Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

KATHERINE POPALENI PAMELA JANSSEN

les plaignantes

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DÉVELOPMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

l'intimé

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 3/01

2001/03/09

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

TABLE DES MATIÈRES

I. Dispositions législatives en cause

II. Demande de prestations d'assurance-emploi de Mme Popaleni

III. Demande de prestations d'assurance-emploi de Mme Janssen

IV. Objet de la législation

V. Raison d'être et choix des limites

VI. Effet de la limite qui s'applique au cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales

VII. Structure financière du régime d'assurance-emploi

VIII. Principes juridiques

IX. Analyse

A. Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

i) Position de la Commission

ii) Position de DRHC

iii) Objet de la législation

iv) Choix de l'élément de comparaison approprié

v) Existe-t-il une différence de traitement fondée sur le sexe ou l'état matrimonial?

B. DRHC s'est-il acquitté de son fardeau?

i) Lien rationnel

ii) Bonne foi

iii) Contrainte excessive

X. Ordonnance

[1] La présente instance porte sur les dispositions de la législation fédérale relative à l'assurance-emploi qui tiennent compte du nombre de semaines de prestations de maladie, de maternité et parentales que touche un prestataire pour déterminer le nombre de semaines de prestations ordinaires d'assurance-emploi auquel il a droit. Katherine Popaleni et Pamela Janssen allèguent que ces dispositions ont un effet discriminatoire sur chacune d'elles, dans la fourniture d'un service destiné au public, en raison de leur sexe. Mme Popaleni allègue également qu'elle est victime de discrimination en raison de son état matrimonial.

I. Dispositions législatives en cause

[2] La demande de prestations d'assurance-emploi de Mme Popaleni est régie par l'article 11 de la Loi sur l'assurance-emploi (1). Les dispositions pertinentes de cet article sont les suivantes :

(1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

(2) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d'une période de prestations à l'exception de celles qui peuvent être versées pour l'une des raisons prévues au paragraphe (3) est déterminé selon le tableau 2 de l'annexe en fonction du taux régional de chômage applicable au prestataire et du nombre de semaines pendant lesquelles il a occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence.

(3) Sous réserve du paragraphe (7), le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d'une période de prestations est :

a) dans le cas d'une grossesse, quinze semaines;

b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés du prestataire ou à un ou plusieurs enfants placés chez le prestataire en vue de leur adoption, dix semaines;

c) dans le cas de maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les règlements, quinze semaines.

(4) Sous réserve du paragraphe (7), les prestations ne peuvent être versées pendant plus de quinze semaines, dans le cas d'une seule et même grossesse, ou plus de dix, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau-nés d'une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants chez le prestataire en vue de leur adoption.

(5) Des prestations peuvent être versées pour plus d'une des raisons prévues au paragraphe (3), le nombre maximal de semaines de prestations versées au titre de ce paragraphe ne pouvant toutefois dépasser trente.

(6) Des prestations peuvent être versées à la fois en application du paragraphe (2) et pour une ou plusieurs des raisons prévues au paragraphe (3); le cas échéant, les règles suivantes s'appliquent :

a) le prestataire qui a, au titre du paragraphe (2), droit à des prestations pendant plus de trente semaines ne peut en recevoir pendant un nombre total de semaines supérieur à ce nombre quand il a également droit à des prestations en vertu du paragraphe (3);

b) le prestataire peut, quand il a, au titre du paragraphe (2), droit à des prestations pendant un nombre de semaines égal ou inférieur à trente, en recevoir pendant un nombre total de semaines supérieur à ce nombre s'il a également droit à des prestations en vertu du paragraphe (3), sous réserve toutefois des maximums applicables dans chaque cas et à la condition que ce nombre total ne soit pas supérieur à trente. [je mets en caractères gras]

(7) Le nombre maximal de dix semaines visé à l'alinéa (3) b) et au paragraphe 4 est porté à quinze lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(a) l'enfant en question est âgé d'au moins six mois à son arrivée à la maison ou lors du placement en vue de son adoption;

(b) un médecin ou l'agence responsable du placement atteste que l'enfant est atteint de troubles physiques, psychologiques ou affectifs qui nécessitent la prolongation de la période de soins.

[3] Les prestations de maternité, les prestations de maladie et les prestations parentales prévues au paragraphe 11 (3) sont désignées collectivement sous le nom de prestations spéciales, afin de les distinguer des prestations de chômage, qu'on appelle prestations ordinaires. En l'espèce, c'est la limite prescrite à l'alinéa 11 (6) a) empêchant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales qui pose problème dans le cas de Mme Popaleni.

[4] Le 30 juin 1996, la Loi sur l'assurance-chômage a été remplacée par la Loi sur l'assurance-emploi (2). La plainte de Mme Janssen est assujettie à cette dernière loi. L'article 11 de l'ancienne loi est devenu l'article 12 de la nouvelle Loi sur l'assurance-emploi. Bien que le libellé ait fait l'objet de légères modifications, l'article est demeuré essentiellement le même. L'alinéa 12 (6) a) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit comme suit :

(6) Des prestations peuvent être versées à la fois en application du paragraphe (2) et pour une ou plusieurs des raisons prévues au paragraphe (3); le cas échéant, les règles suivantes s'appliquent :

a) le prestataire qui a, au titre du paragraphe (2), droit à des prestations pendant plus de trente semaines ne peut en recevoir pendant un nombre total de semaines supérieur à ce nombre quand il a également droit à des prestations en vertu du paragraphe (3);

[5] La période de prestations à laquelle il est fait référence dans les dispositions reproduites ci-dessus s'entend de la période de 52 semaines qui suit immédiatement la demande de prestations, et représente le laps de temps dans lequel les prestations d'assurance-emploi doivent être touchées. Cette période de 52 semaines ne peut être prolongée par suite du cumul de prestations.

II. La demande de prestations d'assurance-emploi de Mme Popaleni

[6] Les renseignements ayant trait à la demande de prestations de Mme Popaleni ont été fournis dans un énoncé conjoint des faits. Ce document indique que Mme Popaleni a travaillé comme thérapeute clinique à Hamilton, en Ontario, jusqu'au 27 décembre 1995, date où elle a été licenciée à cause d'une pénurie de travail. Mme Popaleni a fait une demande de prestations d'assurance-emploi, et une période de prestations a été établie, à compter du 31 décembre 1995.

[7] Au moment de son licenciement, Mme Popaleni avait accumulé 52 semaines de gains assurables au cours de la période de référence. À l'époque, le taux de chômage à Hamilton était de 5,9 p. 100. Conformément au paragraphe 11 (2) de la Loi sur l'assurance-chômage et au tableau 2 de l'annexe de la Loi, on a déterminé que le nombre maximal de semaines pendant lesquelles Mme Popaleni avait droit de recevoir des prestations ordinaires d'assurance-emploi était de 36.

[8] Mme Popaleni était enceinte au moment où elle a été licenciée; elle a accouché le 27 mars 1996. Elle a reçu 36 semaines de prestations d'assurance-emploi, y compris 15 semaines de prestations de maternité, 10 semaines de prestations parentales et 11 semaines de prestations ordinaires (huit après la naissance de son enfant et trois après le versement des prestations parentales).

[9] Mme Popaleni a fait appel de la décision relative au nombre de semaines de prestations ordinaires qu'on lui avait attribué, alléguant qu'on avait exercé à son endroit une discrimination en raison de sa grossesse et de son accouchement. Elle a affirmé ce qui suit : J'ai droit à 11 semaines de prestations (sic) pour chercher du travail. Si je n'avais pas été enceinte, on m'aurait accordé 36 semaines de prestations pour chercher un emploi. Le 27 mai 1996, le conseil arbitral a rejeté l'appel de Mme Popaleni.

[10] Mme Popaleni a ensuite déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne; dans sa plainte, elle allègue que le ministère du Développement des ressources humaines (maintenant Développement des ressources humaines Canada, ou DRHC) a fait preuve de discrimination à son endroit en la soumettant à un traitement différentiel et préjudiciable dans la fourniture d'un service destiné au public. Plus particulièrement, Mme Popaleni précise que le fait que le nombre de semaines de prestations ordinaires auquel elle avait droit ait été réduit parce qu'elle était enceinte et admissible à des prestations de maternité et à des prestations parentales, constitue une discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial (qualité de mère).

III. Demande de prestations d'assurance-emploi de Mme Janssen

[11] Les renseignements ayant trait à la demande de prestations de Mme Janssen ont eux aussi été fournis dans un énoncé conjoint des faits. Mme Janssen était employée par une société de promotion de valeurs mobilières lorsqu'elle a été licenciée le 12 juillet 1996. Elle a fait une demande de prestations d'assurance-emploi, et une période de prestations a été établie, le 14 juillet 1996.

[12] Mme Janssen avait accumulé 52 semaines de gains assurables. Comme le taux de chômage dans la région de Richmond était de l'ordre de 7 ou 8 p. 100 à l'époque, le nombre maximal de semaines de prestations ordinaires auquel elle avait droit était de 40.

[13] Au moment de son licenciement, Mme Janssen a reçu un montant de 1 380 $ en guise d'indemnité de cessation d'emploi, qui a été attribué à la période allant du 14 juillet 1996 au 3 août 1996. Après un délai de carence de deux semaines, Mme Janssen a touché 17 semaines de prestations ordinaires d'assurance-emploi. Le 15 décembre 1996, elle a commencé à recevoir des prestations de maternité. Après avoir bénéficié de 15 semaines de prestations de maternité, Mme Janssen a commencé le 29 mars 1997 à recevoir des prestations parentales. Elle a reçu au total huit semaines de prestations parentales avant l'épuisement de son droit aux prestations.

[14] Dans la plainte qu'elle a déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne, Mme Janssen allègue que DRHC a fait preuve de discrimination à son endroit en exigeant qu'elle cumule ses prestations ordinaires d'assurance-emploi avec ses prestations de maternité et ses prestations parentales, ce qui a eu pour effet de réduire le nombre de semaines de prestations ordinaires auquel elle avait droit. Si elle n'avait pas été enceinte, a-t-elle dit, elle aurait reçu 40 semaines de prestations ordinaires afin de se trouver un nouvel emploi. À son avis, cela constitue une discrimination fondée sur le sexe.

IV. Objet de la législation

[15] Gordon McFee a témoigné afin de présenter l'historique de l'assurance-emploi au Canada et d'expliquer l'objet du régime. M. McFee est directeur, Élaboration de la politique et de la législation, au sein de la Direction de l'assurance de Développement des ressources humaines Canada. Selon M. McFee, les origines du régime canadien d'assurance-emploi remontent au début des années 40. Le régime a été institué principalement par suite de la grande dépression des années 30, alors que beaucoup de gens se sont retrouvés sans emploi et complètement démunis. Le régime avait pour but de fournir temporairement un revenu de remplacement aux travailleurs qui s'étaient retrouvés sans emploi malgré eux, tout en favorisant leur réintégration au marché du travail. À l'heure actuelle, le nombre maximal de semaines de prestations ordinaires que peut recevoir un prestataire est de 45.

[16] Au fil du temps, le marché du travail a évolué et le nombre de femmes salariées a augmenté. En 1971, on a révisé la législation en profondeur afin de tenir compte de l'évolution de la situation socio-économique, avec le résultat que le régime fournit désormais une aide non seulement en cas de pénurie de travail, mais aussi à l'occasion d'une grossesse ou d'une maladie. Selon M. McFee, même si l'intention était encore de fournir des prestations à court terme, on a inclus dans le régime modifié la grossesse et la maladie parmi les éventualités pouvant donner lieu à des versements.

[17] M. McFee a décrit les modifications de 1971 comme étant la plus profonde réforme du programme [d'assurance-emploi] depuis sa création. Avant 1971, l'assurance-emploi était strictement un régime d'assurance : par suite de l'institution des prestations de maternité et de maladie en 1971, on s'est écarté des principes purs de l'assurance et on a greffé au régime un volet social (3).

[18] Les prestations de grossesse ou de maternité ont été instituées afin de pallier la soi-disant incapacité temporaire entourant la naissance d'un enfant et, par conséquent, étaient destinées uniquement à la mère biologique d'un enfant. En 1984, le régime a été modifié à nouveau afin d'étendre les prestations aux cas d'adoption. En 1990, on a institué les prestations parentales, dont peuvent bénéficier autant les mères que les pères, qu'il s'agisse de parents naturels ou de parents d'adoption, et qui visent à accorder aux parents du temps pour prendre soin de leurs jeunes enfants.

[19] Les prestations de maternité, les prestations de maladie et les prestations parentales sont désignées collectivement sous le nom de prestations spéciales d'assurance-emploi, afin de les distinguer des prestations de chômage, qu'on appelle prestations ordinaires d"assurance-emploi. Selon M. McFee, il existe deux grandes différences entre les prestations ordinaires et les prestations spéciales; l'une d'elles a trait au motif d'admissibilité aux prestations et l'autre à l'exigence voulant que le prestataire soit disponible pour travailler. Pour ce qui est des prestations ordinaires, le nombre de semaines nécessaires pour devenir admissible varie en fonction du taux de chômage dans la région géographique où réside le prestataire; dans le cas des prestations spéciales, il faut toujours que le prestataire ait travaillé 20 semaines pendant l'année, peu importe le taux de chômage dans la région. En ce qui concerne la disponibilité pour travailler, l'une des exigences fondamentales veut que, pour être admissible aux prestations ordinaires, le prestataire soit prêt et apte à travailler; il n'existe aucune exigence du genre dans le cas des prestations spéciales.

[20] La législation relative à l'assurance-emploi continue d'évoluer. M. McFee a indiqué qu'à compter du 31 décembre 2000, le nombre maximal de semaines de prestations parentales passera de 15 à 35 (4). De ce fait, la limite quant au nombre de semaines de prestations spéciales que peut toucher un prestataire passera de 30 à 50. M. McFee a déclaré que le discours du Trône d'octobre 1999 précisait que ce changement visait à permettre aux parents de passer plus de temps à la maison avec leur enfant au cours de la première année de sa vie.

V. Raison d'être et choix des limites

[21] Il y a toujours eu une limite en ce qui concerne le nombre de semaines de prestations ordinaires. Par suite de l'institution des prestations spéciales, on a limité le nombre de semaines de prestations spéciales (5). En outre, on a limité le nombre de semaines de prestations ordinaires qu'un prestataire peut cumuler avec des prestations spéciales; en l'espèce, c'est la limite fixée qu'on conteste. Enfin, le prestataire ne peut en aucun cas toucher des prestations après la période de prestations de 52 semaines. Ces limites tiennent compte du fait que les prestations d'assurance-emploi revêtent un caractère immédiat. L'absence de limites contrecarrerait l'objectif du régime d'assurance-emploi, selon M. McFee, et le prestataire pourrait recevoir des prestations toute sa vie.

[22] Comme le nombre de prestations payables en vertu du régime sera toujours plafonné, la détermination de la limite appropriée dans une situation particulière, au dire de M. McFee, est fonction de plusieurs facteurs, notamment la mathématisation et la proximité entre l'emploi et le chômage et les périodes qui entourent cet événement. Dans le choix du nombre maximal de semaines de prestations de maternité, on a tenté de déterminer la période durant laquelle les femmes ont normalement besoin d'un soutien du revenu lorsqu'elles donnent naissance à un enfant. La preuve indique que les prestations parentales visent à accorder aux parents du temps pour prendre soin de leurs jeunes enfants, mais on ne sait trop comment on en est arrivé à la limite de 10 semaines pour ce genre de prestations. En ce qui concerne la décision de porter de 15 à 35 le nombre maximal de semaines de de prestations parentales, M. McFee a dit ne pas connaître les considérations qui ont milité en faveur de cette décision, hormis ce qui a été dit dans le discours du Trône et dans l'allocution que le Premier ministre a prononcée une couple de jours plus tard. On ne m'a pas fourni de renseignements précis quant à la façon dont la limite de 15 semaines qui s'applique aux prestations de maladie a été déterminée.

VI. Effet de la limite qui s'applique au cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales

[23] M. Jean-François LaRue, chef - Groupes spéciaux, Politique de l'assurance-emploi, Développement des ressources humaines Canada, a témoigné au sujet des conséquences de la suppression des limites applicables aux prestataires qui bénéficient à la fois de prestations ordinaires et de prestations spéciales. Il a fourni des données sur les demandes d'assurance-emploi afin de déterminer combien de personnes sont touchées par les limites en question. Selon M. LaRue, 61 000 prestataires ont été touchés en 1998-1999 par la règle anticumul qui s'applique aux prestations ordinaires et aux prestations spéciales; 65 p. 100 de ces prestataires étaient des femmes.

[24] M. LaRue a également témoigné à propos des conséquences financières qu'entraînerait l'autorisation de cumuler des prestations ordinaires et des prestations spéciales. Selon M. LaRue, l'élimination des restrictions relatives au cumul des prestations ferait augmenter de 228 millions de dollars le coût du régime d'assurance-emploi, compte tenu du nombre de demandes enregistré en 1998-1999. Les modifications législatives ayant pour effet de faire passer de 15 à 35 le nombre maximal de semaines de prestations parentales en 2001 accroîtront également le coût du régime d'assurance-emploi; toutefois, M. LaRue n'a pas été en mesure de fournir quelque projection que ce soit quant à l'ampleur de cette augmentation.

[25] Les limites qui s'appliquent au cumul des prestations ordinaires hebdomadaires et des prestations spéciales hebdomadaires sont prévues à l'alinéa 11 (6) a) de la Loi sur l'assurance-chômage et à l'alinéa 12 (6) a) de la Loi sur l'assurance-emploi. À ces limites s'ajoute celle de 52 semaines qui s'applique à la période de prestations. Les estimations de coût de M. LaRue sont fondées sur l'hypothèse de la suppression de la limite de 52 semaines au titre de la période de prestations, ainsi que de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales. M. LaRue a reconnu en contre-interrogatoire qu'il faudrait réviser à la baisse ses estimations de coût dans le cas où la limite de 52 semaines serait maintenue en ce qui a trait à la période de prestations.

VII. Structure financière du régime d'assurance-emploi

[26] M. McFee a indiqué que l'assurance-emploi est un régime d'assurance autofinancé. Autrement dit, le régime est financé à même les primes acquittées par les employeurs et les employés. Les taux de cotisation sont fixés par la Commission de l'assurance-emploi et doivent être approuvés par le ministre des Ressources humaines et le ministre des Finances. Les cotisations perçues servent à financer le versement des prestations ainsi que le coût de l'administration du régime. Bien qu'il soit administré par Développement des ressources humaines Canada, le régime d'assurance-emploi n'est aucunement financé à même le Trésor du Canada.

[27] La situation financière du régime d'assurance-emploi a varié au fil du temps, le régime enregistrant d'une année à l'autre parfois des déficits et parfois des surplus. Le dernier déficit enregistré remonte à 1994. Sur une base cumulative, le régime affiche un surplus depuis 1996 ou 1997. Selon M. McFee, le Compte d'assurance-emploi affiche actuellement un surplus de l'ordre de 29 milliards de dollars.

VIII. Principes juridiques

[28] En l'espèce, les plaintes ont été déposées en vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (6). Aux termes de cet article, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, d'en priver un individu ou de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 3 de la Loi précise que le sexe (y compris la grossesse et l'accouchement) et l'état matrimonial constituent des motifs de distinction illicite.

[29] Aux termes de l'alinéa 15. (1) g) de la Loi, le refus de donner à un individu accès à un service ne constitue pas un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif justifiable.

[30] La Cour suprême du Canada a récemment eu l'occasion de réexaminer la méthode à adopter dans des cas comme celui qui nous intéresse, dans les affaires Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (7) (Meiorin) et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) (8) (Grismer). La distinction historique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place désormais à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. En vertu de cette méthode, il incombe toujours à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée (9).

[31] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte un motif justifiable. Dans cette optique, la partie intimée doit désormais prouver :

  1. qu'elle a adopté la norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée;
  2. qu'elle a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu'elle est nécessaire à l'atteinte de la fin ou du but en question;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour accomplir la fin ou le but poursuivi, en ce sens que la partie intimée ne peut composer avec les personnes qui présentent les caractéristiques de la partie plaignante sans subir une contrainte excessive.

[32] Le terme contrainte excessive n'est pas défini dans la Loi. Toutefois, les arrêts Meiorin et Grismer aident beaucoup à déterminer si une défense fondée sur une contrainte excessive a été établie. Dans Meiorin, la Cour suprême a fait observer que l'utilisation du mot excessive laisse supposer qu'une certaine contrainte est acceptable; pour satisfaire à la norme, il faut absolument que la contrainte imposée soit excessive (10). La Cour suprême a également fait remarquer que le défendeur, afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, doit toujours démontrer qu'elle inclut toute possibilité d'accommoder sans qu'il en résulte une contrainte excessive (11). Il incombe au défendeur d'établir qu'il a examiné et raisonnablement rejeté toutes les formes viables d'accommodement. Le défendeur doit démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuels sans qu'il en résulte une contrainte excessive (12). Dans certains cas, le coût excessif peut justifier le refus de composer avec les personnes atteintes de déficiences. Toutefois, il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d'importance à l'accommodement de la personne handicapée. Il est beaucoup trop facile d'invoquer l'augmentation des coûts pour justifier le refus d'accorder un traitement égal aux personnes handicapées (13). L'adoption de la norme du défendeur doit être étayée par des éléments de preuve convaincants. La preuve impressionniste d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement (14). Enfin, la Cour suprême a indiqué que les facteurs tels que le coût des méthodes d'accommodement possibles devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas (15).

IX. Analyse

A. Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

[33] Personne ne conteste que la fourniture par DRHC de prestations d'assurance-emploi est un service destiné au public, au sens de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (16). La question litigieuse est la suivante : la norme en question -- c'est-à-dire la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales prévues à l'alinéa 11 (6) a) de la Loi sur l'assurance-chômage et à l'alinéa 12 (6) a) de la Loi sur l'assurance-emploi -- a-t-elle un effet discriminatoire sur Mmes Popaleni et Janssen en raison de leur sexe et, dans le cas de Mme Popaleni, de son état matrimonial?

i) Position de la Commission

[34] L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne soutient qu'il s'agit d'un cas classique de ce qu'on a traditionnellement qualifié de discrimination par suite d'un effet préjudiciable (17). Il allègue que la règle neutre interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales énoncée à l'alinéa 11 (6) a) de la Loi sur l'assurance-chômage a imposé un fardeau supplémentaire et préjudiciable à Mme Popaleni en raison de son sexe et de son état matrimonial, fardeau qui n'est pas partagé par les autres prestataires du régime d'assurance-emploi. De même, la Commission allègue que l'alinéa 12 (6) a) de la Loi sur l'assurance-emploi a imposé un fardeau supplémentaire et préjudiciable à Mme Janssen en raison de son sexe.

[35] La Commission ne conteste aucune des limites établies relativement au nombre de semaines pendant lesquelles les diverses prestations prévues par le régime d'assurance-emploi peuvent être versées. Ce qu'elle conteste, c'est la règle qui empêche les prestataires qui sont dans la même situation que Mme Popaleni et Mme Janssen d'exiger des prestations ordinaires auxquelles elles auraient droit autrement, en sus des prestations spéciales versées en vertu du régime. L'une et l'autre n'ont pu toucher le plein montant exigible au titre des prestations ordinaires, du fait qu'elle avaient reçu des prestations spéciales durant la même période de prestations. Selon l'avocat de la Commission, cela constitue une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial.

ii) Position de DRHC

[36] En revanche, l'avocate de DRHC soutient qu'aucune preuve prima facie de discrimination n'a été établie en l'espèce. La règle interdisant le cumul des prestations spéciales s'applique uniformément dans tous les cas et n'est pas discriminatoire à l'endroit de certains groupes. Aucun individu, de sexe masculin ou féminin, parent ou non, ne peut en vertu du régime recevoir des prestations spéciales en sus de prestations ordinaires.

[37] De l'avis de DRHC, il faut tenir compte de la raison d'être du régime d'assurance-emploi dans toute évaluation des limites qui s'appliquent au cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales. On a conclu dans de nombreuses instances judiciaires que le régime d'assurance-emploi vise à fournir des prestations de remplacement du revenu à court terme (18). Au dire de DRHC, les plaignantes cherchent en l'espèce à transformer l'essence même du régime pour en faire un régime de prestations parentales.

[38] Les régimes d'assurance imposent invariablement des limites en ce qui a trait aux prestations. En l'occurrence, le législateur a décidé de limiter le nombre de semaines de prestations spéciales que peut toucher un prestataire. De l'avis de DRHC, il n'appartient pas aux cours ou au présent tribunal de faire des conjectures au sujet de cette décision de principe.

[39] Enfin, DRHC a fait observer que la législation en matière d'assurance-emploi ne prévoyait pas à l'origine le versement de prestations de maternité, de maladie ou parentales. L'ajout de telles prestations, sur une base limitée, visait à améliorer le régime. Les prestataires qui touchent des prestations spéciales bénéficient de certains avantages par rapport aux personnes qui demandent des prestations ordinaires : les prestataires touchant des prestations spéciales n'ont pas à être disponibles pour travailler, possibilité de complémenter le revenu d'assurance-emploi afin qu'il représente jusqu'à 95 p. 100 du salaire normal et versement possible de prestations durant un séjour à l'étranger.

iii) Objet de la législation

[40] La première étape de mon analyse consiste à examiner la raison d'être du régime d'assurance-emploi. Les tribunaux se sont beaucoup penchés sur cette question dans le cadre de procédures ayant trait à divers paragraphes de l'article 11 de la Loi sur l'assurance-chômage qui ont été intentées en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans chacune des affaires citées par DRHC, les tribunaux ont conclu que le régime d'assurance-emploi vise à fournir des prestations de remplacement du revenu à court terme. La principale raison d'être de la législation est … de venir en aide aux travailleurs qui perdent leur emploi et qui sont incapables d'en trouver un autre immédiatement (19). Les tribunaux ont fait observer que la législation met l'accent sur les circonstances entourant l'emploi et le chômage, plutôt que sur la formation de familles (20), et que le régime est essentiellement un régime d'assurance qui vise à aider les personnes qui sont aptes à travailler, et non un régime d'assurance-invalidité (21).

[41] Ces commentaires sont particulièrement pertinents par rapport aux prestations ordinaires d'assurance-emploi. De toute évidence, le régime d'assurance-emploi a été institué pour protéger les employés contre le chômage involontaire en attendant qu'ils trouvent un autre emploi. Toutefois, par suite de l'institution des prestations de maternité et des prestations de maladie en 1971, on s'est écarté des principes purs de l'assurance et on a greffé au régime un volet social, ainsi que M. McFee l'a indiqué dans son témoignage. Comme l'a fait observer la Cour d'appel de l'Ontario dans Shafer,

[Traduction] tant la loi de 1971 que celle de 1984 [qui a institué les prestations parentales] avait expressément pour objet d'assurer un remplacement partiel du revenu pendant les périodes d'inactivité en raison d'une grossesse et d'un accouchement ou du soin d'un enfant (22).

Même si les prestations de maladie n'étaient pas l'objet du litige dans Shafer, les observations de la Cour d'appel à propos de la raison d'être des prestations de maternité et des prestations parentales s'appliquent, sous réserve des adaptations nécessaires, aux prestations de maladie.

[42] Il est évident que, au moment où il a été institué, le régime d'assurance-emploi visait uniquement à fournir des prestations de remplacement à court terme aux personnes qui étaient prêtes et aptes à travailler, mais qui se retrouvaient sans emploi. Bien que cela demeure la principale raison d'être de la législation, le régime a évolué au cours des 30 dernières années, avec le résultat qu'il fournit également, sur une base limitée, des prestations à des personnes qui peuvent ne pas être disponibles pour travailler en raison d'une maladie, d'un accouchement ou du soin d'un enfant.

iv) Choix de l'élément de comparaison approprié

[43] Comme la Cour suprême du Canada l'a indiqué dans Gibbs c. Battlefords and District Co-operative Ltd. (23), l'égalité est un concept comparatif. Pour qu'on puisse conclure qu'il y a discrimination, le demandeur doit subir un fardeau ou être privé d'un avantage comparativement à d'autres. Il est donc nécessaire de trouver l'élément de comparaison approprié pour cerner la différence de traitement et les motifs de la distinction (24).

[44] De l'avis de l'avocat de la Commission, la situation de Mmes Popaleni et Janssen devrait être comparée à celle des autres prestataires du régime d'assurance-emploi aux fins de l'analyse relative à la discrimination. Bien que l'avocate de DRHC n'ait pas expressément abordé la question de l'identification du groupe de comparaison dans ses exposés, je crois comprendre qu'elle a basé son analyse sur le même groupe de comparaison (25).

[45] Je conviens qu'on devrait comparer la situation des plaignantes à celle des autres prestataires d'assurance-emploi aux fins de l'analyse relative à la discrimination.

v) Existe-t-il une différence de traitement fondée sur le sexe ou l'état matrimonial?

[46] Les régimes d'assurance imposent souvent des limites quant aux prestations auxquelles ils donnent droit. Les assureurs ne sont pas tenus de verser indéfiniment des prestations, et il faut tracer une ligne quelque part (26). Cela dit, une fois qu'un fournisseur de services décide d'offrir des prestations, il doit le faire de façon non discriminatoire (27).

[47] La question est donc la suivante : l'alinéa 11 (6) a) de la Loi sur l'assurance-chômage a-t-il un effet discriminatoire sur Mme Popaleni en raison de son sexe et de son état matrimonial? De même, l'alinéa 12 (6) a) de la Loi sur l'assurance-emploi a-t-il un effet discriminatoire sur Mme Janssen en raison de son sexe?

[48] Mmes Popaleni et Janssen ont toutes deux touché des prestations de maternité pendant 15 semaines ainsi que des prestations parentales pendant plusieurs semaines. Je ne connais aucun détail relatif à la grossesse ou à l'accouchement de Mme Popaleni ou de Mme Janssen. Il m'est donc impossible de savoir si elles ont été incapables de travailler et, le cas échéant, pendant combien de temps. Je sais pertinemment que le délai de 15 semaines pendant lequel des prestations de maternité sont payables correspond à la période moyenne d'incapacité à l'occasion d'une grossesse et d'un accouchement, et que les prestations parentales visent à compenser en partie la perte de revenu des parents qui prennent soin de leur nouveau-né. Mme Popaleni et Mme Janssen ont toutes deux vu le nombre de prestations de maternité et de prestations parentales qu'elles avaient reçues être soustrait du nombre de prestations ordinaires auquel elles avaient droit. Cela incite à croire qu'elles ont peut-être bénéficié, alors qu'elles recevaient des prestations ordinaires, d'un moins grand nombre de semaines pour se chercher un autre emploi que les autres prestataires dans la même région géographique qui n'avaient pas accouché et qui n'avaient pas demandé de prestations spéciales. Il peut sembler à première vue qu'il s'agit là d'une différence de traitement préjudiciable fondée sur le sexe; toutefois, un examen plus approfondi indique que tel n'est pas le cas.

[49] Un homme qui demanderait des prestations de maladie ou des prestations parentales et qui exigerait ensuite des prestations spéciales au cours de la même période de prestations subirait les mêmes conséquences défavorables que Mmes Popaleni et Janssen pour ce qui est du nombre de prestations ordinaires auquel il aurait droit. Il ne s'agit pas d'un cas hypothétique car, selon M. LaRue, 35 p. 100 des prestataires touchés par la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales sont de sexe masculin.

[50] De même, l'argument de la Commission voulant que Mme Popaleni soit victime de discrimination en raison de son état matrimonial (qualité de mère) ne tient pas. Les pères qui touchent des prestations parentales, de même que les prestataires autres que des parents qui tombent malades et qui reçoivent des prestations de maladie, subissent exactement les mêmes conséquences du point de vue de l'admissibilité aux prestations ordinaires. Il en est de même également des prestataires qui sont atteints d'une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi que des personnes qui souffrent de troubles transitoires ou légers qui ne constituent pas à proprement parler des déficiences.

[51] Les tribunaux se sont penchés à maintes reprises sur les dispositions de l'article 11 de la Loi sur l'assurance-chômage à la lueur des dispositions de l'article 15 de la Charte. Il convient particulièrement de citer l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans Sollbach c. Canada (28), où la Cour a examiné l'application de l'alinéa 11 (6) b) de la Loi sur l'assurance-chômage. Dans Sollbach, la prestataire avait quitté son emploi pour suivre son mari qui s'était trouvé un nouveau poste. À cause de cela, elle avait droit à 27 semaines de prestations ordinaires. Mme Sollbach a commencé après 18 semaines à recevoir des prestations de maternité. Après qu'elle eut obtenu 12 semaines de prestations de maternité, l'administration de l'assurance-chômage a refusé de lui faire d'autres versements, étant donné qu'elle avait déjà bénéficié du nombre maximal de 30 semaines de prestations prévu à l'alinéa 11 (6) b) de la Loi sur l'assurance-chômage (29). Mme Sollbach a allégué que l'alinéa 11 (6) b) était discriminatoire à son endroit en raison de sa grossesse. Elle avait droit, selon elle, à 52 semaines de prestations (27 semaines de prestations ordinaires, 15 semaines de prestations de maternité et 10 semaines de prestations parentales).

[52] La Cour d'appel fédérale a débouté Mme Sollbach, faisant remarquer que le paragraphe 11 (6) n'établit pas de distinction entre les femmes enceintes et les autres prestataires. Le fait que les hommes ayant subi des blessures alors qu'ils recevaient des prestations ordinaires étaient eux aussi soumis à la limite de 30 semaines, tout comme les pères qui avaient perdu leur emploi et qui bénéficiaient de prestations parentales, attestait du caractère non sexiste la Loi.

[53] L'affaire Sollbach avait trait à l'alinéa 11 (6) b) de la Loi sur l'assurance-chômage, tandis que la présente affaire a rapport à l'alinéa 11 (6) a). À mon avis, cependant, le raisonnement de la Cour d'appel fédérale s'applique également aux plaintes de Mmes Popaleni et Janssen. À cet égard, je souscris à la conclusion énoncée dans CUB 50489 (Miller) (30) par le juge-arbitre nommé en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage qui a jugé que l'alinéa 11 (6) a) de la Loi sur l'assurance-chômage ne portait pas atteinte aux droits à l'égalité du prestataire.

[54] Selon l'avocat de la Commission, la législation relative à l'assurance-emploi prévoit deux flux de prestations qui assurent chacun un revenu aux personnes dont l'emploi est interrompu, mais pour des raisons très différentes. Il ne convient donc pas, au dire de la Commission, de tenir compte du fait qu'un prestataire a touché des prestations spéciales dans l'évaluation de son admissibilité aux prestations ordinaires. Comme les prestations ordinaires et les prestations spéciales visent à pallier des situations tout à fait différentes, il semble vraiment bizarre que le fait de toucher des prestations d'un certain type ait pour effet de réduire le nombre de prestations d'un autre type qui sont accordées dans un but tout à fait différent. À tort ou à raison, cependant, la règle anticumul impose un fardeau tant aux hommes qu'aux femmes, tant aux parents qu'aux autres. En conséquence, je conclus qu'aucune preuve prima facie de discrimination n'a été établie.

B. DRHC s'est-il acquitté de son fardeau?

[55] Comme j'ai conclu qu'il n'existait pas de preuve prima facie de discrimination, il n'y a pas lieu d'aller plus loin. Toutefois, pour le cas où l'on déterminerait subséquemment qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, j'examinerai si DRHC a démontré si la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales est fondée sur un motif justifiable.

i) Lien rationnel

[56] Selon la méthode définie par la Cour suprême du Canada dans Meiorin et Grismer, DRHC doit, afin de prouver que la norme en question est fondée sur un motif justifiable, d'abord démontrer qu'il a adopté ladite norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la tâche à accomplir. L'analyse à cette étape ne porte pas principalement sur la validité de la norme dont il s'agit, mais plutôt sur la validité de son objet plus général (31).

[57] Selon DRHC, l'imposition de limites ou plafonds est une caractéristique nécessaire des régime d'assurance. En l'espèce, la raison d'être du régime d'assurance-emploi est d'assurer un revenu de remplacement durant une période déterminée. S'il n'existait pas de limites, les prestataires pourraient recevoir des prestations indéfiniment. Par conséquent, il existe un lien rationnel entre la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales et la raison d'être du régime d'assurance-emploi.

[58] Je ne partage pas l'opinion qu'il est nécessaire d'avoir une règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales, sans quoi les prestataires pourraient recevoir des prestations d'assurance-emploi indéfiniment. Cela n'est certes pas le cas puisqu'il faudrait quand même que toutes les prestations soient versées durant la période de prestations de 52 semaines, élément qui n'est pas contesté en l'espèce.

[59] Tant les prestations ordinaires que les prestations spéciales visent, pour des raisons bien différentes, à assurer un revenu compensateur aux personnes qui ne travaillent pas. Eu égard au caractère immédiat de ces deux types de prestations, je suis convaincue qu'il existe un lien rationnel entre les limites temporelles et l'objectif général du régime (32). Cependant, en l'espèce, la Loi impose une limite temporelle à l'égard du cumul de prestations conçues à des fins tout à fait différentes. Les prestations ordinaires ont pour objet d'assurer à court terme un revenu de remplacement aux personnes qui sont disponibles pour travailler mais qui sont sans emploi, tout en favorisant leur réintégration au marché du travail. Les prestations spéciales prévues par la législation relative à l'assurance-emploi ont un objectif différent : fournir un revenu de remplacement à court terme aux personnes qui ne sont pas disponibles pour travailler en raison d'une maladie, d'un accouchement ou du soin d'un enfant.

[60] Je souscris à l'argument de la Commission voulant que DRHC n'a pas démontré qu'il existe un lien rationnel entre l'objectif général de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales, règle qui est contestée en l'espèce, et le versement de prestations en vertu du régime d'assurance-emploi. Étant donné que les prestations ordinaires et les prestations spéciales prévues par le régime d'assurance-emploi visent à protéger les prestataires contre différentes situations imprévues, il est tout à fait illogique de tenir compte du fait qu'on a reçu des prestations d'un certain type pour déterminer l'admissibilité à des prestations de nature tout à fait différente. Le fait qu'un prestataire obtienne 15 prestations de maladie pendant une période où il était incapable de travailler ne signifie pas qu'il sera en mesure de trouver un nouvel emploi et de réintégrer le marché du travail plus vite qu'un autre prestataire qui n'a pas été malade.

ii) Bonne foi

[61] Le deuxième élément que doit établir DRHC conformément au critère énoncé dans Meiorin et Grismer est qu'il a adopté la norme en question de bonne foi, estimant qu'elle était nécessaire à l'atteinte de la fin ou du but poursuivi. Si la norme n'a pas été considérée comme raisonnablement nécessaire, ou si son adoption a été motivée par des considérations discriminatoires, alors elle ne peut être justifiée.

[62] La Commission soutient qu'on ne m'a présenté aucun élément de preuve démontrant comment on a établi la limite de 30 semaines, et que la décision de fixer à 30 le nombre maximal de semaines de prestations spéciales représentait un choix arbitraire. Au dire de la Commission, il s'agit d'une preuve circonstancielle de mauvaise foi.

[63] On a effectivement présenté au Tribunal très peu d'éléments de preuve quant aux motifs sur lesquels repose le choix des diverses limites prévues par le régime d'assurance-emploi, hormis l'affirmation générale de M. McFee selon laquelle il fallait imposer des limites pour empêcher le versement de prestations de façon illimitée. Plus particulièrment, on n'a pas fourni au Tribunal d'explications satisfaisantes quant aux raisons pour lesquelles on a pris la décision de soustraire du nombre de semaines de prestations ordinaires auquel le prestataire a droit le nombre de semaines de prestations spéciales qu'il a reçues, dans les cas où il a droit à plus de 30 semaines de prestations ordinaires.

[64] Cela dit, les régimes d'assurance doivent inévitablement fixer des limites, comme les tribunaux l'ont souvent fait observer (33). Le régime d'assurance-emploi étant autofinancé, les responsables de son administration ont la responsabilité d'assurer sa viabilité financière permanente. Il ressort clairement du témoignage de M. LaRue que la suppression de la limite qui s'applique au cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales entraînerait d'importantes conséquences financières. Compte tenu du témoignage de M. McFee, je suis prête à admettre que, lorsqu'il a imposé la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales qui sont versées aux prestataires en vertu du régime d'assurance-emploi, DRHC a agi de bonne foi, estimant que cette norme était nécessaire à l'atteinte de la fin ou du but poursuivi.

iii) Contrainte excessive

[65] Enfin, il incombe à DRHC, pour démontrer l'existence d'un motif justifiable, d'établir que la norme est raisonnablement nécessaire à l'atteinte de son but, dans le sens où il ne peut composer avec les personnes qui présentent les caractéristiques de la plaignante, sans subir une contrainte excessive.

[66] Essentiellement, DRHC a fait valoir, en ce qui concerne le troisième élément de l'analyse relative au motif justifiable, que la suppression de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales imposerait un fardeau financier considérable au régime d'assurance-emploi, ainsi qu'aux cotisants, fardeau qui représenterait une contrainte excessive. À cet égard, DRHC a cité M. LaRue, qui a déclaré dans son témoignage que l'élimination de la règle anticumul accroîtrait de 228 millions de dollars le coût du régime d'assurance-emploi, compte tenu du nombre de demandes enregistré en 1998-1999, et d'un montant supérieur après l'an 2000.

[67] Au cours du contre-interrogatoire, il est clairement ressorti que, aux fins de son estimation de coût, M. LaRue avait tenu compte du coût de la suppression non seulement de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales, mais aussi de la limite de 52 semaines prévue dans la définition de la période de prestations. Cependant, étant donné que la définition de la période de prestations de 52 semaines ne pose pas problème en l'espèce, il est nécessaire de réviser à la baisse l'estimation de coût de M. LaRue. Bien que certains prestataires qui touchent des prestations ordinaires et des prestations spéciales auraient droit autrement à plus de 52 semaines de prestations hebdomadaires, ils ne recevraient que 52 semaines de prestations en cas de suppression de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales, étant donné que la période de prestations est limitée par définition à 52 semaines. M. LaRue n'a pas été en mesure d'indiquer combien de prestataires seraient pris dans l'engrenage du fait que la période de prestations est limitée à 52 semaines, et on ne sait pas vraiment quel serait le coût révisé qui résulterait de l'élimination de la limite.

[68] Le témoignage de M. LaRue au sujet du coût qu'entraînerait le changement doit être examiné dans le contexte de celui de M. McFee à propos de la situation financière générale du régime d'assurance-emploi. Selon M. McFee, le régime d'assurance-emploi affiche un surplus depuis 1996 ou 1997; à l'heure actuelle, le surplus est de l'ordre de 29 milliards de dollars.

[69] Compte tenu des éléments de preuve qui m'ont été présentés, il n'est pas du tout évident que le surplus du Compte d'assurance-emploi ne permettrait pas d'absorber l'augmentation de coût qu'entraînerait la suppression de la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales, sans qu'il en résulte de conséquences immédiates pour les cotisants.

[70] Plutôt que d'absorber l'augmentation de coût résultant de l'élimination de la règle anticumul à même le surplus accumulé du régime, DRHC pourrait décider de refiler l'augmentation aux cotisants. À cet égard, l'avocat de la Commission soutient que le service en question est fourni par DRHC, et que je devrais tenir compte uniquement de la position de DRHC par rapport à la question de la contrainte excessive. Je ne devrais pas me préoccuper des conséquences que les modifications qui seraient apportées au régime d'assurance-emploi pourraient avoir pour les cotisants. Je ne suis pas d'accord. À titre d'administrateur du régime d'assurance-emploi, DRHC est responsable de la viabilité générale du régime. Dans Grismer, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans l'administration du système de délivrance de permis de conduire de la Colombie-Britannique, le surintendant des Véhicules automobiles avait le droit de tenir compte non seulement du pouvoir de délivrer des permis, mais aussi de la sécurité des personnes qui circulent sur les routes de la province. À mon avis, il est tout aussi nécessaire d'examiner les effets que des modifications au régime d'assurance-emploi pourraient avoir sur les cotisations et les cotisants que leurs conséquences possibles du point de vue de la viabilité du régime.

[71] Cela dit, aucun élément de preuve ne m'a été présenté relativement à l'effet que l'augmentation de coût liée à ces modifications aurait sur les cotisations (34), pas plus qu'au sujet des conséquences de tout relèvement des cotisations pour les cotisants ou pour l'ensemble du régime.

[72] À mon avis, la preuve présentée par DRHC ne satisfait pas à la norme de preuve adoptée dans la jurisprudence pour établir que le fait de composer avec des femmes telles que Mme Popaleni et Mme Janssen en supprimant la règle interdisant le cumul des prestations ordinaires et des prestations spéciales entraînerait une contrainte excessive.

X. Ordonnance

[73] Eu égard aux motifs énoncés ci-haut, ces plaintes sont rejetées.


Anne L. Mactavish

OTTAWA, Ontario

Le 9 mars 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T575/3300

INTITULÉ DE LA CAUSE : Katherine Popaleni et Pamela Janssen c. Développement des ressources humaines Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

les 29 et 30 novembre et les 18 et 19 décembre 2000

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL : le 9 mars 2001

ONT COMPARU :

Eddie Taylor pour la Commission canadienne des droits de la personne

Anne M. Turley pour Développement des ressources humaines Canada

Référence : D T. 2/01 (H. McAllister-Windsor c. HRDC)

Le 9 mars 2001

1. L.R. 1985, chap. U-1, art. 11, 1985, chap. 4 (4e supp.), art. 2; 1990, chap. 40, art..9.

2. L.C. 1996, chap. 23. Par souci de commodité , la terminologie courante sera utilisée dans l'ensemble de cette décision.

3. M. McFee n'est pas le seul à penser que les prestations ordinaires d'assurance-emploi et les prestations spéciales revêtent un caractère fondamentalement différent. Dans le rapport du Comité d'enquête relatif à la Loi sur l'assurance-chômage (le rapport Gill), publié en novembre 1962, les auteurs se demandaient si le régime d'assurance-emploi devrait prévoir également des prestations de maternité. Le Comité a conclu que les prestations de maternité devraient être traitées séparément, faisant remarquer que ces prestations relevaient strictement de quelque autre régime de sécurité sociale (par. 112).

4. Voir la Loi d'exécution du budget, 2000, L.C. 2000, chap. 14, art. 3.

5. La limite qui s'applique dans le cas d'un tel cumul de prestations est examinée en rapport avec la plainte d'Helen McAllister-Windsor, qui a été instruite en même temps que celles de Katherine Popaleni et de Pamela Janssen. Ma décision au sujet de la plainte de Mme McAllister-Windsor sera rendue en même temps que la présente décision.

6. Les plaintes de Mmes Popaleni et Janssen portent sur des événements survenus entre 1995 et 1997. Par conséquent, pour ce qui est des questions de fond, je me fonderai sur la Loi telle qu'elle existait avant les modifications de 1998.

7. [1999] 3 R.C.S. 3.

8. [1999] 3 R.C.S. 868.

9. Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985], 2 R.C.S. 536, p. 558.

10. À cet égard, l'arrêt Meiorin est conforme à la décision rendue dans Central Okanagan School District c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

11. Grismer, supra, par. 32.

12. Grismer, supra, par. 42.

13. Grismer, supra, par. 41.

14. Grismer, supra, par. 41 et 42.

15. Meiorin, supra, par. 63. Voir aussi Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, p. 546.

16. En fait, il existe à cet égard un jugement qui a force exécutoire. Voir l'arrêt rendu par la Cour fédérale dans Gonzalez c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1997] 3 C.F. 646.

17. Si elle a perdu une partie de son sens par suite de l'adoption par la Cour suprême du Canada de la méthode unifiée exposée dans Meiorin et Grismer, l'expression discrimination par suite d'un effet préjudiciable n'en demeure pas moins utile, car elle décrit la nature de la discrimination alléguée en l'espèce.

18. Voir, par exemple, Sollbach c. Canada (Procureur général), (1999), non publié (C.A.F.), Canada (Procureur général) c. Faltermeier, (1995) 128 D.L.R. (4e) 481 (C.A.F.), CUB 19483 (Irving), CUB 58460 (Miller), CUB 22373 (Lemieux), Schafer c. Canada (Procureur général), (1997), 35 O.R. (3e) 1 (C.A. Ont.) et Tinkham c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1995), 16 B.C.L.R. (3e)) 79 (B.C.S.C.).

19. Faltermeier, supra, p. 487. Voir aussi Sollbach, supra, p. 139.

20. Shafer, supra, p. 15.

21. Tinkham, supra, p. 83.

22. Page 15.

23. 27 C.H.R.R. D/87, par. 29. Voir aussi Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, 10 C.H.R.R. D/5719.

24. Law c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, p. 531.

25. Tout au cours de ses exposés, Me Turley a comparé la situation de Mmes Popaleni et Janssen à celle des autres prestataires du régime d'assurance-emploi.

26. Voir Granovsky c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703 (C.S.C.), p. 746, et Schafer, supra, p. 28.

27. Gibbs, supra.

28. Supra, renvoi 18.

29. L'alinéa 11 (6) b) traite du cas où le prestataire demande à la fois des prestations ordinaires et des prestations spéciales, alors qu'il a droit à 30 semaines de prestations ordinaires ou moins. Dans un tel cas, la limite de 30 semaines relative aux prestations spéciales s'applique.

30. Supra, renvoi 19.

31. Meiorin, supra, par. 59.

32. À cet égard, voir la décision que j'ai rendue dans le cas d'Helen McAllister-Windsor.

33. Granovsky, supra, p. 746, et Schafer, supra, p. 28.

34. Bien qu'il ait déclaré qu'il avait fait des calculs pour déterminer l'impact des modifications en question sur les cotisations, M. LaRue n'a pas fait part au Tribunal des résultats des calculs en question.

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