Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

ELENA FOLCH

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

LIGNES AÉRIENNES CANADIEN INTERNATIONAL

l'intimée

TRIBUNAL:

Lyman R. Robinson, c.r. C. Joan Block Gulzar A. Samji DÉCISION DU TRIBUNAL ONT COMPARU: M.R. Jamieson, avocate pour la Commission W. G. Baker, c.r., W.R. Ellison et R.A. Sider, avocats de l'intimée G. Brodksy et M. P. Doherty, avocats de la plaignante

DATE ET LIEU DE 28 et 29 octobre 1991 L'AUDIENCE: 25 au 30 novembre 1991 2 décembre 1991 Vancouver (C.-B.)

DÉCISION DE LA MAJORITÉ PAR: Lyman R. Robinson, c.r. (C. Joan Block y souscrit)

MOTIF AU MEME EFFET: Gulzar A. Samji

TRADUCTION

1

INTRODUCTION

Les motifs de la présente décision sont ceux de Lyman R. Robinson et de C. Joan Block. Le Tribunal est unanime quant à la façon de disposer de la plainte, mais le troisième membre, Gulzar Samji, a rédigé des motifs distincts.

LA PLAINTE

Dans une plainte portée le 19 février 1988, Elena Folch allègue que l'intimée, Lignes aériennes Canadien International, a commis, le ou vers le 28 janvier 1988, un acte discriminatoire fondé sur le sexe, l'âge et l'origine nationale ou ethnique, en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La formule qu'a signée la plaignante contient les détails suivants :

[TRADUCTION]

Les Lignes aériennes Canadien International ont fait preuve de discrimination à mon endroit en refusant de m'embaucher en raison de mon sexe, de mon âge et de mon origine nationale ou ethnique, en violation de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Je suis une femme de 43 ans, née au Mexique. J'ai reçu ma formation de pilote et mon certificat de pilote de ligne au Canada, en plus d'avoir accumulé dix ans d'expérience auprès de la compagnie aérienne Mexicana. J'ai fait une demande d'emploi de pilote auprès des Lignes aériennes Canadien International en 1987. La réaction des membres du jury de sélection semble avoir été très positive.

J'ai néanmoins été avisée par lettre en date du 28 janvier 1988 que ma candidature n'était pas accueillie. Or, pendant la période d'examen de ma demande, les Lignes aériennes Canadien International ont embauché plusieurs nouveaux pilotes, dont certains sont moins qualifiés que moi.

ANTÉCÉDENTS ET EXPÉRIENCE DE LA PLAIGNANTE

Née au Mexique le 9 mai 1944, la plaignante, Elena Folch, est venue au Canada avec sa famille en 1968. Inscrite à l'Université Loyola, elle a décroché un baccalauréat en sciences en mai 1972. La même année, elle a commencé sa formation de pilote à l'école de pilotage Liche Lyle Limited, au Québec, et a obtenu une licence canadienne de pilote privé en 1973. Elle est devenue citoyenne canadienne en 1975.

De retour au Mexique, la plaignante y a obtenu sa licence de pilote professionnel en mars 1975.

En juin 1976, elle a commencé à travailler pour la compagnie aérienne Mexicana, en qualité de mécanicien navigant ou second officier, selon l'appellation parfois utilisée. En décembre 1977, après avoir suivi l'entraînement donné par American Airlines à Fort Worth, au Texas, elle a obtenu le titre de copilote de Boeing 727, un aéronef à réaction de 165 passagers. En février 1983, après avoir suivi les cours de formation dispensés par la United Airlines à Denver, au Colorado, elle a obtenu le

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grade de copilote pour les appareils à réaction de type DC-10 des lignes aériennes Mexicana, pouvant transporter 315 passagers.

Au cours de sa carrière de copilote chez Mexicana, la plaignante a effectué des vols sur les routes de ce transporteur au Mexique ainsi qu'aux États- Unis, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Selon la pratique alors en vigueur chez Mexicana, c'est le commandant de bord qui décidait des parties du vol pendant lesquelles le copilote était responsable du pilotage, y compris les décollages et les atterrissages. Le commandant était aux commandes pendant environ la moitié du vol et le copilote, la partie restante. Au cours de sa carrière de copilote, la plaignante a été soumise à une évaluation semestrielle en vertu de laquelle le rendement était coté satisfaisant (la plus haute cote), acceptable ou non satisfaisant. La plaignante a témoigné avoir reçu le plus souvent la cote satisfaisant. A quelques reprises, toutefois, elle a obtenu la cote acceptable.

Au début de 1986, les pilotes ayant les numéros 302 à 307 sur la liste d'ancienneté de la compagnie Mexicana se sont vu offrir l'occasion d'obtenir le titre de commandant de bord de Boeing 727. Comme elle avait le numéro 306, la plaignante a pu profiter de cette occasion. Pour obtenir le titre de commandant de bord, le candidat devait franchir avec succès chacune des étapes suivantes :

  1. Programme de l'école de formation au sol;
  2. Programme de simulateur de vol;
  3. Essai en vol sans passagers;
  4. Expérience préparatoire en vol : dans un appareil transportant des passagers payants, le candidat occupe le poste du commandant de bord mais sous la surveillance d'un commandant dûment qualifié présent dans le poste de pilote.

Chaque étape doit être franchie dans l'ordre, le passage à l'étape suivante étant conditionnel à la réussite de l'étape précédente.

Si le pilote réussit chacune des quatre étapes précitées du programme de formation des commandants de bord, il commencera à effectuer des vols de ligne, c'est-à-dire qu'il sera aux commandes d'un appareil transportant des passagers payants sans la présence à bord d'un autre commandant, contrairement à l'étape expérience préparatoire en vol.

La plaignante a, quant à elle, réussi les deux premières étapes du programme de formation, à savoir la formation au sol et le simulateur de vol. La troisième étape consistait en un essai en vol sans passagers. Avant de subir l'essai, elle a effectué trois vols d'entraînement aux commandes d'un Boeing 727. Elle a échoué l'essai le 8 février 1986, d'où l'impossibilité où elle s'est trouvée de poursuivre le programme de formation. Dans son témoignage devant le Tribunal, la plaignante a reconnu qu'elle n'avait pas franchi la quatrième étape et qu'elle n'avait jamais fait l'expérience préparatoire en vol.

Contre-interrogée sur les raisons de son échec, la plaignante a répondu ainsi (transcription, volume 3, page 199, lignes 2 à 20) :

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[TRADUCTION]

Q. Quelles raisons vous a-t-on données pour expliquer votre échec lors de l'essai en vol?

R. On ne m'a donné aucune raison car, à la fin, l'instructeur principal qui surveillait l'essai a voulu me parler; j'ai répondu que, peu importe ce qu'il voulait me dire, il le dirait en présence d'un représentant syndical.

Q. Avez-vous profité de cette offre?

R. Il a dû parler aux représentants syndicaux.

Q. Bien. Et avez-vous appris pourquoi vous aviez raté l'essai?

R. Je n'ai pas su pourquoi parce j'ai démissionné et que je n'ai jamais reparlé à ces messieurs depuis.

Q. Donc, vous n'avez jamais cherché à connaître les raisons pour lesquelles vous n'aviez pas réussi l'essai en vol?

R. J'ai fait enquête par l'entremise du syndicat. D'après ce qu'on m'a dit, l'instructeur a estimé que j'étais incapable de faire une bonne approche à partir de données brutes et que je ne pouvais -- je manquais le sens du commandement et diverses choses...

Toujours en contre-interrogatoire, à la page 200, lignes 8 à 17, elle a révélé certaines des explications qu'on lui a données à la suite de son échec, malgré qu'elle ait déclaré au départ n'en avoir obtenu aucune :

[TRADUCTION]

«Q. Avez-vous appris que l'une des raisons était que vous manquiez de jugement dans l'exercice de votre autorité sur l'équipage?

R. Oui.

Q. Vous a-t-on dit que c'était une raison?

R. Oui.

Q. Et vous a-t-on dit que vous n'aviez pas utilisé ou interprété correctement le directeur de vol dans les procédures de vol? Votre syndicat vous a-t-il donné cette raison?

Q. Oui.»

Il a été précisé, au cours du témoignage, que le directeur de vol était un instrument de pilotage.

La plaignante a déclaré qu'après avoir échoué l'essai en vol, elle avait eu, conformément à la convention collective des pilotes de la compagnie Mexicana, la possibilité de reprendre l'examen à trois reprises. Elle a expliqué que, suivant la convention, le nouvel essai se déroulait sous la surveillance d'un comité technique composé de trois commandants, l'un désigné par l'employeur, l'autre par le syndicat des pilotes et le troisième choisi par les deux premiers. Or, la plaignante a dit n'avoir pas demandé à reprendre l'examen sous la surveillance du comité technique parce qu'elle [TRADUCTION] avait été totalement anéantie par une telle injustice. Lorsqu'on lui a demandé, en interrogatoire principal, ce qu'elle avait alors décidé de faire, elle a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je suis citoyenne canadienne et toute ma famille vit au Canada : ma mère, mes frères, mes neveux, tout le monde vit au Canada.

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Mon mari et moi avions parlé un peu auparavant de revenir au Canada, et j'avais entendu dire que les Lignes aériennes Canadien fonctionnaient très bien -- c'était en 1986, au début de 1986.

Nous avons décidé d'aller au Canada; après l'échec que j'avais subi, cela renforçait encore ma conviction. Nous avons entamé les procédures et nous sommes venus au Canada.

La plaignante a ultérieurement ajouté diverses autres raisons pour justifier sa décision de venir au Canada, dont la criminalité et l'érosion de son salaire due au taux élevé d'inflation au Mexique.

Elle a par conséquent avisé le syndicat des pilotes de son intention de présenter sa démission. Le syndicat a alors négocié avec Mexicana une entente de départ qui a été signée le 11 mars 1986. Malgré cette entente, la plaignante a choisi de continuer à effectuer des vols avec Mexicana pendant le mois de mars 1986 mais, de son propre aveu, uniquement à titre d'observatrice.

La plaignante est revenue au Canada en juillet 1986. Elle ne s'est pas immédiatement mise à la recherche d'un emploi, mais a plutôt pris un congé de quatre mois pour voyager en Europe avec son mari.

En décembre 1986, elle a entrepris les démarches pour obtenir la licence de pilote de ligne au Canada. Ces démarches comprenaient un certain nombre d'examens. Le 9 mars 1987, le ministère canadien des Transports lui a délivré une licence de pilote de ligne temporaire après qu'elle eut satisfait à toutes les exigences. Une licence permanente lui fut délivrée le 22 avril 1987. Le 18 octobre 1988, sa licence a été annotée pour un Boeing 727, ce qui signifiait qu'elle avait les qualifications requises pour piloter ce type d'appareil au Canada.

La plaignante est titulaire d'une licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada et valide jusqu'au 1er mai 1992, mais elle ne détient pas de qualification de vol aux instruments en règle. Dans son témoignage, elle s'est dit d'avis qu'advenant son embauche par une compagnie aérienne, elle pourrait facilement obtenir la qualification de vol aux instruments et, de là, sa licence de pilote.

DEMANDE D'EMPLOI EN QUALITÉ D'INSTRUCTEUR AU SIMULATEUR

En décembre 1986, la plaignante a posé sa candidature, en réponse à une annonce de l'intimée, à un poste d'instructeur sur un simulateur de DC-10. M. David Roberts et le commandant de bord McNee l'ont rencontrée en entrevue. Sa candidature n'a pas été retenue. La présente plainte portée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise aucunement cette demande.

DEMANDE D'EMPLOI AUPRES DE L'INTIMÉE EN QUALITÉ DE PILOTE

La plaignante a déclaré qu'à la fin de 1986 ou au début de 1987, elle a fait parvenir un curriculum vitae à l'intimée dans l'espoir d'obtenir un poste de pilote. A peu près à la même période, elle a également envoyé des curriculum vitae

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à Air Canada et à Wardair. En juin 1987, elle a aussi fait une demande auprès d'Air B.C.

DEMANDE, CURRICULUM VITAE ET LETTRES DE RECOMMANDATION

La plaignante a fait parvenir à l'intimée plusieurs curriculum vitae. On trouve à la pièce HRC-3, onglet 14, copie du curriculum vitae envoyé en mars 1987. En voici la première page, sous le titre Expérience

[TRADUCTION] Expérience 1976-1986 Compania Mexicana de Aviacion (Lignes aériennes Mexicana)

Commandant de bord - Boeing 727 * formation terminée en mars 1986

Copilote - DC-10 * Septembre 1982 à décembre 1985 * 1 425 heures * toutes les routes de Mexicana : États-Unis, Mexique, Amérique centrale, Antilles.

Copilote - Boeing 727 * Juin 1976 à septembre 1982 * 3 767 heures * toutes les routes de Mexicana

1972-1976 Vols privés et instruction Divers petits appareils * 360 heures

Heures totales : Heures totales de vol : 5 552 Heures totales de simulateur : - 120 sur DC-10 - 241 sur 727

Le reste du curriculum vitae contient des renseignements sur les études de la plaignante, ses licences, ses loisirs et sa citoyenneté, ainsi que des informations d'ordre personnel.

La plaignante a fait parvenir à l'intimée des mises à jour de ce curriculum vitae le 3 juillet 1987 (pièce R-1, onglet 2) et le 6 octobre 1987 (pièce HRC-3, onglet 17). La première page de chacun de ces curriculum vitae est identique à l'extrait précité, et en particulier la partie suivante ayant trait à son expérience avec la compagnie Mexicana :

Commandant de bord - Boeing 727 * formation terminée en mars 1986

Les dernières versions fournissent des renseignements sur ses plus récentes expériences de vol.

Dans une lettre en date du 6 octobre 1987, adressée à l'intimée à l'attention du commandant de bord McNee, la plaignante a joint une copie de

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son curriculum vitae ainsi que deux lettres de recommandation. L'une de ces lettres, datée du 18 mars 1986, est de J. J. Silva Jimenez, directeur adjoint des ressources humaines de la compagnie Mexicana. Cette lettre, accompagnée de sa traduction de l'espagnol à l'anglais, a été versée en preuve sous la cote HRC-3, onglet 17. Adressant sa lettre à qui de droit, l'auteur écrit :

[TRADUCTION]

Nous vous avisons par la présente que le commandant Elena Ana Maria Folch Serra a travaillé pour notre compagnie du 9 juin 1976 au 11 mars 1986, date à laquelle elle a volontairement remis sa démission. A ce moment, elle travaillait comme copilote sur un DC- 10/15s et relevait de notre Service des opérations.

Il appert de son dossier que pendant qu'elle travaillait pour la compagnie, le commandant Folch Serra ne s'est jamais absentée sans justification et qu'elle a toujours exercé ses fonctions avec le dévouement et le soin requis.

Lettre écrite à la demande du commandant Serra, pour utilisation à ses fins personnelles.

L'autre lettre de recommandation, datée du 30 septembre 1987, est du commandant Rodolfo Fierro Lozano, directeur des opérations aériennes chez Mexicana. En voici la teneur :

[TRADUCTION]

A QUI DE DROIT La porteuse de cette lettre, ELENA FOLCH SERRA, a travaillé pour la compagnie Mexicana du 9 juin 1976 au 11 mars 1986. Pendant cette période, elle a effectué des vols en qualité de copilote de Boeing 727 et de DC-10.

En vous remerciant à l'avance pour toute l'aide que vous pourriez lui apporter, je demeure...

A une autre lettre datée du 6 octobre 1987 et adressée à l'intimée à l'attention du commandant Archibald, la plaignante a joint copie de son curriculum vitae ainsi que des deux mêmes lettres de recommandation.

Au printemps 1987, l'intimée a demandé à la plaignante de remplir un formulaire indiquant son temps de vol. Après l'avoir rempli et signé en date du 28 avril 1987, elle l'a renvoyé à l'intimée. Copie de ce formulaire a été admise en preuve sous la cote HRC-3, onglet 17. Sous le titre Voilure fixe - Multimoteur et vis-à-vis l'inscription B-727, elle a consigné les données suivantes : En double - Aux commandes 2e pilote 3e pilote Type d'appareil Prop Jet Prop Jet Prop Jet B-72767 2 900708

Sont aussi incluses dans le formulaire des données concernant d'autres types d'appareils. Soulignons que la plaignante a indiqué avoir accumulé 67 heures de vol aux commandes d'un appareil B-727.

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L'EMBAUCHE DES PILOTES CHEZ L'INTIMÉE EN 1987-88

En juillet 1987, le service des opérations aériennes de l'intimée a estimé que cette dernière aurait à recruter une centaine de pilotes supplémentaires pour l'année à venir. En raison de la récession ayant frappé les transporteurs aériens, la compagnie n'avait embauché aucun nouveau pilote depuis plusieurs années. Pendant cette période de gel de l'embauchage, la compagnie avait toutefois continué à accepter des demandes d'emploi ou des curriculum vitae de pilotes intéressés à obtenir un poste éventuel. Au mois de juillet 1987, l'intimée avait ainsi reçu environ 1 200 demandes, dont celle de la plaignante. Certaines de ces demandes remontaient à 1982 mais étaient néanmoins à jour, les postulants faisant parvenir de nouveaux curriculum vitae tous les six mois.

L'intimée s'est donc engagée dans un processus de sélection comportant plusieurs étapes :

  1. Le Service du personnel de l'intimée a procédé à une sélection préliminaire des demandes déjà reçues pour déterminer si les candidats remplissaient les exigences minimales et possédaient les qualités privilégiées pour le poste de pilote. Environ 200 candidatures ont été sélectionnées, dont celle de la plaignante, en fonction des titres et qualités énoncés dans les curriculum vitae. Ces candidatures ont été acheminées pour examen au Service des opérations aériennes.
  2. Parmi les 200 dossiers de candidatures que lui avait transmis le service du personnel, un pilote en chef du Service des opérations aériennes a sélectionné les candidats, dont la plaignante, qui seraient invités à une entrevue initiale.
  3. ENTREVUE DE PRÉSÉLECTION Cent cinquante et un candidats, dont la plaignante, ont été entendus à cette étape. L'entrevue était menée par une équipe de deux personnes.

Cette entrevue de présélection visait à évaluer de façon préliminaire si les candidats possédaient les qualités minimales et privilégiées pour le poste de pilote, ainsi qu'à leur donner des informations quant à la nature des postes offerts, le programme de formation exigé et le fait que les candidats dont la demande serait acceptée pourraient devoir rester au premier échelon pendant dix ans avant d'espérer obtenir une promotion. On voulait également vérifier s'ils étaient prêts à accepter un éventuel déplacement.

Des 151 candidats s'étant présentés à l'entrevue de présélection, 117, dont la plaignante, ont été recommandés au jury de sélection.

4. JURY DE SÉLECTION Le jury de sélection, composé habituellement de trois membres, invitait les candidats recommandés par le comité de présélection

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à passer une entrevue. Aux yeux de l'intimée, il s'agissait là d'une étape déterminante du processus de sélection. Le jury, formé de trois membres, était présidé par Bill Forbes, alors directeur du Service de recrutement et de placement de l'intimée. Dans le cas de la plaignante, le jury se composait de Bill Forbes, Dave Roberts, des Opérations aériennes, et du commandant Gilliland, commandant de première classe de DC-10.

Bien que le jury de sélection fût également chargé d'examiner les titres et qualités des candidats ainsi que leur expérience, sa plus importante fonction était d'évaluer leurs qualités personnelles, et en particulier leur aptitude au commandement.

Sur les 117 candidats ainsi reçus en entrevue de sélection, seulement 67 ont fait l'objet d'une recommandation du jury en vue de l'étape suivante du processus de recrutement. En ce qui concerne la candidature de la plaignante, le jury de sélection n'a pas recommandé qu'il y soit donné suite.

5. EXAMEN MÉDICAL ET VÉRIFICATION DES RÉFÉRENCES En cas de recommandation par le jury de sélection, a) le candidat devait se soumettre à un examen médical; et b) il était procédé à une vérification des références auprès de ses employeurs précédents.

6. DERNIERE ENTREVUE Si, après avoir fait l'objet d'une recommandation positive du jury de sélection, le candidat s'était soumis à l'examen médical et que la vérification des références n'avait révélé aucun problème, il était invité à se présenter à une dernière entrevue en présence du vice-président des Opérations aériennes et du directeur des Ressources humaines.

7. OFFRE D'EMPLOI Au terme de ce processus à plusieurs étapes, 52 pilotes ont été embauchés pendant la période allant de septembre 1987 à mars 1988.

Pour le poste de pilote, l'intimée avait établi les exigences minimales suivantes :

Diplôme de 12e année

Licence de pilote de ligne délivrée par le ministère canadien des Transports

Qualification de vol aux instruments et 2 000 heures de vol dans l'aviation commerciale Quant aux qualités privilégiées, elles étaient énoncées comme suit : Deux ans d'études postsecondaires et Expérience des avions lourds (plus de 12 500 livres)

Les candidats remplissant les exigences minimales et possédant les qualités privilégiées étaient en outre évalués en entrevue suivant une liste de facteurs de notation figurant sur la formule d'évaluation à la

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disposition des membres du jury. Cette formule ne comptait qu'une page divisée en plusieurs parties : dans la partie du haut, un espace était réservé au nom du candidat et à la date de l'entrevue. Sous le nom du candidat figurait le titre LICENCES. On y cochait les licences dont il était titulaire :

Licence de pilote Professionnel de première classe Professionnel

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Qualification de vol aux instruments Classe #1 Classe #2 Classe #3

Le pilote en chef était, à l'entrevue, chargé de recueillir les renseignements devant être inscrits dans cette partie de la formule.

La deuxième partie était intitulée ANNOTATIONS Type(s) d'appareil/Contrôle de la compétence de pilote.

Le pilote en chef était, à l'entrevue, chargé de recueillir les renseignements destinés à cette partie de la formule et de les transmettre aux autres membres du jury qui les consignaient à leur tour sur leur propre formule.

Sous l'espace réservé au PROFIL MÉDICAL et à la DATE DE L'E.C.G., se trouvait le titre FACTEURS DE NOTATION. Puis venait l'énumération des facteurs suivants :

EXPÉRIENCE Routes de circulation intense Routes parallèles (par ex. courriers, etc.) Temps de vol IFR (siège droitier ou gaucher) Appareil à hautes performances

Bill Forbes a déclaré en témoignage que cette partie de la formule était remplie à l'entrevue par les membres du jury de sélection en collaboration avec le pilote en chef.

ÉTUDES

QUALITÉS PERSONNELLES

Leadership : Capacité d'imposer le respect; crédibilité, maturité, confiance en soi. Habilités en communications interpersonnelles Motivation Loyauté Capacité d'apprendre Ambition Fiabilité Relations publiques

Pour chacun de ces facteurs, l'échelle allait de 1 à 5, la cote 5 étant la plus élevée. Au chapitre de l'expérience, la plaignante a reçu la cote 5 pour chacun des quatre sous-facteurs, sauf quant au Temps de vol IFR pour lequel elle a reçu la cote 4 parce qu'elle avait agi le plus souvent en qualité de copilote.

Un système de pondération était prévu, le coefficient établi pour chaque facteur devant être multiplié par la cote attribuée. Ce calcul permettait d'établir le résultat global de chacun des candidats. M. Forbes a toutefois déclaré en témoignage que ce système n'avait pas été utilisé en

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1987. Il n'a pas pondéré les points pour chaque facteur ni calculé le résultat global. Il a déclaré de plus que le jury de sélection n'a jamais fondé sa décision d'embaucher un candidat sur le total des points obtenus. D'autres membres du jury ont toutefois fait ce calcul pour plusieurs des candidats, dont la plaignante.

Au bas de la formule se trouve un espace réservé aux COMMENTAIRES GÉNÉRAUX. Chacun des membres du jury de sélection y a inscrit ses commentaires.

M. Forbes a déclaré qu'au stade du jury de sélection, les qualités personnelles étaient beaucoup plus importantes, aux fins de l'évaluation des candidats, que l'expérience et que les études. Parmi les qualités personnelles importantes se trouvait le leadership comprenant l'aptitude à commander ou encore, selon les divers synonymes utilisés par les témoins, l'aptitude au commandement, l'aptitude potentielle à commander et la capacité d'inspirer l'autorité. Tous les membres du jury de sélection ont déclaré dans leur témoignage que l'aptitude à commander était un critère très important dans la décision d'embaucher un pilote, et ce pour au moins deux raisons : en premier lieu, même s'il n'occupera habituellement pas un poste de commandement avant plusieurs années, le pilote débutant pourra être appelé, en sa qualité de copilote, à remplacer le commandant de bord en cas d'incapacité de celui-ci; en second lieu, et de façon encore plus importante, le système d'ancienneté prévu à la convention collective négociée entre l'intimée et ses pilotes fait en sorte que les pilotes débutants constituent la seule relève. L'intimée ne peut donc embaucher de commandants qualifiés d'une autre compagnie aérienne, tous les pilotes qu'elle recrute devant commencer au bas de la liste d'ancienneté.

Divers témoins ont été interrogés sur leur définition de l'aptitude à commander. Selon M. Forbes, cette aptitude se caractérise par la compétence au niveau de la gestion du poste de pilotage, de la prise de décisions et des communications interpersonnelles. M. Cranston a témoigné pour la Commission à titre d'expert. Il a notamment travaillé comme inspecteur des transporteurs aériens pour Transports Canada. Il a aussi été commandant pendant 12 ans, dont 5 ou 6 comme chef pilote au Service de vols administratifs de Transports Canada. Il a quant à lui cité plusieurs exemples d'écrasements où, à son avis, il semblait y avoir eu déficience sur le plan de la capacité ou de l'aptitude à commander.

ENTREVUE DE PRÉSÉLECTION AVEC LA PLAIGNANTE

Lors de l'entrevue de la plaignante au stade de la présélection, Janice Ferguson, du Service du personnel, et le commandant Tony Archibald, du Service des opérations aériennes, ont recommandé que sa candidature soit examinée au niveau suivant, celui du jury de sélection.

JURY DE SÉLECTION - ENTREVUE AVEC LA PLAIGNANTE

Le jury de sélection a reçu la plaignante en entrevue le 9 novembre 1987. Le jury était formé de Bill Forbes, David Roberts et du commandant Gilliland.

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Perception de la plaignante à la suite de l'entrevue de sélection Dès le début de l'entrevue, le jury a demandé à la plaignante de produire ses licences de pilote ainsi que son carnet de vol pilote. Celle-ci a présenté son carnet de vol canadien.

La plaignante a déclaré n'avoir jamais dit au jury qu'elle avait été commandant de 727 pour la compagnie Mexicana.

Vers la fin de l'entrevue, les membres du jury lui ont demandé si elle avait des questions. Comme il lui semblait avoir fait bonne impression, elle a répondu en posant elle-même la question suivante :

[TRADUCTION]

«Oui, j'aimerais savoir quand vous aurez besoin de moi?»,

ce à quoi M. Forbes a répondu :

[TRADUCTION]

«...très bientôt, qu'il y aurait bientôt un poste à combler, très bientôt.»

La plaignante a raconté qu'en la raccompagnant, M. Forbes lui avait demandé si elle voulait bien attendre un instant à l'extérieur. D'après elle, M. Forbes voulait lui fixer rendez-vous pour un examen médical. Après quelques minutes, M. Forbes est revenu pour lui dire :

[TRADUCTION]

«Le médecin n'est pas disponible pour le moment mais nous allons communiquer avec vous bientôt, très bientôt.» D'après la plaignante, c'était là le signe le plus positif qu'une compagnie aérienne accepte de vous engager.

Évaluation de la plaignante par le jury de sélection Chacun des membres du jury de sélection a évalué la plaignante en se servant de la formule de la manière indiquée précédemment. Ces formules d'évaluation ont été déposées en preuve. Les membres ont chacun conclu qu'il n'y avait pas lieu de donner suite à la candidature de la plaignante. La décision de ne pas recommander son embauche était par conséquent une décision unanime. Les membres du jury ont tous témoigné devant le Tribunal.

Les trois principaux motifs avancés pour justifier le rejet de la candidature de la plaignante ont été les suivants :

  1. Absence d'aptitude à commander;
  2. Insuffisance des heures de vol récentes;
  3. Faible nombre d'heures de vol par rapport aux années d'expérience.

Chacun de ces motifs sera examiné plus loin dans la présente décision.

Président du jury de sélection, M. Forbes s'est remémoré en témoignage la fin de l'entrevue avec la plaignante. Il a déclaré qu'à titre de président, il avait l'habitude, à la fin de chaque entrevue, d'indiquer au postulant les étapes à venir du processus de sélection advenant une recommandation positive du jury. Interrogé sur les raisons qui l'incitaient à agir ainsi même dans les cas où il savait qu'il ne recommanderait pas le maintien de la candidature, il a répondu ainsi :

[TRADUCTION]

«Eh bien, d'abord, quelle que soit mon opinion au sujet du candidat, je n'ai pas la moindre idée de ce que mes collègues en pensent. De plus, à mon avis, il n'y a aucune raison de ne pas

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expliquer le processus et souvent ce sont les candidats eux-mêmes qui le demandent.»

Il y a plusieurs contradictions entre le témoignage de la plaignante, d'une part, et ceux des membres du jury, d'autre part, quant à ce qui s'est passé pendant l'entrevue et immédiatement après. Nous reviendrons plus loin sur certaines de ces contradictions qu'il nous faudra résoudre.

LA LETTRE REJETANT LA CANDIDATURE DE LA PLAIGNANTE

Dans une lettre datée du 28 janvier 1988 et envoyée à la plaignante, Bill Forbes rejette sa demande d'emploi comme pilote. Interrogé sur le délai entre l'entrevue et la lettre, il a expliqué qu'il était attribuable au fort volume de décisions rendues à cette époque relativement au personnel.

OBJET DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est énoncé à l'article 2, savoir :

...compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet...au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

CHARGE ET FARDEAU DE LA PREUVE

La charge de la preuve imposée à l'égard d'une plainte portée en vertu de la Loi est ainsi décrite dans l'affaire Basi c. Chemins de fer nationaux du Canada (1984), 9 C.H.R.R. D/5029 (Tribunal des droits de la personne), à la p. D/5037, paragraphe 38474 :

Le fardeau et l'ordre de la preuve dans les causes de discrimination pour refus d'embaucher sont des mécanismes d'ores et déjà bien établis dans toutes les provinces canadiennes : le plaignant doit d'abord établir que l'acte reproché a toutes les apparences d'un acte discriminatoire; après quoi, il incombe au mis-en-cause de fournir une explication raisonnable de l'acte qui lui est reproché. En supposant que l'employeur ait fourni une explication, il revient alors au plaignant de démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination.

Puis, au paragraphe 38475 :

Dans la présente cause, il incombe donc au plaignant d'établir d'abord que sa plainte paraît fondée à première vue : Shakes c. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, à la p. 1002 :

Dans une plainte relative à un emploi, la Commission établit habituellement qu'il s'agit d'une preuve suffisante à première vue, en prouvant :

  1. que le plaignant avait les qualifications pour l'emploi en cause;
  2. 14

  3. que le plaignant n'a pas été embauché; et
  4. qu'une personne pas mieux qualifiée mais qui n'avait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte auprès de la Commission des droits de la personne a obtenu le poste.

Si la Commission réussit à prouver ce qui précède, il incombe alors au mise en cause de fournir une explication des événements qui concourt à établir que la discrimination pour des motifs prohibés par le Code n'est pas la bonne explication aux événements survenus.

Voir aussi Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et la Commission de la Fonction publique (1983), 4 C.H.R.R. D/1616 (Tribunal des droits de la personne).

Dans l'affaire Blake v. Ministry of Correctional Services and Mimico Correctional Institute (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (Ontario), la Commission s'est exprimée comme suit au paragraphe 20090 :

[TRADUCTION]

Dans le cas où l'intimé fait valoir en preuve que son refus d'embaucher le plaignant se fondait sur des considérations non discriminatoires, le plaignant et la Commission ont encore la possibilité d'établir que la raison avancée n'est qu'un prétexte et que la discrimination pour un motif illicite était l'une des considérations déterminantes des actes de l'intimé.

C'est au plaignant et à la Commission qu'incombe la charge ultime d'établir le bien-fondé de la plainte suivant la prépondérance des probabilités : voir Blake v. Ministry of Correctional Services and Mimico Correctional Institute (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (Ontario), au paragraphe 20090.

Il est également manifeste qu'il n'est pas nécessaire que l'intimée ait eu l'intention d'exercer de la discrimination contre la plaignante. La preuve, suivant la prépondérance des probabilités, que l'intimée a effectivement exercé de la discrimination contre la plaignante pour l'un des motifs allégués dans sa plainte, suffit à établir le bien-fondé de celle-ci. Voir Commission des droits de la personne de l'Ontario c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] R.C.S. 536, aux p. 547 et 549.

PREUVE CIRCONSTANCIELLE :

Dans l'affaire Blake v. Ministry of Correctional Services and Mimico Correctional Institute (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (Ontario), il est dit au paragraphe 20091 :

[TRADUCTION]

La discrimination peut être établie par une preuve directe ou circonstancielle...

Une preuve circonstancielle est une preuve compatible avec le fait que l'on cherche à prouver et incompatible avec toute autre conclusion logique.

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PREUVE STATISTIQUE

Dans l'affaire Blake v. Ministry of Correctional Services and Mimico Correctional Institute (1984), 5 C.H.R.R. D/2417 (Ontario), on a dit au paragraphe 20092 :

[TRADUCTION]

Pour établir une preuve suffisante à première vue qu'il y a eu discrimination, le plaignant et la Commission peuvent soit présenter une simple preuve testimoniale..., soit recourir à une preuve statistique, ou encore combiner ces deux modes de preuve.

Puis au paragraphe 20096 :

[TRADUCTION]

Les statistiques constituent une forme de preuve circonstancielle dont il est possible d'inférer l'acte discriminatoire.

Et enfin au paragraphe 20098 :

[TRADUCTION]

Retenons que tant les plaignants que les intimés peuvent recourir à la preuve statistique. Ainsi, il est loisible à l'employeur intimé d'utiliser des statistiques en défense pour établir qu'il n'a pas agi de façon discriminatoire...

ALLÉGATIONS MULTIPLES DE DISCRIMINATION

La plaignante allègue avoir été victime, de la part de l'intimée, de discrimination fondée sur le sexe, l'âge et l'origine nationale ou ethnique. Elle aura gain de cause si elle établit, suivant la norme de preuve dont il a été question précédemment, l'existence de la discrimination pour l'un quelconque de ces motifs. Il convient donc d'examiner la preuve relative à chacun des motifs de discrimination allégués.

CRÉDIBILITÉ

Le témoignage de la plaignante quant à ce qui s'est passé pendant et immédiatement après l'entrevue de sélection contredit sous plusieurs aspects importants le témoignage des membres du jury. Il y a également des contradictions entre le témoignage de la plaignante et celui d'autres témoins concernant d'autres moments pertinents. Or dans l'impossibilité de résoudre ce genre de contradictions, il faut examiner la crédibilité des témoins. Voici quelques cas où la plaignante soit a fait des assertions inexactes, soit n'a pas été tout à fait franche:

a) Le curriculum vitae de la plaignante :

Les curriculum vitae produits en preuve et que la plaignante a fait parvenir à l'intimée contiennent tous la même mention sous le titre Expérience :

«Commandant de bord - Boeing 727 * Formation terminée en mars 1986.»

Contre-interrogée sur les raisons qui l'avaient poussée à inscrire cette mention, elle a répondu comme suit (volume 3, page 239, lignes 13 à 16) :

16

[TRADUCTION]

«Q. Pourquoi avoir inscrit Commandant de bord - Boeing 727, Mme Folch? Pourquoi avez-vous inscrit cela dans votre curriculum vitae?

R. Parce que c'était un atout, un merveilleux atout.»

Et plus loin à la page 240, à partir de la ligne 4 :

[TRADUCTION]

«Q. Pourquoi n'avez-vous pas inscrit Première et deuxième étapes de la formation terminées»?

R. Parce que j'estime -- ceux qui ont établi mon curriculum vitae estimaient que c'était ce qu'il convenait de faire, et j'ai cru qu'ils avaient raison. Je n'y ai vu rien de mal étant donné que personne ne m'embaucherait sans me parler.

Q. Je vois. Voulez-vous dire que lors de l'entrevue chez Canadien, vous avez dit que vous aviez échoué votre essai pour le grade de commandant de Mexicana?

R. Ils ne me l'ont jamais demandé.

Q. Ils ne vous l'ont jamais demandé et vous ne l'avez jamais mentionné, n'est-ce pas exact?

R. Non, je ne crois pas qu'il convenait de mentionner ces choses.

Q. Donc, vous avez inscrit Commandant de bord - Boeing 727, formation terminée en mars 1986 parce que vous estimiez que cela représenterait pour vous un atout considérable?

R. Je crois que cette formation constitue un atout considérable, c'est une formation très exigeante qui ajoute à l'expérience. Il s'agit donc d'un atout, oui, pour moi c'est un atout.

Compte tenu du curriculum vitae qu'elle a soumis à l'intimée et de l'extrait précité de son contre-interrogatoire, nous concluons que la plaignante était disposée à s'écarter de la vérité lorsqu'il y allait de son intérêt.

L'avocat de la plaignante a fait valoir que le fait que celle-ci ait joint à l'appui de sa demande des lettres de recommandation de la compagnie Mexicana, lettres dans lesquelles il n'était question que de sa compétence de copilote, démontre l'absence d'intention d'induire l'intimée en erreur quant à ses qualifications.

Le fait qu'il ne soit pas question dans ces lettres de recommandation de la compétence de la plaignante en qualité de commandant ne fait pas disparaître l'assertion inexacte de son curriculum vitae. Elle s'est présentée dans ce document comme si elle avait terminé sa formation de commandant. Or l'intimée ne pouvait s'attendre à ce que Mexicana fournisse des lettres de recommandation commentant sa compétence de commandant étant donné que, selon son curriculum vitae, elle venait de terminer sa formation mais n'avait pas encore à son actif de vols réguliers en tant que seul commandant à bord. De plus, dans la lettre de J. J. Silva Jimenez datée du 18 mars 1986 (pièce HRC-3, onglet 17), la plaignante est désignée comme commandant, ce qui était d'autant

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plus susceptible d'inciter les membres du personnel de l'intimée à croire qu'elle avait terminé sa formation de commandant.

Il y a une contradiction entre le témoignage de la plaignante et celui des membres du jury de sélection quant à savoir si la plaignante a dit expressément à l'entrevue qu'elle avait obtenu le titre de commandant auprès de la compagnie Mexicana. La plaignante a nié avoir dit au jury qu'elle avait effectué des vols en tant que commandant de bord. Dans son propre témoignage (volume 3, page 150, ligne 3), elle a reconnu que le jury lui avait demandé si elle avait déjà commandé un vol. Il devait donc lui sembler évident que les membres du jury de sélection avaient l'impression, fondée sur l'inscription dans son curriculum vitae ou sur son curriculum vitae et sur les déclarations faites à l'entrevue, qu'elle avait obtenu le titre de commandant auprès de la compagnie Mexicana. Néanmoins, elle n'a rien fait pour dissiper l'impression erronée ainsi créée dans leur esprit.

b) Le carnet de vol canadien de la plaignante (pièce HRC-3, onglet 18) Lorsque la plaignante est arrivée au Canada en 1986 et qu'elle a fait une demande en vue d'obtenir sa licence de pilote de ligne, Transports Canada a exigé qu'elle consigne ses heures de vol dans un carnet. Après avoir échoué l'examen de commandant chez la compagnie Mexicana, elle avait effectué, au cours du mois de mars 1986, 14 vols à titre d'observatrice. Le siège où elle prenait place alors n'était muni d'aucun contrôle de pilotage. Elle a néanmoins consigné ces heures dans son carnet dans la colonne En double. En contre- interrogatoire, elle a fait l'admission suivante (volume 3, page 215, lignes 8 à 11) :

[TRADUCTION]

«Q. Donc aucune des heures que vous avez consignées pour ces vols ne devrait figurer dans le carnet, n'est-ce pas?

R. Comme expérience, elles le peuvent, mais comme heures, probablement pas.»

Le commandant Gilliland a déclaré que les heures ainsi consignées correspondaient aux inscriptions qui auraient été faites si la plaignante avait réussi son examen de commandant et effectuait son expérience préparatoire en vol, sous la surveillance d'un autre commandant à bord. En d'autres termes, l'appareil aurait été sous le double commandement du pilote effectuant l'expérience préparatoire et du commandant à part entière, également présent dans le poste de pilotage.

La plaignante a dit qu'elle ne savait pas à quel titre consigner les vols effectués en mars 1986 dans son carnet canadien. L'explication est pourtant simple : elle n'était pas pilote à ce moment et ces vols n'auraient jamais dû figurer dans son carnet canadien. En les consignant, elle a fait une assertion inexacte.

Les mêmes vols sont consignés dans son carnet mexicain (pièce HRC-5), bien qu'elle ne les ait effectués qu'en qualité d'observatrice.

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c) Dans le relevé des Heures de vol à titre de pilote qu'elle a soumis à l'intimée (pièce HRC-3, onglet 17), la plaignante a inscrit les données suivantes sous le titre Voilure fixe - Multimoteur et vis-à- vis l'inscription B-727 :

En double - Aux commandes 2e pilote 3e pilote Type d'appareil Prop Jet Prop Jet Prop Jet B-72767 2 900708

Rien en preuve n'indique que la plaignante ait jamais été aux commandes d'un appareil B-727.

d) Dans sa lettre du 9 février 1988 adressée à M. Murray Sigler, président de l'intimée, la plaignante affirme (pièce HRC-3, onglet 21) :

[TRADUCTION]

Les entrevues que j'ai passées les 14 octobre et 9 novembre pour le poste de pilote de ligne m'ont conduite à croire que ma candidature était retenue. Il avait en effet été entendu que je subirais un examen médical à la date dont M. Forbes pourrait convenir.

En fait, de l'aveu même de la plaignante devant le Tribunal, il n'y a jamais eu d'entente de principe au sujet d'un rendez-vous pour un examen médical. Aucune date, provisoire ou non, n'a été fixée à cette fin. Elle croyait en fait qu'elle recevrait un appel en vue de prendre rendez-vous.

e) La plaignante n'a pas au départ informé Penny Goldrick, enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne, qu'elle n'avait pas terminé sa formation de commandant auprès de la compagnie Mexicana. Dans son témoignage, Penny Goldrick a déclaré que ce n'est qu'environ sept mois après le dépôt de la plainte qu'elle a appris, à la suite de son enquête, que la plaignante n'avait pas terminé sa formation comme elle le laissait entendre dans son curriculum vitae soumis à l'intimée. Malgré cette information, la Commission a décidé de poursuivre l'enquête et d'aller devant le Tribunal.

Bien que les membres du jury de sélection n'aient pas été au courant de l'inexactitude de ces assertions au moment où ils ont rendu leur décision, le Tribunal est quant à lui en droit de prendre ce facteur en considération pour apprécier la crédibilité de la plaignante. Or, ces assertions inexactes portent effectivement atteinte à sa crédibilité. En conséquence, dans les cas où il y avait contradiction entre le témoignage de la plaignante et ceux d'autres témoins, nous avons accepté ces derniers.

Nous avons cité précédemment l'article 2 de la Loi portant que tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement. L'une de ces obligations au sein de la société est de faire montre d'honnêteté et d'intégrité dans ses rapports avec autrui. En l'espèce, la plaignante n'a fait montre d'honnêteté et d'intégrité ni dans ses rapports avec l'intimée

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ni dans ses rapports avec la Commission, soit en les induisant délibérément en erreur, soit en omettant de corriger des assertions inexactes faites par inadvertance et auxquelles elle savait que l'intimée ou la Commission se fieraient.

CONCLUSIONS QUANT AU DÉROULEMENT DE L'ENTREVUE DEVANT LE JURY DE SÉLECTION ET AUX INSTANTS QUI L'ONT SUIVIE

L'avocat de la plaignante et celui de la Commission ont attaché beaucoup d'importance à la discussion ayant eu lieu pendant l'entrevue de la plaignante devant le jury de sélection et aux événements s'étant produits immédiatement après. Il convient donc de tirer certaines conclusions de fait à cet égard avant d'examiner les allégations précises de discrimination. La plaignante a témoigné qu'au sortir de l'entrevue, elle avait eu une impression positive et qu'elle croyait qu'elle serait embauchée par l'intimée.

Son impression se fondait sur plusieurs facteurs. Ainsi, elle a déclaré avoir interprété la manière courtoise et amicale dont elle avait été traitée à l'entrevue comme une indication qu'elle serait embauchée. Que l'entrevue se soit ainsi déroulée de façon courtoise et amicale est certes à porter au crédit des membres du jury, mais ne saurait justifier sa perception.

La plaignante a aussi fondé en partie sa perception sur ce qu'elle dit avoir compris de la réponse de M. Forbes lorsqu'elle lui a demandé à quel moment l'intimée aurait besoin d'elle. Il ne fait pour nous aucun doute que la plaignante a posé une question de ce genre au jury de sélection, question logique pour tout candidat. Suivant son témoignage, M. Forbes aurait répondu :

[TRADUCTION]

«Très bientôt, il y aura un poste à combler très, très bientôt.» Nous ne doutons aucunement que M. Forbes ait répondu que les Lignes aériennes Canadien auraient sous peu besoin de pilotes, mais nous rejetons l'assertion de la plaignante selon laquelle M. Forbes aurait ainsi indiqué que l'intimée aurait besoin très bientôt de ses services. Au moment où elle a posé cette question et obtenu la réponse de M. Forbes, celui-ci n'avait aucun moyen de connaître la recommandation que feraient les autres membres du jury. Et même si cette recommandation était positive, plusieurs autres étapes du processus de sélection restaient encore à franchir, dont l'examen médical, la vérification des références et l'entrevue finale avec le vice-président. Tout indique que la plaignante avait été mise au courant de ces autres étapes.

La plaignante a déclaré avoir eu l'impression qu'elle serait embauchée notamment parce qu'elle avait cru comprendre que des arrangements seraient pris en vue d'un examen médical. Or, M. Forbes a témoigné qu'il concluait toutes ses entrevues en parlant des étapes à venir du processus de recrutement, dont la nécessité pour les candidats retenus de subir un examen médical. Là encore, alors que la plaignante croyait que M. Forbes tentait de prendre rendez-vous pour elle, il ne savait pas encore si le jury recommanderait le maintien de sa candidature. Jennifer Rowland, commise principale chez l'intimée, était responsable des rendez-vous médicaux pour les candidats pilotes ayant fait l'objet d'une recommandation

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du jury de sélection. Elle a ainsi témoigné quant à cette pratique (volume 8, page 1283, lignes 18 à 25) :

[TRADUCTION]

«R. ... A l'occasion, il sortait de l'entrevue en me disant que la candidature de cette personne était retenue et en me demandant de bien vouloir prendre les dispositions en vue d'un examen médical. Mais le plus souvent, c'est à la fin de la journée qu'il me remettait la liste des personnes qui avaient été retenues.» Or, Jennifer Rowland a déclaré n'avoir jamais reçu de directives quant à un examen médical de la plaignante.

Il ne fait aucun doute qu'après l'avoir raccompagnée à la sortie de la salle d'entrevue, M. Forbes l'a laissée à l'extérieur pour revenir quelques minutes plus tard. Les membres du jury de sélection ont tous trois témoigné qu'il était de pratique courante à la fin de l'entrevue de consacrer quelques minutes à l'examen du carnet de vol canadien du candidat avant de le lui remettre. Malgré le témoignage de la plaignante selon lequel elle avait emporté son carnet en sortant, nous estimons que le carnet était resté dans la salle. M. Forbes est revenu dans la pièce et, après examen du carnet, l'a remis à la plaignante en lui disant au revoir.

Nous sommes d'avis que M. Forbes n'a jamais demandé à son personnel de prendre les dispositions en vue d'un examen médical de la plaignante. Si celle-ci a compris qu'un rendez-vous serait pris à cette fin, c'est qu'elle a mal interprété les propos de M. Forbes lorsque ce dernier lui a décrit les étapes à venir du processus de recrutement advenant une recommandation positive du jury de sélection.

N'ayant pas été convoquée à l'examen médical, la plaignante a cru que quelque chose n'allait pas. A une ou deux reprises, elle s'est entretenue avec M. Forbes au téléphone. Elle n'a pas allégué avoir reçu alors quelque indication quant à son embauchage.

Nous estimons qu'une personne raisonnable n'aurait pas, dans les circonstances, eu l'impression qu'elle serait embauchée et que, dans le cas de la plaignante, cette impression n'était pas justifiée.

PARAMETRES DU GROUPE DE CANDIDATS

On a soulevé la question de savoir suivant quels paramètres devait être déterminé le groupe à examiner pour décider si un candidat qui n'était pas plus qualifié que la plaignante avait été embauché. Les avocats de la plaignante et de la Commission ont fait valoir que ce groupe devait être constitué de toutes les personnes ayant présenté leur candidature à un poste de pilote en 1987-88, même ceux qui ont été embauchés après que la plaignante eut été avisée du rejet de sa demande. L'avocat de l'intimée a soutenu pour sa part que les candidats embauchés après cette date devaient être exclus. Nous estimons quant à nous que le groupe pertinent doit inclure tous les candidats avec lesquelles la plaignante était en compétition, c'est-à-dire tous ceux qui avaient présenté leur candidature au poste de pilote avant que la plaignante ne soit avisée du rejet de sa demande.

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SEXE : ALLÉGATION DE DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE

La plaignante allègue que l'intimée a exercé à son endroit de la discrimination en refusant de l'embaucher en raison de son sexe. Y a-t-il une preuve directe de discrimination fondée sur le sexe? La décision de ne pas donner suite à la candidature de la plaignante a été prise par les membres du jury de sélection. Aucun d'eux n'a mentionné le sexe de cette dernière sur la formule d'évaluation ni formulé, en témoignage, de commentaires négatifs à ce sujet.

La plaignante a déclaré quant à elle qu'au cours de l'entrevue, M. Forbes lui avait demandé si elle avait déjà eu des problèmes avec ses collègues masculins et comment elle réagirait si un pilote refusait d'effectuer un vol à ses côtés. M. Forbes a dit qu'il ne se souvenait d'aucune question ou discussion à ce sujet. Mme Ferguson, membre du comité de présélection, a déclaré pour sa part avoir posé une question à ce propos. La discussion de cette question lors de l'entrevue de présélection ne peut être considérée comme une preuve de discrimination fondée sur le sexe étant donné la recommandation du comité de faire passer la candidature de la plaignante à l'étape suivante. Nous concluons que la plaignante a fait erreur quant à l'entrevue pendant laquelle cette discussion a eu lieu. A notre avis, il n'a pas été question, lors de l'entrevue devant le jury de sélection, des problèmes que la plaignante aurait pu avoir avec ses collègues masculins ni de la façon dont elle réagirait si un pilote refusait d'effectuer un vol à ses côtés.

Selon nous, il n'y a donc aucune preuve directe de discrimination fondée sur le sexe.

Y a-t-il une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe

(i) Données statistiques

L'avocat de la plaignante et celui de la Commission ont invité le Tribunal à conclure qu'il y a eu discrimination fondée sur le sexe du fait que, pendant la période en cause, l'intimée n'a reçu en entrevue et n'a embauché que très peu de femmes pilotes. Le nombre de pilotes embauchés par l'intimée doit être examiné à la lumière du nombre de femmes au Canada titulaires d'une licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada au cours de l'année 1987-88, l'une des exigences minimales pour le poste. Voici quel était le nombre de femmes titulaires d'une licence de pilote de ligne au Canada en 1987 et 1988, par rapport au nombre total de titulaires de cette licence au pays :

1987 : Sur 6 755 pilotes de ligne licenciés, 84 (1,2 %) étaient des femmes (pièce R-3)

1988 : Sur 7035 pilotes de ligne licenciés, 95 (1,3 %) étaient des femmes (pièce R-4)

Suivant la preuve présentée devant le Tribunal, 12 des 95 femmes titulaires d'une licence de pilote de ligne en 1988 travaillaient déjà comme pilote pour l'intimée en 1988 (pièce HRC-4, onglet 4a). Selon toute vraisemblance, certaines des femmes titulaires d'une licence de pilote de ligne travaillaient pour d'autres grandes lignes aériennes canadiennes et n'étaient pas susceptibles de soumettre leur candidature à l'intimée

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puisqu'elles auraient ainsi perdu leur ancienneté. D'autres ne remplissaient peut-être pas les exigences minimales pour le poste en cause, savoir 2 000 heures de vol. Néanmoins, 21 (25 %) des 84 femmes titulaires de la licence en 1987 ont présenté leur candidature. Parmi ces 21 femmes, dix-huit pour cent ont été reçues en entrevue par le jury de sélection et 25 % d'entre elles ont été embauchées. Voici les données statistiques, exprimées sous forme de pourcentage :

Proportion de femmes au sein du groupe de candidats pilotes de l'intimée (22 sur 1121) 1,9 %

Proportion de femmes parmi ces candidats auxquelles le comité de présélection a accordé une entrevue (4 sur 151) 2,6 %

Proportion de femmes parmi ces candidats auxquelles le jury de sélection a accordé une entrevue (4 sur 117)3,4 %

Proportion de femmes embauchées parmi celles qui ont été reçues en entrevue par le jury de1,9 % sélection (1 sur 52)

Toutes ces proportions excèdent le pourcentage de femmes parmi l'ensemble des pilotes canadiens (1,3 %) qui détenaient une licence de pilote de ligne à l'époque pertinente.

A notre avis, ces données statistiques ne constituent donc pas une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe.

(ii) Évaluation des qualités personnelles

Les avocats de la plaignante et de la Commission invitent le Tribunal à conclure qu'il y a eu discrimination fondée sur le sexe en raison de la manière dont les membres du jury de sélection ont évalué les qualités personnelles de la plaignante. Aucune de ces évaluations ne mentionne expressément le sexe. On allègue néanmoins qu'elles sont de nature telle qu'elles constituent une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe. Les traits relevés sont les suivants :

  1. Timidité :

Les avocats de la plaignante et de la Commission prétendent que les commentaires du jury selon lesquels la plaignante était

  1. plutôt timide (Forbes)
  2. douce (Gilliland)
  3. très silencieuse, timide (Roberts)

constituent une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe. Or, il appert que les membres ont fait les mêmes commentaires à l'égard de candidats masculins. En voici quelques exemples tirés de la pièce R-7 :

DEAKIN, Ian Roberts : silencieux

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Gilliland : d'apparence timide

MOLSTAD, Michael Roberts : timide; silencieux

HANNA, Brendon Forbes : plutôt timide/nerveux...assez silencieux/timide

CAMPBELL, Lawrence Roberts : semble timide

O'NEIL, David Forbes : paraît silencieux/réservé mais s'anime une fois détendu

MACKELVIE, David Roberts : parle doucement

PUSCH, Rod Forbes : assez silencieux

RYAN, James Roberts : plutôt silencieux

WEBBER, Lance Gilliland : personne silencieuse

WILLIAMS, Doug Gilliland : plutôt silencieux

WALLACE, David Forbes : plutôt silencieux

DROHAN, Dave Roberts : silencieux

Nous estimons donc que les commentaires formulés par les membres du jury quant à la personnalité de la plaignante ne constituent pas une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe.

b) Aspect extérieur (tenue vestimentaire et toilette)

L'avocat de la plaignante a fait valoir que les observations que M. Roberts a faites concernant son apparence, sa tenue vestimentaire et les soins qu'elle avait apportés à sa personne constituaient une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe.

En interrogatoire principal, la plaignante a témoigné ainsi à propos de sa mise lors de l'entrevue :

[TRADUCTION]

«J'ai donc apporté beaucoup de soin au choix de ma tenue vestimentaire; j'ai choisi un chemisier de soie, un chandail de cachemire, une jupe pure laine et des bottes de cuir, le tout assorti. J'avais soigné ma coiffure et ma personne du mieux que je pouvais afin de faire bonne impression.»

Un examen de l'évaluation d'autres candidats révèle que M. Roberts a commenté aussi bien l'apparence des hommes que celle des femmes. Voici des exemples de commentaires qu'il a formulés à l'endroit de candidats masculins n'ayant pas été embauchés (voir la pièce R-7) :

STEVENSON, Howard Roberts : apparence moyenne; candidat moyen; me semble qu'il pourrait y avoir mieux;

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WEBBER, Lance Roberts : apparence moyenne

DEAKIN, Ian Roberts : apparence moyenne

CAMPBELL, Lawrence apparence moyenne Roberts : apparence moyenne

WILLIAMS, Doug Roberts : belle apparence

MOLSTAD, Michel Roberts : soigné

FISHER, Robert Roberts : belle apparence

GIRAND, Dennis Roberts : excellente apparence

DUKE, Grace Roberts : belle apparence

Et voici cette fois un exemple de candidat qui a été embauché et dont M. Roberts a commenté l'apparence (voir la pièce R-6) :

BARTH, Patrick Roberts : Bonne expérience et d'apparence soignée

L'apparence d'un candidat quant à sa tenue vestimentaire et au soin de sa personne n'est pas, en soi, un motif illicite de discrimination parmi les candidats à un emploi. Dans le cas d'un poste comme celui de pilote où l'employé incarnera aux yeux du public l'image de l'employeur, l'apparence et le soin de la personne peuvent être des critères pertinents dans le processus de sélection. Dans certains cas toutefois, l'utilisation de ces critères pourra constituer la preuve circonstancielle d'une discrimination fondée sur le sexe ou sur un autre motif illicite, lorsqu'elle se rapporte, par exemple, à des caractéristiques propres à un sexe ou à un groupe ethnique ou racial.

D'après les faits de la présente espèce, nous estimons que ni M. Roberts ni les autres représentants de l'intimée n'ont utilisé le critère de l'aspect extérieur d'une manière susceptible d'être considérée comme une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe ou sur un autre motif illicite de discrimination.

L'avocate de la Commission, Mme Jamieson, a soutenu que le Tribunal devrait tenir comme une preuve circonstancielle de discrimination le fait qu'en contre-interrogatoire, M. Robert ait été incapable de décrire la tenue vestimentaire que la plaignante aurait dû selon lui porter à l'entrevue. Nous ne saurions souscrire à cet argument. Il n'incombe pas, en effet, à M. Roberts ou à l'intimée d'établir des normes quant à la tenue vestimentaire appropriée des candidats à l'occasion d'une entrevue.

c) Ricanements

Sur sa formule d'évaluation, M. Forbes a écrit que la plaignante était portée à ricaner. L'avocate de la Commission a fait valoir qu'il

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s'agissait là d'une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe. Les femmes, a-t-elle soutenu, ricanent, alors que les hommes s'esclaffent. Ni la Commission ni la plaignante n'ont présenté de preuve suivant laquelle le ricanement et l'esclaffement étaient particuliers à un sexe. Nous ne sommes pas disposés à admettre d'office que ces comportements sont propres à un seul sexe. Dans certaines circonstances, un tribunal administratif peut certes admettre un fait d'office, sans qu'il soit nécessaire d'en exiger la preuve formelle. La notion de connaissance d'office des faits revêt, devant les tribunaux administratifs, la même signification que devant les tribunaux judiciaires, bien que sa portée soit plus large. On trouvera une excellente analyse de cette notion dans un article de Lemieux et Clocchiatti intitulé Official Notice and Specialized Knowledge, 46 Administrative Law Reports 26. Pour pouvoir prendre connaissance d'office d'un fait, il faut que ce fait relève soit du sens commun, soit de la connaissance spécialisée des membres du Tribunal, soit encore qu'il émane d'une source dont l'exactitude est indiscutable. En l'espèce, on n'a présenté au Tribunal, quant à l'appartenance de ces caractéristiques à un sexe en particulier, aucune source dont l'exactitude soit indiscutable. Nous ne sommes donc pas disposés à considérer que, d'après le sens commun, le ricanement est exclusivement associé au sexe féminin. Quant à la connaissance personnelle des membres du Tribunal, elle ne peut être prise en compte que dans la mesure où il s'agit d'une connaissance spécialisée acquise dans l'exercice de leur fonction ou dans leur champ d'expertise respectif. Or aucun des membres du Tribunal ne possède d'expertise particulière quant à ces genres de rires, encore que certains d'entre eux connaissent des hommes ayant un petit rire nerveux et des femmes qui rient bruyamment.

d) Aptitude à commander

On a fait valoir, au nom de la plaignante, que les membres du jury avaient une image masculine de l'aptitude à commander et que l'évaluation négative de l'aptitude de la plaignante à cet égard constituait une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe.

Nous reviendrons plus loin en détail sur cette question de l'aptitude à commander. Pour le moment, qu'il suffise de souligner que MM. Forbes et Roberts faisaient tous deux partie du jury de sélection qui a recommandé l'embauchage de Paula Strilesky à partir du même groupe de candidats, et que le commandant Gilliland a déclaré avoir effectué plusieurs vols avec des pilotes féminins agissant en qualité de copilote. De plus, il a été révélé en témoignage qu'un des commandants de l'intimée était une femme que connaîtraient tous les membres du jury de sélection. Ces derniers pouvaient donc s'appuyer sur plusieurs modèles féminins pour évaluer l'aptitude à commander.

Par conséquent, nous estimons qu'il n'y a aucune preuve circonstancielle de discrimination fondée sur le sexe ou liée à celui-ci.

AGE : ALLÉGATION DE DISCRIMINATION FONDÉE SUR L'AGE

La plaignante avait 42 ans lorsque l'intimée a étudié sa demande d'emploi comme pilote.

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Y a-t-il une preuve directe de discrimination fondée sur l'âge? La plaignante n'était tenue de donner son âge dans aucun des formulaires que l'intimée lui a demandé de remplir. Son âge n'était indiqué dans aucun document qu'elle a présenté pour appuyer sa demande. Aucun des membres du jury de sélection ne lui a demandé son âge. Ils ont témoigné qu'ils ne lui avaient pas demandé son âge parce que l'âge n'était pas un facteur entrant en ligne de compte dans le processus de sélection. Les membres du jury de sélection ont témoigné qu'ils ignoraient l'âge exact de la plaignante. M. Forbes a déclaré (transcription, volume 3, page 983):

[TRADUCTION]

«Q. Alors, la trentaine avancée, peut-être le début de la quarantaine?»

«R. Je n'y ai même pas pensé. Je me suis dit peut-être vers la fin de la trentaine.»

Roberts a déclaré (transcription, volume 7, page 1165, lignes 19 à 24) :

[TRADUCTION]

«Q. Avez-vous appris quel âge avait Mme Folch, au cours de l'entrevue que vous avez eue avec elle à l'égard de ce poste?»

«R. Je ne me rappelle pas si son âge figurait sur son premier curriculum vitae. Mais j'aurais su qu'elle était dans la trentaine avancée ou au début de la quarantaine.»

Le commandant Gilliland a déclaré (volume 8, page 1414, lignes 1 à 9 :

[TRADUCTION]

«R. Nous connaissions l'âge approximatif de Mme Folch avant qu'elle ne se présente à l'entrevue. En fait, à la première étape du processus de sélection concernant sa demande, je savais moi-même qu'elle serait probablement au moins dans la trentaine avancée ... et j'étais certain qu'elle était dans la trentaine avancée.»

Les membres du jury de sélection ont estimé l'âge de la plaignante en tenant compte de l'année de l'obtention de son diplôme universitaire et de son nombre d'années d'expérience de vol à la compagnie d'aviation Mexicana.

Au nom de la plaignante, on a soutenu que des membres du jury de sélection avaient fait observer que le nombre d'heures était peu élevé pour son âge (commandant Gilliland) et que la plaignante avait peu d'heures étant donné son âge (Forbes), et que ces observations étaient une preuve directe de discrimination fondée sur l'âge.

Le commandant Gilliland et M. Forbes ont témoigné que la mention du fait que le nombre d'heures de la plaignante était peu élevé, étant donné son âge, signifiait que son total d'heures de vol dans l'aviation commerciale était peu élevé par rapport au nombre d'années durant lesquelles elle avait effectué des vols à bord d'avions commerciaux. Les avocats de la plaignante et de la Commission ont affirmé que, puisque la plaignante n'a commencé sa carrière de pilote commercial qu'à 22 ans, rapprocher son nombre d'heures de vol et son âge plutôt que ses années d'expérience constituait un acte discriminatoire.

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Il ressort des observations du commandant Gilliland et de M. Forbes que tous deux ont fait des observations semblables au sujet d'autres candidats plus jeunes. Voici des exemples, tirés de la pièce R-7, d'observations semblables à propos de candidats plus jeunes :

WILLIAM, Doug (28 ans) Gilliland : l'expérience laisse à désirer étant donné son âge (28);

DROHAN, Dave (34 ans) Roberts : très peu d'heures de vol étant donné son âge

SAUNDERS, Bob (38 ans) Gilliland : nombre d'heures de vol assez peu élevé étant donné son âge (38) Roberts : nombre d'heures peu élevé (2 800) étant donné son âge

Nous estimons que, lorsque le commandant Gilliland et M. Forbes ont employé le mot âge dans ce contexte, ils voulaient dire années d'expérience et que l'emploi du mot âge n'était qu'une formule concise exprimant l'idée d'années d'expérience. Par conséquent, l'emploi du mot âge dans ce contexte n'est pas une preuve de discrimination.

Y a-t-il une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'âge? Au nom de la plaignante, on a soutenu que le fait que l'intimée n'a pas embauché de pilotes de plus de 36 ans était une preuve circonstancielle d'un acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante fondé sur l'âge.

Quatre candidats parmi le groupe en cause, qui avaient au moins 35 ans à l'époque, ont été embauchés, soit :

STRILESKY (35) VIDEL (36) THOMAS (36) LABELLE, Joseph (35)

Les membres du jury de sélection ignoraient l'âge de la plaignante. Deux de ceux-ci croyaient qu'elle était dans la trentaine avancée et l'autre pensait qu'elle était soit dans la trentaine avancée soit au début de la quarantaine.

D'un point de vue statistique, parmi les 117 candidats qui ont eu une entrevue avec le jury de sélection, neuf (7,6 %) avaient au moins 35 ans. Sur les neuf candidats de plus de 35 ans qui ont eu une entrevue avec le jury de sélection, quatre (44,4 %) ont été embauchés par l'intimée.

L'examen des qualités et caractéristiques des autres candidats, qui avaient plus de 36 ans, révèle qu'il existait des raisons logiques, sans rapport avec leur âge, de ne pas embaucher ces candidats :

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Nom Age Qualités ou caractéristiques justifiant la décision de ne pas embaucher

GIRAND, Dennis (40) Forbes : peu d'heures de vol depuis 1982 Roberts : presque pas d'heures de vol au cours des cinq dernières années à cause de ses études universitaires; n'ai pas confiance qu'il puisse s'adapter à l'environnement du poste de pilotage (Cette évaluation est semblable à celle faite dans le cas d'Elena Folch.)

SAUNDERS, J.R. (Bob)(38) Seulement 2 800 heures de vol à son actif dans l'aviation commerciale.

GARAND, Leonard (40) Roberts : Très difficile, quasiment pénible, de le faire parler. Gilliland : pour l'essentiel, son expérience de pilote est limitée à la formation sur monomoteur ... incapable de mettre deux phrases bout à bout pour exprimer une idée ...

GREEN, Barbara (38) Forbes : Très peu loquace Gilliland : n'a pas répondu à plusieurs questions, soit parce qu'elle n'a pas compris, soit parce qu'elle a décidé de ne pas tenir compte de l'objet de la question; Roberts: Peu loquace, silencieuse, parfois n'a pas répondu aux questions;

WENGER, Dan (38) Scolarité minimale Forbes : Peut avoir pendant longtemps de la peine à s'adapter au siège du côté droit.

Les candidats suivants qui avaient plus de 36 ans ne se sont pas rendus à l'étape du jury de sélection.

PRETTY (38) Bourru

DAVIDSON, Nes (40) Manque d'expérience -- heures de vol et matériel; qualification de vol aux instruments et expérience insuffisantes par rapport à son âge

SINCLAIR (37) Recherche des garanties -- qu'on ne peut offrir

JOHNSON, Brian (36) 2 215 heures (pièce HRC-4, page 16 c)

Il y a deux autres candidats qui ne se sont pas rendus à l'étape du jury de sélection et qui pouvaient avoir plus de 36 ans, mais dont le Tribunal ne connaît pas l'âge exact :

JOHNSTON Pas un candidat remarquable.

BOARDMAN, Gary Vols dans l'arctique principalement. Moyen tout au plus.

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Nous estimons que l'intimée avait des raisons logiques de ne pas embaucher tous les candidats qui avaient plus de 36 ans, dont la plaignante.

Pour qu'une décision puisse reposer sur une preuve circonstancielle, celle- ci doit être compatible avec le fait avancé (la discrimination fondée sur l'âge) et incompatible avec toute autre conclusion logique. L'examen des raisons de ne pas embaucher ces candidats qui avaient plus de 36 ans révèle que, dans le cas de chacun d'eux, la décision de ne pas l'embaucher avait un fondement logique.

Le simple fait que la plaignante était, de fait, la candidate la plus âgée et qu'elle n'a pas été embauchée ne constitue pas une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'âge.

Par conséquent, nous concluons à l'absence de preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'âge.

ORIGINE NATIONALE OU ETHNIQUE : ALLÉGATION DE DISCRIMINATION

La plaignante est née au Mexique et on peut dire qu'elle est d'origine nationale ou ethnique mexicaine. Selon les allégations de la plainte, l'intimée a commis un acte discriminatoire à son endroit en refusant de l'employer en raison de son origine nationale ou ethnique.

Y a-t-il une preuve directe de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique?

Il n'y a pas de preuve directe qu'un des membres du jury de sélection ait basé sa décision sur l'origine nationale ou ethnique de la plaignante. On n'a pas allégué que l'un des membres du jury de sélection ait fait ou dit quelque chose qui puisse être tenu pour un acte discriminatoire fondé sur l'origine nationale ou ethnique de la plaignante.

Y a-t-il une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique?

On a affirmé au nom de la plaignante que des observations des membres du jury de sélection selon lesquelles la plaignante était silencieuse ou parlait doucement pouvaient être interprétées comme une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique. Aucune preuve n'a été produite pour établir que l'un des traits des Mexicains était d'être silencieux ou de parler doucement et nous ne sommes pas disposés à admettre d'office qu'il s'agit là d'un trait des personnes d'origine mexicaine. Au surplus, les membres du jury de sélection ont employé ces mots pour décrire d'autres candidats qui ne semblent avoir d'autre origine nationale ou ethnique que canadienne. On trouvera dans la section de la présente décision traitant de la discrimination fondée sur le sexe une liste des autres candidats qui ont été décrits comme silencieux et qui n'ont pas été embauchés. Voici des exemples, tirés de la pièce R-6, de personnes décrites comme silencieuses et parlant doucement et qui ont été embauchées:

PARK, Donovan Roberts : très silencieux, parle doucement Forbes : très silencieux -- timide

HEMSTOCK, John

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Roberts : assez silencieux, pas remarquable, mais acceptable

SMITH, G. Edward Roberts : candidat impressionnant, assez silencieux

SARETSKY, Kirk Forbes : personne silencieuse

CAMPBELL, Kirk Forbes : silencieux, assez calme

SARGEANT, Gregory Forbes : silencieux

On a soutenu au nom de la plaignante que les observations des membres du jury de sélection selon lesquelles la plaignante était nerveuse et bougeait beaucoup la partie supérieure de son corps durant l'entrevue pouvaient être interprétées comme une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique. Aucune preuve n'a été produite pour établir que la nervosité était l'un des traits des Mexicains et nous ne sommes pas disposés à admettre d'office qu'il s'agit là d'un trait des personnes d'origine mexicaine. Au surplus, les membres du jury de sélection ont fait des observations semblables au sujet d'autres candidats qui ne semblent avoir d'autre origine nationale ou ethnique que canadienne. Voici des exemples, tirés de la pièce R-7, de personnes décrites comme nerveuses et qui n'ont pas été embauchées :

O'NEIL, David Roberts : très nerveux

MACKELVIE, David Roberts : extrêmement nerveux Gilliland : nerveux

PAUL, Tim Gilliland : candidat nerveux Roberts : extrêmement nerveux

SEEHAGEL, Tim Gilliland : nerveux

STEVENSON, Howard Gilliland : nerveux

WEBBER, Lance Gilliland : une certaine nervosité

KLIMENT, Frank Gilliland : assez nerveux

JOHNSTON, Curt Roberts : très nerveux

WALLACE, David Forbes : un peu nerveux

Voici un exemple, tiré de la pièce R-6, de personne décrite comme nerveuse et qui a été embauchée :

KOCH, Brian Roberts : Silencieux, nerveux ...

On a affirmé au nom de la plaignante que les observations des membres du jury de sélection selon lesquelles la plaignante était peu loquace pouvaient être interprétées comme une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique. Aucune preuve

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n'a été produite pour établir que le fait qu'ils étaient peu loquaces était l'un des traits des Mexicains et nous ne sommes pas disposés à admettre d'office qu'il s'agit là d'un trait des personnes d'origine mexicaine. Au surplus, les membres du jury de sélection ont fait des observations semblables au sujet d'autres candidats qui ne semblent avoir d'autre origine nationale ou ethnique que canadienne. Voici des exemples, tirés de la pièce R-7 :

GREEN, Barbara Forbes : très peu loquace Roberts : peu loquace, silencieuse, parfois n'a pas répondu aux questions;

MACKELVIE, David Roberts : réponses brèves Gilliland : ses réponses étaient brèves

O'NEIL, David Roberts : réponses brèves, par monosyllabes

PAUL, Tim Roberts : ... n'a pas donné de réponses complètes aux questions, a répondu par monosyllabes;

Voici un exemple, tiré de la pièce R-6, de personne décrite comme peu loquace et qui a été embauchée :

CAMPBELL, Kirk Forbes : assez peu loquace, réponses très brèves;

Les membres du jury de sélection ont témoigné qu'ils n'avaient eu aucune difficulté à comprendre l'anglais de la plaignante.

Nous concluons à l'absence de preuve circonstancielle de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique, ou liée à celle-ci.

LA PREUVE DE LA DISCRIMINATION PARAIT-ELLE SUFFISANTE A PREMIERE VUE?

Dans la décision Shakes c. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, à la p. 1002, on a dit que, dans le cas d'une plainte relative à un emploi, on établit habituellement qu'il s'agit d'une preuve suffisante à première vue en prouvant les éléments suivants :

  1. le plaignant avait les qualités requises pour l'emploi en cause; b) le plaignant n'a pas été embauché; c) une personne pas mieux qualifiée, mais qui n'avait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte auprès de la Commission des droits de la personne, a obtenu le poste.

Le premier élément de la preuve suffisante à première vue :

Le premier élément de la preuve suffisante à première vue consiste à établir que le plaignant avait les qualités requises pour le poste en question. L'intimée embauchait des pilotes qui devaient tout d'abord remplir la fonction de second officier à bord d'un DC-10 ou de copilote d'un Boeing 737. Si le premier élément de la preuve suffisante à première vue n'exige que la preuve que la plaignante avait les qualités minimales et privilégiées suivantes à l'égard du poste, savoir :

Licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada;

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Qualification de vol aux instruments; Diplôme de 12e année; 2 000 heures de vol dans l'aviation commerciale; Deux ans d'études postsecondaires; Expérience des avions lourds (plus de 12 500 livres), alors le premier élément a été prouvé.

Si le premier élément de la preuve suffisante à première vue exige la preuve que la plaignante non seulement avait les qualités minimales et privilégiées à l'égard du poste, qui sont citées au paragraphe précédent, mais encore possédait les qualités personnelles énumérées dans la formule d'évaluation tel le leadership, l'aptitude à commander et la crédibilité, nous estimons que le premier élément de la preuve suffisante à première vue n'a pas été établi. L'intimée ne visait pas simplement à recruter des pilotes capables de faire carrière à titre de copilotes. Le système de l'ancienneté des pilotes qui est intégré à la convention collective entre l'intimée et ses pilotes fait en sorte que celle-ci ne peut pas embaucher des commandants de bord déjà employés par d'autres compagnies d'aviation, qui seraient en mesure d'agir tout de suite en qualité de commandants à bord de ses aéronefs. Les pilotes débutants que recrute l'intimée forment l'unique bassin de ses futurs commandants de bord. Par conséquent, l'aptitude à commander est une exigence professionnelle justifiée quand il s'agit d'embaucher des pilotes débutants. Les trois membres du jury de sélection de l'intimée en sont arrivés indépendamment à la conclusion que la plaignante était dépourvue d'aptitude à commander. Nous estimons que l'entrevue de la plaignante a fourni des éléments permettant au jury de sélection de conclure raisonnablement que la plaignante était dépourvue d'aptitude à commander. Nous sommes d'avis que les membres du jury de sélection ont fait leur appréciation de la plaignante honnêtement et de bonne foi. Sous ce rapport, les propos du comité d'enquête dans l'affaire Offierski v. Peterborough Board of Education (1980), 1 C.H.R.R. D/33 (Ontario Bd), à la p. D/41, sont pertinents :

[TRADUCTION]

«Vu l'ensemble de la preuve, je ne peux pas mettre en doute les motifs de l'un ou l'autre des membres du Comité [...] à mon avis, ils ont pris leur décision honnêtement.»

Certes, les membres du jury de sélection l'ignoraient lors de l'entrevue de la plaignante, mais cette dernière n'avait pas rempli les conditions pour devenir commandant de bord d'un Boeing 727 lorsqu'elle était au service de la compagnie d'aviation Mexicana. Selon le propre témoignage de la plaignante, l'une des raisons qu'on lui a données de son échec à l'examen pour devenir commandant de bord était l'incapacité à commander. En dépit du témoignage de la plaignante selon lequel l'examen en vol que lui a fait passer Mexicana pour devenir commandant de bord était injuste, l'appréciation de son inaptitude à commander était compatible avec les évaluations antérieures faites par la compagnie d'aviation Mexicana, que la Commission a produites et qui font partie de la pièce HRC-9.

La crédibilité est un autre élément de la qualité personnelle, soit le leadership, qui figurait sur la formule d'évaluation de l'intimée. La crédibilité inclut l'honnêteté et l'intégrité. Un membre du Tribunal a demandé à M. Cranston, expert cité comme témoin par la Commission, ex- commandant de bord et ancien inspecteur des transporteurs aériens de

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Transports Canada, quel devait être, selon lui, le premier critère de sélection des pilotes. Il a répondu que c'étaient l'expérience et la polyvalence, puis a ajouté (volume 6, page 762, lignes 1 à 3) :

[TRADUCTION]

«Sans y réfléchir, ces deux choses-là, et bien entendu, comme pour tout candidat à un poste, la maturité et l'honnêteté et la compétence d'une façon générale.»

Au moment de leur entrevue avec la plaignante, les membres du jury de sélection n'étaient pas au courant des assertions inexactes contenues dans son curriculum vitae, dans son carnet de vol canadien et dans le carnet de temps de vol des pilotes de l'intimée que la plaignante avaient remplis et renvoyés à l'intimée. Néanmoins, on pourrait soutenir que la plaignante ne possédait pas cette qualité requise pour le poste.

Nous avons déjà conclu à l'existence d'éléments permettant au jury de sélection de l'intimée de conclure raisonnablement que la plaignante était dépourvue d'aptitude à commander. Par conséquent, il n'a pas été prouvé que la plaignante était qualifiée pour le poste de pilote en cause et le premier élément de la preuve suffisante à première vue n'a pas été établi.

Malgré que nous ayons conclu que la plaignante n'était pas qualifiée pour le poste en question, nous allons analyser les autres éléments de la preuve suffisante à première vue au cas où une cour d'appel rejetterait notre conclusion sur le premier élément d'une telle preuve.

Le deuxième élément d'une preuve suffisante à première vue :

Le deuxième élément d'une preuve suffisante à première vue consiste dans la preuve que la plaignante n'a pas été embauchée par l'intimée. Ce deuxième élément a été clairement établi.

Le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue :

Le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue exige la preuve qu'une autre personne pas mieux qualifiée, mais qui n'avait pas le trait distinctif à l'origine de la plainte auprès de la Commission des droits de la personne, a obtenu le poste. Le troisième élément doit être examiné par rapport à chacun des motifs de distinction illicite allégués.

Le troisième élément par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur le sexe :

Quant à l'allégation de discrimination fondée sur le sexe, la question relative au troisième élément est de savoir si, parmi les candidats, un pilote masculin qui n'était pas mieux qualifié que la plaignante a obtenu un poste de pilote. Il faut donc examiner les qualités des candidats masculins qui ont obtenu un poste. Si, parmi ceux-ci, un candidat masculin pas mieux qualifié que la plaignante a été embauché, le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue aura été établi.

Quelles sont les qualités dont il convient de tenir compte à cette étape pour déterminer si l'un des candidats masculins, qui a été embauché, n'était pas mieux qualifié? Si nous limitons notre comparaison aux qualités minimales et privilégiées, savoir :

Licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada;

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Qualification de vol aux instruments; Diplôme de 12e année; 2 000 heures de vol dans l'aviation commerciale; Deux ans d'études postsecondaires;

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Expérience des avions lourds (plus de 12 500 livres), nous sommes d'avis que des candidats masculins, qui n'étaient pas mieux qualifiés que la plaignante, ont été embauchés. Voici deux exemples tirés de la pièce R-6 :

KOCH, Brian : N'avait pas d'expérience des avions de plus de 12 500 livres. Pas d'études postsecondaires.

PARK, Donovan : N'a pas fait d'études postsecondaires.

Toutefois, nous sommes d'avis que, lorsque nous comparons la plaignante aux candidats masculins embauchés, nous devons prendre aussi en considération, outre les qualités minimales et privilégiées, des qualités comme l'aptitude à commander. Si nous tenons compte de l'aptitude à commander, nous estimons que tous les pilotes qui ont été embauchés étaient mieux qualifiés puisque le jury de sélection a déterminé de bonne foi que la plaignante ne possédait pas d'aptitude à commander tandis que les candidats embauchés avaient cette aptitude. Par conséquent, le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue n'a pas été établi par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur le sexe.

Le troisième élément par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur l'âge :

Quant à l'allégation de discrimination fondée sur l'âge, la question relative au troisième élément est de savoir si, parmi les candidats, un pilote plus jeune qui n'était pas mieux qualifié que la plaignante a obtenu un poste de pilote. Il faut donc examiner les qualités de tous les candidats qui ont obtenu un poste parce qu'ils étaient tous plus jeunes que la plaignante.

Quelles sont les qualités dont il convient de tenir compte à cette étape pour déterminer si l'un des candidats plus jeunes, qui a été embauché, n'était pas mieux qualifié? Si nous limitons notre comparaison aux qualités minimales et privilégiées, savoir :

Licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada; Qualification de vol aux instruments; Diplôme de 12e année; 2 000 heures de vol dans l'aviation commerciale; Deux ans d'études postsecondaires; Expérience des avions lourds (plus de 12 500 livres),

nous sommes d'avis que des candidats plus jeunes, qui n'étaient pas mieux qualifiés que la plaignante, ont été embauchés. Voici deux exemples tirés de la pièce R-6 :

KOCH, Brian : N'avait pas d'expérience des avions de plus de 12 500 livres.

PARK, Donovan : N'a pas fait d'études postsecondaires.

Toutefois, nous sommes d'avis que, lorsque nous comparons la plaignante aux candidats plus jeunes embauchés, nous devons prendre en considération, outre les qualités minimales et privilégiées, des qualités comme l'aptitude à commander. Si nous tenons compte de l'aptitude à commander, nous estimons que tous les pilotes qui ont été embauchés étaient mieux qualifiés puisque le jury de sélection a déterminé de bonne foi que la plaignante ne

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possédait pas d'aptitude à commander tandis que les candidats embauchés avaient cette aptitude. Par conséquent, le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue n'a pas été établi par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur l'âge.

Le troisième élément par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique :

Quant à l'allégation de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique, la question relative au troisième élément est de savoir si l'un des candidats, dépourvu de caractère ethnique, et qui n'était pas mieux qualifié que la plaignante, a obtenu un poste de pilote. Il faut donc examiner les qualités de tous les candidats.

Quelles sont les qualités dont il convient de tenir compte à cette étape pour déterminer si l'un des candidats sans caractère ethnique, qui a été embauché, n'était pas mieux qualifié? Si nous limitons notre comparaison aux qualités minimales et privilégiées, savoir:

Licence de pilote de ligne délivrée par Transports Canada; Qualification de vol aux instruments; Diplôme de 12e année; 2 000 heures de vol dans l'aviation commerciale; Deux ans d'études postsecondaires; Expérience des avions lourds (plus de 12 500 livres), nous sommes d'avis que des candidats sans caractère ethnique, qui n'étaient pas mieux qualifiés que la plaignante, ont été embauchés. Voici deux exemples tirés de la pièce R-6 :

KOCH, Brian : N'avait pas d'expérience des avions de plus de 12 500 livres.

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PARK, Donovan : N'a pas fait d'études postsecondaires.

Toutefois, nous sommes d'avis que, lorsque nous comparons la plaignante aux candidats sans caractère ethnique qui ont été embauchés, nous devons prendre en considération, outre les qualités minimales et privilégiées, des qualités comme l'aptitude à commander. Si nous tenons compte de l'aptitude à commander, nous estimons que tous les pilotes qui ont été embauchés étaient mieux qualifiés puisque le jury de sélection a déterminé de bonne foi que la plaignante ne possédait pas d'aptitude à commander tandis que les candidats embauchés avaient cette aptitude. Par conséquent, le troisième élément d'une preuve suffisante à première vue n'a pas été établi par rapport à l'allégation de discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique.

Par conséquent, comme le premier et le troisième éléments d'une preuve de discrimination suffisante à première vue n'ont pas été établis par rapport à l'un ou l'autre des motifs de distinction illicite allégués, nous estimons qu'aucune preuve de discrimination suffisante à première vue n'a été établie.

Malgré que nous ayons conclu qu'aucune preuve de discrimination suffisante à première vue n'a été faite relativement à l'un ou l'autre des motifs de distinction illicite allégués, nous allons analyser les autres questions au cas où une cour d'appel rejetterait notre conclusion sur l'absence de preuve suffisante à première vue.

L'INTIMÉE A-T-ELLE FOURNI UNE EXPLICATION DU REFUS D'EMBAUCHER LA PLAIGNANTE QUI CONCOURT A ÉTABLIR QUE LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LE SEXE, L'AGE OU L'ORIGINE NATIONALE OU ETHNIQUE N'ÉTAIT PAS LA BONNE EXPLICATION AUX ÉVÉNEMENTS SURVENUS?

Si nous avions conclu qu'il y avait une preuve de discrimination suffisante à première vue, faisant alors nôtres les propos tenus dans la décision Basi c. Chemins de fer nationaux du Canada (1984), 9 C.H.R.R. D/5029 (Tribunal des droits de la personne), au paragraphe 38475, nous serions d'avis que l'intimée a fourni une explication du refus d'embaucher la plaignante qui concourt à établir que la discrimination fondée sur le sexe, l'âge ou l'origine nationale ou ethnique n'était pas la bonne explication aux événements survenus. En effet, nous estimons que l'intimée a établi selon la prépondérance de la preuve que la décision de rejeter la candidature de la plaignante n'était en rien fondée sur l'un ou l'autre des motifs de distinction illicite allégués, ni liée à ceux-ci.

Au moins trois raisons principales ont amené les membres du jury de sélection à décider de ne pas recommander l'embauchage de la plaignante.

Le manque d'aptitude à commander

La première raison était le manque d'aptitude à commander de la plaignante. Chacun des membres du jury de sélection a fait une appréciation négative de l'aptitude à commander de la plaignante. Dans sa formule d'évaluation, M. Forbes a noté que la plaignante était dépourvue d'aptitude à commander. M. Roberts a fait une remarque selon laquelle [TRADUCTION] l'aptitude à commander fait défaut, et pourtant elle a été commandant de

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bord d'un 727. Le commandant Gilliland a fait une remarque selon laquelle [TRADUCTION] l'aptitude à commander [de la plaignante] est un peu suspecte.

L'appréciation de l'aptitude à commander a été faite en fonction des réponses que les candidats ont données aux questions posées par les membres du jury de sélection. Dans certains cas, ces questions ont pu prendre la forme de situations d'urgence hypothétiques susceptibles de se produire au cours d'un vol. Dans leur témoignage, les membres du jury de sélection ont admis franchement ne pas se souvenir des questions précises posées à la plaignante durant l'entrevue qui a eu lieu quatre ans avant qu'ils ne témoignent.

Chaque membre du jury de sélection a été interrogé et contre-interrogé sur sa définition de l'aptitude à commander et sur la question de savoir si, dans son esprit, le commandant de bord devait être un homme. Chacun d'eux a dit clairement faire abstraction des stéréotypes sexuels dans sa définition du commandant de bord ou de la personne apte à commander et à devenir commandant de bord.

De toute évidence, d'autres candidats n'ont pas été choisis par le jury de sélection en raison, du moins en partie, de l'évaluation négative de leur aptitude à commander. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

WILLIAMS, Doug Gilliland : aptitude à commander douteuse

DUKE, Grace : Gilliland : n'a pas une forte personnalité et je crois qu'elle ne possède pas d'aptitude à commander; non recommandée.

Relativement à cette candidate, les évaluations contiennent en outre une remarque selon laquelle elle avait accumulé la plupart de ses heures de vol en recevant sa formation de pilote et elle n'avait qu'une expérience minimale de l'aviation commerciale.

DEAKIN, Ian Gilliland : doute de son aptitude à commander; candidat dont les qualités sont douteuses.

VAN LUYK, Stephen Roberts : ne possède pas autant que d'autres l'aptitude à commander

Nous estimons que les membres du jury de sélection ont évalué l'aptitude à commander de la plaignante de bonne foi, sans égard au sexe de cette dernière et sans égard à un motif de distinction illicite.

Insuffisance des heures de vol récentes

Le nombre insuffisant d'heures de vol récentes à l'actif de la plaignante au cours des dix-huit mois précédant son entrevue avec le jury de sélection a été une autre raison principale du refus de recommander son embauchage. M. Roberts a fait une remarque dans la formule d'évaluation de la plaignante selon laquelle elle [TRADUCTION] n'avait pas beaucoup d'heures de vol à son actif pour les dix-huit derniers mois. M. Forbes a fait une

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remarque dans la formule d'évaluation qu'il a remplie selon laquelle la plaignante [TRADUCTION] n'avait pas d'heures de vol à son actif depuis environ dix-huit mois. Dans l'esprit des membres du jury de sélection, l'insuffisance des heures de vol récentes de la plaignante indiquait un manque d'initiative au regard de ses objectifs de carrière. D'autres candidats refusés ont fait l'objet d'observations semblables. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

KLOTZ, Fred Gilliland : Toutefois, à cause de son manque d'initiative dans la poursuite d'une carrière de pilote depuis trois ans [...] je ne le recommande pas. Roberts : n'a pas d'heures de vol récentes à son actif; quoique j'aie aimé l'individu, je ne pense pas qu'il corresponde à ce que nous recherchons.

HANNA, Brendon Forbes : n'a fait de demande d'emploi qu'auprès de Time Air/Air Atlantic ... ne pilote un avion que les week- ends; Roberts : a moins de 200 heures de vol à son actif durant la dernière année ... a piloté un avion les week-ends ... ce qui m'inquiète, c'est son manque d'expérience récente en tant que pilote.

GIRAND, Dennis Forbes : a peu d'heures de vol à son actif depuis 1982;

FISHER, Robert Roberts : au cours de deux dernières années, a très peu d'heures de vol à son actif; ne le recommande pas.

DUKE, Grace Roberts : a très peu d'heures de vol à son actif depuis deux ou trois ans;

CZICH, Myron Roberts : a quitté les Forces armées en mai 1986 et n'a travaillé que trois mois depuis;

L'un des candidats masculins, qui a été embauché, n'avait pas beaucoup d'heures de vol à son actif au cours des deux années précédant son recrutement par l'intimée. Il avait cessé d'être pilote professionnel pendant la récession. Il avait été mis à pied ou avait démissionné avant de l'être. Au cours des deux ans durant lesquels il n'a pas été pilote professionnel, il a été policier. Dans son cas, le jury de sélection n'a pas interprété l'explication qu'il a donnée pour son nombre insuffisant d'heures de vol récentes comme indiquant un manque d'intérêt pour l'aviation ou pour une carrière de pilote professionnel.

La plaignante est arrivée au Canada avec son mari en juillet 1986. Elle n'a pas tenté immédiatement d'obtenir sa licence de pilote professionnel du ministère des Transports, mais a pris des vacances de quatre mois en Europe. En décembre 1986, elle a passé une série d'examens d'admission et s'est vu accorder une licence temporaire par Transports Canada le 9 mars 1987. Le jury de sélection a interprété ces faits comme indiquant un manque d'intérêt dans sa carrière de pilote de ligne.

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Nombre d'heures de vol peu élevé par rapport au nombre d'années d'expérience

Les membres du jury de sélection ont donné une troisième raison pour rejeter la demande d'emploi de la plaignante : le nombre d'heures de vol à son actif était assez peu élevé par rapport à son nombre d'années d'expérience.

L'EXPLICATION DONNÉE PAR L'INTIMÉE EST-ELLE UN PRÉTEXTE POUR FAIRE DE LA DISCRIMINATION?

Même si l'intimée fournit une explication pour ne pas avoir embauché la plaignante, on peut conclure que l'explication n'était qu'un prétexte pour faire de la discrimination. Nous n'estimons pas que tel ait été le cas.

Évaluation de l'explication fournie par l'intimée quant à l'allégation de discrimination fondée sur le sexe :

En 1988, l'intimée employait douze femmes pilotes (pièce HRC-4, onglet 4 a). Cela représentait plus de douze pour cent de tous les pilotes féminins titulaires de licence de pilote de ligne au Canada cette année-là. Certaines des autres femmes titulaires de licence de pilote de ligne travaillaient pour Air Canada et d'autres n'auraient pas eu les qualités minimales et privilégiées pour le poste.

Vu la preuve produite devant le Tribunal, nous concluons que le sexe de la plaignante n'a pas été un facteur de la décision de rejeter sa demande et que l'intimée n'a pas fait à l'endroit de la plaignante de discrimination fondée sur le sexe.

Évaluation de l'explication fournie par l'intimée quant à l'allégation de discrimination fondée sur l'âge :

(i) Le régime d'ancienneté dans l'industrie de l'aviation

Dans l'industrie de l'aviation, l'ancienneté d'un pilote est déterminée par la date de son entrée en fonction dans une compagnie aérienne.

L'admissibilité aux concours d'avancement est déterminée selon la liste d'ancienneté de la compagnie. L'ancienneté n'est fonction que des années de service dans une compagnie donnée. Si un commandant de bord ou un copilote ayant beaucoup d'ancienneté passe d'une compagnie à une autre, son nom est placé au bas de la liste d'ancienneté de son nouvel employeur. En outre, le pilote dont le nom figure au bas de la liste d'ancienneté touche la rémunération fixée selon le premier échelon de l'échelle des salaires. Par conséquent, les pilotes ayant beaucoup d'ancienneté dans une compagnie d'aviation importante ne sont d'ordinaire pas candidats à des postes dans une autre compagnie aérienne parce qu'ils perdront leur ancienneté et subiront habituellement une baisse de salaire considérable. M. Cranston, ex-commandant de bord cité comme témoin par la Commission, a attesté ce phénomène.

Par conséquent, il est exceptionnel qu'une demande d'emploi soit faite par des pilotes plus âgés, hautement qualifiés, ayant de l'ancienneté dans une compagnie aérienne importante et l'expérience des avions gros porteurs. Les pilotes plus âgés qui font une telle demande n'ont d'ordinaire pas

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d'expérience du commandement d'avions lourds dans une compagnie d'aviation importante.

(ii) Le coût de la formation des pilotes

Au nom de la plaignante, on a soutenu que l'intimée n'avait pas embauché cette dernière en raison du coût de sa formation par rapport au nombre d'années de service qui lui aurait resté avant la retraite. M. Forbes a témoigné au nom de l'intimée que le coût de la formation d'un pilote de l'âge de la plaignante par rapport au nombre d'années de service qui lui resterait serait inférieur à celui de la formation de pilotes plus jeunes tout au long de leur carrière. Cela coûte très cher de former des pilotes qui obtiennent de l'avancement d'un avion à un autre. La fréquence de telles promotions augmente dans le cas des pilotes dont le nom figure en haut de la liste d'ancienneté. Il est peu probable qu'un pilote qui est embauché à l'âge de 42 ans voie son nom porté au haut de la liste d'ancienneté. Ce pilote pourrait ne pas être admissible à sa première promotion avant dix ans et ne devenir admissible qu'à une ou deux autres promotions avant sa retraite.

Me Delisle, avocat principal à la société Air Canada, que l'intimée a cité comme témoin et que l'avocat de la plaignante a contre-interrogé, a déposé relativement au coût de la formation des pilotes (volume 6, page 924, lignes 21 et 22) :

[TRADUCTION]

«R. Cela signifie que si nous embauchons des pilotes qui sont trop âgés, nous ferons faillite.»

Il a ajouté, à la page 925, lignes 18 à 25 :

[TRADUCTION]

«Q. Et pour ce qui est de l'âge de Mme Folch à la date de sa demande, quelle est son importance par rapport aux autres facteurs complexes?

R. L'âge de Mme Folch à cette date-là n'a pas été un facteur important, il ne l'aurait pas empêchée d'obtenir un emploi à la société Air Canada.»

Nous sommes d'avis que le coût de la formation n'a pas été un facteur de la décision de rejeter la demande de la plaignante.

Évaluation de l'explication fournie par l'intimée quant à l'origine nationale ou ethnique

La plaignante a vécu au Canada de 1968 à 1976. Elle a obtenu un diplôme universitaire au Canada. Elle a reçu sa formation de copilote d'un Boeing 727 chez American Airlines à Fort Worth, au Texas. Elle a reçu sa formation de copilote d'un DC-10 chez United Airlines à Denver. A nombre d'occasions, elle a été membre d'équipage pour des vols de la compagnie d'aviation Mexicana aux États-Unis.

Il ressort de la preuve que les membres du jury de sélection n'ont pas eu de peine à comprendre la plaignante. Au surplus, ils ne se sont pas inquiétés de la capacité de la plaignante de communiquer en anglais avec les autres membres d'équipage ou avec les contrôleurs de la circulation.

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Des employés de l'intimée ont témoigné qu'ils tenaient la compagnie aérienne Mexicana et ses pilotes en haute estime et que la compagnie Mexicana avait une excellente tradition de sécurité par comparaison avec les autres principaux transporteurs nord-américains.

Il n'incombe pas à l'intimée d'établir que les membres de son jury de sélection avaient reçu une formation ou avaient de l'expérience quant à la conduite d'entrevues avec des personnes de diverses origines nationales ou ethniques, mais de fait, M. Forbes avait une telle formation. Il a témoigné qu'il avait reçu une telle formation, qu'il savait que ces personnes avaient des traits particuliers et qu'il en avait tenu compte en évaluant l'entrevue de la plaignante. Le commandant Gilliland a opéré à partir du Pérou pendant deux ans et il connaît bien la culture latino- américaine.

Plus tard, après ce concours, l'intimée a embauché une femme pilote d'origine nippo-canadienne.

AUTRES POINTS

On a affirmé au nom de la plaignante que les observations qui suivent, faites au sujet de celle-ci, témoignaient de la discrimination : Forbes : antécédents impressionnants, mais pas une candidate impressionnante Roberts : expérience plus impressionnante que la personne L'examen de l'évaluation d'autres candidats par ces membres du jury de sélection révèle qu'ils ont fait des observations semblables à propos d'autres candidats qui n'ont pas été embauchés. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

RYAN, James Roberts : n'impressionne pas trop, bien que ses qualités soient très grandes sur le papier.

CAMPBELL, Lawrence Roberts : Le candidat lui-même ne m'a pas fait une bonne impression, mais son expérience oui; ne le recommanderais pas.

On a soutenu au nom de la plaignante que le fait qu'elle a reçu la cote acceptable ou bon, sans être embauchée, prouvait qu'il y a eu discrimination. L'examen de l'évaluation d'autres candidats par les membres du jury de sélection révèle qu'ils ont fait des observations semblables au sujet d'autres candidats qui n'ont pas été embauchés. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

SHEARS, Ross Roberts : très qualifié

EMERY, Douglas commandant de bord d'un Dash 8 d'Air B.C. Forbes : très bons antécédents à titre de pilote

PAUL, Tim Gilliland : Je crois qu'il ferait un bon employé et un pilote régulier; recommande; B-737

PUSCH, Rod

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Roberts : expérience excellente

MILSOM, Robert Forbes : bon candidat Gilliland : acceptable

SCOTT, Douglas Gilliland : bon candidat; actuellement, copilote chez Worldways; Roberts : a des qualités excellentes

On a affirmé au nom de la plaignante que le fait que celle-ci n'a pas été embauchée alors qu'elle avait l'expérience des vols réguliers de transport commercial de passagers à bord de gros porteurs prouvait qu'il y avait eu discrimination. Toutefois, l'examen de l'expérience d'autres candidats révèle que d'autres candidats avaient une expérience semblable à celle de la plaignante et n'ont pas été embauchés. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

EMERY, Douglas commandant de bord d'un Dash 8 d'Air B.C.

WENGER, Dan Forbes : travaille actuellement pour Air B.C. -- commandant de bord d'un Dash 7-8; en outre, à son crédit, expérience préparatoire en vol

SHEARS, Ross Roberts : plus de 9 000 heures, beaucoup d'heures à bord du Dash 7

SCOTT, Douglas Copilote chez Worldways

L'avocat de la plaignante a soutenu qu'un autre fait attestait la discrimination : deux membres du jury de sélection ont attribué à la plaignante, sur la formule d'évaluation de l'entrevue, une cote numérique globale plus élevée que celle donnée à certains des candidats embauchés. Deux membres du jury de sélection ont attribué à la plaignante des cotes de 870 et de 830 respectivement. M. Forbes a témoigné qu'il n'avait pas établi de cotes numériques globales et que les décisions en matière de recrutement n'avaient pas été prises en fonction de ces cotes. Le témoignage de M. Forbes est corroboré par l'examen des cotes numériques globales attribuées à d'autres candidats qui n'ont pas été embauchés et dont les cotes étaient plus élevées que celles de la plaignante. Voici des exemples tirés de la pièce R-7 :

Nom Cotes numériques

MACKELVIE, David Variant entre 995 et 1070 SCOTT, Douglas Variant entre 985 et 1100 SAUNDERS, J.R. (Bob) Variant entre 950 et 980 JAMIESON, Tony 945 DROHAN, Dave Variant entre 885 et 920 CZICH, Myron Variant entre 790 et 885

Nous acceptons le témoignage de M. Forbes selon lequel les décisions en matière d'embauchage n'ont pas été prises en fonction des cotes numériques globales. Nous estimons que la preuve que la plaignante s'est vu attribuer sur les formules d'évaluation de l'entrevue des cotes numériques globales

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supérieures à celles de candidats qui ont été embauchés ne constitue pas une preuve circonstancielle de discrimination fondée sur un motif illicite.

CONCLUSION

On a soutenu au nom de la plaignante que l'intimée aurait dû utiliser des critères plus objectifs, dont le recours à des simulateurs de vol, dans le processus de sélection des candidats et que le fait de ne pas avoir utilisé de tels critères constituait une pratique discriminatoire. Peut-être eût- il été possible de concevoir un meilleur système pour le recrutement de pilotes, mais ce n'est pas ce qu'il incombe au Tribunal de décider. Il ne fait aucun doute que l'appréciation selon des critères telle l'aptitude à commander nécessite une opinion subjective. Mais même le commandant de bord Cranston, que la Commission a assigné à titre d'expert, a reconnu qu'il était nécessaire d'évaluer l'aptitude à commander des candidats pilotes et que cela impliquait nécessairement un avis subjectif. Le fait que l'intimée a utilisé des critères subjectifs pour juger les candidats ne rend pas en soi ses décisions en matière d'embauchage susceptibles de contestation. Lorsque des critères subjectifs sont employés relativement à l'embauchage, il peut être nécessaire d'examiner plus minutieusement les décisions prises à cet égard afin de s'assurer que les opinions subjectives ne servent pas à masquer la discrimination. Nous avons étudié attentivement les décisions prises quant au recrutement de pilotes parmi les candidats visés, dont la décision touchant la plaignante. Il n'appartient pas au Tribunal d'approuver ou non chaque décision prise par l'intimée en matière d'embauchage durant la période en cause. Il lui appartient de décider si la plaignante a été victime de discrimination pour l'un des motifs de distinction illicite allégués. Nous sommes convaincus que, suivant la prépondérance de la preuve, l'intimée a fait un examen juste de la demande d'emploi de la plaignante pour le poste de pilote et que l'intimée n'a commis aucun acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante pour l'un des motifs allégués dans sa plainte.

Pour tous ces motifs, la présente plainte est rejetée.

AUTRES CONCLUSIONS

Nous avons conclu à l'absence de discrimination fondée sur l'un ou l'autre des motifs allégués dans la plainte et nous avons décidé de rejeter la plainte. Néanmoins, nous reconnaissons qu'une cour d'appel pourrait conclure à la discrimination. Par conséquent, nous allons analyser les points qui nécessiteraient des conclusions sur les faits au cas où une cour d'appel conclurait à la discrimination fondée sur un motif illicite.

PERTE DE LA POSSIBILITÉ D'ETRE CANDIDATE A UN CONCOURS

Si une cour d'appel conclut à la discrimination à l'endroit de la plaignante, cette discrimination n'a pu se produire qu'à cette étape du recrutement qui consistait dans l'entrevue devant le jury de sélection. Par conséquent, la plaignante a perdu, tout au plus, la possibilité de voir sa demande d'emploi comme pilote passer à l'étape suivante du recrutement, qui incluait la vérification des références. La pratique de l'intimée, quand elle recrutait des pilotes, était de vérifier les références des candidats auprès de leurs employeurs précédents. Étant donné la preuve, il

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n'y a aucun doute que l'intimée les aurait vérifiées auprès de la compagnie d'aviation Mexicana, soit le seul employeur de la plaignante durant sa carrière de dix ans dans l'aviation.

Au moment où la demande de la plaignante a été rejetée, l'intimée n'a pas fait la vérification des références parce qu'elle ne s'est pas avérée nécessaire. Après que la plaignante eut déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne, l'intimée a vérifié les références. C'est Carlos Acheves, directeur général de la société intimée à Mexico, qui s'en est chargé. L'intimée a versé en preuve deux lettres que la compagnie d'aviation Mexicana a envoyées en réponse à ces demandes de renseignements. La pièce R-1, onglet 12, est une lettre de J. J. Silva Jimenez, directeur adjoint des Ressources humaines de la compagnie d'aviation Mexicana, en date du 12 octobre 1988, à laquelle est jointe la traduction de l'espagnol vers l'anglais. Voici le passage pertinent de celle-ci :

[TRADUCTION]

«[...] la présente confirme que Mme Elena Maria Folch Serra a travaillé pour notre compagnie, à la direction des opérations aériennes, du 9 juin 1976 au 10 mars 1986, date de sa démission du poste de copilote de DC-10/15.»

La pièce R-1, onglet 13, est une lettre du commandant de bord Rodolfo Fierro Lozano, directeur des opérations aériennes, en date du 18 octobre 1988, à laquelle est jointe la traduction de l'espagnol vers l'anglais. A cette lettre était joint un document intitulé [TRADUCTION] Renseignements concernant le copilote Elena Folch Serra. Voici le texte du paragraphe pertinent de ce document :

[TRADUCTION]

«Le 8 février 1986, elle n'a pas obtenu la promotion au poste de commandant de bord de B-727. Les motifs de cet échec étaient entre autres : manque -- de leadership pour le commandement, manque de promptitude en situation de vol.»

La plaignante affirme que ce n'étaient pas là les raisons pour lesquelles elle n'a pas obtenu l'avancement au poste de commandant de bord chez Mexicana et elle allègue qu'elle n'a pas été promue à la compagnie Mexicana en raison de la discrimination fondée sur le sexe. Néanmoins, ce sont là les renseignements que la compagnie aérienne Mexicana aurait donnés à l'intimée. Ils auraient révélé que la plaignante n'avait pas terminé sa formation de commandant de bord à la compagnie Mexicana contrairement à ce que la plaignante avait déclaré dans le curriculum vitae qu'elle a remis à l'intimée et par rapport auquel le jury de sélection a mené l'entrevue. De plus, les renseignements fournis par Mexicana auraient révélé que la plaignante n'avait pas à son crédit d'expérience préparatoire en vol aux côtés d'un commandant de bord de Boeing 727 lors de quatorze vols inscrits dans son carnet de vol canadien (pièce HRC-3, onglet 18) entre le 3 mars 1986 et le 28 mars 1986. La vérification des références aurait révélé que la plaignante n'avait pas commandé d'avion à réaction B-727 contrairement à ce qu'elle avait déclaré dans le formulaire des heures de vol effectives (pièce HRC-3, onglet 17) qu'elle a fait parvenir à l'intimée.

Les membres du jury de sélection ont témoigné clairement que la découverte de ces assertions inexactes à la suite d'une vérification des références

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aurait fait perdre à la plaignante les qualités requises pour la poursuite de l'étude de sa candidature au poste de pilote. Ils ont témoigné que l'honnêteté et l'intégrité sont des qualités essentielles pour le poste de pilote parce que les pilotes ont la responsabilité d'établir eux-mêmes des rapports sur des faits susceptibles de leur nuire, notamment sur les quasi- abordages.

Par conséquent, si tant est qu'il y ait eu discrimination à l'étape de l'entrevue devant le jury de sélection (nous avons conclu qu'il n'y en avait pas eu), il est clair que la demande de la plaignante aurait été écartée à la suite de la vérification des références. Par conséquent, même si nous avions estimé que la plaignante a perdu la possibilité de voir sa demande acceptée par le jury de sélection, nous n'aurions pas ordonné à l'intimée d'offrir à la plaignante une autre possibilité de concourir pour un poste de pilote.

PERTE DE POSTE

Si nous avions conclu qu'il y a eu discrimination et que la plaignante a perdu un emploi de pilote plutôt que la possibilité de concourir pour un poste, nous aurions statué sur les demandes de réparation de la plaignante de la manière suivante :

Demande d'INTÉGRATION

Nous n'aurions pas ordonné l'intégration. Il ressort clairement de la preuve produite par l'intimée que l'établissement de rapports est une fonction importante de tout pilote. Nous sommes d'avis que les assertions inexactes dont le détail est donné plus haut dans la présente décision prive la plaignante du droit à l'intégration.

Demande concernant la PERTE DE SALAIRE

L'intimée a embauché six pilotes le 20 janvier 1988. C'est la dernière fois que l'intimée a embauché plusieurs pilotes avant la date de la lettre de rejet envoyée à la plaignante. Par conséquent, on peut en inférer que si la plaignante avait été embauchée, elle aurait été incluse dans le groupe embauché le 20 janvier 1988. La plaignante n'a pas été embauchée.

Même si nous avions conclu à la discrimination, il incomberait toujours à la plaignante de limiter les dommages. Le 23 août 1988, la plaignante a accepté un poste de copilote d'un B-727 basé à Ottawa que lui avait offert Bradley Air Services (First Air). Cette dernière l'a licenciée en mars 1989. Après ce licenciement, la plaignante a témoigné avoir envoyé des demandes d'emploi à Cathay Pacific Airlines et à Singapore Airlines, mais sans succès. Elle a mentionné aussi Mandarin Airlines, mais n'a pas précisé lui avoir présenté de demande d'emploi. Elle ne semble pas avoir présenté de demande d'emploi à l'un ou l'autre des transporteurs régionaux comme Time Air et Air B.C. En août 1989, elle et son mari ont ouvert un petit restaurant.

Par conséquent, si nous avions conclu à la discrimination, nous aurions limité la demande concernant la perte de salaire à la période allant du 20 janvier 1988 (soit la date où, pour la dernière fois, l'intimée a embauché plusieurs pilotes avant la date de la lettre de rejet envoyée à la

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plaignante) au 23 août 1988 (soit la date où la plaignante est entrée en fonction chez Bradley Air Services).

Si elle avait été employée par l'intimée durant cette période, nous estimons que la plaignante aurait été embauchée en qualité de copilote de B-737. La plaignante a versé en preuve la pièce C-7 dans laquelle figure l'échelle de salaire selon laquelle elle aurait été rémunérée. On a informé le Tribunal que M. Roberts, au nom de l'intimée, avait confirmé l'exactitude des renseignements contenus dans cette pièce. Celle-ci comprend l'échelle qui aurait été applicable si la plaignante avait été embauchée le 20 janvier 1988. Compte tenu de cette pièce, la demande de la plaignante concernant la perte de salaire aurait été limitée aux sommes suivantes :

20/1/88 au 20/4/88 1 228 $ x 33 684 $ 20/4/88 au 20/8/88 1 950 $ x 47 800 $ 20/8/88 au 22/8/88 1 950 $ x 3/30 195 $ 11 679 $

L'information sur le salaire annuel des pilotes que l'intimée a embauchés en 1987 et en 1988 a été versée en preuve. Le salaire annuel de 17 des 28 pilotes dont le salaire a été divulgué (anonymement) dépassait la somme qui résulterait du taux de salaire mensuel indiqué ci-dessus. Certains des écarts entre le taux de salaire mensuel et le salaire annuel ne sont devenus importants qu'en 1989 et au cours des années ultérieures. Aucun élément de preuve n'a été soumis au Tribunal qui lui permettrait de constater un écart important entre le taux de salaire mensuel et le salaire effectivement touché par les autres pilotes en 1988.

D'après la copie du rapport d'impôt canadien de la plaignante pour 1988 et les feuillets T-4 joints à l'appui (pièce C-1, onglet 2), le seul revenu d'emploi (revenus en intérêts exclus) qu'elle a gagné en 1988 provenait de Bradley Air Services (First Air). Par conséquent, aucun rajustement ne serait nécessaire dans le calcul susmentionné de la perte de salaire de la plaignante eu égard au revenu gagné durant la période allant du 20 janvier 1988 au 23 août 1988.

DEMANDE CONCERNANT LA PERTE D'AVANTAGES SOCIAUX

La plaignante a demandé un dédommagement pour la perte de divers avantages sociaux qu'elle aurait reçus si elle avait été employée par les Lignes aériennes Canadien. Ce sont entre autres :

Les primes d'assurance maladie

Si la plaignante avait été embauchée par l'intimée le 20 janvier 1988, elle aurait profité de l'assurance maladie fournie par l'intimée jusqu'au 23 août 1988, date de son entrée en fonction chez First Air. La plaignante a demandé le remboursement des frais qu'elle a engagés pour souscrire à une police d'assurance maladie privée durant cette période. Nous constatons que, durant cette période, la plaignante a payé une prime mensuelle d'assurance maladie privée de 37 $ jusqu'au 30 avril 1988 et de 52 $ par la suite. Par conséquent, toute demande relative à la perte de cet avantage social aurait été limitée à ce qui suit:

20/1/88 au 31/1/88 37 $ x 12/31 14,32 $

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1/2/88 au 30/4/88 37 $ x 3 111,00 $ 1/5/88 au 31/7/88 52 $ x 3 156,00 $ 1/8/88 au 22/8/88 52 $ x 22/31 36,90 $ 318,22 $

Frais dentaires

Si l'intimée avait embauché la plaignante le 20 janvier 1988, celle-ci aurait profité de l'assurance soins dentaires fournie par l'intimée jusqu'au 23 août 1988, date de son entrée en fonction chez First Air. La plaignante a demandé le remboursement des frais de soins dentaires qu'elle a engagés à deux occasions en 1988. Des copies de reçus concernant ces frais ont été versées en preuve et forment la pièce C-1, onglet 4. L'un des reçus vise des frais de 287,62 $ payés le 19 janvier 1988. Cette date précède d'un jour la date où nous estimons que la plaignante aurait été embauchée si l'intimée en avait décidé ainsi. Ces frais sont refusés. La part de la plaignante des autres frais dentaires s'élève à 1 543,20 $. La date à laquelle ces services ont été fournis n'est pas indiquée clairement sur le reçu et la plaignante n'a pas clarifié cette date dans son témoignage. Elle a cependant témoigné qu'elle n'avait pas engagé ces frais lorsqu'elle était employée par First Air. Nous avons laissé le bénéfice du doute à la plaignante relativement à la date de l'engagement de ces dépenses et nous concluons qu'elle les a engagées durant la période allant du 20 janvier 1988 au 23 août 1988.

Dépenses de vacances

La plaignante a demandé le remboursement de dépenses qu'elle a engagées lors de vacances. Elle prétend que si elle avait été employée par les Lignes aériennes Canadien, elle aurait pu voyager à bord des avions de l'intimée ou de transporteurs associés à des tarifs bien inférieurs et qu'à titre d'employée d'une compagnie aérienne, elle aurait eu droit à des rabais importants dans divers hôtels. On a affirmé au nom de la plaignante qu'elle a perdu cet avantage social quand l'intimée ne l'a pas embauchée.

L'avocat de la plaignante a fait des demandes de celle-ci le résumé suivant :

1988 Hawaii 1 043,42 $ Toronto/Montréal 938,60 $ 25 jours à l'hôtel 2 500,00 $

1989 Montréal 629,50 $ 17 jours à l'hôtel 1 700,00 $

1990 Beijing/Shanghai 3 214,00 $ Cancun (hôtel inclus) 1 660,00 $ 26 jours à l'hôtel 2 600,00 $

1991 Londres 1 278,00 $ Madrid 614,00 $ 18 jours à l'hôtel 1 800,00 $

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M. Roberts a témoigné qu'un nouvel employé n'avait pas droit à une réduction de tarif pour les vols des Lignes aériennes Canadien ou d'autres transporteurs aériens durant les six premiers mois d'emploi. Il a aussi témoigné que les pilotes pouvaient prendre des vacances selon les crédits de congé annuel acquis durant la période allant du 31 janvier au 30 janvier suivant. Les crédits de congé annuel acquis pendant cette période sont utilisés durant l'année suivante. Par conséquent, si l'intimée avait embauché la plaignante le 20 janvier 1988, elle aurait acquis un jour de vacances qu'elle aurait pu prendre durant la période allant du 31 janvier 1988 au 30 janvier 1989. Par conséquent, elle n'aurait eu droit qu'à un jour de vacances avant son entrée en fonction chez Bradley Air Services (First Air) le 23 août 1988.

On a soutenu au nom de la plaignante qu'elle aurait pu encore profiter de la réduction des tarifs aériens en utilisant ses jours de congés de façon à pouvoir faire des voyages d'agrément. M. Roberts a témoigné qu'un pilote dont le nom figure en bas de la liste d'ancienneté a droit à onze ou douze jours de congé par mois, mais que ceux-ci ne sont pas consécutifs. Par conséquent, il aurait été impossible pour la plaignante de prendre les vacances à l'égard desquelles elle demande un dédommagement.

Par conséquent, même si nous avions conclu à la discrimination et à la perte d'un emploi, nous n'aurions pas ordonné le versement d'une indemnité à la plaignante pour les dépenses de vacances.

LES DÉPENSES LIÉES A L'EMPLOI DE LA PLAIGNANTE CHEZ FIRST AIR

La plaignante a demandé un dédommagement pour diverses dépenses qu'elle a supportées pendant qu'elle travaillait pour First Air, dont les suivantes :

  1. Les frais supportés pour faire la navette entre son domicile à Vancouver et le centre d'opérations de First Air à Ottawa;
  2. Les frais de séjour au centre d'opérations de First Air à Ottawa;
  3. Les frais d'interurbain supportés pour communiquer avec son époux.

Nous aurions refusé toute demande d'indemnité pour ces frais, pour deux raisons. Premièrement, nous avons estimé que dès lors qu'elle commençait à travailler pour First Air, elle cessait d'avoir droit à un dédommagement de la part de l'intimée. Deuxièmement, même si la plaignante avait été employée par l'intimée, elle aurait pu être affectée à l'un des centres d'opérations de l'intimée à l'extérieur de Vancouver et elle aurait eu à engager des frais de même nature.

DÉDOMMAGEMENT POUR LE PRÉJUDICE MORAL

Si nous avions conclu à la discrimination à l'endroit de la plaignante (nous avons conclu qu'il n'y avait pas eu de discrimination fondée sur l'un ou l'autre des motifs allégués), nous aurions été habilités par l'al. 53(3)b) de la Loi à ordonner le paiement d'une indemnité à l'égard du préjudice moral résultant de l'acte discriminatoire. La plaignante a témoigné relativement au préjudice moral qu'elle a subi et elle a déclaré qu'elle avait consulté un spécialiste à ce sujet.

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Aux termes de l'al. 53(3)b), le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d'ordonner le paiement d'une indemnité pour le préjudice moral. Il n'est pas obligé de rendre une telle ordonnance en vertu de l'al. 53(3)b) chaque fois qu'il juge qu'un plaignant a souffert un préjudice moral par suite d'un acte discriminatoire. Dans la plupart des cas où il a conclu à la discrimination et à un préjudice moral, le tribunal a ordonné le versement d'une indemnité en application de l'al. 53(3)b). Les circonstances de la présente plainte sont différentes. La plaignante a fait de graves assertions inexactes au sujet de ses titres et qualités pour le poste qu'elle demandait. Au surplus, elle n'a divulgué à la Commission le fait qu'elle n'avait pas terminé sa formation de commandant chez Mexicana que lorsqu'elle a été mise en présence de la preuve par l'enquêteur de la Commission. Vu l'ensemble des circonstances, nous estimons que la plaignante ne doit pas bénéficier d'une ordonnance sous le régime de l'al. 53(3)b) et nous n'aurions pas accordé d'indemnité pour le préjudice moral si nous avions conclu que l'intimée a commis un acte discriminatoire.

POUR TOUS CES MOTIFS, NOUS REJETONS LA PLAINTE.

Fait à Victoria, ) en Colombie-Britannique ) le 28 mars 1992 )

(signature) Lyman R. Robinson, c.r.

Fait à Delta, ) en Colombie-Britannique ) le 2 avril 1992 )

(signature) C. Joan Block

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