Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

AFFAIRE INTÉRESSANT la plainte déposée sur le fondement de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ENTRE:

MARCEL GAUVREAU

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BANQUE NATIONALE DU CANADA

l'intimée

TRIBUNAL: WILLIAM I. MILLER, c.r.

DÉCISION DU TRIBUNAL ONT COMPARU :

Robert Monette et Avocats de l'intimée Jean A. Savard

René Duval Avocat de la Commission

Marcel Gauvreau Pour son propre compte

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Le 24 avril 1989, conférence préalable à l'instruction Le 28 mars 1990, conférence préalable à l'instruction Du 4 au 7 septembre 1990, audience Du 8 au 9 novembre 1990, audience Du 19 au 20 décembre 1990, audience Montréal (Québec)

TRADUCTION

TABLE DES MATIERES Page I. LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL 1 II. LA PLAINTE 2 III. LE PRINCIPE FONDAMENTAL DE LA LOI 4 IV. LES FAITS 5 V. LES QUESTIONS LITIGIEUSES 21 VI. LE DROIT ET LE FARDEAU DE LA PREUVE 22 VII. L'ALLÉGATION DE DISCRIMINATION FORMULÉE PAR LE PLAIGNANT 24 VIII. LA RÉPONSE DE L'INTIMÉE 28 IX. CONCLUSION 76

I. LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le président du Comité du tribunal des droits de la personne a chargé Me Gilles Mercure, le 2 novembre 1988, d'agir à titre de tribunal ayant pour fonction d'examiner la plainte portée devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) par Me Marcel Gauvreau (le plaignant), le 26 janvier 1987.

Me Mercure a présidé la conférence préalable à l'instruction tenue le 24 avril 1989 à Montréal (Québec) (où ont eu lieu toutes les audiences subséquentes dans cette affaire) au cours de laquelle l'intimée a présenté une requête préliminaire visant à obtenir la remise des audiences pour absence de compétence. Cette question a été prise en délibéré, mais avant même que le tribunal n'ait pu rendre sa décision sur la requête de l'intimée, Me Mercure a été nommé à la Cour supérieure ce qui a mis fin à sa compétence en l'espèce.

Le soussigné a donc été chargé, le 21 novembre 1989, par le président du Comité du tribunal des droits de la personne de remplacer Me Mercure et d'examiner de nouveau la plainte.

Les parties n'étant pas d'accord pour permettre au présent tribunal de rendre une décision sur la requête de l'intimée en se fondant sur les notes sténographiques de la conférence préalable à l'instruction ayant eu lieu le 24 avril 1989, elles ont été convoquées à une deuxième conférence préalable à l'instruction tenue le 28 mars 1990 et au cours de laquelle elles ont eu l'occasion de présenter une nouvelle fois leurs arguments sur cette requête. Par suite de cette audience, le tribunal a rejeté la demande de remise de l'intimée et il a ordonné que les audiences relatives à la plainte aient lieu le plus tôt possible.

II. LA PLAINTE

La plainte qui a été déposée porte qu'il y a eu (pièce HR-2) distinction illicite fondée sur la déficience physique ce qui contrevient aux dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée) (la Loi); elle est rédigée de la manière suivante :

La Banque Nationale du Canada a agi de façon discriminatoire en refusant de m'embaucher à cause de ma déficience. Ceci est contraire à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je me déplace en fauteuil roulant suite à la poliomyélite. En septembre 1986, la Banque Nationale m'a approché pour m'offrir le poste de directeur des services juridiques. Une semaine après l'entrevue, Me Chatillon m'annonçait que j'étais son candidat et m'informait des conditions salariales. La Banque Nationale a pris des références à mon sujet auprès de 4 personnes différentes. J'ai eu 2 rencontres avec Monsieur Michel Bélanger, président du conseil et chef de la direction, les 5 et 13 octobre.

Le 14 octobre, j'ai rencontré le président, Monsieur Bérard. Le même jour, Me Chatillon m'annonça qu'elle m'avait obtenu un

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espace de stationnement gratuit et elle me suggéra le 12 novembre comme date d'entrée en fonctions. Le 17 octobre, Me Chatillon m'apprenait qu'elle sentait une réticence chez Monsieur Bérard et le 22 octobre, que ma candidature n'avait pas fait l'unanimité parmi les membres de la haute direction. Je considère que je suis la personne compétente pour occuper le poste de directeur des services juridiques à la Banque Nationale. Je n'ai reçu à ce jour aucune raison valable pour expliquer ce revirement étant donné l'entente formelle relative à mon embauche. Je suis convaincu que c'est parce que je me déplace en fauteuil roulant que la Banque Nationale a décidé de ne pas m'embaucher.

Il est évident qu'il faut examiner la plainte en se fondant sur l'alinéa a) de l'article 7 de la Loi qui porte :

Article 7 :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

Le paragraphe 3(1) de la Loi prévoit que la déficience constitue un motif de distinction illicite :

Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

L'article 25 de la Loi définit la déficience :

«déficience» Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

III. LE PRINCIPE FONDAMENTAL DE LA LOI

En raison du caractère particulier et, en fait, exceptionnel de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal estime utile, avant d'entreprendre un examen des faits et du droit en l'espèce, de souligner l'objectif fondamental de la Loi tel qu'il est énoncé à l'article 2 afin d'en permettre une interprétation appropriée:

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du

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Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Comme l'a déclaré le juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536 (O'Malley), qui a été rendu par la Cour suprême du Canada et qui est fréquemment cité, il y a lieu de donner à la Loi une interprétation large qui permettra de promouvoir ses fins générales. Le juge McIntyre a dit (à la p. 547) :

Le Code vise la suppression de la discrimination. C'est là l'évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C'est le résultat ou l'effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d'imposer à une personne ou à un groupe de personnes des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire.

Même si le juge McIntyre traitait de la loi ontarienne plutôt que de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on ne peut contester que sa remarque s'applique tant à la législation canadienne qu'à la législation ontarienne sur les droits de la personne.

IV. LES FAITS

A la date de l'audience portant sur la présente plainte, le plaignant Marcel Gauvreau (le plaignant) résidait à Montréal; il était âgé de 42 ans, il exerçait la profession d'avocat et il était marié et père de deux enfants. A la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre 1986, même s'il avait encore un emploi à l'époque, il a reçu un appel de Guy Djandji qui s'occupait de recruter des cadres et qui l'a informé que le poste de directeur des affaires juridiques d'une institution financière était vacant et lui a demandé s'il était intéressé par cet emploi. Assez insatisfait de son emploi actuel, il a répondu par l'affirmative. Au cours d'une rencontre exploratoire tenue aux environs du 8 septembre, Djandji a révélé au plaignant que la Banque intimée était le client qui cherchait un titulaire pour remplir le poste vacant.

Le plaignant ayant manifesté son intérêt pour le poste, Djandji a organisé une rencontre avec Me Louise Vaillancourt Châtillon (Châtillon) qui était alors vice-présidente responsable des Affaires juridiques et secrétaire de la Banque et qui était chargée de trouver un titulaire pour

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le poste. Le plaignant a également fourni à Djandji des références pour vérification ultérieure.

Une rencontre entre le plaignant, Châtillon et Roger Bilodeau (Bilodeau), ce dernier occupant alors le poste de directeur des Ressources humaines, a eu lieu le 23 septembre 1986 et, selon le plaignant, elle a été d'une durée d'environ une heure et demie à deux heures.

Châtillon et Bilodeau se sont montré intéressés par la formation du plaignant, son expérience diversifiée à la Commission des valeurs mobilières du Québec, à la Banque de Montréal et chez Domtar Inc. où il avait travaillé comme avocat, et, en particulier, par son expérience en gestion. Tout semble porter à croire que les deux parties ont été satisfaites du résultat de cette première rencontre. Châtillon a plus tard consigné dans ses notes personnelles et confidentielles que le plaignant était un excellent candidat (pièce R-4).

D'après le plaignant, Châtillon a confirmé au cours de cette rencontre que c'était elle qui était chargée de l'embauche. Elle lui a également indiqué que la candidature de deux autres personnes avait été prise en considération pour le poste et qu'une rencontre complémentaire pourrait avoir lieu.

En fait, une deuxième rencontre a bel et bien eu lieu la semaine suivante, soit le 29 septembre 1986, lorsque Châtillon a invité le plaignant à déjeuner à la Place Bonaventure. Ils ont alors discuté de nombreux aspects du poste à remplir, notamment de la philosophie du plaignant et de la manière dont il dirigerait le service des Affaires juridiques de la Banque qui, a dit Châtillon, nécessitait une restructuration et dont le moral du personnel était bas. Le plaignant a déclaré dans son témoignage que Châtillon avait manifesté un vif intérêt pour sa candidature, qu'elle l'avait informé que le salaire accordé pour ce poste était de 68 000 $ par année sous réserve de révision annuelle, et qu'il était son candidat.

Le plaignant a déclaré qu'après avoir discuté de certains autres éléments en détail, notamment sa demande d'une place de stationnement gratuit au siège social de la Banque ainsi que d'autres questions relatives au poste, il était sorti de la rencontre avec la conviction qu'il avait l'emploi, ce dont il a informé immédiatement son épouse et Djandji, bien que ce dernier ne se rappelle pas avoir reçu un tel appel. Châtillon a indiqué que des dispositions seraient prises afin que le plaignant rencontre trois des cadres supérieurs de la Banque, Michel Bélanger (Bélanger), président du conseil, André Bérard (Bérard), chef des opérations, et le supérieur de Châtillon, le vice-président Gilles Roch (Roch). Le plaignant a affirmé dans son témoignage que Châtillon lui avait déclaré que ces rencontres n'étaient que des visites de courtoisie ou une simple formalité bien que Châtillon ait pour sa part soutenu que ces rencontres constituaient aussi un élément essentiel du processus d'embauche.

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La preuve indique que, de toute manière, ce même après-midi, Châtillon a organisé un rendez-vous entre le plaignant et M. Bélanger pour 14 h 30, le 6 octobre. Elle a également fixé un rendez-vous à 15 h 15 avec M. Roch. Malheureusement, au lieu de durer 45 minutes, la rencontre avec Bélanger a été brève, soit environ de 15 à 30 minutes seulement, Bélanger ayant dû participer à une conférence téléphonique imprévue.

Il semble que ni Bélanger ni le plaignant n'étaient satisfaits de leur première brève rencontre, mais chacun pour des motifs différents. Bélanger a plus tard indiqué à Châtillon qu'il n'était pas convaincu que le plaignant était le meilleur candidat possible sur le marché alors que le plaignant a estimé que Bélanger, pressé par le temps, n'avait abordé que brièvement son expérience à la Banque de Montréal et à la Commission des valeurs mobilières du Québec au cours des quelques minutes qu'avait duré leur rencontre qui ne s'était pas révélée très productive. Néanmoins, Bélanger a admis qu'ils devraient se revoir.

Lors d'une deuxième rencontre tenue la semaine suivante, soit le 14 octobre, le plaignant a parlé de ses plans de réorganisation et d'expansion du service des Affaires juridiques de la Banque. Selon lui, lorsque la rencontre a pris fin, Bélanger semblait satisfait des réponses données aux diverses questions qu'il lui avait posées.

Il semble toutefois que Bélanger n'était pas de la même opinion. Tout en admettant que le plaignant possédait les compétences requises pour l'emploi, il éprouvait néanmoins des sentiments divers à son égard puisqu'il remettait en doute ses qualités de chef et sa capacité de diriger une équipe. En un mot, Bélanger estimait que le plaignant n'était intéressé que par les affaires juridiques et rien d'autre. En raison de ses doutes, il a demandé que le plaignant rencontre Bérard, le chef des opérations de la Banque, en pensant qu'il se conformerait à la recommandation de ce dernier. Le plaignant a toutefois indiqué à Châtillon que Bélanger semblait très satisfait à son sujet.

Dans l'intervalle, le plaignant a également rencontré brièvement Gilles Roch qui lui aurait simplement souhaité la bienvenue à la Banque.

Comme l'avait demandé Bélanger, une rencontre a eu lieu entre le plaignant et Bérard, le 15 octobre 1986. Selon le plaignant, la première partie de la rencontre a porté sur son expérience dans les affaires bancaires et en particulier, sur son expérience en matière d'administration, de productivité et de budgets. Ils ont également discuté des projets du plaignant en ce qui concerne le service juridique et Bérard a indiqué qu'il était satisfait de l'expérience pratique du plaignant. Bien que tant le plaignant que Bérard aient déclaré dans leur témoignage que la question des opérations internationales de la Banque avait été abordée au cours de leurs discussions, ils gardaient un souvenir assez différent de l'importance accordée à ce sujet par chacun d'entre eux. Bérard a déclaré qu'il avait demandé au plaignant s'il était prêt à envisager un poste supérieur comme celui de vice-président des opérations

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internationales ou un poste analogue dans un avenir pas trop éloigné, tandis que le plaignant a nié qu'une telle offre lui avait été faite.

Après rencontre, le plaignant a revu Châtillon et lui a indiqué qu'il lui semblait que Bérard ferait une recommandation favorable à son égard. Il a demandé à Châtillon si elle était prête à fixer la date de son entrée en fonction. Lorsque, selon le plaignant, elle a répondu pourquoi pas?, il a été convenu qu'il occuperait son poste à partir du 12 novembre 1986. Le plaignant a déclaré dans son témoignage que Châtillon lui avait dit qu'elle communiquerait avec lui le lendemain pour préparer l'annonce de sa démission de Domtar et sa nomination au poste de directeur des Affaires juridiques de la Banque. Il a ajouté qu'elle s'était également engagée à lui faire parvenir le lendemain une lettre confirmant ces faits nouveaux.

Le plaignant n'a pas reçu la lettre de confirmation et Châtillon lui a dit, le 17 octobre, il y a des complications. Par contre, Djandji a informé le plaignant qu'il n'y avait pas de problèmes majeurs et, qu'en autant qu'il était concerné, il était le candidat de Châtillon et c'est pourquoi il avait fermé son dossier. Le plaignant a ajouté dans son témoignage que Djandji lui avait indiqué qu'il n'avait aucune raison de s'inquiéter et qu'on mettrait un point final à l'affaire dans un jour ou deux.

Toutefois, le plaignant a déclaré dans son témoignage que, lorsqu'il a téléphoné à Châtillon le 22 octobre 1986 d'Orlando en Floride où il se trouvait pour affaires, cette dernière l'a informé que sa nomination au poste vacant ne faisait pas l'unanimité parmi les cadres supérieurs de la Banque. Elle lui a déclaré qu'en conséquence, il n'obtenait pas le poste qui demeurait vacant et qu'il n'entrerait donc pas en fonction le 12 novembre. Lorsque le plaignant lui a demandé des explications supplémentaires, Châtillon a répondu qu'elle ne pouvait pas parler de cette affaire au téléphone.

Après son retour à Montréal, le plaignant a téléphoné à Châtillon afin d'obtenir un rendez-vous avec celle-ci au cours duquel elle pourrait lui fournir les motifs de ce qui semblait être pour le plaignant une volte- face de l'intimée dans sa décision de ne pas l'embaucher. Une rencontre a été fixée au 30 octobre. Il ressort du témoignage du plaignant que Châtillon l'a alors informé que Bérard ne croyait pas qu'il possédait le profil de l'entreprise pour le poste, qu'il n'avait pas le potentiel nécessaire pour devenir vice-président de la Banque et qu'il ne possédait pas non plus l'esprit d'entreprise (entrepreneurship) requis. Ces motifs semblent compatibles avec ceux consignés par Châtillon dans ses notes personnelles et confidentielles qui constituent la pièce R-4. Il est également indiqué dans ces notes que Bérard n'était pas convaincu que le plaignant constituait le meilleur candidat sur le marché et qu'il était en outre trop fonctionnaire, c'est-à-dire qu'il avait le type d'un employé de l'État, et qu'en dernière analyse, sa candidature n'était pas satisfaisante.

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Ces explications ne semblent pas avoir convaincu le plaignant qui a immédiatement fait parvenir à la Banque une lettre datée du 4 novembre 1986 (pièce HR-3) dans laquelle il informait Châtillon qu'il tenait l'intimée responsable de son refus de l'engager pour remplir le poste vacant. C'est ce qui a mené à la présente plainte.

Il est nécessaire à ce stade, avant d'entreprendre un examen du droit et des questions litigieuses qui devront être tranchées en l'espèce, de décrire brièvement la formation et l'expérience des principales personnes en cause. L'intimée fait évidemment partie des banques à charte du Canada et ses deux cadres supérieurs ont témoigné lors des audiences.

Le plaignant est né en 1947 et il a attrapé la poliomyélite en 1952, peu de temps avant son cinquième anniversaire. Il est cloué à un fauteuil roulant depuis ce temps. La preuve a révélé qu'il est tout à fait mobile, ayant apparemment acquis une telle maîtrise de son appareil qu'il est capable, malgré sa déficience physique, de fonctionner, de se déplacer et de voyager de n'importe quelle manière, notamment en automobile et par avion.

Après des études à l'École des Hautes études commerciales où il a obtenu en 1970 un baccalauréat en sciences commerciales avec spécialisation en administration, il a fait ses études en droit à l'université de Montréal où il a obtenu une licence en droit en 1973. Il a été admis au barreau du Québec en 1974 et il en est membre depuis cette date.

Il a acquis son expérience professionnelle et juridique dans les trois postes qu'il a occupés avant les événements qui ont donné lieu à la présente plainte. De mai 1975 à mai 1979, le plaignant a travaillé comme conseiller juridique à la Commission des valeurs mobilières du Québec et, au cours de ces quatre années, il a occupé diverses fonctions. Notons parmi celles-ci la rédaction d'avis juridiques en matière de droit administratif et de valeurs mobilières, la représentation de la Commission devant les tribunaux et le remplacement, pendant une période d'un an, du directeur des appels et du directeur de l'encadrement du marché.

Le plaignant a ensuite été avocat à la Banque de Montréal pour la région de l'Est du Canada pendant une période de plus de 6 ans. Ses principales fonctions et responsabilités consistaient à conseiller la Banque en ce qui concerne les prêts hypothécaires, les nouveaux produits, la trésorerie et les valeurs mobilières ainsi que le respect des lois provinciales et fédérales, et à représenter la Banque dans divers comités de l'Association des banquiers canadiens.

Lorsqu'il a quitté la Banque de Montréal, le plaignant a travaillé comme avocat, à partir de septembre 1985, pour Domtar Inc. où, a- t-il affirmé, il dirigeait une équipe de huit personnes et s'occupait de toutes sortes de questions administratives et juridiques. Il était conseiller juridique du trésorier et du secrétaire pour toutes les questions relatives aux valeurs mobilières et aux finances de l'entreprise

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et il touchait un salaire de 67 000 $ annuellement. D'après son supérieur chez Domtar, Gilles Pharand (Pharand), le plaignant n'avait que deux employés sous ses ordres. La preuve fournie relativement au nombre de personnes qui relevaient de l'autorité du plaignant et à leurs fonctions était toutefois contradictoire, les parties ne s'entendant pas quant à savoir si elles parlaient du personnel juridique ou non juridique.

Le contenu de trois pièces produites à l'audience était beaucoup plus important que la simple description de la formation et de l'expérience du plaignant; la première de ces pièces, la pièce HR-1, était une évaluation de la performance gestionnaire du plaignant préparée par la Banque de Montréal en octobre 1984, sous les signatures du Directeur principal de la Banque, Services juridiques, et du Premier vice-président, Secrétariat général et affaires juridiques. La cote qui a été accordée au plaignant dans cette évaluation était remarquable.

Les pièces HR-7 et HR-8 étaient deux rapports confidentiels préparés par Djandji, le recruteur de cadres de la Banque; le premier de ces rapports, la pièce HR-7, décrivait brièvement les compétences du plaignant en ce qui a trait au poste de directeur des Affaires juridiques. Le tribunal considère qu'il est approprié de citer au long ce rapport plutôt que de n'en utiliser que des extraits :

Rapport sommaire d'entrevue Confidentiel Me Marcel Gauvreau Septembre 1986

Me Gauvreau possède une expérience très pertinente au poste de directeur des affaires juridiques à la BNC puisqu'il a oeuvré durant plusieurs années au sein d'institutions financières. Tout d'abord, à la C.V.M.Q. où il a travaillé quatre ans, il s'est occupé de dossiers très variés qui l'ont familiarisé aux aspects juridiques ainsi qu'aux dimensions de réglementation, enquêtes et gestion de l'organisme. Par la suite, à la Banque de Montréal on lui a confié des responsabilités croissantes: d'abord auprès des succursales pour ensuite desservir le service de Trésorerie. Il dirigeait, à l'époque, un avocat, un avocat-stagiaire et une petite équipe de personnel de soutien. De 1979 à 1985, le service des affaires juridiques fut réduit et ensuite transféré à Toronto. Durant sa dernière année, Me Gauvreau avait réussi à bâtir l'infrastructure administrative nécessaire pour le fonctionnement en direct des deux bureaux, de Toronto et de Montréal. Bien que l'offre lui fut faite, il refusa de déménager à Toronto pour des raisons d'ordre personnel.

Me Gauvreau est un individu sérieux et calme, qui impose par son assurance et sa crédibilité. C'est un individu qui nous semble hautement motivé à accomplir un travail rigoureux et de haute qualité professionnelle. Pour cela, il examinera avec minutie tous les aspects d'une situation et saura dégager les

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variables importantes et définir les stratégies d'interventions adéquates.

Au plan gestion, Me Gauvreau semble avoir perfectionné ses talents au plan de l'organisation et de l'utilisation efficace des ressources à sa disposition. Il a un style de gestion ouvert et il sait entraîner et former son personnel. Il délègue bien et se garde disponible pour aider ses subordonnés dans la réalisation de leur travail. A cet égard, nous croyons que Me Gauvreau possède un leadership professionnel évident, c'est-à- dire qu'il est en mesure d'influencer les efforts de ses collaborateurs, d'une part, et de se faire écouter par ses clients, d'autre part.

Au plan personnel, Me Gauvreau est un individu chaleureux et qui sait établir de bons liens de confiance avec les autres. Il semble très persévérant et engagé dans ce qu'il entreprend. Son dynamisme est contrôlé et il procède avec méthode et ténacité dans l'atteinte de ses objectifs.

Face au poste disponible à la BNC, Me Gauvreau se dit fort intéressé et très motivé à y accéder. En effet, il nous indique que toute sa carrière le prépare pour un tel poste, tant au plan du contenu professionnel qu'au plan gestion. D'autre part, après un an chez Domtar, il constate avec déception, qu'il ne partage pas le style de gestion centralisateur qui caractérise le service et se sent très limité dans son action. Il est actuellement activement à la recherche d'autres opportunités de carrière.

A notre avis, les compétences juridiques de Me Gauvreau ainsi que sa connaissance intime du milieu bancaire, son style de gestion et sa personnalité ouverte et chaleureuse en font un candidat fort intéressant au poste disponible à la Banque Nationale du Canada.

Dans la pièce HR-8, Djandji a fait état des résultats de ses entretiens avec quatre cadres différents qui étaient au courant de l'expérience et de la formation acquises par le plaignant dans les postes qu'il avait occupés antérieurement à la Banque de Montréal et à la Commission des valeurs mobilières du Québec. Les points saillants de ce rapport indiquaient que toutes les références obtenues étaient favorables au plaignant, qu'il était un bon organisateur, qu'il était efficace et doté d'une énergie illimitée.

Suivant les termes mêmes de M. Bill Mandzia, qui était le supérieur du plaignant à la Banque de Montréal, [TRADUCTION] le plaignant avait la capacité d'obtenir que les choses soient bien faites. Le rapport était rempli de termes élogieux; on y indiquait notamment que le plaignant était un avocat d'excellent calibre pour la Banque, que sa compétence ne se limitait pas à ses connaissances juridiques mais qu'il avait plutôt le sens

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des affaires et qu'il était le candidat parfait. L'auteur du rapport terminait celui-ci en déclarant qu'il n'avait obtenu aucun renseignement négatif relativement au caractère ou à la compétence du plaignant.

Par contre, le plaignant avait aussi ses détracteurs. Pharand, qui était directeur adjoint des services juridiques de Domtar, a déclaré durant son témoignage qu'il doutait de la compétence du plaignant en ce qui concernait des questions comme le financement public comportant des obligations non garanties en fiducie et des valeurs mobilières. Il a également indiqué que s'il avait été obligé de choisir son successeur à l'époque, il aurait été enclin à choisir quelqu'un d'autre de son service qui lui semblait posséder une plus grande expérience et de meilleures connaissances que le plaignant.

Pourtant, malgré ce témoignage si peu flatteur, Pharand a admis qu'il avait jugé approprié d'accorder une augmentation de salaire au plaignant l'année suivante et qu'il lui en aurait probablement accordé une autre au mois de septembre suivant si le plaignant avait continué à travailler pour Domtar. La preuve n'indique pas clairement si les augmentations accordées ou devant être accordées au plaignant étaient automatiques et respectaient la politique de la compagnie ou si elles étaient attribuables au rendement du plaignant. Le témoignage de M. Pharand à cet égard était ambigu.

Un autre témoin cité à comparaître pour l'intimée, Peter Blaikie (Blaikie), qui était associé dans le cabinet

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d'avocats dont le plaignant a fait partie de 1987 à 1990 (période qui a suivi les événements qui sont à l'origine de la présente plainte), a déclaré que ses associés doutaient de la compétence ou de l'expertise du plaignant dans les domaines du droit commercial, du droit des affaires bancaires et du droit des valeurs mobilières. Bien que Blaikie n'ait eu que peu ou pas de relations de travail personnelles avec le plaignant, son témoignage reflétait l'opinion ou le consensus de ses associés dont aucun n'a d'ailleurs témoigné.

Blaikie a déclaré dans son témoignage que l'association de son cabinet avec le plaignant a pris fin en janvier 1989 et qu'il était entendu qu'il conserverait un bureau dans les locaux du cabinet et qu'il continuerait à toucher son salaire pendant les douze mois suivants. Cet arrangement s'est en fait poursuivi jusqu'à la fin de juillet 1990. Toutefois, le plaignant n'ayant pas réussi à trouver un nouvel emploi à cette date, un nouvel accord a été conclu et prévoyait que le plaignant, même s'il ne conservait pas de bureau dans les locaux du cabinet d'avocats, continuerait néanmoins à toucher une rémunération jusqu'en janvier 1991. Il a également été autorisé à utiliser le numéro de téléphone du cabinet. La preuve indique que le cabinet d'avocats de Blaikie a consenti à un tel arrangement afin d'aider le plaignant dans sa recherche d'un nouvel emploi.

Le tribunal est d'avis qu'il est pour le moins contradictoire que le cabinet de Blaikie ait mis fin à l'emploi du plaignant pour les motifs donnés, c'est-à-dire son incompétence et son manque d'expertise, tout en lui ayant par ailleurs offert une entente de séparation plus que généreuse ainsi qu'une association continue ce qui, quoique très louable, est un peu difficile à concilier.

V. LES QUESTIONS LITIGIEUSES

La principale question litigieuse en l'espèce consiste à déterminer si la décision de l'intimée de ne pas embaucher le plaignant comme directeur de son service des Affaires juridiques reposait sur sa déficience physique ce qui constituerait un acte discriminatoire contrevenant à l'article 7 de la Loi.

Il convient de signaler que, pour en arriver à sa décision, il n'a pas été nécessaire pour le tribunal de déterminer, par exemple, si l'intimée avait effectivement embauché le plaignant, si elle lui avait fait une offre formelle d'emploi ou encore, si l'offre d'emploi avait été réellement confirmée par écrit ou s'il y avait eu entente à ce sujet. Le tribunal n'a pas à se prononcer en l'espèce sur une question de responsabilité civile pour rupture de contrat. Il est plutôt obligé d'examiner les faits dans leur ensemble et de déterminer, en leur appliquant les principales dispositions de la Loi citées ci-dessus, si, selon la prépondérance de la preuve, la décision de l'intimée de refuser d'embaucher le plaignant était motivée par le handicap physique dont souffrait ce dernier.

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VI. LE DROIT ET LE FARDEAU DE LA PREUVE

Ayant exposé les articles pertinents de la Loi qui s'appliquent aux parties en l'espèce et dont le tribunal doit tenir compte afin de déterminer s'il y a eu discrimination fondée sur la déficience physique du plaignant, le tribunal doit maintenant examiner le droit applicable à l'espèce. Plus précisément, il doit déterminer qui a le fardeau de la preuve et quel doit être l'ordre de la présentation de la preuve.

Le droit ainsi que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve dans les cas de discrimination de ce genre ont été exposés en détail dans l'affaire Julius Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne et autre, (1983) 4 CHRR D/1616 (à la p. 1617) :

Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l'ordre de présentation des éléments de celle-ci. Il semble que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de refus d'emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer des commissions d'enquête canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d'abord établir qu'il s'agit, à première vue, d'un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l'employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l'explication fournie n'est qu'un simple prétexte et que la discrimination est véritablement à l'origine des actes de l'employeur.

Ce tribunal s'est reporté à une série d'autres décisions dans lesquelles on avait appliqué le même fardeau et le même ordre de présentation de la preuve dans des cas de discrimination; le présent tribunal estime qu'il vaut la peine de citer deux de ces décisions en particulier. Premièrement, il s'agit de l'affaire Offierski c. Peterborough Board of Education, (1980) 1 CHRR D/333, dans laquelle on indique en quelques mots comment le fardeau de la preuve échoit à l'employeur :

[TRADUCTION]

Une fois établi qu'il s'agit apparemment d'un acte discriminatoire, c'est à l'employeur qu'il incombe de se justifier. A cette fin, il peut faire valoir que le plaignant est moins qualifié que la personne qui a obtenu le poste, c'est- à-dire qu'il n'y a pas eu, en fait, de discrimination [...]

Deuxièmement, dans l'affaire Ingram c. Natural Footwear, (1980) 1 CHRR D/59, le tribunal est allé encore plus loin en déclarant au paragraphe 473 :

[TRADUCTION]

Cependant, une fois que l'employeur s'est acquitté de son obligation, c'est au plaignant qu'il appartient d'établir,

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par prépondérance de la preuve, que l'explication offerte s'écarte de la vérité et est pur prétexte.

Dans l'affaire Israeli, le tribunal a également énoncé les critères qui permettent de déterminer s'il s'agit d'un cas de discrimination à première vue (à la p. 1618) :

Les critères permettant d'établir qu'il s'agit d'un cas de discrimination apparemment fondé semblent également assez précis en droit jurisprudentiel. Le plaignant doit démontrer :

  1. 1. qu'il appartient à l'un des groupes susceptibles d'être victimes de discrimination aux termes de la Loi, du fait, par exemple, de sa religion, d'une déficience physique ou de sa race;
  2. qu'il s'est porté candidat à un poste que l'employeur désirait combler et qu'il possédait les compétences voulues;
  3. que sa candidature a été rejetée en dépit du fait qu'il était qualifié; et
  4. que, par la suite, l'employeur a continué d'étudier les demandes de candidats possédant les mêmes qualifications que le plaignant.

Les principes qui précèdent ont depuis été suivis dans un bon nombre d'autres décisions, notamment Morisette v. Canada Employment and Immigration Commission (1987), 8 CHHR D/4390; Dhami v. Canada Employment and Immigration Commission, (1989) II CHRR D/253 de même que dans Canadian Broadcasting Corporation v. O'Connell et al., (1990) 12 CHRR D/69. Il s'agit donc des lignes directrices que le présent tribunal a suivies et appliquées à la preuve produite à l'audience en l'espèce.

VII. L'ALLÉGATION DE DISCRIMINATION FORMULÉE PAR LE PLAIGNANT

Le plaignant allègue qu'il a fait l'objet de discrimination de la part de l'intimée du fait de sa déficience physique parce que l'intimée a refusé de l'embaucher au poste de directeur de son service des Affaires juridiques même s'il possédait les compétences requises pour ledit poste. Le plaignant allègue en outre, bien que, comme nous l'avons déjà signalé, cela ne soit pas essentiel pour l'espèce, qu'il y avait déjà eu entente pour lui accorder le poste avant le rejet ultérieur de sa candidature.

Parmi les principaux éléments de preuve et arguments avancés au nom du plaignant en vue d'établir l'existence d'un cas de discrimination à première vue, notons les suivants :

  1. le plaignant possédait les compétences et l'expérience requises et il satisfaisait aux exigences du poste de directeur du service des Affaires juridiques de l'intimée énoncées à la page 6 de la description de fonctions préparée par l'intimée (pièce HR-4);
  2. après des rencontres avec le recruteur de cadres de l'intimée et avec sa vice-présidente responsable des Affaires juridiques qui était chargée de prendre la
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    décision, le plaignant a été informé qu'il était le premier choix de cette dernière pour le poste;

  4. en conformité avec ce qui précède, diverses questions connexes ont été abordées ou mises au point confirmant son emploi, notamment la date de son entrée en fonction, son salaire, une place de stationnement gratuite, les priorités à respecter pour la restructuration du service des Affaires juridiques, l'examen de dossiers confidentiels et de problèmes personnels ainsi que d'autres questions telles la fusion avec la Banque Mercantile et un voyage éventuel en Alberta relativement à un dossier en cours;
  5. le plaignant a été choisi pour le poste parmi un groupe initial formé de dizaines de candidats possibles, la liste de candidats ayant été réduite à six et ensuite à trois candidats, le choix final s'arrêtant sur lui;
  6. la candidature du plaignant a été rejetée à la suite d'une rencontre avec le chef des opérations de l'intimée même si la vice-présidente l'avait informé que cette rencontre ne constituait qu'une visite de courtoisie et qu'elle avait le pouvoir de l'embaucher;
  7. la vice-présidente Châtillon a informé le plaignant que, dans le passé, ses choix avaient toujours été respectés par les cadres supérieurs de la Banque;
  8. avant le rejet de sa candidature, le plaignant avait rencontré et obtenu l'approbation d'au moins trois des vice-présidents et directeurs de service de l'intimée qui avaient été consultés au cours du processus d'embauche;
  9. les motifs fournis pour justifier le rejet de sa candidature ne reposaient pas sur des éléments ni sur des critères figurant dans la description de fonctions qu'avait fait circuler l'intimée.

Le tribunal est convaincu que le plaignant a établi en l'espèce l'existence d'un cas de discrimination à première vue à son endroit. En fait, la preuve est si convaincante qu'il est difficile de voir comment, à ce stade, on peut arriver à une autre conclusion. De l'avis du tribunal, le plaignant s'est acquitté de son fardeau initial de la preuve et, en conséquence, il incombe maintenant à l'intimée de justifier sa décision de refuser de l'embaucher compte tenu des faits qui ont été établis.

Le tribunal déclare, en conséquence, qu'il n'hésite pas à conclure que le plaignant a établi contre l'intimée l'existence d'un cas de

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discrimination à première vue fondé sur un motif de distinction illicite, soit sa déficience physique.

VIII. LA RÉPONSE DE L'INTIMÉE

L'existence d'un cas de discrimination à première vue ayant été établie, il incombe maintenant à l'intimée de fournir une explication raisonnable pour un comportement par ailleurs discriminatoire. Il convient de signaler dès le départ qu'il ne s'agit pas d'un cas où l'intimée reconnaît son comportement discriminatoire mais invoque en défense une exigence professionnelle justifiée en se fondant sur l'alinéa 15a) de la Loi pour justifier sa discrimination par ailleurs illicite. En fait, tout au long des procédures, l'intimée a vigoureusement contesté la plainte dans laquelle elle était accusée de discrimination.

Pour justifier son refus de reconnaître qu'elle avait commis un acte illicite en vertu de la Loi, l'intimée a allégué les faits et avancé les arguments qui sont exposés ci-dessous et que le tribunal a examinés en tenant compte de la preuve produite à l'audience. L'intimée ayant opposé à la plainte une réponse à multiples facettes, le tribunal a l'intention d'examiner chaque argument de l'intimée en détail.

En résumé, l'intimée tente de justifier ses actes et sa décision de refuser d'embaucher le plaignant en invoquant les motifs suivants:

  1. aucune offre formelle d'emploi n'a jamais été présentée au plaignant;
  2. le plaignant n'a reçu aucune confirmation écrite de son embauche;
  3. le processus d'embauche en cinq étapes de l'intimée n'était pas terminé;
  4. le plaignant n'a pas fait preuve de leadership ni démontré qu'il était ambitieux, dynamique ou entreprenant;
  5. le plaignant était nerveux et il n'était pas préparé à ses rencontres avec les deux cadres supérieurs de l'intimée;
  6. le plaignant n'avait pas les capacités nécessaires pour accéder au poste supérieur de vice-président;
  7. le plaignant n'était pas compétent selon l'opinion d'un employeur antérieur et d'un employeur subséquent;
  8. les compétences du plaignant étaient inférieures à celles de la candidate retenue;
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  10. les cadres supérieurs de l'intimée possédaient l'autorité finale pour embaucher le candidat;
  11. le plaignant n'était pas le meilleur candidat sur le marché;
  12. le plaignant manquait de crédibilité;
  13. le plaignant n'avait pas la mobilité requise par le poste;
  14. le plaignant tenait trop du théoricien, de l'académicien ou du fonctionnaire;
  15. il n'y avait aucune intention d'exercer une discrimination;
  16. l'enquêteur a déclaré que la plainte n'était pas fondée.

a) L'absence d'offre formelle

L'intimée prétend qu'aucune offre formelle d'emploi n'a été présentée au plaignant et, en conséquence, que celui-ci ne pouvait avoir accepté une offre qui ne lui avait jamais été faite. Elle a établi une analogie avec le processus d'embauche auquel avait dû se soumettre le plaignant chez Domtar, embauche qui avait été précédée par une offre finale. Ce fait n'a manifestement aucune importance pour l'espèce.

Toutefois, même s'il n'y a pas eu en principe entre les parties une offre formelle suivie d'une acceptation, il ne s'agit pas en l'espèce, comme nous l'avons déjà signalé, d'une action civile fondée sur la rupture d'un contrat. Il suffit, pour les fins de l'espèce, que Châtillon, en sa qualité de vice-présidente de l'intimée responsable des Affaires juridiques et de cadre chargé de trouver un titulaire pour le poste de directeur des Affaires juridiques, en soit arrivée à une entente, du point du tribunal, avec le plaignant. La preuve révèle que le plaignant était son choix pour le poste parmi le grand nombre de personnes dont la candidature a tout d'abord été examinée et qui ont été graduellement éliminées. Cette décision a été précédée par deux rencontres approfondies avec Châtillon et d'autres cadres de l'intimée ainsi que par une rencontre avec Djandji, le recruteur de la Banque.

Bien que l'on ait consacré un temps fou au cours de l'audience à la question de savoir si une offre avait été faite et acceptée, la preuve révèle que, lorsque le plaignant a déclaré dans son témoignage qu'il avait accepté l'offre de la Banque, il faisait en réalité allusion au fait qu'il avait accepté l'offre salariale que lui avait faite Châtillon pour la Banque, offre qui indiquait clairement qu'ils s'entendaient sur un élément important des conditions afférentes au poste à remplir (notes sténographiques, p. 99).

b) L'absence de confirmation écrite

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L'intimée prétend qu'en l'absence de sa part d'une lettre de confirmation ou d'un autre document du même genre, elle ne s'était pas engagée à embaucher le plaignant ni n'était obligée de le faire. Toutefois, il convient de dire encore une fois qu'il n'est pas nécessaire qu'il existe un tel écrit pour qu'une plainte de discrimination puisse être portée en vertu de la Loi.

De toute manière, le plaignant a déclaré dans son témoignage qu'à la suite de sa deuxième rencontre avec la vice-présidente Châtillon le 29 septembre, cette dernière s'est engagée à lui faire parvenir le lendemain une lettre confirmant qu'il entrerait en fonction le 12 novembre 1986. Cette déclaration est corroborée par les notes personnelles de Châtillon sur les événements (pièce R-4). Néanmoins, même s'il semble que les parties se soient entendues sur l'envoi d'une lettre de confirmation, celle-ci n'a jamais été envoyée.

c) Le non-parachèvement du processus d'embauche

L'intimée prétend que sa procédure d'embauche en 5 étapes n'ayant pas été menée à terme, il est peu probable que le plaignant aurait pu être embauché sans avoir rencontré les deux cadres supérieurs de la Banque, Michel Bélanger, président du conseil, et André Bérard, chef des opérations, rencontres qui selon l'intimée constituaient les deux dernières étapes de cette procédure.

Il est incontestable qu'après ses deux rencontres avec Châtillon et avant ses deux rendez-vous avec Bélanger et celui avec Bérard, le plaignant avait toutes les raisons de croire qu'il avait l'emploi. Cette conviction découlait du fait qu'il était le premier choix de Châtillon qui était responsable de l'embauche et qui possédait l'autorité nécessaire pour engager le prochain directeur des Affaires juridiques de la Banque.

Même si on avait envisagé des rencontres avec Bélanger et Bérard, il y avait lieu de croire qu'étant donné que Bérard se trouvait à l'extérieur de la ville, le plaignant lui serait présenté après son retour et une fois seulement qu'il serait entré en fonction. Il semble que ce n'est qu'après que Bélanger eut exprimé des réserves quant à l'embauche du plaignant que des dispositions ont été prises pour que ledit plaignant rencontre Bérard peu après son retour.

Il ressort toutefois d'un examen de la preuve sur ce point que la procédure en cinq étapes qui, selon l'intimée, constituait une condition préalable à toute décision finale sur la question de l'embauche, était incertaine et imprécise et certainement pas constante ni rigide. En fait, à différents stades des témoignages et de l'argumentation, on a tour à tour indiqué que la procédure d'embauche comportait trois étapes différentes (Djandji, notes sténographiques, p. 349) ou quatre étapes (Châtillon, notes sténographiques, p. 905) (notes de l'avocat de l'intimée, p. 6, 7, 19 et 24). Par ailleurs, les témoins n'ont jamais défini avec clarté ni précision chacune de ces étapes de la procédure d'embauche.

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Qui plus est, la souplesse et le caractère variable de la procédure d'embauche de l'intimée sont démontrés par le fait que, lorsque l'intimée a par la suite embauché Johanne Labrecque Rémillard (Rémillard) pour occuper le poste en cause, celle-ci n'a pas été obligée de rencontrer l'un ou l'autre des deux cadres supérieurs de l'intimée. Voilà ce qui en est de la procédure en trois, en quatre ou en cinq étapes, dont les rencontres avec Bélanger et Bérard étaient censées, d'après l'intimée, faire partie intégrante.

De toute manière, le tribunal ne considère pas que cet aspect particulier de la procédure d'embauche de l'intimée, qu'il s'agisse d'une procédure en trois, en quatre ou en cinq étapes, est plus pertinent ou plus important pour l'espèce que les arguments qui ont été avancés relativement à l'absence d'une offre formelle ou d'une confirmation d'emploi écrite.

d) Les rencontres avec M. Bélanger

L'intimée prétend que la performance du plaignant, lors de ses deux rencontres avec Bélanger les 6 et 14 octobre, a été si médiocre qu'on pouvait qualifier celles-ci de désastreuses et que cela semblait justifier le manque d'enthousiasme initial de Bélanger ainsi que le fait qu'il n'avait pas été impressionné par le plaignant.

Les rencontres entre le plaignant et Bélanger constituant des éléments importants dans l'ordre des événements qui sont survenus en l'espèce, le tribunal doit examiner chacune de celles-ci séparément.

L'intimée a fait valoir que le plaignant n'était pas préparé pour sa première rencontre avec Bélanger, que sa présentation ou performance a été médiocre et que c'est ce qui a amené Bélanger à croire qu'il n'était pas le meilleur candidat sur le marché et a suscité chez ce dernier des sentiments divers au sujet de sa candidature.

Le plaignant a déclaré dans son témoignage que cette première rencontre avec Bélanger avait duré de 15 à 20 minutes seulement, qu'elle avait été très courte étant donné que, dès son arrivée au rendez-vous fixé une semaine plus tôt, Bélanger était pressé par le temps. Les parties ont brièvement discuté de l'expérience du plaignant et Bélanger a accepté de revoir celui-ci.

Le tribunal ne peut voir comment, après une si courte entrevue qui, au dire de tous, n'a pas duré plus de 30 minutes, si c'est même le cas, le président de l'intimée pouvait légitimement conclure qu'il n'était pas convaincu que le plaignant était la personne indiquée pour le poste. En fait, les notes personnelles de Châtillon (pièce R-4, p. 2) confirment que, se fondant sur ce qui n'avait été qu'une brève rencontre, Bélanger a fait savoir qu'il n'était pas convaincu que le plaignant était le meilleur candidat sur le marché. Plus étonnant peut-être encore, la pièce R-4 révèle que Bélanger n'avait pas en sa possession le curriculum vitae du

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plaignant lors de cette rencontre, Châtillon ne lui en ayant fourni une copie qu'après celle-ci.

On ne peut prendre au sérieux la critique formulée à l'endroit du plaignant voulant qu'il n'était pas préparé pour cette rencontre. Le tribunal s'est tout d'abord demandé à quelle sorte de préparation on s'attendait de la part du plaignant (en dehors de s'être muni d'un exemplaire du rapport annuel de la Banque, ce qu'il a fait), en particulier quand on l'avait amené à croire qu'il n'effectuerait qu'une simple visite de courtoisie. L'intimée ne l'a pas dit. De l'avis des parties, leur première rencontre à la sauvette n'a satisfait aucune de celles-ci. Mais, même si, contre-interrogé avec insistance, le plaignant a refusé de qualifier cette rencontre de désastre (notes sténographiques, p. 203), les avocats de l'intimée ont persisté à dire que c'est ce que le plaignant avait déclaré comme si un tel aveu rendrait davantage acceptable la décision de l'intimée de rejeter sa candidature.

Bélanger a ressenti après leur deuxième rencontre qui s'était déroulée la semaine suivante des sentiments divers parce que, même s'il lui semblait que le plaignant possédait les compétences professionnelles requises pour le poste, telles la connaissance du droit et l'expérience dans le domaine bancaire, il était moins sûr de son leadership ou de sa capacité de diriger une équipe. Le leadership prend diverses formes, mais Bélanger n'a pas défini ni qualifié ce terme dans le contexte du poste à remplir.

Par contre, le plaignant a conclu que la rencontre avait été productive et s'était bien déroulée; il était convaincu que Bélanger était favorable à sa candidature. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait indiqué ses sentiments à Châtillon qui fait état de ceux-ci dans ses notes personnelles (pièce R-4). Chose curieuse toutefois, les notes de Châtillon ne renferment aucune mention ni aucune remarque quant à l'impression de Bélanger au sujet de la rencontre.

Le témoignage de Bélanger (notes sténographiques, p. 713) indique que leur rencontre a porté sur l'intérêt du plaignant pour le poste à remplir, soit celui de directeur des Affaires juridiques de l'intimée et pas pour d'autres choses, comme le montre l'échange suivant (notes sténographiques, p. 713) :

Bélanger :

R. Dans notre conversation il avait été surtout question du poste premier que l'on pouvait envisager pour lui, c'est-à-dire celui était l'objet de notre discussion. Nous avons pas eu de grands débats sur les autres aspects, mais tout ce que nous avons pu discuter indiquait son intérêt d'abord et avant tout pour le poste de directeur des Affaires juridiques, pas pour d'autres choses.

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Q. Et est-ce que vous avez aimé une telle réponse?

R. Ça avait des effets positifs puisque ça répondait aux besoins du poste dans l'immédiat, mais ça répondait pas à cet autre idéal que nous avions de trouver des gens qui puissent être disponibles pour se déménager en d'autres postes à d'autres moments de leur carrière.

(Non souligné dans le texte original.)

Compte tenu de la rencontre ultérieure qui a eu lieu le lendemain entre le plaignant et Bérard, rencontre au cours de laquelle Bérard a insisté sur deux points presque à l'exclusion de toute autre question, soit le manque d'intérêt allégué du plaignant pour les opérations bancaires internationales de l'intimée et son manque d'intérêt allégué pour le poste de vice-président, il convient de signaler qu'aucune de ces questions n'a été abordée au cours des deux rencontres entre le plaignant et Bélanger. Elles ne l'ont d'ailleurs pas été non plus lors des autres rencontres ou discussions qui se sont déroulées entre le plaignant et Châtillon, Djandji, Roch ou toute autre personne.

e) La rencontre avec M. Bérard

L'intimée admet que, bien que Bélanger ait demandé que le plaignant rencontre Bérard afin d'obtenir une deuxième opinion, il était disposé à se conformer à la décision de ce dernier (notes sténographiques, p. 1052).

La rencontre avec Bérard a eu lieu le 15 octobre 1986. Quoique le plaignant ait indiqué à Châtillon qu'il avait l'impression, à la suite de cette rencontre, que Bérard avait l'intention de faire une recommandation qui lui était favorable, c'est tout le contraire qui s'est produit. Bérard a déclaré sans équivoque qu'à la suite de cette unique rencontre avec le plaignant (personne n'ayant, semble-t-il, discuté avec lui de la candidature du plaignant avant ce moment), il a conclu que le plaignant manquait d'ambition et de dynamisme, qu'il n'avait pas fait preuve d'esprit d'entreprise et qu'il n'avait pas démontré qu'il possédait les capacités requises pour devenir vice-président de la Banque.

Le tribunal juge étrange que les questions qui ont fait l'objet de leur rencontre aient concerné deux domaines précis qui, en aucun temps avant ce moment, n'avaient été abordés lors des rencontres du plaignant avec les cadres, les représentants ou le recruteur de l'intimée ni lors de leurs échanges. Ces deux questions en particulier méritent d'être examinées, soit les opérations bancaires internationales de la Banque et la possibilité d'une promotion au poste de vice-président. Il convient également pour le tribunal de commenter la réponse du plaignant à la question de Bérard au sujet de sa mobilité.

- 21 - Il ressort de la preuve que le plaignant est devenu le premier choix de la vice-présidente Châtillon non seulement en raison de ses connaissances des domaines bancaire et administratif ainsi que de l'expérience qu'il avait acquise à la Banque de Montréal, à la Commission des valeurs mobilières du Québec et chez Domtar, mais également en raison de ses idées pour rétablir l'image et le moral des services juridiques de l'intimée qui, à l'époque, nécessitaient une révision et une restructuration. Le témoignage de Châtillon révèle sa surprise lorsqu'elle a appris que la candidature du plaignant avait été rejetée à la suite de ses rencontres avec Bélanger et Bérard :

Châtillon : (notes sténographiques, p. 693)

Q. Parce que je pense que vous avez dit que Me Gauvreau était votre choix, votre premier choix.

R. Oui. Moi ça ne m'était jamais arrivé.

Q. Oui. Est-ce que vous avez été prise par surprise par la décision finalement à la suite de son rendez-vous avec Bélanger et Bérard?

R. Ça été une évolution, ça été une série de déceptions là, si je peux m'exprimer ainsi. Après le premier rendez-vous avec monsieur Bérard évidemment j'ai été une peu surprise par la tournure des événements [...]

Les rencontres antérieures de Châtillon avec le plaignant les avaient amenés à croire qu'il faudrait de trois à cinq ans avant que le service des Affaires juridiques ne corresponde à ce qu'ils désiraient. La priorité était donnée au respect des exigences qui étaient énoncées dans la description de fonctions (pièce HR-4) et à l'exécution des tâches du directeur précisées dans la pièce HR-10. Ce qui est plus important, il n'est nullement question dans ces documents, que ce soit directement ou indirectement, de l'intérêt ou de l'importance pour la Banque que son directeur éventuel des Affaires juridiques accède à un poste de vice- président ou s'occupe de ses opérations internationales. Qui plus est, il n'y a aucune mention de ces deux points dans la lettre de sept pages qu'a fait parvenir l'intimée à son recruteur de cadres.

C'est à la lumière de ces faits que le tribunal estime que les points sur lesquels Bérard a insisté au cours de sa rencontre avec le plaignant n'avaient aucun lien ni aucun rapport avec le poste en cause. Pourtant, ce sont les réponses du plaignant aux questions que lui a posées Bérard sur ces points sinon étrangers du moins certainement très éloignés des conditions figurant dans la description de fonctions, qui ont amené Bérard et, par la suite, l'intimée à rejeter la candidature du plaignant.

Bérard a discuté en détail des opérations de la Banque sur le plan international et il a demandé au plaignant s'il serait prêt à

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travailler dans ce domaine. Il semble que ce soit la réponse du plaignant, qui a déclaré qu'il envisagerait de le faire dans quelques années, en fait, après avoir rempli le mandat pour lequel il avait été amené à croire qu'il était engagé, qui a suscité la réaction négative de Bérard.

Dans la même veine, lorsque Bérard a examiné en détail avec le plaignant la possibilité pour ce dernier d'assumer un poste plus important, tel celui de vice-président de la Banque, et qu'il lui a donné une réponse analogue, il semble que la réaction de Bérard ait alors été de conclure que le plaignant manquait de dynamisme, d'ambition et d'esprit d'entreprise. En fait, la preuve donne l'impression, particulièrement en raison des points sur lesquels a insisté Bérard au cours de cette rencontre, que le poste pour lequel le plaignant était recruté et dont la candidature était envisagée par Châtillon et Djandji différait considérablement de celui pour lequel Bérard a conclu que le plaignant n'était pas le meilleur candidat sur le marché.

Le tribunal est convaincu que l'entrevue menée par Bérard au cours de sa rencontre avec le plaignant a placé ce dernier dans une impasse. Si le plaignant répondait, comme il l'a d'ailleurs fait, qu'il ne pouvait envisager pendant quelques années d'occuper un poste dans le domaine des opérations internationales de la Banque ou un poste de vice- président tant qu'il n'aurait pas rempli le mandat pour lequel il avait été engagé, il était critiqué pour son manque de dynamisme, d'ambition et d'esprit d'entreprise. Cela aurait entraîné le rejet de sa candidature pour le poste en cause, ce qui s'est d'ailleurs produit. Par contre, s'il avait cherché à se faire bien voir du chef des opérations de l'intimée et qu'il s'était déclaré prêt à assumer l'une ou l'autre des fonctions énoncées ci-dessus (fonctions qui, de l'avis général, étaient plus importantes et plus élevées dans l'ordre hiérarchique que le poste pour lequel il a été recruté), sa candidature aurait probablement été rejetée pour le motif qu'il n'était pas véritablement intéressé à remplir les tâches décrites dans la description de fonctions du directeur des Affaires juridiques. Il semble au tribunal que le fait qu'on se serait attendu à ce que le plaignant réponde oui plutôt que non, réponse qui était appropriée dans les circonstances, à l'offre d'un poste supérieur que lui a fait miroiter Bérard constituait un bien faible argument pour rejeter sa candidature.

Même si l'avocat de l'intimée a soutenu que la situation en cause était analogue à celle dont il était question dans l'affaire Avtar (Terry) Dhami v. Canada Employment and Immigration Commission (1989) 11 CHRR D/253, dans laquelle la plainte a été rejetée, le tribunal ne considère pas que les faits de cette affaire sont analogues à ceux de l'espèce ni pertinents. Dans l'affaire Dhami, le candidat ayant porté plainte a donné une réponse erronée à une question cruciale, en plus d'obtenir un mauvais résultat. Toutefois, la question cruciale à laquelle il a mal répondu constituait un élément essentiel de l'objet même de l'examen. Il ne s'agissait pas d'une question sans rapport ou étrangère. Dans les circonstances de l'espèce, la question en cause, sinon sans rapport avec le poste à remplir, ne cadrait

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certainement pas avec celui-ci si l'on considère ce que toutes les parties en cause dans le processus d'embauche avaient jugé jusqu'à ce moment constituer les exigences de ce poste, en se fondant sur les directives écrites et le mandat de la Banque.

Si l'on considère que la personne finalement choisie pour remplir ce poste n'était absolument pas tenue de rencontrer le chef des opérations de l'intimée avant d'être engagée, la rencontre du plaignant et de Bérard et, plus particulièrement, les questions dont ils ont discutées, devient un peu moins importante et pertinente que cela aurait pu être le cas autrement.

Qui plus est, le tribunal s'est demandé s'il était plausible que le chef des opérations de la Banque, qui semble avoir pris la décision de rejeter la candidature du plaignant pour le poste, puisse avoir sérieusement envisagé d'offrir au plaignant un poste de vice-président de la Banque ou un poste dans ses opérations internationales dans un avenir rapproché ou, en fait, dans un avenir éloigné, alors qu'il ne considérait pas qu'il était souhaitable de l'embaucher pour diriger le service des Affaires juridiques. Le tribunal ne le croit pas.

f) L'incompétence du plaignant

L'intimée a allégué qu'étant donné que Pharand, le supérieur du plaignant chez Domtar Inc., avait déclaré dans son témoignage qu'il n'avait pas été impressionné par la compétence du plaignant, ses deux cadres supérieurs avaient eu raison de rejeter la candidature du plaignant. Toutefois, cet argument n'est pas acceptable dans les circonstances de l'espèce vu, comme nous l'avons déjà indiqué, que les motifs avancés par l'intimée pour justifier son refus d'embaucher le plaignant étaient totalement différents. En réalité, les deux cadres supérieurs de l'intimée ont reconnu que le plaignant possédait probablement une grande compétence professionnelle pour le poste, mais ils ont fait valoir qu'il manquait néanmoins de leadership, de dynamisme et d'ambition. En outre, l'idée que s'était faite Pharand du manque de compétence allégué du plaignant était quelque peu équivoque et, ce qui est plus important, elle n'était manifestement pas si évidente ni de nature à empêcher le plaignant de recevoir une augmentation de salaire régulière.

Le tribunal considère que le témoignage de Blaikie relativement à l'opinion de son cabinet d'avocats au sujet de l'incompétence alléguée du plaignant dans certains domaines du droit est encore moins pertinent. Il devrait être évident que l'exercice du droit dans un cabinet privé diffère considérablement de l'exercice du droit dans un service des affaires juridiques d'une institution. En outre, aucun élément de preuve n'a été présenté au tribunal pour indiquer que les associés de Blaikie possédaient une plus grande compétence ou expertise que le plaignant dans les domaines particuliers du droit mentionnés, la preuve n'ayant pas porté sur ce point. Sans tenir compte de ce qui précède, le tribunal ne peut voir comment un point de vue ou une opinion non corroborés émis au sujet de la compétence

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ou de l'expertise du plaignant à une époque ultérieure aux événements en cause peuvent être invoqués rétroactivement pour servir à justifier les actes de l'intimée.

g) Les qualifications supérieures de la candidate retenue

C'est un fait évident qu'avant ses rencontres avec Bélanger et Bérard, le plaignant était le premier choix de Châtillon pour le poste et ce, à la connaissance de Bélanger, comme le démontre l'échange suivant avec le tribunal (notes sténographiques, p. 735) :

INTERROGÉ PAR LE TRIBUNAL :

Q. Monsieur Bélanger, si je comprends bien votre position, quand vous avez fait le petit rendez-vous pour le 15 minutes, la première fois [...]

R. Une demi-heure.

Q. Une demi-heure, c'était avec la connaissance que Me Gauvreau était le premier choix de Me Châtillon, n'est-ce pas?

R. C'était à ce moment-là le premier choix, oui.

Q. C'était à votre connaissance?

R. Oui.

Ce n'est qu'après ses rencontres avec Bélanger et Bérard que le plaignant a été progressivement informé qu'il n'avait pas le poste. L'intimée a allégué que la candidate finalement retenue, Rémillard, possédait des qualifications supérieures pour le poste et que cela avait justifié sa décision de rejeter la candidature du plaignant.

Il faut tout d'abord signaler à cet égard que Rémillard ne faisait pas partie des candidats au poste en cause lorsqu'a eu lieu le processus de recrutement par élimination auquel a participé le plaignant. La candidature de Rémillard a été présentée et acceptée au début de 1987, environ 4 mois après le rejet de la candidature du plaignant. Le plaignant n'a jamais été en concurrence avec Rémillard. Il est donc important de ne pas perdre de vue que la candidature du plaignant n'a pas été rejetée parce que Rémillard aurait eu des qualifications supérieures.

Toutefois, bien qu'il ne désire pas substituer son opinion à celle de l'intimée, le tribunal est loin d'être convaincu, d'après les témoignages écrits et oraux dont il a été saisi, que les qualifications de Rémillard et sa compétence pour occuper le poste de directeur des services juridiques de l'intimée étaient supérieures à celles du plaignant. Au contraire, de par leur curriculum vitae respectif, leurs références, leur formation et leur expérience professionnelle, il n'y avait pas vraiment de

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choix à faire. Alors que Rémillard possédait outre un M.B.A. deux années d'ancienneté de plus au barreau, le plaignant avait un avantage décisif en ce sens que ses années d'expérience et les connaissances juridiques acquises aux services juridiques de la Banque de Montréal pendant une période de six ans auraient été fort utiles pour la Banque intimée. De plus, alors que Rémillard avait acquis son expérience principalement chez Hydro-Québec à l'exception d'un séjour d'un an et demi à la Bourse de Montréal à titre d'adjointe du président de l'époque, M. Bélanger, le plaignant avait acquis son expérience des affaires juridiques dans trois institutions différentes.

Toutefois, les détails qui ressortent d'une analyse comparative des rapports écrits de Djandji au sujet du plaignant et de Rémillard sont considérablement plus importants pour le tribunal. Dans le rapport confidentiel qu'il a présenté à l'intimée en septembre 1986 au sujet du plaignant (pièce HR-7), Djandji insistait sur ses qualifications et sur son expérience pour le poste de directeur du service des Affaires juridiques. En plus de faire état du leadership du plaignant, Djandji mentionne plusieurs fois que c'est pour ce poste vacant qu'il recommande le plaignant. C'est ce qui ressort clairement du contenu de ce rapport.

Il convient également de signaler qu'il n'est nulle part indiqué dans ce rapport que le candidat doit posséder la capacité, le désir ou la volonté d'accéder à un poste supérieur à la Banque ou de s'occuper de ses opérations internationales. Le rapport très louangeux de Djandji au sujet du plaignant se limite strictement aux exigences du poste libre décrit dans la description de fonctions.

Pourtant, lorsqu'on examine les deux rapports envoyés par Djandji à l'intimée en janvier et en février 1987 (pièces R-1 et R-2) au sujet des qualifications de Rémillard, on y trouve non pas une mais plusieurs mentions du fait qu'elle est une candidate particulièrement douée parce qu'elle a du potentiel, parce qu'elle a l'ambition pour accéder à des postes plus importants à l'avenir et parce qu'elle possède le potentiel pour assumer de plus grandes responsabilités. Comme nous l'avons déjà signalé, ces éléments sont les mêmes qui, d'après Bélanger et Bérard, manquaient au plaignant et qui les ont amenés à rejeter sa candidature. Non seulement est-il question du potentiel dans les rapports eux-mêmes, mais il ressort de la pièce R-1 que Djandji en fait particulièrement état dans sa lettre explicative du 2 février 1987.

Cette différence dans les deux rapports de références nous amène à réexaminer les documents principaux produits par la Banque en juillet et en août 1986 qui comprenaient une description de fonctions de 6 pages (pièce HR-4) et des directives de 7 pages (pièce HR-6) qu'a fait parvenir l'intimée à son recruteur Djandji. On n'y fait aucune mention ni aucune allusion à la question du potentiel, à la nécessité d'accéder à un poste supérieur ou plus élevé ni à la capacité d'assumer d'autres responsabilités que celle de directeur du service des Affaires juridiques de l'intimée.

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Comme nous l'avons déjà vu, la preuve indique que Rémillard n'a pas été obligée dans le cadre de son processus de recrutement de rencontrer l'un ou l'autre des deux chefs de direction de l'intimée. C'est dans ce contexte qu'il faut considérer la présence ou l'absence de l'élément potentiel dans le cas du plaignant et de Rémillard. Les témoins de l'intimée ont expliqué qu'il n'avait pas été nécessaire pour Rémillard de rencontrer Bélanger parce qu'elle avait été son adjointe lorsqu'il était président de la Bourse de Montréal, il y a quelques années. Ils se connaissaient donc l'un l'autre. Toutefois, si on considère que le poste de directeur d'un service des Affaires juridiques est considérablement différent de celui d'adjointe d'administration et comporte de plus grandes responsabilités, on pourrait penser qu'il aurait été justifié, quelques années s'étant écoulées, de tenir une rencontre ou une entrevue avec Rémillard.

Bélanger a toutefois vérifié les qualifications de Rémillard pour le poste de directeur des Affaires juridiques en téléphonant à son employeur de l'époque afin d'obtenir des références. Il convient de signaler que Bélanger n'a pas pris une telle initiative en ce qui concerne la vérification des références du plaignant. L'accession rapide de Rémillard au poste de secrétaire générale et de vice-présidente aux relations publiques peu de temps après sa nomination ne nous renseigne pas sur sa performance dans le poste de directeur des Affaires juridiques qu'elle n'a pas occupé très longtemps.

Enfin, bien que l'intimée ait insisté pour dire que son processus d'embauche comportait plusieurs étapes, que celles-ci soient au nombre de 3, de 4 ou de 5, les avocats de l'intimée ont admis (notes sténographiques, p. 1001) que Rémillard avait été embauchée après la deuxième étape seulement du processus. Dans l'ensemble, le tribunal est convaincu que, dans la mesure où les candidatures respectives du plaignant et de Rémillard sont concernées, la compétition, si l'on désire qualifier ainsi ce processus en tenant compte de ce que le tribunal a dit plus haut, ne constituait pas une lutte égale parce que les candidats n'ont pas été soumis aux mêmes critères mais plutôt à un traitement différent et à la règle du deux poids deux mesures. Il n'y a certainement pas eu de compétition au même niveau.

h) Le droit de veto des cadres supérieurs

La preuve indique, et cela n'a pas été contesté, que Châtillon possédait le pouvoir nécessaire pour effectuer le recrutement et choisir le candidat retenu.

Djandji : (notes sténographiques, p. 312)

Q. [...] Est-ce que dans le dossier qui nous intéresse vous saviez qui avait la responsabilité de l'engagement de la personne qui éventuellement serait engagée?

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R. C'était le consensus qui allait se dégager de la réunion [...] enfin, Louise Châtillon était la cliente, c'était la vice- présidente au service juridique. Donc, la décision venait d'elle.

En fait, Châtillon elle-même a reconnu que ses choix avaient toujours été respectés par la haute direction :

Châtillon : (notes sténographiques, p. 659)

[...] et je lui avais indiqué qu'habituellement ces rencontres n'étaient qu'une formalité et que nos choix étaient respectés par la direction.

L'intimée a allégué que ses cadres supérieurs, c'est-à-dire son président et son chef des opérations, étaient habilités à renverser le choix de Châtillon étant donné que le pouvoir final appartient habituellement aux chefs de la direction d'une entreprise. Cette affirmation n'est pas contestée. Toutefois, elle doit être examinée en tenant compte des circonstances de ce genre de cas.

Le tribunal a déjà attiré l'attention sur les éléments de preuve qui indiquaient que les diverses étapes du processus d'embauche variaient de 3 à 5, aucun de ces chiffres n'ayant été établi avec quelque certitude que ce soit. On n'a également pas établi avec certitude quel était le nombre d'étapes et si les rencontres avec les deux cadres supérieurs de l'intimée constituaient des éléments essentiels de la procédure d'embauche. Et, comme la preuve l'a indiqué, le plaignant a dû rencontrer les deux cadres et Rémillard, aucun de ceux-ci.

Lorsque l'avocat de la Commission lui a demandé pourquoi il voulait que le plaignant rencontre Bérard (en particulier, si on tient compte du fait qu'étant donné que Bérard était à l'extérieur de la ville, aucune rencontre n'était prévue au départ entre ceux-ci (pièce R-4, p. 1, dernier paragraphe)), Bélanger a répondu que l'un de ses motifs était que Bérard s'occuperait davantage des affaires juridiques :

Bélanger : (notes sténographiques, p. 714)

Q. Pourquoi monsieur Bérard [erreur du sténographe, il faudrait lire Bélanger], pourquoi vouliez-vous que monsieur Bérard le voit?

R. Bien, pour un tas de raisons. La première c'est que en tant que chef des opérations c'est beaucoup plus lui que moi qui aurait été impliqué à suivre et à diriger les affaires qui pourraient passer par les mains du directeur des Affaires juridiques.

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Toutefois, lorsque Bérard a été interrogé sur ce point, il a répondu :

Bérard : (notes sténographiques, p. 756)

Si Me Gauvreau avait été embauché par la Banque il n'aurait pas travaillé dans mon giron.

En fait, la preuve indique que ni Bélanger ni Bérard ne s'occupaient beaucoup des opérations du service des Affaires juridiques. Il est clair que c'était Châtillon, la vice-présidente des Affaires juridiques, qui était tout à fait au courant des affaires de ce service de l'intimée et des problèmes qui y existaient.

Si l'on examine l'ensemble de la preuve, on a l'impression distincte que le poste pour lequel le recruteur de l'intimée et sa vice- présidente responsable des Affaires juridiques cherchaient un candidat n'était pas le même que celui pour lequel les cadres supérieurs de l'intimée semblaient faire du recrutement. Il semble qu'ils n'étaient pas sur la même longueur d'ondes et qu'ils s'étaient mal compris.

Il est donc peu étonnant que, bien que le plaignant, pour reprendre les termes de l'avocat de l'intimée, ait battu tous les candidats qui existaient (notes sténographiques, p. 1145), sa candidature a été rejetée parce que, pour l'essentiel, les deux cadres supérieurs de l'intimée n'étaient pas convaincus qu'il possédait les capacités requises pour accéder à des postes supérieurs, qu'il n'avait pas de leadership, d'ambition ou d'esprit d'entreprise, ou encore, qu'il n'était pas intéressé à devenir vice-président de la Banque. L'essentiel même de la position de l'intimée est bien traduite par l'exposé final de son avocat :

Me Monette : (notes sténographiques, p. 1145)

[...] Gauvreau a gagné sa compétition, il a battu tous les candidats qui existaient quand il s'est présenté devant Louise Châtillon. Il a gagné, il a passé à la dernière étape, il a été candidat finaliste, puis il a perdu en finale. A-t-il perdu au profit de quelqu'un d'autre? Réponse : non. C'était pas [...] il n'y avait pas deux personnes, un en chaise roulante, l'autre pas en chaise roulante, et on a pris celui n'était pas en chaise roulante.

Au contraire, quand sa candidature a été refusée on a recommencé à zéro une nouvelle démarche, annonce dans les journaux, et cetera. Il n'a pas perdu au profit de quelqu'un d'autre, il a été le meilleur, mais c'était pas assez bon encore. Ça, c'est correct, puis ça c'est une autre affaire, mais il n'a pas perdu au profit de quelqu'un d'autre.

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Pour le tribunal cela signifie que, bien que le plaignant l'ait emporté sur tous les candidats en lice, il n'a pas obtenu le poste non pas parce qu'il y avait un autre candidat qui possédait des qualifications supérieures mais plutôt parce que, malgré les qualités qu'il possédait, celles-ci ne suffisaient tout simplement pas.

Tout en reconnaissant, comme l'a fait valoir l'intimée, que le chef des opérations possède un droit de veto dans le processus d'embauche, le tribunal considère que ce pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé d'une manière arbitraire, sans obligation de rendre des comptes, dans la mesure où la législation sur les droits sur la personne est concernée.

i) Le meilleur candidat sur le marché

Tout au long de leurs témoignages, les deux cadres supérieurs de l'intimée ont répété à diverses reprises que le plaignant n'était pas le meilleur candidat sur le marché. C'est pourquoi la candidature du plaignant a été rejetée bien que ce dernier ait été retenu parmi les nombreux candidats en lice et malgré le fait qu'il était le choix évident de Châtillon, de Djandji, de Bilodeau et de Roch, jusqu'au moment des rencontres avec Bélanger et Bérard, et qu'il avait reçu l'approbation de ces personnes qui ont participé à un stade ou à un autre du processus d'embauche. Bélanger a déclaré (notes sténographiques, p. 716) que l'objectif de Châtillon n'était pas seulement de recruter un directeur des Affaires juridiques, mais d'embaucher le meilleur candidat sur le marché.

Toutefois, lorsqu'on examine la lettre du 7 août 1986 (pièce HR- 6) ou les autres détails pertinents relatifs au recrutement, on constate qu'il n'est nulle part indiqué ni mentionné que le candidat finalement retenu doit nécessairement être le meilleur sur le marché. Du point de vue salarial, par exemple, la somme offerte, qui est de plus de 65 000 $, semble constituer la norme pour le poste; on peut donc se demander quels étaient les particularités ou les avantages du poste qui permettraient d'attirer le candidat qui était censé être le meilleur sur le marché. Aucun élément de preuve n'a été présenté sur ce point. On n'a d'ailleurs jamais expliqué au tribunal quelles étaient les qualités qui faisaient qu'un candidat était le meilleur sur le marché. Le tribunal a conclu que l'idée du meilleur candidat sur le marché était subjective et qu'elle n'existait que dans l'esprit de celui qui utilisait cette expression. Néanmoins, compte tenu de la preuve produite en l'espèce, cet élément n'a pas été déterminé objectivement de manière précise.

j) Le manque de crédibilité du plaignant

La présente affaire repose principalement sur une question de fait et c'est pourquoi la crédibilité des témoins est extrêmement importante. Il n'est donc pas étonnant que les avocats de l'intimée s'en soient pris vigoureusement à la crédibilité du plaignant. Le principal argument utilisé par l'intimée pour contester sa crédibilité était que sa réponse à ce qui semble avoir été une simple question était erronée et

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constituait une tentative de sa part de tromper le tribunal. Cet argument reposait sur l'échange suivant qui a eu lieu au cours de l'audience du 5 septembre 1990.

Gauvreau : (notes sténographiques, p. 169)

Q. Je comprends que encore aujourd'hui vous êtes chez Heenan Blaikie?

R. C'est exact.

Les avocats de l'intimée allèguent qu'ils ont par la suite posé une question analogue mais plus précise au plaignant, soit s'il travaillait encore pour Heenan Blaikie. L'intimée allègue en outre que le plaignant a encore une fois donné une réponse affirmative. Malheureusement, en raison d'une défaillance mécanique de son appareil d'enregistrement, le sténographe officiel n'a pu enregistrer une partie des témoignages, soit environ une quinzaine de minutes, notamment cette partie des témoignages ayant trait à la question posée ultérieurement par les avocats de l'intimée et à la réponse qu'aurait donnée le plaignant d'après l'intimée.

Le tribunal a invité les avocats de l'intimée à rappeler le plaignant à la barre et à lui poser une nouvelle fois leur question complémentaire, mais ils ont refusé de le faire. Compte tenu des circonstances, le tribunal n'a d'autre choix que de permettre que l'enregistrement demeure tel qu'il est.

Toutefois, en ce qui concerne la question de fond qu'est la crédibilité, le tribunal a conclu, après avoir examiné la preuve portant sur ce point, que la réponse du plaignant à la question qui lui a été posée au sujet de son association avec Heenan Blaikie n'était ni erronée ni destinée à tromper le tribunal. La nature exacte des liens existant entre le plaignant et Heenan Blaikie à l'époque des audiences était à tout le moins suffisamment imprécise et inhabituelle pour que la réponse affirmative du plaignant, si elle n'était pas absolument ni techniquement correcte, n'était pas non plus erronée.

Dans son témoignage, Blaikie a indiqué qu'à la date de l'audience, le plaignant recevait encore sa paye de fin d'emploi, qu'il devait continuer à la recevoir jusqu'au 1er janvier 1992 et qu'il était encore autorisé à utiliser le numéro de téléphone du cabinet. En outre, le cabinet Heenan Blaikie a indiqué qu'il souhaitait aider le plaignant à trouver un nouveau poste. Blaikie ne pouvait pas dire avec précision à quel moment le plaignant avait véritablement quitté les locaux qu'il occupait dans le cabinet. Compte tenu des circonstances, le tribunal est incapable de conclure que la réponse du plaignant était erronée ou était destinée à le tromper. Qui plus est, le tribunal estime qu'en donnant cette réponse, le plaignant croyait que celle-ci était exacte et qu'il avait des motifs de le croire.

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De toute manière, le tribunal ne voit pas comment cette question porte atteinte à la crédibilité du plaignant en ce qui concerne son témoignage au sujet de la présente plainte. En fait, le tribunal a conclu que le plaignant s'est montré sincère et honnête dans son témoignage et qu'il mérite qu'on considère qu'il était digne de foi.

k) Le manque de mobilité du plaignant

Une grande partie des arguments et des témoignages a porté au cours des audiences sur la mobilité du plaignant pour le poste à remplir. Le tribunal estime qu'une bonne partie du temps consacré à cette question l'a malheureusement été en raison de l'ambiguïté du terme mobilité. Cela a entraîné en conséquence un malentendu entre les parties dans l'interprétation que chacune d'elles a attribué à ce terme.

Il ressort de la description de fonctions ainsi que des autres documents écrits fournis au sujet du poste par l'intimée et du mandat qui a été confié à son recruteur que le poste à remplir se trouvait au siège social de l'intimée à Montréal. Il a été question à quelques reprises dans les documents en cause de la nécessité de siéger à divers comités du Barreau et de l'Association des banquiers et de communiquer avec les bureaux régionaux de Toronto et de New York ou de s'y rendre pour coordonner les questions de budgets et régler des questions d'ordre juridique. Il n'y a aucune autre mention dans les documents produits en preuve, et qui se rapportent aux fonctions du poste à remplir, du fait que le directeur des Affaires juridiques de l'intimée doive effectuer d'autres déplacements.

Néanmoins, au cours de sa rencontre avec le plaignant, le chef des opérations de l'intimée lui a demandé s'il était mobile. Le plaignant, sans aucun doute conscient de sa déficience physique et probablement facilement blessé à cet égard, a répondu qu'il était en fauteuil roulant. Il a donné cette réponse bien que la preuve ait établi qu'il était tout à fait mobile et libre dans ses mouvements et qu'il pouvait se déplacer en automobile ou par avion.

Il ressort de l'échange qui suit que Bérard a néanmoins réagi négativement à cette réponse du plaignant :

Bérard : (notes sténographiques, p. 748)

Q. Alors on va les épulecher une à une. Vous avez parlé de mobilité. Est-ce que c'est quelque chose que vous avez parlé avec monsieur Gauvreau?

R. Oui, c'est quelque chose qui m'a frappé en fait dans la rencontre avec monsieur Gauvreau, ceci dit sans méchanceté. J'ai posé très candidement à Me Gauvreau êtes-vous mobile, et je me souviens très bien que Me Gauvreau m'a dit je suis en chaise roulante et je me souviens d'avoir ajouté monsieur Gauvreau, le

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fait que vous êtes en chaise roulante c'est votre problème, c'est pas le mien.

Ca m'a surpris que ma question de mobilité, j'entendais par mobilité bien sûr parce qu'on avait parlé un peu ensemble avant, le désir, la capacité, le vouloir d'être partout, d'aller à l'extérieur pour la Banque. Vous savez, quand vous allez chercher des talents à l'extérieur vous avez besoin d'une personne qui est apte et qui a la volonté de pouvoir assumer des fonctions pas seulement à Montréal, la Banque et partout dans le monde, il me faut des gens qui ont le désir d'être à Hong Kong aujourd'hui, d'être à New York demain. Alors c'est dans cette veine que j'avais posé cette question, et la réponse m'avait laissé perplexe je vous l'avoue.

Le tribunal ne croit pas que la réponse du plaignant à la question de Bérard justifiait la réaction négative de ce dernier. Il aurait dû importer peu que la question posée par Bérard au plaignant relativement à sa mobilité ait visé sa mobilité fonctionnelle, ce que Bérard semble avoir eu à l'esprit, plutôt que sa mobilité physique, ce que le plaignant a cru que Bérard avait l'esprit, parce que d'une part il y avait de nombreux éléments de preuve indiquant que le plaignant était tout à fait mobile physiquement, même s'il était cloué à un fauteuil roulant, et que d'autre part la question de la mobilité en ce qui concerne les voyages à des endroits exotiques comme Hong Kong et partout dans le monde semblait réellement dépasser les limites des fonctions du directeur du service des Affaires juridiques définies par l'intimée.

Le tribunal considère qu'il n'y a aucun motif permettant de conclure que le chef des opérations de l'intimée avait raison de rejeter la candidature du plaignant en raison de son manque de mobilité allégué, que celle-ci soit fonctionnelle ou physique.

l) Le côté académicien du plaignant

Parmi les différentes idées négatives que le chef des opérations de l'intimée se faisait du plaignant, notons qu'il considérait qu'il était trop fonctionnaire ou académicien pour occuper le poste de directeur du service des Affaires juridiques de l'intimée. Bérard a volontiers reconnu qu'il avait utilisé ces termes pour décrire le plaignant lorsqu'il a été interrogé par l'enquêteur de la Commission avant l'audience.

Bérard : (notes sténographiques, p. 769)

Quelles étaient vos impressions après cette rencontre? Que M. Gauvreau était trop théoricien. Ce n'était pas un doer. Il n'avait pas le sens pratique nécessaire à l'institution.

Bérard : (notes sténographiques, p. 770)

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R. La personne qui m'a interviewé m'a mentionné que j'avais utilisé le mot théoricien. C'est effectivement exact.

Q. Maintenant, est-ce que, je sais que ça fait longtemps encore une fois, est-ce que dans les conversations que vous avez eues subséquemment à la rencontre avec Me Châtillon vous lui auriez dit que votre impression c'était que Gauvreau était trop théoricien?

R. Je répète, quand je fais appel à ma mémoire, quand je fais appel aux faits je pense avoir employé le mot fonctionnaire. Non seulement je pense avoir, je suis certain d'avoir mentionné à madame Châtillon que Me Gauvreau avait un côté fonctionnaire qui ne cadrait pas avec la fonction.

Bérard : (notes sténographiques, p. 774)

Me DUVAL : Tout simplement là, parce que monsieur le Président avait des questions, cette phrase-là vous l'avez dites : C'est un académicien?

R. Écoutez, j'ai signé le document, alors de toute évidence je reconnais avoir employé ce qualificatif.

Il est moins évident, d'après la preuve, que Bérard a également qualifié le plaignant de théoricien. Selon toute vraisemblance, il s'agissait d'un terme qu'il pouvait avoir utilisé au cours de sa rencontre avec un enquêteur de la Commission.

Quoi qu'il en soit, les trois termes semblent interchangeables et dénotent le même style ou la même personnalité. Ce qui est moins certain toutefois, c'est à quel moment et pourquoi Bérard s'est fait une telle idée du plaignant. Ce n'est certainement pas en raison du rapport confidentiel du recruteur (pièce HR-7) dans lequel le plaignant est décrit comme une personne faisant preuve de leadership, de persévérance, de dynamisme et de ténacité, qualités qui sembleraient atténuer les caractéristiques que lui a attribuées Bérard.

De plus, l'évaluation du rendement du plaignant préparée par son ancien employeur, la Banque de Montréal, ne laisse aucun doute quant au fait que ses qualités personnelles et ses capacités n'ont rien de celles d'un fonctionnaire, d'un académicien ou d'un théoricien, comme l'indique l'extrait suivant :

(Pièce HR-1, p. 4)

[TRADUCTION] Qualités personnelles

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Le souci du détail de Marcel, son sens de l'organisation et de la gestion justifient sa promotion à un poste de direction plus élevé dans le service juridique.

Capacités

Le rendement de Marcel au cours des trois dernières années, ainsi que sa contribution importante au service au cours de la dernière année, traduisent sa capacité d'assumer des responsabilités administratives et juridiques aux plus hauts niveaux de la direction du service juridique.

Les avocats de l'intimée ont tenté d'atténuer l'effet de cette évaluation en laissant entendre que la Banque de Montréal pouvait se montrer généreuse dans son évaluation du plaignant étant donné que le rapport avait été préparé en octobre 1984, peu de temps avant qu'il ne quitte cet emploi. Toutefois, la qualification de la preuve faite par l'intimée sur ce point ne correspond pas aux faits pour au moins trois motifs.

Premièrement, bien que l'évaluation ait été faite en octobre 1984, la preuve indique que la Banque de Montréal avait invité le plaignant en juin 1985 à déménager à Toronto pour y occuper le poste d'avocat général adjoint. Cela semblerait indiquer que la Banque de Montréal s'en tenait fermement à son évaluation antérieure du plaignant.

Deuxièmement, les notes confidentielles de Châtillon (pièce R-4, p. 3) confirment qu'à peu près à l'époque de la deuxième rencontre du plaignant avec Bélanger, elle a communiqué personnellement avec Derek Jones de la Banque de Montréal, l'une des personnes qui avaient signé l'évaluation, et qu'il lui a fourni de très bonnes références au sujet du plaignant. Châtillon a en outre inscrit dans ses notes qu'elle avait demandé à Me Coulombe, avocat au cabinet Desjardins, Ducharme, d'obtenir discrètement sur le marché des références au sujet du plaignant. Elle souligne que ces références étaient très bonnes.

Troisièmement, aucune preuve n'a été produite pour démontrer, comme l'avaient fait valoir les avocats de l'intimée, que la Banque de Montréal aurait produit une évaluation erronée et trompeuse au sujet du plaignant dans l'intention de tromper un employeur éventuel, ou qu'elle avait quoi que ce soit à gagner en agissant ainsi.

Compte tenu de ce qui précède et des autres éléments de preuve pertinents, le tribunal est obligé de conclure que la caractérisation du plaignant faite par Bérard, qui a déclaré qu'il n'était pas un doer, peut difficilement être corroborée ou encore, être convaincante.

m) L'absence d'intention

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L'intimée a allégué qu'il n'y avait aucune preuve d'une intention de sa part d'exercer une discrimination à l'endroit du plaignant. De plus, elle laisse entendre qu'il serait quelque peu inconcevable et invraisemblable que des personnes comme le président et le chef des opérations de l'intimée, qui sont des piliers de leur communauté, puissent avoir un comportement discriminatoire. Il a été démontré en preuve que tant Bélanger que Bérard ont, à diverses occasions, prêté leur soutien à des causes humanitaires et philanthropiques. En fait, Bérard a même présidé en 1987 la campagne de financement de l'Association des paraplégiques dont le plaignant faisait partie du conseil d'administration depuis plusieurs années.

Par suite d'une évolution progressive, la législation canadienne sur les droits de la personne est désormais rédigée de manière à ce que l'on considère qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention d'exercer une discrimination pour qu'il y ait violation de cette législation. Cette opinion ressort clairement des arrêts de la Cour suprême du Canada O'Malley (précité) et K.S. Bhinder v. Canadian National Railway (1986) 7 CHRR D/3093 suivi dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114, où le juge en chef a déclaré (à la p. 1138) :

[...] la Cour suprême, dans les arrêts Simpsons-Sears et Bhinder, a déjà reconnu que la législation canadienne sur les droits de la personne vise non seulement la discrimination volontaire mais aussi la discrimination involontaire. En particulier, il a été jugé que la prohibition de la discrimination par la Loi canadienne sur les droits de la personne vise aussi les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable : arrêt Bhinder. Mais la discrimination involontaire peut prendre une autre forme et avoir des conséquences potentiellement plus graves sur le plan du nombre d'individus désavantagés.

Le principe suivant lequel il n'est pas nécessaire de prouver que la discrimination était volontaire pour conclure qu'il y a eu violation de la législation sur les droits de la personne a également été appliqué dans les affaires Pasqua Hospital et al v. Beatrice Harmatiuk, (1987) 8 CHRR D/4242; Johanne Morisette v. Canada Employment and Immigration Commission (1987), 8 CHRR D/4390 et Corlis v. Canada (Employment and Immigration Commission), (1987) 8 CHRR D/4146.

Comme on l'a indiqué dans l'affaire Sandra Hapeluch v. Walter Smith, (1986) 8 CHRR D/3915, le tribunal n'a pas à décider en l'espèce si Bélanger et Bérard et, en conséquence, l'intimée, ont délibérément voulu exercer une discrimination à l'égard du plaignant mais s'ils l'ont fait par leurs actes.

En conséquence, il n'est pas légalement nécessaire pour le tribunal de conclure que l'intimée et ses représentants avaient l'intention

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d'exercer une discrimination contre le plaignant pour statuer qu'ils ont violé la Loi canadienne sur les droits de la personne.

n) Les recommandations de l'enquêteur

Bien que les parties n'aient fait que quelques mentions au sujet de l'enquête menée par un enquêteur conformément à l'article 44 de la Loi, le rapport n'a pas été produit en preuve. Toutefois, l'intimée a soutenu que l'enquêteur avait conclu que la plainte n'était pas fondée et que la Commission canadienne des droits de la personne n'aurait pas dû permettre que cette plainte fasse l'objet d'une audience devant le tribunal.

Néanmoins, il ressort clairement de la Loi que le rapport de l'enquêteur n'est nullement censé lier le tribunal. De plus, le rapport ayant été présenté à la Commission canadienne des droits de la personne, cette dernière pouvait agir conformément au pouvoir qui lui est conféré dans cet article.

Le tribunal rend donc sa décision sans avoir pris connaissance de l'enquête effectuée ni du rapport présenté à la Commission par l'enquêteur et sans s'y être reporté. Bien que les avocats de l'intimée soient libres de critiquer et de remettre en question les pouvoirs décisionnels de la Commission, ce n'est pas au présent tribunal qu'ils doivent formuler ces critiques.

Les cas d'actes discriminatoires ne se solutionnent généralement pas grâce à la présence de preuves concrètes. Les personnes qui commettent des actes discriminatoires, intentionnellement ou non, ne laissent généralement pas leur carte de visite. Il n'est pas de bon ton ni légal de commettre un acte discriminatoire et, en conséquence, personne n'admet volontiers avoir agi ainsi (à moins qu'il n'existe une défense fondée sur une exigence professionnelle justifiée). Fréquemment, il faut trancher ces cas à l'aide de preuves circonstancielles ou en se fondant sur la crédibilité.

Le tribunal considère toutefois en l'espèce que les trois aspects particuliers suivants de la preuve s'ils ne constituent pas véritablement des preuves concrètes du moins s'en rapprochent :

1) La principale critique formulée à l'endroit du plaignant afin de justifier le rejet de sa candidature se résume essentiellement à prétendre qu'il ne semblait pas désireux ni même intéressé d'occuper un poste plus élevé à la Banque, que ce soit dans le domaine de ses opérations internationales ou comme vice-président. La preuve est contradictoire quant à savoir si le plaignant s'est vu offrir l'une ou l'autre de ces possibilités. C'est cette attitude qui a amené les deux cadres supérieurs de l'intimée à considérer que le plaignant manquait d'ambition, de dynamisme et de potentiel. Toutefois, nulle part dans la preuve, en particulier dans la preuve documentaire, il n'y avait le moindre indice, avant qu'il n'en ait été question après le rejet de la candidature du

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plaignant et le recrutement de Rémillard, que ces éléments constituaient une condition, une fonction ou une exigence du poste.

2) L'embauche par l'intimée de Guy N. Djandji à titre de recruteur de cadres par une lettre datée du 7 août 1986 (pièce HR-6) a mis en branle le processus de recrutement visant à engager une personne pour remplir le poste de directeur des Affaires juridiques de l'intimée. Parmi les conditions fixées dans le mandat de Djandji, l'intimée a convenu que ses honoraires seraient de 16 500 $ afin de couvrir les travaux de recherche, de recrutement et de sélection (page 6). Il a été entendu que cette rémunération serait facturée en deux versements égaux de 8 250 $, le premier devant être effectué à la fin du mois d'août et le deuxième au moment où l'intimée choisirait le candidat final. Il ressort de la preuve que Djandji jouait un rôle dans le processus de recrutement et qu'il a maintenu des liens étroits avec le plaignant et la vice-présidente Châtillon tout au long du processus d'embauche.

L'examen des 2 comptes présentés par Djandji à l'intimée (pièce T-3) indique clairement que la première facture a été soumise le 8 septembre 1986 tandis que la deuxième a été présentée le 3 novembre 1986, à peu près au moment où a eu lieu la dernière rencontre du plaignant et de la vice-présidente Châtillon. Aucune explication satisfaisante n'a été fournie au tribunal pour expliquer pourquoi Djandji aurait présenté sa deuxième et dernière facture à l'intimée à ce moment si cette dernière n'avait pas déjà fait son choix final. Le fait que l'intimée n'ait jugé opportun de payer la deuxième facture que le 6 février 1986 n'enlève rien à l'importance des dates de facturation de Djandji.

3) La pièce R-4 intitulée Notes personnelles, confidentielles et Off the Record relatives au plaignant et qui ont été préparées par la vice- présidente Châtillon à une date indéterminée après le rejet de la candidature du plaignant, a été produite par suite d'une objection de l'intimée. Il en a résulté des discussions quant à savoir si ce document était protégé par le secret professionnel liant l'avocat et son client et ne pouvait donc être produit en preuve. Le tribunal a statué que ce document ne faisait pas l'objet d'une telle protection, mais, en fin de compte, la pièce a été produite du consentement de toutes les parties.

Le tribunal estime que, malgré le fait que ce document ait été préparé en vue de permettre à l'intimée de l'utiliser comme moyen de défense contre toute réclamation future du plaignant, on peut considérer qu'il constitue dans cette mesure un document intéressé. Le tribunal considère néanmoins que son contenu atténue la version des faits de l'intimée en ce qui concerne plusieurs questions qui ont été abordées en l'espèce tant en ce qui a trait au contenu de ce rapport qu'en ce qui a trait aux éléments qui en ont été omis.

Certes, une bonne partie de son contenu, non seulement en ce qui concerne des faits réels ou imaginaires mais aussi en ce qui concerne les réflexions et les arguments qu'on y trouve, semble au tribunal incompatible

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avec le comportement réel des parties au cours des événements en cause. Si on revient à la question de la crédibilité, le tribunal a tendance à donner préférence au témoignage du plaignant et au contenu des autres éléments de preuve documentaire produits, en particulier dans les cas où ils sont en contradiction avec la pièce R-4. Le tribunal n'a pas été convaincu par le témoignage de Châtillon en ce qui concerne les circonstances qui ont mené à la préparation de ce document et son contenu lui-même. De l'avis du tribunal, il semble qu'il s'agisse d'un cas d'oublis trop sélectifs.

A de nombreuses reprises au cours de leurs témoignages, les deux cadres supérieurs de l'intimée ont déclaré que le plaignant ne possédait tout simplement pas le profil de l'entreprise. Malheureusement, ils n'ont jamais défini ce qu'ils entendaient par cette expression et on ne leur a d'ailleurs pas demandé de l'expliquer. Quoi qu'il en soit, cette idée seule ou jointe à leurs autres caractérisations ou images du plaignant, c'est-à-dire son manque de potentiel, de dynamisme, d'ambition, d'esprit d'entreprise et de leadership, ne suffisent pas, de l'avis du tribunal, à justifier le rejet de sa candidature au poste de directeur du service des Affaires juridiques de l'intimée, compte tenu de la prépondérance des autres éléments de preuve contradictoires auxquels il faut donner la préférence.

IX. CONCLUSION

Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal est convaincu que les motifs et les explications fournis par l'intimée en réponse à la plainte formulée en l'espèce ne sont pas, suivant la prépondérance de la preuve, raisonnables ni acceptables. L'intimée n'a pas réussi à convaincre le tribunal que la candidature du plaignant au poste de directeur de ses Affaires juridiques avait été rejetée pour d'autres motifs qu'une discrimination illicite.

Le tribunal a conclu que les motifs et les explications fournis par l'intimée étaient peu vraisemblables et qu'ils constituaient simplement un prétexte pour la discrimination illicite exercée contre le plaignant. De toute manière, le tribunal n'a pas besoin de conclure que c'était le seul motif de distinction mais, à son avis, il s'agissait sûrement de la cause immédiate, un élément très important de ce motif.

En conséquence, après avoir examiné la preuve et les arguments des avocats ainsi que la jurisprudence et la doctrine invoquées par les parties, le tribunal :

DÉCLARE que la Banque nationale du Canada intimée a exercé une discrimination illicite à l'égard du plaignant, Me Marcel Gauveau, en refusant de l'embaucher comme directeur de son service des Affaires juridiques pour un motif de distinction illicite, soit sa déficience physique, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

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Étant donné que les parties avaient convenu au début des audiences que la question de la réparation, le cas échéant, resterait en suspens en attendant la décision sur le bien-fondé ou non de la plainte, le tribunal conserve sa compétence pour entendre la preuve relative à la réparation, après l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la présente décision, à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.

En conclusion, il serait négligent de ma part de ne pas louer les avocats des deux parties pour leur préparation approfondie et leur présentation habile de cette cause. Les efforts qu'ils ont déployés ont été très utiles pour le tribunal.

Fait à Montréal, le 6 décembre 1991

WILLIAM I. MILLER, c.r. TRIBUNAL

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