Tribunal canadien des droits de la personne

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COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

MARY PITAWANAKWAT

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTERE DU SECRÉTARIAT D'ÉTAT

l'intimé DÉCISION DU TRIBUNAL TRIBUNAL: BRENDA M. GASH - Présidente LOIS R. SERWA - Membre JAMES D. TURNER - Membre

ONT COMPARU: P.C. Engelmann et D. Russell, avocats de la Commission canadienne des droits de la personne M. Kindrachuk et B.W. Gibson, avocats de l'intimé

DATES ET LIEU DE 8, 9, 23, 24, 25 et 26 octobre 1991 L'AUDIENCE: 7, 8 et 9 novembre 1991 12, 13, 14, 16, 17 et 18 décembre 1991 29, 30 et 31 janvier 1992 9, 10, 11, 12, 19, 20 et 21 mars 1992 31 mars et 1 avril 1992 19, 20 et 21 mai 1992 RÉGINA (SASKATCHEWAN)

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LE CONTEXTE

Mary Pitawanakwat, la plaignante en l'espèce, est une autochtone d'origine ojibway. Elle a commencé à travailler au bureau de Régina du ministère du Secrétariat d'État (ci-après appelé le Ministère) en septembre 1979 comme agente de développement social, poste qui, selon la classification du gouvernement fédéral, est un poste PM-4. En mars 1986, Mme Pitawanakwat a été renvoyée par l'intimé pour le motif qu'elle n'était plus considérée comme une personne compétente pour faire son travail. La plaignante soutient que son renvoi découle de la discrimination raciale dont elle a fait l'objet et elle invoque l'article 7 et le paragraphe 14(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l'appui de sa position.

La preuve présentée devant le Tribunal était exhaustive, les avocats de la Commission des droits de la personne (ci-après appelée la Commission) et ceux de l'intimé ayant remué ciel et terre pour présenter au Tribunal le plus d'éléments possibles à l'appui de leurs positions respectives. L'audience n'a débuté qu'à l'automne de 1991 et a duré une bonne partie du mois; la preuve écrite déposée est constituée de milliers de pages de documents et de transcriptions.

Les événements en question couvrent une période d'environ six ans et demi et ont débuté à l'automne de 1979 pour prendre fin lors de la cessation d'emploi de Mme Pitawanakwat en 1986. Aucune explication satisfaisante n'a été donnée au Tribunal au sujet du retard de six ans dans le traitement de la plainte de Mme Pitawanakwat, qui a été déposée en novembre 1985.

Une grande partie de la preuve testimoniale présentée devant le Tribunal était contradictoire et bon nombre des témoins appelés par les deux parties avaient une idée plutôt vague des actes et des événements en question. Plus de vingt-cinq personnes ont témoigné et l'audience a débuté en octobre 1991 pour se terminer par les plaidoiries finales, qui ont eu lieu les 20 et 21 mai 1992.

LA PLAINTE

Dans la plainte initiale qu'elle a déposée le 1er novembre 1985, Mary Pitawanakwat allègue qu'elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire en ces termes :

[TRADUCTION]

J'ai des motifs valables de croire que le Ministère du Secrétariat d'État a fait montre de discrimination à mon endroit en me harcelant en raison de ma race, contrairement à l'article 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Je suis une Indienne d'origine ojibway. Le harcèlement racial dont le Ministère a fait montre a empoisonné mon milieu de travail. Dans le cadre de ce harcèlement, on m'a donné des charges de travail plus lourdes que celles de mes collègues, on m'a confié des tâches dangereuses, on m'a ridiculisée parce que je suis partie tôt lors d'une fête de Noël à laquelle je me suis rendue contre mon gré, on m'a critiquée parce que je ne remettais pas mes demandes de remboursement de frais de déplacement à temps et on a demandé à un groupe client de déposer une plainte contre

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moi. La plainte dont mon superviseur avait demandé le dépôt en 1983 pour me discréditer a été retirée en 1984.

En outre, on a fait à mon égard des évaluations de rendement négatives et empreintes de partialité et on a refusé de me fournir une formation appropriée. Au cours des deux dernières années, j'ai demandé officiellement à trois reprises qu'on m'offre cette formation en raison des mauvaises évaluations de rendement que j'avais obtenues, mais mes demandes ont été refusées.

J'ai fait l'objet de perceptions stéréotypées selon lesquelles les Indiens ont du mal à gérer leur temps et ne savent pas communiquer. Je dois remettre des rapports écrits hebdomadaires concernant les tâches que j'ai exécutées et je dois obtenir une autorisation préalable pour faire du temps supplémentaire ou pour obtenir une période de repos compensatoire. Je dois élaborer un plan d'action pour que le directeur régional l'examine avant d'obtenir cette autorisation. Je dois remettre au directeur régional un rapport détaillé sur mes heures d'arrivée et de départ. Les autres membres du personnel ne sont pas surveillés de cette façon.

On a tout fait au Ministère pour me congédier ou pour m'encourager à démissionner. En raison de ce harcèlement, le directeur régional a finalement recommandé mon renvoi.

Le Tribunal a été avisé par les avocats des parties et par les témoins que l'audience de la première plainte déposée par Mary Pitawanakwat a été suspendue jusqu'au règlement de l'appel qu'elle avait déposé, conformément à l'article 31 de la Loi de l'emploi dans la fonction publique, à l'égard de la recommandation de l'intimé de la renvoyer pour cause d'incompétence.

Le 25 avril 1988, la plaignante a modifié sa plainte du 1er novembre 1985 en y ajoutant un motif fondé sur l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

[TRADUCTION]

Le ministère du Secrétariat d'État a fait montre de discrimination à mon endroit dans le cadre de mon emploi en omettant de me fournir un milieu exempt de harcèlement et de traitement défavorable et en me renvoyant en raison de ma race, contrairement aux articles 7 et 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

DISPOSITIONS APPLICABLES DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

La plainte de Mme Pitawanakwat doit être examinée dans le contexte de l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui énonce l'objet de la loi, et des dispositions suivantes :

Paragraphe 3(1)

Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe,

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l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Article 7

Constitue un acte discriminatoire le fait

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
  2. de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

Paragraphe 14(1)

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

  1. lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;
  2. lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;
  3. en matière d'emploi.

Paragraphe 65(1)

Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie.

Paragraphe 65(2)

La personne, l'organisme ou l'association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s'il établit que l'acte ou l'omission a eu lieu sans son consentement, qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets.

LA PREUVE ET LES ARGUMENTS

Il appert de la preuve que le rôle de l'agent de développement social au sein du ministère du Secrétariat d'État consistait à assurer la liaison entre le Ministère et le public en élaborant des mesures visant à favoriser le développement des groupes sociaux dans le but d'accroître le degré de participation des citoyens à la société canadienne; à cette fin, l'agent de développement social doit notamment faire ce qui suit :

  1. déterminer les groupes pouvant promouvoir les politiques et les programmes ministériels;
  2. agir comme instrument de sensibilisation à l'égard des problèmes sociaux et politiques que décèlent les groupes locaux et qui peuvent toucher les politiques et les stratégies du gouvernement en matière de citoyenneté, de bilinguisme, de multiculturalisme, des arts et de la culture et encourager les gens à chercher à régler ces problèmes;
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  4. déterminer les sources de financement et l'appui pouvant être obtenus, que ce soit sous forme de financement direct ou de renvoi à d'autres sources de financement ou à d'autres groupes qui peuvent mieux promouvoir les politiques et les priorités du gouvernement;
  5. promouvoir les concepts liés au développement social et culturel;
  6. analyser les indicateurs sociaux et déterminer les tendances qui caractérisent les changements sociaux;
  7. aider les groupes ethnoculturels minoritaires et, de façon générale, les groupes défavorisés, à comprendre et à articuler leurs besoins et à faire en sorte que les droits et libertés de chacun soient connus et respectés.

Comme la preuve l'a indiqué, compte tenu du mandat précité, le travail de l'agent de développement social n'était pas particulièrement facile, parce que ces personnes devaient représenter le Ministère comme employés tout en cherchant à défendre les intérêts des divers groupes clients. Dans le cas de Mme Pitawanakwat, les clients qu'elle desservait étaient des groupes autochtones oeuvrant dans des centres d'amitié, dans les domaines des communications autochtones et du développement social et culturel des autochtones.

Lorsque Mme Pitawanakwat s'est jointe au Ministère comme agente de développement social, sa superviseure immédiate était Catherine Lane qui est devenue plus tard, en 1981, la directrice régionale du bureau de Régina. Mme Lane a occupé ce poste jusqu'en mai 1983.

Lors du départ de Catherine Lane, André Nogue est devenu le directeur régional du bureau et Sue Smee, la directrice régionale adjointe et la superviseure immédiate de Mme Pitawanakwat. Ces trois personnes ont joué un rôle important dans l'organisation du bureau et sont les principaux membres de la direction visés par les allégations de discrimination de Mme Pitawanakwat.

A ce moment-ci, il importe de souligner que l'intimé a fait des évaluations du rendement de Mme Pitawanakwat pendant toute la durée de son emploi et que, lors de l'évaluation faite par Catherine Lane en date du 24 juillet 1981, son rendement a été jugé entièrement satisfaisant, c'est-à-dire un rendement qui rencontre toujours les principaux objectifs du poste. Dans cette évaluation, Mme Pitawanakwat avoue elle-même qu'elle doit améliorer ses aptitudes de rédaction et ajoute que, de façon générale, elle aime travailler au sein du Ministère. Dans cette même évaluation, Mme Lane a mentionné que Mme Pitawanakwat avait créé de bons liens de travail avec les centres d'amitié et qu'elle était bien décidée à apprendre et à donner un bon rendement. Pour reprendre les propos de Mme Lane, [TRADUCTION] Sa connaissance de l'histoire ainsi que des aspirations culturelles et actuelles des autochtones est évidemment un atout pour l'exécution de ses tâches. Elle agit honnêtement avec les clients et, grâce à sa détermination et à ses aptitudes interpersonnelles, elle a pu se tirer d'affaire dans des situations difficiles. Le seul commentaire négatif que Mme Lane a formulé lors de cette évaluation portait sur le fait que la plaignante semblait avoir du mal à concilier les exigences de nature administrative de son poste avec le travail communautaire qu'elle devait accomplir à l'extérieur et à respecter les délais internes. Cette

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évaluation de rendement couvrait la période allant du 22 octobre 1979 au 1er juin 1981 et, tel qu'il est mentionné plus haut, Mme Pitawanakwat avait commencé à travailler en octobre 1979.

Dans la deuxième évaluation de rendement, qui a été déposée en preuve et couvrait la période allant d'avril 1981 au 31 mars 1982, le rendement de la plaignante a été jugé satisfaisant seulement. Dans cette évaluation, Mme Lane a dit que Mme Pitawanakwat était une personne-ressource utile qui entretient de bonnes relations avec les groupes autochtones, qui travaille bien avec les autres organismes fédéraux et provinciaux, qui est capable d'exprimer ses idées aux groupes et de proposer des améliorations et dont les aptitudes de rédaction se sont améliorées au cours de la période visée par l'évaluation. Mme Lane a simplement reproché à Mme Pitawanakwat d'avoir du mal à respecter les délais et à exécuter ses tâches à temps, en portant suffisamment attention aux détails. Mme Lane a recommandé que la plaignante suive un cours de gestion du temps et elle s'est engagée elle- même à travailler avec elle pour veiller à ce que les délais soient respectés et à ce que les tâches soient exécutées de façon fiable.

Ces évaluations de rendement qui ont été préparées au début de la carrière de Mme Pitawanakwat au sein du Ministère sont bien différentes des évaluations subséquentes qu'ont préparées Mme Smee et M. Nogue au cours des années qui ont précédé le renvoi de la plaignante.

Dans leurs observations écrites et au cours des plaidoiries, les avocats des parties ont souligné les questions à trancher dans le présent litige ainsi que les principaux éléments que la preuve doit couvrir en fonction de ces questions. Voici les principales questions en litige en l'espèce:

  1. Mary Pitawanakwat a-t-elle fait l'objet d'un traitement défavorable ou de harcèlement dans son milieu de travail?
  2. Ce traitement défavorable ou ce harcèlement peut-il être considéré comme un acte discriminatoire au sens des articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

L'avocat de la Commission soutient, au nom de la plaignante, qu'un cas prima facie de discrimination au sens des articles 7 et 14 de la Loi a été établi et que la discrimination ou le harcèlement dont la plaignante a été victime dans son milieu de travail a influencé les décisions que l'employeur a prises à l'égard de Mme Pitawanakwat et qui ont finalement mené à son renvoi.

Pour dire qu'un cas prima facie de discrimination a été établi, l'avocat de la Commission des droits de la personne allègue que la plaignante a fait l'objet d'un traitement défavorable à l'égard des sept aspects suivants :

  1. Charge de travail
  2. Surveillance
  3. Formation
  4. Temps supplémentaire
  5. Demandes de remboursement de frais de déplacement
  6. Tâches générales
  7. Insinuations à caractère racial

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En outre, Mme Pitawanakwat allègue, dans sa plainte officielle, que l'employeur a demandé à un groupe client de déposer une plainte, qu'on a préparé des évaluations de rendement négatives et empreintes de partialité à son endroit et qu'on l'a forcée à se rendre à une fête de Noël.

Soutenant que le traitement défavorable susmentionné était fondé sur un motif de distinction illicite, l'avocat de la Commission a posé les questions suivantes :

  1. La situation au bureau a-t-elle créé un milieu de travail empoisonné pour la plaignante et pour les autochtones en général?
  2. A-t-on fait des remarques stéréotypées ou des insinuations à caractère racial dans le milieu de travail? Dans l'affirmative, qui l'a fait et quand?
  3. Les membres de la direction ont-ils fait eux-mêmes ce genre de commentaires?
  4. La situation a-t-elle empiré en raison de l'action ou de l'inaction de la direction?

En réponse aux questions posées par l'avocat de la Commission, l'intimé soutient que la législation sur les droits de la personne ne vise pas à aider les personnes souffrant d'un excès de sensibilité. En conséquence, l'action ou l'inaction reprochée ne doit pas simplement traduire un manque d'équité ou de sensibilité; elle doit être fondée sur un motif de distinction illicite pour que la plaignante puisse invoquer la législation avec succès. A l'appui de cette position, l'intimé cite les arrêts suivants, que le Tribunal accepte :

  1. Dhami c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1989), 11 C.H.R.R. D/253, aux pages D/269, D/281 et D/282 (Can.)
  2. Fu c. Solliciteur général de l'Ontario (1985), 6 C.H.R.R. D/2797, aux pages D/2811 et D/2812 (Ont.)
  3. Makkar c. Ville de Scarborough (1987), 8 C.H.R.R. D/4280, p. D/4300 (Ont.)
  4. Syed c. Ministre du Revenu national du Canada (1990), 12 C.H.R.R. D/1, aux pages D/13 et D/14 (Can.)

Dans un litige où l'interaction humaine est en jeu, il est important, lors de l'interprétation et de l'application de la législation appropriée en matière de droits de la personne, de ne pas intervenir dans des circonstances où la conduite reprochée peut être considérée comme de la rudesse, un manque de jugement, une preuve de mauvais goût, une critique faite de bonne foi ou encore une discussion et un échange d'idées informels. L'intimé cite plusieurs causes dans lesquelles on a tenté de faire une démarcation entre cette conduite et le harcèlement ouvrant droit à action en disant qu'il faut tenir compte d'éléments comme la fréquence, la gravité et la persistance des actes ou omissions reprochés et du fait que la réaction de la victime à cet égard était connue :

Aragona c. Elegant Lamp Co. Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1109 (Ont.)

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Nimako c. Canadian National Hotels (1987), 8. C.H.R.R. D/3985, p. D/4005 (Ont.) Watt c. Niagara (Municipalité régionale) (1984), 5 C.H.R.R. D/2453, p. D/2459 (Ont.)

Pour formuler ses conclusions de fait en l'espèce, le Tribunal a dû évaluer la crédibilité de personnes qui ont témoigné pour les deux parties et dont le témoignage était sensiblement différent sur plusieurs points importants.

1. Charge de travail

Même si la preuve concernant la charge de travail confiée à la plaignante pendant la durée de son emploi n'était pas uniforme, le Tribunal est d'avis que Mme Pitawanakwat avait une lourde charge de travail avec laquelle elle pouvait néanmoins composer dans les circonstances. Nous acceptons la preuve selon laquelle le travail de paperasserie, notamment la préparation des formulaires, était répétitif d'une année à l'autre et que le volume de travail est plus élevé à certains moments de l'année, par exemple, lors de l'établissement des chèques en avril. En outre, compte tenu de la nature de bon nombre des clients de Mme Pitawanakwat, nous admettons, comme elle l'a dit, qu'elle devait passer plus de temps avec eux aux fins de l'élaboration des plans d'action.

Le Tribunal accepte également le témoignage de M. André Nogue selon lequel ce n'est que lors du dépôt du grief de la plaignante au cours de l'été de 1984 qu'il a appris que Mme Pitawanakwat estimait sa charge de travail trop lourde. Comme la plaignante l'a dit, si elle n'a pas abordé ce sujet plus tôt avec M. Nogue, c'est en partie parce qu'elle avait des craintes au sujet de l'avenir de son poste. Dans ces circonstances, la plaignante doit assumer une partie de la responsabilité liée au fait d'avoir accepté la charge de travail de Shirley Brabant-Bradley alors qu'elle était manifestement déjà très stressée.

Le Tribunal accepte le témoignage de Mme Pitawanakwat lorsqu'elle dit que, quand son superviseur, André Nogue, a été mis au courant de ses préoccupations concernant sa charge de travail au cours de l'été de 1984, il n'a pris aucune mesure concrète pour atténuer le problème, même s'il a fait des efforts pour travailler avec la plaignante pour que celle-ci soit plus efficace.

De l'avis du Tribunal, dans les évaluations de rendement présentées en preuve, on n'a guère reconnu la lourde charge de travail qui était confiée à la plaignante à l'occasion ni ses réalisations positives. Néanmoins, même si la charge de travail de la plaignante était occasionnellement lourde, elle n'aurait pas été exagérée dans des circonstances normales. Le Tribunal estime également que le temps supplémentaire que la plaignante a passé avec des clients était lié en partie à la nature de son travail, mais son manque d'intérêt à l'égard des fonctions administratives l'a sans doute incitée à passer plus de temps en dehors du bureau.

2. Surveillance

De l'avis du Tribunal, la plaignante a raison de dire qu'elle était surveillée d'une façon différente comparativement aux autres employés et, d'ailleurs, l'intimé l'admet. Les explications que nous ont données André

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Nogue et Sue Smee à cet égard, soit leur désir d'aider Mme Pitawanakwat à améliorer son rendement et à mieux gérer son temps, ne nous semblent pas entièrement acceptables. Il appert de la preuve que la direction n'a pas vraiment tenté d'aller au fond du problème et qu'elle n'a jamais discuté avec Mme Pitawanakwat des mesures qu'elle était sur le point de prendre et du pourquoi de ces mesures, si ce n'est sous forme de notes unilatérales ou de directives dans les évaluations de rendement. En outre, on ne nous a pas fourni non plus d'explications satisfaisantes au sujet de la question de savoir pourquoi Carmel Samphire et Alice Wardberg avaient reçu l'ordre de surveiller Mme Pitawanakwat d'une façon plutôt clandestine et du fait qu'aucune de ces demandes ou rapports de surveillance informels ne semble figurer dans le dossier du personnel. Lorsqu'il y a des contradictions dans la preuve à ce sujet, le Tribunal retient la version des témoins de la plaignante de préférence à celle des témoins de l'intimé.

Même si le Tribunal est d'avis que la surveillance du rendement de Mme Pitawanakwat était justifiée, il ne croit pas que cette surveillance a été faite de façon appropriée; Sue Smee l'a d'ailleurs confirmé elle-même lorsqu'elle a dit, en réponse aux questions que lui a posées le Tribunal, [TRADUCTION] nous aurions pu faire mieux. Il est vrai que l'on ne saurait imposer à la direction l'obligation de concevoir un emploi qui convienne parfaitement à l'employé, mais le Tribunal est d'avis que les efforts déployés par la direction pour aider Mme Pitawanakwat à améliorer les aspects de son travail qui comportaient des lacunes étaient souvent mal orientés et peu efficaces.

Comme le Tribunal ne peut accepter en entier les explications données par l'intimé au sujet du traitement défavorable dont Mme Pitawanakwat a fait l'objet, l'allégation de celle-ci selon laquelle ce traitement est fondé, du moins en partie, sur des motifs liés à la race est justifiée par certains éléments de la preuve.

Les décisions de M. Nogue concernant la surveillance de Mme Pitawanakwat ont probablement envenimé les problèmes auxquels la plaignante faisait déjà face, même si elles découlaient du désir sincère de l'aider à améliorer son rendement, parce qu'elles ont eu pour effet de lui imposer des demandes supplémentaires à une époque où sa charge de travail était déjà excessive et qu'elles ne tenaient aucunement compte du bris des communications entre la plaignante et la direction.

3. Formation

Le Tribunal n'accepte pas la preuve de la plaignante lorsqu'elle dit qu'elle a fait l'objet d'un traitement différent dans le domaine de la formation. Nous acceptons plutôt la preuve de l'intimé, qui indique que Mme Pitawanakwat s'est vu offrir les mêmes possibilités que les autres agents de développement social en ce qui a trait aux cours et aux programmes réguliers du Ministère.

Le Tribunal reconnaît également, comme l'ont dit certains témoins de l'intimé, que le programme de formation interne mis en place par André Nogue pour aider Mme Pitawanakwat découlait d'efforts légitimes devant lui permettre d'améliorer son rendement. Cependant, ces efforts étaient voués à l'échec, compte tenu de l'attitude que la plaignante avait adoptée à ce moment-là, des préoccupations qu'elle avait soulevées quant à la

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discrimination dont elle estimait faire l'objet et du fait que la direction n'a adopté aucune mesure significative en réponse à ces préoccupations.

4. Temps supplémentaire

De l'avis du Tribunal, aucun élément de la preuve présentée par la plaignante ne permet de dire qu'elle a fait l'objet d'un traitement défavorable en ce qui a trait au temps supplémentaire et aux politiques s'y rapportant. La plaignante a allégué que, contrairement aux autres agents de développement social, elle devait obtenir une autorisation avant de travailler en surtemps, qu'on a refusé de façon déraisonnable de lui verser une rémunération des heures supplémentaires lorsque ce travail n'avait pas été préalablement approuvé et qu'on lui a reproché d'arriver tard au bureau lorsque, la veille, elle avait assisté à une réunion qui s'était terminée tard. Lorsque la preuve de la plaignante sur ce point contredit la version des témoins de l'intimé, le Tribunal retient les témoignages de ceux-ci selon lesquels il était possible d'obtenir, verbalement ou par écrit, l'autorisation de faire du temps supplémentaire, que d'autres agents de développement social s'étaient vu refuser une rémunération des heures supplémentaires lorsque ce travail n'avait pas été autorisé à l'avance et que la direction s'est montrée aussi souple envers la plaignante qu'envers les autres agents à cet égard. A notre avis, les allégations de la plaignante à ce sujet ne sont pas fondées et traduisent plutôt un bris des rapports entre elle-même et la direction, bris dont la plaignante est partiellement responsable.

5. Demandes de remboursement des frais de déplacement

Le Tribunal est d'avis que la preuve ne permet pas de dire, contrairement à ce que soutient la plaignante, qu'elle a fait l'objet d'un traitement défavorable en ce qui a trait aux demandes de remboursement des frais de déplacement. La preuve présentée ne fait état que d'un seul incident au cours duquel une demande de remboursement des frais de déplacement a été mise en doute et le Tribunal ne peut conclure que cet incident constitue une preuve de discrimination systémique. D'après des témoins de l'intimé, les politiques sur les demandes de remboursement des frais de déplacement étaient appliquées de la même façon à tous les employés et le Tribunal accepte ces témoignages. En fait, nous sommes d'avis que la plaignante doit assumer une partie de la responsabilité découlant des problèmes auxquels elle a fait face à cet égard, puisqu'elle n'a pas respecté la politique qui avait été établie pour des raisons comptables tout à fait justifiées.

6. Tâches générales

Dans la catégorie des tâches générales, la plaignante a soulevé des préoccupations qui sont résumées dans les trois questions suivantes :

  1. La demande qu'André Nogue a adressée à Mme Pitawanakwat pour que celle-ci fasse une enquête sur les craintes de consommation abusive de drogue chez l'un de ses groupes clients était-elle raisonnable et, dans la négative, était- ce une autre preuve de discrimination systémique?
  2. Les autres agents de développement social étaient-ils tenus
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    de présenter un rapport hebdomadaire ou bimensuel à leurs superviseurs?

  4. Les autres agents de développement social étaient-ils tenus de préparer des notes à inclure dans leurs dossiers comme la plaignante devait le faire?

Selon le Tribunal, en demandant à la plaignante de faire une enquête sur la consommation de drogue chez l'un de ses groupes clients, M. Nogue a fait montre d'un manque de jugement, sans plus. En omettant de retirer sa demande lorsque les préoccupations de la plaignante lui ont été communiquées par écrit, M. Nogue a encore là manqué de jugement. La preuve n'indique nullement que cette demande dénote une forme de harcèlement racial, contrairement à ce que soutient la plaignante.

En ce qui a trait à l'allégation de la plaignante selon laquelle l'obligation de présenter un rapport hebdomadaire ou bimensuel à son superviseur est une forme de harcèlement racial, le Tribunal est d'avis que cette exigence traduit plutôt, de la part de la direction, un manque de jugement et l'omission de reconnaître un problème beaucoup plus général au sein du bureau. Il appert de la preuve que, comme l'intimé l'a soutenu, la plaignante ne respectait pas certains délais, qu'elle omettait de préparer en bonne et due forme les notes à inclure dans ses dossiers, qu'elle omettait d'aviser la direction lorsqu'elle s'absentait du bureau ou qu'elle avait l'intention d'assister à des réunions en dehors du bureau et qu'elle n'a pas cherché à atteindre un juste équilibre entre son travail communautaire et son travail administratif. Cependant, de l'avis du Tribunal, l'intimé a fait montre d'un manque de jugement en imposant à la plaignante l'obligation supplémentaire de présenter un rapport hebdomadaire ou bimensuel alors qu'elle était déjà soumise à de très fortes pressions découlant du travail supplémentaire qu'elle avait accepté d'un autre agent de développement social et des tâches saisonnières qu'elle devait accomplir. Le Tribunal estime que le fait d'avoir imposé cette demande à la plaignante ne constituait pas en soi un traitement défavorable à caractère raciste.

En ce qui a trait à la troisième catégorie de tâches générales dont l'avocat de la Commission a parlé, le Tribunal estime que l'obligation de préparer des notes à inclure dans les dossiers n'était pas plus lourde pour la plaignante qu'elle ne l'était pour les autres agents de développement social à l'origine; cependant, la plaignante a elle-même demandé à un certain moment que toutes les préoccupations et les directives de la part de la direction soient consignées par écrit sous forme de notes. Comme il n'y avait plus de communications verbales au bureau, les notes sont devenues plus importantes et, à l'instar des témoins de l'intimé, nous reconnaissons que, au cours des derniers mois pendant lesquels la plaignante a travaillé au Ministère, il était désavantageux pour lui de ne pas exiger que Mme Pitawanakwat prépare ses notes en bonne et due forme.

7. Insinuations à caractère racial

Pendant l'audience, on a parlé longuement d'une remarque que Catherine Lane, la superviseure de la plaignante, a formulée lorsque Mme Pitawanakwat a commencé à travailler au Ministère; effectivement, le Tribunal a entendu non seulement la version de certains membres de la

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direction et du personnel du bureau à ce sujet, mais aussi le témoignage d'un linguiste, le Dr Bernard Wilhelm, qui est venu témoigner à la demande de l'intimé au sujet du sens du mot sauvages. Mme Pitawanakwat soutient qu'à l'automne de 1982, elle a été humiliée lorsqu'elle a entendu sa superviseure immédiate, Catherine Lane, décrire les autochtones comme des sauvages après une réunion à laquelle les deux femmes ont assisté et au cours de laquelle les membres du groupe client et les représentants du Ministère ont eu des discussions animées. Selon le Tribunal, non seulement les événements se sont-ils véritablement produits, mais Mme Lane a utilisé le mot sauvages délibérément, dans son sens négatif, bien que dans le feu de l'action. Catherine Lane et d'autres témoins de l'intimé ont tenté d'atténuer la gravité de l'incident en donnant au mot sauvages un sens différent et plus positif, mais le Tribunal n'accepte pas ces tentatives.

L'avocat de la Commission allègue que les témoins des deux parties ont parlé longuement des commentaires racistes qui auraient été formulés au bureau, pendant que la plaignante travaillait pour le Ministère, sous forme d'insinuations, de blagues ou de remarques stéréotypées. Selon l'avocat de la Commission, ces commentaires ont contribué à créer un climat de travail empoisonné. L'avocat a cité l'arrêt Mohammed c. Mariposa Stores Ltd. (1990), 14 C.H.R.R. D/215 (commission d'enquête de la Colombie- Britannique), où l'expression poisoned work environment (milieu de travail empoisonné) est définie, dans le contexte du harcèlement racial ou de la discrimination fondée sur la race, comme un milieu de travail hostile, blessant ou intimidant pour les employés d'une race donnée.

Selon le Tribunal, des insinuations, blagues et clichés à caractère racial ont été formulés au bureau, pendant que la plaignante a travaillé pour le Ministère; cependant, il convient de replacer les expressions utilisées au cours de la période allant de 1979 à 1985 dans le contexte où elles ont été employées. En outre, il faut tenir compte de la gravité et de la fréquence d'emploi de l'expression en question ainsi que de la persistance avec laquelle elle a été utilisée, comme on l'a dit dans les arrêts Aragona, Nimako et Watt susmentionnés. Par ailleurs, la façon dont la plaignante a réagi aux commentaires et le fait que l'intimé était au courant des sentiments de la plaignante à ce sujet sont très importants en l'espèce.

Selon le Tribunal, non seulement Mme Pitawanakwat a-t-elle accepté et toléré l'emploi d'expressions comme temps des Indiens, mais elle les a utilisées elle-même au début de son emploi, lorsque le climat qui régnait au bureau était plus favorable. Selon des témoins de l'intimé, la plaignante a elle-même utilisé l'expression temps des Indiens au cours d'échanges amicaux au sein du bureau et, lors de conversations de même nature qu'elle a eues avec d'autres agents de développement social, elle a utilisé le mot frogs pour décrire les Canadiens français. Le Tribunal accepte également le témoignage de M. Denis Gauthier selon lequel Mme Pitawanakwat lui a dit une fois, en badinant, qu'il était peu probable que M. Gauthier se fasse scalper par un groupe autochtone, étant donné qu'il était déjà chauve. Certains témoins ont souligné que, lorsque Mme Pitawanakwat leur a dit qu'elle ne jugeait plus ces remarques acceptables, ils ne les ont plus utilisées en sa présence, et nous acceptons leurs témoignages. Toutefois, nous croyons également Shirley Brabant-Bradley, Alice Wardberg et Carmel Samphire, lorsqu'elles disent qu'on a continué à faire des insinuations à caractère racial au bureau du Secrétariat d'État de Régina, sauf peut-être en présence de la plaignante.

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Le Tribunal a constaté que bon nombre des témoins de l'intimé avaient un souvenir imprécis à ce sujet.

Fait encore plus important, les superviseurs du bureau du Ministère situé à Régina étaient au courant des allégations de discrimination raciale depuis juin 1984, puisque la plaignante les avait alors soulevées dans l'une de ses évaluations de rendement :

[TRADUCTION]

«... au cours de la dernière période d'un an et demi, on m'a harcelée personnellement, on a formulé des remarques discriminatoires à mon endroit et j'ai travaillé dans un milieu froid».

A l'automne de 1984, la plaignante avait déposé des griefs de harcèlement personnel et, le 23 septembre 1985, un groupe de travail des agents de développement social a mentionné en toutes lettres dans un rapport que la discrimination fondée sur la race était un problème qu'il fallait porter à l'attention de la direction. Ce groupe de travail était formé des agents de développement social des bureaux du Ministère situés à Saskatoon et à Régina; la plaignante n'en était pas membre. Dans son rapport, le groupe de travail a recommandé la création d'ateliers de travail pour examiner la question des relations de travail avec les autochtones et la formation d'un comité sur les relations entre la main- d'oeuvre et la direction qui serait chargé d'examiner les points suivants (mots tirés du rapport) :

  1. les conditions de travail
  2. l'environnement
  3. le temps supplémentaire
  4. la reconnaissance du travail accompli
  5. l'orientation non officielle des nouveaux employés
  6. la crainte de représailles des associations, qui rend les consultations très difficiles
  7. le favoritisme entre la direction et le personnel
  8. les charges de travail découlant des programmes
  9. la nécessité de communiquer les renseignements directement à la personne concernée plutôt que de permettre qu'un agent de développement social les apprenne de façon indirecte
  10. le manque d'ouverture d'esprit, de respect et de consultation
  11. la nécessité d'adopter des mesures pour régler les griefs de façon équitable, notamment dans les cas de discrimination, de harcèlement personnel ou sexuel et de comportement visant à faire renvoyer une personne
  12. le respect des connaissances d'une personne dans les domaines de son programme
  13. les problèmes entre le personnel et la direction

Selon les témoins de la plaignante, André Nogue a peu réagi à la suite de ce rapport. M. Nogue a dit lui-même qu'il ne lui appartenait pas, en tant que directeur régional, d'examiner des problèmes semblables à ceux qui ont été soulevés dans le rapport, notamment dans le cas de discrimination et de harcèlement personnel, pour lesquels il fallait utiliser la procédure de grief officielle. Selon le Tribunal, M. Nogue a eu tort de nier sa responsabilité dans ce domaine. C'était lui qui devait, comme directeur régional, établir les règles à suivre au bureau sur ces points importants et, s'il voulait que le personnel utilise la démarche officielle à cet égard, comme les témoins de la plaignante l'ont dit, ces procédures n'étaient pas claires et elles ont été expliquées bien sommairement aux

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membres du personnel.

Aucune explication satisfaisante n'a été donnée au Tribunal au sujet du fait que M. Nogue n'a pas réagi aux craintes de discrimination et de harcèlement dont Mme Pitawanakwat estimait être victime dans le milieu de travail, lorsque celle-ci a elle-même soulevé ces craintes dans ses évaluations de rendement, lorsque M. Lawson a parlé de ces problèmes lors des rencontres qu'il a eues avec M. Nogue, lorsque Mme Pitawanakwat a déposé ses griefs de harcèlement à l'automne de 1984, lorsque des préoccupations ont été formulées lors de la réunion du personnel à laquelle le professeur Ron Fisher a assisté en avril 1985 et lorsque le groupe de travail des agents de développement social a préparé un rapport dans lequel il a fait allusion aux sentiments de Mme Pitawanakwat. Non seulement M. Nogue n'a-t-il pas réagi, mais il a reconnu au cours de son propre témoignage qu'il n'a jamais parlé de ces préoccupations avec son équipe de direction et qu'il n'a pas tenté d'examiner lui-même les allégations ou de demander la tenue d'une enquête à ce sujet.

Il est bien certain que c'est la direction du bureau qui établit les règles de fonctionnement à l'intérieur de ce bureau; même si le Tribunal est d'avis que, lorsque Mme Pitawanakwat a commencé à travailler au ministère du Secrétariat d'État à Régina, les gens de ce bureau n'auraient pas toléré le racisme, avec le temps, des remarques à caractère raciste ont été acceptées jusqu'à un certain point dans le milieu. Nous acceptons le témoignage d'Ernie Lawson selon lequel André Nogue lui a dit qu'à son avis, le mot sauvages n'était qu'une figure de style dont l'emploi n'avait rien d'alarmant. M. Lawson a ajouté que, selon lui, André Nogue ne comprenait pas les différences d'ordre culturel et historique qui opposent les Blancs et les autochtones.

D'après la preuve, en raison de la façon dont les bureaux sont aménagés à l'établissement du ministère du Secrétariat d'État situé à Régina, les personnes qui y travaillent peuvent entendre à peu près tout ce qui s'y passe. Le Tribunal en vient donc à la conclusion que non seulement la direction a-t-elle formulé à l'occasion des remarques à caractère raciste, mais qu'elle a omis de répondre aux propos de même nature prononcés par d'autres personnes qui se trouvaient dans le bureau alors que ceux-ci pouvaient facilement être entendus. Un examen de la jurisprudence concernant l'inaction de la direction suivra.

L'avocat de l'intimé a résumé la preuve concernant les insinuations à caractère racial et le harcèlement et le Tribunal estime nécessaire d'examiner cette preuve à la lumière des doutes sur la crédibilité que soulèvent les contradictions dans les témoignages. Voici un résumé des témoignages les plus importants.

a) MARY PITAWANAKWAT

La plaignante a dit au cours de son témoignage que, pendant toute la période de son emploi, elle a fait l'objet de harcèlement racial et d'insinuations à caractère racial au sujet des peuples et des organisations autochtones et que ce harcèlement a créé un milieu de travail empoisonné qui lui a causé beaucoup de stress et l'a isolée à l'intérieur du bureau.

Selon le Tribunal, au cours des premiers mois de l'emploi de

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Mme Pitawanakwat, l'atmosphère qui régnait au bureau de Régina était agréable et sympathique; les remarques stéréotypées qui étaient formulées à l'occasion au sujet des autochtones ou des francophones ou d'autres groupes culturels étaient faites à la légère et non dans le but d'offenser qui que ce soit et personne ne semblait blessée. Mme Pitawanakwat a elle- même participé à la création de cette atmosphère en utilisant des expressions comme temps des Indiens et frogs sur le même ton léger que d'autres personnes qui se trouvaient au bureau. Pour sa part, Denis Gauthier a ajouté que la plaignante avait fait une blague au sujet d'un membre d'un groupe client, qui se nommait Ken Standingready, et l'avait appelé Ken Standinggreedy. Cette plaisanterie a été répétée par plusieurs personnes du bureau et on ne pourrait dire qu'elle était méchante.

Au cours de la même période, Mme Pitawanakwat était non seulement une collègue de Sue Smee, mais toutes deux étaient devenues amies et les liens entre la plaignante et sa superviseure, Catherine Lane, étaient également positifs. Cependant, il appert de la preuve qu'à la suite d'un incident survenu en janvier 1980, ces relations se sont détériorées, de même que les liens entre la plaignante et la plupart des autres personnes qui travaillaient au bureau de Régina. A compter de cette date, Mme Pitawanakwat a semblé percevoir la plupart des choses d'un oeil différent; dès lors, l'ambiance au travail s'est détériorée et la plaignante doit assumer une bonne partie de la responsabilité à cet égard. L'incident s'est produit lorsque Mme Pitawanakwat s'est offusquée en apprenant que ses enfants ne pouvaient rester avec elle au cours de la partie théorique d'une conférence à laquelle elle devait assister avec Mme Smee, étant donné qu'un service de garderie était offert pour les enfants des femmes qui y assisteraient. Il semblerait que Mme Smee n'a pas appuyé la plaignante lorsque celle-ci a protesté et que, par la suite, cette dernière s'est montrée froide et intransigeante envers elle. Mme Smee a admis au cours de son témoignage que cet événement a été un point tournant et qu'elle aurait pu faire mieux pour tenter d'améliorer la situation, mais qu'elle était elle-même très frustrée par l'attitude de la plaignante.

Il appert de la preuve que la conduite que la plaignante a adoptée après l'incident en question découlait en bonne partie de la colère qu'elle éprouvait à l'endroit de Sue Smee, qui ne l'avait pas appuyée à un moment où elle aurait dû l'être, lui semblait-il, alors qu'il n'y avait pas de sous-entendus à caractère racial. Si les liens interpersonnels dans son milieu de travail se sont détériorés à compter de ce moment, Mary Pitawanakwat doit aussi s'en prendre à elle-même.

Le témoignage de Mme Pitawanakwat concernant les insinuations à caractère racial est peu étoffé comparativement à celui des autres témoins. De l'avis du Tribunal, dans bien des cas, les commentaires que la plaignante a cités à titre d'exemples d'insinuations à caractère racial n'étaient aucunement des insinuations de cette nature. Les termes que Mme Smee a utilisés pour décrire des chaussures à talon haut n'étaient pas racistes; les mots managing, prod et salvageable que M. Nogue a utilisés dans ses évaluations du rendement de Mme Pitawanakwat étaient peut-être des mots que celle-ci ne voulait pas y voir, mais ils ne peuvent être considérés comme des termes racistes et, contrairement à ce qu'elle soutient, le Tribunal n'est pas prêt à croire qu'ils visaient à l'abaisser et à la

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harceler.

b) ALICE WARDBERG, SHIRLEY BRABANT-BRADLEY ET CARMEL SAMPHIRE

Le Tribunal accepte le témoignage de ces trois personnes, même s'il craint que certains autres témoins n'aient accepté d'emblée la description des événements présentée par la plaignante ou par d'autres personnes. Ainsi, il semble peu probable que le mot sauvages ait été utilisé plus d'une fois, sauf lorsqu'on a raconté à nouveau l'histoire originale à ce sujet, même si Mme Wardberg a dit au cours de son témoignage que ce mot avait été employé plus d'une fois.

Cependant, Mme Wardberg ajoute que les expressions temps des Indiens et scalper étaient employées fréquemment par les membres du personnel, soit [TRADUCTION] dès le premier jour et même encore aujourd'hui et que la direction du bureau de Régina tolère l'utilisation de ces termes.

Le Tribunal accepte le témoignage de Shirley Brabant-Bradley, qui a dit que Sue Smee a formulé des insinuations à caractère racial, notamment en parlant du temps des Indiens et des Indiens paresseux, que Catherine Lane a parlé elle aussi du temps des Indiens et des maudits Indiens et que ce genre d'expressions ont été utilisées pendant toute la période au cours de laquelle la plaignante a travaillé pour le Ministère. Mme Brabant-Bradley a dit que l'atmosphère qui régnait au bureau de Régina était très désagréable.

Le Tribunal accepte également le témoignage de Carmel Samphire, qui a mentionné que Denis Gauthier avait utilisé des expressions comme scalper et temps des Indiens en présence de Sue Smee, Gary Grant et André Nogue, tandis que Thérèse Pinsonneault a parlé des Indiens paresseux, des sales Indiens et des Indiens qui ont des enfants sans être mariés.

Le fait que ces personnes n'aient pu se rappeler les dates ou les moments exacts auxquels ces remarques ont été formulées n'atténue en rien la véracité de leurs témoignages, le Tribunal étant d'avis que les commentaires ont été faits pendant la durée de l'emploi de Mme Pitawanakwat en présence de la direction, qui n'a adopté aucune mesure de censure.

c) CATHERINE LANE

Mme Pitawanakwat a dit elle-même au cours de son témoignage qu'elle n'a entendu qu'une seule fois Catherine Lane utiliser le mot sauvages dans son milieu de travail et c'était au cours de l'événement susmentionné. Selon le Tribunal, on a accordé trop d'importance à cet incident et, même si l'on a tenté désespérément de définir le mot de façon plus positive, il est bien évident qu'il a été utilisé dans un moment de frustration, à une période orageuse. Cependant, les personnes qui, comme Mme Lane, ont tenté de convaincre le Tribunal que le mot n'était qu'une autre façon de décrire les Indiens auraient pu s'épargner des efforts inutiles et admettre tout simplement que ce mot est blessant et inapproprié. Il semblerait qu'on ne l'ait jamais utilisé depuis au bureau de Régina, sauf lorsqu'on a raconté à nouveau les événements entourant son utilisation initiale par Mme Lane.

En ce qui a trait à l'argument de la plaignante concernant l'utilisation des expressions trop exigeant ou nuisance pour décrire les groupes

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autochtones, le Tribunal est d'avis que ces remarques n'étaient pas racistes ni discriminatoires dans le contexte dans lequel elles ont été utilisées. A l'instar de Mme Lane, nous reconnaissons que la plupart des groupes clients étaient exigeants et avaient de grandes attentes à l'endroit du Ministère et que ces demandes venaient non seulement des groupes autochtones, mais d'autres groupes culturels.

Quant au témoignage de Shirley Brabant-Bradley selon lequel Catherine Lane aurait dit :

[TRADUCTION]

«les maudits Indiens, ils en veulent toujours plus», Mme Lane nie avoir formulé ces propos; cependant, ce type de remarque serait compatible avec l'emploi du mot sauvages dans un moment de frustration et, si tel est le cas, on ne peut passer l'incident sous silence pour le simple motif que les mots en question n'ont pas été prononcés en présence de personnes d'origine autochtone, ce qui est d'ailleurs le cas de Shirley Brabant-Bradley. Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est la direction qui prescrivait les règles relatives à une conduite acceptable au bureau et Mme Lane doit assumer une part de responsabilité à l'égard des remarques formulées par des personnes ou à l'endroit de personnes qui travaillent dans cet environnement.

d) SUE SMEE

Le Tribunal est d'avis que la colère de Mme Pitawanakwat à l'endroit de Mme Smee lors de l'incident de la garderie a influencé fortement l'attitude qu'elle a adoptée par la suite envers cette dernière, de sorte qu'elle était portée à interpréter de façon négative toute remarque que Mme Smee a pu faire au cours des années qui ont suivi cet incident. Ainsi, la plaignante soutient que les remarques de Sue Smee concernant les chaussures à talon haut et concernant les femmes autochtones [TRADUCTION] qui ne sont pas de véritables féministes seraient des remarques à caractère raciste.

Il se peut que les propos de Mme Smee aient été blessants pour quelqu'un et qu'elle se soit comportée de façon agressive; cependant, la législation sur les droits de la personne ne vise pas à censurer la grossièreté ou l'impolitesse et ne devrait certainement pas être utilisée pour empêcher les personnes d'exprimer leurs opinions, sauf si ces opinions sont manifestement discriminatoires. En outre, de l'avis du Tribunal, la brusquerie de Mme Smee, le fait qu'elle avait tendance à interrompre les autres personnes et qu'elle ne tenait pas compte des éléments qui pouvaient les blesser ne sauraient être considérés comme un comportement raciste, car il semblerait qu'elle agissait de la même façon avec d'autres personnes du bureau qui n'étaient pas d'origine autochtone et nous acceptons le témoignage de Don McRae selon lequel, si Sue Smee a fait montre d'impatience et d'exaspération à l'endroit de la plaignante lors des réunions de bureau, comme Shirley Brabant-Bradley et Mme Pitawanakwat semblent le lui reprocher, elle a aussi adopté ce genre d'attitude avec toutes les personnes avec lesquelles elle travaillait. En outre, si Mme Smee ne s'est pas montrée particulièrement chaleureuse à l'endroit de Mme Pitawanakwat lors de ces réunions, il ne faut pas s'en étonner, compte tenu de la mésentente qui régnait entre les deux femmes depuis l'incident de la garderie, incident dont Mme Pitawanakwat est partiellement responsable, comme nous l'avons déjà mentionné.

Cela dit, même s'il est vrai que Mme Pitawanakwat a entendu Mme Smee utiliser les mots temps des Indiens seulement une fois, nous admettons, comme d'autres témoins l'ont dit, qu'elle a utilisé cette expression à

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d'autres occasions et souvent à l'égard de Mme Pitawanakwat, lorsque celle- ci n'était pas présente au début d'une réunion.

e) DENIS GAUTHIER

M. Gauthier a admis avoir utilisé les expressions temps des Indiens ainsi que le mot scalper à la fin d'une réunion particulièrement orageuse qui avait été tenue avec un groupe client et au cours de laquelle des menaces de violence avaient été formulées. Le Tribunal a constaté que, même si, au début de l'emploi de Mme Pitawanakwat, ces expressions étaient utilisées sans que celle-ci ne s'en offusque, elle-même ayant déjà employé ce type de langage, elles sont devenues plus tard le fondement de sa plainte devant la Commission des droits de la personne. A première vue, il semblerait que la plaignante se soit comportée de façon à justifier son congédiement. Cependant, ce que la plaignante n'a pu dire elle-même au sujet du fonctionnement du bureau du Ministère à Régina a été dit par de nombreuses autres personnes qui ont témoigné tant pour la plaignante que pour l'intimé et ces témoignages donnent beaucoup plus de poids à sa plainte de discrimination. Toutefois, le Tribunal répète que Mme Pitawanakwat doit assumer une part de responsabilité à l'égard du genre de langage utilisé au bureau, car non seulement l'a-t-elle toléré elle-même, mais elle a agi de la même façon elle aussi. Nous acceptons le témoignage de Denis Gauthier selon lequel, lorsque Mme Pitawanakwat lui a dit qu'elle ne jugeait plus acceptable qu'il utilise cette terminologie, il a cessé de le faire.

f) BRIAN RANVILLE, ANITA TUHARSKY ET LYNN CHABOT

Le témoignage de ces trois personnes d'origine autochtone, qui ont toutes travaillé à un certain moment au bureau du ministère du Secrétariat d'État situé à Régina et qui ont généralement formulé des commentaires positifs au sujet de leurs expériences à ce bureau, permet de se demander si l'expérience négative qu'a vécue Mme Pitawanakwat est davantage attribuable à des conflits de personnalité qu'à des attitudes marquées par le harcèlement et le racisme. Lynn Chabot a travaillé au bureau de Régina en même temps que la plaignante; M. Ranville y a travaillé avant la plaignante et Mme Tuharsky, après. L'avocat de l'intimé a mentionné au Tribunal qu'il fallait éviter de considérer cette preuve comme une preuve de faits similaires, puisque ces trois personnes n'ont pas toutes travaillé en même temps que la plaignante. A tout événement, le Tribunal est d'avis que leur témoignage est important, puisqu'il faut savoir si d'autres employés d'origine autochtone ont vécu des expériences semblables à celles de Mme Pitawanakwat avec le même personnel et la même direction.

M. Ranville, Mme Tuharsky et Mme Chabot ont tous dit au cours de leur témoignage qu'il était facile de travailler avec M. Nogue et qu'ils n'ont jamais entendu de remarques racistes de sa part. M. Nogue semblait vraiment être respecté de ces trois personnes. Mme Chabot a dit que, pendant qu'elle a travaillé au bureau de Régina, non seulement n'a-t-elle pas entendu de remarques à caractère raciste, mais Sue Smee et André Nogue lui ont semblé des personnes équitables et le milieu de travail était positif. Mme Chabot a ajouté qu'elle avait déjà été personnellement victime d'incidents de racisme tant subtils que manifestes en dehors du milieu de travail, mais qu'elle n'avait jamais fait l'objet de ce genre d'incident au bureau de Régina et qu'elle n'a jamais assisté à quoi que ce soit du genre. Toutefois, il faut souligner que Mme Chabot et Mme Smee

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sont devenues amies pendant qu'elles travaillaient ensemble et que Mme Chabot avait des relations tendues avec Mme Pitawanakwat. Ces faits rendent, selon le tribunal, la crédibilité de son témoignage à cet effet questionnable.

Le témoignage de Mme Tuharsky au sujet des insinuations à caractère racial était compatible jusqu'à un certain point avec celui de Mme Pitawanakwat. Même s'il doute de la crédibilité de cette personne, compte tenu du fait qu'elle ne semble pas avoir appuyé Mme Pitawanakwat pendant l'audience relative au congédiement de celle-ci, le Tribunal admet qu'elle se trouvait au bureau lorsque, en présence de plusieurs autres personnes au cours d'une pause-café, le personnel et la direction ont fait des blagues au sujet d'un Pow Wow qui devait avoir lieu au Indian Federated College.

Mme Tuharsky a été blessée par la remarque suivante :

[TRADUCTION]

«le Pow Wow est en ville; nous ferions peut-être mieux d'être prudents et de verrouiller nos portes». Mme Tuharsky a dit que, comme elle est elle-même d'origine autochtone, qu'elle danse le Pow Wow et qu'elle en est très fière, ces remarques l'ont profondément blessée. Selon Mme Tuharsky, Alice Wardberg s'est excusée au nom de toutes les personnes qui étaient présentes pendant la pause, notamment Sue Smee, Gary Grant, Denis Gauthier et André Nogue, mais personne n'a fait quoi que ce soit pour leur interdire de faire ce genre de commentaires ou pour les réprimander.

Au cours de son témoignage, Mme Tuharsky a décrit M. Nogue comme une personne bienveillante et compréhensive, mais elle a dit en toutes lettres qu'il n'est jamais intervenu pour censurer les gens au sujet des termes qu'ils utilisaient au bureau, même si ces termes pouvaient être blessants.

Mme Tuharsky a ajouté qu'à son avis, Mme Smee était agressive et grossière et qu'elle a fait des remarques désobligeantes au sujet des autochtones, notamment lorsqu'elle a dit [TRADUCTION] maudit centre d'amitié, il recommence. Le témoignage de Mme Tuharsky indique clairement qu'elle n'aimait pas Mme Smee et qu'elle ne s'entendait pas bien avec elle.

Par ailleurs, Brian Ranville, qui a travaillé au bureau de Régina de 1976 à 1978, a dit au cours de son témoignage qu'il a travaillé avec quelques-unes des personnes avec lesquelles la plaignante a travaillé lorsqu'elle est arrivée au bureau en 1979, en l'occurrence, André Nogue, Sue Smee, Bob Mitchell, Wayne McKenzie et Thérèse Pinsonneault. Il a dit qu'il s'entendait bien avec André Nogue et qu'il pouvait aller le voir pour obtenir des conseils. Il a ajouté qu'il avait de bonnes relations avec Sue Smee et que tous deux s'entendaient bien.

De plus, M. Rainville a admis durant son témoignage qu'il a appris dès sa jeunesse à ignorer les gestes raciaux de manière à les surmonter. Ce fait, ajouté au fait qu'il était prêt à critiquer le rendement de Mme Pitawanakwat, même s'il n'avait jamais travaillé avec elle, porte le tribunal à douter de la véracité de son témoignage.

M. Ranville a dit qu'il avait entendu les expressions temps des Indiens et sauvages au bureau de Régina, mais qu'il ne s'en est jamais offusqué, même s'il est lui-même autochtone. Il a ajouté que la race n'était pas une question qui le préoccupait et que, même s'il avait déjà été victime de racisme d'une façon générale, cela ne s'est pas produit lorsqu'il a

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travaillé au bureau de Régina du ministère du Secrétariat d'État. M. Ranville a reconnu que Mme Pitawanakwat lui avait déjà fait part de ses préoccupations au sujet de la discrimination qui semblait exister au bureau du ministère du Secrétariat d'État, mais il a dit que ses préoccupations n'étaient pas fondées. Le Tribunal doute que M. Ranville puisse évaluer comme il se doit le bien-fondé des préoccupations de la plaignante, puisqu'il a dit lui-même qu'il ne signalerait jamais une plainte fondée sur un comportement raciste et qu'il n'encouragerait pas le dépôt d'une plainte à ce sujet, parce que [TRADUCTION] cela ne servirait à rien.

8. Démarche visant à obtenir une plainte d'un groupe client

On a parlé longuement au cours de la preuve d'une lettre que la Régina Native Women's Association aurait fait parvenir à l'intimé, à l'attention de Sue Smee. De l'avis du Tribunal, la preuve ne permet pas de dire que c'est une personne du bureau de Régina qui a demandé cette lettre pour obtenir des éléments de preuve justifiant le congédiement de la plaignante. Toutefois, il convient de souligner que la lettre était signée à l'origine par deux personnes et que l'une d'elles a décidé subséquemment de retirer son nom de la lettre. Le Tribunal ajoute qu'il semble que ce soit là la seule plainte écrite qu'un groupe client aurait formulée contre Mary Pitawanakwat pendant la durée de l'emploi de celle-ci.

9. Évaluations de rendement négatives et empreintes de partialité

Le Tribunal estime que, même si les évaluations faites par les différents superviseurs de la plaignante au cours de son emploi sont devenues de plus en plus négatives avec le temps, la plaignante a elle-même adopté une attitude de plus en plus négative et, vers la fin, son rendement s'est aussi détérioré. Il semble qu'avec le temps, Mary Pitawanakwat, qui était à l'origine une personne consciencieuse et respectée au bureau, soit devenue une personne acariâtre et moins efficace qui ne communiquait pas avec les autres. Toutefois, même si les aptitudes administratives de Mme Pitawanakwat laissaient beaucoup à désirer et se sont même détériorées, elle a continué à être respectée par les groupes autochtones qu'elle desservait et son travail avec les clients était efficace et apprécié. Mme Pitawanakwat était la spécialiste dans les domaines de son travail et on allait la voir pour obtenir des conseils et des directives. L'apport positif de la plaignante n'a pas été suffisamment reconnu dans les évaluations de rendement et, à notre avis, si la direction s'était préoccupée davantage de l'évolution de la situation au bureau, Mary Pitawanakwat aurait peut-être pu atteindre un bon équilibre entre ses tâches administratives et son travail avec les clients.

10. Activités sociales

De l'avis du Tribunal, la preuve ne permet pas de dire, contrairement à ce que la plaignante soutient, que les événements entourant la fête de Noël qu'elle relate dans sa plainte avaient un caractère raciste. En fait, le Tribunal constate qu'André Nogue a invité la plaignante parce qu'il désirait sincèrement qu'elle se sente des leurs et que, si quelqu'un devait être blessé par les événements entourant la fête de Noël, ce serait plutôt lui. Malheureusement, les parties n'ont pu saisir l'occasion pour tenter de cicatriser les vieilles blessures.

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La Commission des droits de la personne a-t-elle présenté une preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 7 et du paragraphe 14(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

La preuve indique clairement que la plaignante a été traitée différemment des autres agents de développement social du bureau de Régina. Même si cette différence ne s'est pas manifestée sur le plan de la charge de travail, de la formation, du temps supplémentaire, des demandes de remboursement des frais de déplacement, des démarches visant à obtenir des plaintes, des évaluations de rendement et des activités sociales ou des attentes générales, elle s'est manifestée à l'égard de la surveillance dont Mme Pitawanakwat a fait l'objet. Cependant, nous ne croyons pas que cette surveillance supplémentaire qui, de toute évidence, a eu des répercussions négatives sur Mme Pitawanakwat, était fondée sur des motifs liés à la race; en conséquence, elle n'est pas visée par l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il appert de la preuve présentée devant le Tribunal et de l'attitude que la plaignante a adoptée tout au long de l'audience que celle-ci était intransigeante et peu portée à reconnaître les mérites de qui que ce soit, même s'ils lui revenaient, qu'elle avait une perception négative des personnes qui se croyaient en bons termes avec elle, à leurs yeux et aux yeux des autres, et qu'elle refusait d'accepter la moindre responsabilité à l'égard de ses propres failles au bureau. Vers la fin de l'audience, Mme Pitawanakwat a même reproché à l'avocat de la Commission de l'avoir mal représentée, même si Me Engelmann avait fait de son mieux pour appuyer la position de la plaignante. Évidemment, il est difficile pour chacun d'admettre ses propres défauts; cependant, on ne saurait blâmer uniquement la direction à l'égard de la détérioration des liens qu'elle a entretenus avec le personnel à compter de l'incident de la garderie jusqu'à la date du renvoi de Mme Pitawanakwat. Néanmoins, on peut lui reprocher de ne pas avoir tenté de régler ce grave problème d'une façon plus positive ou innovatrice.

A la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'une preuve prima facie de discrimination a été faite au sens de l'alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même si la preuve ne permet pas de conclure à un comportement manifestement axé sur le harcèlement racial, les employeurs sont tenus, envers leurs employés, de créer et de maintenir un milieu de travail exempt de discrimination. Mme Pitawanakwat est passée d'une agente de développement social productive ayant un grand potentiel à une employée qui ne convenait pas pour son poste. Nous avons déjà mentionné que Mme Pitawanakwat est en partie responsable de ce changement. Cependant, le Tribunal est d'avis que la direction est aussi fautive à cet égard, en raison de l'inaction et du manque de sensibilité envers la discrimination et le harcèlement racial dont elle a fait montre relativement aux préoccupations soulevées lors de la session de formation de Ron Fisher, dans le rapport du groupe de travail des agents de développement social du 23 septembre 1985, relativement aux commentaires que Mme Pitawanakwat a formulés dans son évaluation de rendement en date du 5 juin 1984, aux préoccupations que M. Ernie Lawson a soulevées au nom de la plaignante, relativement aux griefs fondés sur le harcèlement personnel que Mme Pitawanakwat a déposés en 1984 et relativement aux commentaires à caractère raciste que l'on a continué à faire pendant toute la durée de l'emploi de Mme Pitawanakwat. Le tribunal conclut qu'André Nogue était au courant des préoccupations soulevées et a dû également être au courant des commentaires répétés qu'il a approuvé en ne prenant aucunes mesures pour

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qu'ils cessent.

Même si le milieu de travail est devenu empoisonné en partie par la faute de Mme Pitawanakwat, qui s'est montrée intraitable et a refusé de communiquer avec ses pairs, le tribunal trouve que l'intimé, qui n'a pas pris au sérieux les préoccupations que la plaignante et d'autres personnes ont soulevées au sujet de la discrimination pouvant exister au bureau, est aussi responsable de la création d'un milieu de travail empoisonné. Le fait de ne pas avoir été prise au sérieux sur un sujet de cette importance ne peut qu'avoir incité la plaignante à se retirer, à se sentir isolée au bureau et alimenter ses préoccupations concernant la discrimination raciale.

L'avocat de l'intimé soutient que, selon le paragraphe 65(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'employeur est responsable des actes commis par les employés au cours de leur emploi et que, si la preuve prima facie de la responsabilité est faite au sens du paragraphe 65(1) de cette même Loi, on peut invoquer les moyens de défense prévus au paragraphe 65(2), qui énonce que, s'il a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher [l'acte ou l'omission] et qu'il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets, l'employeur ne sera pas responsable.

65(1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie.

(2) La personne, l'organisme ou l'association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s'il établit que l'acte ou l'omission a eu lieu sans son consentement, qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets.

Ayant conclu que la conduite de l'intimé était discriminatoire, le Tribunal doit établir un lien de cause à effet entre la discrimination et la réparation demandée selon le paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal est d'avis que, si l'intimé avait traité la plaignante avec le respect auquel elle avait droit en prenant au sérieux ses allégations de discrimination au bureau, si Mme Lane, Mme Smee ou M. Nogue avaient cherché véritablement à savoir pourquoi Mme Pitawanakwat avait à ce point changé d'attitude envers les autres personnes du bureau, et si l'un d'eux avait pris au sérieux les préoccupations que d'autres ont soulevées au nom de la plaignante au sujet de la discrimination pouvant exister au bureau, Mme Pitawanakwat aurait très bien pu devenir l'agente de développement social compétente et productive que Mme Lane, Mme Smee et M. Nogue croyaient qu'elle pourrait être. A l'exception de quelques-unes des fonctions administratives liées à son poste, Mme Pitawanakwat faisait bien son travail. David McKay, qui travaillait au centre d'amitié de Régina, un des groupes clients du Ministère, a dit que la plaignante était l'une des seules employées du Ministère qui comprenait vraiment les véritables besoins des autochtones. Le Tribunal accepte le témoignage de M. McKay, qui a dit que Mme Pitawanakwat était bien respectée par son groupe pour ses idées et

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qu'elle l'a bien desservi.

Blair Stonechild, professeur d'études sur les Indiens au Saskatchewan Federated College depuis 1976, a dit que Mary Pitawanakwat l'a beaucoup aidé à obtenir du financement pour des programmes qui étaient devenus importants pour les autochtones non seulement à l'échelle locale, mais aussi à l'échelle nationale. Selon M. Stonechild, la plaignante lui a donné beaucoup d'idées dans le domaine du financement et l'a incité, lui et d'autres personnes, à trouver de nouvelles façons d'obtenir du financement. Fait important à souligner, M. Stonechild a dit au cours de son contre- interrogatoire que, même s'il y avait peut-être plus de fonds disponibles pour financer ces programmes à l'époque où Mme Pitawanakwat travaillait pour le Ministère, les liens personnels qu'elle entretenait avec la collectivité autochtone étaient très importants et les personnes qui n'étaient pas des autochtones n'auraient pas pu avoir autant de succès qu'elle, parce qu'elles ne connaissaient pas aussi bien les problèmes des autochtones. M. Stonechild a ajouté qu'il ne doutait nullement de la compétence de la plaignante comme agente de développement social.

Les faits du présent litige ressemblent étrangement à la plupart de ceux qui sont résumés dans la décision rendue en août 1992 dans l'arrêt Grover c. Conseil national de recherches du Canada (non publié). Même si, dans cette dernière cause, la conduite reprochée était clairement délibérée et visait manifestement à nuire à la carrière du plaignant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le tribunal qui a rendu la décision a dit que la conduite de l'un des mandataires de l'intimé traduisait [TRADUCTION] une attitude d'indifférence qui était dévalorisante et inexcusable. Dans cette cause-là, le tribunal exprime ses préoccupations quant à la façon dont l'intimé a traité le cas et cite les motifs suivants à l'appui de ces préoccupations :

  1. dissimulation de renseignements par l'intimé
  2. intimidation de certains témoins
  3. preuve empreinte de partialité
  4. procédures de grief illogiques
  5. contrôle de la preuve

Ces préoccupations ressemblent beaucoup à celles que le présent Tribunal a soulevées et à l'égard desquelles il formule les conclusions de fait suivantes :

  1. l'intimé a dissimulé des renseignements à la plaignante : André Nogue a conservé un dossier personnel confidentiel renfermant des notes de service et d'autres renseignements qui auraient manifestement dû figurer dans le dossier du personnel concernant la plaignante. Le Tribunal a également entendu dire au cours de la preuve que des dossiers similaires sont tenus à l'égard d'Alice Wardberg et de Shirley Brabant-Bradley, des employés qui, depuis le début, ont appuyé la plaignante en ce qui a trait à ses allégations de discrimination et de différence de traitement dont elle a été victime lorsqu'elle était à l'emploi du Ministère.
  2. Nous acceptons le témoignage d'Alice Wardberg selon lequel elle a été intimidée par Gary Grant avant de témoigner lors
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    de l'audience relative au grief concernant le renvoi de Mary Pitawanakwat et que, par suite des commentaires formulés par M. Grant, elle a craint que la sécurité de son poste ne soit menacée.

  4. Le Tribunal a été troublé par la partialité évidente dont les témoins de la plaignante et ceux de l'intimé ont fait montre. En raison de ce type de partialité, il est très difficile pour le Tribunal de tirer des conclusions de fait équitables; cependant, il est devenu évident, lors du témoignage d'Alice Wardberg et de Shirley Brabant-Bradley, que les personnes qui adoptent une position contraire à celle que soutient la direction au sein du bureau prennent de grands risques.
  5. Tout comme dans l'affaire Grover, le Tribunal en l'espèce estime qu'il est ridiculement ironique d'établir une procédure de règlement des griefs selon laquelle la personne visée par la plainte peut fort bien être la même qui statue sur le bien-fondé du grief.
  6. Tout au long de l'audience, des témoins ont répété certaines positions défendues par d'autres témoins de l'intimé, ce qui incite le Tribunal à se demander jusqu'à quel point la preuve n'a pas été contrôlée. Ainsi, une bonne partie de la preuve présentée au sujet de l'emploi du mot sauvages semblait avoir été soigneusement répétée et manquer de naturel.

Dans l'affaire Grover, le tribunal a conclu que ces préoccupations suffisaient à elles seules à le convaincre que le plaignant avait fait l'objet d'un traitement défavorable [TRADUCTION] allant à l'encontre de l'article 59 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous avons également été frappés par l'absence d'employés d'origine autochtone qui auraient pu s'occuper des dossiers concernant les groupes autochtones. Effectivement, la charge de travail que la plaignante avait est maintenant confiée au bureau de Saskatoon, à une dénommée Raj Dhir, qui semble s'occuper très bien de ces cas, mais qui n'est manifestement pas d'origine autochtone. Le Tribunal a constaté que Mme Dhir a été engagée à la suite d'un concours visant les minorités visibles et que le Ministère n'a pris aucune mesure pour engager une personne d'origine autochtone lorsqu'il s'est mis à la recherche d'un agent de développement social pour s'occuper de ces dossiers. De l'avis du Tribunal, le Ministère n'a pas suffisamment reconnu à quel point les connaissances et la compréhension d'un agent de développement social d'origine autochtone peuvent être précieuses. Même s'il ne veut pas insister davantage sur le rôle ou la responsabilité d'une partie qui, à l'instar du ministère du Secrétariat d'État, a pour mandat de redresser les torts sociaux et de donner des pouvoirs à des personnes appartenant à des groupes minoritaires au sein de la société canadienne, le Tribunal ne peut s'empêcher de reproduire l'extrait suivant de l'enquête Donald Marshall qui a été cité dans l'affaire Grover :

[TRADUCTION]

Le racisme constitue à l'évidence un élément

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des rapports sociaux au Canada [...] Une volonté politique résolue est indispensable pour que l'existence du racisme soit reconnue publiquement et que l'on commence à l'éliminer en intégrant cet objectif à la politique officielle. Les responsables de l'action gouvernementale, les assemblées législatives et le gouvernement ont en outre la responsabilité de créer un climat plus défavorable au racisme.

Il faut souhaiter que les attitudes aient beaucoup changé depuis le début des années 1980, au cours desquelles les événements reprochés en l'espèce sont survenus; cependant, une bonne partie des renseignements révélés par la preuve présentée en l'espèce nous rappellent que ces changements se produisent parfois très lentement.

CONCLUSION

Dans l'arrêt Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), la Cour résume en ces termes le fardeau et la norme de preuve dans les litiges semblables à celui qui nous occupe (p. D/14, paragraphe 6) :

Le plaignant a le fardeau initial de démontrer une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de discrimination; une fois cette preuve établie, c'est l'intimée qui doit établir une justification selon la balance des probabilités.

Non seulement le fardeau du plaignant est-il un fardeau applicable aux litiges en matière civile, mais la Cour d'appel fédérale a confirmé, dans l'affaire Holden, la jurisprudence antérieure selon laquelle il suffit que la discrimination soit un facteur parmi d'autres pour que l'on juge que la loi a été violée. Il n'est pas nécessaire que ce soit le seul facteur.

Dans Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (Tribunal canadien), le Tribunal va plus loin en disant que, si l'intimé fournit une explication raisonnable de l'acte qui lui est reproché..., il revient alors au plaignant de démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination.

Le transfert du fardeau de la preuve dans les causes de discrimination se justifie fort bien, car, de par sa nature, la discrimination reprochée découle plus souvent d'une conduite subtile ou même inconsciente que d'un comportement ouvert. A cet égard, l'extrait suivant de l'arrêt Kennedy v. Mowhawk College (1973) (commission d'enquête de l'Ontario) est cité dans l'affaire Basi : On peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

La décision rendue dans l'affaire Basi permet donc au Tribunal d'examiner non seulement les actes isolés reprochés dans la plainte que Mme Pitawanakwat a déposée, mais aussi la conduite de l'intimé avant et après les événements en question. Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 38491 de cette même décision : Le mis-en-cause ne se trouve pas réfuter de manière suffisante une conclusion de discrimination du seul fait de

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pouvoir proposer une explication rationnelle; il doit fournir une explication qui soit crédible tout au long de la preuve.

Dans la cause qui nous occupe, on ne peut certainement pas dire avec certitude que la discrimination reprochée est la seule raison qui a incité l'intimé à agir comme il l'a fait lors des événements en question; cependant, nous sommes d'avis que la discrimination est l'un des facteurs qui a influencé l'intimé dans ses agissements à l'endroit de la plaignante et que cette conduite a finalement entraîné le renvoi de celle-ci.

Même si la preuve directe de discrimination en l'espèce est restreinte et que l'on n'aurait peut-être jamais continué à faire des insinuations à caractère racial si une personne avait protesté à ce sujet dans le milieu de travail de l'intimé, l'aspect du litige qui a le plus préoccupé le Tribunal est le manque d'intérêt ou de compréhension dont l'intimé a fait montre à l'égard d'indices répétés de la discrimination pouvant exister dans son propre bureau. Dans Hinds c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 (Tribunal canadien), le Tribunal a décidé que l'inaction de la CEIC a eu des effets négatifs supplémentaires, puisqu'elle a donné aux personnes concernées l'impression que cette forme de harcèlement ne méritait même pas qu'on y consacre les moyens d'enquête disponibles. On a l'impression que l'affaire a été traitée comme s'il s'agissait d'une blague inoffensive.

Pour une raison ou pour une autre, André Nogue a décidé d'ignorer non seulement les préoccupations que la plaignante avait formulées elle-même, mais celles qu'ont soulevées Ernie Lawson, le représentant du syndicat, Ron Fisher, le conseiller en gestion des conflits, et surtout le groupe de travail des agents de développement social, qui ont tous formulé des préoccupations claires concernant l'existence de pratiques discriminatoires dans le milieu de travail de l'intimé. Même si la discrimination raciale n'a probablement pas été le principal motif qui a incité M. Nogue à agir comme il l'a fait à cet égard, nous sommes d'avis que c'est là une des raisons de son inaction. Tout comme dans l'affaire Hinds (au paragraphe 41629) : rien ne nous permet de croire que ce soit de propos délibéré que (l'intimé) a négligé de réagir devant l'acte de harcèlement. Son attitude relève plutôt de l'incurie flagrante.

RÉPARATION

Tout au long de cette longue audience, le Tribunal a constaté que les principaux intervenants des deux parties ont refusé d'admettre leur part de responsabilité à l'égard des événements en question. Pour tenter de prouver qu'elles avaient raison, les parties ont cherché par tous les moyens à démontrer que l'autre avait tort et, dans une large mesure, cette attitude semble être l'une des raisons pour lesquelles la plaignante et l'intimé n'ont pas su résoudre les problèmes qu'ils ont vécus au bureau au moment où ils sont survenus. Il est bien vrai que, en Amérique du Nord, les personnes d'origine autochtone doivent faire face à une plus grande adversité et qu'elles seront probablement plus souvent humiliées que les autres; cependant, on ne saurait utiliser la race pour empêcher une personne de relever les défis courants de la vie. Il appert de la preuve que Mme Pitawanakwat n'était pas une femme timide et qu'elle n'hésitait certainement pas à prendre position lorsqu'elle avait des idées bien

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arrêtées sur certains sujets. On a trop souvent tenté devant le Tribunal de donner rétrospectivement un caractère raciste à une conduite innocente ou de justifier après coup une conduite inacceptable. On avait l'impression qu'il était plus facile pour Mme Pitawanakwat de blâmer les autres pour la baisse de sa productivité que de s'organiser de façon à éviter de subir le sort qu'elle a connu. Par ailleurs, ce fait n'enlève rien à la responsabilité que le Ministère doit assumer à l'égard du rôle qu'il a joué dans les événements en question. C'est donc en tenant compte de ces éléments que le Tribunal accorde une réparation qui aurait pu être différente, si les actes reprochés n'étaient pas en partie imputables à la plaignante.

Le Tribunal aurait songé à redonner à la plaignante le poste qu'elle occupait précédemment, s'il n'avait pas été très évident, tout au long de l'audience, que pareille décision mènerait tout droit à un désastre. Il y a manifestement trop d'animosité entre les parties pour que l'on puisse songer à cette solution. Toutefois, le Tribunal souhaite que Mme Pitawanakwat puisse, dans un autre milieu, fournir un apport valable au ministère du Secrétariat d'État et ordonne donc à celui-ci de présenter à la plaignante une offre d'emploi à l'égard du prochain poste d'agent de développement social PM-4 disponible dans toute région située en dehors de la Saskatchewan. La plaignante disposera d'un délai de six mois pour accepter ce poste. Si elle l'accepte, le Ministère mettra à sa disposition les programmes de recyclage nécessaires que les autres stagiaires doivent suivre et toute autre formation que la direction jugera alors nécessaire. Le Ministère obtiendra des renseignements de la plaignante au sujet de son recyclage et devra payer ses frais de déménagement.

Le Tribunal accorde également une indemnité à l'égard du salaire et des avantages que la plaignante a perdus pendant la période de vingt-quatre (24) mois suivant son congédiement. Tout revenu d'emploi que la plaignante a reçu pendant la période de vingt-quatre (24) mois devra être déduit de cette indemnité, ainsi que les bourses ou les subventions que la plaignante a obtenues pendant qu'elle poursuivait des études à un établissement d'enseignement.

En plus, en ce qui a trait aux périodes au cours desquelles la plaignante a été hospitalisée pour cause de maladie, l'indemnité sera réduite au montant que la plaignante aurait reçu à titre de prestations d'invalidité si elle avait été à l'emploi de l'intimé. Le salaire à utiliser à l'égard de l'indemnité susmentionnée est le salaire correspondant au niveau PM-4 en vigueur depuis la date du congédiement. L'indemnité portera intérêt au taux indiqué dans la loi de la Saskatchewan intitulée Pre-Judgment Interest Act. Il n'y aura pas d'indemnité pour préjudice moral, compte tenu de la responsabilité de la plaignante à l'égard du triste sort qu'elle a subi.

En outre, l'intimé fera sans délai ce qui suit :

  1. conformément au paragraphe 16(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, établir dans ses normes sur le personnel un programme visant à faire en sorte que, dans la mesure du possible, lors du recrutement d'agents de développement social à l'égard de dossiers concernant des clients autochtones, on accorde la préférence à des postulants d'origine autochtone;
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  3. offrir régulièrement des programmes de formation interculturelle portant sur la culture autochtone à tous les membres de la direction et du personnel des bureaux de Régina et de Saskatoon du ministère du Secrétariat d'État;
  4. modifier son programme de formation de la direction en y incluant l'obligation de distribuer deux fois par année, à chaque employé travaillant pour lui, des circulaires d'information claires concernant les recours et les ressources disponibles pour les personnes craignant d'être victimes de harcèlement;
  5. ajouter dans les dossiers du personnel concernant Shirley Brabant-Bradley (maintenant Shockey) et Alice Wardberg une note faisant état des préoccupations du Tribunal au sujet de la façon dont l'intimé les a traitées par suite de l'appui qu'elles ont donné à la plaignante, copie de cette note devant être remise à Mme Shockey et à Mme Wardberg;
  6. remettre à la plaignante une lettre d'excuses pour le rôle qu'il a joué dans les circonstances qui ont mené à son congédiement.

Même si le Tribunal n'a pas la compétence voulue pour corriger certains aspects qui le préoccupent au moyen de recours officiellement prévus par la législation, il convient de souligner que ces aspects sont les suivants :

  1. le fait que M. André Nogue ou toute personne occupant un poste de gestion détienne des dossiers personnels distincts des dossiers sur le personnel, lesquels dossiers renferment des renseignements concernant Mme Pitawanakwat, Mme Shockey et Mme Wardberg, n'est pas loin de constituer une forme de harcèlement en soi et il ne faut pas tolérer cette pratique. En outre, nous encouragerions l'intimé à remettre à ces personnes tout élément de ces dossiers qui pourrait avoir des répercussions sur leur emploi actuel ou futur;
  2. il ne faut pas tolérer la conduite de M. Nogue, de M. Grant et des autres membres de la direction ou du personnel du bureau de Régina qui ont exclu, intimidé ou traité de façon différente et négative un ou une employée qu'ils n'aiment pas ou qui continuent de le faire;
  3. il est curieux, à tout le moins, que l'intimé comble ses besoins en personnel appartenant à des minorités visibles en engageant une personne qui est membre d'une minorité visible, mais qui n'est pas d'origine autochtone, pour occuper un poste visant explicitement à encourager les personnes et les groupes d'origine autochtone à accroître leur participation au sein de la société canadienne;
  4. même s'il se peut qu'il existe une procédure de grief officielle pour le personnel du bureau du Ministère, le Tribunal encouragerait la direction du bureau de Régina à
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    élaborer, comme l'a suggéré le groupe de travail des agents de développement social, une démarche officieuse à l'interne pour l'étude des préoccupations en matière de harcèlement ou de discrimination;

  6. il est très curieux également que l'intimé ne semble pas avoir reconnu qu'il ne convient pas que le directeur régional participe à une étape du grief alors que la direction était elle-même visée par la plainte en question.

FAIT LE DÉCEMBRE 1992

BRENDA M. GASH

LOIS SERWA

JAMES D. TURNER

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