Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

George A. Morris

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 17/01

2001/12/20

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis, président

[TRADUCTION]

I. LA PLAINTE

II. LES FAITS

A. Carrière de M. Morris dans les Forces canadiennes

i) Ses grades et affectations

ii) Ses fonctions

B. Processus d'avancement au régiment

i) Listes de promotions au mérite

ii) Rapport d'appréciation du rendement (RAR)

iii) Conseil régimentaire ou national de promotion au mérite

a) Évaluation du rendement

b) Évaluation du potentiel

c) Évaluation de l'aptitude en langue seconde

d) Attribution des scores au sein du conseil régimentaire de promotion au mérite

C. RAR de M. Morris

III. LE DROIT

IV. L'ANALYSE

A. Preuve de discrimination de la Commission

i) Preuve directe de discrimination

a) Conversation de M. Morris avec le gestionnaire de carrières Ginn

b) Directives données par l'adjuc Ginn au conseil régimentaire de promotion au mérite

c) Preuve empirique présentée par M. Hobbins et le major Guitard

ii) Preuve circonstancielle de discrimination

a) Preuve n'ayant pas trait à la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite

1. Preuve empirique

2. Affectations hors régiment

3. Affectation à l'École de combat

b) Preuve liée directement à la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite

1. Connaissance par le conseil de l'âge des candidats

2. Guide des conseils de promotion au mérite des militaires du rang

3. Preuve statistique

4. L'âge en tant qu'élément d'évaluation du potentiel

c) Conclusions relatives à la preuve circonstancielle

B. L'explication de l'intimée

i) Activités additionnelles et amélioration éducationnel

ii) Manque de formation en communications et connaissance insuffisante du français

iii) Qualités de chef

iv) Réticence de M. Morris à accepter une nouvelle affectation

v) Affectations hors régiment et non-déploiement dans le cadre de missions opérationnelles

vi) Jugement professionnel des membres du conseil régimentaire de promotion au mérite

vii) RAR exagérés des adjudants travaillant dans les réserves

viii) Avancement des autres adjudants âgés de 40 ans ou plus

ix) Instructions données par le gestionnaire de carrières au conseil régimentaire de promotion au mérite

C. Conclusion relative aux explications de l'intimée

V. LES MESURES DE REDRESSEMENT

A. Promotion, salaires et avantages perdus

B. Indemnité spéciale

C. Maintien de la juridiction

VI. LE GLOSSAIRE

[1] En l'espèce, le plaignant allègue que son employeur, les Forces armées canadiennes (Forces canadiennes), a exercé à son endroit une discrimination en refusant de lui accorder une promotion en raison de son âge.

I. LA PLAINTE

[2] Le 26 septembre 1996, M. George A. Morris a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) une plainte dans laquelle il allègue que les Forces canadiennes ne l'ont pas promu du grade d'adjudant à celui d'adjudant-maître en raison de son âge. M. Morris souligne qu'il avait un peu moins de 46 ans lorsqu'il a terminé, en février 1990, le cours préalable à l'obtention d'une telle promotion.

[3] En réplique, les Forces canadiennes soutiennent que M. Morris n'a pas obtenu la promotion en question parce que le rang qu'il occupait sur chacune des listes nationales de promotions au mérite établies annuellement, qui rendaient compte de son rendement et de son potentiel par rapport à ceux de ses pairs au sein de son régiment, était tout simplement trop bas et parce que tous les postes vacants d'adjudant-maître ont été comblés par des employés [Traduction] plus méritants figurant en haut des listes. Selon l'intimée, l'âge n'est pas un élément dont on tient compte dans l'établissement des listes.

[4] Vu le grand nombre d'abréviations utilisées dans la présente décision, j'ai annexé un glossaire pour aider le lecteur à s'y retrouver.

II. LES FAITS

A. Carrière de M. Morris dans les Forces canadiennes

i) Ses grades et affectations

[5] M. Morris est né le 1er avril 1944. Il s'est enrôlé dans les Forces canadiennes à titre de militaire du rang ( de MR ou, si l'on préfère, de militaire) à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 11 juin 1963. Il a commencé son service dans l'infanterie comme soldat; en 1968, il a été promu caporal. Il a accédé au grade de caporal-chef en 1974, puis à celui de sergent en 1977. Enfin, le 18 septembre 1981, il a obtenu le grade d'adjudant.

[6] M. Morris a d'abord été affecté à Petawawa, en Ontario, où il a suivi son entraînement de base. Ensuite, il a été rattaché au 1er Bataillon du Canadian Guards, à Picton, en Ontario, à l'automne de 1963. En 1966, le plaignant a joint le 2e Bataillon du Royal Canadian Regiment (RCR), à Petawawa, où il est demeuré jusqu'en 1975, année où il a été affecté à l'École de recrutement des Forces armées canadiennes, à Cornwallis, en Nouvelle-Écosse.

[7] En 1978, M. Morris a été rattaché au 1er Bataillon du RCR (1 RCR) à London, en Ontario. Après avoir servi à la Base des Forces canadiennes Borden, en Ontario, durant un an entre 1980 et 1981, il a réintégré le 1er Bataillon du RCR, au sein duquel il est demeuré jusqu'en 1987.

[8] Le 15 juillet 1987, M. Morris a été affecté au Lincoln and Welland Regiment, une unité de la Force de réserve (ou Milice) basée à St. Catharines, en Ontario. Jusqu'en 1992, on disait des membres de la Force régulière qui servaient hors de leur régiment au sein de telles unités qu'ils étaient en affectation auprès du personnel de soutien de la Force régulière. En 1992, bien qu'il soit demeuré au même endroit, M. Morris a officiellement changé d'affectation et a été rattaché au Lincoln and Welland Regiment par suite, semble-t-il, d'une restructuration administrative des Forces canadiennes.

[9] En 1994, M. Morris a été dépêché au détachement de l'Ontario de l'École de combat du RCR, à Hamilton; il a toutefois continué de résider à St. Catharines. M. Morris est demeuré à l'École de combat jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la retraite obligatoire (55 ans) des Forces canadiennes, le 1er avril 1999. Il a résidé à St. Catharines pendant tout ce temps. Après avoir quitté les Forces canadiennes, il est entré au service de la Niagara Regional Police, où il a agi d'abord comme agent d'escorte judiciaire. Il a depuis été promu au poste de surveillant judiciaire de la Région de Niagara.

ii) Ses fonctions

[10] La preuve présentée en l'espèce au sujet des tâches de M. Morris a porté essentiellement sur la période qui a suivi l'obtention de son grade d'adjudant en 1981. Cette année-là, il occupait le poste de gestionnaire de la salle à manger au sein du 1er Bataillon du Royal Canadian Regiment à London. Au cours des deux années qui ont suivi, il a été adjudant du peloton de transmissions et s'est occupé de l'organisation de l'inventaire de matériel de transmission. En 1984, M. Morris a travaillé comme sergent quartier-maître au sein d'une compagnie de carabiniers de l'infanterie mécanisée. Il a continué d'exercer ces fonctions au cours des deux années suivantes tout en agissant comme sergent-major dans une compagnie de carabiniers. Certains de ces emplois l'ont amené à servir au sein de son bataillon ailleurs qu'à London, et parfois outre-mer, dans des endroits comme Chypre, la Norvège et l'Australie.

[11] Durant son affectation au Lincoln and Welland Regiment, M. Morris a surtout travaillé comme adjoint d'instruction de l'unité (AIU); à ce titre, il était responsable de la qualité de l'entraînement au sein de l'unité et des normes connexes. Il a également été adjudant des opérations et a agi périodiquement comme sergent-major de compagnie auprès du Poste de commandement du bataillon, entre autres. Outre les nombreuses fonctions qu'il a exercées en dehors de celles d'AIU, M. Morris a coordonné et organisé des exercices d'unité et d'autres activités.

[12] À l'École de combat à Hamilton, M. Morris a travaillé comme adjudant des normes de 1994 jusqu'à son départ à la retraite en 1999; à ce titre, il était chargé d'évaluer la qualité de l'entraînement donné dans les unités de la Milice. Il a également donné des cours et fourni des conseils et de l'assistance aux unités de la Milice.

B. Processus d'avancement au régiment

[13] Pour bien examiner l'allégation de M. Morris voulant qu'il n'ait pas été promu du grade d'adjudant à celui d'adjudant-maître en raison de son âge, il faut comprendre le processus d'avancement des militaires du rang. Par souci de concision, j'utiliserai le masculin lorsque je ferai référence aux militaires du rang et autres membres des Forces canadiennes. Il va de soi que le masculin s'entend du féminin.

[14] La hiérarchie des grades parmi les MR est la suivante : soldat, caporal, caporal-chef, sergent, adjudant, adjudant-maître et adjudant-chef. L'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 49-4 (OAFC 49-4) énonce la politique concernant l'avancement des MR au sein de la Force régulière. La preuve dont j'ai été saisi n'indique pas si cette politique est encore en vigueur; toutefois, il semble qu'elle était en place au début des années 90, c'est-à-dire durant la période où le plaignant aurait dû selon lui obtenir de l'avancement.

[15] Selon l'OAFC 49-4, pour être admissible à une promotion au grade immédiatement supérieur, l'adjudant doit avoir terminé avec succès le cours correspondant au Niveau de qualification 7 (NQ7). M. Morris a terminé ce cours en février 1990. On ne conteste pas le fait qu'à ce moment-là, M. Morris répondait également à plusieurs autres conditions énoncées dans l'OAFC 49-4 : il avait trois ans d'ancienneté dans son grade, il satisfaisait à la norme médicale exigée, son rendement et son comportement récents étaient satisfaisants et son commandant avait recommandé l'octroi d'une promotion. Cependant, les Forces canadiennes sont d'avis qu'il n'a pas été promu parce que les autres conditions n'ont jamais été satisfaites; elles allèguent surtout que son rang sur les listes annuelles de promotions au mérite était trop bas, compte tenu des quotas de promotion et du nombre réel de postes vacants à combler chaque année.

i) Listes de promotions au mérite

[16] Chaque année, le Royal Canadian Regiment établissait la liste nationale de promotions au mérite pour chacun des grades supérieurs à celui de caporal. Le processus relativement complexe d'établissement de cette liste était enclenché au sein de l'unité d'affectation du MR.

[17] Au sein du régiment, chaque bataillon constituait une unité, qui était formée de plusieurs compagnies. Chaque compagnie comprenait habituellement trois pelotons comptant chacun un adjudant. Un autre adjudant était au service de l'ensemble de la compagnie. Par conséquent, on dénombrait habituellement quatre adjudants dans une compagnie.

[18] Vers la fin de chaque exercice financier (habituellement le 31 mars), les commandants de chaque peloton rencontraient le commandant de la compagnie afin d'évaluer le rendement des différents adjudants-maîtres et des autres MR de la compagnie pendant à l'exercice financier précédent. Chaque commandant de peloton faisait valoir les mérites de son adjudant dans le but de convaincre le commandant de la compagnie qu'il était celui des quatre qui avait le mieux tiré son épingle du jeu. Durant cet exercice, on examinait les documents (p. ex., Lettres d'appréciation ou de recommandation) que les adjudants avaient reçus au cours de l'année écoulée. À la fin de la discussion, le commandant de la compagnie dressait une liste classant les adjudants du premier au dernier.

[19] Environ un mois plus tard, le conseil de promotion au mérite de l'unité, formé du sergent-major régimentaire, du sergent-major de drill ainsi que de tous les commandants et sergents-majors de la compagnie, tenait une réunion. Cette réunion était présidée par le commandant adjoint de l'unité. Chaque commandant de compagnie vantait les qualités de ses MR et tentait de convaincre les autres membres du conseil de les classer le plus haut possible dans la liste de promotions au mérite de l'unité. À cette étape, le classement était établi par voie de consensus. Une fois que tous les participants s'étaient entendus sur le classement des divers adjudants, chaque commandant retournait au sein de sa compagnie où il rédigeait, de concert avec le commandant de peloton ayant agi comme surveillant immédiat de l'adjudant, le rapport d'appréciation du rendement (RAR) de l'intéressé. La même démarche était suivie pour les autres grades propres aux MR.

[20] Les adjudants ayant servi hors du régiment dans des unités de la Réserve, comme ce fut le cas de M. Morris entre 1987 et 1994, étaient évalués de la même façon par leurs surveillants et commandants. La Réserve n'était pas structurée en bataillons, mais plutôt en secteurs régionaux- Secteur du Centre (Milice), dans le cas de l'Ontario. Par conséquent, dans la Réserve, un conseil de promotion au mérite de l'unité était constitué au niveau du Secteur, et les adjudants étaient habituellement comparés à leurs collègues du Secteur.

ii) Rapport d'appréciation du rendement (RAR)

[21] Le RAR joue un rôle crucial dans l'évolution de la carrière des militaires du rang. Selon le Guide des conseils de promotion au mérite des militaires du rang, qui était en vigueur en 1992, le RAR devait permettre d'évaluer les aspects les plus essentiels d'un rendement efficace (1). La présentation du RAR a varié au fil des années, mais les rubriques du formulaire sont demeurées pratiquement les mêmes tout au cours de la période 1980-1995.

[22] Sur la première page du document figurait le nom du militaire, qui pouvait inscrire les cours qu'il désirait suivre, ses trois principales préférences en termes d'affectation et toute autre observation jugée à propos. Sur la deuxième page, le militaire n'avait qu'à signer une attestation indiquant qu'il avait reçu des renseignements sur certaines parties.

[23] La deuxième page comprenait l'évaluation du militaire proprement dite, qui comportait plusieurs éléments : l'évaluation quantitative, fondée sur une échelle numérique, une section consistant en une évaluation narrative devant être remplie par le surveillant de l'intéressé et l'officier de révision détenant le grade immédiatement supérieur, ainsi qu'une section Observations, habituellement réservée au commandant de l'unité. Il appartenait à ce dernier d'indiquer dans cette section s'il recommandait l'octroi d'une promotion. Dans cette optique, le commandant de l'unité devait également préciser le rang qu'occupait l'intéressé par rapport aux autres titulaires de son grade faisant partie de la même unité et du même groupe professionnel militaire (ou désignés sous le même code de groupe professionnel militaire (CGPM)) que lui.

[24] L'évaluation quantitative portait sur quatorze aspects professionnels décrits dans deux parties. La première partie indiquait dans quelle mesure le militaire s'était bien acquitté des divers volets de son travail : application de ses connaissances et compétences professionnelles, motivation, réaction aux directives, esprit d'initiative et rendement sous tension. La deuxième partie visait à évaluer ses qualités de chef en fonction de ses aptitudes dans divers domaines : communications, obtention de la collaboration d'autrui, formation de subalternes, etc. Les MR étaient cotés en fonction de l'échelle suivante :

4 - insatisfaisant

5 - passable

6 - compétent

7 - bon

8 - très bon

9 - supérieur

10 - hors pair

[25] Une fois les quatorze aspects cotés, on additionnait les résultats puis on calculait le score moyen, souvent désigné sous l'appellation score RAR. Le score RAR était inscrit dans une section distincte du formulaire, sous la rubrique Score moyen. Par conséquent, si l'évaluation quantitative comportait dix cotes 8 et quatre cotes 9, comme ce fut le cas de M. Morris en 1991, on inscrivait 8,3 comme score moyen dans le RAR.

[26] On pourrait penser que le score RAR était établi directement à partir des cotes inscrites dans l'évaluation quantitative détaillée mais, en fait, c'était l'inverse. Le score RAR attribué à chaque MR par le conseil de promotion au mérite de l'unité était fondé sur son classement par rapport à ses collègues de l'unité. Il était entendu que les scores RAR supérieurs à 8,4 équivalaient à la cote hors pair, ceux entre 7,5 et 8,4 à la cote supérieur, ceux entre 5,0 et 7,4 à la cote moyen et ceux de 4,9 ou moins à la cote insatisfaisant (2). Par conséquent, l'adjudant qui s'était classé premier était susceptible de se voir attribuer un score d'au moins 8,5; toutefois, son score exact dépendait de l'appréciation de son rendement par le conseil de promotion au mérite de l'unité. Cette décision avait des conséquences pour les autres militaires figurant sur la liste. Si le MR qui s'était classé premier obtenait un score de 8,6, par exemple, celui qui s'était classé deuxième ne pouvait se voir attribuer un score plus élevé, et ce même si le commandant de sa compagnie estimait qu'il méritait un tel score. En outre, il y avait des restrictions quant au nombre de militaires d'une même unité qui pouvaient obtenir la cote «hors pair», peu importe le nombre de militaires ayant fourni un tel rendement au cours de l'année en question. Par conséquent, il arrivait que le conseil de promotion au mérite de l'unité attribue simplement la cote supérieur à un militaire ayant fourni un rendement considéré exceptionnel.

[27] En raison de ces mécanismes de contrôle des scores, le surveillant qui établissait le RAR d'un subalterne devait s'assurer que la moyenne des scores accordés dans la section Évaluation quantitative concordait avec le score global décerné à l'intéressé par le conseil de promotions au mérite de l'unité. Si, pour reprendre l'exemple du RAR de 1991 de M. Morris, le surveillant de ce dernier avait songé à lui décerner sept cotes 9 et sept cotes 8 (moyenne de 8,5), il n'aurait pas pu le faire parce qu'il ne pouvait dépasser le score moyen de 8,3 que le conseil de promotion au mérite de l'unité avait déjà attribué à M. Morris.

[28] Il était possible pour ces raisons qu'un score RAR ne reflète pas fidèlement le niveau de rendement du militaire durant une année donnée.

iii) Conseil régimentaire ou national de promotion au mérite

[29] Une fois les RAR établis et dûment signés, l'unité (bataillon) ou, dans le cas de la Milice, le Secteur les transmettait au gestionnaire de carrières du Royal Canadian Regiment, au Quartier général de la défense nationale (QGDN) à Ottawa. Le gestionnaire de carrières revoyait les dossiers individuels de tous les militaires du rang du RCR. Selon le témoignage de l'adjudant-chef (adjuc) John Ginn, qui a été gestionnaire de carrières de 1993 à 1997, le nombre de dossiers individuels revus variait entre 1 800 et 1 900. Le gestionnaire de carrières devait, entre autres, s'assurer que les dossiers étaient mis à jour régulièrement et rendre visite aux bataillons afin de rencontrer les militaires et de leur donner des séances d'information. Sa responsabilité la plus importante consistait sans doute à conserver la liste régimentaire de promotions au mérite. Chaque fois que le régiment avait un poste vacant à combler, le gestionnaire de carrières consultait la liste en vue de l'octroi d'une promotion au candidat figurant en tête.

[30] La liste régimentaire de promotions au mérite était établie par le conseil régimentaire de promotion au mérite, aussi appelé conseil national de promotion au mérite, au cours d'une réunion de plusieurs jours qui avait lieu chaque année (habituellement en novembre). Ce conseil était composé de hauts gradés des Forces canadiennes -- pour la plupart des commandants de bataillon -- et des sergents-majors régimentaires (les MR les plus hauts gradés dans un bataillon).

[31] Le gestionnaire de carrières, de concert avec d'autres employés du QGDN, aidait le conseil régimentaire de promotion au mérite dans l'exécution de son mandat. Un manuel, le Guide des conseils de promotion au mérite - militaires du rang, publié sous l'autorité du chef d'état-major de la Défense guidait les membres du conseil dans leur travail. En outre, au début de la réunion, le gestionnaire de carrières rencontrait les membres du conseil pour leur expliquer la procédure à suivre pour établir les listes régimentaires de promotions au mérite. Cependant, le gestionnaire des carrières ne participait pas au processus de classement au mérite mené par le conseil.

[32] Le gestionnaire de carrières fournissait aux membres du conseil le dossier individuel de chaque MR à évaluer (appelé également dossier RAR). Ce dossier renfermait tous les RAR établis au sujet du MR, ses divers rapports de cours et lettres de recommandation et un résumé d'une page de sa carrière. Les membres du conseil se penchaient sur chaque dossier à la fois et évaluaient chaque MR en fonction d'une échelle de cotation allant de 0 à 10. Contrairement aux conseils de promotion au mérite constitués à l'échelle de l'unité ou à un niveau inférieur, le conseil régimentaire de promotion au mérite évaluait non seulement le rendement du militaire, mais aussi son potentiel et aptitude en langue seconde. Par conséquent, selon la version du guide en vigueur à compter de 1992, les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite devaient évaluer chaque individu à l'aide de la grille suivante :

· Rendement - 0 à 8 points (80 %);

· Potentiel - 0 à 1,8 points (18 %);

· Aptitude en langue seconde - 0 à 0,2 point (2 %)

[33] La version de 1986 du guide (pièce R-17), qui a apparemment été utilisée jusqu'en 1992 (les parties en l'espèce n'ayant produit aucun guide pendant l'intervalle), prévoyait une répartition similaire, mais n'attribuait pas de valeur spécifique à la connaissance de l'autre langue officielle. Par conséquent, de 1986 à 1991, le rendement représentait 80 % du score et le potentiel, 20 %.

a) Évaluation du rendement

[34] Selon les divers guides portant sur la période 1986-1996 qui ont été déposés en preuve, le rendement du candidat devait être évalué par rapport à sa norme globale de rendement, basée principalement sur ses RAR et ses rapports de cours. L'évaluation de rendement devait être fondée non pas exclusivement sur le plus récent RAR, mais plutôt sur autant de RAR nécessaires pour fournir une évaluation globale précise du rendement du candidat. Cependant, les témoignages entendus ont révélé des divergences d'opinion quant à la façon dont le rendement était évalué dans les faits.

[35] Appelé à témoigner par l'intimée, l'adjuc Ginn a indiqué qu'il avait informé les membres du conseil régimentaire lors de sa séance d'information qu'ils devaient examiner au moins trois RAR antérieurs avant d'évaluer le rendement d'un candidat. L'adjuc Ginn a également affirmé que l'évaluation du rendement était un exercice purement mécanique en ce sens que les membres du conseil avaient instruction de calculer simplement la moyenne des scores RAR en se fondant sur tous les RAR consultés aux fins de l'évaluation. Le score moyen, établi en fonction d'un dénominateur de 10, était ensuite transposé en fonction d'un dénominateur de 8 afin de tenir compte du poids de 80 % attribué au rendement. Le résultat obtenu constituait le score final du candidat pour ce qui est de l'aspect rendement

[36] Le témoignage d'un autre témoin de l'intimée, le lcol Mike Zuwerkalow, qui a siégé aux conseils régimentaires de promotion au mérite de 1995 à 1998, était sensiblement différent. Il a affirmé qu'il évaluait habituellement le rendement en se basant sur le RAR de l'intéressé portant sur la période examinée et en jetant un coup d'œil sur les RAR d'un certain nombre d'autres années, selon la situation de l'individu, afin de se faire une meilleure idée de lui. Fait plus important, le lcol Zuwerkalow a indiqué que le processus d'évaluation du rendement n'avait rien de mécanique. Il se servait de son jugement pour évaluer le rendement sur une échelle de 1 à 8 en prenant en compte des éléments tels que le score RAR du candidat et son rang par rapport aux autres militaires du même grade au sein de l'unité.

[37] Les divergences entre les témoignages de l'adjuc Ginn et du lcol Zuwerkalow sont d'autant plus frappantes que le premier a agi comme gestionnaire de carrières auprès des deux premiers conseils régimentaires de promotion au mérite où le deuxième a siégé et que l'adjuc Ginn a siégé en 1997 et 1998 comme membre du conseil en compagnie du lcol Zuwerkalow.

b) Évaluation du potentiel

[38] Les instructions énoncées d'une année à l'autre dans les guides au sujet de l'évaluation du potentiel ne sont pas aussi cohérentes que celles qui s'appliquent à l'évaluation du rendement. De 1986 à 1991, le document remis aux membres du conseil régimentaire de promotion au mérite (pièce R-17) indiquait que l'évaluation du potentiel se voulait une appréciation générale de la capacité de l'intéressé d'accéder à des échelons supérieurs au sein des Forces canadiennes, et portait sur des éléments tels que les qualités de chef, l'aptitude à surveiller et à organiser, l'expérience, les compétences, la personnalité, la condition physique et les aptitudes linguistiques du candidat dans l'autre langue officielle. Aucun aspect particulier du potentiel ne devait être soumis à une influence externe indue et aucun pourcentage spécifique des points alloués pour le potentiel n'était attribué à l'avance à un élément particulier. Cependant, chaque conseil pouvait structurer en totalité ou en partie l'aspect potentiel.

[39] À compter de 1993, le conseil a été tenu de préciser dans ses rapports finals les divers éléments sur lesquels il s'était fondé pour évaluer le potentiel ainsi que la pondération attribuée à chacun. Fait intéressant, il semble que le formulaire fourni au conseil, sur lequel ces différents éléments devaient être précisés, renfermait une liste préimprimée d'éléments proposés. Les instructions qui accompagnaient le formulaire précisaient que le conseil pouvait utiliser ces éléments, en supprimer certains ou en ajouter d'autres jugés plus pertinents. Les éléments proposés étaient les suivants : qualités de chef, l'aptitude à surveiller et à organiser, l'expérience, les compétences, la personnalité, la condition physique, activités additionnelles, éducation/amélioration, fiabilité et jugement professionnel.

[40] En 1996, on se contentait de dire au conseil qu'il ne devait pas mettre l'accent sur un élément en particulier. On lui précisait que tous les éléments choisis devaient être pris en compte pour déterminer le score éventuel. En outre, pour la première fois, on a fourni au conseil les précisions suivantes au sujet de certains des éléments dont il a été fait mention ci-dessus :

· Qualités de chef : fiabilité, initiative, attributs personnel, postes de supervision;

· Expérience : nombre de mutations, postes opérationnels stationnaires, types d'emploi/élément, étranger (NU, Alert, etc.), expertise, compétences;

· Capacité d'apprentissage (rapports de cours) : qualifications, éducation, amélioration;

· Jugement professionnel : (points accordés au membre sont basés sur le jugement professionnel des membres du Conseil);

[41] Pour ce qui est des autres éléments (employabilité, fiabilité, aptitude physique et activités additionnelles/fonctions secondaires), aucune explication n'était fournie.

[42] Les rapports produits par le conseil régimentaire de promotion au mérite après 1992 donnaient une ventilation détaillée des éléments sur lesquels il s'était fondé pour évaluer le potentiel ainsi que la pondération attribuée à chaque élément. La plupart du temps, la méthode suivie par le conseil était cohérente. Ainsi, de 1995 à 1997, le score maximal qui pouvait être attribué à un élément particulier était 0,1, sauf en ce qui concerne l'aptitude physique (0,4) et le jugement professionnel (0,8). Cependant, en 1994, le conseil n'a pas fixé de score maximal pour chaque élément, se contentant d'indiquer que le score pouvant être attribué à l'ensemble des éléments (à noter que l'aptitude physique ne figurait pas dans la liste des éléments à examiner cette année-là) ne devait pas dépasser 1,8. De plus, le conseil de 1994 a ajouté une note précisant que les scores attribués aux candidats pour les éléments expérience, employabilité et jugement professionnel étaient fondés sur le jugement professionnel des membres du conseil.

c) Évaluation de l'aptitude en langue seconde

[43] De 1992 à 1995, le militaire dont le dossier RAR indiquait qu'il était à l'aise dans l'autre langue officielle ou qu'il avait une connaissance fonctionnelle de celle-ci, se voyait attribuer le score maximal (0,2 point). Cependant, même lorsque ce n'était pas le cas, un membre du conseil régimentaire de promotion au mérite pouvait lui décerner un score de 0,1 point, selon le degré d'intérêt ou d'initiative manifesté par l'intéressé. Si celui-ci ne démontrait aucune aptitude dans l'autre langue officielle ou aucun intérêt à l'égard de l'apprentissage de la langue seconde, on lui attribuait le score 0.

[44] Il semble que les Forces canadiennes aient adopté en 1996 une norme linguistique similaire à celle appliquée dans la fonction publique fédérale, qui était fondée sur l'aptitude à lire et écrire ou sur l'interaction orale. Cette année-là, on s'est basé sur cette norme pour évaluer l'aspect linguistique et on a cessé d'accorder des points simplement pour le degré d'intérêt ou d'initiative.

d) Attribution des scores au sein du conseil régimentaire de promotion au mérite

[45] Contrairement aux évaluations des conseils de promotion au mérite constitués à un plus bas niveau, qui étaient le résultat de discussions entre les surveillants et les commandants au sein des unités, celles du conseil régimentaire de promotion au mérite étaient davantage le fruit d'une réflexion individuelle. Tous les guides prescrivaient que les membres de ce conseil devaient effectuer leurs évaluations sans se consulter. La preuve a révélé que tous les dossiers RAR relatifs à un grade particulier étaient répartis également entre les membres du conseil réunis autour de la table de conférence. Chaque membre évaluait les données, attribuait un score qu'il inscrivait sur le tableau placé devant lui, puis transmettait le dossier au collègue qui était à côté de lui, lequel évaluait à son tour l'intéressé en suivant la même démarche.

[46] Toutefois, certains témoignages ont révélé que les membres n'examinaient pas seuls chaque dossier, mais qu'ils le faisaient en équipes de deux, formées habituellement du commandant et du sergent-major du bataillon. Les rapports des conseils régimentaires de promotion au mérite établis en 1991 et 1992 précisent que les évaluations ont été faites de cette façon. De plus, le lcol Zuwerkalow, qui a siégé aux divers conseils constitués de 1995 à 1998, a indiqué que les membres travaillaient en tandem.

[47] Bien que ni la Commission ni l'intimée n'ait présenté de preuve claire ou directe à cet égard, j'ai conclu, après avoir examiné soigneusement les rapports de plusieurs conseils régimentaires de promotion au mérite et les avoir comparés avec les scores figurant sur les listes de promotions au mérite, que les évaluations étaient établies par des équipes et non par des membres agissant individuellement.

[48] Une fois que les membres du conseil avaient terminé l'examen de tous les dossiers RAR correspondant à un grade particulier, ceux-ci de même que les grilles d'évaluation utilisées étaient retournés au gestionnaire de carrières. Le personnel du gestionnaire de carrières faisait ensuite la saisie électronique des scores inscrits dans ces tableaux, puis calculait les totaux. Selon les guides, l'écart permis entre le score le plus élevé et le score le moins élevé pouvant être accordés par les membres du conseil ne pouvait dépasser 0,5 point (3). Par conséquent, le personnel commençait par examiner soigneusement les résultats afin de déterminer si le score le moins élevé et le score le plus élevé attribués aux divers candidats s'inscrivaient dans l'intervalle de variation permis. Si tel n'était pas le cas, on en informait le conseil, qui devait ensuite trouver le moyen de concilier les scores élevés ou faibles. Une fois cette conciliation effectuée, on faisait la saisie informatique des scores révisés.

[49] Le personnel du gestionnaire de carrières produisait ensuite un tableau où figuraient les noms des MR, classés selon le score global obtenu (tous éléments confondus - rendement, potentiel et connaissance de la langue seconde) - du plus haut au plus bas. Cette liste régimentaire de promotions au mérite était ensuite soumise au président du conseil régimentaire de promotion au mérite. Selon le témoignage du lcol Zuwerkalow, les membres du conseil ne voyaient pas la liste mais étaient informés des noms des MR qui venaient en tête. L'adjuc Ginn et lui ont tous deux affirmé que ce n'est qu'à ce moment-là que les membres du conseil avaient une idée du classement des candidats.

[50] Une fois que le conseil régimentaire de promotion au mérite avait fini son travail, la liste était remise au gestionnaire de carrières. Les membres du conseil étaient tenus de considérer comme strictement confidentiels tous les renseignements obtenus dans le cadre du processus d'évaluation au mérite. Le gestionnaire de carrières gardait la liste en lieu sûr. Son commandant et lui étaient les seuls à avoir accès au document. Chaque fois qu'un poste devenait vacant durant l'année civile suivante et qu'il fallait promouvoir un militaire du rang au grade immédiatement supérieur, le gestionnaire de carrières comblait le poste en jetant son dévolu sur le candidat dont le nom figurait en haut de la liste.

C. RAR de M. Morris

[51] M. Morris a été promu au grade d'adjudant en septembre 1981, alors qu'il faisait partie du 1er Bataillon du RCR à London, en Ontario. Ses deux premiers RAR ont été signés par son commandant en juillet 1982 et mai 1993, respectivement; toutefois, il n'était pas admissible à une autre promotion, étant donné qu'il n'avait pas trois ans d'ancienneté dans son grade, comme l'exigeait l'OAFC 49-4. Son score RAR, qui était de 6,7 en 1982, s'établissait à 8,0 en 1983. Les évaluations narratives contenues dans les deux documents indiquaient qu'il deviendrait, avec l'expérience, un très bon candidat à une promotion au grade immédiatement supérieur.

[52] En 1984, M. Morris répondait à l'exigence des trois ans; toutefois, comme il n'avait pas encore été admis au cours NQ7, il ne répondait pas à l'une des exigences préalables essentielles pour être promu. Il appert que le choix des MR inscrits à ce cours ait été fondé sur le rendement au cours des années précédentes. Les RAR de M. Morris entre 1984 et 1986 étaient relativement cohérents. Ses scores RAR de 7,1 de 1984 et 1985 s'inscrivaient dans la catégorie Moyen; toutefois, le score de 7,9 enregistré en 1986 tombait dans la catégorie Supérieur. En 1984, la recommandation du commandant indiquait que M. Morris était convenable à être promu; cette recommandation se situait un cran en dessous de la meilleure recommandation possible, soit hautement convenable. L'année suivante, il a baissé d'un cran (pourrait devenir convenable») mais a été à nouveau considéré convenable en 1986. De 1984 à 1986, il s'est classé à l'échelle nationale entre les 72e et 76e rangs sur la liste régimentaire de promotions au mérite.

[53] En 1986, les rangs selon le grade et le CGPM au sein de l'unité ont été inscrits pour la première fois sur les RAR. M. Morris s'était classé au 6e rang sur 23 pour ce qui est du grade et au 5e rang sur 19 en ce qui a trait au CGPM. L'évaluation narrative de son RAR pour cette année-là indiquait qu'il s'agissait d'un très bon rapport. Ce commentaire a également été repris dans le RAR de 1987; M. Morris s'est classé cette année-là au 5e rang sur 24 pour ce qui est du grade et au 3e rang sur 20 en ce qui touche le CGPM. Son score RAR est passé à 8,3 (supérieur, encore une fois) et le commandant a à nouveau indiqué qu'il était convenable à être promu. Le commandant a précisé dans l'évaluation narrative que M. Morris pourrait exercer sans difficulté les fonctions de sergent-major de compagnie (poste habituellement comblé par un adjudant-maître) et a recommandé qu'il soit promu au plus tôt au grade d'adjudant-maître. Plus tard cette année-là, le conseil régimentaire de promotion au mérite l'a classé 43e sur 84 adjudants à l'échelle nationale.

[54] En juillet 1987, soit à peu près à l'époque de l'établissement du RAR pour cette année-là, M. Morris a obtenu une affectation hors régiment -- au Lincoln and Welland Regiment, à St. Catharines. Lorsque son premier RAR dans le cadre de cette nouvelle affectation a été arrêté de façon définitive en juin 1988, son score RAR avait légèrement diminué, s'établissant à 8,1. Cependant, la recommandation du commandant précisait alors qu'il était très apte à être promu. Le commandant a ajouté que M. Morris était [Traduction] hautement recommandé pour le cours [NQ7] et l'octroi d'une promotion plus rapidement qu'à ses pairs.

[55] Comme l'unité de M. Morris n'était plus un bataillon, on l'a alors comparé aux autres militaires faisant partie du personnel de soutien de la force régulière auprès de la Réserve, dans son Secteur. M. Morris s'est classé au 4e rang sur 43 pour ce qui est du grade et au 2e rang sur 19 en ce qui concerne le CGPM. Après l'évaluation du conseil régimentaire de promotion au mérite plus tard cette année-là, il s'est retrouvé au 20e rang sur 85 adjudants à l'échelle nationale.

[56] En 1989, son score RAR est demeuré le même (8,1). Fait étonnant, toutefois, son surveillant a ajouté, entre autres commentaires :

[Traduction]

Le rendement de l'adjuc Morris durant la période visée a été excellent. Pour sa part, le commandant avait fait, entre autres, l'observation suivante :

[Traduction]

Il fera un excellent adjudant-maître et est prêt à être promu maintenant. Le commandant avait également affirmé que M. Morris avait une aptitude élevée pour être promu. Il semble que cette année-là les RAR des membres de la force régulière de soutien n'indiquaient pas le rang par rapport à l'ensemble du Secteur du Centre, mais plutôt en fonction du lieu d'affectation. M. Morris s'est alors classé au 1er rang sur 5 pour le grade et au 1er rang sur 2 pour le CGPM. À l'échelle nationale, il venait au 17e rang sur 99 adjudants évalués par le conseil régimentaire de promotion au mérite.

[57] Il semble qu'à cause de l'amélioration de son rendement, M. Morris ait été désigné pour suivre le cours NQ7 de janvier 1990, qu'il a terminé avec succès le 9 février 1990. Bien qu'il ait réussi le cours, il faisait partie du dernier tiers de sa classe de 28 étudiants. L'officier de révision a indiqué que M. Morris devrait chercher à élargir ses connaissances sur le plan tactique, mais qu'il était tout à fait capable d'assumer des fonctions et responsabilités de [sergent-major de compagnie].

[58] Dans son RAR de 1990, M. Morris a été à nouveau jugé aptitude élevée à être promu et [Traduction] plus que capable d'occuper le grade d'[adjudant-maître]. Son score RAR s'établissait à 8,4, ce qui le situait juste en deça de la fourchette correspondant à la cote Hors pair. Cependant, il était précisé dans l'évaluation narrative que son rendement était très bon; cette mention semble tout à fait incompatible avec son classement dans le Secteur du Centre (Milice) - 2e sur 39 adjudants et 2e sur 18 pour ce qui est du CGPM. Cependant, son surveillant a fait remarquer qu'il avait affiché un rendement supérieur pendant les deux mois où il avait agi comme sergent-major de compagnie intérimaire. À l'échelle nationale, M. Morris s'est hissé au 14e rang sur 103 candidats dans la liste régimentaire de promotions au mérite.

[59] Le RAR de 1991 comportait des anomalies similaires. M. Morris s'était classé, dans le Secteur du Centre, au 1er rang sur 46 pour ce qui est du grade et au 1er rang sur 19 en ce qui touche le CGPM. Cependant, son score RAR (8,3) était encore en deça de la fourchette de la catégorie Hors pair, et son surveillant a écrit que son rendement était très bon. Fait encore plus étonnant, même si le commandant avait écrit dans son évaluation narrative qu'il était [Traduction] hautement recommandé pour l'octroi d'une promotion maintenant, on avait coché apte à être promu plutôt que aptitude élevée. Le conseil régimentaire de promotion au mérite a révisé légèrement à la baisse son rang à l'échelle nationale (23e sur 103).

[60] Dans le RAR de 1992 de M. Morris, c'est l'évaluation narrative qui attire l'attention. Le commandant a affirmé qu'il a été l'un des [Traduction] adjudants qui ont travaillé le plus fort et qui ont été le plus consciencieux dans le district et a vivement recommandé l'octroi d'une promotion. Son surveillant a écrit que son rendement durant la période avait été Hors pair. Pourtant, son score RAR avait à nouveau baissé d'un point de décimale et s'établissait à 8,2. Son RAR de cette année-là ne mentionnait pas non plus son rang par rapport à ses collègues du Secteur du Centre; il précisait plutôt son rang par rapport aux militaires, relativement peu nombreux, de son lieu d'affectation. Il s'était classé au 1er rang sur 3 pour ce qui est du CGPM (les comparaisons avec les militaires du même grade avaient cessé cette année-là). À l'échelle nationale, son rang est demeuré le même (23e sur 102).

[61] En 1993, M. Morris a obtenu le meilleur score RAR de sa carrière d'adjudant, soit 8,6, ce qui le mettait dans la catégorie Hors pair. L'évaluation narrative était conforme à ce score; on y indiquait que son rendement et son soutien étaient exceptionnels et qu'il était [Traduction] indéniablement capable d'occuper le grade d'[adjudant-maître]. Cette année-là, le formulaire RAR révisé ne décrivait plus l'aptitude du militaire à être promu, mais plutôt ses qualités de chef et de surveillant qui, dans le cas de M. Morris, ont été qualifiées de supérieur -- la meilleure cote possible. Il s'est à nouveau classé 1er sur 3 pour ce qui est du CGPM; à l'échelle nationale, le conseil régimentaire l'a classé 16e sur 91.

[62] Le RAR de 1994 a été le dernier à être produit durant l'affectation de M. Morris au Lincoln and Welland Regiment à St. Catharines. Son score RAR est tombé en deça de la fourchette de la catégorie Hors pair, s'établissant à 8,4. Il a été décrit comme un [Traduction] [adjudant] principal de calibre supérieur et très compétent qui était [Traduction] hautement recommandé pour l'octroi d'une promotion au grade d'[adjudant-maître] maintenant. Ses qualités de chef et de surveillant ont à nouveau été qualifiées de supérieur. Au sein de son GPM, il était 2e sur 6 à l'échelle locale et 27e sur 136 à l'échelle nationale.

[63] Le 30 juillet 1994, M. Morris a été affecté au détachement de l'Ontario de l'École de combat du RCR, à Hamilton. Son premier RAR à ce lieu d'affectation a été établi en juillet 1995, alors qu'il avait 51 ans. Son score RAR a considérablement diminué, passant à 7,4 (extrémité supérieure de la fourchette) de la catégorie Moyen. Le commandant a fait remarquer que son rendement était supérieur à la moyenne, mais qu'il avait un potentiel moyen. Ses qualités de chef et de surveillant étaient considérées normales. Son rang au sein de son GPM n'a pas été indiqué; toutefois, l'évaluation narrative précisait qu'il faisait partie du troisième tiers parmi les 19 adjudants du détachement d'Hamilton. À l'échelle nationale, il venait au 51e rang sur 136.

[64] À compter de 1996, les RAR n'indiquent plus de score RAR numérique. Des observations semblables à celles figurant dans le RAR de 1995 se retrouvent dans le RAR de 1996, qui fait référence, entre autres, à son potentiel moyen. Il se classe à nouveau dans le troisième quart parmi les 19 adjudants affectés à Hamilton. Son rang à l'échelle nationale n'est pas indiqué; on peut présumer que M. Morris faisait partie de la deuxième moitié des candidats évalués par le conseil.

[65] Le rapport de 1997 de M. Morris indique à nouveau un rendement normal ou moyen. En 1998, son RAR définitif présente une légère amélioration, son rendement ayant été jugé supérieur.

III. LE DROIT

[66] M. Morris allègue que l'intimée a exercé à son endroit une discrimination en lui refusant une promotion en raison de son âge, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), qui se lit comme suit :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

Selon l'article 3 de la LCDP, l'âge est un des motifs de distinction illicite.

[67] Il incombe au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination (4). Dans O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. (5), la Cour suprême du Canada explique que la preuve prima facie dans ce contexte est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.

[68] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée d'expliquer qu'un motif raisonnable justifiait le comportement discriminatoire. Si la partie intimée fournit une telle explication, il appartient à la partie plaignante de démontrer que celle-ci n'était qu'un prétexte et que les actes posés par l'employeur étaient motivés, en fait, par des considérations discriminatoires (6).

[69] Pour faire droit à une plainte, il n'est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont motivé la décision de l'employeur (7). En matière de discrimination, la norme de preuve est celle qui s'applique aux procédures civiles, soit celle de la prépondérance des probabilités.

[70] Dans Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (8), le Tribunal canadien des droits de la personne a fait l'observation suivante :

La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement.

Le tribunal devrait donc examiner toutes les circonstances pour déterminer s'il existe de subtiles odeurs de discrimination, pour reprendre les termes utilisés dans Basi.

[71] Dans son ouvrage Proving Discrimination in Canada (9), Beatrice Vizkelety résume en ces termes le critère qui s'applique lorsqu'une preuve circonstancielle est présentée :

[Traduction]

Le critère qu'il convient d'appliquer dans les cas où une preuve circonstancielle est présentée et qui devrait être conforme avec cette norme [de la prépondérance de la preuve], peut donc être formulé comme suit : on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

[72] Dans Shakes c. Rex Pax Ltd. (10), on a statué que, dans le cas d'une plainte de discrimination concernant un concours de recrutement, il faut, pour établir une preuve prima facie, prouver :

· que le plaignant était compétent pour l'emploi convoité;

· que le plaignant n'a pas été embauché;

· que le poste a été attribué à une personne qui n'était pas plus compétente, mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans la plainte en matière de droits de la personne.

Dans Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne (11), ce critère multiple a été modifié par le Tribunal canadien de la personne pour tenir compte des cas où le plaignant n'est pas embauché et où l'intimé continue de chercher un candidat compétent.

[73] On a soutenu que bien qu'ils soient utiles, ces critères ne permettent pas nécessairement de dégager comme il se doit les éléments de preuve prima facie propres à chaque plainte en matière d'emploi (12). Dans Singh c. Statistique Canada (13), le Tribunal canadien des droits de la personne énonce la conclusion suivante :

Dans l'optique du tribunal, les critères des deux arrêts Shakes et Israeli servent de guides utiles et seront appliqués directement dans de nombreuses affaires liées aux plaintes en matière d'embauche ou de promotion. Ni l'un ni l'autre de ces critères ne devraient, toutefois, être automatiquement appliqués d'une manière rigide ou arbitraire à toute plainte en matière d'embauche ou de promotion : il faudrait plutôt que les circonstances de chaque cas soient étudiées afin de déterminer si l'application de l'un ou l'autre de ces critères, en totalité ou en partie, est appropriée. En dernier ressort, la question de savoir si le plaignant a rempli les critères de l'arrêt O'Malley, c'est-à-dire : si elle est acceptée, est-ce que la preuve déposée devant le tribunal est complète et suffisante pour justifier une décision en faveur du plaignant en l'absence d'une réponse de l'intimée?

[74] La présente plainte n'est pas exactement conforme aux faits qui composaient le scénario dans Shakes ou Israeli. Dans le cas de M. Morris, le problème réside non pas dans le fait qu'il n'a pas été embauché, mais plutôt dans le fait qu'il n'a pas été promu. De plus, les promotions n'étaient pas le résultat d'une évaluation individuelle; elles étaient plutôt accordées en fonction d'une liste de promotions au mérite constituée annuellement en appliquant une procédure relativement complexe. Néanmoins, il existe certaines similitudes, particulièrement par rapport aux circonstances de l'affaire Shakes; en effet, bien que M. Morris n'ait pas été promu, les faits révèlent que, dans chacune des années de la période en cause, au moins un adjudant du RCR a été promu au grade d'adjudant-maître, et qu'en 1993, au moins 16 adjudants ont obtenu une telle promotion.

[75] Il n'est pas nécessaire de déterminer si ces adjudants étaient, en fait, compétents ou peut-être du même âge que M. Morris pour établir une preuve prima facie. Comme le tribunal l'a souligné dans Chander c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (14), une preuve prima facie a été établie si la preuve démontre que la discrimination est un élément qui a joué dans le refus d'offrir un emploi au plaignant, peu importe les compétences et caractéristiques de l'autre candidat, auquel cas il appartient à l'intimé de fournir une explication.

IV. ANALYSE

A. Preuve de discrimination de la Commission

[76] La Commission allègue que nous sommes en l'espèce en présence d'une preuve à la fois directe et circonstancielle que l'âge a joué dans le fait que M. Morris n'a pas été promu par l'intimée au grade d'adjudant-maître.

i) Preuve directe de discrimination

a) Conversation de M. Morris avec le gestionnaire de carrières Ginn

[77] M. Morris a dit avoir rencontré en février 1994 l'adjuc Ginn, qui avait été affecté au QGDN à titre de gestionnaire de carrières du RCR plusieurs mois auparavant. Comme c'est souvent le cas lorsqu'un MR rencontre le gestionnaire de carrières, M. Morris voulait savoir quels avaient été ses scores RAR et ses rangs sur les listes nationales de promotions au mérite au cours des années précédentes.

[78] Après avoir fourni cette information, l'adjuc Ginn a dit à M. Morris qu'il songeait à l'affecter ailleurs pour le [Traduction] forcer à prendre une décision. Selon M. Morris, cela voulait dire qu'il devait prendre la décision de quitter les Forces canadiennes. L'adjuc Ginn a ensuite fait remarquer que le plaignant faisait partie du Lincoln and Welland Regiment depuis trop longtemps et qu'il devait être affecté ailleurs afin de permettre [Traduction] son remplacement par des adjudants plus jeunes afin de favoriser leur avancement.

[79] M. Morris a répondu que c'était le gestionnaire de carrières précédent, l'adjuc Don Riley, qui avait décidé qu'il devrait rester à son poste. Comme l'a confirmé l'adjuc Riley dans une lettre écrite en 1997, il avait décidé de laisser M. Morris à St. Catharines pour plusieurs raisons, notamment parce que le dernier poste de M. Morris au sein du 1 RCR à London, celui de sergent quartier-maître de la Compagnie d'administration, était le poste d'adjudant le plus élevé au sein du bataillon. L'adjuc Riley jugeait qu'une réaffectation de M. Morris à ce stade de sa carrière n'aurait pas aidé sa cause pour l'obtention d'une promotion.

[80] Malgré cette explication, l'adjuc Ginn a répété que M. Morris était à son poste depuis trop longtemps et qu'il serait réaffecté afin de céder la place à de plus jeunes adjudants. M. Morris a affirmé que le gestionnaire de carrières avait également mentionné qu'il ne serait pas réaffecté au bataillon à London [Traduction] en raison principalement de [son] âge.

[81] L'élément le plus révélateur a été l'explication de l'adjuc Ginn quant aux raisons pour lesquelles M. Morris n'avait pas été promu. Le gestionnaire de carrières a indiqué que même si M. Morris avait obtenu un score élevé pour ce qui est du rendement, le principal élément était le potentiel, compte tenu particulièrement de son âge et du fait qu'il n'était pas bilingue. Il a confié au plaignant qu'à compter de ce moment-là, son potentiel irait en diminuant chaque année. Ils ont ensuite discuté d'autres questions avant de se quitter. En juillet 1994, conformément à ce que le gestionnaire de carrières lui avait dit lors de sa rencontre avec lui, M. Morris a été réaffecté à l'École de combat, à Hamilton.

[82] L'intimée a cité comme témoin en l'espèce l'adjuc Ginn, qui a dit ne pas se souvenir de la conversation décrite par M. Morris. Il a expliqué qu'il rencontrait habituellement environ mille MR par année à titre de gestionnaire de carrières. Il n'y avait donc rien d'étonnant selon lui que M. Morris ait un souvenir plus précis que lui de la rencontre.

[83] J'accepte volontiers la version de M. Morris quant à la conversation qui a eu lieu. De toute évidence, en tant que personne directement concernée, il avait toutes les raisons de prendre note de tout ce qui était dit. Cependant, nous devons encore déterminer si les observations du gestionnaire de carrières constituent une preuve directe que M. Morris n'a pas été promu en raison de son âge au grade d'adjudant-maître.

[84] La preuve démontre clairement que les promotions étaient faites en fonction des listes régimentaires annuelles de promotions au mérite. Avant qu'il ait réussi le cours NQ7 en février 1990, M. Morris ne pouvait être promu à partir de ces listes. Le conseil régimentaire de promotion au mérite s'est réuni à trois reprises entre ce moment-là et la date où l'adjuc Ginn a été nommé gestionnaire de carrières. Avant la réunion du conseil à l'automne de 1994, l'adjuc Ginn n'a donc rien eu à voir avec le classement de M. Morris sur les listes de promotions. De plus, la participation de l'adjuc Ginn aux réunions du conseil régimentaire de promotion au mérite entre 1994 et 1996 s'est limitée à conseiller les membres au sujet du processus; bien que cela peut avoir influé sur la prise des décisions, ce n'est pas lui qui en fin de compte attribuait les scores, mais bien la douzaine de membres du conseil. À compter de 1997, l'adjuc Ginn a effectivement siégé comme membre du conseil, mais il était un parmi plusieurs. Il n'existe aucune preuve directe que sa présumée attitude partiale à l'égard des candidats âgés était partagée par d'autres membres qui siégeaient avec lui au conseil ou même par des individus qui y avaient siégé avant sa participation active en 1997.

[85] Pour ces raisons, le souvenir qu'a eu M. Morris de sa conversation avec l'adjuc Ginn ne constitue pas à mon avis une preuve directe de discrimination fondée sur l'âge. Toutefois, il peut certes représenter un des éléments permettant d'établir qu'il s'agit d'un cas de discrimination prima facie reposant sur une preuve circonstancielle.

b) Directives données par l'adjuc Ginn au conseil régimentaire de promotion au mérite

[86] Les avocats de la Commission ont attiré mon attention sur la déclaration faite par l'adjuc Ginn lors de son témoignage, selon laquelle il considérait le temps qu'il restait dans la carrière du candidat comme un aspect de l'employabilité dont le conseil régimentaire de promotion au mérite devait tenir compte lorsqu'il décidait du score à attribuer pour le potentiel. Cette question rejoignait la question à savoir s'il serait logique financièrement pour les Forces canadiennes de promouvoir quelqu'un qui allait vraisemblablement prendre sa retraite dans un délai relativement court. La Commission a indiqué que l'opinion de l'adjuc Ginn, examinée dans le contexte du rôle et de l'influence du gestionnaire de carrières dans la démarche du conseil, est une preuve claire et directe que le plaignant a fait l'objet de discrimination.

[87] Cependant, pour les mêmes motifs que ceux invoqués ci-dessus, j'estime que le rôle joué par l'adjuc Ginn dans le processus n'était pas suffisamment important pour créer un lien entre ses opinions et le classement sur les listes. Cependant, je réitère que cela peut toutefois constituer un des éléments d'un cas de discrimination prima facie reposant sur une preuve circonstancielle.

c) Preuve empirique présentée par M. Hobbins et le major Guitard

[88] Le capitaine Gary Guitard a servi avec M. Morris au sein du 1er Bataillon du RCR à London. À compter de 1992, il a été le surveillant de M. Morris au sein du Lincoln and Welland Regiment. M. David Hobbins a travaillé pour le compte de l'intimée dans la Force régulière pendant vingt ans, soit de 1980 à 2000; au moment de son départ à la retraite, il était adjudant. L'un et l'autre a été appelé à témoigner par la Commission. Au moment de l'audience, M. Hobbins faisait partie de la Niagara Regional Police, où il travaillait sous la surveillance de M. Morris.

[89] Le major Guitard et M. Hobbins ont tous deux affirmé que l'âge était un élément dont tenaient compte les conseils de promotion constitués au niveau de l'unité ou à des niveaux inférieurs. M. Hobbins se souvient d'un cas particulier où les autres membres du conseil lui ont dit que le caporal de 34 ans qu'il avait évalué favorablement devrait être classé moins bien qu'un autre caporal âgé de seulement 22 ans parce que ce dernier [Traduction] avait plus de potentiel.

[90] Le major Guitard a également affirmé qu'il s'était parfois senti obligé de reclasser un militaire qu'il avait classé premier et qui n'avait pas obtenu de promotion depuis plusieurs années, parce qu'il empêchait les jeunes militaires d'obtenir de l'avancement du fait qu'il était encore là.

[91] La Commission a soutenu que ces expériences représentaient une preuve directe de discrimination fondée sur l'âge. Cependant, je ne vois pas comment ces souvenirs prouvent directement que M. Morris a été victime de discrimination.

ii) Preuve circonstancielle de discrimination

[92] Les faits qui, au dire de la Commission, constituent un cas de discrimination prima facie reposant sur une preuve circonstancielle peuvent être répartis en deux catégories : ceux qui ont trait directement à la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite et ceux qui n'ont pas rapport à cette démarche à proprement parler.

a) Preuve n'ayant pas trait à la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite

1. Preuve empirique

[93] Selon M. Morris, il était entendu dans les Forces canadiennes que l'adjudant qui venait de terminer son NQ7 obtiendrait incessamment une promotion au grade d'adjudant-maître. Les adjudants ne pouvaient pas tous suivre le cours. Seuls ceux qui faisaient l'objet d'une recommandation en ce sens en raison de leur rendement y participaient.

[94] Après avoir fait partie de la Force régulière de 1972 à 1992, le major Gary Guitard a joint la Réserve. Il a affirmé qu'il connaissait au moins une centaine d'adjudants qui avaient terminé le cours NQ7 et que M. Morris était le seul d'entre eux qui n'avait pas été promu peu de temps après.

[95] Les témoins de l'intimée ont été appelés à commenter cette preuve. Le capt Sean Ahern, qui s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1983, a dit connaître deux ou trois personnes qui avaient suivi le cours deux ans avant son témoignage et qui n'avaient pas encore été promues. Toutefois, rien n'empêche que ces personnes soient éventuellement promues puisqu'on a présenté des éléments de preuve démontrant que certains adjudants ont dû attendre jusqu'à quatre ans après avoir suivi le cours pour obtenir leur promotion. Par conséquent, le témoignage du capt Ahern ne contredit pas vraiment celui du major Guitard.

[96] Les témoignages des autres témoins de l'intimée à cet égard n'étaient pas suffisamment détaillés. L'adjuc Ginn a déclaré qu'il connaissait un certain nombre d'adjudants qui n'avaient pas obtenu de promotion après avoir suivi le cours, et le lcol Zuwerkalow a affirmé qu'il en connaissait plus d'un. Étant donné que ces officiers ont vraisemblablement connu des centaines d'adjudants durant leur carrière dans les Forces canadiennes, cette preuve démontre qu'il était pour le moins exceptionnel qu'un adjudant ne soit pas promu après avoir terminé le cours NQ7.

2. Affectations hors régiment

[97] De l'avis de la Commission, les militaires âgés sont plus susceptibles d'obtenir des affectations hors régiment du fait qu'ils ont vraisemblablement accompli toutes les tâches possibles au sein de leur bataillon au fil des années. M. Morris a indiqué que c'est la raison que son gestionnaire de carrières à l'époque, l'adjudant-maître Douglas, lui avait fournie à l'occasion de sa mutation de London au Lincoln and Welland Regiment. On a soutenu que ces militaires qui sont loin de leur bataillon sont moins susceptibles d'être vus par les membres des conseils régimentaires de promotion au mérite et que, par conséquent, les jeunes adjudants qui demeurent au sein de l'unité obtiennent des évaluations au mérite plus favorables.

[98] Toutefois, cet argument ne tient pas compte du fait que seulement deux militaires de chaque bataillon, qui travaillent en équipe, siègent habituellement au conseil. Les autres membres proviennent d'autres bataillons ou unités. Même en supposant que ces deux membres connaissent personnellement un certain candidat et son rendement, la preuve n'a pas démontré qu'ils auraient pu influencer le score attribué par les autres membres du conseil s'ils avaient voulu lui accorder un traitement préférentiel. En conséquence, cet argument n'est pas à mon avis étayé par la preuve.

3. Affectation à l'École de combat

[99] M. Morris a affirmé qu'un autre adjudant (M. S.) avait été muté en même temps que lui à l'École de combat en 1994. D'après M. Morris, cet adjudant était âgé d'environ 39 ans à l'époque; il avait donc environ huit ans de moins que lui. M. S. exécutait les mêmes tâches que M. Morris à l'École de combat. Au moment du premier RAR qui a suivi les mutations, M. Morris a obtenu un score RAR de 7,4 et s'est classé dans le troisième quart parmi les 19 adjudants du district, tandis que M. S. s'est classé premier.

[100] Lorsque M. Morris a demandé pourquoi il avait obtenu un si mauvais score cette année-là (son score RAR avait été de 8,4 l'année précédente, ce qui lui donnait le 2e rang sur 6), les officiers (que M. Morris n'a pas nommés) lui ont indiqué qu'il s'agissait de son premier RAR au sein de sa nouvelle unité et qu'il était normal dans les circonstances qu'il obtienne un moins bon score. M. Morris soutient que si tel est le cas, M. S. n'aurait pas dû être classé premier, étant donné qu'ils étaient tous les deux à peu près dans la même situation. En contre-interrogatoire, M. Morris a admis qu'il était possible que M. S. ait tout simplement affiché un rendement exceptionnel et ait mérité un rang aussi élevé.

[101] Néanmoins, selon M. Morris, cette explication était peu plausible, étant donné que M. S. était à l'École de combat depuis peu lorsqu'il a obtenu le score élevé, et compte tenu de l'explication voulant qu'il soit normal qu'un militaire nouvellement affecté obtienne un score peu élevé. Par conséquent, M. Morris et la Commission ont soutenu que la seule explication plausible du score élevé de M. S. est le fait qu'il était beaucoup plus jeune et que l'intimée cherchait à favoriser l'avancement des jeunes militaires.

[102] Cependant, on n'a présenté aucun élément de preuve indiquant si d'autres adjudants avaient été récemment mutés à l'École de combat et, le cas échéant, l'âge qu'ils avaient et les scores qu'ils ont obtenus. En l'absence de cette information, la seule preuve disponible se limite à la comparaison entre deux personnes dont il est fait état ci-dessus. À mon avis, cette preuve est insuffisante pour nous amener à conclure que l'âge a été un élément dont on a tenu compte dans l'établissement des RAR de M. Morris à l'École de combat.

b) Preuve liée directement à la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite

1. Connaissance par le conseil de l'âge des candidats

[103] On ne fournissait pas au conseil régimentaire de promotion au mérite les dates de naissance des militaires du rang à évaluer. Cependant, il est évident que les membres du conseil pouvaient facilement déterminer leur âge approximatif à partir des autres renseignements contenus dans les dossiers RAR.

[104] Par exemple, avant 1996, la date d'enrôlement dans les Forces canadiennes et la date d'ancienneté (c.-à-d., la date de promotion au grade qu'il détenait) étaient fournies. Le conseil pouvait en tout temps déterminer à quelle date le militaire avait obtenu sa première affectation et si sa période de service avait été prorogée indéfiniment après le vingtième anniversaire de son enrôlement. Enfin, comme le dossier RAR renfermait tous les RAR du militaire depuis son enrôlement dans les Forces canadiennes, on peut présumer qu'il était facile de déterminer le nombre d'années de service en examinant simplement l'épaisseur du dossier. Dans son témoignage, M. Morris a affirmé que s'il en juge par ses nombreuses années d'expérience dans l'entraînement des recrues, l'âge moyen des jeunes qui s'enrôlent dans les Forces canadiennes à titre de militaire du rang est d'environ 19 ans. L'intimée n'a présenté aucune preuve contredisant cette conclusion; en fait, lorsqu'elle a présenté certaines de ses propres données, l'intimée a essentiellement abondé dans le même sens, présumant que la plupart des recrues qui s'enrôlent dans l'armée ont à peu près cet âge.

[105] Par conséquent, je conclus que même si l'âge du candidat à évaluer n'était pas expressément révélé, les membres du conseil régimentaire pouvaient facilement le déterminer.

2. Guide des conseils de promotion au mérite des militaires du rang

[106] La Commission soutient que les guides établis par l'intimée et remis aux membres du conseil régimentaire de promotion au mérite révèlent que l'âge était un élément dont on tenait compte dans le processus de promotion.

[107] Les guides publiés avant 1994 renfermaient la clause suivante, qui faisait référence notamment à l'âge du candidat (15) :

Il est à noter que, pourvu qu'il soit admissible à une promotion en vertu de sa durée de service ou qui'il satisfasse aux critères du POCNO, aucun MR ne peut voir son cas laissé de côté par un conseil de promotion au mérite (à moins qu'il ne fasse l'objet de restrictions professionnelles en relation de grade) pour des raisons d'ordre médical ou personnel, une raison d'âge, parce qu'il a fait une demande de libération volontaire, parce qu'il manque certaines qualifications de GPM ou de grade, parce qu'il fait l'objet d'une mise en garde et surveillance, ou parce qu'il approche de l'âge de la retraite obligatoire. Le motif de cette précision est évident: mis à part l'âge du militaire et l'âge de la retraite obligatoire, les autres facteurs mentionnés peuvent bien n'être que temporaires. Le DACPNO s'assurera qu'aucun MR se sera promu ou ne se verra offrir de nouvelles conditions de service à moins qu'il/elle ne satisfasse à toutes les conditions requises pour une promotion ou une séléction au moment où celle-ci doit entrer en vigueur. (Je souligne.)

[108] L'avocat de l'intimée a indiqué que cette clause était, en fait, une clause de non-discrimination visant à empêcher le conseil de promotion au mérite d'exercer à l'endroit d'un candidat une discrimination fondée sur l'âge dans le processus d'évaluation. Cependant, une lecture attentive du texte révèle que l'on ne dit pas au conseil qu'il ne peut prendre en compte l'âge de l'individu dans son évaluation. On l'informe plutôt que le militaire n'est pas exclu de l'évaluation par le conseil uniquement parce que, par exemple, il est soumis à une restriction médicale ou, élément intéressant en l'espèce, parce qu'il a un certain âge. Je ne vois dans le libellé de cette clause aucune instruction aux membres du conseil interdisant de tenir compte de l'âge de l'individu dans son évaluation.

[109] Les avocats de la Commission ont fait remarquer que si cette clause vise vraiment à empêcher la discrimination, on se serait attendu à ce qu'elle fasse mention de certains des autres motifs considérés généralement comme illicites (p. ex., La déficience, la religion, l'état matrimonial). Elle ne mentionne toutefois aucun motif du genre. La Commission a ajouté que la référence à l'âge dans cette clause permet de conclure que l'intimée a reconnu la tendance ou la prédisposition des membres de son conseil à se montrer réticents à accepter de promouvoir des MR âgés. Afin de pallier cette tendance, l'intimée s'est sentie obligée de donner au conseil la consigne d'évaluer les candidats âgés.

[110] À l'appui de cette conclusion, la Commission cite le commentaire émis en contre-interrogatoire par un témoin de l'intimée, le capt Lee Gibbard, un analyste préposé à l'étude des plaintes (carrières des militaires) au QGDN à Ottawa (16) :

Q. En ce qui concerne la référence à l'âge qui est faite ici, que savez-vous quant aux raisons pour lesquelles on l'a expressément incluse dans ce texte?

R. Je pense qu'il s'agit, somme toute, d'une question de morale. Prenez le cas du militaire âgé de plus de 50 ans. Si c'est un principe bien connu et bien documenté qu'on n'accorde plus d'avancement après l'âge de 50 ans, pourquoi ce militaire resterait-il dans les Forces canadiennes s'il n'a plus la possibilité de se perfectionner ou d'obtenir de l'avancement?

Q. Qu'entendez-vous par bien documenté?

R. Au sein des Forces canadiennes proprement dites. C'est exactement comme le bouche à bouche au sein d'une entreprise. C'est la même chose dans les Forces canadiennes.

Q. Quand vous dites bien documenté, que voulez-vous dire?

R. En fait, principe bien connu mais non écrit serait plus juste que principe bien documenté.

Q. Voulez-vous me dire, Monsieur, qu'on estimait à un moment donné, que vous ne pouviez obtenir de promotion si vous aviez 50 ans?

R. Non, pas à ce que je sache.

(Je souligne.)

La Commission soutient que les premières réponses du capt Gibbard démontrent qu'il est possible qu'on ait fait référence à l'âge dans la clause en question à cause de la perception au sein des Forces canadiennes voulant que les MR âgés ne puissent obtenir de promotion pour cette raison, bien qu'il ait par la suite nié être conscient de l'existence d'une telle perception. Je constate que le capt Gibbard est membre des Forces canadiennes depuis 1973, même si sa période de service a été brièvement interrompue pendant environ trois ans. Il a été le principal représentant de l'intimée dans la présente cause; à ce titre, il a assisté à toutes les audiences de ce Tribunal.

[111] Dans le guide de 1994, la clause en question a été reprise presque intégralement. Toutefois, elle comportait une modification très importante : la référence à l'âge avait été supprimée. Le capt Gibbard a émis l'hypothèse que cette omission était peut-être attribuable à une erreur administrative, laissant entendre, somme toute, qu'on avait oublié de dactylographier ce mot dans le nouveau texte. Cependant, je note que la section a également été remaniée afin de clarifier la référence à l'âge de retraite obligatoire, par l'ajout de la phrase suivante :

[Traduction]

Le conseil de promotion au mérite doit se pencher sur les dossiers des militaires qui en sont à leur dernière année de service avant l'[âge de la retraite obligatoire] et qui sont admissibles à tous autres égards.

Cette clause ne semble pas avoir été copiée mécaniquement à partir d'une version antérieure du guide. Elle semble plutôt avoir été modifiée après réflexion. En outre, dans les versions subséquentes de 1995 et 1996, d'autres retouches ont été apportées sans qu'on ait réinséré pour autant la référence à l'âge.

[112] On trouve la première déclaration typique de non-discrimination dans le rapport que le conseil a produit en 1996, après avoir établi la liste de promotions au mérite pour cette année-là (pièce R-23). Décrivant brièvement la nature de ses activités, le conseil affirme qu'à aucun moment dans ses délibérations un membre n'avait tenu compte de la race, de l'origine nationale ou ethnique, de la couleur, de la religion, de l'âge, du sexe, de l'état matrimonial, de la situation de famille, de la déficience ou de l'état de personne graciée dans l'évaluation du rendement ou du mérite des militaires évalués.

[113] De façon générale, la Commission soutient que la référence initiale à l'âge dans la clause prouve que l'intimée avait reconnu qu'il existait un problème en ce qui concerne les MR âgés et l'influence de ce facteur sur leurs possibilités d'avancement. La Commission soupçonne que l'intimée a constaté en 1994 que la clause, telle que rédigée, permettait de conclure, comme le capt Gibbard l'a indiqué, qu'il existait dans les Forces canadiennes une perception voulant que les militaires âgés ne puissent obtenir de promotion. C'est pour cette raison que la référence à l'âge a été supprimée dans le texte.

[114] À mon avis, cette interprétation des faits présentée par la Commission est plus plausible que celle fournie par l'intimée et étaye, par conséquent, l'inférence que l'opinion voulant que les militaires âgés ne puissent obtenir de promotion était largement répandue dans les Forces canadiennes.

3. Preuve statistique

[115] On a soutenu qu'une preuve statistique portant sur des problèmes systémiques dans un milieu de travail peut être produite à titre de preuve circonstancielle permettant de déduire qu'il y a probablement eu discrimination dans un cas particulier (17). Cependant, cette preuve doit avoir un lien direct avec les incidents particuliers qui font l'objet de la plainte en matière de droits de la personne (18).

[116] La Commission a présenté certaines statistiques au sujet des promotions du grade d'adjudant à celui d'adjudant-maître. M. Morris a obtenu ces données auprès de l'intimée en 1997 dans le cadre d'une demande d'accès à l'information. Par conséquent, les données ne portent que sur les militaires qui n'avaient pas encore pris leur retraite et qui faisaient encore partie des Forces canadiennes en 1997. L'âge des militaires n'est pas précisé; toutefois, tel que mentionné ci-haut, il semble que la plupart des militaires s'enrôlent dans les Forces canadiennes vers l'âge de 19 ans. Les dates d'enrôlement étant indiquées, la Commission a déterminé l'âge des militaires à partir de ce renseignement.

[117] Parmi les neuf adjudants du RCR ayant suivi le cours NQ7 en 1990 en même temps que M. Morris, cinq avaient quitté les Forces canadiennes en 1997. Les quatre autres avaient été promus au grade d'adjudant-maître dans les neuf à 28 mois ayant suivi la fin du cours. Trois d'entre eux avaient entre 32 et 36 ans au moment de leur promotion, mais le quatrième avait 44 ans.

[118] En outre, parmi les 39 adjudants-maîtres qui faisaient encore partie du RCR en 1997, 14 avaient au moins 40 ans au moment de leur promotion à ce grade; toutefois, neuf d'entre eux avaient entre 40 et 42 ans à ce moment-là. Quatre des cinq autres avaient entre 43 et 45 ans lorsqu'ils ont été promus et le cinquième avait 47 ans. Aucun des 39 n'avait plus de 44 ans au moment de la réussite du cours NQ7 et aucun militaire âgé de plus de 47 ans n'avait été promu. Selon la Commission, toutes ces données constituent une preuve circonstancielle que l'âge est un élément qui a joué dans les pratiques de l'intimée en matière d'avancement.

[119] L'intimée a répliqué que la taille de l'échantillon étudié, et plus particulièrement le groupe de cinq personnes ayant suivi le cours NQ7 en même temps que M. Morris, sont trop restreints pour permettre de tirer des conclusions et que tout écart entre les groupes d'âge peut être attribuable simplement à des variations aléatoires (19). En revanche, dans des affaires comme Blake c. Mimico Correctional Institute (20) et Singh (21), où l'on a tenu compte des statistiques sur l'emploi dans l'évaluation de la preuve circonstancielle de discrimination, les données portaient sur des centaines d'individus. Par ailleurs, lorsqu'une étude porte sur un groupe restreint, les statisticiens soumettent régulièrement leurs conclusions à des tests statistiques afin de déterminer si les écarts dans les résultats sont statistiquement significatifs (22). Aucun test de ce genre n'a été effectué en l'occurrence.

[120] Je conviens que les personnes ayant suivi le cours NQ7 avec M. Morris constituent un échantillon trop restreint pour permettre de tirer des conclusions fiables. À mon avis, l'ensemble plus ample de données pose des difficultés similaires. De plus, il faut faire preuve de circonspection lorsqu'on tire des conclusions à partir du fait que seulement cinq (13 %) des 39 adjudants-maîtres avaient plus de 42 ans au moment de leur nomination. Nous ne savons tout simplement pas combien -- en supposant qu'il y en ait -- d'adjudants faisant partie de ce groupe d'âge étaient disponibles et aptes à être promus. Il est possible que le pourcentage des adjudants disponibles qui étaient aptes à être promus et qui avaient plus de 42 ans ait été, en fait, inférieur à 13 %.

[121] Il est possible également que le nombre d'adjudants âgés promus ait été inférieur au nombre de jeunes adjudants promus simplement parce que moins d'adjudants âgés avaient réussi le cours NQ7. L'avocate de l'intimée a indiqué qu'étant donné que ce sont les adjudants les plus performants qui sont admis au cours et le réussissent, ces MR plus compétents sont susceptibles d'être promus assez rapidement et d'accéder au grade d'adjudant-maître avant l'âge de 40 ans. De telles données au sujet des flux respectifs de jeunes adjudants et d'adjudants âgés ayant réussi le NQ7 auraient constitué un fondement plus fiable aux fins de l'analyse (23).

[122] L'absence de données au sujet des adjudants-maîtres qui ont pris leur retraite des Forces canadiennes avant 1997 constitue un autre problème évident dans le cas du vaste ensemble de données.

[123] Pour ces motifs, les données portant sur les 39 adjudants-maîtres ont à mon avis une valeur probatoire limitée. Je suis conscient du fait que M. Morris a obtenu les données en question dans le cadre d'une demande d'accès à l'information et que, par conséquent, seule l'information que l'intimée lui a fournie à la suite de cette demande a été présentée. Cependant, rien n'empêchait la Commission de tenter à tout le moins d'obtenir et de produire l'information supplémentaire manquante.

4. L'âge en tant qu'élément d'évaluation du potentiel

[124] Tel qu'expliqué ci-haut, le potentiel représentait 18 % du score total attribué aux adjudants et était évalué en fonction d'éléments comme les qualités de chef, l'expérience, l'employabilité et le jugement professionnel. On a attribué au cours de certaines années une pondération particulière aux divers éléments; toutefois, de 1991 à 1994, on n'a pas vraiment fourni de ventilation, laissant à chaque évaluateur le soin, semble-t-il, d'évaluer les éléments à sa façon.

[125] La preuve révèle que ces règles n'ont pas été appliquées uniformément. L'adjuc Ginn a soutenu que dans les cas où une valeur particulière était attribuée à un élément, on n'a jamais décerné de score supérieur. Cependant, le lcol Zuwerkalow a déclaré qu'il examinait tous les éléments relatifs au potentiel et attribuait un score global.

[126] En outre, jusqu'en 1996, les éléments pris en considération n'étaient pas définis dans la documentation remise aux membres des conseils, d'où la possibilité que ceux-ci interprètent différemment ces divers éléments. Par exemple, le lcol Zuwerkalow a expliqué qu'il évaluait l'employabilité en fonction des compétences du candidat et de son consentement à accepter une autre affectation. L'adjuc Ginn, tout en convenant que les compétences sont importantes, a ajouté qu'il importait également de déterminer s'il fallait muter le MR pour qu'il soit apte à l'emploi. Le cas échéant, il fallait, a-t-il ajouté, examiner combien de temps il lui restait dans sa carrière et s'il était [Traduction] logique financièrement d'assumer les frais qu'entraînerait sa réinstallation.

[127] Si 80 % du score total était fondé strictement sur le rendement de l'individu et attribué de façon plus ou moins mathématique à partir de ses RAR (et particulièrement des scores RAR), le potentiel représentait l'aspect qui était le plus susceptible de donner lieu à des jugements subjectifs, basés notamment sur des considérations discriminatoires aux termes de la LCDP. Cependant, je ferai à nouveau remarquer que le lcol Zuwerkalow, contredisant en cela l'adjuc Ginn, a affirmé qu'il ne tenait pas compte uniquement des scores RAR lorsqu'il évaluait l'aspect rendement. Par conséquent, l'évaluation du rendement comportait elle aussi un certain élément de subjectivité.

[128] L'intimée a déposé en preuve des copies partielles des listes de promotions au mérite des adjudants (désignées officiellement sous le nom de rapports du conseil de promotion) établies par le conseil régimentaire de promotion au mérite durant la période 1991-1997. Les noms des MR ont été omis par souci de confidentialité; seul celui de M. Morris s'y trouve. Les listes, qui ont été établies en fonction du classement national des militaires, indiquent leurs scores respectifs, ventilés en fonction des trois volets (rendement, potentiel et connaissance de la langue seconde). On constate avec étonnement que, pour la plupart des années, M. Morris a obtenu un score très élevé pour le volet rendement (11e en 1991, 14e en 1992, 9e en 1993 et 12e en 1994). Cependant, son score pour le potentiel était parmi les plus faibles; et, en fait, beaucoup plus faible que ceux de la plupart des autres candidats ayant reçu des scores élevés semblables au chapitre du rendement. En réalité, il a été impossible de déterminer exactement dans quelle mesure M. Morris s'était mal classé pour ce qui est du potentiel, l'intimée ayant décidé de ne pas fournir les pages suivant celles où figurait le nom de M. Morris. Ainsi, bien que M. Morris se soit classé 12e pour le rendement en 1994, son score pour le potentiel a été le plus faible parmi ceux décernés aux 46 candidats figurant sur les deux pages de la liste produite par l'intimée. Il est donc possible que, cette année-là, certains candidats figurant sur les pages subséquentes du rapport aient obtenu un score pour le potentiel plus élevé que celui de M. Morris et que le rang de ce dernier pour le potentiel ait été bien pire que 46e. Cette année-là, M. Morris avait 50 ans.

[129] La Commission a soutenu que les scores extrêmement bas attribués à M. Morris pour le potentiel, comparativement aux scores élevés qu'il a obtenus pour le rendement, donnent à croire que le conseil régimentaire de promotion a exercé à son endroit une discrimination fondée sur l'âge. Cependant, ni l'une ni l'autre des parties n'a fourni de données au sujet de l'âge et du contenu du dossier RAR des adjudants ayant obtenu un meilleur score pour le potentiel. Une telle preuve aurait peut-être démontré que les autres étaient plus jeunes et que le contenu de leur dossier RAR ne différait pas suffisamment de celui de M. Morris pour justifier le score plus faible décerné à celui-ci pour le potentiel. On s'attendrait normalement à ce que la Commission présente des données comparatives de cette nature pour établir sa preuve prima facie (24); toutefois, les avocats de la Commission ont indiqué qu'on pouvait tirer de telles conclusions en faisant une inférence négative à partir de l'omission de l'intimée de produire cette information.

[130] Cependant, à ce stade de l'analyse, il incombe à la Commission d'établir une preuve prima facie. Bien que la preuve présentée par l'intimée renferme certes des éléments de cette démonstration, la Commission ne devrait pas tenter de s'acquitter de sa charge de preuve en faisant une inférence négative fondée sur une preuve que l'intimée n'a pas présentée. La question des inférences négatives pourra certes être soulevée subséquemment, dans le cadre de l'explication ou de la défense de l'intimée, mais elle ne pourra l'être qu'une fois qu'une preuve prima facie aura été établie et que le fardeau de la preuve aura été déplacé.

[131] Par conséquent, mes seules conclusions à ce stade-ci ont trait à l'information restreinte que fournissent les listes de promotions au mérite. Il est certes probable que M. Morris ait été l'un des adjudants les plus âgés évalués chaque année. Ainsi, si l'on examine les statistiques que M. Morris a obtenues grâce à la demande d'accès à l'information dont nous avons fait état ci-haut, il est évident que parmi les 16 premiers adjudants sur la liste de 1992 (qui affichaient tous un score total supérieur à celui de M. Morris), un adjudant (M. W.) avait environ 46 ans et un autre environ 40 ans tandis que les 14 autres étaient dans la trentaine. Cette année-là, M. Morris avait 48 ans. À mon avis, il est plus que probable que la plupart, voire la totalité, des adjudants qui se sont mieux classés que M. Morris au cours de toute la période en question étaient plus jeunes que lui.

[132] Il y a lieu de noter que l'intimée a été en mesure à l'audience de repérer les scores attribués par le conseil en 1991 à M. W. (sans toutefois être absolument certaine qu'il s'agissait des siens), qui était alors âgé de 44 ans. Fait intéressant, bien qu'il se soit classé au 4e rang pour le rendement, il a obtenu le 19e rang pour le potentiel, ce qui corrobore peut-être la prétention de la Commission selon laquelle les candidats âgés obtenaient de plus faibles scores pour le potentiel.

[133] De façon générale, la preuve démontre que M. Morris a obtenu pour le potentiel un score extrêmement bas entre 1991 et 1994, période où il était probablement l'un des adjudants les plus âgés, voire le plus âgé, parmi ceux ayant obtenu par ailleurs un score élevé pour le rendement.

c) Conclusions relatives à la preuve circonstancielle

[134] En résumé, je suis parvenu aux conclusions suivantes en ce qui concerne les éléments qui, au dire de la Commission, constituent une preuve circonstancielle que M. Morris a fait l'objet d'une discrimination fondée sur l'âge.

[135] La Commission n'a pas démontré que le fait que les militaires âgés soient susceptibles d'obtenir des affectations hors régiment leur avait nui. En outre, on ne peut inférer, à partir du fait que M. S. a obtenu le meilleur score parmi les adjudants au moment de l'établissement de son premier RAR à l'École de combat, que M. Morris a fait l'objet d'une discrimination dans l'établissement de son premier RAR à ce lieu d'affectation. J'ai également conclu qu'on ne peut tirer aucune conclusion, dans un sens ou dans l'autre, à partir de la preuve statistique limitée que la Commission a présentée en l'espèce.

[136] D'autre part, la preuve empirique fait ressortir le fait qu'il était très rare qu'un adjudant qui avait terminé avec succès son cours NQ7 ne soit pas promu par la suite au grade d'adjudant-maître.

[137] En ce qui concerne la preuve relative à la clause non limitative que renfermaient les guides, j'en suis venu à la conclusion qu'il était couramment admis dans les Forces canadiennes que les militaires âgés ne pouvaient obtenir d'avancement. Cette conclusion est étayée par les témoignages de M. Hobbins et du major Guitard selon lesquels l'âge était un élément dont les conseils de promotion au mérite constitués au sein des unités et à des niveaux inférieurs tenaient compte dans leurs délibérations.

[138] Dans le même ordre d'idées, même si les opinions de l'adjuc Ginn et les remarques qu'il a faites à M. Morris ne constituent pas en soi à mon avis une preuve directe de discrimination en l'espèce, il reste que ces éléments ont été prouvés et qu'on peut en tenir compte dans l'évaluation de la plainte en fonction d'une preuve circonstancielle. En ce qui concerne la valeur probante de cette preuve, l'intimée a attiré mon attention sur l'affaire Spurrell c. Canada (Forces armées) (no 2) (25). Le plaignant avait allégué que les Forces canadiennes avaient refusé de l'employer à titre de contrôleur de la circulation aérienne et de navigateur en raison de son âge. Un officier de recrutement avait apparemment confirmé que c'était là le motif du refus. Le Tribunal n'a accordé aucune importance aux remarques de l'officier de recrutement, concluant que celles-ci étaient fondées sur un malentendu et qu'on n'avait pas suffisamment de données au sujet du dossier du plaignant. Essentiellement, le Tribunal a rejeté la preuve parce qu'elle émanait de l'individu qui se trouvait au bureau lorsque le plaignant s'y est présenté pour obtenir des renseignements.

[139] Toutefois, les circonstances entourant l'affaire Spurrell diffèrent sensiblement de celles de l'espèce. L'adjuc Ginn était le gestionnaire de carrières de tout le RCR au moment où il a rencontré M. Morris en 1994. Il était chargé, entre autres, de conseiller les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite. Il a lui-même siégé au conseil certaines années. Je conclus donc que l'affaire Spurrell diffère de celle qui nous intéresse et que cette preuve concernant l'adjuc Ginn devrait être acceptée.

[140] Enfin, j'ai conclu que l'évaluation de l'aspect potentiel par les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite comportait une certaine part de subjectivité. À mon avis, il est plus que probable que les individus qui ont obtenu un meilleur score que M. Morris pour ce qui est du potentiel, au cours des années 1991 à 1994 en particulier, étaient plus jeunes que lui.

[141] Toutes ces constatations de fait m'amènent à conclure que la preuve présentée en l'espèce rend plus probable que toute autre la conclusion voulant que l'âge ait été un facteur qui explique le fait que M. Morris se soit moins bien classé que les autres adjudants sur les listes de promotions au mérite, particulièrement dans les années 1991 à 1994. J'ai donc déterminé que la preuve est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de la part de l'intimée, et que, par conséquent, le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination dans l'établissement des listes à partir desquelles l'intimée prenait ses décisions en matière d'avancement. Il est particulièrement frappant qu'à l'époque même où semblait prévaloir l'opinion voulant que les militaires âgés n'obtiennent pas de promotion au sein des Forces canadiennes, le conseil régimentaire de promotion au mérite ait attribué à M. Morris, pour le potentiel, un score inférieur à celui accordé aux jeunes adjudants.

[142] Il est vrai que, selon l'OAFC 49-4, les promotions étaient assujetties à des quotas annuels et dépendaient du nombre de postes qui devenaient vacants au grade immédiatement supérieur. Cependant, mes conclusions selon lesquelles M. Morris s'est moins bien classé à l'échelle nationale en raison de son âge rendent ces conditions sans effet. Autrement dit, si M. Morris n'avait pas obtenu un moins bon score en raison de son âge, le rang auquel il se serait classé lui aurait permis d'accéder à l'un des postes vacants. Selon certains témoignages, jusqu'à dix promotions au grade d'adjudant-maître étaient accordées chaque année et on dispose d'une preuve directe de l'octroi d'au moins 16 promotions en 1993. Par conséquent, les quotas et le nombre de postes vacants ne constituent pas à mon avis des considérations pouvant m'empêcher de conclure qu'une preuve prima facie a été établie en l'espèce.

[143] L'intimée a donné à entendre qu'il est peu vraisembable que tous les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite aient fait front commun pour exercer à l'endroit de M. Morris une discrimination dans l'évaluation de son potentiel. Si un ou deux membres lui avaient décerné un score total trop bas, ces résultats auraient excédé les écarts permis de 0,5 à 1,0 point, et il aurait fallu que le conseil les révise en y apportant les rajustements nécessaires. Toutefois, cet argument ne tient pas compte de l'opinion largement répandue dans les Forces canadiennes voulant que les adjudants âgés n'obtiennent pas de promotion; le capt Gibbard a lui-même évoqué la possibilité que cette situation soit bien connue ou bien documentée. Dans ce contexte, il est tout à fait possible, voire probable, que les six équipes de deux personnes qui ont effectué les évaluations au sein du conseil régimentaire de promotion au mérite aient tenu compte de l'âge de M. Morris dans l'évaluation de son potentiel.

[144] Par conséquent, je suis d'avis que si l'on applique le critère énoncé dans O'Malley, la preuve dont j'ai été saisi, dans la mesure où on y ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l'absence de réplique de la part de l'intimée. Une preuve prima facie ayant été établie, il appartient à l'intimée de fournir une explication raisonnable pour justifier les actes posés.

B. L'explication de l'intimée

[145] Essentiellement, les Forces canadiennes ont expliqué que si M. Morris n'avait pas été promu au grade d'adjudant-maître, c'était parce que le nombre de candidats qualifiés figurant en meilleure place que lui dans la liste de promotions au mérite dépassait chaque année le nombre de promotions pouvant être accordées. Cette prise de position est fondée sur la prémisse que les rangs attribués à M. Morris sur toutes les listes annuelles de promotions étaient justifiés. Cependant, conformément à ma conclusion antérieure, la Commission a établi une preuve prima facie voulant que l'âge ait joué dans l'attribution des scores peu élevés décernés à M. Morris. En réplique, les Forces canadiennes ont fait valoir plusieurs raisons pour expliquer ces scores et démontrer que l'âge n'est pas un élément qui a joué.

i) Activités additionnelles et amélioration éducationnel

[146] Les Forces canadiennes encouragent les militaires à parfaire leurs études et à s'adonner à des activités paraprofessionnelles au sein de la collectivité en général. Alors qu'il faisait partie du Lincoln and Welland Regiment, M. Morris avait commencé à faire du bénévolat au sein d'un service de police auxiliaire, le Niagara Regional Police Auxiliary. En outre, il a suivi dans un collège communautaire divers cours (sociologie, criminologie, informatique, application de la loi). Il est fait mention pour la première fois de ces études dans le RAR de 1992 de M. Morris. Quant aux activités paraprofessionnelles, il en est fait état pour la première fois dans le RAR de 1993.

[147] L'intimée a donné à entendre que si les activités paraprofessionnelles et les études de M. Morris n'avaient peut-être pas été suffisamment valorisées, c'était peut-être parce qu'elles n'étaient pas directement liées à l'activité militaire. Il se peut, par conséquent, que M. Morris ait donné au conseil régimentaire de promotion au mérite l'impression qu'il préparait son après-retraite, plutôt que d'acquérir des connaissances qui lui seraient utiles dans sa carrière militaire.

[148] J'ai de la difficulté à accepter cet argument. Les activités paraprofessionnelles ou communautaires ne revêtent pas, de par leur nature, un caractère militaire. Le lcol Zuwerkalow a lui-même affirmé que l'apport de M. Morris à la vie communautaire était digne de mention. Comme l'adjuc Ginn l'a souligné, ce genre d'activités devrait contribuer à améliorer le score du militaire plutôt qu'à le réduire. Des commentaires allant dans la même veine ont également été formulés au sujet de son perfectionnement éducationnel.

[149] De plus, même si M. Morris s'est vu attribuer de piètres scores pour ce qui est du potentiel à compter au moins de 1991, le conseil régimentaire de promotion au mérite ne pouvait savoir avant 1992 qu'il suivait des cours de perfectionnement -- avant 1993, dans le cas des activités de bénévolat.

ii) Manque de formation en communications et connaissance insuffisante du français

[150] L'intimée a cherché à démontrer par certains témoignages que l'aptitude de M. Morris à communiquer par écrit laissait à désirer. Elle a donné à entendre que cela avait peut-être influé sur les scores attribués par le conseil régimentaire de promotion au mérite. Cependant, aucun RAR ne fait état d'une telle lacune. Compte tenu, par ailleurs, de la preuve voulant qu'il soit peu probable que plus d'un individu ou deux siégeant au conseil connaissent M. Morris, il semble impossible que cet élément ait pu influencer les scores accordés par le conseil.

[151] Toutefois, le Conseil pouvait déterminer à partir du dossier RAR de M. Morris que celui-ci était incapable de parler français. Ses diverses tentatives pour apprendre cette langue ont été vaines. Comme je l'ai indiqué ci-haut, la connaissance de la langue seconde ne faisait plus partie à compter de 1992 des éléments servant à évaluer le potentiel. Quoi qu'il en soit, même avant 1992, cet élément représentait au plus 10 % du score correspondant au volet potentiel ou, si l'on préfère, 2 % du score total. De plus, la preuve démontre qu'il a reçu des points pour cet élément au cours de la période antérieure, à cause, semble-t-il, des efforts qu'il déployait pour apprendre le français. Pour ces motifs, j'estime que le fait qu'il n'était pas bilingue ne peut expliquer ses piètres scores pour ce qui est du potentiel.

iii) Qualités de chef

[152] L'adjuc Ginn a dit avoir indiqué, lors des séances d'information à l'intention des membres du conseil régimentaire de promotion au mérite, que les qualités de chef, en tant qu'élément servant à déterminer le potentiel, devraient être évaluées en partie en fonction du degré de réussite du cours NQ7. Comme M. Morris faisait partie du dernier tiers de sa classe NQ7, l'intimée a fait valoir que son score pour le potentiel avait diminué en conséquence. Cependant, l'adjuc Ginn a également souligné que les qualités de chef étaient évaluées non seulement en fonction des résultats obtenus par le candidat au cours NQ7, mais également en fonction du jugement professionnel des membres du conseil, après examen du dossier RAR.

[153] Le lcol Zuwerkalow, d'autre part, a affirmé qu'il se fiait à l'évaluation quantitative indiquée à la deuxième page du formulaire RAR, à compter de 1992, pour ce qui est des qualités de chef/surveillant. Il a également reconnu que l'évaluation des qualités de chef était intimement liée au jugement professionnel des membres du conseil à l'égard de l'individu, qui était fondé sur des éléments tels que l'habillement, le comportement et l'exemple qu'il donnait.

[154] De 1992 à 1994, M. Morris s'est vu décerner dans ses RAR la cote maximale (supérieur) pour ce qui est du potentiel supervision/commandement. Dans les parties narratives de ses RAP, on trouve beaucoup de mentions favorables en ce qui touche son comportement; on souligne notamment sa bonne attitude et à sa capacité d'organiser et d'inspirer ses subalternes, ainsi que le fait qu'il était consciencieux, qu'il travaillait fort et qu'il était tenu en haute estime tous les membres de l'unité.

[155] Je conclus que les RAR de M. Morris, particulièrement ceux établis durant la période la plus pertinente (1991-1994), renferment peu d'indications étayant la prétention de l'intimée voulant que les piètres qualités de chef de M. Morris aient nui aux scores qu'il a obtenus pour ce qui est de l'aspect potentiel.

iv) Réticence de M. Morris à accepter une nouvelle affectation

[156] Les militaires devaient indiquer sur la première page du formulaire RAR leurs trois affectations préférées. Aucun élément de preuve n'a été présenté pour expliquer le but de cette question. Les guides remis au conseil régimentaire de promotion au mérite fournissaient des explications détaillées au sujet de la deuxième page du RAR, où figuraient les évaluations narratives et quantitatives; toutefois, aucune explication du genre n'était fournie en ce qui concerne la première page. Comme je l'ai expliqué ci-haut, cette page comprenait principalement les renseignements de base sur le militaire (nom, numéro d'assurance sociale, nom et emplacement de son unité, etc.). Le militaire était prié de préciser les cours terminés depuis le dernier RAR et les cours qu'il souhaitait suivre; en outre, il devait indiquer quelles seraient ses trois affectations préférées et il pouvait formuler des observations générales.

[157] Dans son RAR de 1990, établi quelques mois après qu'il eut terminé le cours NQ7, M. Morris a mentionné trois fois le Lincoln and Welland Regiment, à St. Catharines, comme affectations préférées; il demandait de rester à son lieu d'affectation jusqu'à ce qu'il soit promu. En 1991 et 1992, M. Morris a répondu [Traduction] Ouest de l'Ontario tout en ajoutant le commentaire suivant :

[Traduction]

Si je n'obtiens pas de promotion, demeurer ICI MÊME». En 1993, il a inscrit les préférences suivantes : premièrement - Ouest de l'Ontario, deuxièmement - Royaume-Uni, troisièmement - États-Unis. En 1994, ses préférences étaient BFC London, St. Catharines et BFC Halifax. En 1995, ses choix ont été les suivants : London (Ontario), Halifax et, enfin, sud de l'Ontario.

[158] L'intimée soutient que M. Morris, compte tenu des préférences mentionnées, a indiqué au conseil régimentaire de promotion au mérite, somme toute, qu'il était réticent à quitter le sud de l'Ontario et St. Catharines en particulier. Selon l'intimée, ces réponses ont eu des répercussions sur le score que M. Morris a obtenu pour ce qui est de l'employabilité. Tel qu'indiqué ci-haut, cet aspect n'a jamais été défini dans les guides. On s'est contenté de l'insérer dans la liste des éléments à prendre en compte dans l'évaluation du potentiel. L'adjuc Ginn et le lcol Zuwerkalow ont tous deux affirmé que le conseil interprétait le désir de demeurer sur place comme une limite à l'emploi et, par conséquent, comme un élément ayant des répercussions sur le score correspondant au potentiel du militaire. Cependant, ils ont également admis que c'est aux Forces canadiennes qu'il incombe en dernier ressort de décider du lieu d'affectation d'un soldat, peu importe ses préférences. De plus, l'adjuc Ginn a donné à entendre que l'employabilité est évaluée davantage en fonction de l'expérience et des compétences du militaire. Il a ajouté que la question de la mobilité est peut-être davantage liée à l'opportunité pour les Forces canadiennes, du point de vue financier, de le muter pour lui donner une promotion. Cette déclaration semble contredire l'argument de l'intimée, car il implique que le lieu d'affectation actuelle du militaire détermine davantage son employabilité que le lieu où il souhaiterait être affecté.

[159] Comme je l'explique plus loin, la seule façon de déterminer si cette explication est vraiment raisonnable est de comparer les RAR de M. Morris avec ceux de ses pairs qui figuraient en meilleure place que lui sur les listes de promotions. Cette information n'a malheureusement jamais été présentée. Par conséquent, je ne puis conclure que les affectations préférées de M. Morris constituent une explication quant à ses piètres scores pour ce qui est du potentiel.

v) Affectations hors régiment et non-déploiement dans le cadre de missions opérationnelles

[160] L'intimée soutient qu'en raison des affectations hors régiment de M. Morris entre 1987 et 1994, ses connaissances militaires avaient diminué, ce qui le rendait moins apte à détenir le grade d'adjudant-maître. Elle a également laissé entendre que, du fait qu'il n'avait pas été déployé outre-mer dans le cadre de missions opérationnelles, à des endroits comme l'ex-Yougoslavie et la Somalie, M. Morris manquait d'expérience, lacune qui se répercutait sur l'évaluation de son potentiel.

[161] Cependant, la Commission a souligné que l'affectation au Lincoln and Welland Regiment et l'absence de déploiements outre-mer n'étaient pas des décisions relevant de M. Morris. Comme je l'ai indiqué ci-haut, le gestionnaire de carrières de M. Morris entre 1990 et 1993, l'adjuc Riley a décidé de maintenir son affectation hors régiment. Aucun des RAR établis durant l'affectation de M. Morris à St. Catharines n'a jamais indiqué que ses compétences s'étaient détériorées d'une façon ou d'une autre. En outre, les premiers scores peu reluisants obtenus par M. Morris pour ce qui est du potentiel remontent au moins à 1991; pourtant, à ce moment-là, cela ne faisait que quatre ans qu'il travaillait hors du bataillon.

[162] De plus, la preuve démontre que ce sont habituellement des circonstances indépendantes de la volonté du militaire qui déterminent s'il sera envoyé en mission outre-mer. Avant 1990, il y avait peu de déploiements outre-mer au sein des Forces canadiennes, si on fait exception des missions des Nations Unies à des endroits comme Chypre, où M. Morris a d'ailleurs été stationné plus tôt dans sa carrière. Au cours de la dernière décennie, les militaires canadiens ont été plus fréquemment appelés à servir en sol étranger; cependant, comme M. Morris avait déjà obtenu une affectation hors bataillon, il était moins susceptible de participer à de telles missions.

[163] Par ailleurs, en supposant que le conseil régimentaire de promotion au mérite ait tenu compte de l'absence de ce genre d'antécédents dans l'évaluation de l'élément expérience, et qu'il n'ait pas tenu rigueur à M. Morris de sa non-participation à des missions opérationnelles, le seul fait que son dossier RAR fasse état de ce manque d'expérience aurait suffi à influencer son score à cet égard. Par conséquent, son manque d'expérience ne saurait être sous-estimé en tant qu'élément pouvant expliquer en partie le score peu élevé qu'il a obtenu pour ce qui est du potentiel, et ce peu importe que la faute lui revienne ou non. Toutefois, pour déterminer si cette explication est raisonnable, il faut encore une fois comparer la situation de M. Morris avec celle de ses collègues qui se sont mieux classés que lui.

vi) Jugement professionnel des membres du conseil régimentaire de promotion au mérite

[164] Il ressort clairement de la preuve présentée que l'évaluation du potentiel du candidat par les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite reposait essentiellement sur ce que l'adjuc Ginn a décrit comme étant leur conviction profonde. Les guides font expressément référence à l'élément jugement professionnel; cependant, l'adjuc Ginn et le lcol Zuwerkalow ont fait état de la possibilité que cet élément entre aussi en ligne de compte dans l'évaluation des autres facteurs. Par conséquent, il semble que l'évaluation de tous les éléments servant à déterminer le potentiel comportait une part de subjectivité.

[165] Les avocates de l'intimée ont soutenu qu'un mode de sélection ou un régime d'avancement qui comporte une part de subjectivité n'a rien en soi de mauvais ou de discriminatoire. Par exemple, l'aptitude à commander est une qualité essentielle chez un militaire de rang supérieur. C'est un élément qu'on ne peut facilement évaluer de façon objective. L'évaluation de l'employeur est empreinte de subjectivité. Par conséquent, il y a lieu de faire montre de déférence à l'égard du jugement des officiers supérieurs qui siègent au conseil régimentaire de promotion au mérite. En l'absence de preuve à l'effet contraire, on devrait conclure que les membres du conseil ont agi de bonne foi en tout temps.

[166] L'intimée a cité la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Folch c. Lignes aériennes Canadien International (26). Dans cette affaire, la plaignante avait allégué que l'intimée ne l'avait pas engagée comme pilote en raison notamment de son sexe, de son âge et de son origine raciale ou ethnique. Le transporteur aérien a fait valoir que ses pilotes sont appelés à agir à certains moments comme commandants de bord et que le jury qui avait interviewé la plaignante avait déterminé qu'elle ne possédait pas les qualités de commandement que doivent avoir les commandants de bord. À la question à savoir si un critère plus objectif aurait dû être retenu pour évaluer cet aspect, le Tribunal a répondu :

Peut-être eût-il été possible de concevoir un meilleur système pour le recrutement de pilotes, mais ce n'est pas ce qu'il incombe au Tribunal de décider. Il ne fait aucun doute que l'appréciation selon des critères telle l'aptitude à commander nécessite une opinion subjective. Mais même le commandant de bord Cranston, que la Commission a assigné à titre d'expert, a reconnu qu'il était nécessaire d'évaluer l'aptitude à commander des candidats pilotes et que cela impliquait nécessairement un avis subjectif. Le fait que l'intimée a utilisé des critères subjectifs pour juger les candidats ne rend pas en soi ses décisions en matière d'embauchage susceptibles de contestation. Lorsque des critères subjectifs sont employés relativement à l'embauchage, il peut être nécessaire d'examiner plus minutieusement les décisions prises à cet égard afin de s'assurer que les opinions subjectives ne servent pas à masquer la discrimination (27).

De même, l'intimée a donné à entendre que la subjectivité dont est empreinte la démarche du conseil régimentaire de promotion au mérite est nécessaire pour faire en sorte que des promotions soient accordées uniquement aux militaires qui possèdent les qualités de chef, l'expérience et les autres qualités que doivent avoir les adjudants-maîtres.

[167] L'intimée a également fait référence à la conclusion énoncée dans la décision rendue par la Commission d'enquête de l'Ontario dans Offierski c. Peterborough Board of Education (28), selon laquelle les administrateurs du conseil scolaire intimé qui avaient interviewé la plaignante avaient [Traduction] agi honnêtement et de bonne foi en refusant de l'admettre à un cours qui l'aurait rendue admissible à une promotion. La commission d'enquête a déclaré qu'on ne peut trouver à redire à la conclusion qu'elle ne possédait pas certaines qualités de chef, tout en ajoutant que les administrateurs :

[Traduction]

[…] sont des professionnels qui savent ce qu'ils font. Ils connaissaient les compétences des autres candidats -- compétences que cette commission d'enquête ne connaît pas -- et, dans la mesure où ils ont agi de façon légitime, comme j'ai pu le constater, il n'est pas permis dans une enquête comme celle-ci de trouver à redire à leur décision [...] (29).

[168] Cette décision de la commission d'enquête de l'Ontario remonte à plus d'une vingtaine d'années. Je ferai remarquer en toute déférence que les tribunaux des droits de la personne sont habilités à se pencher sur les actes des intimés, voire à trouver à leur redire, particulièrement lorsqu'ils sont en présence d'une preuve circonstancielle que les actes en question sont empreints de discrimination fondée sur un motif illicite. Il est intéressant de noter que la décision rendue en 1992 dans Folch n'indique pas qu'il faut avoir une confiance aveugle dans les intimés qui prennent des décisions en fonction de critères subjectifs; elle donne plutôt à entendre que le verdict prononcé doit être examiné plus minutieusement pour s'assurer que les opinions subjectives ne servent pas à masquer la discrimination.

[169] La comparaison des faits entourant l'affaire Folch avec ceux de l'espèce révèle une différence importante. Dans Folch, les notes et observations de chaque membre du jury ont été produites. Aussi le Tribunal avait l'avantage de savoir exactement pour quelles raisons on estimait que la plaignante n'avait pas les qualités et compétences nécessaires. Fort de cette information, le Tribunal a pu analyser minutieusement la décision d'embauche et déterminer si la demande de la plaignante avait fait l'objet d'un examen juste de la part du jury. Je n'ai été saisi d'aucune preuve de ce genre, en grande partie parce que les membres du conseil régimentaire de promotion au mérite n'avaient pas à fournir d'explications pour justifier le score numérique attribué à chaque candidat. Il aurait été utile d'entendre le témoignage d'au moins un des membres des conseils qui ont évalué les meilleurs RAR de M. Morris entre 1991 et 1994. Toutefois, le lcol Zuwerkalow et l'adjuc Ginn ont siégé pour la première fois au conseil en 1995 et 1997, respectivement. Je ne suis donc pas en mesure de me livrer à l'égard de l'activité du conseil au genre d'analyse que le Tribunal a faite dans l'affaire Folch.

[170] En l'absence de telles explications de la part des conseils de promotion au mérite quant aux raisons pour lesquelles ils ont déprécié le potentiel de M. Morris, l'intimée a invoqué les motifs dont j'ai fait état ci-dessus au sujet des scores peu élevés. Néanmoins, la seule façon pour moi de déterminer si ces explications sont valables serait de comparer le profil de M. Morris avec ceux des autres adjudants qui se sont mieux classés que lui. Comme je l'ai indiqué ci-haut, cette preuve n'a jamais été présentée.

[171] L'intimée a présumément en sa possession les éléments de preuve relatifs aux autres adjudants, et on n'a pas prétendu que ceux-ci ne sont plus accessibles. En fait, l'intimée a présenté les RAR d'un des autres candidats qui ont été promus au grade d'adjudant-maître, M. W., qui avait 46 ans au moment de sa promotion en 1993. M. W. a été cité comme exemple de promotion au grade immédiatement supérieur d'un adjudant ayant à peu près le même âge que M. Morris. Il semblerait naturel que l'intimée présente des éléments de preuve relatifs aux autres adjudants, vu le moyen de défense des Forces canadiennes voulant que le profil d'emploi de M. Morris comporte des lacunes comparativement à ceux des autres adjudants, d'où le très faible score attribué pour ce qui est du potentiel.

[172] C'est dans le témoignage du capt. Gibbard qu'on trouve l'explication fournie par les Forces canadiennes pour justifier la non-présentation de tels éléments de preuve et leur non-divulgation :

[Traduction]

Q : Pour quelle raison ne nous avez-vous pas fourni ces documents?

R : Laissez-moi penser une seconde.

LE PRÉSIDENT : Permettez-moi de réitérer ma question de tout à l'heure : figuraient-ils sur les listes de documents à divulguer?

R : C'est un cas, mais ce n'est pas pour cette raison que je ne l'ai sans doute pas fait. Je ne siège pas aux conseils de promotion et je ne suis pas en mesure d'évaluer l'aspect potentiel. J'évalue le rendement uniquement à titre d'enquêteur. C'est tout ce que je peux faire. Je ne puis dégager d'un RAR le potentiel de l'intéressé parce que je ne fais pas partie de son groupe professionnel. Il me serait impossible d'évaluer l'aspect potentiel et, si je le faisais, je donnerais dans la spéculation.

Même si ce représentant des Forces canadiennes a jugé qu'il n'était peut-être pas en mesure d'évaluer le potentiel de divers candidats, la question du mode d'évaluation du potentiel est très pertinente par rapport à la plainte de M. Morris, et le Tribunal a certes le pouvoir d'examiner toutes les questions entourant la plainte, y compris la façon dont l'employeur a évalué le plaignant par rapport aux autres employés.

[173] Les obligations des parties en matière de divulgation constituent un problème plus vaste. Avant le début de l'audience, le Tribunal a enjoint chaque partie de divulguer aux autres parties tous les documents pertinents en sa possession qui n'étaient pas visés par un privilège de non-divulgation, conformément à l'alinéa 6(1) c) des Règles de procédure provisoires du Tribunal canadien des droits de la personne. De toute évidence, les RAR de tous les individus par rapport auxquels M. Morris a été évalué sont pertinents, car ils représentent le seul moyen de déterminer si les scores peu élevés obtenus par M. Morris pour ce qui est du potentiel sont conformes aux explications fournies quant aux éléments mentionnés. Cependant, ces documents n'ont jamais été divulgués.

[174] Le fait que l'intimée n'ait pas produit cette preuve devant le Tribunal contribue à miner toutes ses explications quant aux scores peu élevés décernés à M. Morris relativement à l'aspect potentiel. Même s'il était vrai, par exemple, que l'absence de déploiements dans le cadre de missions opérationnelles nuise à l'évaluation d'un militaire, comment puis-je déterminer que M. Morris a vu son score réduit pour cette raison, alors que je n'ai pas eu le loisir de le comparer avec les adjudants plus jeunes qui se sont mieux classés que lui pour déterminer le niveau d'expérience qu'ils possédaient? En l'absence d'information au sujet des autres adjudants, je suis simplement incapable de déterminer si telle ou telle raison invoquée par l'intimée justifie les scores attribués à M. Morris. Pour ces motifs, je conclus que toutes les justifications mentionnées ci-dessus qui ont été fournies par l'intimée ne constituent pas une explication raisonnable qui permettrait de répliquer de façon satisfaisante à la preuve prima facie de discrimination de la Commission.

vii) RAR exagérés des adjudants travaillant dans les réserves

[175] De 1993 à 1997, les conseils régimentaires de promotion au mérite ont fait remarquer dans leurs rapports finals que les RAR provenant des unités de la Réserve, particulièrement ceux rédigés et révisés par le personnel de le Réserve, semblaient [Traduction] dans beaucoup de cas exagérés. M. Morris a, bien sûr, été affecté à une telle unité de 1987 à 1994. Jusqu'en 1992, le major Guitard, qui était alors membre de la Force régulière, a été le superviseur établissant les RAR de M. Morris. Il semble que les RAR de 1993 et 1994 aient été établis par le personnel de la Réserve, par suite de la redésignation officielle du lieu d'affectation -- Lincoln and Welland Regiment.

[176] Cette opinion qu'avaient les conseils régimentaires a-t-elle pu influencer la façon dont ceux-ci ont évalué M. Morris? Il convient d'abord de préciser que leurs observations se limitaient aux RAR, qui servent principalement à évaluer le rendement des candidats. Quoi qu'il en soit, le conseil régimentaire a attribué à M. Morris un très bon score pour son rendement, et ce de 1991 à 1994. Il semble peu probable que son affectation auprès de la Réserve ait eu quelque influence que ce soit sur les évaluations du conseil régimentaire.

[177] De plus, comme l'a fait remarquer le lcol Zuwerkalow, il arrive très souvent que les évaluations narratives et les scores RAR ne donnent pas une idée juste du rang de M. Morris au sein de son unité. Ainsi, en 1991, il s'est classé premier sur 46, bien que son score RAR n'ait été que de 8,3. Cette situation est peut-être attribuable à la politique de contrôle des scores élevés. Néanmoins, elle démontre que, dans le cas de M. Morris à tout le moins, les résultats quantitatifs et les bilans narratifs que renferment les RAR peuvent difficilement être considérés comme exagérés puisqu'ils sont en fait sous-évalués.

[178] Enfin, l'absence de preuve au sujet des autres candidats ayant le grade d'adjudant-maître affaiblit, comme dans le cas des éléments servant à évaluer le potentiel, tout argument selon lequel les RAR exagérés auraient nui aux scores attribués à M. Morris pour ce qui est du potentiel. Il est tout à fait possible que certains adjudants qui se sont mieux classés que M. Morris aient eux aussi été affectés à des unités des réserves et que leurs RAR aient été établis par le personnel réserviste. Si tel était le cas, il semblerait moins probable que les scores peu élevés de M. Morris tiennent au fait qu'il travaillait au sein de la Réserve.

[179] Pour ces motifs, je conclus que l'opinion exprimée par les conseils régimentaires, à savoir que les RAR provenant des unités des réserves étaient exagérés, n'explique pas pourquoi on a attribué à M. Morris des scores extrêmement bas pour ce qui est du potentiel.

viii) Avancement des autres adjudants âgés de 40 ans ou plus

[180] Comme je l'ai indiqué ci-haut lorsque j'ai traité de la preuve statistique en l'espèce, M. Morris a obtenu, à la suite d'une demande d'accès à l'information, des données démontrant que parmi les 39 adjudants-maîtres qui faisaient encore partie du RCR en 1997, 14 avaient au moins 40 ans au moment de leur promotion. On pourrait soutenir que ces données corroborent l'allégation de l'intimée selon laquelle les candidats âgés ne font pas l'objet de discrimination pour ce qui est de l'avancement à ce grade. Cependant, les mêmes problèmes que ceux auxquels s'est heurtée la Commission en ce qui touche la taille de l'échantillon et l'absence d'analyse des flux empêchent de faire quelque inférence que ce soit.

[181] En outre, comme je l'ai déjà signalé, la plupart de ces 39 militaires ont reçu leur promotion alors qu'ils étaient au début de la quarantaine; aucun n'a été promu après avoir atteint l'âge de 44 ans. En revanche, M. Morris avait déjà 47 ans en 1991; en 1993, lorsqu'on lui a décerné un score RAR de 8,6, il avait 49 ans. Même si, à première vue, l'écart ne semble pas marqué, il ne faut pas oublier qu'il ne lui restait que quelques années à faire avant l'âge de la retraite, soit 55 ans. Dans sa conversation de 1994 avec M. Morris, l'adjuc Ginn a lui-même fait état de la différence qu'une année peut faire lorsqu'il a indiqué à M. Morris que son potentiel diminuerait constamment d'année en année.

[182] La preuve démontre que M. W. a été promu à l'âge de 46 ans. Toutefois, le seul fait de démontrer qu'une autre personne présentant la même caractéristique que celle sur laquelle est fondée la plainte de M. Morris, ne prouve pas nécessairement que cette caractéristique n'a pas joué dans le fait que M. Morris n'a pas obtenu de promotion. On retrouve une situation similaire dans l'affaire Chander (30), où le Tribunal canadien des droits de la personne a admis qu'un ou plusieurs des individus ayant été promus à la place des plaignants appartenaient peut-être eux aussi à une minorité visible. Néanmoins, le Tribunal a soutenu que cette possibilité n'empêchait pas de conclure à la discrimination en ce qui concerne le refus de l'employeur de donner de l'avancement aux plaignants. De même, l'argument qu'un ou plusieurs des adjudants qui ont été promus au grade immédiatement supérieur avaient à peu près le même âge que M. Morris ne m'empêche pas de conclure, au regard de l'ensemble de la preuve, qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie et que l'intimée n'a pas fourni d'explication raisonnable.

ix) Instructions données par le gestionnaire de carrières au conseil régimentaire de promotion au mérite

[183] L'avocat de l'intimée a fait état de la déclaration de l'adjuc Ginn voulant qu'il ait, à titre de gestionnaire de carrières, donné instruction aux membres du conseil régimentaire de promotion au mérite de ne pas tenir compte de l'âge dans leurs évaluations. Cependant, parmi toutes les années où M. Morris a obtenu ses meilleurs score RAR, l'adjuc Ginn n'a prodigué des conseils que lors de la dernière (1994). On n'a présenté aucune preuve à propos de ce que les prédécesseurs de l'adjuc Ginn pouvaient avoir dit au conseil. En outre, conformément à ma conclusion antérieure, la clause non limitative que renfermaient les guides n'a au cours d'aucune des années empêché de faire de l'âge l'un des éléments entrant en ligne de compte.

[184] Enfin, j'ai de la difficulté à admettre que l'adjuc Ginn ait pu donner une telle instruction au conseil, compte tenu des commentaires qu'il a faits au plaignant en 1994 relativement à la diminution de son potentiel et de sa déclaration voulant que le temps qui reste dans la carrière d'un militaire soit un élément à prendre en considération dans l'évaluation du potentiel.

[185] Je ne suis donc pas convaincu que le conseil régimentaire de promotion au mérite ait reçu instruction de ne pas tenir compte de l'âge, particulièrement avant 1994.

C. Conclusion relative aux explications de l'intimée

[186] Pour les motifs énoncés ci-dessus, j'ai conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l'intimée n'a pas fourni d'explication raisonnable relativement aux actes discriminatoires commis à l'endroit du plaignant.

V. MESURES DE REDRESSEMENT

[187] Ayant conclu à la responsabilité de l'intimée à l'égard de M. Morris, il me reste à déterminer quelles mesures de redressement, s'il en est, doivent être adoptées. À cet égard, le Tribunal doit s'en remettre à l'article 53 de la LCDP. Comme la Cour d'appel fédérale l'a indiqué dans Canada (Procureur général) c. Morgan (31), l'objectif dans les cas de discrimination est de remettre la victime de l'acte discriminatoire dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit, sous réserve des principes de la prévisibilité raisonnable et du caractère lointain du dommage (32).

A. Promotion, salaires et avantages perdus

[188] La Commission et M. Morris ont demandé que soit accordée une promotion au grade d'adjudant-maître, à compter de juin 1992, que les dossiers militaires fassent état de cette promotion et qu'il y ait indemnisation des pertes salariales et autres dommages connexes à compter de cette date. C'est ce mois-là que les quatre autres adjudants de son régiment qui avaient terminé avec lui le cours NQ7 et qui sont demeurés dans les Forces canadiennes ont obtenu leur promotion.

[189] De par les pouvoirs que lui confère l'alinéa 53 (2) b) de la LCDP en matière de réparation, le Tribunal est habilité à ordonner l'octroi d'une promotion dans les cas où il conclut que le refus d'accorder la promotion en question a été motivé par des considérations discriminatoires (33). Dans Morgan, le juge Marceau a affirmé qu'il n'est pas nécessaire, pour avoir droit à une indemnisation, de conclure que le poste aurait certainement, voire probablement, été obtenu, n'eût été de l'acte discriminatoire. À son avis, la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse, est suffisante (34). Dans l'opinion dissidente qu'il a exprimée dans la même affaire, le juge MacGuigan a soutenu que l'on doit faire preuve de la probabilité d'une perte réelle du poste. (35). Étant donné qu'en l'occurrence les promotions étaient accordées en fonction des listes nationales annuelles de promotions, je ne partage pas l'opinion que l'on doive se fonder sur la date à laquelle le dernier des militaires qui ont suivi le cours NQ7 a été promu pour déterminer la possibilité ou la probabilité qu'une promotion aurait été accordée à M. Morris.

[190] Cependant, j'ai conclu que l'âge de M. Morris a joué dans l'évaluation de l'aspect potentiel et que, si tel n'avait pas été le cas, il aurait obtenu des scores plus élevés et, partant, un meilleur rang, particulièrement sur les listes de 1991 à 1994. Ni l'une ni l'autre des parties n'a présenté de preuve complète quant à la façon dont beaucoup d'adjudants ont été promus au cours de chacune des années. Cependant, certains témoins ont affirmé que jusqu'à dix promotions étaient accordées chaque année. Il est possible de faire certains calculs à partir des données que M. Morris a obtenues à la suite de sa demande d'accès à l'information; néanmoins, ces données ne portent que sur les militaires qui faisaient encore partie des Forces canadiennes en 1997. Par conséquent, tout ce que l'on peut dire, c'est que le nombre de promotions au grade d'adjudant-maître accordées au cours des années mentionnées, compte tenu des listes de promotions que le conseil régimentaire avait dressées l'année précédente, correspondait au moins au chiffre indiqué dans chaque cas :

1990 = 1 promotion

1991 = 4 promotions

1992 = 1 promotion

1993 = 16 promotions

1994 = 2 promotions

1995 = 5 promotions

1996 = 2 promotions

Cela dit, il est possible qu'un plus grand nombre de promotions aient été accordées au cours d'une des années mentionnées. Bien sûr, on peut présumer que l'intimée dispose de statistiques précises quant au nombre réel de promotions accordées durant chacune des années; cependant, il a décidé de ne pas produire cette preuve.

[191] De toute évidence, l'année 1993 se distingue des autres. Sur la liste de promotions de 1992, en fonction de laquelle les promotions de 1993 ont été faites, M. Morris figure au 23e rang; cependant, si l'on tient compte uniquement de l'élément rendement, il vient au 14e rang et se classe au moins au 23e rang, et peut-être à un rang inférieur, pour ce qui est du potentiel (l'intimée n'ayant pas produit les pages restantes de cette liste de promotions). Par conséquent, si M. Morris avait obtenu un rang équivalant à celui auquel il s'était classé pour ce qui est du rendement, il aurait été promu en 1993.

[192] Compte tenu de mes conclusions quant à l'effet de son âge sur le score qu'il a reçu en ce qui touche le potentiel, j'estime qu'il aurait été possible, voire probable, que M. Morris se classe pour le potentiel à un rang équivalant au moins à celui qu'il a obtenu pour son rendement et que, par conséquent, il aurait dû être promu en 1993. Cependant, compte tenu de ces estimations, on peut présumer qu'il aurait probablement figuré dans le dernier tiers des militaires promus cette année-là, et qu'étant donné que les promotions sont accordées au cours de l'année civile en suivant l'ordre au mérite sur les listes, M. Morris n'aurait probablement pas été promu avant le dernier quadrimestre de l'année. J'ordonne donc que l'intimée accorde à M. Morris une promotion au grade d'adjudant-maître, à compter du 1er septembre 1993.

[193] J'ordonne également que l'intimée verse à M. Morris la différence entre le salaire qu'il a effectivement reçu en raison de son grade d'adjudant et celui qu'il aurait reçu s'il avait été adjudant-maître, entre le 1er septembre 1993 et le 1er avril 1999, soit la date de son départ à la retraite des Forces canadiennes. J'ordonne également que l'intimée verse à M. Morris la différence entre l'indemnité de départ à la retraite qu'il a reçue à titre d'adjudant et celle qu'il aurait reçue s'il avait détenu le grade d'adjudant-maître.

[194] J'ordonne que la pension de M. Morris et les autres avantages auxquels il avait droit fassent l'objet de rajustements à compter du 1er septembre 1993 en se fondant sur le grade d'adjudant-maître.

[195] De plus, j'ordonne que les Forces canadiennes versent à M. Morris une somme supplémentaire suffisante pour couvrir l'impôt additionnel qu'il aura à payer du fait qu'il recevra la rémunération susmentionnée sous forme d'indemnité forfaitaire (36).

[196] J'ordonne également à l'intimée de verser à M. Morris des intérêts simples à l'égard de toutes les indemnités mentionnées ci-dessus. Le calcul des intérêts, qui sera basé sur les règles qui s'appliquent aux instances civiles dans la province de l'Ontario, portera sur la période comprise entre la date de la plainte et celle du règlement final des indemnités.

B. Indemnité spéciale

[197] Avant que des modifications ne soient apportées à la LCDP en 1998 (37), le par. 53(3) disposait que, s'il en venait à la conclusion que la victime avait souffert un préjudice moral, le Tribunal pouvait ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de lui payer une indemnité maximale de cinq mille dollars. La Commission a demandé que le Tribunal ordonne aux Forces canadiennes de verser à M. Morris l'indemnité maximale.

[198] Il ressort clairement des témoignages, particulièrement de celui de M. Morris, que ce dernier et d'autres hommes et femmes des forces armées comme lui ont un sens profond du dévouement à l'égard des Forces canadiennes. À de nombreuses reprises, M. Morris, faisant référence à l'intimée, a parlé de sa famille plutôt que de son employeur. Par conséquent, sa plus grande déception lorsqu'il s'est rendu compte qu'il n'avait pas été promu en raison de son âge a été que sa famille l'avait laissé tomber. Il faut se rappeler qu'il était encore dans l'adolescence lorsqu'il s'est enrôlé dans les Forces canadiennes et qu'il y a fait carrière jusqu'au moment de sa retraite il y a deux ans. Cette déception a été exacerbée par le fait qu'il a vite été la risée de ses collègues. Il est devenu très déprimé, ce qui n'a pas été sans créer des difficultés au sein de sa famille également.

[199] Compte tenu de toutes les circonstances, j'ordonne que les Forces canadiennes versent à M. Morris la somme de 3 000 $ à titre d'indemnité spéciale. Cette somme sera majorée d'intérêts simples, calculés encore une fois à compter de la date de la plainte, au taux mentionné ci-dessus pour ce qui est des pertes salariales et des autres indemnités. Toutefois, la somme versée à titre d'indemnité spéciale, y compris les intérêts, ne devra pas dépasser 5 000 $ (38).

C. Maintien de la juridiction

[200] Pour le cas où les parties seraient incapables de s'entendre sur le calcul des indemnités auxquelles M. Morris a droit conformément à la présente décision, je demeure saisi de l'affaire et pourrai entendre tout argument que les parties voudront bien me soumettre; cependant, toute demande visant à présenter de tels arguments supplémentaires devra être présentée par écrit au Tribunal et être reçue par lui dans les quatre-vingt-dix jours qui suivront la date de la présente décision.

VI. GLOSSAIRE

1RCR 1er Bataillon, Royal Canadian Regiment
Adjuc Adjudant-chef
Adjum Adjudant-maître
CGPM Code de groupe professionnel militaire
Commission Commission canadienne des droits de la personne
Forces canadiennes Forces armées canadiennes
GPM Groupe professionnel militaire
LCDP Loi canadienne sur les droits de la personne
Militaire Militaire du rang
MR Militaire du rang
OAFC 49-4 Ordonnance administrative des Forces canadiennes 49-4
QGDN Quartier général de la Défense nationale
RAR Rapport d'appréciation du rendement

( ORIGINAL SIGNÉ PAR )

Athanasios D. Hadjis, président

OTTAWA (Ontario)

Le 20 décembre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T566/2400

INTITULÉ DE LA CAUSE : George A. Morris c. Forces armées canadiennes

LIEU DE L'AUDIENCE : St. Catharines (Ontario)

(du 6 au 10 novembre 2000, du 8 au 10 janvier, les 22 et 23 mars, les 23 et 24 avril 2001)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 20 décembre 2001

ONT COMPARU :

George A. Morris en son propre nom

Ian Fine et Carla Qualtrough au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Lois Lehmann et Liz Tinker au nom de l'intimée

1. 1 Chapitre 3, section 2.

2. 2 Les dépositions de certains témoins comportaient de légères différences quant aux valeurs numériques correspondant à chacune des fourchettes. Les fourchettes indiquées ci-dessus sont celles qui s'appliquaient à la section narrative que devait remplir le commandant, conformément au chapitre 3 (alinéa 3c)(4)) du Guide des conseils de promotion au mérite - militaires du rang (version de 1993 -- pièce R-19).

3. 3 Un écart de 1,0 point était permis dans le cas des membres du personnel combattant. Voir, par exemple, la section 5 c) au chapitre 1, Guide des conseils de promotion au mérite - militaires du rang, en date du 1er août 1992 (pièce R-18).

4. 4 Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208; O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. [1985] R.C.S. 536, p. 558.

5. 5 O'Malley, ibid.

6. 6 Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.), par. 38474; Grover c. Conseil national de recherches du Canada (1992), 18 C.H.R.R. D/1 (T.C.D.P.), par. 152; Chander c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, [1995] D.C.D.P. no 16, (T.C.D.P.), p. 10, confirmée [1997] A.C.F. no 692 (C.F., 1re inst.); Singh c. Canada (Statistique Canada) (1998) 34 C.H.R.R. D/203, (T.C.D.P.) par. 162, confirmée, Canada (Procureur général) c. Singh (14 avril 2000) T-2116-98 (C.F., 1re inst.).

7. 7 Singh (T.C.D.P.), ibid., par. 174; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.) par. 7; Chander (T.C.D.P.), ibid., p. 11; Pitawanakwat c. Canada (Secrétariat d'État) (1992) 19 C.H.R.R. D/10 (T.C.D.P.) par. 85.

8. 8 Précitée, note 6, par. 38481.

9. 9 (Toronto : Carswell, 1987), p. 142.

10. 10 (1981), 3 C.H.R.R. D/1001, par. 8918. (Comm. d'enq. de l'Ont.).

11. 11 (1983), 4 C.H.R.R. D/1616 (T.C.D.P.), p. 1618, confirmée (1984) 5 C.H.R.R. D/2147 (T.C.D.P.- Trib. d'appel).

12. 12 Chander (T.C.D.P.), précitée, note 6, pp. 11 et 12; Singh (T.C.D.P.), précitée, note 6, par. 174.

13. 13 Singh, (T.C.D.P.), ibid.

14. 14 Voir ci-dessus, note 6.

15. 15 Ce passage figure dans la section 6 du chapitre 2 des versions 1986, 1992 et 1993 du guide.

16. 16 Transcription, 10 janvier 2001, volume 8, pp. 1260 et 1261.

17. 17 Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, (6 avril 1998), T-792-96, (1998) 146 F.T.R. 106 (C.F., 1re inst.), (Décision Chopra no 1), par. 17 à 22; Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, [2001] D.C.D.P. no 20, (Décision Chopra no 2), par. 207; Singh, (T.C.D.P.) précitée, note 6, par. 163.

18. 18 Blake c. Mimico Correctional Institute, (1984) 5 C.H.R.R., D/2417, (Comm. d'enq. de l'Ont.), par. 20129 et 20130; Décision Chopra no 2, ibid., par. 208 à 212; Dhanjal c. Air Canada [1996] D.C.D.P. no 4, (T.C.D.P.) (Q.L.), par. 173.

19. 19 Blake, ibid., par. 20206.

20. 20 Précitée, note 18.

21. 21 Précitée, note 6.

22. 22 Décision Chopra no 2, précitée, note 17, par. 196.

23. 23 Ibid., par. 230.

24. 24 Voir Crouse c. Société maritime CSL Inc., D.T. 7/01, 18 juin 2001, (T.C.D.P.), par. 63.

25. 25 (1992) 18 C.H.R.R., D/102, (T.C.D.P.).

26. 26 (1992) 17 C.H.R.R. D/261, (T.C.D.P.).

27. 27 Ibid., par. 165.

28. 28 (1980) 1 C.H.R.R., D/30, (Comm. d'enq. de l'Ont.).

29. 29 Ibid., p. D/36.

30. 30 Précitée, note 6.

31. 31 (1991) 21 C.H.R.R. D/87, (C.A.F.), par. 9 à 12.

32. 32 Voir aussi Green c. Canada (Commission de la fonction publique) [2000] 4 C.F. 629 (C.F., 1re inst.), par. 141 à 146; Singh (T.C.D.P.), précitée, note 6, aux paragraphes des anciennes pages 79 et 80.

33. 33 Canada (Procureur général) c. Uzuoba [1995] 2 C.F. 569, (1995) 26 C.H.R.R. D/428 (C.F., 1re inst.).

34. 34 Précitée, note 32, par. 5.

35. 35 Ibid., par. 38.

36. 36 Singh, (T.C.D.P.), précitée, note 6, par. 289.

37. 37 Voir la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 9, art. 29.

38. 38 Singh, (T.C.D.P.), précitée, note 6, par. 300; Canada (Procureur général) c. Hébert, A.C.F. no 1457; Green, précitée, note 33, par. 178 à 183.

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