un témoin crédible. [104] En revanche, la position prise par Mme Neufeld en ce qui touche les événements entourant la question de la période de repos n'a pas toujours été la même. À la barre des témoins, Mme Neufeld a indiqué très clairement qu'elle n'avait pas parlé du concours à Mme Nkwazi, mais qu'elle avait cru comprendre que Mme Stevens l'avait informée. Toutefois, selon Carol Smith, un autre des témoins de l'intimé, Mme Neufeld a donné à Mme Smith, peu de temps après les événements en question, l'assurance qu'elle avait personnellement informé Mme Nkwazi du concours et qu'elle ne comprenait pas, par conséquent, les motifs de ses allégations. Je souscris au témoignage de Carol Smith à cet égard.

[105] Je rejette par ailleurs le témoignage de Dolores Stevens qui prétend avoir demandé à Bonnie Roth de téléphoner à Mme Nkwazi pour lui parler du concours. Bonnie Roth a été à mon avis un témoin solide et crédible. Mme Roth est encore au service du CPR et ne semble avoir aucun intérêt commun avec les personnes mises en cause dans cette affaire. Elle a indiqué formellement qu'elle avait téléphoné à Mme Nkwazi et à Mme Kosmas pour les informer du concours et qu'elle l'avait fait de son propre chef. Mme Nkwazi et Mme Kosmas ont toutes deux confirmé avoir été appelées par Mme Roth.

[106] Enfin, la décision de l'intimé de ne pas citer Mme Pozniak à témoigner dans cette instance me laisse perplexe. L'avocate de Mme Nkwazi soutient qu'on devrait en conclure que le témoignage de Mme Pozniak n'aurait pas aidé la cause de Mme Neufeld. L'avocat du SCC a indiqué, pour expliquer sa décision de ne pas citer Mme Pozniak, que cette dernière avait à son insu assisté à une partie de l'audience, contrevenant ainsi à l'ordonnance rendue au début de l'audience pour exclure les témoins. Il semble que c'est l'avocate de Mme Nkwazi qui aurait conseillé à Mme Pozniak d'assister à l'audience. L'ordonnance d'exclusion n'ayant pas été respectée, Me Bonthoux, à titre d'officier du tribunal, a dit se sentir contraint de ne pas citer Mme Pozniak comme témoin.

[107] Si l'on a enfreint par inadvertance l'ordonnance d'exclusion, l'avocat aurait pu en informer le Tribunal et demander l'autorisation de citer Mme Pozniak à témoigner, même si elle avait assisté à une partie de l'audience. Cette façon d'agir aurait été tout à fait conforme aux obligations professionnelles de l'avocat. Il convient de noter qu'aucun élément de la preuve qui a été produite n'indique que l'avocate de Mme Nkwazi s'opposait à la présence de Mme Pozniak à l'audience. Le cas échéant, le SCC aurait été d'autant plus fondé à soutenir que l'on ne devrait pas l'empêcher de citer comme témoin Mme Pozniak s'il le jugeait à propos. Compte tenu de toutes les circonstances, je suis prête à conclure que le témoignage de Mme Pozniak n'aurait pas aidé la cause de l'intimé.

[108] Pourquoi alors Mme Neufeld a-t-elle dit à Mme Nkwazi de ne pas venir au travail avant le 30 octobre 1997? Nous savons que le délai fixé pour la présentation des candidatures dans le cadre du concours commençait une couple de jours avant la date anniversaire de Mme Nkwazi, soit au cours de la période où elle ne pouvait venir au travail, et expirait dans la première semaine suivant sa date anniversaire, c'est-à-dire pendant la période pour laquelle on lui avait dit de ne pas se présenter au travail. Nous savons également qu'on a accordé un délai particulièrement court pour la présentation des candidatures. La seule conclusion raisonnable qu'on puisse tirer à l'égard des actes posés par Mme Neufeld est que cette dernière a dit à Mme Nkwazi de ne pas venir travailler avant le 30 octobre 1997 afin de l'empêcher de participer au concours.

[109] Il ne reste plus qu'à se demander si la race ou la couleur de Mme Nkwazi ont influencé le comportement de Mme Neufeld. Il ne fait aucun doute que Mme Nkwazi possédait les qualités nécessaires pour postuler l'emploi. Jusqu'à octobre 1997, le rendement de Mme Nkwazi n'avait suscité aucune préoccupation. Mme Neufeld elle-même avait affirmé que Mme Nkwazi répondait aux attentes qu'on avait à l'égard du personnel infirmier occasionnel. J'ai conclu que Mme Neufeld a activement tenté d'empêcher Mme Nkwazi d'apprendre l'existence du concours, afin de l'empêcher d'y participer. Aucune employée de race blanche n'a été traitée de cette façon par Mme Neufeld, et aucune explication n'a été fournie pour justifier son comportement, si ce n'est qu'on a nié carrément que l'acte reproché se soit jamais produit. Au regard de l'ensemble de la preuve, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la race et la couleur de Mme Nkwazi ont influé sur les gestes posés par Mme Neufeld; par conséquent, cet aspect de la plainte de Mme Nkwazi est accueilli.

I. Le concours de recrutement d'infirmiers(ères)

[110] Dans son témoignage, Mme Nkwazi a indiqué que le concours n'avait pas, à son avis, été équitable, car on n'avait pas suffisamment tenu compte de son expérience. Mme Nkwazi a également affirmé qu'à son avis, les résultats du concours étaient empreints de favoritisme. Dans sa plainte, Mme Nkwazi fait état de la tentative de Mme Neufeld de l'exclure du concours de recrutement, mais elle ne formule aucune allégation à propos du concours proprement dit. L'exposé des précisions déposé par l'avocate de Mme Nkwazi avant l'audience indique que celle-ci était extrêmement nerveuse à l'entrevue en raison de la présence de Mme Neufeld; toutefois, le document ne comporte aucune allégation relativement à quelque vice que ce soit en ce qui touche le concours proprement dit. En tout état de cause, comme on a longuement débattu du caractère équitable du concours lors de la présentation de la preuve et du plaidoyer, je me permets d'aborder ici cette question.

[111] Mme Nkwazi a décrit le déroulement du concours : présentation d'une demande, transmission de l'énoncé de qualités et de la description de fonctions aux candidats, présélection visant à vérifier si les candidats avaient les qualifications nécessaires, entrevue et examen écrit. Mme Nkwazi avait les qualifications nécessaires et a franchi l'étape de la présélection. Le 7 novembre 1997, elle a été interrogée par le jury de sélection formé de Diane Neufeld, Heather Thompson, la directrice associée des Programmes à l'unité Churchill, et d'Adele MacInnis-Meagher, la directrice associée des Programmes à l'unité Bow. Mme Nkwazi a d'abord affirmé que les questions d'entrevue, qui visaient à vérifier les connaissances en sciences infirmières, n'étaient pas équitables, bien qu'elle ait nuancé sa réponse par la suite, précisant que les questions étaient équitables mais ne correspondaient pas à celles auxquelles elle s'attendait. Elle a reconnu qu'elle avait eu un avantage sur les autres candidates en ce qui a trait à au moins une question. La deuxième question de l'entrevue portait expressément sur le trouble de la personnalité limite. La plupart des femmes à l'unité Churchill étaient atteintes dans une certaine mesure de ce trouble, et Mme Nkwazi avait reçu une vaste formation par rapport à ce trouble psychiatrique.

[112] Un certain nombre de témoins cités par Mme Nkwazi ont témoigné au sujet de leurs perceptions de favoritisme à l'égard du concours, et des rumeurs selon lesquelles Mme Neufeld avait communiqué à l'avance les questions d'entrevue à Bonnie Roth. D'autres se sont dit étonnés des résultats, et en particulier du fait que Mme Nkwazi n'avait pas été choisie.

[113] Le processus exposé par Mme Nkwazi était presque identique à celui décrit par les personnes qui ont administré le concours ainsi que par les autres candidats qui ont témoigné à l'audience.

[114] Diane Neufeld, Heather Thompson et Adele MacInnis-Meagher ont toutes indiqué dans leur témoignage que les questions d'entrevue découlaient de l'énoncé de qualités et que les mêmes questions avaient été posées à tous les candidats. Les réponses des candidats ont ensuite été évaluées à l'aide d'un guide de notation élaboré avant les entrevues. Elles ont toutes les trois affirmé que le déroulement du concours avait été équitable et conforme à toutes les lois et politiques pertinentes en matière de dotation en personnel dans la fonction publique. Carol Smith a également confirmé que le concours avait été administré conformément à toutes les lois et politiques pertinentes en matière de dotation en personnel dans la fonction publique.

[115] Diane Neufeld, Heather Thompson et Adele MacInnis-Meagher ont toutes décrit Mme Nkwazi comme étant extrêmement nerveuse au cours de l'entrevue. Bien qu'on ait plusieurs fois tenté de la mettre à l'aise durant l'entrevue, Mme Nkwazi semblait avoir de la difficulté à se concentrer sur les questions et à formuler ses réponses.

[116] Mme Nkwazi a échoué la partie connaissances de l'entrevue et a été, par conséquent, jugée inapte à occuper le poste d'infirmière appointée.

(i) Analyse

[117] Je suis convaincue que le déroulement du concours a été équitable. Les questions d'entrevue ont été élaborées en se fondant sur l'énoncé de qualités établi pour le poste en question. Les mêmes questions ont été posées à tous les candidats et la notation a été faite de manière cohérente. Il semble que les lois et politiques pertinentes de la fonction publique aient été appliquées tout au cours du processus.

[118] En ce qui a trait aux perceptions de favoritisme de divers employés à l'égard du concours, il y a insuffisance de preuve. De même, les prétentions voulant que Diane Neufeld ait fourni à l'avance les questions d'entrevue à Bonnie Roth ne semblent être que des rumeurs. Mme Neufeld et Mme Roth ont toutes deux nié que les choses se soient passées ainsi. Bien que j'aie exprimé des réserves en ce qui touche la crédibilité de Mme Neufeld, Mme Roth a été à mon avis un témoin très crédible.

[119] Cela étant dit, je ne pense pas que Beryl Nkwazi a eu la chance de participer équitablement à ce concours. Elle a de toute évidence été déconcertée par la tentative de Mme Neufeld pour l'exclure du concours et n'était pas à l'aise, on peut le comprendre, de la voir en face d'elle à l'entrevue à titre de membre supérieur du jury de sélection. Je souscris à la prétention de Mme Nkwazi, de Heather Thompson et d'Adele MacInnis-Meagher voulant que la plaignante ait été extrêmement nerveuse durant l'entrevue et que sa nervosité l'a empêchée de bien se concentrer sur les questions et lui a nui dans la formulation de ses réponses.

[120] Le résultat que Mme Nkwazi aurait obtenu lors du concours si les règles du jeu avaient été équitables est un aspect à examiner par rapport à la question de la réparation. Toutefois, je suis convaincue que Mme Nkwazi n'a pu rivaliser sur un pied d'égalité avec les autres candidats à cause des actes posés par Mme Neufeld en octobre 1997.

J. L'incident du 7 novembre 1997

[121] Vers 14 h dans l'après-midi du 7 novembre 1997, Mme Nkwazi a été mêlée à un incident mettant en cause une détenue. Mme Nkwazi a indiqué qu'elle n'avait pas bénéficié du niveau de soutien nécessaire après l'incident et que cette situation constituait un autre exemple de traitement discriminatoire et préjudiciable de la part du SCC.

[122] Des éléments de preuve non contestés ont révélé que le personnel de l'unité Churchill soumet à une fouille à nu chaque détenue qui a été mêlée à une bataille entre détenues. Il s'agit là d'une pratique courante à l'unité Churchill. La politique de l'établissement exige que les fouilles à nu soient enregistrées sur bande magnétoscopique, afin qu'on puisse déterminer exactement ce qui s'est produit. Mme Nkwazi s'occupait du magnétoscope lorsque la détenue qu'on fouillait s'est soudainement ruée sur elle. Mme Nkwazi s'est dérobée et la détenue a été maîtrisée par des agents de correction. Mme Nkwazi a été très bouleversée par l'incident.

[123] Après l'incident, Mme Nkwazi a rédigé un rapport décrivant ce qui s'était produit. Elle a affirmé que Cynthia MacDonald, qui était responsable de l'unité cet après-midi-là, ne lui avait offert aucune aide sur le plan affectif. La seule personne qui se soit inquiétée de son bien-être a été Jackie Kemp, qui avait elle aussi été mêlée à l'incident. Mme Nkwazi a déclaré avoir dit à Mme Kemp que tout allait bien, parce qu'elle craignait d'admettre qu'elle avait du mal à s'en remettre. Comme elle occupait un poste vulnérable à titre d'employée occasionnelle, Mme Nkwazi ne voulait pas être perçue comme n'étant pas suffisamment forte pour travailler au CPR.

[124] Mme Nkwazi a indiqué qu'à sa connaissance il n'existait pas au CPR de services de soutien pour aider les employés à se remettre d'incidents de ce genre.

[125] L'incident s'est produit un vendredi. Le lundi suivant, Mme Nkwazi a dit que Mme MacDonald lui avait demandé si elle avait besoin d'aide à la suite de l'incident. Lorsque Mme Nkwazi a répondu par l'affirmative, Mme MacDonald lui aurait dit qu'il lui faudrait apprendre à parler franchement. Mme MacDonald lui a alors signalé qu'on avait annoncé les services d'aide offerts à l'aide du système de communications électronique interne du CPR, désigné sous le nom de Team Links. Elle a dit à Mme Nkwazi qu'elle aurait dû demander la séance d'aide. Mme Nkwazi a répondu qu'elle n'avait pas accès à Team Links et qu'elle n'était pas au courant de l'existence de tels services d'aide (9). Mme MacDonald a ensuite pris des dispositions pour que Mme Nkwazi consulte un psychologue de service, ce qu'elle a fait.

[126] Selon Mme Nkwazi, Marcel Chiasson, le directeur exécutif du CPR, a demandé par la suite que tous les employés mêlés à l'incident participent à une séance d'aide après un stress causé par un incident critique. Selon Mme Nkwazi, les employés pouvaient au cours de ces séances exprimer leurs sentiments à la suite d'un incident et obtenir un soutien. L'exercice permettait également au personnel de l'établissement de déterminer les moyens possibles d'améliorer les procédures afin d'éviter qu'un pareil incident se répète.

[127] En décembre 1997, Mme Nkwazi a assisté à une séance d'aide en compagnie notamment de Mme Neufeld, de Heather Thompson et de Cynthia MacDonald. Mme Nkwazi a décrit ce qu'elle avait ressenti lorsque Mme MacDonald lui avait dit qu'elle devait apprendre à parler franchement. Elle a également mentionné qu'elle se sentait très désavantagée du fait qu'elle n'avait pas accès à Team Links.

[128] Jackie Kemp a confirmé tant la version de Mme Nkwazi de l'incident proprement dit que le fait que, après l'incident, Mme Nkwazi avait dit à Mme Kemp que tout allait bien. Mme Kemp a indiqué qu'il était évident que tel n'était pas le cas, que Mme Nkwazi tremblait et n'était pas calme comme à l'accoutumée. Mme Kemp n'a pas vu Mme MacDonald demander à Mme Nkwazi comment ça allait. Le lendemain, Mme Kemp a dit à Mme MacDonald que Mme Nkwazi avait été bouleversée par l'incident.

[129] Un manuel du SCC intitulé Gestion du stress à la suite d'un incident critique a été déposé en preuve. Ce document renferme des conseils visant à aider les employés qui ont été mêlés à un incident critique à surmonter leur stress. On entend par incident critique … un événement traumatisant, hors de l'ordinaire, qui peut causer une détresse psychologique exceptionnelle… et dont la charge émotionnelle est telle que la personne qui le vit peut difficilement faire face aux conséquences de l'événement (10). Le manuel donne des exemples d'incident critique (être témoin d'une agression, être la cible de menaces graves à cause de son poste…, être victime de voies de fait de la part d'un ou plusieurs détenus, etc.). Selon le manuel, le programme de gestion du stress du SCC à la suite d'un incident critique est destiné à réduire au minimum le stress causé aux employés mêlés à des incidents critiques. Par conséquent, le programme vise à ce que le personnel qui a besoin d'aide la reçoive sans la demander, étant donné que le fait pour un employé d'avoir à demander de l'aide peut en soi être une nouvelle source de stress.

[130] Plusieurs témoins, dont Anita Uwiera et Diane Neufeld, ont affirmé dans leur témoignage qu'il conviendrait à leur avis de considérer comme un incident critique l'événement décrit par Mme Nkwazi. D'autres estimaient qu'il ne s'agissait pas nécessairement d'un incident critique au sens de la politique. Tim Leis, l'actuel directeur exécutif du CPR, a affirmé que, selon lui, il s'agissait d'un incident à la limite et que le superviseur devait dans un tel cas exercer son jugement. M. Leis a ajouté qu'il a été prouvé empiriquement que le programme de gestion du stress à la suite d'un incident critique perd de son efficacité si on y a recours trop souvent.

[131] Les témoins cités par Mme Nkwazi ont décrit dans leur témoignage la façon dont on réagit à ce type d'incident au CPR. Plus particulièrement, Mme Kushniruk a indiqué qu'elle avait été témoin d'agressions et qu'elle avait vu une fois un détenu asséner un coup de poing à un employé. Mme Kushniruk a dit ne jamais avoir reçu d'aide de la part de la direction après des incidents du genre. Lorraine Gibney a décrit l'atmosphère qui règne à l'unité Churchill comme très stressante. Mme Gibney a eu connaissance de cas où des employés de l'unité ont été l'objet de menaces et de mauvais traitements et étaient constamment inquiets de leur bien-être physique. À son avis, la direction n'aidait pas le personnel infirmier à surmonter ce genre de situation.

[132] Cynthia MacDonald a indiqué dans son témoignage qu'elle ne croyait pas que l'incident auquel Mme Nkwazi avait été mêlée constituait un incident critique au sens où le SCC emploie ce terme. Il n'y avait pas eu de contact physique entre la détenue et Mme Nkwazi, les agents de correction qui étaient sur place ont réagi comme il se doit. Selon Mme MacDonald, la majeure partie des patients de l'unité Churchill sont des individus agressifs et antisociaux. Les actes de violence (bataille, coup de pied dans les portes, lacération et autres formes d'automutilation, renversement de tables, etc.) sont monnaie courante. De l'avis de Mme MacDonald, même si l'incident auquel Mme Nkwazi avait été mêlée n'était pas courant ailleurs qu'en milieu correctionnel, il ne s'inscrivait pas en dehors du champ de l'expérience humaine habituelle à l'unité Churchill.

[133] Mme MacDonald a dit que, une fois l'incident terminé, elle avait demandé si tout le monde allait bien. Les employés, y compris Mme Nkwazi, avaient répondu par l'affirmative. Mme MacDonald a ensuite discuté de l'incident avec les employés (pourquoi il s'était produit, ce qu'on avait observé, etc.).

[134] Mme MacDonald a dit avoir constaté, le lundi 10 novembre, que Mme Nkwazi ne réagissait pas bien à l'incident du vendredi précédent. Par conséquent, elle était allée trouver Mme Nkwazi et lui avait demandé si elle avait besoin d'aide pour gérer son stress. Mme Nkwazi ayant répondu par l'affirmative, Mme MacDonald a pris des dispositions pour qu'elle rencontre le psychologue. Elle admet avoir dit à Mme Nkwazi qu'elle devait lui laisser savoir qu'elle ne se portait pas bien, afin qu'elle puisse lui apporter le soutien nécessaire.

(i) Analyse

[135] Je ne suis pas convaincue que Mme Nkwazi ait fait l'objet d'un traitement discriminatoire quant à la façon dont la direction du CPR a réagi à l'incident du 7 novembre. Cynthia MacDonald a conclu qu'il ne s'agissait pas en l'occurrence d'un incident critique au sens de la politique du SCC. Compte tenu du climat agité qui règne au sein du système correctionnel dans son ensemble et particulièrement à l'unité Churchill, je ne suis pas persuadée que sa conclusion à cet égard était déraisonnable, eu égard à toutes les circonstances. Le fait que Marcel Chiasson ait ultérieurement demandé qu'on organise une séance d'aide indique que sa perception quant à la gravité de l'incident différait de celle de Mme MacDonald. Cependant, au regard de toute la preuve, je suis convaincue que l'incident en question s'inscrit à la limite et que des gens raisonnables pourraient parvenir à des conclusions différentes quant à la façon de qualifier l'incident.

[136] Il convient de noter que Mme MacDonald a pris des dispositions pour que Mme Nkwazi bénéficie des conseils d'un psychologue dès qu'elle s'est aperçue qu'elle était en proie au stress.

[137] Même si je devais conclure que l'incident représentait vraiment un incident critique au sens de la politique, les témoignages des témoins de Mme Nkwazi, soit Mme Kushniruk et Mme Gibney (qui sont toutes deux de race blanche), démontrent que la réaction de la direction à l'égard des préoccupations relatives à la sécurité des employés n'est pas toujours perçue comme suffisante par le personnel du CPR.

[138] Par conséquent, que Mme MacDonald ait réagi ou non comme il se doit dans toutes les circonstances, je ne puis conclure que ni la race de Mme Nkwazi ni sa couleur aient joué quelque rôle que ce soit dans la façon dont on a traité l'incident.

K. Accès à Team Links

[139] Tel qu'indiqué dans la section précédente, Mme Nkwazi a affirmé que, pendant la majeure partie du temps où elle a travaillé au CPR, on lui a refusé l'accès à Team Links, le système de messageries électronique interne du CPR. Team Links était l'un des moyens d'informer les employés du CPR des occasions d'emploi, des ordres de service courants, des politiques du CPR, etc. Un des témoins a qualifié Team Links de bouée de sauvetage de l'établissement.

[140] Selon Mme Nkwazi, la mise en œuvre de Team Links remonte à 1996. Peu de temps après, Mme Nkwazi a constaté qu'un certain nombre d'autres employés occasionnels avaient accès au système. Mme Nkwazi estimait qu'elle était traitée différemment, mais elle n'a d'abord rien dit. À un certain moment en 1996 ou 1997, Ray Tkatch, un employé du service d'informatique, a offert à Mme Nkwazi l'accès à Team Links. La preuve indique que M. Tkatch a fait cette offre en présence de Lynn Young, qui était chargée de la formation des employés au CPR. Mme Young aurait dit à M. Tkatch, en présence de Mme Nkwazi, que les employés occasionnels n'étaient pas autorisés à avoir accès à Team Links.

[141] Mme Nkwazi a indiqué qu'elle avait ensuite parlé à Winnie Church, qui était sa supérieure à l'époque. Mme Church a indiqué elle aussi à Mme Nkwazi que les employés occasionnels ne pouvaient avoir accès à Team Links. Mme Nkwazi a dit avoir soulevé la question auprès de Diane Neufeld, de Heather Thompson et de Cynthia MacDonald, sans jamais obtenir de résultats.

[142] Selon Mme Nkwazi, le fait de ne pas avoir accès à Team Links la désavantageait dans son travail au CPR, car elle n'avait pas accès à la même information que ses collègues. On lui refusait également l'accès aux renseignements relatifs aux possibilités d'emploi au sein de l'établissement.

[143] Le 13 ou 14 janvier 1998, Mme Nkwazi a finalement obtenu l'accès à Team Links. Mme Nkwazi ne sait pas pourquoi, mais elle pense que ses supérieurs en avaient peut-être assez de l'entendre se plaindre à ce sujet. Deux autres employés occasionnels ont également obtenu l'accès à Team Links, soit Bart Jensen et Heather Keene. M. Jensen est entré en fonction au CPR avant Mme Nkwazi, tandis que Mme Keene a commencé à travailler au CPR en août 1997. Tous deux sont de race blanche.

[144] Mme Nkwazi a affirmé que Mme Neufeld lui avait dit au cours d'une rencontre qu'elle avait eue avec elle le 20 janvier que si elle n'avait pas eu accès à Team Links pendant aussi longtemps, c'était parce que l'Informatique n'était pas capable d'inscrire son nom dans l'ordinateur. Mme Nkwazi a vu là une référence à l'origine ethnique de son nom. Elle dit avoir été blessée par le commentaire de Mme Neufeld. Ce fut un moment décisif pour Mme Nkwazi et la dernière paille dans ses relations avec Mme Neufeld.

[145] Plusieurs témoins, dont Lorraine Gibney et Diane Neufeld, ont affirmé dans leur témoignage que les employés occasionnels n'avaient pas obtenu à l'origine l'accès à Team Links. Mme Neufeld a déclaré que certains employés avaient obtenu l'accès au système lorsqu'ils avaient été nommés pour une période déterminée et que le compte avait été maintenu une fois qu'ils étaient redevenus des employés occasionnels.

[146] Un certain nombre de collègues de Mme Nkwazi ont abordé dans leur témoignage la question de l'accès à Team Links. Il semble que pour plusieurs d'entre eux, l'accès à Team Links ait été lié à leur statut d'employé occasionnel; Gordon Hirschfeld et Jackie Kemp ont déclaré qu'ils avaient obtenu l'accès à Team Links à peu près au moment où ils avaient été nommés à un poste pour une période déterminée. Tracy Kushniruk a affirmé qu'elle a obtenu l'accès à Team Links peu après avoir commencé à travailler au CPR à titre d'employée occasionnelle vers la fin de 1994, mais son témoignage doit être examiné à la lueur de l'affirmation de Mme Nkwazi selon laquelle le système Team Links n'a été installé qu'en 1996. Cette année-là, Mme Kushniruk était une employée nommée pour une période déterminée.

[147] Cependant, Bonnie Roth a déclaré formellement qu'elle avait obtenu l'accès à Team Links peu après avoir commencé à travailler comme employée occasionnelle au CPR en mai 1996. Ce n'est que vers la fin de 1997 que Mme Roth a acquis le statut d'employé nommé pour une période déterminée.

[148] Bart Jensen a dit avoir travaillé au CPR comme employé occasionnel de janvier 1995 jusqu'au printemps ou au début de l'été 2000. Il a indiqué qu'il n'était pas intéressé à avoir accès au système; son poste de travail n'a jamais été relié à Team Links durant la période où il a été au service du CPR.

[149] Heather Thompson a dit ne pas se souvenir que Mme Nkwazi ait demandé d'avoir accès à Team Links. Mme Thompson a indiqué que si tel avait été le cas, elle aurait pris les dispositions nécessaires. De même, Cynthia MacDonald ne se souvenait pas que Mme Nkwazi ait abordé cette question avec elle; toutefois, elle a admis qu'il se pouvait que Mme Nkwazi ait mentionné cela après l'incident du 7 novembre 1997.

[150] Diane Neufeld a affirmé dans son témoignage que Mme Nkwazi lui avait fait part à un moment donné de son inquiétude du fait qu'elle n'avait pas accès à Team Links, mais elle n'a pas été en mesure de préciser quand cette discussion avait eu lieu. Mme Neufeld a dit être consciente du fait qu'il existait une politique voulant que les employés occasionnels n'aient pas accès à Team Links. Lorsqu'elle a été saisie de la demande de Mme Nkwazi, Mme Neufeld en a fait part au Comité des ressources humaines du CPR afin de voir si la politique pourrait être modifiée. On a alors décidé de donner aux employés occasionnels accès au système Team Links. Cette décision a été prise au début de janvier 1998. Mme Neufeld a ensuite déterminé qu'il y avait trois employés occasionnels, dont Mme Nkwazi, qui n'avaient pas accès à Team Links. Elle a pris les dispositions nécessaires pour que l'Informatique ouvre des comptes au nom de ces employés. Mme Neufeld a produit une copie d'un courriel de Tristan Rawlings, de la Section de l'informatique du CPR, en date du 13 janvier 1998, qui confirme l'ouverture de comptes Team Links au nom de Mme Nkwazi, de Bart Jensen et de Heather Keene.

[151] Mme Neufeld a affirmé qu'elle n'avait aucune raison de refuser à Mme Nkwazi l'accès à Team Links. Dès que Mme Nkwazi a indiqué qu'elle désirait avoir accès au système, elle a pris les mesures nécessaires. Mme Neufeld a indiqué qu'elle aurait fait le nécessaire bien avant si Mme Nkwazi le lui avait demandé plus tôt.

[152] En ce qui concerne le commentaire relatif au nom de Mme Nkwazi, Mme Neufeld a indiqué qu'au moment où les comptes ont été ouverts, elle avait reçu un appel de M. Rawlings, qui cherchait à faire confirmer l'orthographe du nom de Mme Nkwazi. Immédiatement après avoir reçu cet appel, Mme Neufeld a aperçu Mme Nkwazi et lui a dit que l'Informatique venait de téléphoner pour vérifier l'orthographe de son nom et qu'elle serait bientôt reliée à Team Links. M. Rawlings n'a pas témoigné.

(i) Analyse

[153] Je concède que la politique du CPR ne prévoyait pas à l'origine que les employés occasionnels pouvaient obtenir l'accès à Team Links, bien qu'il semble y avoir eu une certaine confusion à ce sujet. Je constate que seule Bonnie Roth a démontré avoir obtenu l'accès à Team Links alors qu'elle avait encore le statut d'employée occasionnelle. Il se peut que Mme Roth ait profité de la confusion entourant la politique en question. La plupart des employés qui ont témoigné à ce sujet ne semblent avoir obtenu l'accès au système qu'après avoir été nommés pour une période déterminée.

[153] Il est raisonnable de conclure que Mme Neufeld a eu connaissance du désir de Mme Nkwazi d'avoir accès à Team Links au cours de la séance d'aide de décembre 1997. Dès quelle est devenue consciente du souhait de Mme Nkwazi, elle a fait le nécessaire pour lui donner accès au système.

[154] Mme Neufeld a réussi à faire modifier la politique relative à Team Links en janvier 1998, après quoi Mme Nkwazi a obtenu l'accès au système. Des comptes ont également été ouverts au nom de Heather Keene et de Bart Jensen, bien qu'il semble que M. Jensen n'en ait peut-être pas été informé. Heather Keene possédait le statut d'employée occasionnelle depuis plusieurs mois lorsqu'elle a obtenu l'accès à Team Links. M. Jensen travaillait au CPR depuis plus longtemps que Mme Nkwazi au moment où on a ouvert pour lui un compte Team Links. Mme Keene et M. Jensen sont tous deux de race blanche.

[155] Compte tenu de ce qui précède, je ne puis conclure que Mme Nkwazi a fait l'objet d'un traitement discriminatoire en raison de sa race ou de sa couleur par rapport à l'accès à Team Links.

[156] Mme Nkwazi a dit se souvenir que le commentaire de Mme Neufeld concernant son nom avait été formulé le 20 janvier au cours d'une discussion. De l'avis de Mme Neufeld, ce commentaire aurait été fait une semaine plus tôt. Je suis convaincue qu'à un moment donné à la mi-janvier 1998, Diane Neufeld a fait à Mme Nkwazi un commentaire donnant à entendre que son nom causait des difficultés par rapport à l'accès à Team Links. Tel qu'indiqué précédemment, je trouve que Mme Nkwazi a de façon générale été un témoin plus fiable que Mme Neufeld. Les actes que Mme Nkwazi a posés subséquemment cadrent mieux par ailleurs avec sa version des faits qu'avec celle de Mme Neufeld. Même si elle était préoccupée depuis un certain temps par la façon dont elle était traitée au CPR, Mme Nkwazi n'avait pas jusqu'alors tenté de faire part de ses préoccupations à la direction. Cependant, le 27 janvier 1998, Mme Nkwazi s'est plainte de la conduite de Mme Neufeld à Tim Leis, qui était alors le directeur des Programmes et Opérations au CPR et le superviseur de Mme Neufeld. En ce qui concerne le moment où a eu lieu la première discussion de Mme Nkwazi avec M. Leis, il est raisonnable de conclure que le commentaire de Mme Neufeld au sujet du nom de Mme Nkwazi s'est avéré l'élément déterminant qui a amené cette dernière à formuler une plainte.

L. La plainte de Mme Nkwazi et le non-renouvellement de son contrat

[158] Le 27 janvier 1998, Mme Nkwazi a rencontré Tim Leis. Mme Nkwazi lui a fait part de certaines de ses préoccupations au sujet des actes posés par Diane Neufeld et particulièrement de son allégation voulant que Mme Neufeld lui ait dit qu'elle était forcée de prendre une période de repos, ainsi que de son allégation selon laquelle Mme Neufeld lui avait dit de rester à la maison tant qu'elle n'aurait pas atteint sa limite de 125 jours. M. Leis a invité Mme Smith à assister à l'entretien; Mme Nkwazi a alors répété ses allégations en présence de Mme Smith.

[159] Mme Nkwazi a dit avoir été très mal à l'aise lors de cette rencontre et avoir finalement demandé à M. Leis et à Mme Smith si elle pouvait se retirer. Avant son départ, Mme Nkwazi s'est fait dire qu'elle devrait faire part de ses préoccupations directement à Mme Neufeld. Mme Nkwazi a dit à M. Leis et à Mme Smith qu'elle ne croyait pas qu'elle serait en mesure de le faire parce que Mme Neufeld l'intimidait.

[160] Les versions de M. Leis et de Mme Smith quant à cette rencontre ne différaient pas vraiment de celle de Mme Nkwazi. M. Leis et Mme Smith ont dit se souvenir d'avoir encouragé Mme Nkwazi à faire part de ses préoccupations directement à Mme Neufeld. Mme Smith a dit se rappeler que Mme Nkwazi avait indiqué qu'elle n'était pas à l'aise lorsqu'elle rencontrait Diane Neufeld seule à seule.

[161] M. Leis a indiqué dans son témoignage qu'il avait informé Mme Neufeld des préoccupations de Mme Nkwazi peu de temps après sa première rencontre avec cette dernière. C'est au cours de cet entretien que Mme Neufeld aurait prétendu avoir personnellement informé Mme Nkwazi du concours de recrutement et qu'elle ne comprenait pas, par conséquent, les préoccupations de Mme Nkwazi à l'égard du concours en question.

[162] Le 30 janvier, M. Leis a envoyé à Mme Nkwazi une lettre confirmant leur discussion. La lettre fait référence au contrat d'emploi de Mme Nkwazi et confirme que les employés occasionnels ne peuvent travailler plus de 125 jours au cours d'une période de douze mois. À la fin de la lettre, il est précisé que Mme Nkwazi peut s'adresser à Mme Smith pour obtenir de plus amples renseignements au sujet du statut d'employé occasionnel. De l'avis de Mme Nkwazi, cette lettre ne répondait pas aux préoccupations qu'elle avait soulevées lors de son entretien avec M. Leis et Mme Smith.

[163] Mme Nkwazi a dit s'être rendu compte du fait qu'elle avait oublié de mentionner la chose essentielle au cours de son premier entretien avec M. Leis et Mme Smith, à savoir qu'elle croyait que les observations de Mme Neufeld au sujet de la période de repos avaient été faites dans le but de l'empêcher de participer au concours. Par conséquent, elle a demandé un deuxième entretien avec M. Leis, lequel a eu lieu le 6 février 1998.

[164] Mme Smith a également assisté à la rencontre du 6 février de Mme Nkwazi avec M. Leis, au cours de laquelle Mme Nkwazi a fourni plus de détails relativement à ses allégations concernant Mme Neufeld. Selon Mme Nkwazi, M. Leis lui aurait conseillé de faire preuve de prudence dans ses allégations de discrimination. Mme Nkwazi a également indiqué qu'on lui avait dit qu'il y aurait un autre concours, et que M. Leis et Mme Smith verraient ce qu'ils pouvaient faire pour aider Mme Nkwazi à se qualifier à titre de membre d'une minorité visible. Mme Nkwazi a dit avoir été humiliée par ce commentaire, estimant qu'elle faisait son travail aussi bien que n'importe qui d'autre et qu'elle n'avait pas besoin d'aide dans la mesure où les concours étaient gérés de façon équitable.

[165] Mme Nkwazi a affirmé que M. Leis et Mme Smith lui avaient demandé si elle avait fait part de ses préoccupations directement à Mme Neufeld. M. Leis a offert à Mme Nkwazi d'aller rencontrer Mme Neufeld en sa compagnie. Mme Nkwazi a répété à M. Leis et à Mme Smith qu'elle était trop intimidée par Mme Neufeld pour aller la rencontrer.

[166] M. Leis et Mme Smith ont tous deux nié avoir dit à Mme Nkwazi de faire preuve de prudence quant aux allégations de discrimination. M. Leis a dit se souvenir d'avoir entendu Mme Nkwazi avouer au cours de la rencontre qu'elle se sentait intimidée par Mme Neufeld. Il a dit avoir conseillé à Mme Nkwazi de songer à aller rencontrer Mme Neufeld en compagnie d'une tierce partie. Toutefois, le compte rendu sommaire de cette rencontre rédigé par Mme Smith ne fait aucunement état de ce conseil. Mme Smith a dit avoir eu le sentiment que Mme Nkwazi hésitait à rencontrer Mme Neufeld, mais que Mme Nkwazi n'avait proposé aucune autre solution viable au cours de la rencontre.

[167] M. Leis et Mme Smith ont nié avoir dit quoi que ce soit à propos d'une aide qu'ils pourraient apporter à Mme Nkwazi dans le cadre du processus de recrutement, compte tenu de son appartenance à une minorité visible; cependant, M. Leis a dit avoir encouragé Mme Nkwazi à poser sa candidature lors d'un autre concours.

[168] M. Leis a reconnu qu'un employé occasionnel est vulnérable. Il a dit ne se souvenir d'aucun autre cas où un employé occasionnel se serait plaint au sujet de son surveillant. Toutefois, il a indiqué que Mme Nkwazi n'avait eu aucune hésitation à faire part de sa plainte à l'encontre de Mme Neufeld. De l'avis de M. Leis, il était raisonnable de s'attendre à ce que Mme Nkwazi résolve la question directement avec Mme Neufeld, faisant remarquer que la politique du CPR en matière de harcèlement préconise un entretien face à face en cas d'allégations. M. Leis s'est dit prêt à admettre qu'il peut y avoir des cas où un employé a tellement peur de son surveillant qu'un entretien face à face ne constitue pas une solution réaliste et que d'autres solutions doivent alors être envisagées. Toutefois, en l'occurrence, M. Leis a indiqué dans son témoignage que Mme Nkwazi avait accepté de travailler avec lui afin de résoudre la question directement avec Mme Neufeld.

[169] Dans un document qui accompagne la politique du CPR sur le harcèlement et qui s'intitule Lignes de conduite sur le processus de redressement en cas de harcèlement ou de toute autre forme de discrimination en milieu de travail, on encourage les employés à faire part directement de leurs préoccupations à la personne qui manifeste à leur endroit une conduite qu'ils jugent répréhensible, dans les cas où une telle communication est possible. Dans les cas où l'employé a de la difficulté à communiquer directement avec la personne qui manifeste le comportement soi-disant discriminatoire, le document prévoit que l'intéressé devrait aborder la question avec son surveillant ou chef. Le document favorise le recours à des mécanismes informels en vue de résoudre le problème, avant le dépôt d'une plainte officielle, même si cela n'est pas obligatoire. Ni la politique ni les lignes de conduite n'exigent un entretien face à face entre la personne qui prétend être victime de discrimination et celle qui manifeste la conduite reprochée.

[170] Mme Nkwazi s'est entretenue à nouveau avec Carol Smith vers le 11 février. Elle lui a dit qu'elle était encore trop craintive pour faire part de ses préoccupations directement à Mme Neufeld, étant donné la situation d'autorité dans laquelle se trouvait cette dernière. Mme Smith a insisté à nouveau sur la nécessité d'aborder directement la question avec Mme Neufeld.

[171] M. Leis savait que Mme Nkwazi avait à nouveau exprimé à Mme Smith ses craintes à l'idée de rencontrer face à face Mme Neufeld. M. Leis et Mme Smith ont tous deux reconnu qu'il existait d'autres solutions possibles (échange de communications écrites, rencontre en présence d'un facilitateur, dépôt d'une plainte officielle conformément à la politique sur le harcèlement, intervention de médiateurs externes, etc.). Ils ont tous deux indiqué que l'entretien face à face était la solution la plus simple et que c'était celle qu'ils avaient envisagée.

[172] Mme Nkwazi a également parlé à Doug Altenberg à cette époque. M. Altenberg était coordonnateur intérimaire des Opérations correctionnelles. Mme Nkwazi a téléphoné à M. Altenberg pour lui demander s'il serait prêt à assister à une rencontre avec Mme Neufeld en sa compagnie. M. Altenberg a demandé à Mme Nkwazi de venir à son bureau pour en discuter. Mme Nkwazi a indiqué que le bureau de M. Altenberg se trouvait près de celui de M. Leis et qu'elle se sentait mal à l'aise de retourner dans ce secteur du CPR, ayant refusé l'offre de M. Leis d'aller rencontrer Mme Neufeld avec elle. Par conséquent, elle n'a pas relancé M. Altenberg.

[173] À l'insu de Mme Nkwazi, Mme Smith a rédigé à la suite de ces discussions un compte rendu sommaire faisant état des préoccupations de Mme Nkwazi. Une fois signé par M. Chiasson, le document, qui porte la date du 17 février 1998, a été transmis à l'Administration régionale. Dans ce compte rendu, Mme Smith précisait que M. Altenberg avait parlé à M. Leis de son entretien avec Mme Nkwazi au sujet de Mme Neufeld. D'après les notes de Mme Smith, il avait été décidé de diriger Mme Nkwazi vers sa surveillante. À ce moment-là, la surveillante immédiate de Mme Nkwazi était Heather Thompson, la directrice associée des Programmes à l'unité Churchill.

[174] Mme Nkwazi s'est entretenue avec Mme Thompson le 24 février. Elle lui a décrit l'épisode de la période de repos et lui a demandé de ne rien dire à qui que ce soit au sujet de leur discussion. Mme Thompson a dit à Mme Nkwazi qu'elle se sentait dans l'obligation d'aborder la question avec M. Leis. Elle a confirmé que tout au cours de son entretien avec Mme Nkwazi, elle avait insisté sur la nécessité que cette dernière fasse part de ses préoccupations directement à Mme Neufeld.

[175] Plus tard ce jour-là, Mme Thompson a demandé à Mme Nkwazi de venir dans son bureau. Reg Brecknell se trouvait déjà dans le bureau de Mme Thompson. À ce moment-là, M. Brecknell était directeur associé des Programmes à l'unité Clearwater. Mme Nkwazi a dit que M. Brecknell l'avait vertement critiquée et avait affirmé que son attitude n'était pas professionnelle et qu'elle parlait dans le dos des gens, faisant allusion à ses entretiens avec Mme Thompson, M. Leis et Mme Smith. M. Brecknell aurait dit à Mme Nkwazi que le CPR voulait des gens capables de résoudre leurs différends directement avec les personnes intéressées. Mme Nkwazi a dit à M. Brecknell que Mme Neufeld l'intimidait et qu'elle ne se sentait pas capable moralement de la confronter. Elle a affirmé qu'on lui avait alors demandé de quitter la pièce en lui disant que la réunion était close.

[176] M. Brecknell et Mme Thompson ont tous deux témoigné au sujet de cet entretien. M. Brecknell a dit qu'il ne se souvenait guère de cette rencontre mais que la note rédigée par Mme Thompson peu de temps après la conversation en question l'aidait à se souvenir. Dans sa note, Mme Thompson indique qu'après son premier entretien avec Mme Nkwazi le 24 février, elle avait appris que cette dernière avait fait part de ses préoccupations à M. Leis et à Mme Smith qui lui avaient conseillé de régler son différend avec Diane. La note précise également ce qui suit : On a conseillé à Beryl de cesser de se plaindre aux gens à propos de Diane et de prendre vraiment des mesures pour résoudre son différend avec Diane. Beryl a indiqué qu'elle n'était pas prête à ce moment-là à discuter avec Diane. Reg a précisé à Beryl que dire à d'autres des choses négatives au sujet d'un employé allait à l'encontre du code de déontologie professionnelle. Bien que M. Brecknell ait tenté de laisser croire qu'il s'inquiétait du fait que Mme Nkwazi ait dit des choses à d'autres employés au sujet de Mme Neufeld, la note de Mme Thompson mentionne expressément les noms de Tim Leis et de Carol Smith comme étant les personnes auxquelles Mme Nkwazi avait parlé.

[177] Durant cette période, Mme Nkwazi a également fait plusieurs appels à Lillian Comeau, chef régional, Lutte contre le harcèlement, Langues officielles, Équité en matière d'emploi et Programmes de reconnaissance. Mme Nkwazi a discuté de ses préoccupations avec Mme Comeau, mais elle a refusé de donner son nom, indiquant qu'elle n'était pas prête à déposer une plainte officielle. Mme Comeau a indiqué dans son témoignage qu'elle savait que son interlocutrice était Mme Nkwazi, car elle avait reconnu sa voix. Elle a dit qu'elle avait encouragé Mme Nkwazi à s'entretenir directement avec la personne dont la conduite lui paraissait répréhensible, ou avec M. Leis. Bien qu'elle ait offert d'aider Mme Nkwazi dans le cas où elle désirerait présenter une plainte officielle, celle-ci n'était pas prête à prendre une telle mesure à ce moment-là.

[178] Mme Comeau a précisé dans son témoignage qu'il existe plusieurs solutions de rechange dans le cas où un employé est réticent à confronter l'auteur des présumés actes discriminatoires. Elle a mentionné notamment que l'employé(e) pouvait être orienté(e) vers le Programme d'aide aux employés (PAE), qu'il ou elle peut bénéficier de services de counseling ou qu'on peut avoir recours à un médiateur externe. Mme Comeau a aiguillé Mme Nkwazi vers un agent orienteur du PAE. Mme Nkwazi a informé par la suite Mme Comeau que l'agent orienteur lui avait conseillé de rencontrer Mme Neufeld pour discuter du problème.

[179] Mme Nkwazi a finalement eu le courage de rencontrer Mme Neufeld. À sa demande, Carol Smith a organisé une rencontre, qui a eu lieu le 6 avril 1998. Une représentante syndicale du nom d'Arlene Eckert a accepté d'accompagner Mme Nkwazi, même si elle n'était pas membre du syndicat. Mme Neufeld s'est fait accompagner par Dolores Stevens. Lors de la rencontre, Mme Nkwazi a fait part de ses préoccupations à l'égard des actes posés par Mme Neufeld en se référant à des notes qu'elle avait rédigées. Mme Nkwazi a également dit avoir remarqué que son nom ne figurait pas sur le tableau de service d'avril et elle a demandé à Mme Neufeld pourquoi. Cette dernière a répondu qu'elle ne le savait pas et l'a renvoyée à Heather Thompson et à Cynthia MacDonald, qui étaient alors les gestionnaires de l'unité Churchill (11).

[180] Mme Nkwazi a affirmé qu'elle avait tendu une branche d'olivier à Mme Neufeld à la fin de la réunion, indiquant qu'elles devraient toutes deux tenter de nouer une nouvelle relation. Elle a dit que Mme Neufeld avait accepté son offre. Mme Nkwazi a quitté en nourrissant l'espoir qu'elle pourrait continuer de travailler au CPR dans un milieu plus agréable que celui qu'elle avait connu jusqu'alors.

[181] Mme Neufeld a indiqué qu'elle était disposée à tenter de résoudre ses différends avec Mme Nkwazi lors de la rencontre, et qu'elle avait tenté de répondre à ses préoccupations. Toutefois, chaque fois qu'elle essayait de répondre à une allégation, Mme Nkwazi en formulait d'autres. Mme Neufeld n'a pas eu l'impression que la rencontre avait été fructueuse, mais elle a reconnu que Mme Nkwazi avait tenté de lui tendre une branche d'olivier à la fin de l'entretien. Mme Stevens n'a rien dit au sujet de la rencontre dans son témoignage.

[182] Mme Nkwazi a affirmé qu'à compter du début de mars, les gestionnaires de l'unité Churchill ont cessé de lui téléphoner pour lui demander de venir travailler, mais que les agents de correction ont continué de lui téléphoner de temps à autre. Après la réunion du 6 avril, Mme Nkwazi a constaté qu'on lui offrait de moins en moins de postes. Elle n'a plus été appelée du tout après le 14 avril 1998. Le 26 avril, elle a téléphoné à Stuart Doell, l'un des agents de correction qui lui avaient déjà offert des postes. Elle a dit qu'elle n'avait pas reçu d'appels de sa part et lui a demandé s'il existait une note interdisant de lui téléphoner. M. Doell a confirmé qu'il avait précisément reçu une note de Cynthia MacDonald à cet effet. Selon Mme Nkwazi, ce fut là la première indication que son contrat avec le CPR ne serait pas renouvelé.

[183] Le lendemain, Mme Nkwazi a téléphoné à Mme Thompson pour lui demander si elle pouvait aller chercher certains articles personnels au CPR. Mme Thompson a indiqué qu'elle avait dit à Mme Nkwazi qu'elle laisserait les articles en question à la barrière du CPR et qu'elle pouvait aller les chercher à cet endroit. Mme Nkwazi a affirmé que Mme Thompson ne lui avait aucunement précisé que ses choses se trouveraient à la barrière. La façon d'agir de Mme Nkwazi à son arrivée au CPR correspond davantage à sa version des faits : lorsque Mme Nkwazi est arrivée au CPR, elle n'a pas demandé où se trouvaient ses effets; elle s'est plutôt dirigée vers l'unité Churchill. Chemin faisant, elle a rencontré M. Leis et Mme Smith, qui l'ont tous les deux saluée de façon amicale et ont parlé avec elle de la température. Lorsque Mme Nkwazi est arrivée à l'unité Churchill, Mme Thompson lui a dit que ses choses se trouvaient à la barrière principale. Un garde du nom de Doug McKie est ensuite arrivé et a dit à Mme Nkwazi qu'on lui avait demandé de l'accompagner jusqu'au bureau de son superviseur, un certain Bob Brooks. M. Brooks a dit à Mme Nkwazi qu'il avait reçu de M. Leis des instructions pour qu'elle laisse sa carte d'identité et ses clés à la barrière à sa sortie du CPR. M. McKie a ensuite accompagné Mme Nkwazi jusqu'à la barrière. Mme Nkwazi lui a alors remis sa carte d'identité et ses clés, puis a quitté le CPR pour la dernière fois.

[184] Le lendemain, Mme Nkwazi a téléphoné à Mme Smith pour savoir ce que tout cela signifiait. Mme Smith a dit à Mme Nkwazi de s'adresser à Heather Thompson. Lorsque Mme Nkwazi a téléphoné à Mme Thompson, cette dernière lui a dit qu'elle était occupée et qu'elle la rappellerait. Mme Nkwazi a attendu que Mme Thompson la rappelle, environ deux heures plus tard. Mme Thompson a alors dit à Mme Nkwazi qu'on avait décidé de ne pas renouveler son contrat. Lorsque Mme Nkwazi a demandé pourquoi on ne lui avait pas dit, Mme Thompson lui aurait répondu qu'il était précisé clairement dans son contrat d'employée occasionnelle que le CPR n'était pas obligé de renouveler le contrat. Ce n'est qu'à ce moment-là que Mme Nkwazi, selon ses dires, a su vraiment qu'elle n'était plus une employée du CPR.

[185] Mme Nkwazi a manifesté une très grande émotivité lorsqu'elle a décrit les effets que les actes posés par le SCC avaient eus sur elle, qualifiant de haineuse l'attitude manifestée à l'occasion du non-renouvellement de son contrat. Mme Nkwazi a affirmé avoir été humiliée par la façon dont on a mis fin à son emploi. À son avis, une employée de race blanche n'aurait jamais été traitée de cette façon.

[186] Mme Thompson a insisté sur le fait qu'elle avait indiqué à Mme Nkwazi que son contrat n'avait pas été renouvelé lors de leur entretien initial du 27 avril; toutefois l'examen des courriels qu'elle a transmis à Carol Smith après chaque entretien téléphonique avec Mme Nkwazi confirme la version de cette dernière. Mme Thompson a reconnu ne jamais avoir dit à Mme Nkwazi pourquoi son contrat n'avait pas été renouvelé (12).

(i) Analyse

[187] À titre d'employée occasionnelle, Mme Nkwazi était dans une position très vulnérable par rapport à ses plaintes à l'encontre de Mme Neufeld. Non seulement ne jouissait-elle pas de la protection que procure l'adhésion syndicale, mais elle n'avait absolument aucune sécurité d'emploi puisqu'on faisait appel à elle en cas de besoin. Même si M. Leis a reconnu qu'il était très inhabituel qu'un employé occasionnel fasse une plainte contre son chef, la direction du CPR, compte tenu de la façon dont les plaintes de Mme Nkwazi ont été traitées, n'a pas semblé comprendre la précarité de la position de celle-ci ni y être sensible.

[188] Mme Nkwazi avait de vives préoccupations --tout à fait fondées à mon sens -- à l'égard de la manière dont elle avait été traitée par Diane Neufeld. Conformément à la politique du SCC, elle a fait part à plusieurs reprises de ses préoccupations à la direction. Chaque fois, la direction a simplement relancé la balle dans la cour de Mme Nkwazi, insistant pour qu'elle confronte directement Mme Neufeld. Même si Mme Nkwazi a exprimé de façon répétée sa réticence à rencontrer face à face Mme Neufeld, rien n'a été fait pour tenter de trouver une autre façon de résoudre le différend, et ce même si d'autres possibilités s'offraient à la direction.

[189] La façon dont M. Brecknell a réagi au cours de sa rencontre avec Mme Nkwazi et Mme Thompson le 24 février mérite également d'être commentée. Des éléments de preuve non contestés ont révélé que, au cours de cette rencontre, Mme Nkwazi a été réprimandée pour avoir fait part à d'autres de ses préoccupations à l'égard de Mme Neufeld. Bien que M. Brecknell ait tenté d'insinuer que Mme Nkwazi avait parlé en mal de Mme Neufeld dans tout le CPR, le compte rendu sommaire de la rencontre rédigé par Mme Thompson précise clairement que Mme Nkwazi a été réprimandée pour avoir fait part à M. Leis, à Mme Smith et à Mme Thompson de ses préoccupations à l'égard de Mme Neufeld. M. Leis a lui-même reconnu que les actes posés par Mme Nkwazi n'étaient aucunement déplacés. Je ne puis que conclure que ce que M. Brecknell tentait de faire était d'intimider Mme Nkwazi pour qu'elle cesse de faire des allégations à propos de Mme Neufeld.

[190] Dans la prochaine section, j'examinerai les circonstances entourant le non-renouvellement du contrat d'employé occasionnel de Mme Nkwazi.

M. Qui a pris la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi, quand cette décision a-t-elle été prise et pourquoi?

[191] Le SCC prétend ne pas avoir renouvelé le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi en avril 1998 en raison de problèmes de rendement. Il a également fait remarquer que, du point de vue légal, il n'était aucunement tenu de renouveler ce contrat puisqu'il s'agissait d'une entente à durée fixe, et plus particulièrement que le contrat ne devait pas être interprété comme une offre d'emploi indéterminé.

[192] Dans son témoignage, Mme Neufeld a affirmé que le CPR avait toujours besoin d'employés occasionnels, et que le renouvellement du contrat d'un tel employé était presque automatique, à moins de problèmes de rendement. Mme Neufeld a également déclaré qu'elle exerçait constamment un contrôle sur le rendement des employés occasionnels et qu'elle avait l'habitude de discuter de tout problème de rendement avec l'intéressé, le cas échéant, afin de résoudre les problèmes. Bien qu'elle ait indiqué que Mme Nkwazi était timide et ne participait pas vraiment aux discussions, Mme Neufeld n'a jamais discuté de problèmes de rendement avec Mme Nkwazi, puisque celle-ci a répondu aux attentes du poste pendant la période où elle a été sa superviseure.

[193] Tim Leis a convenu que les employés occasionnels ont droit à un traitement équitable, et que le principe de l'équité exige que ces employés soient informés de tout problème de rendement peu de temps après que celui-ci a été constaté, afin qu'ils puissent prendre les mesures nécessaires pour corriger la situation. M. Leis prétend qu'il incombe au superviseur de l'employé de faire cela.

[194] Le premier document qui fait état de préoccupations à l'égard du rendement de Mme Nkwazi est un courriel en date du 16 février 1998 de Reg Brecknell, dans lequel celui-ci fait observer que Mme Nkwazi communique très mal avec les patients et qu'elle passe la majeure partie de son temps au poste de soins infirmiers. La note précise également que Mme Nkwazi fait peu de consignation dans les dossiers, pose peu de questions à propos des patients et ne participe guère aux séances de groupe. M. Brecknell a fait observer que Mme Nkwazi n'affichait pas un bon moral et qu'elle se plaignait sans cesse des avantages dont elle bénéficiait et du nombre de postes qu'elle obtenait. On ne sait pas précisément à qui le courriel de M. Brecknell était destiné, bien que celui-ci croie l'avoir envoyé à Carol Smith. M. Brecknell a dit qu'il avait peut-être fait part à Mme Smith de ses préoccupations à propos de Mme Nkwazi et qu'elle lui avait demandé de lui fournir quelque chose par écrit.

[195] M. Brecknell admet qu'il a peut-être été le principal artisan du non-renouvellement du contrat de Mme Nkwazi. À titre de directeur associé des Programmes à l'unité Clearwater, il avait eu l'occasion d'observer le travail de Mme Nkwazi à deux ou trois reprises, peut-être plus, peut-être moins. M. Brecknell a affirmé que les patients lui avaient peut-être fourni une certaine rétroaction au sujet de Mme Nkwazi, mais ses souvenirs à cet égard sont plutôt flous. M. Brecknell a indiqué dans son témoignage qu'il avait peut-être documenté les plaintes reçues des patients, mais aucune documentation du genre n'a été produite à l'audience. Il n'a pas été en mesure de fournir de plus amples renseignements au sujet de ses préoccupations à l'égard du rendement de Mme Nkwazi. Toutefois, il a donné une opinion au sujet de l'attitude de Mme Nkwazi, faisant observer qu'elle paraissait plus intéressée par les avantages dont elle bénéficiait que par son emploi d'infirmière.

[196] Selon M. Brecknell, la direction n'était pas tenue à l'époque de faire une évaluation du rendement des employés occasionnels. Néanmoins, il fallait par souci d'équité communiquer à l'intéressé les préoccupations d'ordre professionnel. Par conséquent, M. Brecknell rencontrait souvent les employés occasionnels affectés à son unité pour discuter avec eux de ses attentes et de leur rendement.

[197] M. Brecknell a indiqué qu'il avait peut-être discuté avec Mme Nkwazi de ses préoccupations à l'égard de son rendement lorsqu'elle a travaillé à l'unité Clearwater. Toutefois, il ne possède pas de notes confirmant qu'il a pu avoir de telles discussions; en fait, il ne se souvient même pas d'avoir eu de telles discussions. Mme Nkwazi nie qu'il n'y en ait jamais eues.

[198] Dans un monde parfait, a déclaré M. Brecknell, le directeur des Programmes dont relève Mme Nkwazi ou le directeur associé des Programmes de l'unité Churchill aurait dû discuter avec elle de ses préoccupations quant à son rendement. Or, rien dans la preuve n'indique qu'il y ait jamais eu de telles discussions.

[199] Adele MacInnis-Meagher a été la superviseure de Mme Nkwazi pendant environ sept mois à l'époque où elle était directrice des Programmes à l'unité Churchill en 1996-1997. Durant cette période, le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi a été renouvelé deux fois. Mme MacInnis-Meagher n'a pas eu beaucoup de contacts avec Mme Nkwazi après avoir quitté l'unité Churchill en février 1997. Elle a affirmé que durant la période où elle a supervisé Mme Nkwazi, cette dernière posait beaucoup de questions au sujet des soins aux patients et lui fournissait de la rétroaction à propos des patients. Mme MacInnis-Meagher a indiqué que Mme Nkwazi était respectueuse à l'endroit des patients, tout en précisant qu'elle passait un peu plus de temps dans le bureau qu'elle ne l'aurait souhaité. Elle se rappelle également que Mme Nkwazi était un peu en proie à la nervosité. Mme MacInnis-Meagher ne se souvient pas de problèmes de consignation aux dossiers en ce qui touche Mme Nkwazi.

[200] Mme MacInnis-Meagher n'a pas participé directement à la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi. Elle a affirmé que M. Brecknell lui avait demandé son opinion à propos du rendement de Mme Nkwazi, mais elle n'a pu préciser quand. Elle s'est inquiétée dans une certaine mesure du rendement de Mme Nkwazi, inquiétude qui découlait en partie des piètres résultats de celle-ci lors du concours de novembre 1997. Cependant, Mme MacInnis-Meagher a reconnu que le fait d'obtenir de piètres résultats à un concours visant à recruter du personnel infirmier ne signifie pas pour autant que l'employée n'est pas qualifiée pour travailler comme infirmière. Elle a admis que certaines personnes qui obtiennent de piètres résultats lors de concours peuvent très bien s'acquitter de leurs fonctions.

[201] Cynthia MacDonald a travaillé à l'unité Churchill entre le moment où celle-ci est devenue l'unité des Femmes, en août 1997, jusqu'au départ de Mme Nkwazi du CPR. D'octobre 1997 à mars 1998, Mme MacDonald a travaillé comme coordonnatrice de groupe à l'unité Churchill. À ce titre, elle était chargée de la planification et de la mise en œuvre des programmes de groupe. En mars 1998, Mme MacDonald est devenue directrice associée intérimaire des Programmes à l'unité.

[202] Mme MacDonald a dit avoir commencé à discuter avec Heather Thompson du rendement de Mme Nkwazi à un moment donné en février 1998. Mme MacDonald avait remarqué que Mme Nkwazi passait beaucoup de temps au poste de soins infirmiers, qu'elle paraissait timide et que, souvent, elle ne regardait pas les gens dans les yeux. Elle n'avait pas remarqué de problèmes en ce qui touche l'attitude ou le moral de Mme Nkwazi. Dans son témoignage, Mme MacDonald a affirmé que les occasionnels ne participaient pas aux programmes de groupe au CPR; le rôle des occasionnels était de prendre la relève des employés nommés pour une période déterminée ou indéterminée afin qu'ils puissent participer aux programmes de groupe. Par conséquent, Mme MacDonald n'a pas constaté de problème relativement au degré de participation de Mme Nkwazi à ces programmes. Le témoignage de Mme MacDonald quant au rôle des occasionnels par rapport aux séances de groupe a été corroboré par celui de Diane Neufeld.

[203] Mme MacDonald reconnaît n'avoir discuté avec Mme Nkwazi d'aucune de ses préoccupations à l'égard de son rendement. Selon elle, il incombait à la superviseure de Mme Nkwazi de le faire et de donner à celle-ci l'occasion de remédier à ses lacunes.

[204] Heather Thompson a été la superviseure immédiate de Mme Nkwazi au cours des derniers mois où celle-ci a travaillé au CPR. Elle a dit que, lors d'une rencontre qu'elle avait eue avec Reg Brecknell en décembre 1997, ce dernier avait soulevé des préoccupations au sujet du rendement de Mme Nkwazi. Mme Thompson partageait un grand nombre de ces préoccupations. Il a alors été convenu qu'une discussion plus formelle était nécessaire, laquelle a été reportée à février 1998. En janvier 1998, le contrat de Mme Nkwazi a à nouveau été renouvelé pour trois autres mois. Mme Thompson a affirmé que sa principale préoccupation à propos du rendement de Mme Nkwazi était son inaptitude à communiquer avec les patients et à entretenir des rapports avec eux. Encore une fois, ces préoccupations ont été exprimées en termes très généraux, sans fournir d'exemples concrets. Mme Thompson a indiqué qu'elle avait noté certaines de ses observations concernant le rendement de Mme Nkwazi dans un cahier personnel; toutefois, aucune note n'a été produite à l'audience.

[205] Mme Thompson a reconnu ne jamais avoir discuté avec Mme Nkwazi de ses préoccupations au sujet de son rendement. Mme Thompson a affirmé que non seulement les gestionnaires n'étaient pas tenus de faire des évaluations de rendement officielles dans le cas des employés occasionnels, mais qu'on leur disait en fait de ne pas communiquer avec ces employés au sujet de leur rendement professionnel. Elle a indiqué dans son témoignage que Reg Brecknell lui avait dit que le CPR avait comme pratique de ne pas fournir aux employés occasionnels de rétroaction au sujet de leur rendement. Elle a ajouté que M. Brecknell avait une longue expérience en administration du personnel et qu'elle n'avait jamais songé à mettre en doute cet avis.

[206] Mme Thompson a dit avoir rencontré M. Brecknell le 13 février 1998 et que, à ce moment, M. Brecknell lui avait indiqué qu'il avait déjà discuté du rendement de Mme Nkwazi avec les autres directeurs associés des Programmes et que ceux-ci partageaient son avis. Mme Thompson a demandé à M. Brecknell de formuler ses préoccupations par écrit, d'où le courriel du 16 février de ce dernier.

[207] Mme Neufeld a nié avoir participé de quelque façon à la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi. Au dire de Mme Neufeld, Heather Thompson a communiqué avec elle pour discuter du renouvellement du contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi; à ce moment-là, Mme Neufeld a dit à Mme Thompson qu'elle ne voulait en aucune façon prendre part à la décision, compte tenu des plaintes de Mme Nkwazi à son endroit. Mme MacDonald et Mme Thompson ont convenu qu'elles avaient pris ensemble en avril 1998 la décision de ne pas renouveler le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi, peu de temps avant son expiration.

[208] De nombreux témoins autres que ceux ayant pris part à la décision de ne pas renouveler le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi ont témoigné au sujet du rendement professionnel de cette dernière. Parmi ces témoins figuraient des superviseurs et des collègues de Mme Nkwazi, plusieurs collègues infirmières et infirmiers, un médecin et un agent de correction. Ces témoins ont indiqué que Mme Nkwazi était une bonne employée, que ses patients et collègues l'aimaient bien, qu'elle travaillait fort, qu'elle était consciencieuse et professionnelle dans son comportement.

(i) Analyse

[209] Je ne souscris pas à la position du SCC selon laquelle la décision de ne pas renouveler le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi a été prise en raison de préoccupations au sujet de son rendement. Je conclus que le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi n'a pas été renouvelé parce qu'elle s'était plainte à la direction du CPR des actes discriminatoires de Mme Neufeld.

[210] Lorsqu'on examine la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi, il importe de garder à l'esprit que, au printemps de 1998, Mme Nkwazi travaillait au CPR depuis environ deux ans et demi. Durant cette période, son contrat d'employée occasionnelle a été renouvelé neuf fois. Avant février 1998, on n'a à aucun moment donné à Mme Nkwazi de raisons de croire que son rendement professionnel posait problème.

[211] Mme Thompson a indiqué que c'est en décembre 1997, c'est-à-dire avant la première rencontre de Mme Nkwazi avec M. Leis et Mme Smith, que M. Brecknell a exprimé la première fois des préoccupations à l'égard du rendement de Mme Nkwazi. Cependant, il n'existe aucun compte rendu de cette discussion et, bien que M. Brecknell ait évoqué la possibilité qu'il ait discuté du rendement de Mme Nkwazi avec Heather Thompson à un moment donné, il n'a aucunement fait mention dans son témoignage d'une discussion qui aurait eu lieu en décembre. Le contrat de Mme Nkwazi a à nouveau été renouvelé en janvier 1998. L'examen de l'ensemble de la preuve révèle que c'est dans le courriel du 16 février 1998 de M. Brecknell qu'on a exprimé la première fois des préoccupations à l'égard du rendement de Mme Nkwazi.

[212] De son propre aveu, M. Brecknell a été le principal artisan du non-renouvellement du contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi. Mme Nkwazi n'a pas travaillé à l'unité de M. Brecknell; en fait, M. Brecknell dit avoir observé le travail de Mme Nkwazi deux ou trois fois -- peut-être plus, peut-être moins. Même si, de toute évidence, il n'était guère en mesure d'observer Mme Nkwazi à l'œuvre, voilà que soudainement M. Brecknell a pris l'initiative de partir en croisade pour expulser Mme Nkwazi du CPR.

[213] Nous savons que Mme Nkwazi a rencontré M. Leis et Mme Smith le 27 janvier et le 6 février. Selon la description chronologique écrite de Mme Smith, Mme Neufeld, à un certain moment entre les deux rencontres, a eu vent du fait que Mme Nkwazi s'était plainte à la haute direction. En l'espace de quelques jours, on a vu surgir soudainement des préoccupations à l'égard de la compétence de Mme Nkwazi. Le moment choisi par M. Brecknell pour rédiger son courriel est fort suspect.

[214] Je dois également examiner si les prétendues lacunes à l'égard du rendement de Mme Nkwazi sont fondées. Je constate d'emblée que les allégations relatives aux problèmes de rendement de Mme Nkwazi sont de nature très générale; on n'a pratiquement pas fourni de détails. Toutefois, je vais tenter d'examiner une à une les diverses préoccupations.

[215] M. Brecknell a dit que le travail de Mme Nkwazi en matière de consignation aux dossiers posait problème. On peut présumer qu'il aurait été très facile pour M. Brecknell de produire des dossiers de patient pour illustrer la nature de ses préoccupations à cet égard. Cependant, aucun dossier du genre n'a été produit et M. Brecknell n'a pas été capable de mentionner un seul cas où le travail de consignation au dossier n'était pas adéquat. Aucune des autres personnes qui ont témoigné au nom du SCC n'ont exprimé de préoccupations à propos de cet aspect du travail de Mme Nkwazi. Des collègues de Mme Nkwazi se fiaient aux renseignements qu'elle avait consignés. Mme Kushniruk, Mme Kemp, Mme Roth, Mme Uwiera et Mme Gibney ont toutes indiqué dans leur témoignage que le travail de Mme Nkwazi sur ce plan était tout à fait satisfaisant. Je rejette carrément cette allégation.

[216] De même, aucun détail n'a été fourni relativement aux plaintes que M. Brecknell dit avoir reçues des patients, hormis l'allégation pure et simple selon laquelle Mme Nkwazi avait un problème de relations interpersonnelles. Lorsqu'on a mis en doute son allégation, M. Brecknell n'a pas été capable de fournir le nom d'un seul patient qui se serait plaint à lui au sujet de Mme Nkwazi. Les allégations de Mme Thompson à l'égard des prétendues difficultés de Mme Nkwazi sur le plan des relations avec les patients étaient tout aussi vagues.

[217] M. Brecknell a allégué que Mme Nkwazi ne participait guère aux séances de groupe. Dans le cadre de ses fonctions au CPR, Cynthia MacDonald était responsable de la mise en œuvre des programmes de groupe. Je souscris à l'opinion qu'ont exprimée Mme MacDonald et Mme Neufeld dans leur témoignage, à savoir que ce n'était pas le rôle des employés occasionnels de participer aux séances de groupe.

[218] M. Brecknell a indiqué que Mme Nkwazi posait très peu de questions à propos des patients. Cette observation doit être examinée à la lueur du fait qu'il avait très peu l'occasion d'observer Mme Nkwazi. Adele MacInnis-Meagher a été la superviseure de Mme Nkwazi pendant plusieurs mois. Elle a dit que Mme Nkwazi posait beaucoup de questions au sujet des soins aux patients et lui fournissait une bonne rétroaction en ce qui touche ses patients.

[219] La deuxième préoccupation exprimée par M. Brecknell avait trait à l'attitude de Mme Nkwazi et à l'allégation selon laquelle elle s'intéressait plus aux avantages dont elle bénéficiait qu'à son travail d'infirmière. Les contacts de M. Brecknell avec Mme Nkwazi relativement à la question des avantages se limitaient à une ou deux conversations avec elle au sujet de son admissibilité à l'indemnité de rappel. Ces conversations avaient eu lieu dix-huit mois auparavant, alors que M. Brecknell était chef du personnel au CPR. J'ai déjà conclu que la politique relative à l'indemnité de rappel prêtait à confusion et n'avait pas été clairement expliquée aux employés, et qu'il était tout à fait compréhensible que Mme Nkwazi n'ait pas compris quels étaient ses droits à cet égard. M. Brecknell était la personne à voir pour obtenir des éclaircissements en ce qui touche cette politique. Le fait que M. Brecknell ait soulevé la question dix-huit mois plus tard afin de miner la position de Mme Nkwazi au CPR ne constitue rien de plus qu'une atteinte mesquine et gratuite à son intégrité professionnelle.

[220] La dernière préoccupation exprimée par M. Brecknell en ce qui concerne le rendement de Mme Nkwazi avait trait à son allégation selon laquelle elle passait trop de temps au poste de soins infirmiers. À cet égard, les préoccupations de M. Brecknell semblent avoir été partagées par Mme MacInnis-Meagher et, dans une moindre mesure, par Mme Neufeld. Mme Nkwazi et ses collègues ont contesté l'allégation et indiqué qu'elle ne passait pas plus de temps que les autres au poste de soins infirmiers. Compte tenu de ma conclusion à savoir que toutes les autres allégations relatives aux présumées lacunes en ce qui touche le rendement de Mme Nkwazi ne reposaient sur aucun fondement, je suis très sceptique à l'égard de cette allégation. Toutefois, même si elle était fondée, il ressort clairement des témoignages des témoins du SCC que personne n'a jamais exprimé à Mme Nkwazi de préoccupations à cet égard. La plupart des témoins du SCC ont dit être prêts à concéder que, même si la politique concernant les évaluations de rendement ne s'appliquait pas aux employés occasionnels, la direction était tout de même tenue d'informer les employés occasionnels de leurs lacunes au plan professionnel et de leur fournir l'occasion de remédier à la situation. La seule exception a été Heather Thompson. Cherchant à justifier le fait qu'elle n'avait jamais fait part à Mme Nkwazi de quelque préoccupation que ce soit au sujet de son rendement, Mme Thompson a insisté sur le fait que Reg Brecknell lui avait dit que la politique du CPR voulait que les superviseurs ne parlent pas aux employés occasionnels de leurs préoccupations à propos de leur rendement. Non seulement M. Brecknell a-t-il dit le contraire dans son témoignage, mais les allégations de Mme Thompson à cet égard défient la raison.

[221] Lors du plaidoyer, on a laissé entendre que les piètres résultats obtenus par Mme Nkwazi lors du concours de novembre constituaient une autre préoccupation par rapport à sa compétence. Cet argument doit être examiné à la lueur des témoignages des témoins du SCC tels que Mme MacInnis-Meagher et Mme Thompson, qui ont toutes deux indiqué que certains employés s'acquittent très bien de leurs tâches même s'ils ne font pas bonne figure lors des concours. Tim Leis a mentionné que, souvent, les employés occasionnels ne réussissaient pas du premier coup dans les concours. Theresa Kosmos et Tracy Kushniruk ont elles aussi fait piètre figure lors des concours. En fait, Mme Kushniruk a obtenu un pire résultat que celui de Mme Nkwazi lors du concours de novembre 1997. Leurs contrats d'employée occasionnelle n'en ont pas moins été renouvelés.

[222] Pour reprendre les termes employés dans Basi, les odeurs qui se dégagent de la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi n'ont rien de subtiles. À mon avis, l'allégation selon laquelle le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi n'a pas été renouvelé en raison de préoccupations légitimes touchant sa compétence n'est pas fondée. Le contrat de Mme Nkwazi n'a pas été renouvelé parce qu'elle s'était plainte à la haute direction des actes discriminatoires de Mme Neufeld. Les collègues de Mme Neufeld se sont ensuite serrés les coudes et ont fabriqué les préoccupations concernant son rendement.

[223] Bien que Mme Thompson et Mme MacDonald aient toutes deux affirmé que la décision de ne pas renouveler le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi a été prise en avril 1998, la preuve documentaire indique que, selon toute vraisemblance, cette décision avait déjà été prise à la mi-mars. On m'a fourni des copies des tableaux de service de l'unité Churchill correspondant aux mois de mars et d'avril 1998. Selon Mme MacDonald, cette formule est remplie le quinzième jour du mois qui précède celui sur lequel porte le tableau. Autrement dit, le tableau de service de mars doit être établi avant le 15 février, et celui d'avril, avant le 15 mars. Figurent au haut du tableau de service de mars les noms des employés affectés à l'unité Churchill qui ont été nommés pour une période déterminée ou indéterminée. Les noms de Beryl Nkwazi et de Tracy Houk (Kushniruk), les employées occasionnelles affectées à l'unité Churchill, sont imprimés plus bas sur la page. Les noms des employés occasionnels des autres unités qui ont travaillé à l'unité Churchill au cours du mois, ainsi que leurs postes de travail, sont inscrits à la main près de ceux de Mme Nkwazi et de Mme Kushniruk. Sur la formule de mars, on trouve également le nom de Brenda Hoffman, une employée occasionnelle qui semble avoir commencé à travailler au CPR après que le formulaire de mars eut été établi. Mme Hoffman était affectée à l'unité Churchill.

[224] Par contre, les noms de Mme Kushniruk et de Mme Hoffman ont été préimprimés sur le tableau de service d'avril. Le nom de Mme Nkwazi n'apparaît nulle part sur la formule. Je suis convaincue que l'explication la plus plausible de l'omission du nom de Mme Nkwazi dans le tableau de service d'avril est que, au moment où la formule a été établie le 15 mars 1998, la décision de ne pas renouveler son contrat avait déjà été prise.

[225] Les gestes que le SCC a posés à l'endroit de Mme Nkwazi après la décision de ne pas renouveler son contrat sont scandaleux. On a permis que Mme Nkwazi se prête à la mascarade stressante et humiliante de la rencontre du 6 avril avec Mme Neufeld. Elle n'a pas eu droit à la courtoisie la plus élémentaire consistant en un simple appel téléphonique pour l'informer que son contrat n'avait pas été renouvelé (13). Mme Nkwazi a été invitée à aller chercher ses articles personnels au CPR, où des gardes de sécurité l'ont accompagnée sans cérémonie jusqu'à la sortie, au vu et au su de ses collègues. Cette conduite est tellement dénuée de sensibilité qu'elle frôle la cruauté mentale.

[226] Tout au cours de l'audience, le SCC a insisté sur le fait qu'il n'avait pas légalement l'obligation de renouveler le contrat de Mme Nkwazi. Tout comme dans le cas des contrats portant sur une période déterminée, Mme Nkwazi a reçu un préavis de cessation d'emploi au moment où le contrat a été conclu. Cela est certes vrai du point de vue contractuel. Mme Nkwazi n'aurait pas pu prétendre avoir été congédiée injustement et intenter des poursuites en dommages-intérêts en cas de non-renouvellement de son contrat. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il est légal de refuser de renouveler un contrat portant sur une période déterminée lorsqu'une telle décision repose sur des considérations discriminatoires.

N. Les références fournies par Mme Thompson

[227] Mme Nkwazi a déclaré qu'elle avait tenté de trouver un nouvel emploi après son départ du CPR. Elle a notamment fait des démarches auprès de l'hôpital universitaire. Le 5 août 1998, Mme Nkwazi a reçu un appel de Patti Wonsiak, une employée de l'hôpital, qui lui a dit qu'elle aurait été prête à lui offrir un poste mais qu'elle ne pouvait le faire en raison des références fournies par Heather Thompson. Mme Nkwazi a déduit de ce que lui a dit Mme Wonsiak que les références fournies par Mme Thompson étaient accablantes. Elle a donné le nom de Mme Uwiera comme deuxième personne pouvant fournir des références à son sujet. Mme Nkwazi a cru comprendre que Mme Uwiera a reçu un appel; toutefois, on n'a jamais offert de poste à Mme Nkwazi à l'hôpital universitaire.

[228] Mme Thompson a confirmé avoir fourni à Mme Wonsiak des références au sujet de Mme Nkwazi. Cependant, Mme Thompson a affirmé que ses références étaient dans l'ensemble bonnes. Les notes de Mme Thompson relatives à sa conversation avec Mme Wonsiak ont été produites à l'audience. Selon ces notes, Mme Thompson a dit à Mme Wonsiak que Mme Nkwazi était une personne organisée, qu'elle était efficace dans l'administration des médicaments et qu'elle était capable de gérer sa charge de travail. Mme Wonsiak a, bien sûr, demandé à Mme Thompson si elle réembaucherait Mme Nkwazi, ce à quoi Mme Thompson a répondu : Nous n'avons pas renouvelé son contrat d'employée occasionnelle. Au dire de Mme Thompson, Mme Wonsiak a soudainement mis fin à la conversation. Mme Wonsiak n'a pas témoigné.

(i) Analyse

[229] La connaissance par Mme Nkwazi de la conversation entre Mme Thompson et Mme Wonsiak est fondée entièrement sur des renseignements sous forme de ouï-dire par rapport à cette dernière. Par contre, la preuve directe de Mme Thompson quant à la teneur des références est corroborée par les notes qu'elle a rédigées au moment de l'appel. Je conviens que les renseignements fournis par Mme Thompson à Mme Wonsiak à propos de Mme Nkwazi correspondent à ceux inscrits dans les notes de Mme Thompson.

[230] Il n'y a rien d'inexact dans les références fournies : lorsque Mme Wonsiak a demandé à Mme Thompson si elle réembaucherait Mme Nkwazi, elle lui a répondu bien franchement que le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi n'avait pas été prolongé. Cela dit, le fait de dire à un employeur éventuel que l'employeur précédent a décidé de ne pas prolonger le contrat d'employée occasionnelle de l'intéressée ne constitue pas vraiment une approbation enthousiaste quant aux aptitudes du candidat. J'ai déjà conclu que la décision de ne pas renouveler le contrat de Mme Nkwazi avait été prise parce que cette dernière s'était plainte de la conduite discriminatoire de Mme Neufeld.

[231] Nous savons que Mme Nkwazi ne s'est pas vu offrir le poste à l'hôpital universitaire; il est raisonnable de conclure que les références fournies par Mme Thompson ont joué dans la décision de ne pas lui offrir un poste.

O. Conclusion relative à la responsabilité

[232] La tentative de Mme Neufeld pour empêcher Mme Nkwazi de participer au concours de novembre 1997, ainsi que son commentaire relatif à l'origine ethnique de son nom, constituent un traitement discriminatoire fondé sur la race et la couleur dans le cours de l'emploi de Mme Nkwazi, qui va à l'encontre de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Conformément à l'article 65 de la Loi, le SCC est responsable des actes de Mme Neufeld, à moins qu'il puisse établir que ces actes ont été commis sans son consentement, qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour les empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou annuler les effets. Il n'est pas nécessaire que je me penche sur les deux premiers volets du critère de la diligence raisonnable qui en comporte trois : il a été amplement démontré que le SCC a non seulement omis d'atténuer ou d'annuler les effets que les actes de Mme Neufeld ont eus sur Mme Nkwazi, mais également que la façon dont le SCC a traité la plainte de Mme Nkwazi, les circonstances entourant la décision de ne pas renouveler son contrat et les références de Mme Thompson ont en fait aggravé le préjudice qu'elle a subi.

[233] J'ai conclu que le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi n'a pas été renouvelé parce que cette dernière s'était plainte des actes de Mme Neufeld. L'application de mesures de représailles constitue en soi un acte discriminatoire indépendant aux termes du paragraphe 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel qu'il est formulé actuellement (14). Toutefois, ce n'était pas le cas en vertu du libellé de la Loi à l'époque où Mme Nkwazi a travaillé au CPR. À mon avis, appliquer la nouvelle disposition de la Loi relative aux représailles à des actes qui sont survenus avant l'entrée en vigueur de l'article en question pour conclure que les mesures de représailles que le SCC a prises à l'endroit de Mme Nkwazi constituent une infraction distincte à la Loi équivaudrait à rattacher de nouvelles conséquences à des événements qui ont eu lieu avant la promulgation. On donnerait ainsi un effet rétroactif à la Loi, ce qui n'est généralement pas permis et ce qui n'est pas appuyé par le libellé du texte (15).

[234] Bien que je ne puisse considérer les mesures de représailles prises par le SCC comme un fondement autonome de la responsabilité en vertu de la Loi telle qu'elle était formulée à l'époque, la conduite du SCC après que Mme Nkwazi eut fait part de ses récriminations au sujet de Mme Neufeld est pertinente par rapport à la question des dommages-intérêts. L'indemnisation en matière de droits de la personne vise à remettre la victime dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit, sous réserve des principes de la prévisibilité des dommages et de l'atténuation des pertes (16). En l'espèce, je suis convaincue qu'il existe un lien de cause à effet entre les actes discriminatoires originaux et la perte par Mme Nkwazi de son emploi : si Mme Neufeld n'avait pas traité Mme Nkwazi de façon discriminatoire, celle-ci ne se serait pas plainte à son sujet à la direction du CPR et il n'y aurait pas eu de représailles. Autrement dit, les dommages qui résultent du non-renouvellement du contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi découlent du fait que Mme Neufeld a contrevenu à la Loi, et peuvent être examinés dans l'optique de la réparation.

IV. RÉPARATION

A. Intégration/réintégration

[235] À l'audience, l'avocate de Mme Nkwazi et Mme Nkwazi elle-même ont soutenu que, pour remédier correctement aux actes discriminatoires du SCC, il fallait notamment ordonner que Mme Nkwazi soit réintégrée dans des fonctions d'employé occasionnel au CPR. Il s'agit là de la mesure de réparation préconisée dans l'énoncé des précisions présenté par Mme Nkwazi préalablement à l'audience. Toutefois, en réponse à une question posée par le Tribunal au cours du plaidoyer final, l'avocate de Mme Nkwazi a indiqué que si je devais conclure que Mme Neufeld a tenté d'empêcher Mme Nkwazi de participer au concours de novembre 1997, il faudrait songer à nommer Mme Nkwazi à un poste d'infirmière pour une période déterminée ou indéterminée. Afin de démontrer si elle a droit à une telle réparation, Mme Nkwazi doit établir qu'il existait des raisons sérieuses de croire qu'elle aurait réussi à obtenir un tel poste (17), n'eut été des actes commis par Mme Neufeld. Autrement dit, Mme Nkwazi doit prouver que non seulement il existait de sérieuses raisons de croire qu'elle aurait obtenu une note de passage pour le volet connaissances de l'entrevue, mais aussi pour les volets aptitudes et qualités personnelles, et qu'elle aurait ainsi mériter que son nom soit inscrit sur la liste d'admissibilité. Il faudrait également que Mme Nkwazi démontre qu'il y avait de sérieuses raisons de croire qu'elle se serait vu offrir un poste au SCC pendant la période d'application de la liste d'admissibilité.

[236] J'ai déjà conclu qu'on n'a pas donné à Mme Nkwazi une chance égale dans le concours de novembre 1997 par suite des actes posés par Mme Neufeld. Il reste à déterminer dans quelle mesure Mme Nkwazi aurait bien tiré son épingle du jeu, n'eut été du comportement discriminatoire de Mme Neufeld. Un tel exercice est forcément de nature spéculative.

[237] Mme Nkwazi a obtenu un résultat de 16 sur 33 pour le volet connaissances de l'entrevue. Il fallait obtenir au moins 19,8 points pour passer à l'étape suivante. Comme elle n'a pas franchi la première étape de l'entrevue, Mme Nkwazi n'a pas participé aux segments aptitudes et qualités personnelles. Nous savons que Mme Nkwazi était instruite, qu'elle avait de l'expérience en soins infirmiers et qu'elle travaillait au CPR depuis environ deux ans au moment du concours en question, ce qui lui avait permis d'acquérir de l'expérience en soins infirmiers en milieu correctionnel. Nous savons également que Mme Nkwazi avait fait des études et acquis de l'expérience en ce qui a trait au trouble de la personnalité limite et qu'elle aurait donc été bien placée en principe pour répondre à la question d'entrevue portant sur ce trouble particulier de la personnalité. Mme Nkwazi était de toute évidence nerveuse à l'entrevue et on ne peut douter que sa nervosité ait influé sur son résultat. Il est raisonnable de présumer que la nervosité de Mme Nkwazi était imputable en partie à la présence de Mme Neufeld au sein du jury de sélection.

[238] Cependant, nous savons également que Mme Nkwazi avait peu d'expérience dans les concours. Il ressort clairement de la preuve, notamment des témoignages de certains des témoins de Mme Nkwazi elle-même, que les employés occasionnels doivent souvent participer à un certain nombre de concours avant de réussir à faire inscrire leur nom sur une liste d'admissibilité. Mme Nkwazi a elle-même admis que certaines des questions qu'on lui a posées à l'entrevue l'avaient étonné, reconnaissant que même si les questions étaient peut-être équitables, elles n'étaient pas celles qu'elle avait prévues.

[239] Ont participé au concours onze personnes, dont cinq ont été jugées qualifiées. Comme on ne m'a pas fourni de renseignements au sujet de la compétence de plusieurs de ces personnes, il m'est impossible de comparer leur compétence et leur expérience avec celles de Mme Nkwazi. La preuve démontre que les trois premières personnes dont les noms figuraient sur la liste d'admissibilité ont obtenu un poste à temps plein ou à temps partiel. Deux de ces trois personnes ont réussi à obtenir un poste d'une durée indéterminée. Aucun élément de preuve n'indique que les personnes dont les noms figuraient au quatrième et au cinquième rangs dans la liste aient obtenu un poste.

[240] Il incombait à Mme Nkwazi d'établir qu'il existait de sérieuses raisons de croire qu'elle aurait obtenu un poste d'infirmière, n'eut été des actes posés par Mme Neufeld. Au regard de l'ensemble de la preuve, je ne puis conclure qu'elle a satisfait à cette exigence.

[241] Cela dit, je suis convaincue que Mme Nkwazi a droit d'être réintégrée dans un poste d'employé occasionnel au CPR. Bien qu'elle ait été préoccupée par d'autres formes de traitement dont elle a été l'objet au CPR de la part d'autres personnes que Mme Neufeld, Mme Nkwazi n'a pas de façon générale fait part de ses préoccupations à autrui. Il ressort clairement de la preuve de Mme Nkwazi qu'elle était très réticente à se plaindre du traitement discriminatoire apparent dont elle était l'objet, vu la précarité de son poste d'employé occasionnel. La suite des événements confirme que cette crainte était raisonnable. Il est évident que ce sont les actes posés par Mme Neufeld, c'est-à-dire sa tentative pour empêcher Mme Nkwazi de participer au concours de novembre 1997 et son commentaire négatif au sujet de son nom, qui ont amené Mme Nkwazi à se plaindre à la haute direction. N'eut été des actes posés par Mme Neufeld, que j'ai jugés discriminatoires, il est peu probable que Mme Nkwazi aurait porté plainte.

[242] J'ai conclu que le non-renouvellement du contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi était la conséquence directe de ses récriminations au sujet de Mme Neufeld. À mon avis, le fait que Mme Nkwazi ait perdu son emploi occasionnel peut à juste titre être qualifié de perte découlant encore qu'indirectement de la conduite discriminatoire initiale. La question du caractère non prévisible des dommages ne se pose pas ici. Le critère de la prévisibilité vise à protéger le mis en cause contre les pertes qu'une victime de discrimination a subies mais qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles. Le SCC n'est certes pas fondé à prétendre qu'il ne pouvait raisonnablement prévoir ses propres actes.

[243] Tel qu'indiqué ci-dessus, dans les cas où il juge qu'une plainte de discrimination est fondée, le tribunal des droits de la personne doit tenter de remettre la partie plaignante dans la position où elle aurait été, n'eut été de l'acte discriminatoire. En l'espèce, Mme Neufeld a indiqué dans son témoignage que le CPR avait toujours besoin d'employés occasionnels et que le renouvellement du contrat d'un employé occasionnel était presque automatique, à moins de problèmes de rendement. Le fait que Mme Nkwazi ait vu son contrat être renouvelé neuf fois, ainsi que ce qui s'est produit dans le cas d'autres employés du CPR, confirme cette allégation. Je suis convaincue que, n'eut été de la conduite discriminatoire de Mme Neufeld à l'endroit de Mme Nkwazi, celle-ci serait encore au service du CPR. Par conséquent, j'ordonne au SCC de réintégrer Mme Nkwazi dans des fonctions d'infirmière occasionnelle au CPR à la première occasion. Compte tenu de tout ce qui s'est passé dans cette affaire, l'application de cette mesure me préoccupe. Je ne puis qu'espérer que les parties feront montre de bonne foi à l'égard de la réintégration de Mme Nkwazi au CPR.

[244] Tout au cours de la période où elle a travaillé au CPR, Mme Nkwazi a vu son contrat être renouvelé tous les trois mois. Le SCC doit à la première occasion offrir à Mme Nkwazi un contrat de trois mois. Le contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi devra être renouvelé par la suite de temps à autre, et ce tant que le SCC aura besoin de ses services. Il incombera au SCC de déterminer s'il continue d'avoir besoin des services de Mme Nkwazi; toutefois, aucune considération discriminatoire ne doit intervenir de quelque façon dans toute décision future ayant trait au renouvellement de son contrat.

[245] À titre d'employée occasionnelle, Mme Nkwazi était appelée en cas de besoin. Mme Nkwazi devrait jouir du même accès que les autres employés occasionnels aux postes de travail du CPR. En outre, Mme Nkwazi devrait se voir offrir la même formation, les mêmes avantages et les mêmes possibilités que celles qui sont offertes aux employés occasionnels du CPR.

B. Perte de salaire

[246] Mme Nkwazi a demandé d'être dédommagée pour le salaire qu'elle dit avoir perdu du fait que son contrat d'employée occasionnelle au CPR n'a pas été renouvelé.

[247] Avant avril 1998, Mme Nkwazi avait cherché un autre emploi pendant quelque temps. Elle a indiqué dans son témoignage que son but était d'obtenir un poste à temps plein au CPR ou de trouver un deuxième poste d'employé occasionnel ailleurs, ce qui lui aurait permis de travailler l'équivalent d'un horaire normal. À cette fin, elle a fait des démarches auprès d'un certain nombre d'établissements de santé de la région de Saskatoon. Elle a alors réussi à obtenir un emploi d'employé occasionnel au centre correctionnel de Saskatoon (CCS). Mme Nkwazi a commencé à travailler à cet établissement le 12 mai 1998. Elle avait postulé ce poste avant qu'elle quitte le CPR et avait prévu travailler au CCS tout en continuant de travailler au CPR.

[248] Après avril 1998, Mme Nkwazi a poursuivi ses démarches en vue d'obtenir un autre emploi. Elle a fait une demande au City Hospital et au Royal University Hospital. Elle a dit qu'après l'incident relatif aux références fournies à Mme Wonsiak par Mme Thompson, elle a cessé de chercher du travail. Si j'en juge par le témoignage de Mme Nkwazi à cet égard, elle a tenté de limiter les dégâts. À cause de contraintes familiales, les démarches de Mme Nkwazi se sont limitées à la région de Saskatoon. La communauté des soins de santé à Saskatoon est petite, et l'embauche est en grande partie centralisée. Mme Nkwazi s'inquiétait de ce que sa réputation auprès de la communauté des soins de santé soit irrémédiablement entachée si le CPR continuait de donner de mauvaises références. Bien qu'elle ait continué de travailler au CCS, Mme Nkwazi a cessé de chercher un autre emploi après l'été 1998.

[249] Aux fins de l'adjudication de dommages-intérêts en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il faut tenir compte du caractère suffisant des efforts de la partie plaignante pour atténuer ses pertes (18). Le SCC a fait témoigner Mme Beverly Crossman, directrice exécutive de la Saskatchewan Union of Nurses, qui a affirmé qu'il existait des emplois disponibles dans le domaine des soins de santé à Saskatoon durant cette période. Le SCC a soutenu que Mme Nkwazi n'avait pas fait suffisamment d'efforts pour se trouver un autre emploi et qu'elle n'avait pas atténué ses pertes comme il se doit. En conséquence, tout montant accordé à Mme Nkwazi devrait tenir compte de ce fait. Je ne suis pas d'accord. En rétrospective, on pourrait conclure qu'il eut été préférable que Mme Nkwazi poursuive ses recherches pour trouver un autre emploi, en demandant à quelqu'un au CCS de fournir des références. Toutefois, au regard de toutes les circonstances, je ne puis conclure que Mme Nkwazi a agi de façon déraisonnable en tentant de protéger sa réputation.

[250] Je ne pense pas non plus qu'il serait équitable que le SCC profite financièrement d'une réduction des dommages-intérêts adjugés à Mme Nkwazi au titre de la perte de salaire, alors que sa décision de cesser de chercher du travail résultait de la conduite du SCC qui avait pour effet du donner indûment une impression négative au sujet de la compétence de Mme Nkwazi au sein de la communauté des soins de santé.

[251] Le SCC a également soutenu qu'il faudrait réduire le montant des dommages-intérêts adjugé à Mme Nkwazi au titre de la perte de salaire afin de tenir compte du délai qui s'est écoulé avant l'audition de cette affaire. Plus particulièrement, le SCC a souligné que l'affaire devait initialement être entendue en mai 2000 et que les procédures ont été ajournées jusqu'en septembre 2000 pour permettre à Mme Nkwazi de retenir les services d'un avocat. Je ne crois pas que l'indemnité à laquelle Mme Nkwazi a droit au titre de la perte de salaire devrait être réduite à cause de cela. Mme Nkwazi n'avait pas d'avocat à l'origine. Elle avait cru comprendre que ses intérêts correspondaient à ceux de la Commission canadienne des droits de la personne, et que la Commission serait représentée par un avocat à l'audience. Quelques jours avant la date prévue de l'audience, l'avocat de la Commission a informé le Tribunal et les parties que la Commission se retirait de l'affaire. Mme Nkwazi a alors demandé et obtenu un ajournement des procédures jusqu'en septembre afin de pouvoir retenir les services d'un avocat. Bien qu'il soit très malheureux que cette instance ait été retardée, le retard est entièrement attribuable au retrait imprévu de la Commission. Dans ces circonstances, je ne crois pas qu'il serait équitable de pénaliser Mme Nkwazi en réduisant son indemnité au titre de la perte de salaire.

[252] Eu égard à ces motifs, je suis d'avis que Mme Nkwazi a droit d'être indemnisée pour le salaire perdu entre avril 1998 et le moment où le CPR lui accordera un nouveau contrat d'employée occasionnelle. Comment devrait-on calculer cette perte? Mme Nkwazi estime qu'on devrait simplement lui verser pour 1998 et les années suivantes l'équivalent du salaire qu'elle a gagné au CPR en 1997. Compte tenu du désir de Mme Nkwazi d'occuper deux postes occasionnels équivalant à un travail à temps plein, l'avocate de Mme Nkwazi a affirmé qu'il serait raisonnable de présumer que Mme Nkwazi aurait continué de travailler à la même cadence au CPR, même après avoir obtenu son nouveau poste au CCS. Je ne suis pas d'accord. La preuve a démontré que Mme Nkwazi travaillait environ 125 jours par année au CPR, soit un peu plus de 10 postes par mois. Mme Nkwazi travaille actuellement 10 à 15 postes par mois en moyenne au CCS. Elle travaille le jour ou en soirée au CCS. Par contre, la plupart des postes qu'elle obtenait au CPR étaient des postes de soirée ou de nuit. Il est raisonnable de présumer qu'il y aurait eu des cas où Mme Nkwazi aurait été appelée pour venir travailler au CPR alors que le CCS lui aurait déjà attribué des postes, et vice versa. Il y a donc lieu de rajuster l'indemnité au titre de la perte de salaire pour tenir compte de cette réalité. À mon avis, le montant adjugé à Mme Nkwazi au titre de la perte de salaire devrait être réduit de 10 % à cette fin.

[253] Les parties ont convenu que je devrais énoncer les principes généraux qui devraient s'appliquer à l'évaluation de la perte de salaire de Mme Nkwazi. Elles tenteront ensuite de calculer le montant précis de la perte. Cela semble une façon logique de procéder. Nous savons que Mme Nkwazi a travaillé environ 125 jours en 1997. Certains postes étaient plus longs que d'autres et, à certaines occasions, Mme Nkwazi travaillait plus que son poste normal, accumulant des heures supplémentaires. L'année 1997 est la dernière année complète où Mme Nkwazi a travaillé au CPR; elle devrait donc servir de modèle. On devrait déterminer le nombre de postes de travail que Mme Nkwazi a obtenus en 1997, la durée de ces postes et le nombre d'heures supplémentaires. On devrait ensuite calculer les gains potentiels de Mme Nkwazi pour chaque année successive en présumant qu'elle aurait travaillé autant au cours de chacune d'elles qu'en 1997. On devrait appliquer les taux de rémunération en vigueur au cours de chaque année successive. On devrait ainsi obtenir un salaire brut pour chaque année, et ce pour la période comprise entre le 23 avril 1998 et le moment où elle sera réintégrée au CPR. Ce montant brut devrait ensuite être réduit de 10 % pour tenir compte du chevauchement de postes avec ceux du CCS.

[254] Mme Nkwazi aura droit à un versement forfaitaire pour le salaire qu'elle aurait gagné au cours d'une période s'échelonnant sur plusieurs années. Ce versement forfaitaire entraînera manifestement des conséquences négatives du point de vue fiscal. À mon avis, il ne serait pas équitable de pénaliser Mme Nkwazi en lui imposant un fardeau fiscal plus lourd du fait qu'elle aurait reçu un versement forfaitaire équivalant à plusieurs années de salaire. Ce serait incompatible avec l'objectif de la réparation qui est de remettre Mme Nkwazi dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit. En conséquence, le SCC doit payer à Mme Nkwazi un montant additionnel suffisant pour couvrir l'impôt supplémentaire qu'elle aura à payer du fait qu'elle recevra un montant forfaitaire.

[255] Le SCC a fait remarquer que Mme Nkwazi touche des prestations d'assurance-emploi depuis son départ du CPR. Dans des cas comme celui de Mme Nkwazi, la Loi sur l'assurance-emploi prévoit qu'il faut rembourser les prestations reçues. Par conséquent, il n'est pas nécessaire à mon avis que je rende une ordonnance à cet égard.

C. Excuses

[256] Mme Nkwazi a demandé au Tribunal d'ordonner que le SCC lui présente des excuses. Dans les cas où la conduite du mis en cause a été empreinte d'insensibilité, les tribunaux des droits de la personne ont ordonné que des excuses soient présentées (19). J'ai conclu que la conduite du SCC a été tellement dénué de sensibilité qu'elle frôlait la cruauté mentale. J'ordonne donc que le commissaire du Service correctionnel du Canada fasse parvenir à Mme Nkwazi une lettre d'excuses officielle dans les trente jours suivant le prononcé de cette décision.

D. Préjudice non pécuniaire

[257] Mme Nkwazi réclame un montant de 20 000 $ pour compenser le préjudice moral qu'elle a subi. Elle réclame un autre montant de 20 000 $ en raison de la conduite délibérée ou inconsidérée du SCC. Ces demandes soulèvent une question préliminaire en ce qui concerne la compétence du Tribunal.

[258] Telle qu'elle était libellée avant le 30 juin 1998, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoyait le versement d'une indemnité maximale du 5 000 $ à la victime d'un acte délibéré ou inconsidéré qui a subi un préjudice moral (20). Depuis l'adoption du projet de loi S-5, la Loi prévoit que l'indemnité au titre du préjudice moral peut atteindre 20 000 $ et qu'une autre indemnité maximale de 20 000 $ peut être versée à la victime d'un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré (21). Si l'on fait exception des références fournies par Mme Thompson, tous les événements entourant la plainte de Mme Nkwazi, y compris les deux incidents qui constituent à mon avis des actes discriminatoires, ont eu lieu avant l'adoption du projet de loi S-5.

[259] De l'avis du SCC, si l'on appliquait les modifications apportées à la Loi aux circonstances qui ont donné lieu à la plainte de Mme Nkwazi, on rattacherait de nouvelles conséquences à des événements qui ont eu lieu avant l'adoption des modifications en question. On se trouverait à donner aux modifications un effet rétroactif, ce qui n'est généralement envisageable que si le libellé de la loi le permet.

[260] De l'avis de Mme Nkwazi, les modifications apportées à la Loi n'influent sur aucun droit acquis par le SCC. Le SCC ne perd aucun moyen de défense possible contre une allégation de discrimination, mais il s'expose à devoir verser une indemnité plus élevée pour avoir violé les droits individuels de Mme Nkwazi. Selon Mme Nkwazi, il s'agit d'une question de procédure plutôt que d'une question de fond.

[261] Je ne crois pas que le risque d'avoir à verser un montant plus élevé à titre de dommages-intérêts soit une question de procédure plutôt qu'une question de fond. Pour qu'une disposition législative soit procédurale, il faut qu'elle revête un caractère purement procédural. Autrement dit, son application doit influer uniquement sur le moyen d'exercer un droit (22) : elle ne doit pas nuire aux responsabilités ou droits fondamentaux des parties (23). Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[262] Mon opinion à savoir que la plainte de Mme Nkwazi est fondée découle de ma conclusion que certains actes du SCC sont discriminatoires. Ces actes ont été commis avant l'entrée en vigueur des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Afin de pouvoir déclarer qu'une réforme législative modifie les conséquences futures d'actes antérieurs en imposant de nouvelles responsabilités ou obligations, il faudrait conclure que la Loi a un effet rétroactif. Il y a une forte présomption à l'encontre de la rétroactivité (24).

[263] Dans Brosseau c. Alberta (Securities Commission) (25), la Cour suprême du Canada a reconnu la classification suivante des lois rétroactives telle que décrite dans l'ouvrage intitulé Dreidger on the Construction of Statutes :

[Traduction]

Il y a trois sortes de lois que l'on peut, à proprement parler, qualifier de rétroactives, mais il n'y en a qu'une qui donne lieu à la présomption [à l'encontre de la rétroactivité]. Premièrement, il y a les lois qui rattachent des conséquences bienfaisantes à un événement antérieur; elles ne donnent pas lieu à la présomption. Deuxièmement, il y a celles qui rattachent des conséquences préjudiciables à un événement antérieur; elles donnent lieu à la présomption. Troisièmement, il y a celles qui imposent une peine à une personne qui est décrite par rapport à un événement antérieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer une autre punition pour l'événement; elles ne donnent pas lieu à la présomption (26).

[264] Dans Dupuis c. Colombie-Britannique (ministère des Forêts) (27), le conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique a été confronté à une question similaire découlant de modifications à la Human Rights Act de la Colombie-Britannique régissant la compétence du conseil en matière de réparation. Le conseil a examiné le caractère correctif de la loi sur les droits de la personne et conclu que la modification litigieuse tombait dans la troisième catégorie de lois rétroactives de Dreidger. Il a jugé que la sanction pécuniaire visait non pas à punir mais à indemniser. Dans cette optique, la disposition législative examinée dans Dupuis était strictement axée sur les effets des actes reprochés sur la victime (28). Par conséquent, le conseil a conclu que la modification en question ne donnait pas lieu à la présomption à l'encontre de la rétroactivité.

[265] Avec le plus grand respect, je ne partage pas l'avis que les dispositions correctives telles que celles dont il est question dans Dupuis et en l'espèce peuvent à juste être classées dans la troisième catégorie du professeur Dreidger et ne pas donner lieu à la présomption à l'encontre de la rétroactivité. À mon avis, l'alinéa 53 (2) e) et le paragraphe 53 (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'inscrivent davantage dans la deuxième catégorie, c'est-à-dire celle des dispositions législatives qui rattachent des conséquences préjudiciables à des événements antérieurs. Par conséquent, je suis d'avis que la présomption à l'encontre de la rétroactivité joue.

[266] En tirant cette conclusion, j'ai tenu compte des mises en garde de la Cour suprême du Canada voulant que la législation relative aux droits de la personne revête un caractère correctif plutôt que punitif (29). Bien que ce soit vraiment le cas, on ne peut dire que l'obligation pour le SCC de verser une indemnité pouvant atteindre 20 000 $ à titre de dédommagement pour compenser le préjudice moral subi par une victime de discrimination conformément à l'alinéa 53 (2) e) de la Loi ne soit pas une conséquence préjudiciable au SCC, conséquence qui découle d'actes discriminatoires survenus avant l'entrée en vigueur de l'article en question.

[267] L'argument en faveur de l'invocation de la présomption à l'encontre de la rétroactivité est d'autant plus fort dans le cas des dispositions du paragraphe 53 (3) de la Loi. L'examen du libellé de ce paragraphe révèle que ce paragraphe met l'accent exclusivement sur le comportement de l'intimé et ne fait aucunement état des effets que les actes posés par l'intimé ont pu avoir sur la victime. De toute évidence, le paragraphe en question vise à punir l'auteur d'un acte inconsidéré ou délibéré.

[268] La présomption à l'encontre de la rétroactivité peut être écartée si la loi le précise expressément ou si elle exige implicitement une telle interprétation (30). Pour écarter cette présomption, il faut avoir des indications suffisantes permettant de conclure que l'intention du législateur était d'appliquer les mesures législatives à des faits antérieurs de même qu'à des faits courants ou futurs. L'examen que j'ai fait de la Loi n'a révélé aucune indication que telle pouvait être l'intention du législateur.

[269] Enfin, c'est une question d'équité : modifier après le fait la loi qui s'applique à un événement va à l'encontre de la primauté du droit. Il est en soi arbitraire et injuste d'imposer des conséquences préjudiciables ou des désavantages à une partie, sans un préavis équitable (31). Pour toutes ces raisons, je suis forcée à mon avis d'appliquer les dispositions de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne tel qu'il existait au moment où les actes discriminatoires ont eu lieu (32).

[270] Cela dit, je suis convaincue que Mme Nkwazi a droit à l'indemnité maximale de 5 000 $ aux termes du paragraphe 53 (3) de la version antérieure de la Loi. J'ai conclu que Mme Neufeld avait tenté délibérément d'empêcher Mme Nkwazi de participer au concours de novembre 1997, et qu'elle avait par la suite laissé entendre que le nom de Mme Nkwazi était en quelque sorte la cause du retard à lui donner accès au système Team Links. J'ai également conclu que les actes posés par le SCC à la suite des récriminations de Mme Nkwazi avaient été empreints d'une extrême insensibilité. Même si je ne suis pas persuadée que tous les problèmes de santé qu'a éprouvés Mme Nkwazi au fil des années soient attribuables à ses difficultés au CPR, il est manifeste que Mme Nkwazi est une personne fière et qu'elle a beaucoup souffert des gestes posés par l'intimé et que ceux-ci l'ont grandement blessée dans son amour-propre. À mon avis, l'indemnité maximale prévue par la loi est plus que justifiée en l'espèce.

E. Références

[271] Mme Nkwazi demande que le SCC lui fournisse une lettre de références qui rende compte fidèlement de son rendement à titre d'infirmière au CPR, et que le SCC soit enjoint de répondre aux demandes orales de renseignements à son sujet en s'inspirant de la teneur de la lettre en question. Je conviens que Mme Nkwazi n'a pas eu droit à des références professionnelles équitables en raison de considérations discriminatoires et qu'il s'agit là d'une mesure de réparation appropriée en l'espèce. Je demande aux parties de tenter de s'entendre sur une lettre mutuellement acceptable. Si les parties ne peuvent pas parvenir à s'entendre, elles pourront s'adresser au Tribunal. J'ordonne également au SCC de veiller à ce que les références fournies verbalement au sujet de Mme Nkwazi s'inspirent du libellé de la lettre de références.

F. Intérêts

[272] Des intérêts doivent être payés à l'égard de l'indemnité spéciale et des montants accordés au titre de la perte de salaire (33). Toutefois, en ce qui concerne l'indemnité spéciale, le versement d'intérêts ne doit pas entraîner le dépassement de la limite de 5 000 $ prescrite par la Loi (34). Comme j'ai déjà accordé à Mme Nkwazi le maximum que permet la Loi, je n'ordonne pas le versement d'intérêts à l'égard de l'indemnité spéciale. En ce qui concerne le montant à payer au titre de la perte de salaire, j'ordonne que des intérêts soient payés sur cette somme conformément à cette décision. La règle 9(12) des Règles de procédure provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne prévoit le versement d'intérêts à l'égard d'une perte de salaire. Les intérêts devraient commencer à courir le 23 avril 1998, soit la date à laquelle le dernier contrat d'employée occasionnelle de Mme Nkwazi a expiré et être calculés en fonction des dates où le salaire aurait été versé à Mme Nkwazi.

G. Frais de justice

[273] Les avocats ont convenu que la question des frais de justice devrait être abordée une fois que la question de la responsabilité aurait été tranchée. Le greffe du Tribunal communiquera avec les parties afin d'établir un mécanisme pour régler cette question.

H. Recours systémiques

[274] Mme Nkwazi demande que le Tribunal ordonne au SCC de prendre, de concert avec la Commission canadienne des droits de la personne, des mesures destinées à empêcher que de tels actes discriminatoires se reproduisent à l'avenir. Bien que le SCC ait mis en place des politiques et méthodes visant à empêcher la discrimination et le harcèlement au travail, il est évident, si l'on en juge par la façon dont la direction du CPR a réagi aux récriminations de Mme Nkwazi, qu'il y a place à amélioration. Par conséquent, j'ordonne que le SCC consulte la Commission au sujet de ses politiques et méthodes de lutte contre la discrimination et le harcèlement et de ses programmes d'éducation des employés dans ces domaines, et qu'il prenne des mesures pour empêcher que des actes identiques ou similaires se reproduisent à l'avenir.

[275] La Commission canadienne des droits de la personne n'est plus partie à cette instance puisqu'elle s'est retirée de l'affaire à la veille de l'audience. Il appartient à la Commission canadienne des droits de la personne de décider si elle désire travailler avec le SCC à l'élaboration de solutions systémiques aux problèmes constatés dans la présente décision. J'encourage certes la Commission à le faire.

I. Conservation de la compétence

[276] Je conserve ma compétence dans cette affaire pour le cas où les parties seraient incapables de s'entendre sur l'application des recours prévus dans la présente décision.

V. ORDONNANCE

[277] Eu égard aux motifs énoncés ci-dessus, je déclare que le SCC a porté atteinte aux droits de Mme Nkwazi aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne et j'ordonne :

  1. que le SCC offre à Mme Nkwazi, à la première occasion, un contrat d'employée occasionnelle au CPR pour une période initiale de trois mois, lequel sera renouvelé de temps à autre et pendant aussi longtemps que ses services seront requis. Il incombera au SCC de déterminer s'il continue d'avoir besoin des services de Mme Nkwazi; toutefois, aucune considération discriminatoire ne doit intervenir de quelque façon dans toute décision future de ne pas renouveler son contrat. Mme Nkwazi devrait jouir du même accès que les autres employés occasionnels aux postes de travail du CPR. En outre, on devrait lui offrir la même formation et les mêmes possibilités que celles qui sont offertes aux employés occasionnels du CPR;
  2. que le SCC verse à Mme Nkwazi une indemnité au titre de la perte de salaire, laquelle sera calculée conformément à la présente décision;
  3. que le commissaire du Service correctionnel du Canada fasse parvenir à Mme Nkwazi une lettre d'excuses officielle dans les trente jours suivant la date de la présente décision;
  4. que le SCC verse à Mme Nkwazi une somme de 5 000 $ à titre d'indemnité spéciale;
  5. que le SCC fournisse à Mme Nkwazi une lettre de références qui rendra compte fidèlement de son rendement à titre d'infirmière au CPR. Si les parties ne peuvent s'entendre sur le libellé de cette lettre, elles pourront s'adresser au Tribunal. Le SCC veillera également à ce que les références données verbalement au sujet de Mme Nkwazi soient fournies dans des termes correspondant au libellé de la lettre de références;
  6. que le SCC verse des intérêts à l'égard de l'indemnité accordée au titre de la perte de salaire en vertu de la présente décision, conformément à la règle 9 (12) des Règles de procédure provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne. Les intérêts commenceront à courir le 23 avril 1998 et seront calculés en fonction des dates où le salaire aurait été versé à Mme Nkwazi;
  7. que les parties soient autorisées à présenter des exposés au sujet de la question des frais de justice, conformément aux directives du Tribunal;
  8. que le SCC consulte la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de ses politiques et méthodes en matière de lutte contre la discrimination et le harcèlement et de ses programmes d'éducation des employés dans ces domaines, et prenne des mesures destinées à empêcher que des actes identiques ou similaires se reproduisent à l'avenir.

Anne L. Mactavish

OTTAWA (Ontario)

Le 5 février 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T538/3399

INTITULÉ DE LA CAUSE : Beryl Nkwazi c. Service correctionnel du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Saskatoon (Saskatchewan)

(du 11 au 15 septembre 2000; du 25 au 29 septembre 2000; du 6 au 9 novembre 2000)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 5 février 2001

ONT COMPARU :

Christine Glazer pour la plaignante

Denis Bonthoux

Chris Bernier pour le Service correctionnel du Canada

1. Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208, et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558.

2. O'Malley, supra, p. 558.

3. Singh c. Statistique Canada, [1998] C.H.R.D. no 7, confirmée [2000] A.C.F. no 417 (C.F. 1re inst.), et Dhanjal c. Air Canada, [1997] A.C.F. no 1599, (1997) 139 F.T.R. 37.

4. Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne, 4 C.H.R.R. D/1616, p. 1617 (confirmée 5 C.H.R.R. D/2147 (tribunal d'appel)), et Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (TCDP).

5. Basi, supra, p. D/5038.

6. B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, (Toronto), Carswell, 1987, p. 142.

7. Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.).

8. Ce que Mme Nkwazi a raconté à de tierces parties au sujet de ses discussions avec Mme Neufeld constitue de toute évidence une preuve par ouï-dire quant à ce qui aurait été dit par Mme Neufeld; toutefois, la pertinence de cette description n'est pas liée ici à la véracité de la version des événements donnée par Mme Nkwazi, mais plutôt au moment où les discussions avec Mme Kosmas et Mme Gibney ont eu lieu.

9. La question de l'accès de Mme Nkwazi à Team Links représente un volet distinct de sa plainte et est abordée plus en détail dans la prochaine section de la présente décision.

10. Pièce C-10.

11. À ce moment-là, M. Leis avait remplacé Marcel Chiasson à titre de directeur exécutif du CPR et Mme Neufeld avait pris la relève de M. Leis au poste de directeur des Programmes et Opérations.

12. À la suite de son départ du CPR, Mme Nkwazi a reçu un relevé d'emploi aux fins de l'assurance-emploi, lequel précisait que sa période d'emploi avait pris fin en raison d'un manque de travail. D'après la preuve, il est évident que les infirmières et infirmiers occasionnels du CPR ne manquaient pas de travail en avril 1998 et que cette mention était très trompeuse. Toutefois, il semble que ce soit les autorités responsables de l'assurance-emploi qui aient demandé d'inscrire cette mention et que celle-ci n'ait pas influé sur l'admissibilité de Mme Nkwazi aux prestations. C'est la mention qu'on inscrivait pour d'autres employés dans des circonstances similaires. Je suis convaincue que ni la race de M me Nkwazi ni sa couleur n'ont influencé la façon dont le relevé d'emploi a été rempli.

13. Abstraction faite de toute considération juridique inhérente au non-renouvellement du contrat de Mme Nkwazi, le fait de ne pas avoir avisé cette dernière que son contrat ne serait pas renouvelé soulève des questions du point de vue de la gestion des ressources humaines et de la moralité. Même M. Brecknell -- qui est loin d'être un ami de M me Nkwazi -- a avoué que le SCC avait l'obligation morale d'informer le plus tôt possible les employés occasionnels en cas de non-renouvellement de leur contrat.

14. Voir la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, c. 9.

15. Voir Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines Canada), [2000] C.H.R.D. no 2 (T.C.D.P.).

16. Voir Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401, et Canada (Procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530.

17. Au sujet du critère de la possibilité sérieuse, voir Morgan, supra, et Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (C.F., 1re inst.).

18. Morgan, supra.

19. Voir, par exemple, Uzoaba, supra, Hinds c. Canada (Commission de l'emploi et de l'Immigration), (1988), 24 C.C.E.L. 65, 10 C.H.R.R. D/5935 (TCDP) et Grover c. Canada (Conseil national de recherches) (1992) 18 C.H.R.R. D/1, confirmée (1994) 80 F.T.R. 256.

20. L.R., 1985, c. H-6, paragraphe 53 (3).

21. Loi canadienne sur les droits de la personne, alinéa 53 (2) e) et paragraphe 53 (3).

22. Pierre-André Coté, The Interpretation of Legislation in Canada, (3e éd.), (Scarborough) Carswell, p. 182.

23. Sullivan, Dreidger on the Construction of Statutes, (3e éd.), (Toronto) Butterworths, p. 545.

24. Sullivan, supra, p. 512. Voir aussi Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national), [1977] 1 S.C.R. 271 et Latif c. Commission canadienne des droits de la personne et Fairweather, [1980] 1 C.F. 687 (C.A.F.).

25. [1989] 1 S.C.R. 301, par. 49.

26. (2e éd.), p. 198.

27. 20 C.H.R.R. D/87.

28. Le libellé de l'article de la loi de la C.-B. dont il est question dans Dupuis ressemblait à celui de l'alinéa 53 (2) e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le conseil a pris soin d'établir une distinction entre ce type de disposition corrective et le caractère exemplaire des indemnités à payer en vertu de certaines lois sur les droits de la personne.

29. Canada (Conseil du Trésor) c. Robichaud, (1987), 8 C.H.R.R. D/4326 (C.S.C.), par. 33940.

30. Sullivan, supra, p. 522.

31. Sullivan, supra, p. 513.

32. Les deux parties ont cité la décision rendue par le Tribunal dans Carter c. Canada (Forces armées canadiennes), [2000] C.H.R.D. no 1, en ce qui a trait à l'application rétroactive de dispositions législatives. À mon avis, l'affaire Carter était différente de la situation en l'espèce : dans cette affaire, il s'agissait de déterminer la période indemnisable aux fins du calcul de l'indemnité à verser à la victime d'un acte discriminatoire, à la lueur d'une modification législative apportée dans l'intervalle, tandis qu'en l'espèce, il s'agit de déterminer le montant maximal pouvant être accordé à titre d'indemnité en vertu de la Loi.

33. Morgan, supra.

34. Voir Hébert c. Canada (Forces armées canadiennes), (1993), 23 C.H.R.R. D/107.

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