Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

RAYMOND IRVINE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 15/01 2001/11/23

MEMBRE INSTRUCTEUR : Shirish P. Chotalia

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. FAITS

A. Système de normes médicales des FAC

B. Modalités administratives d'attribution des cotes médicales

i) Comité de la coronaropathie

ii) Conseil médical de révision des carrières

iii) Politiques médicales relatives à l'attribution des cotes

iv) Politiques de 1979 : cotes

v) Lignes de conduite de septembre 1995 -- Approche individualisée

vi) Tâches militaires

vii) Considérations médicales spécifiques liées à la coronaropathie

C. Politiques des FAC sur la forme physique

i) Accent mis sur les résultats

ii) Rigueur

iii) Lien entre le test EXPRES et les tâches militaires

iv) Recours au test EXPRES pour mesurer la capacité d'exécuter les cinq tâches communes

v) Tâches militaires générales servant à déterminer si le militaire satisfaisait au principe d'universalité du service

vi) Universalité du service

vii) Accommodement

viii) Accommodement particulier et limité -- Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction

ix) Adaptation des normes en fonction de la probabilité d'avoir à exécuter des tâches militaires

x) Capacité d'accommodement des FAC -- PRF/Restrictions budgétaires 1994/1995

xi) Politiques de novembre 2000 -- Mesures d'accommodement raisonnables

xii) Méthode d'évaluation de la capacité d'exécuter les tâches militaires générales

D. Situation particulière de M. Irvine

i) Antécédents généraux

ii) Situation de M. Irvine après sa libération

E. Données médicales pertinentes

i) Médicament

ii) Prédicteurs d'accidents cardiaques futurs

a) Étendue de la maladie et fraction d'éjection

b) Attaques cardiaques futures -- Facteurs de risque

c) Incapacité de prévoir avec exactitude un autre accident

d) Occlusion du pontage veineux

e) Test EXPRES

III. PRINCIPES JURIDIQUES

A. Le droit

i) Articles 7 et 10

ii) Universalité du service

iii) Moyens de défense

iv) Analyse Meiorin

v) Risque

vi) Recours à une preuve d'événements postérieurs à la libération

IV. ANALYSE

A. Le plaignant a-t-il présenté une preuve prima facie de discrimination en contravention des par. 7a) et 7b) et de l'article 10?

i) Libération -- Par. 7a)

ii) Politiques -- Article 10

B. Exigence professionnelle justifiée (EPJ)

i) Effet rétroactif de l'arrêt Meiorin

ii) Questions relatives à la preuve

iii) Universalité du service

iv) Détermination des normes ayant entraîné la libération de M. Irvine

a) Dr Kafka

b) Comité de la coronaropathie

c) Conseil de révision des carrières

v) Analyse selon l'arrêt Meiorin

a) Lien rationnel

b) La norme a-t-elle été adoptée de bonne foi?

vi) Nécessité raisonnable et accommodement

a) Politiques

1. Politiques transitoires

2. Lignes de conduite de septembre 1995

b) Évaluations

1. Évaluation du Dr Kafka

2. Évaluations du Comité de la coronaropathie et du Conseil de révision des carrières

3. Attentes proportionnées et mesurées à l'égard des personnes atteintes d'une déficience

4. Nature subjective de l'attribution des restrictions et cotes

5. Imposition de conditions sur le plan médical

6. Accommodement des militaires inaptes

7. Accommodement des militaires ayant un taux d'employabilité de 80 p. 100

8. Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction

9. Coûts relatifs à l'accommodement -- Accès à un médecin dans les postes isolés

10. Maintien dans un poste n'exigeant pas un déploiement

V. CONCLUSION

VI. MESURES DE REDRESSEMENT

I. INTRODUCTION

[1] M. Irvine travaillait comme technicien en aéronautique (Armée de l'air) dans les Forces armées canadiennes (FAC) depuis 1967. Le 30 mars 1994, il a subi une crise cardiaque, ce qui a amené les FAC à examiner son état de santé. En 1996, le Conseil de révision des carrières des FAC a décidé qu'il n'était plus apte à servir dans les FAC et qu'il devrait être libéré, mettant ainsi un terme à sa carrière de 29 ans. M. Irvine a perdu non seulement son poste d'adjudant, mais aussi la promotion au grade d'adjudant-maître qu'on lui avait promise.

[2] En l'espèce, il s'agit de déterminer si la décision des FAC de mettre fin à l'emploi de M. Irvine était attribuable à sa déficience physique et légalement justifiable. Il s'agit également de se demander si les politiques des FAC qui s'appliquent aux militaires qui ont souffert d'une crise cardiaque ou d'une coronaropathie étaient discriminatoires à l'endroit de M. Irvine et allaient à l'encontre de la Loi.

II. FAITS

A. Système de normes médicales des FAC

[3] Les membres des FAC exercent divers métiers : musicien, aumônier, technicien en aéronautique, etc. Toutefois, en fin de compte, les membres des FAC se consacrent à la défense du Canada. Durant la période qui nous intéresse, les FAC avait un système de normes médicales fondées sur les compétences minimales que leurs membres devaient posséder pour être en mesure d'exécuter leurs fonctions dans le monde entier.

[4] Les normes médicales étaient exprimées selon un système de cotes numériques ayant pour objet de présenter aux autorités en matière d'administration et d'emploi des militaires une évaluation concise, au point de vue médical, des possibilités d'emploi des recrues et des militaires en service. Il existait une norme minimale pour chaque classification et métier des FAC. Cette norme précisait la cote minimale que devait atteindre un militaire pour être affecté à temps plein à un groupe professionnel militaire (GPM). Si la cote d'un militaire devenait inférieure à celle exigée, un comité médical spécialisé ou un Conseil médical de révision des carrières (Conseil de révision des carrières) était appelé à se pencher sur le problème administratif que constituaient les limitations de carrière.

[5] Dans le cas des techniciens en aéronautique, la norme minimale à atteindre pour être affecté à temps plein était la cote G3O3. C'était le feu vert. Les techniciens en aéronautique qui se voyaient attribuer la cote G4O4 étaient susceptibles d'être libérés. Cette cote correspondait au feu rouge.

[6] Le facteur G représentait le facteur géographique. Il indiquait sommairement où un militaire pouvait être employé. Ce facteur était fondé sur les répercussions que l'environnement, le logement, les conditions de vie et les soins médicaux disponibles pourraient avoir sur son état de santé. Il était évalué à l'aide d'une échelle de cotation de 1 à 6; plus la cote était élevée, plus les restrictions à l'emploi étaient grandes. Le facteur O représentait le facteur professionnel. Il indiquait sommairement dans quelle mesure un militaire pouvait être employé. Il tenait compte de l'activité physique et mentale et du stress. Une invalidité physique ou un trouble mental pouvait diminuer les capacités d'une personne et lui nuire dans l'exercice de ses fonctions. Le facteur professionnel était évalué au moyen d'une échelle de cotation de 1 à 6; plus la cote était élevée, plus les restrictions à l'emploi étaient grandes.

[7] Les possibilités d'affectation à temps plein de chaque militaire étaient déterminées non seulement par les cotes G et O, mais aussi par les restrictions à l'emploi particulières énoncées par écrit.

B. Modalités administratives d'attribution des cotes médicales

i)Comité de la coronaropathie

[8] La procédure d'attribution des cotes médicales et des restrictions à l'emploi était la suivante : examen complet du militaire, description exhaustive de ses restrictions à l'emploi, attribution de la cote médicale. Voici plus précisément la démarche qui était suivie.

-- Le militaire était d'abord examiné par un médecin militaire subalterne qui recommandait l'attribution d'une cote.

-- Si la cote recommandée était inférieure à la norme minimale, les FAC retenaient les services d'un médecin-conseil qui devait présenter un avis décrivant les restrictions appropriées en matière d'emploi. Ces restrictions devaient être énoncées dans un langage clair et simple de façon à ce que le superviseur de l'intéressé puisse les comprendre.

-- Ensuite, le médecin-chef de la base/escadre devait déterminer la catégorie médicale dans laquelle le militaire se trouvait alors et recommander une cote permanente. Des cotes et restrictions temporaires étaient attribuées afin de permettre au militaire de récupérer à la suite d'un problème de santé et de sensibiliser la base et son commandant à son état de santé.

-- Une fois ce délai (d'environ six mois) expiré, un comité médical spécialisé [dans le cas de M. Irvine, le Comité de la coronaropathie] devait examiner le dossier et maintenir la cote temporaire ou recommander une cote permanente.

-- Si cette cote représentait un feu rouge (cote inférieure à la norme minimale applicable au métier exercé), la recommandation ne devenait permanente qu'une fois approuvée par la Direction des services de traitement - Soins de santé (DSTSS) - de la division du Chef du service de santé, et le militaire ne pouvait être libéré tant que les superviseurs de l'unité dont faisait partie le militaire n'avaient pas reçu l'avis d'approbation. La DSTSS pouvait modifier la cote.

[9] Dans le cas de la coronaropathie, le conseil médical spécialisé était le Comité de la coronaropathie, qui était formé d'employés de la DSTSS et de cardiologues chargés d'examiner le dossier du militaire.

ii)Conseil médical de révision des carrières

[10] Les FAC avaient un deuxième organisme de révision. Dans le cas des militaires dont la cote médicale n'avait pas été dictée par une maladie particulière pour laquelle il existait un comité médical spécialisé (p. ex., Comité de la coronaropathie), le dossier était transmis au Conseil médical de révision des carrières (Conseil de révision des carrières), organisme créé en 1976 pour déterminer les mesures qu'il convenait de prendre à l'égard des militaires dont la cote médicale était abaissée. Cet organisme avait été mis sur pied parce que les restrictions imposées quant au genre ou au lieu de travail pouvaient nécessiter un changement de cote, de métier, de lieu ou d'emploi ou la libération. Le Conseil de révision des carrières pouvait faire diverses recommandations : maintien dans l'emploi actuel avec des limitations de carrière, maintien dans l'emploi actuel sans limitation de carrière, mutation, changement de métier ou affectation, libération. Il était formé de représentants des sections compétentes du personnel et des carrières et d'un représentant de la division du Chef du service de santé. Selon les politiques des FAC, le Conseil de révision des carrières ne devait pas se pencher sur le cas des militaires qu'un conseil médical local de révision avait jugés inaptes à servir pour des raisons de santé (1). Le Comité de la coronaropathie, dont relevaient les militaires atteints de coronaropathie, constituait un tel conseil.

[11] Toute décision du Conseil de révision des carrières de libérer un militaire était prise sous réserve de l'approbation de la DSTSS.

iii)Politiques médicales relatives à l'attribution des cotes

[12] Deux ensembles de politiques relatives à l'attribution des cotes médicales et des restrictions à l'emploi sont pertinents dans le cas de M. Irvine : les politiques qui ont été en vigueur de 1979 à septembre 1995 (les politiques de 1979) et celles qui s'appliquent depuis septembre 1995 (les lignes de conduite de septembre 1995).

iv) Politiques de 1979 : cotes

[13] Les cotes géographiques pertinentes étaient les suivantes :

G1 : aucune restriction -- état de santé correspondant à la capacité d'être pleinement employé.

G2 : aucune restriction d'ordre climatique ou environnemental -- légère affection médicale.

G3 : état de santé qui exigeait une surveillance médicale étroite. Les titulaires de cette cote étaient jugés aptes au service en campagne ou en mer à temps plein.

G4 : le militaire ne pouvait servir en mer ou dans un poste isolé où il était difficile d'avoir accès aux services d'un médecin. La cote G4 indiquait qu'il existait des restrictions d'ordre climatique et en matière d'isolement.

[14] Plus précisément, les cotes géographiques étaient fondées sur les critères suivants :

A. G3 -- Cette cote était attribuée au militaire jugé apte au service dans ces éléments pendant des périodes allant jusqu'à six mois ou jugé inapte au service dans un élément.

G4 -- Cette cote était attribuée au militaire qui, en raison de restrictions inhérentes à son état médical ou du risque inacceptable que posait le milieu opérationnel pour sa santé et sa sécurité et celles d'autrui, était jugé inapte au service dans deux éléments ou plus (service en mer ou en campagne, tâches opérationnelles ou postes isolés).

B. G3 -- Cette cote était attribuée au militaire qui devait prendre des médicaments d'ordonnance dont la privation imprévue (non-accessibilité) n'entraînerait pas de risque inacceptable pour sa santé et sa sécurité.

G4 -- Cette cote était attribuée au militaire qui prenait des médicaments d'ordonnance et qui pourrait probablement créer un risque inacceptable pour sa sécurité s'il était privé de manière imprévue de ses médicaments, ne serait-ce que pendant quelques jours.

C. G3 -- Cette cote était attribuée au militaire qui faisait l'objet d'une restriction découlant d'un état médical ne présentant pas de risque inacceptable pour sa santé et sa sécurité ni pour celles d'autrui dans le milieu d'opération ou de travail.

G4 -- Cette cote était attribuée au militaire qui pouvait avoir besoin de trouver à proximité des services médicaux ou d'avoir facilement accès aux services d'un médecin.

D. G3 -- Cette cote était attribuée au militaire qui avait besoin de soins médicaux prévus de la part d'un médecin militaire, mais pas plus souvent que tous les six mois.

G4 -- Cette cote était attribuée au militaire qui devait recevoir des soins médicaux prévus de la part d'un médecin plus souvent que tous les six mois (2).

[15] Les cotes professionnelles étaient fondées sur les critères suivants :

O1 -- Cette cote était attribuée au militaire dont la forme physique était supérieure à la moyenne.

O2 -- Cette cote était attribuée au militaire qui ne faisait l'objet d'aucune restriction à l'emploi pour des raisons médicales, ou qui faisait l'objet de restrictions mineures à l'emploi qui ne l'empêchaient pas de participer au combat ou d'exécuter des travaux physiques pénibles.

O3 -- Cette cote était attribuée au militaire qui souffrait d'une incapacité physique moyenne l'empêchant d'accomplir un travail ardu pendant de longues périodes. Cependant, il lui était possible d'accomplir la plupart des tâches en travaillant avec modération. Il était apte au service en campagne, mais seulement pendant une brève période.

O4 -- Cette cote indiquait que le militaire pouvait effectuer uniquement de menus travaux parce qu'il souffrait d'une incapacité physique ou qu'il avait montré qu'il ne pouvait s'adapter, sur le plan psychologique, pendant une période prolongée lorsqu'il était soumis à une pression quelconque.

[16] De plus, les politiques comportaient une section traitant particulièrement de la cardiopathie qui recommandait :

[Traduction]

le relèvement de G4 à G5 et de O4 à O5 des cotes qui s'appliquent aux militaires souffrant d'athérosclérose coronarienne (épaississement et durcissement des artères coronariennes atteintes de la plupart des cardiopathies) ou de ses complications.

[17] À compter de 1994, la politique des FAC a mis l'accent sur la description des restrictions plutôt que sur l'attribution de cotes numériques. Le médecin militaire devait s'attarder à la capacité d'emploi de chaque militaire et décrire celle-ci dans un langage clair et simple.

[18] En outre, il y a eu entre les politiques de 1979 et celles de 1995 des politiques transitoires, qui ont été incorporées aux politiques de 1995 (les politiques transitoires) et qui portaient particulièrement sur l'attribution de cotes médicales aux militaires atteints de coronaropathie (3). Les politiques transitoires précisaient ce qui suit :

[Traduction]

Lorsque le patient devient complètement asymptomatique à la suite du traitement médical ou chirurgical, la cote G4O3 sera habituellement approuvée, bien qu'une cote supérieure puisse être attribuée selon les résultats cliniques et la présence ou absence de facteurs de risque.

[19] Les politiques transitoires précisaient également que tous les militaires soupçonnés de souffrir de coronaropathie devaient être classés provisoirement dans la catégorie G4O4 en attendant qu'une enquête soit menée et qu'un traitement soit administré. Cette catégorie devait être attribuée pour une période pouvant aller jusqu'à 12 mois; dans les cas de chirurgie, elle pouvait fréquemment être attribuée pour une période de 12 mois après la date de l'intervention.

v)Lignes de conduite de septembre 1995 -- Approche individualisée

[20] En septembre 1995, les FAC se sont dotées de lignes de conduite visant à aider le personnel médical à examiner et évaluer les affections médicales et à attribuer des restrictions particulières à l'emploi (4). Ces lignes de conduite, qui remplaçaient les politiques adoptées en 1979, exigeaient l'évaluation de chaque cas selon une approche personnalisée. Les médecins militaires étaient soumis à plus de lignes directrices et à moins de normes pour évaluer la validité médicale des membres des FAC et déterminer leur capacité d'emploi. Les nouvelles lignes de conduite mettaient l'accent sur la consultation et l'évaluation en équipe, et les médecins militaires devaient discuter entre eux et avec des spécialistes, la DSTSS et les superviseurs de l'intéressé. On y retrouvait des questions destinées à amener le médecin militaire à prendre en compte un certain nombre d'éléments dans le cadre de son évaluation. Ainsi, pour déterminer les restrictions médicales et le besoin de médicaments, il fallait examiner les éléments suivants :

  1. les effets secondaires possibles des médicaments pris;
  2. les suivis médicaux prévus;
  3. la fréquence des épreuves de laboratoire;
  4. le niveau de soutien médical nécessaire pour évaluer tout effet secondaire;
  5. l'aptitude du militaire à continuer sans risque d'exécuter ses tâches sans prendre de médicaments;
  6. l'accessibilité aux médicaments et à leurs substituts;
  7. les besoins en matière de conservation de médicaments;
  8. la méthode d'administration des médicaments.

[21] Autres éléments à examiner dans l'attribution de la cote et des restrictions à l'emploi :

- l'examen du besoin de traitements comme la physiothérapie, l'ergothérapie, l'acupuncture ou le counseling, et la facilité d'accès à ces traitements dans les zones de déploiement possibles;

- les niveaux de soins médicaux nécessaires (usuels, périodiques, prévus);

- l'état médical spécifique du militaire;

- les conditions de vie dans les bases d'outre-mer;

- la nécessité de bien informer le militaire et d'insister sur le fait que la décision finale quant à l'attribution de la cote revient au Conseil de révision des carrières.

vi)Tâches militaires

[22] Les lignes de conduite de septembre 1995 ont confirmé qu'il devrait y avoir un lien direct entre les restrictions et la capacité du membre d'exercer sans danger les fonctions propres à son groupe professionnel. Étant donné que les médecins militaires n'avaient pas nécessairement une bonne connaissance des tâches professionnelles de chaque militaire, on a établi un résumé des tâches essentielles propres à chaque métier. Dans le cas du technicien en aéronautique, les fonctions générales étaient les suivantes :

Remplit des fonctions qui concernent la supervision de la maintenance de première et de deuxième échelons d'aéronefs. Le travail peut se faire dans des unités tactiques, dans des bases aériennes ou à bord d'un navire. Le membre doit travailler sur des échelles et des plates-formes, sur des ponts de navires en mer agitée et dans des espaces restreints.

[23] Les fonctions spécifiques étaient les suivantes :

  1. travailler par quarts irréguliers, jusqu'à 16 heures d'affilée;
  2. supporter le stress qu'impose la supervision de travaux intéressant des aéronefs;
  3. superviser des travaux de maintenance ou de réparation dans la pénombre ou l'obscurité;
  4. superviser des travaux de maintenance dans des espaces réduits;
  5. employer des outils mécaniques, pneumatiques, hydrauliques ou électriques;
  6. se courber, se pencher, grimper sur des aéronefs ou de l'équipement de soutien et se glisser dessous;
  7. demeurer très vigilant jusqu'à 12 heures par jour;
  8. supporter de longues expositions à des niveaux de bruit élevés;
  9. supporter des vapeurs de carburant et de lubrifiants;
  10. superviser et diriger du personnel au combat ou dans des situations d'urgence;
  11. se concentrer durant de longues périodes, en dépit du stress;
  12. avoir une bonne coordination oculo-manuelle;
  13. être habile de ses mains;
  14. travailler à des hauteurs pouvant atteindre 15 mètres.

[24] Ces fonctions ou compétences avaient particulièrement trait aux tâches militaires que les membres des FAC pouvaient être appelés à exécuter pour démontrer qu'ils satisfaisaient au principe d'universalité du service ou du soldat d'abord, dont nous traiterons plus loin.

vii)Considérations médicales spécifiques liées à la coronaropathie

[25] En outre, les lignes de conduite de septembre 1995 faisaient état de considérations propres à certaines affections médicales. Selon ces lignes de conduite, les militaires atteints d'athérosclérose coronarienne ne devaient pas tous nécessairement êtres libérés. On y énumérait sept facteurs à considérer pour évaluer la probabilité que survienne un nouvel accident cardiaque important dans l'avenir prévisible :

  1. le caractère récent des symptômes et de l'événement cardiaque;
  2. le genre d'activités, y compris leur intensité, leur durée et leur fréquence, qui provoquent les événements ischémiques;
  3. la fréquence et le degré de soins médicaux nécessaires pour traiter la maladie de manière appropriée;
  4. les restrictions à l'emploi attribuables aux effets secondaires des médicaments cardiaques pris par le militaire;
  5. la possibilité d'exacerbation de l'ischémie si le militaire ne pouvait prendre des médicaments pour une raison quelconque;
  6. les résultats des examens, comme une angiographie coronaire [injection d'un colorant dans le ventricule gauche pour en évaluer la fonction] ou une épreuve d'effort sur tapis roulant, utilisés pour déterminer l'étendue de la maladie ou la capacité fonctionnelle du militaire; et
  7. la présence de facteurs de risque comme l'hypertension, le tabagisme, les antécédents familiaux ou d'autres affections généralisées comme le diabète ou la dyslipidémie.

[26] Par ischémie on entend un afflux insuffisant d'oxygène au niveau des muscles cardiaques. Avant d'examiner s'il y avait lieu d'attribuer une cote permanente à un militaire atteint de coronaropathie, il fallait attendre au moins un an après la crise.

C. Politiques des FAC sur la forme physique

[27] Les politiques des FAC sur la forme physique se juxtaposaient aux politiques et procédures de catégorisation médicale. Examinons en quoi consistaient ces politiques.

i) Accent mis sur les résultats

[28] Les politiques des FAC mettaient l'accent sur les résultats des tests d'aptitude physique plutôt que sur l'apparence physique du militaire. En 1992, les FAC ont renoncé à leurs politiques d'amaigrissement pour se tourner vers l'évaluation de la performance.

ii) Rigueur

[29] Afin de favoriser le rendement, les FAC ont offert aux militaires un programme ultramoderne de conditionnement physique. Les militaires devaient se soumettre à une évaluation de santé préliminaire. Ensuite, ils devaient subir une épreuve connue sous le nom de test EXPRES servant à évaluer leur forme physique. Après l'évaluation, on leur donnait un programme d'exercice visant à maintenir ou améliorer leur forme physique. Ils devaient se soumettre au test de la force de préhension (destiné à mesurer la force musculaire du tronc supérieur) et à une épreuve d'effort sur tapis roulant (qui visait à mesurer leur endurance d'oxygénation - VO2 max) et faire 19 tractions sans interruption et 19 redressements assis en une minute (pour mesurer l'endurance musculaire du tronc supérieur et du tronc). On incitait les membres à faire régulièrement de l'entraînement physique tout en suivant leur propre rythme de progression. Les FAC suivaient leur progrès et mettaient à leur disposition des entraîneurs et un matériel d'entraînement de classe mondiale.

[30] Même s'il s'agissait d'un vaste programme obligatoire, les attentes relatives à la forme physique des membres des FAC étaient peu élevées. Le militaire qui se classait en-deça du 20e centile échouait le test EXPRES et était mis sous la surveillance directe d'un moniteur d'éducation physique et de loisirs. On le considérait comme physiquement inapte à continuer de servir.

[31] Si le résultat obtenu par le militaire se situait entre les 20e et 25e centiles, il faisait l'objet d'une semi-surveillance, c'est-à-dire qu'il était surveillé par le personnel chargé de l'éducation physique. Les FAC considéraient qu'il avait atteint leurs normes d'aptitude physique et le gardaient à leur service.

[32] Les scores centiles rendaient compte de la forme physique des militaires par rapport à la moyenne des Canadiens non militaires. Autrement dit, à l'extrémité inférieure, jusqu'à 80 p. 100 de la moyenne des Canadiens non militaires ont obtenu un meilleur résultat que les membres des FAC qui étaient encore considérés comme physiquement aptes au service. Par conséquent, les FAC gardaient à leur service des militaires qui étaient en moins bonne forme physique que le Canadien moyen. En fait, aujourd'hui, le militaire moyen arrive au 50e centile lorsqu'on le compare au Canadien moyen; autrement dit, la moitié de la population canadienne moyenne a un meilleur résultat que le militaire. Les FAC ne s'attendaient pas, et ne s'attendent toujours pas, à trouver beaucoup d'athlètes en uniforme dans leurs rangs.

iii) Lien entre le test EXPRES et les tâches militaires

[33] Alors que les FAC, dans la pratique, se basaient sur le test EXPRES pour évaluer la forme physique d'un militaire, leur politique, en théorie, préconisait le recours à un autre ensemble de critères pour déterminer si les militaires satisfaisaient à leur critère de service, mieux connu sous le nom de principe d'universalité du service.

iv) Recours au test EXPRES pour mesurer la capacité d'exécuter les cinq tâches communes

[34] L'acronyme EXPRES est dérivé des mots anglais Exercise Prescription. Les FAC ont recours au test EXPRES depuis au moins 1985 pour évaluer dans quelle mesure un membre peut accomplir les cinq tâches communes ou, si l'on préfère, les cinq tâches militaires de base :

  1. Évacuation en mer -- Cet exercice simule l'évacuation d'un blessé au cours d'un incendie à bord d'un navire. Dans une épreuve contre la montre, le militaire doit porter une masse de 80 kg sur une civière en toile, sur une distance de 12,5 m, jusqu'au bas d'une volée d'escalier et ensuite pousser la glissière transportant sa part de la masse en montant et en descendant une volée d'escalier de navire.
  2. Évacuation terrestre d'une civière -- Cet exercice a pour but de simuler l'évacuation terrestre d'un blessé sur une civière, et ce sur une distance de 750 m. Le militaire porte la moitié d'une masse de 80 kg sur une civière, munie de roues à une extrémité, le plus rapidement possible sur une distance de 750 m.
  3. Rampement bas/haut -- Cet exercice simule l'autoprotection dans les déplacements face à des tirs ennemis. Le militaire exécute un rampement bas (tout le corps étant près du sol) sur une distance de 30 m en passant sous des obstacles empêchant d'élever la tête, puis fait demi-tour et exécute un rampement haut (à quatre pattes) sur une distance de 45 m. Le principal critère d'évaluation est le temps qu'il faut pour faire l'exercice.
  4. Creusage d'une tranchée -- Cet exercice simule l'autoprotection face à des tirs ennemis. Chaque militaire creuse une tranchée individuelle longue de 1,82 m, large de 0,61 m et profonde de 0,46 m. L'exercice de creusage donne lieu au pelletage d'un mètre cube de pierre concassée, d'une tranchée à l'autre de dimensions semblables, le plus rapidement possible.
  5. Transport de sacs de sable -- Cet exercice simule l'autoprotection ou la protection des autres contre les éléments naturels. Le militaire doit déplacer le plus grand nombre de sacs de sable possible sur une distance de 50 m en 10 minutes. Chaque sac pèse 20 kg.

[35] Comme il n'était pas pratique d'exiger que chaque membre accomplisse ces tâches chaque année, les FAC ont mis en corrélation les exigences physiques nécessaires à leur exécution avec le test EXPRES. Par conséquent, le résultat obtenu par le militaire donnait aux FAC une idée de sa capacité d'exécuter les tâches militaires de base.

v) Tâches militaires générales servant à déterminer si le militaire satisfaisait au principe d'universalité du service

[36] Simultanément (de septembre 1995 à décembre 1999), les FAC, en théorie, exigeaient également que les militaires soient capables d'exécuter les tâches militaires générales (5) pour démontrer à la fois leur aptitude à l'emploi (satisfaction des exigences physiques et opérationnelles) et leur capacité d'être déployés. En ce qui concerne l'aptitude à l'emploi, chaque membre des FAC devait être capable d'exécuter les tâches militaires suivantes :

  1. creuser une tranchée individuelle;
  2. remplir les fonctions de sentinelle;
  3. pouvoir courir à une vitesse autre qu'à son propre rythme;
  4. faire des marches forcées pendant une longue période en portant un sac à dos et des armes individuelles;
  5. faire des exercices de drill;
  6. faire des exercices de conditionnement physique sans restriction importante;
  7. participer au programme EXPRES des FC;
  8. porter l'équipement protecteur nécessaire pour combattre les incendies et accomplir les tâches reliées à la guerre NBC;
  9. manier et utiliser des armes individuelles;
  10. tenir une extrémité d'un brancard portant une charge de 90 kg en tous terrains;
  11. travailler efficacement à l'extérieur, à des températures extrêmes, pendant de longues périodes;
  12. accomplir des tâches exigeantes.

[37] Comme on peut le voir, la participation au programme EXPRES figurait dans la liste (7e élément).

[38] En ce qui concerne la capacité d'être déployé, chaque militaire devait être en mesure d'exécuter les tâches militaires :

- dans n'importe quelle condition climatique;

- sans préavis; et démontrer :

- sa capacité d'exécuter une activité physique imprévue;

- sa capacité de prendre ses repas à des heures irrégulières, de consommer des rations sèches en quantités limitées et même de sauter complètement des repas;

- sa capacité de voyager comme passager à bord d'un aéronef des FAC (6)

[39] Chaque militaire, quel que soit son grade, devait satisfaire à ces exigences absolues. S'il ne satisfaisait pas à l'une d'entre elles, il était susceptible d'être jugé inapte à se conformer au principe d'universalité du service.

[40] Le Dr Lee, qui travaille depuis longtemps comme physiologiste de l'exercice au sein des FAC, a affirmé dans son témoignage qu'il n'y avait pas de rapport entre ces tâches militaires générales et la capacité de l'individu de réussir le test EXPRES ou tout autre exercice scientifiquement quantifiable. Vers la fin des années 80, le Dr Lee a contribué à l'élaboration et à l'évaluation des normes d'aptitude physique des FAC. Le Dr Lee et des collègues se sont livrés, en collaboration avec l'Université Queen's, à des recherches dans le domaine de la physiologie de l'exercice et de l'ergonomie et ont élaboré des normes minimales d'aptitude physique. Même s'il prônait l'utilisation du test EXPRES pour mesurer la capacité d'un membre d'exécuter les tâches militaires de base, le Dr Lee a critiqué le recours théorique aux tâches militaires générales comme norme d'évaluation de la conformité au principe d'universalité du service. Il a posé des questions : Qu'entend-on par creuser une tranchée individuelle? Quelle doit en être la profondeur? La longueur? Le service administratif des FAC a fait la sourde oreille à ses critiques et conçu et mis en œuvre les tâches militaires générales.

[41] Ce n'est qu'après un examen du principe d'universalité du service (décembre 1999) qu'on a renoncé aux tâches militaires générales pour évaluer l'universalité du service. On a alors reconnu qu'une grande lacune des tâches militaires générales en tant que mesure des aptitudes de chaque militaire était qu'on avait défini un grand nombre de tâches de façon vague sans préciser les paramètres (quand, où, comment) régissant leur exécution et, s'il y a lieu, le niveau individuel de compétence ou la norme de rendement nécessaire. On a recommandé au terme de l'examen de recourir à des normes minimales de sécurité, d'efficacité et de fiabilité pour évaluer l'universalité du service.

[42] Outre les cinq tâches communes et les tâches militaires générales, il y avait des lignes directrices (datant de septembre 1999) qui décrivaient les fonctions générales et particulières d'un technicien en aéronautique.

vi)Universalité du service

[43] Tous les membres des FAC sont depuis longtemps soumis au principe d'universalité du service. Avant 1999, les FAC ont défini l'universalité du service de diverses façons : soldat d'abord, gens de métier ensuite, capacité d'exécuter les tâches militaires générales prescrites dans les descriptions des exigences fondamentales, etc. (7). Ces diverses définitions ne comportaient pas toutes les mêmes éléments. La capacité d'être déployé n'était pas un élément commun. La plupart des définitions faisaient état de l'obligation d'exécuter des tâches militaires générales qui n'étaient pas nécessairement liées à l'exécution de tâches concrètes démontrables. Elles ne faisaient pas toutes mention des conditions dans lesquelles ces tâches devaient être accomplies.

[44] Après décembre 1999, les FAC ont remanié leurs politiques en matière d'universalité du service. À l'occasion de l'examen du principe d'universalité du service des FAC en décembre 1999 (l'examen de décembre 1999), les FAC ont reconnu que l'universalité du service à proprement parler était un concept vague. Les FAC ont confirmé que les décisions des tribunaux définissant l'universalité du service comme l'obligation de chaque militaire de participer au combat étendaient trop la portée des dispositions législatives citées puisque l'art. 33 de la Loi sur la défense nationale précisait simplement que les militaires sont soumis à l'obligation de service légitime (8). Les FAC ont fait état des difficultés que causaient les interprétations des tribunaux assimilant l'universalité du service à la nécessité de livrer combat, faisant remarquer que certains membres des FAC (p. ex., les aumôniers, le personnel soignant et, depuis peu, les individus âgés de moins de 18 ans) ne peuvent aller au combat. En outre, les FAC ont fait l'observation suivante :

… il y a une grande différence entre l'obligation générale d'accomplir un devoir légal quelconque et le devoir non précisé de livrer combat. Cette distinction suppose que le sens du devoir légal pourrait changer advenant une modification de la politique ou des missions de la Défense, ou des descriptions professionnelles. En ultime analyse, il semble plus plausible que le paragraphe 33(1) [LDN] réaffirme simplement l'autorité globale de l'État et des Forces canadiennes sur chacun de leurs membres en ce qui concerne l'assignation des tâches, et on peut penser qu'il a été écrit délibérément de cette façon afin de conférer à l'État et aux FC la souplesse nécessaire pour modifier éventuellement le sens du devoir légal à la suite de l'évolution du contexte stratégique, de nouveaux engagements au niveau de la défense et d'une transformation des capacités de la main-d'œuvre (9). [Nous soulignons.]

[45] Les FAC ont reconnu que la politique en matière d'emploi était jusqu'à un certain point discrétionnaire et qu'elles pourraient à un moment donné adopter une politique définissant l'obligation de service légitime conformément à leurs objectifs courants en matière de défense. Comme l'ont si bien dit les FAC elles-mêmes, le principe d'universalité du service vise à réconcilier les contradictions entre les capacités et les engagements (10).

[46] Par ailleurs, l'examen a permis de constater que bien que tous les membres doivent contribuer à la mission de défense, aucune raison logique ne justifie que tous ceux qui portent l'uniforme soient aptes à combattre ou déployables pour contribuer à l'efficacité globale des opérations des FC (11). On a fait valoir que même si le rôle des FAC est de défendre le Canada et ses intérêts en prenant les armes, au besoin, cela ne signifie pas que chaque militaire doit être capable de recourir à la force armée. Cette analyse a amené les responsables de l'examen des FAC à faire les recommandations suivantes :

- définir de manière stricte le principe d'universalité du service en tant qu'obligation pour tous les membres des FAC d'accomplir n'importe quel devoir légitime, et notamment d'être employable et déployable à des fins opérationnelles;

- établir des règles d'affectation opérationnelle confirmant cette obligation, à moins qu'on ait consenti une exemption justifiable ou qu'on ait accordé une dérogation pour tenir compte des limites professionnelles de la personne dans le cadre d'autres procédures des FAC (12).

vii)Accommodement

[47] Avant 2000, année où les nouvelles politiques sur l'universalité du service ont été adoptées, les FAC ne composaient guère avec les militaires qui ne satisfaisaient pas au principe de l'universalité du service.

viii) Accommodement particulier et limité -- Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction

[48] Le maintien des militaires qui ne pouvaient exécuter leurs tâches militaires générales ou professionnelles, peu importe l'endroit et le moment, pouvait être recommandé uniquement dans des cas particuliers :

  1. cas où le militaire pouvait continuer de servir avec quelques limitations mineures ou à la condition d'être reclassé;
  2. cas où le militaire possédait une compétence particulière dont on avait un besoin urgent, auquel cas on pouvait le maintenir en fonction jusqu'à ce qu'on lui trouve un remplaçant qui soit à la hauteur;
  3. cas où le militaire allait atteindre dans moins de deux ans une étape importante dans sa carrière, auquel cas on pouvait le maintenir en fonction jusqu'à ce moment mais pas au-delà (13);
  4. cas où des circonstances vraiment exceptionnelles justifiaient le maintien en fonction du militaire. (À noter que le fait de tenir l'intéressé en haute estime n'était pas jugé suffisant.)

[49] L'examen de décembre 1999 a confirmé qu'initialement, les décisions relatives à l'aptitude à l'emploi n'étaient pas fondées sur une analyse empirique détaillée. En fait, une politique adoptée avant 1985, qui est demeurée en vigueur jusque dans les années 90, permettait de composer avec les militaires qui ne satisfaisaient pas à la norme médicale qui s'appliquait à leur groupe professionnel mais qui étaient aptes à occuper 80 p. 100 des postes permanents pertinents. Ces militaires pouvaient être maintenus en fonction sans limitation de carrière (14). Cette politique a été modifiée, avec le résultat qu'à compter de janvier 1996, les gestionnaires de carrières ne pouvaient plus, en vertu de la nouvelle politique, déterminer le pourcentage d'aptitude à l'emploi des militaires qui ne satisfaisaient pas au principe d'universalité du service en raison de leurs restrictions professionnelles (15).

[50] Il a été recommandé, dans le cadre de l'examen de décembre 1999, de remanier la politique en matière d'accommodement. Les FAC ont reconnu qu'elles devraient, dans la mesure où il n'en résulte pas une contrainte excessive, composer avec les militaires qui, en raison de leurs restrictions à l'emploi d'ordre médical, ne se conformaient pas au principe de l'universalité par rapport à chaque norme professionnelle pertinente. Les responsables de l'examen ont recommandé que les FAC délaissent le modèle de la tolérance zéro et adoptent un modèle comportant un certain degré de risque. On a conclu à la suite de l'examen que les FAC n'avaient pas fait montre par le passé de toute la souplesse possible en matière d'accommodement.

ix) Adaptation des normes en fonction de la probabilité d'avoir à exécuter des tâches militaires

[51] En outre, on a reconnu que lors de l'examen de décembre 1999 certaines personnes au sein des FAC étaient d'avis que les normes minimales d'aptitude physique devraient être adaptées au grade ou à la probabilité d'avoir à exécuter des tâches militaires générales ou des activités physiquement exigeantes. Par exemple, dans le cas d'un officier, on a admis à l'occasion de l'examen que les décisions des conseils de révision des carrières n'accordaient pas beaucoup d'importance à la capacité de l'officier d'exécuter des tâches militaires générales. Cette lacune était attribuable en partie au fait que les tâches étaient mal définies et au fait que les officiers avaient de plus grandes responsabilités de gestion et de surveillance et qu'il existait dans leur cas des possibilités d'emploi plus nombreuses. Malheureusement, cet argument en faveur de l'adaptation des normes à la probabilité d'avoir à accomplir des tâches militaires a été rejeté à l'interne pour le motif que :

[Traduction]

… il était essentiel d'assurer la cohérence de la politique pour demeurer crédible auprès de la Commission des droits de la personne. Autrement dit, le groupe de travail a conclu qu'il serait préférable de défendre une politique unidimensionnelle qui semblait homogène mais qui avait peu ou pas de fondement empirique, plutôt que de tenter de défendre une politique de différenciation reflétant plus fidèlement les exigences des ifférents niveaux de rangs (16). [C'est nous qui mettons en caractères gras.]

x) Capacité d'accommodement des FAC -- PRF/Restrictions budgétaires 1994-1995

[52] Les FAC ont procédé à un grand nombre de mises à pied au cours des années 1994 à 1998. Quelque 8 100 postes militaires ont été abolis en raison des importantes restrictions budgétaires. L'ampleur de ces mesures a été telle qu'un programme spécial de réduction des forces a été conçu pour encourager les membres à prendre volontairement leur retraite. Ceux qui se sont prévalus du programme ont bénéficié d'un stimulant pécuniaire. Toutefois, plusieurs années plus tard, l'examen de décembre 1999 a confirmé qu'il y avait à l'époque (décembre 1999) 6 000 postes militaires non essentiels (PMNE) au sein de la force régulière. On a alors reconnu que la capacité d'accommodement des FAC était peut-être empiriquement supérieure à ce qu'on avait traditionnellement prétendu (17).

xi) Politiques de novembre 2000 -- Mesures d'accommodement raisonnables

[53] En novembre 2000, les FAC ont apporté des modifications à la politique en matière d'universalité du service. Ces modifications prévoient que les FAC prendront désormais des mesures d'accommodement raisonnables à l'égard des militaires assujettis à des restrictions à l'emploi pour des raisons médicales qui ne peuvent respecter le principe d'universalité du service (18). Ces membres devaient être maintenus à l'effectif, sous réserve de réévaluation périodique, tant qu'ils pourraient être pleinement employés dans un poste établi pour leur grade et GPM et que la cadence opérationnelle serait telle que les autres militaires de ce grade et GPM n'éprouveraient pas de difficultés indues suite à cette décision; … les capacités et les limites du militaire seront évaluées en fonction d'exigences professionnelles valables (19). Un accommodement est possible si le militaire peut être affecté à un poste prévu à l'effectif pour son grade et GPM dans lequel il peut accomplir toutes les tâches normales. Par exemple, un fantassin qui peut accomplir toutes les tâches normales d'un poste établi dans un bataillon d'infanterie mais qui ne peut être affecté dans un théâtre d'opérations à haut risque sera maintenu en fonction si la chaîne de commandement et l'autorité de gestion de la Branche de l'infanterie permettent qu'un certain nombre de postes ou un pourcentage des effectifs d'une unité servent à l'affectation des soldats qui ne satisfont pas au principe d'universalité du service. Par ailleurs, le soldat pourrait également être réaffecté à un poste de soutien de garnison établi pour son GPM dans lequel il pourrait accomplir toutes les tâches normales. Normalement, il n'y aura pas de possibilité d'accommodement s'il n'y a aucune vacance dans le GPM au niveau de grade visé. On a mis en place une structure administrative pour gérer les limites à la capacité d'accommodement des FAC.

[54] Tout en maintenant les concepts de l'universalité du service en termes d'aptitude à l'emploi et de capacité de déploiement, les politiques de novembre 2000 prévoyaient l'accommodement des militaires assujettis à des restrictions à l'emploi. Les membres peuvent occuper des postes dans lesquels ils ne sont pas directement exposés à une des tâches ou conditions de travail visées par le principe d'universalité du service. Néanmoins, ils sont susceptibles d'être réaffectés, au besoin, par les FAC. Chaque cas doit être évalué individuellement dans l'optique de l'accommodement.

xii) Méthode d'évaluation de la capacité d'exécuter les tâches militaires générales

[55] Une autre caractéristique étonnante de la politique des FAC en matière d'universalité du service avant décembre 1999 était que l'incapacité d'un militaire d'exécuter les tâches militaires générales n'était portée à l'attention des médecins militaires que si le militaire signalait lui-même cette incapacité dans le cadre de l'examen médical usuel mené tous les cinq ans (20) ou s'il se présentait à l'infirmerie pour recevoir des soins médicaux. Il n'existait aucune autre évaluation officielle de la capacité du militaire de satisfaire à ces exigences et il n'y avait pas de vérification objective de ses dires. Les FAC ont elles-mêmes admis que même si la norme exigeant d'être capable d'exécuter les cinq tâches communes mesurées, capacité évaluée grâce au test EXPRES, a été conçue et validée en tant que mesure de la capacité du militaire de satisfaire aux exigences physiques propres aux tâches militaires communes, elle n'a pas été appliquée à titre de norme en matière d'universalité du service (21). Les FAC ont fait observer que l'une des conséquences malheureuses de ces pratiques était que :

[Traduction]

les médecins militaires sont devenus, par défaut, les principaux agents d'application des normes communes en matière de préparation opérationnelle individuelle. Outre qu'elle est incongrue, compte tenu de leur rôle et de leurs responsabilités, cette situation entrave leur capacité de prodiguer des soins aux militaires qui peuvent être réticents à leur faire part de leurs problèmes médicaux (22).

[56] Par conséquent, la tâche de déterminer si un militaire satisfaisait à tous les aspects du principe d'universalité du service retombait sur les épaules des médecins militaires, situation inappropriée et incohérente. Ce n'est pas le cas aujourd'hui puisque, depuis l'examen de décembre 1999, les membres des FAC qui réussissent le test EXPRES sont réputés se conformer au principe d'universalité du service. L'examen a recommandé que l'universalité du service soit fondée sur trois critères généraux :

  1. l'aptitude à satisfaire aux exigences physiques du service militaire général, telle qu'indiquée par l'accomplissement des cinq tâches communes;
  2. l'aptitude à exécuter les éléments d'habilité propres aux tâches opérationnelles communes, telle qu'indiquée par des évaluations usuelles satisfaisantes de l'unité et lors de l'entraînement préalable au déploiement;
  3. la déployabilité opérationnelle, telle qu'indiquée par l'absence de restrictions médicales ou autres influant sur la capacité d'être déployé (23).

[57] Il est donc recommandé de modifier le rôle singulier des médecins militaires en tant que chiens de garde du principe d'universalité du service.

D. Situation particulière de M. Irvine

[58] C'est sur la toile de fond que constitue la description de ces politiques que j'examinerai la situation particulière de M. Irvine.

i)Antécédents généraux

[59] M. Irvine était membre de l'Aviation royale du Canada depuis juillet 1967. Au moment où il s'est enrôlé à l'âge de 19 ans, il était technicien en aéronautique (simple soldat). À l'heure actuelle, il est âgé de 53 ans. Sa passion pour l'aviation et les gens l'ont amené à exceller. Au fil des années, il a été promu caporal, caporal-chef, sergent, adjudant et, finalement, adjudant-maître.

[60] M. Irvine a complètement cessé de fumer en 1990. Dès février 1987, on l'a averti qu'il avait un excédent de poids. Entre ce moment et la date de sa libération, il a tenté à maintes reprises, avec un succès mitigé, de réduire son poids par divers moyens : régime alimentaire, exercice, médicaments. Le personnel et les médecins des FAC l'ont conseillé dans sa démarche.

[61] En décembre 1992, M. Irvine a éprouvé des douleurs thoraciques. Il s'est rendu à l'hôpital Royal Alexandria, où on l'a trouvé asymptomatique; toutefois, on lui a conseillé d'opter pour un régime modéré en lipides et de perdre du poids. Il avait également souffert en février 1993 de douleurs thoraciques qu'il avait signalées à l'hôpital de la base. Peu de temps après, le médecin de la base l'a examiné; il a également discuté avec lui des facteurs de risque qu'il présentait et qui faisaient de lui un bon candidat aux attaques cardiaques. On l'a jugé apte à retourner au travail et on ne lui a pas prescrit de médicaments pour abaisser ses niveaux de cholestérol. Les résultats de l'épreuve d'effort qu'il a subie le 1er avril 1993 ont été tellement excellents que son cardiologue n'a pas recommandé de suivi ou de plus amples investigations à l'époque.

[62] M. Irvine avait toujours subi avec succès les tests EXPRES auxquels il avait été soumis; cependant, en janvier 1994, il n'a pas réussi le volet tractions du test. Il a subi un nouveau test EXPRES deux mois plus tard (mars 1994) et l'a réussi. Malheureusement, dans les 24 heures qui ont suivi, il a souffert d'une attaque cardiaque (30 mars 1994). Suite à une enquête sommaire menée par les FAC en 1994, on a conclu que cette crise cardiaque [Traduction] était attribuable à son [Traduction] service militaire puisque le test EXPRES des FAC avait [Traduction] aggravé une condition médicale existante.

[63] Après cette attaque cardiaque, M. Irvine a subi une angiographie et un double pontage aortocoronarien, y compris une transplantation de veines coronaires. C'est le Dr Koshal, du University of Alberta Hospital, qui a pratiqué l'intervention.

[64] Jusqu'en mai 1994, M. Irvine avait la cote G2O2. En mai 1994, on lui a attribué provisoirement (pour une période de six mois) la cote G4O4. Cette cote était assortie des restrictions suivantes :

[Traduction]

accès facile à des soins médicaux et [Traduction] travaux légers seulement. On lui a attribué une cote provisoire en attendant qu'il récupère, que son état de santé se stabilise et qu'on obtienne des rapports et des recommandations à son sujet. Le médecin-chef de l'escadre, le Dr Christiansen, a informé le médecin militaire de M. Irvine que [Traduction] la meilleure cote médicale [permanente] possible dans son cas serait G4O3. Peu de temps après, le Dr Hui, un cardiologue dont les FAC avaient retenu les services pour conseiller les médecins-chefs de la base au sujet de la situation de M. Irvine, a consulté les médecins de ce dernier, les Drs Black et Koshal. Le 13 juin 2001, le Dr Hui a déterminé que M. Irvine était apte à reprendre le travail à temps plein et qu'il n'y avait pas lieu, du point de vue cardiaque, de restreindre ses activités physiques. Il a prévenu M. Irvine qu'il lui fallait travailler très fort pour réduire les facteurs de risque; à cette fin, il devait faire régulièrement de l'exercice et modifier son régime alimentaire. M. Irvine s'est plié à ces directives et a modifié ses habitudes alimentaires (élimination du sucre et du sel et consommation de café décaféiné seulement). Il s'est également engagé à suivre un programme d'exercice auquel il s'astreint encore aujourd'hui.

[65] Le 10 juin 1994, M. Irvine a entrepris un programme de réadaptation cardiologique de huit semaines au Glenrose Rehabilitation Hospital, sous la surveillance du Dr Black, un cardiologue. Il a alors été soumis à une épreuve d'effort sur tapis roulant. Cette épreuve fait appel à une méthode d'évaluation désignée sous le nom de protocole de Bruce. Elle est structurée en fonction de paliers de trois minutes et comporte au total sept paliers. Il s'agit de courir sur le tapis roulant jusqu'à ce qu'on atteigne la fréquence cardiaque maximale prévue. Le sujet moyen peut persévérer pendant neuf minutes tandis qu'un athlète comme Wayne Gretsky peut courir durant 21 minutes. Le test ESPRESS est fondé lui aussi sur l'épreuve d'effort sur tapis roulant. En juin 1994, M. Irvine a été incapable de courir pendant plus de huit minutes sur le tapis roulant; sa fréquence cardiaque et sa tension artérielle ont augmenté très rapidement. Le Dr Black a trouvé que sa forme laissait à désirer. Cependant, il n'a pas éprouvé de douleurs thoraciques ni présenté de signes d'ischémie.

[66] Après l'attaque cardiaque, les superviseurs immédiats de M. Irvine ont continué d'être impressionnés par ses compétences. Le 6 juillet 1994, il a été promu au poste d'adjudant-maître, promotion qui devait entrer en vigueur le 17 août 1994. Il a été muté (d'Edmonton à Halifax). Le 12 juillet 1994, sa promotion a été différée jusqu'à ce que sa cote permanente ait été attribuée. M. Irvine s'est entretenu avec son officier des carrières qui l'a encouragé à quitter son poste en Alberta et à se rendre à Halifax afin de remplir à titre intérimaire les fonctions d'adjudant-maître en attendant une décision finale quant à sa capacité de servir dans les FAC. Il s'est fait dire qu'une fois que sa cote définitive aurait été attribuée, il recevrait un paiement rétroactif à la date de son entrée en fonction à titre d'adjudant-maître.

[67] Avant de déménager à Halifax, M. Irvine a continué de faire l'objet d'un suivi à l'hôpital Glenrose en août 1994. Il a alors été soumis à une épreuve d'effort sur tapis roulant. Il a été capable de persévérer pendant 10 minutes jusqu'à ce qu'il atteigne la fréquence cardiaque maximale (180). Il n'a éprouvé aucune douleur thoracique et n'a manifesté aucun signe d'ischémie. Le 29 août 1994, le Dr Black a écrit que M. Irvine avait fait d'excellents progrès depuis son admission au programme. Il a également écrit ce qui suit :

[Traduction]

Ses pontages semblent avoir réussi. Il manifeste une tolérance améliorée et raisonnable à l'exercice et poursuivra son régime alimentaire et son programme d'exercice. Il semble certes prêt à reprendre ses fonctions à temps plein. Le Dr Black a confirmé que M. Irvine mettait fin prématurément à son programme de réadaptation, mais il n'a exprimé aucune préoccupation à ce sujet.

[68] M. Irvine a déménagé à Halifax à la fin d'août 1994. À titre d'adjudant-maître, ses principales fonctions consistaient à présider des réunions, à superviser des techniciens en aéronautique et à s'assurer de la compétence du personnel chargé du rodage des aéronefs. Il exerçait des fonctions d'adjudant tout en faisant preuve des qualités supérieures qu'il faut avoir pour diriger un escadron.

[69] En novembre 1994, le Dr Buchholtz, chef, Médecine, qui agissait comme médecin-conseil auprès des FAC, a examiné M. Irvine. Il a indiqué que ce dernier avait fait un excellent travail au niveau de la maîtrise des facteurs de risque, mais que ses niveaux de lipides demeuraient anormaux. Il a lui a donc prescrit un médicament (le Lipidil). Il l'a également inscrit à un test d'effort Mibi afin d'évaluer la progression de la maladie. L'expert a ensuite formulé des recommandations au sujet de sa cote médicale.

[70] Le test d'effort Mibi est un procédé d'évaluation sûr et simple. Il consiste à consigner les résultats d'un ECG avant, durant et après l'exercice, qui consiste habituellement en une épreuve sur un tapis roulant. Cette méthode permet de mesurer le volume ventriculaire, la fraction d'éjection et le mouvement de la paroi ventriculaire, au repos et durant l'exercice, et de déceler un dysfonctionnement global ou régional transitoire du ventricule gauche en raison d'une ischémie (24). Le test peut être amélioré en injectant au sujet des radioisotopes et en évaluant l'irrigation cardiaque régionale à l'aide d'une caméra gamma.

[71] Le 24 novembre 1994, M. Irvine a été soumis à une épreuve d'effort sur tapis roulant. Il a persévéré pendant 10 minutes, atteignant une fréquence cardiaque maximale de 170. Il n'a éprouvé aucune douleur thoracique malgré l'effort fourni (11 METS), ce qui constituait un très bon résultat (25). Il ne manifestait aucun signe d'ischémie et, selon l'évaluation de décembre 1994 du Dr Buchholtz, il était complètement asymptomatique et ses progrès étaient excellents. M. Irvine avait perdu 35 livres et ses niveaux de cholestérol étaient normaux. Le Dr Buchholtz était enclin à recommander la cote G3O3 qui, croyait-il, était justifiée à long terme. Cependant, le Dr Buchholtz a écrit que les niveaux de cholestérol de M. Irvine étaient normaux alors qu'en fait, un rapport de laboratoire d'octobre 1994 indiquait qu'ils étaient encore très élevés.

[72] Le 16 janvier 1995, un médecin-examinateur de la base, le Dr MacKinnon, a recommandé la cote G3O3, jugeant M. Irvine apte à être promu. Toutefois, le cas de M. Irvine a été porté à l'attention du Dr Kafka, médecin-chef de la base, par les Drs Dubinsky et MacKinnon. Le 7 février 1995, le Dr Kafka a examiné le graphique de M. Irvine du point de vue de la maîtrise des facteurs de risque. Il n'était pas opposé à l'attribution de la cote O3, mais il avait des inquiétudes au sujet de la portion G3. Le Dr Kafka a déterminé que M. Irvine était un ex-fumeur, que, même s'il avait beaucoup réduit son poids après son attaque cardiaque, il était encore plus lourd qu'en 1990, et que son dernier test de cholestérol indiquait des niveaux de cholestérol plus élevés que ceux constatés par le Dr Buchholtz en décembre 1994. Le Dr Kafka a confirmé qu'il avait recommandé la cote G3 :

[Traduction]

pour un petit groupe de patients qui, après avoir subi un pontage aortocoronarien, ne manifestaient aucun signe d'ischémie, avaient une maladie bénigne et maîtrisaient extrêmement bien leurs facteurs de risque. W.O. Irvine devra mieux contrôler son régime alimentaire et abaisser ses niveaux de cholestérol en prenant des médicaments.

[73] Son opinion a été exprimée conformément aux politiques transitoires en vigueur à l'époque. Le Dr Kafka estimait que si M. Irvine pouvait atteindre le niveau visé de cholestérol LDL (2.6), il ne serait pas déraisonnable de lui attribuer la cote G3. Cependant, l'opinion du Dr Kafka était fondée sur la prémisse que M. Irvine serait soumis à une évaluation basée sur le test d'effort Mibi et subirait une angiographie dans une autre année afin que les FAC puissent recueillir des données sur les membres qui maîtrisaient extrêmement bien les facteurs de risque après avoir subi une attaque cardiaque. L'angiographie, c'est-à-dire l'injection d'un colorant dans le ventricule gauche afin d'en évaluer la fonction, est un procédé effractif. Le Dr Fisher a confirmé qu'il pouvait constituer un danger de mort et qu'on ne devrait y recourir uniquement lorsqu'il est vraiment à l'avantage du patient de le faire.

[74] Le 13 février 1995, le Dr Dubinsky a constaté que M. Irvine devait contrôler encore mieux son poids et ses lipides. Le même jour, il a exempté M. Irvine de l'obligation de subir un autre test EXPRES. Aucune explication n'a été fournie à l'appui de cette décision. Le 23 février 1995, on a relevé que partiellement la cote professionnelle de M. Irvine (à G4O3, provisoirement pour une période de quatre mois). On estimait qu'il était apte à exécuter la plupart des tâches avec modération et à suivre un entraînement physique à son propre rythme mais que, du point de vue géographique, il était [Traduction] inapte à servir en mer ou en campagne, dans une mission des Nations Unies ou dans un poste isolé et devait faire l'objet d'une surveillance médicale étroite.

[75] Le 4 juillet 1995, le Dr Buchholtz, qui agissait comme médecin-conseil, a observé que M. Irvine avait fait un [Traduction] excellent programme d'exercice et qu'il se faisait suivre par le service de diéto-thérapie. Le niveau global de cholestérol de M. Irvine avait baissé, mais son niveau de cholestérol LDL (un type particulier de cholestérol) demeurait supérieur au niveau cible de 2.6. Le Dr Buchholtz a souscrit à l'opinion du Dr Kafka et convenu que la cote G4 serait justifiée s'il n'y avait pas de changement au niveau des facteurs de risque. Toutefois, il a noté que M. Irvine faisait de l'exercice et suivait son régime et il a émis l'opinion que dans la mesure où il continuait de s'astreindre à son programme d'exercice et de diminuer ses risques, il serait apte à accomplir toutes les activités et qu'on pourrait lui attribuer la cote G3, étant donné qu'il pourrait servir dans un poste isolé ou à l'étranger.

[76] Le 11 juillet 1995, la cote géographique de M. Irvine a été révisée à la hausse, passant à G3O3 ([Traduction] état médical exigeant une surveillance médicale étroite conforme aux normes professionnelles). Toutefois, aussitôt après, son officier des carrières a annexé un papillon à son dossier et l'attribution de sa cote médicale a été mise en veilleuse jusqu'à l'examen de son dossier par le Comité de la coronaropathie à la DSTSS. On a établi un nouveau formulaire de modification de cote, qu'on a apparemment antidaté et sur lequel on a inscrit la cote G3O3 tout en précisant que cette cote serait réexaminée par le Comité de la coronaropathie.

[77] À l'époque, sa base continuait de faire des recommandations extrêmement favorables et de faire l'éloge de son rendement et de sa capacité d'accomplir toutes ses tâches d'adjudant-maître. Ses superviseurs qualifiaient son rendement d'exemplaire tout en affirmant qu'il avait obtenu des résultats exceptionnels dans tout ce qu'il avait entrepris. Ils ont écrit que les pressions et les défis inhérents aux responsabilités d'adjudant-maître ne l'effrayaient pas et ont recommandé qu'il soit promu sans tarder au grade d'adjudant-maître. En ce qui concerne la possibilité qu'il puisse servir à l'étranger, son colonel et son commandant ont écrit :

[Traduction]

Comme il ne lui reste que sept ans avant l'ARO [âge de la retraite obligatoire], il est probable qu'il demeurera toutes ces années-là à un poste CP140 (26). À ce titre, il est très peu probable qu'il doive servir en campagne, en mer, dans une mission des Nations Unies ou dans un poste isolé. Je recommande fortement qu'il soit maintenu dans son poste actuel sans limitation de carrière.

[78] Le 30 août 1995, un Comité de la coronaropathie s'est penché sur le dossier médical de M. Irvine et a noté que le médecin-conseil avait recommandé la cote G4O3 tout en précisant que la cote G3 pourrait être attribuée si son niveau de lipides baissait, que le médecin-chef de la base avait recommandé la cote G3O3 (surveillance médicale étroite). Le Comité de la coronaropathie, conformément aux politiques de 1979, l'a considéré comme inapte au service dans deux éléments ou plus et a recommandé comme cote médicale permanente :

[Traduction]

G4 : doit pouvoir recourir aux services d'un médecin; inapte au service en mer ou en campagne, dans une mission des Nations Unies ou dans un poste isolé; et O3 : capable de suivre un entraînement physique, dont la nature, la durée, la fréquence et l'intensité peuvent toutefois être limitées; pas d'exercice physique violent ou soutenu.

[79] En abaissant la cote de M. Irvine, le Comité de la coronaropathie a précisé ce qui suit :

[Traduction]

Facteurs de risque : excès de poids, dyslipidémie, antécédents familiaux de maladie du cœur, ex-fumeur. 2-Maladie des vaisseaux sanguins; présente encore des facteurs de risque élevé.

[80] M. Irvine ne présentait pas d'ischémie et le Comité ne s'est pas interrogé au sujet de la fraction d'éjection (27).

[81] Dans sa déclaration médicale, le Comité de la coronaropathie a formulé en septembre 1995 l'avis suivant, conformément aux politiques de septembre 1995 :

[Traduction]

W.O. Irvine, technicien en aéronautique, souffre d'une affection cardiaque et risque fort de subir une attaque qui pourrait s'avérer fatale.

[82] En janvier 1996, les FAC ont divulgué à M. Irvine des documents indiquant que son cas serait soumis au Conseil de révision des carrières afin de déterminer les mesures qu'il convenait de prendre relativement à sa carrière et qu'il pouvait lui transmettre des documents écrits. Contrairement aux politiques qui prévalaient, la question a été soumise au Conseil de révision des carrières en vue d'un nouvel examen.

[83] M. Irvine continuait dans l'intervalle de recevoir des soins médicaux. En mars 1996, les médecins des FAC lui ont prescrit un nouveau médicament pour abaisser ses niveaux de cholestérol, le Lescol, le Lipidil ne s'étant pas avéré efficace dans son cas. Ce médicament a permis d'abaisser quelque peu les niveaux de cholestérol de M. Irvine qui demeuraient toutefois élevés.

[84] Le 11 avril 1996, le Conseil de révision des carrières s'est penché sur le dossier de M. Irvine. Il a fait sienne la recommandation du Comité de la coronaropathie et attribué la cote médicale permanente G4O3. Le Conseil de révision a jugé que M. Irvine [Traduction] ne pouvait remplir aucune obligation de service légitime. Il a jugé que ces restrictions à l'emploi entravaient énormément sa capacité d'exécuter l'éventail complet des tâches militaires générales et l'empêchaient de le faire dans un théâtre d'opérations. Il estimait que [Traduction] les EPJ des FAC qui s'appliquent aux techniciens en aéronautique ayant le grade d'adjudant-maître impliquent que ces derniers doivent pouvoir exécuter leurs fonctions dans un environnement tactique et en mer et accomplir des tâches ardues.

[85] Vu la disposition relative aux circonstances exceptionnelles, on ne pouvait envisager un reclassement, et ce même si on jugeait M. Irvine capable d'exécuter 86 p. 100 des tâches professionnelles propres à son grade. Le Conseil de révision des carrières a appliqué les Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction et jugé que M. Irvine ne pouvait faire l'objet de mesures d'accommodement en vertu de celles-ci.

[86] Cette décision ayant été approuvée subséquemment par la DSTSS, M. Irvine a été libéré des FAC pour des raisons médicales découlant de sa déficience à compter d'août 1996. Sa carrière de 29 ans venait de prendre fin.

[87] Craignant que les FAC ne décident finalement de le libérer, M. Irvine avait volontairement opté pour une retraite anticipée. Il a pris sa retraite le 15 août 1996 et bénéficié d'un règlement en espèces et d'une pension pleinement indexée.

ii)Situation de M. Irvine après sa libération

[88] En novembre 1996, M. Irvine est retourné à Edmonton, en Alberta, où il a consulté un médecin en pratique privée, le Dr Gregson. Après avoir confirmé que ses niveaux de cholestérol étaient élevés, le Dr Gregson a d'abord doublé sa dose de Lescol durant une période de six à huit semaines. Constatant qu'il n'y avait pas eu d'amélioration, le Dr Gregson lui a ensuite prescrit un autre médicament, le Zocor, avec le résultat que ses niveaux de cholestérol ont considérablement diminué en moins de deux mois. Le Dr Gregson a décrit ce résultat comme une [Traduction] excellente réaction au Zocor et proposé à M. Irvine de continuer de prendre ce médicament, ce qu'il fait encore aujourd'hui.

[89] Malheureusement, le 10 août 2000, M. Irvine a éprouvé des douleurs thoraciques et s'est vu diagnostiquer un infarctus sous-endocardique sans ondes Q, soit l'une des formes d'attaque cardiaque les plus bénignes du côté droit du cœur. Le Dr Black a affirmé que s'il avait à choisir entre plusieurs types d'attaque cardiaque, il opterait pour celui-là. Aucune intervention chirurgicale n'a été nécessaire. Après cette attaque, plus précisément le 14 août 2000, sa fraction d'éjection s'établissait à 45 p. 100, ce qui indiquait une excellente fonction ventriculaire. M. Irvine s'est à nouveau inscrit à un programme de réadaptation; le 18 septembre 2000, il a été soumis à une épreuve d'effort sur tapis roulant, dont les résultats ont été relativement bons. Aucun signe d'ischémie n'a alors été décelé.

E. Données médicales pertinentes

i)Médicament

[90] Le Zocor fait partie d'une catégorie de médicaments connue sous le nom de statines. Les médecins, notamment les Drs Gregson, Cheung et Black, utilisent ce médicament pour contrôler les niveaux de lipides et de cholestérol dans le sang depuis la fin des années 80 et le début des années 90. Depuis au moins le début des années 90, il est courant de prescrire le Zocor aux patients atteints de coronaropathie.

[91] Les résultats que M. Irvine a obtenus en prenant ce médicament étaient conformes à l'opinion scientifique en 1996, à savoir que les médicaments réduisaient habituellement le niveau de cholestérol LDL et le niveau total de cholestérol plus efficacement que le régime alimentaire (28). En fait, en juillet 1995, les niveaux de cholestérol de M. Irvine étaient élevés en dépit de l'excellent programme auquel il s'astreignait.

[92] Les médicaments permettent de réduire considérablement les niveaux de cholestérol. Les médicaments modificateurs des lipides sériques peuvent réduire dans une proportion de 25 à 30 p. 100 le risque de subir une autre attaque cardiaque. Les incidences sur le taux de mortalité sont moindres, le risque étant réduit d'environ 10 p. 100 (29).

ii)Prédicteurs d'accidents cardiaques futurs

a)Étendue de la maladie et fraction d'éjection

[93] Il y avait deux importants prédicteurs quant à la probabilité d'autres attaques cardiaques. L'un d'eux était l'étendue de la coronaropathie. Par exemple, plus le nombre de vaisseaux pathologiques était élevé, plus la maladie était aigu. La dysfonction du ventricule gauche était plus grave que celle du ventricule droit. Les signes d'ischémie et l'occlusion du pontage veineux constituaient d'autres indicateurs pathologiques.

[94] Le deuxième grand indicateur prévisionnel était la fraction d'éjection. La fraction d'éjection traduit la capacité fonctionnelle du ventricule gauche; une cote variant entre 45 et 49 p. 100 indique une bonne fonction ventriculaire. La fraction d'éjection varie; le patient peut améliorer celle-ci grâce à des médicaments, à la revascularisation (pontage aortocoronarien) et à l'exercice.

[95] Outre la valeur numérique correspondant à la fraction d'éjection, les données de 1994 révèlent que la capacité de prévoir la mortalité augmentait considérablement lorsqu'on examinait la fraction d'éjection à la lueur des résultats d'une épreuve d'effort sur tapis roulant. Par exemple, l'étude des données révèle des taux de survie sensiblement différents selon que le sujet atteint le 3e palier du test avec le protocole de Bruce plutôt que le 1er palier seulement. Le militaire parvenu au 3e palier conformément à certains paramètres pourrait présenter un taux de survie de 95 p. 100 comparativement à 72 p. 100 dans le cas de ceux ayant atteint le 1er palier seulement (30). Dans le cas de M. Irvine, la fraction d'éjection à la suite de son angiographie et de son double pontage aortocoronarien s'établissait à 49 p. 100 en avril 1994. Ce résultat, jumelé au fait qu'il y avait deux vaisseaux affectés, aurait pu permettre d'évaluer à 10 p. 100 la probabilité de décès au cours des trois années suivantes (31). Pour sa part, M. Irvine avait atteint le 4e palier de l'épreuve avec le protocole de Bruce sans manifester de signe d'abaissement du segment ST dénotant une anomalie cardiaque ou une ischémie (32). Il avait obtenu un bon résultat lors du test d'effort Mibi.

b)Attaques cardiaques futures -- Facteurs de risque

[96] Outre le recours à des facteurs pronostiques tels que l'étendue de la maladie et la fraction d'éjection, les facteurs de risque étaient pertinents du point de vue de l'évaluation de la morbidité et de la mortalité. Le Dr Black a affirmé dans son témoignage que des niveaux élevés de cholestérol, le tabagisme et l'hypertension constituent les trois grands facteurs de risque d'attaque cardiaque. Le fait d'avoir déjà subi une attaque cardiaque représente un important facteur de risque quant à la probabilité de subir une autre attaque. Plus particulièrement, un diabétique qui a survécu à une attaque cardiaque risque grandement d'être victime d'un autre accident. L'obésité et les antécédents familiaux sont des risques associés. L'appartenance au sexe masculin est en soi un facteur de risque (33). L'hypertension, le stress et l'inactivité physique sont d'autres facteurs de risque.

[97] Le Dr Fisher a confirmé que, contrairement à ce que pense aujourd'hui la profession médicale, on se demandait en 1995 si la dyslipidémie ou l'hypertriglycéridémie (niveaux de cholestérol élevés) étaient des facteurs de risque indépendants (34). Elle a présenté divers articles montrant à quel point l'existence possible d'un lien entre les niveaux de cholestérol élevés et l'athérosclérose était une question controversée à la fin de 1996. Certains ouvrages médicaux (p. ex., Harrison's Principles of Internal Medicine 1994) mentionnaient l'obésité abdominale parmi les facteurs de risque indépendants.

[98] En ce qui concerne le régime alimentaire, l'ouvrage Harrison's Principles of Internal Medicine 1994 confirme que le lien entre le régime alimentaire et l'ischémie cardiaque suscitait beaucoup d'intérêt et représentait à cette période un sujet de controverse. Les ouvrages scientifiques de l'époque confirment que les résultats sporadiques des efforts faits par M. Irvine pour réduire son poids étaient conformes à la norme. La modification des habitudes alimentaires et l'exercice physique régulier produisaient des résultats dans la mesure où le sujet était déterminé et discipliné :

[Traduction]

pour une poignée d'individus animés d'une motivation et d'une détermination hors du commun, on peut constater des changements impressionnants; pour le commun des patients atteints de coronaropathie, les effets d'une intervention au niveau du style de vie sont modestes (35). [Nous soulignons.]

[99] D'autres articles confirmaient que l'opinion de la population en général au sujet du poids différait de celle de la profession médicale. Selon certains ouvrages, les gens considèrent généralement qu'une alimentation riche en lipides est un facteur de risque; en revanche, seulement une faible proportion de la population estime que le poids représente un facteur de risque.

c)Incapacité de prévoir avec exactitude un autre accident

[100] En dépit de ces diverses façons de prévoir un autre accident, et malgré le fait que les Drs Fisher, Leach et Black conviennent aujourd'hui que le risque que survienne un autre accident cardiaque dans les dix ans s'établit à 30 p. 100, ce risque varie d'un patient à l'autre. Les Drs Fisher et Black et les ouvrages médicaux ont confirmé qu'un individu souffrant d'une forme bénigne de coronaropathie peut voir s'accélérer la progression de la maladie tandis qu'une personne atteinte d'une maladie grave de l'artère coronaire peut voir celle-ci progresser lentement. La maladie peut évoluer de façon imprévue ou soudaine, plutôt que graduellement.

d)Occlusion du pontage veineux

[101] Le pontage aortocoronarien consiste à implanter une veine servant de pont entre l'aorte et la partie du vaisseau coronaire située en aval de l'obstruction. Après l'intervention, il peut se produire une occlusion du pontage veineux. Il est possible de prévoir le taux d'occlusion des ponts veineux (36).

e)Test EXPRES

[102] Selon certains ouvrages, il n'est peut-être pas prudent de soumettre à un exercice rigoureux une personne atteinte de coronaropathie. Toutefois, le Dr Lee a affirmé qu'un patient souffrant de coronaropathie peut subir en toute sécurité un test EXPRES sous surveillance médicale s'il porte un moniteur de fréquence cardiaque.

III. PRINCIPES JURIDIQUES

A. Le droit

i) Articles 7 et 10

[103] M. Irvine a déposé une plainte à l'encontre des Forces armées canadiennes (FAC) en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 7 dispose que le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 10 précise que le fait, pour l'employeur, de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'amenuiser les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus. Selon l'article 3 de la Loi, la déficience constitue un motif de discrimination illicite.

ii) Universalité du service

[104] La Cour fédérale, dans sa fameuse trilogie remontant à 1993-1994 (37), a statué que l'universalité du service exigeait que chaque membre des FAC soit en tout temps apte à participer au combat même si le membre a d'autres fonctions. La Cour fédérale a écrit :

En tant que tel, il devait vivre et travailler dans des conditions inconnues dans la vie civile et être capable de fonctionner, à bref délai, dans des conditions de stress physique et émotionnel extrême et dans des endroits où des installations médicales n'étaient peut-être pas disponibles aux fins du traitement de sa maladie ou, si elles l'étaient, n'étaient peut-être pas adéquates (38).

[105] Étant donné qu'il n'aura peut-être pas accès à un médecin, le militaire ne doit pas être soumis à des restrictions professionnelles qui, dans le cas où il lui faudrait avoir accès à des soins médicaux, compromettraient la réussite de l'opération ou la sécurité de sa personne ou de ses collègues. La Cour a invoqué la Loi sur la défense nationale à l'appui de ses verdicts. La LDN précise que les militaires sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime et peuvent être obligés de rendre des services en cas de catastrophe nationale. Dans un jugement dissident, le juge Robertson a conclu que la LDN n'exige pas que tous les membres livrent combat, qu'ils sont soumis uniquement à l'obligation de service légitime, et que la LDN permet aux FAC d'adopter une politique pour déterminer les obligations légitimes qui peuvent être imposées à leurs membres. Il a confirmé la décision du tribunal de première instance en l'espèce tout en précisant que la politique du soldat d'abord n'a pas été adoptée et appliquée uniformément aux membres des FAC.

iii) Moyens de défense

[106] Lors de la période pertinente, certaines pratiques n'étaient pas considérées comme discriminatoires aux termes de l'article 15 de la Loi. Le paragraphe 15a) prévoyait que les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées ne constituaient pas des actes discriminatoires.

[107] Dans Robinson, la Cour d'appel fédérale a appliqué le critère de l'EPJ énoncé dans Etobicoke à une affaire de déficience mettant en cause les FAC. La Cour a conclu que la politique des militaires exempts de crises des FAC était directement discriminatoire et que, partant, les FAC n'avaient pas d'obligation légale d'accommodement. La Cour a toutefois évoqué la possibilité qu'un examen individuel constitue une solution pratique autre que l'adoption d'une exigence professionnelle qui est à première vue discriminatoire. C'est à l'employeur qu'il revient de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, pourquoi une politique générale d'exclusion est raisonnablement nécessaire lorsque toutes les personnes qui composent un groupe exclu ne présentent pas le même facteur de risque d'erreur humaine prévisible. Autrement dit, l'employeur doit établir que l'examen individuel n'est pas une solution de rechange pratique ou raisonnable dans les circonstances.

iv) Analyse Meiorin

[108] À la suite de la trilogie de la Cour fédérale et du dépôt de la plainte de M. Irvine, la Cour suprême du Canada a redéfini la méthode à adopter dans les affaires de discrimination. Elle a décrit la nouvelle méthode dans les arrêts rendus dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (39) [appelé également Meiorin] et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) [appelé également Grismer (40). La distinction classique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place désormais à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. Selon cette méthode, il incombe d'abord à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.

[109] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte un motif justifiable. Dans cette optique, la partie intimée doit désormais prouver :

  1. qu'elle a adopté la norme à une fin ou dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée. À cette étape, l'analyse porte non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général, par exemple la nécessité d'exécuter la tâche de manière sûre et efficace. Si l'objet général est d'assurer l'exécution de la tâche de manière sûre et efficace, il ne sera pas nécessaire de consacrer beaucoup de temps à cette étape.
  2. qu'elle a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail, et sans qu'elle ait eu l'intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur. À cette étape, l'analyse passe de l'objet général de la norme à la norme particulière elle-même;
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but poursuivi, c'est-à-dire l'exécution de la tâche de manière sûre et efficace. L'employeur doit démontrer qu'il ne peut composer avec le demandeur et les autres personnes touchées par la norme sans subir une contrainte excessive. Il doit veiller à ce que la procédure, s'il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l'accommodement tienne compte de la possibilité qu'elle puisse être indûment discriminatoire pour un motif de distinction illicite. En outre, la teneur réelle d'une norme plus conciliante qui a été offerte par l'employeur doit être adaptée à chaque cas. Subsidiairement, l'employeur doit justifier pourquoi il n'a pas offert une telle norme.

[110] L'expression contrainte excessive n'est pas définie dans la Loi. Toutefois, les arrêts Meiorin et Grismer comportent des paramètres qui permettent de déterminer si une défense fondée sur une contrainte excessive a été établie. Dans Meiorin, la Cour suprême a fait observer que l'utilisation du mot excessive laisse supposer qu'une certaine contrainte est acceptable; pour satisfaire à la norme, il faut absolument que la contrainte imposée soit excessive (41). Il peut être idéal, du point de vue de l'employeur, de choisir une norme d'une rigidité absolue. Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive.

[111] La Cour suprême a également fait remarquer que le défendeur, afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, a toujours la charge de démontrer qu'elle inclut toute possibilité d'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive (42). Il incombe au défendeur d'établir qu'il a examiné et raisonnablement rejeté toutes les formes viables d'accommodement. Le défendeur doit démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuels sans qu'il en résulte une contrainte excessive (43). Dans certains cas, le coût excessif peut justifier le refus de composer avec les personnes atteintes de déficiences. Toutefois, il faut se garder de ne pas accorder suffisamment d'importance à l'accommodement de la personne handicapée. Il est beaucoup trop facile d'invoquer l'augmentation des coûts pour justifier le refus d'accorder un traitement égal aux personnes handicapées (44). L'adoption de la norme du défendeur doit être étayée par des éléments de preuve convaincants. La preuve, constituée d'impressions, d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement (45). On devrait songer à des moyens d'accommodement innovateurs et non pécuniaires pratiques. Enfin, les facteurs tels que le coût des méthodes d'accommodement possibles devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas (46). Comme l'a fait observer le juge Cory dans Chambly c. Bergevin [1994] 2 R.C.S. 525, ce qui peut être parfaitement raisonnable en période de prospérité est susceptible d'imposer à un employeur un fardeau financier déraisonnable en période de restrictions budgétaires ou de récession.

v) Risque

[112] Dans Grismer, la Cour suprême a nettement passé outre à la jurisprudence qui s'articulait autour de l'idée de longue date que le risque suffisant peut justifier une norme discriminatoire. La Cour a confirmé que ce principe ne s'applique plus en droit tout en précisant qu'il est toujours possible d'examiner le risque sous l'angle de la contrainte, mais non comme un élément indépendant qui justifie la discrimination. Dans l'arrêt Grismer, la Cour s'est fondée sur le risque pour évaluer le degré de sécurité visé par le surintendant et comme facteur pour déterminer l'absence de mesures d'accommodement offertes aux personnes atteintes d'une déficience.

vi) Recours à une preuve d'événements postérieurs à la libération

[113] En droit du travail, une preuve ex post facto n'est recevable que lorsqu'elle est pertinente relativement à la question, c'est-à-dire lorsqu'une telle preuve aide à clarifier si le congédiement était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné (47). Appelée à contrôler la décision rendue par un arbitre à l'égard d'un employé ayant présenté un grief de congédiement, la Cour a soutenu qu'une preuve d'événements postérieurs au congédiement n'est recevable que si elle aide à clarifier la preuve relative au congédiement. La Cour a indiqué qu'en règle générale, l'arbitre qui examine une décision de congédier un employé devrait confirmer le congédiement lorsqu'il est convaincu qu'il y avait cause juste et suffisante de congédiement au moment où la compagnie a pris cette décision. Conclure le contraire reviendrait à accepter que l'issue d'un grief relatif au congédiement d'un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l'arbitre. En outre, cela mènerait à la conclusion absurde que la décision de la compagnie de congédier un employé alcoolique peut être infirmée dès que cet employé, sous le choc de son congédiement, décide de se réhabiliter même si une telle réhabilitation n'aurait jamais lieu en l'absence de la décision de le congédier. Une telle preuve peut être préjudiciable à l'une des parties et fausser l'analyse appropriée (48). Dans le contexte des droits de la personne, un tribunal des droits de la personne a statué qu'il faut évaluer la décision de mettre fin à l'emploi en fonction du moment où la décision a été prise : l'intimé a-t-il fait les recherches nécessaires pour déterminer la nature de la déficience du plaignant? Quel était son pronostic? Quels accommodements étaient nécessaires? Y avait-il d'autres fonctions que le plaignant pouvait assumer (49)? Il va sans dire que dans certaines affaires relevant du droit du travail, on a soutenu qu'il était non seulement raisonnable que les arbitres prennent en considération une telle preuve, mais aussi que le fait de ne pas le faire constituait une grave erreur (50).

IV. ANALYSE

A. Le plaignant a-t-il présenté une preuve prima facie de discrimination en contravention des par. 7a) et 7b) et de l'article 10?

i)Libération -- Par. 7a)

[114] À mon avis, M. Irvine s'est acquitté de sa charge initiale de preuve. L'état de santé de M. Irvine a certes été l'un des facteurs qui ont influé sur la décision finale des FAC de le libérer en contravention du par. 7a) de la Loi. L'avis précisait expressément qu'on le libérait pour [Traduction] raisons médicales, c'est-à-dire parce qu'il était [Traduction] atteint d'une déficience et inapte à remplir les fonctions de son GPM ou de son poste et qu'il ne pouvait plus être employé avantageusement en vertu de la politique de service existante. Les FAC ne contestent pas ce fait.

[115] Comme la libération de M. Irvine va à l'encontre du par. 7a), il n'est pas nécessaire selon moi d'analyser la question à savoir si le comportement des FAC en cours d'emploi contrevenait au par. 7b).

ii)Politiques -- Article 10

[116] Les politiques des FAC en matière de santé faisaient référence aux militaires atteints de déficiences et en particulier à ceux souffrant de coronaropathie. En vertu de ces politiques, les méthodes et critères d'évaluation n'étaient pas les mêmes que ceux qui s'appliquaient aux militaires physiquement aptes. La plainte de M. Irvine représente donc un cas de discrimination prima facie fondée sur la déficience.

[117] Les politiques et procédures des FAC en matière d'aptitude physique qui exigeaient que M. Irvine démontre sa capacité d'exécuter les tâches militaires générales dans le cadre d'un examen individuel établissaient une distinction entre les militaires physiquement aptes et les militaires atteints d'une déficience. Les militaires physiquement aptes pouvaient démontrer leur aptitude physique en réussissant le test EXPRES servant à déterminer s'ils étaient capables d'exécuter les cinq tâches communes. Une fois atteint d'une déficience, M. Irvine ne s'est pas vu offrir l'occasion de se soumettre au test EXPRES. Cette distinction au niveau des politiques applicables à M. Irvine constitue un cas de discrimination prima facie fondée sur la déficience.

B. Exigence professionnelle justifiée (EPJ)

[118] Étant donné qu'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience a été établie, il incombe aux FAC de démontrer que leurs normes en matière de santé et d'aptitude physique constituent une exigence professionnelle justifiée.

i) Effet rétroactif de l'arrêt Meiorin

[119] En ce qui concerne l'exigence professionnelle justifiée, les FAC allèguent que les arrêts Meiorin (précité) et Grismer (précité) rendus en 1999 ne s'appliquent pas à sa décision de libérer M. Irvine en 1996. L'intimée soutient qu'il est préjudiciable d'appliquer de façon rétroactive l'arrêt Meiorin à des mesures prises antérieurement par les FAC. À son avis, la nouvelle jurisprudence et ses conséquences nouvelles ne devraient pas s'appliquer à des mesures adoptées antérieurement.

[120] Je rejette cet argument. Un principe fondamental de notre système de droit veut que la common law s'applique toujours à tous les événements antérieurs, à compter du moment où les règles sont énoncées (51). Si telle n'avait pas été l'intention de la Cour suprême du Canada, elle aurait fourni des précisions à cet effet. Au contraire, la juge en chef McLachlin a confirmé le caractère immédiat de l'arrêt Meiorin dans Grismer lorsqu'elle a précisé que les employeurs et autres personnes régies par une loi concernant les droits de la personne sont maintenant requis, dans tous les cas, de tenir compte dans leurs normes des caractéristiques des groupes touchés, au lieu de maintenir des normes discriminatoires complétées par des mesures d'accommodement pour ceux qui ne peuvent pas y satisfaire. [Nous soulignons.] La Cour suprême, tant dans Meiorin que dans Grismer, a même appliqué la nouvelle méthode à des événements survenus plusieurs années auparavant. Bien que dans Meiorin l'arbitre au premier palier ait jugé que la norme (une certaine capacité aérobique) constituait une discrimination par suite d'un effet préjudiciable et que la Cour d'appel n'ait pas précisé la nature de la discrimination (directe ou par suite d'un effet préjudiciable) dans Grismer, la Cour suprême a clairement indiqué que ni le membre qui avait instruit l'affaire en première instance et jugé que la norme de conduite constituait une discrimination directe, ni les tribunaux d'examen ne bénéficiaient du nouveau critère Meiorin (52). La Cour a appliqué de façon non équivoque et sans hésitation le nouveau critère aux faits en cause.

[121] Les cours et les arbitres suivent les directives de la Cour suprême. L'affaire Entrop v. Imperial Oil (53) est un exemple de l'application rétroactive de l'arrêt Meiorin. La Cour d'appel de l'Ontario a appliqué l'arrêt Meiorin à une situation de fait qui s'était produite bien avant que cet arrêt soit rendu. En l'occurrence, la commission d'enquête de l'Ontario s'était déjà prononcée sur la plainte en se fondant sur l'analyse à deux volets de la discrimination antérieure à l'arrêt Meiorin. Bien que la décision Entrop ait été fondée sur l'analyse d'une loi prévoyant expressément que l'accommodement faisait partie de l'EPJ, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, elle aide à évaluer la tendance judiciaire relativement à cette question. Enfin, ce Tribunal a appliqué l'arrêt Meiorin à l'examen de plaintes découlant d'incidents survenus avant son prononcé (54).

ii) Questions relatives à la preuve

[122] Face à la preuve, je constate que les FAC ont omis de citer un médecin ayant examiné M. Irvine aux époques en cause. La meilleure preuve que nous ayons en ce qui touche son état de santé a été présentée par ses médecins non militaires qui ont témoigné en sa faveur au sujet de leur connaissance directe de ses antécédents médicaux. En outre, le Dr Leach, qui faisait partie du Comité de la coronaropathie, n'a pas examiné M. Irvine. En fait, le Dr Leach ne s'est pas penché sur le dossier médical de M. Irvine avant de présenter à ce Tribunal son rapport d'expert et il ne se souvenait pas de l'examen du cas de M. Irvine par le Comité de la coronaropathie dont il faisait partie. De plus, il y avait une divergence d'opinion entre le médecin dont les FAC avaient retenu les services à titre de médecin-conseil, le Dr Buchholtz, et le médecin-chef de la base des FAC, le Dr Kafka. Le Dr Buchholtz, contrairement au Dr Kafka, a examiné M. Irvine. Dans tous les cas, je préfère le témoignage des médecins qui ont examiné M. Irvine à celui des autres. Par ailleurs, j'estime que la meilleure preuve quant aux délibérations du Comité de la coronaropathie réside dans les décisions déposées en preuve, étant donné qu'aucun procès-verbal n'a été établi à la suite de la réunion.

[123] Par ailleurs, une preuve abondante a été présentée au sujet de la crise cardiaque que M. Irvine a subie en août 2000. Les FAC soutiennent que cette preuve confirme le pronostic établi par le Comité de la coronaropathie en 1995, à savoir que M. Irvine risquait de subir une autre attaque qui pourrait s'avérer fatale. J'ai admis cette preuve en l'espèce, étant donné que la Commission n'a pas posé d'objection. Toutefois, je ne l'ai pas trouvée très utile. Attribuer une importance excessive à une telle preuve reviendrait à permettre aux FAC d'étayer de façon rétroactive le bien-fondé du pronostic de 1995-1996. Cette position pose la difficulté suivante : on donnerait aux FAC le loisir de faire des évaluations moins que fiables quant à la possibilité de la survenance d'une crise cardiaque future, dans l'espoir que le temps prouverait le bien-fondé du pronostic antérieur. En outre, la date de l'instruction de la plainte pourrait dicter le résultat. Enfin, il est impossible aujourd'hui d'évaluer les facteurs ayant contribué à la dernière crise cardiaque. Il se peut fort bien qu'en dépit du fait que M. Irvine ait modifié son mode de vie, le stress qui lui ont causé sur le plan affectif la perte de son emploi et le dépôt de cette plainte ait contribué au niveau de stress et aux changements physiologiques qui ont entraîné une autre crise cardiaque.

[124] Enfin, j'estime que les politiques pertinentes sont celles qui étaient en vigueur lorsque les décisions en cause ont été prises. Le major Lussier a affirmé dans son témoignage qu'il applique habituellement les politiques en vigueur. C'est là une explication rationnelle.

iii) Universalité du service

[125] En l'espèce, ni la Commission ni M. Irvine n'a contesté le droit des FAC d'exiger qu'il exécute des tâches militaires générales en plus de ses tâches particulières de technicien en aéronautique. La seule question à débattre est la suivante : les normes de santé et d'aptitude physique qui ont été appliquées l'ont-elle été correctement et, le cas échéant, les FAC ont-elles composé avec M. Irvine sans subir une contrainte excessive.

iv) Détermination des normes ayant entraîné la libération de M. Irvine

[126] La libération de M. Irvine a été fondée sur trois évaluations médicales déterminantes.

a)Dr Kafka

[127] Le Dr Kafka a recommandé la cote G3 :

[Traduction]

pour un petit groupe de patients qui, après avoir subi un pontage aortocoronarien, ne manifestaient aucun signe d'ischémie, avaient une maladie bénigne et maîtrisaient extrêmement bien leurs facteurs de risque. W.O. Irvine devra mieux contrôler son régime alimentaire et abaisser son niveau de cholestérol en prenant des médicaments.

[128] Cette opinion est conforme aux politiques transitoires en vigueur à l'époque qui prévoyaient que la cote G4O3 serait habituellement approuvée dans le cas des militaires totalement asymptomatiques, bien qu'une cote supérieure puisse être attribuée selon les résultats cliniques et la présence ou l'absence de facteurs de risque.

b)Comité de la coronaropathie

[129] Se fondant sur les politiques de 1979, le Comité de la coronaropathie a jugé M. Irvine inapte à servir dans deux éléments ou plus et recommandé comme cote médicale permanente :

[Traduction]

G4 : doit pouvoir recourir aux services d'un médecin; inapte au service en mer ou en campagne, dans une mission des Nations Unies ou dans un poste isolé; et O3 : capable de suivre un entraînement physique, dont la nature, la durée, la fréquence et l'intensité peuvent toutefois être limitées; pas d'exercice physique violent ou soutenu.

[130] En abaissant la cote de M. Irvine, le Comité de la coronaropathie a précisé ce qui suit :

[Traduction]

Facteurs de risque : excès de poids, dyslipidémie, antécédents familiaux de maladie du cœur, ex-fumeur. 2-Maladie des vaisseaux sanguins; présente encore des facteurs de risque élevé.

[131] Dans sa déclaration médicale, le Comité de la coronaropathie a formulé, en septembre 1995, l'avis suivant conformément aux politiques de septembre 1995 :

[Traduction]

W.O. Irvine, technicien en aéronautique, souffre d'une affection cardiaque et risque fort de subir une attaque qui pourrait s'avérer fatale.

c)Conseil de révision des carrières

[132] Le Conseil a attribué à M. Irvine la cote médicale permanente G4O3. Il a conclu que M. Irvine :

[Traduction]

ne pouvait remplir d'aucune obligation de service légitime. Il a jugé que ces restrictions à l'emploi entravaient énormément sa capacité d'exécuter l'éventail complet des tâches militaires générales et l'empêchaient de le faire dans un théâtre d'opérations. Il estimait que les EPJ des FAC qui s'appliquent aux techniciens en aéronautique ayant le grade d'adjudant-maître impliquent que ces derniers doivent pouvoir exécuter leurs fonctions dans un environnement tactique et en mer…

v)Analyse selon l'arrêt Meiorin

a)Lien rationnel

[133] La première étape de l'analyse visant à déterminer si une norme constitue une EPJ consiste à définir l'objet sous-jacent. Les trois normes médicales et leurs politiques sous-jacentes visaient à assurer que M. Irvine puisse s'acquitter de manière sûre et efficace des tâches propres à son métier et des tâches militaires générales. À mon avis, les FAC ont satisfait à cette condition du critère.

b)La norme a-t-elle été adoptée de bonne foi?

[134] La deuxième étape consiste à déterminer si on a procédé aux évaluations particulières en croyant sincèrement qu'elles étaient nécessaires pour atteindre l'objectif. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que chacune des trois évaluations médicales a été menée de bonne foi afin de vérifier si M. Irvine était suffisamment apte à accomplir les tâches professionnelles générales du technicien en aéronautique et les tâches militaires générales.

[135] De plus, les politiques sous-jacentes ont été élaborées de bonne foi en croyant sincèrement que les FAC devaient garder à leur service les militaires atteints de coronaropathie.

[136] En ce qui concerne le Conseil de révision des carrières, la Commission m'a invité à conclure que les FAC n'avaient pas agi de bonne foi en soumettant M. Irvine à une évaluation du Comité de la coronaropathie et ensuite à une évaluation du Conseil de révision des carrières, même si les politiques en vigueur à l'époque ne prévoyaient pas la tenue d'une audience par ce Conseil. Je ne souscris pas à cet argument. Je conviens que le renvoi de la décision du Comité de la coronaropathie au Conseil de révision des carrières n'était pas conforme aux politiques des FAC. Les politiques ne prévoyaient nullement la tenue d'une audience par un Conseil de révision des carrières, après que le Comité de la coronaropathie eut jugé un militaire inapte à servir. Toutefois, en permettant au Conseil de révision des carrières d'examiner le dossier de M. Irvine, on se trouvait en fait à lui donner une autre chance, contrairement à ce que prévoyaient les politiques existantes. Cela constitue à mon avis une autre preuve de la bonne foi des FAC.

vi)Nécessité raisonnable et accommodement

[137] Conformément à l'arrêt Meiorin, il fallait que le cas de M. Irvine soit évalué en fonction d'une norme réaliste tenant compte de ses capacités uniques ainsi que sa dignité inhérente, dans la mesure où cela n'imposait aucune contrainte excessive. La norme proprement dite (norme médicale en l'espèce) doit prévoir un accommodement à l'intérieur de ses paramètres.

a) Politiques

1. Politiques transitoires

[138] À mon avis, les politiques transitoires prévoyant que la cote G4 serait habituellement attribuée aux membres qui deviendraient asymptomatiques faisaient oublier que les aptitudes de M. Irvine devaient faire l'objet d'une véritable évaluation individuelle. Même si elles prévoyaient une exception générale permettant d'attribuer une cote supérieure en fonction des résultats cliniques et des facteurs de risque, ces politiques ne comportaient pas de processus d'évaluation par catégorie constituant le minimum nécessaire. L'existence des lignes de conduite de septembre 1995 mettant l'accent sur l'évaluation individuelle témoigne du fait que les FAC auraient pu avoir recours à des politiques plus conciliantes tout en tenant dûment compte des autres facteurs médicalement crédibles qui devaient constituer le fondement de l'évaluation de la cote.

2. Lignes de conduite de septembre 1995

[139] En l'espèce, les FAC ont prétendu que les lignes de conduite de septembre 1995 concernant l'évaluation individuelle démontraient une plus grande souplesse d'adaptation que les politiques antérieures en vertu desquelles on classait simplement les membres atteints d'athérosclérose coronarienne dans les catégories G4-G5 et O4-O5. J'estime que les lignes de conduite de septembre 1995, dans la mesure où elles prévoyaient une évaluation individualisée, sont rationnelles et raisonnables et conformes à la preuve médicale présentée. Fait important en l'espèce, ces lignes de conduite faisaient mention de sept facteurs d'évaluation des membres atteints de coronaropathie quant à la probabilité de la survenance d'un autre accident cardiaque important dans l'avenir prévisible. Certains de ces facteurs n'ont pas été pris en compte par le Dr Kafka, le Comité de la coronaropathie et le Conseil de révision des carrières. Le recours à des tests tels que l'angiographie coronarienne et l'épreuve d'effort sur tapis roulant (couplée à un test d'effort Mibi) pour déterminer l'étendue de la maladie et la capacité fonctionnelle du militaire est un facteur très important qui était mentionné. Les restrictions à l'emploi attribuables aux effets secondaires des médicaments cardiaques étaient un autre facteur. En outre, les lignes de conduite mettaient beaucoup l'accent sur la présence d'ischémie.

[140] Cependant, les FAC ont omis à mon avis de justifier les modalités d'attribution des cotes en vertu des politiques de 1995. Bien que certaines parties de ces politiques semblent raisonnables à première vue, les FAC ont présenté peu de preuves quant aux raisons pour lesquelles l'attribution de la cote G4 plutôt que de la cote G3 représentait une exigence rationnelle et minimale dans certains cas. Par exemple, pourquoi était-il approprié d'attribuer la cote G3 à des militaires qui étaient aptes à servir dans certains éléments des FAC pendant une période maximale de six mois et(ou) qui étaient considérés inaptes au service dans un de ces éléments? Pourquoi était-il approprié d'attribuer la cote G4 à d'autres militaires qui, en raison des restrictions médicales inhérentes à leur état médical proprement dit, ou à cause des risques inacceptables pour la santé ou la sécurité de leur personne et celles de leurs collègues que comportait le milieu opérationnel, étaient considérés inaptes à servir dans deux éléments ou plus (service en mer ou en campagne, tâches opérationnelles ou postes isolés)? Pourquoi était-il approprié d'attribuer la cote G3 à un membre qui devait être vu régulièrement par un médecin militaire mais pas plus fréquemment qu'à tous les six mois et, parallèlement, pourquoi attribuait-on la cote G4 à un militaire qui exigeait des soins médicaux plus fréquemment qu'à tous les six mois? Pourquoi ces intervalles de temps étaient-ils pertinents et pourquoi constituaient-ils des exigences minimales dans le cas des militaires atteints d'une déficience et d'une coronaropathie? Les FAC ont omis d'expliquer ces questions et de s'acquitter de leur charge de preuve.

b)Évaluations

1. Évaluation du Dr Kafka

[141] À mon avis, le Dr Kafka, en insistant sur l'attribution de la cote G4O3 à M. Irvine, s'est conformé aux politiques transitoires plutôt que d'appliquer une méthode individualisée générale. Le Dr Kafka a passé outre aux opinions des autres médecins voulant que M. Irvine puisse bénéficier de la cote G3O3 et défini sa norme professionnelle pour l'attribution d'une telle cote. Les FAC ont omis de présenter suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer que la norme du Dr Kafka tenait dûment compte des autres facteurs mentionnés dans les politiques de septembre 1995, notamment le recours à des tests pour déterminer la capacité fonctionnelle de M. Irvine, la fréquence et le niveau de soins médicaux nécessaires pour traiter sa maladie de manière appropriée, et les restrictions à l'emploi attribuables aux effets secondaires des médicaments cardiaques qu'il prenait. Les FAC ont omis de tenir compte des forces de M. Irvine aux points de vue physique, professionnel et affectif par rapport à sa capacité de servir dans les FAC. La norme ne comportait pas de mesures d'accommodement.

[142] J'estime également que la recommandation du Dr Kafka voulant que M. Irvine se soumette à une angiographie coronarienne dans une autre année était inappropriée. Le Dr Kafka désirait recourir à l'angiographie, un procédé effractif qui risquait d'entraîner la mort, afin de recueillir des données sur les survivants d'attaques cardiaques qui avaient maîtrisé leurs facteurs de risque. Cette recommandation n'était pas fondée sur les besoins médicaux individuels de M. Irvine.

2. Évaluations du Comité de la coronaropathie et du Conseil de révision des carrières

[143] Les FAC n'ont pas présenté suffisamment de preuves démontrant que le Comité de la coronaropathie ou le Conseil de révision des carrières avait procédé à une évaluation individualisée subséquente de la probabilité que M. Irvine subisse un autre accident cardiaque au regard de chacun des sept facteurs.

[144] Selon le Comité, M. Irvine souffrait [Traduction] d'une affection cardiaque et risqu[ait] fort de subir une attaque qui pourrait s'avérer fatale; cependant, les FAC n'ont présenté aucune analyse faite à l'époque quant au degré de risque que survienne un autre accident cardiaque au cours des sept années à venir (il restait à M. Irvine sept années avant la retraite), compte tenu de la situation particulière de M. Irvine. On n'a pas contredit la preuve voulant que les médecins ne puissent prévoir le rythme de progression de la coronaropathie. Il s'agit d'un état non linéaire qui varie d'un individu à l'autre. Même si les Drs Fisher, Leach et Black conviennent aujourd'hui que le risque qu'un autre accident survienne dans les 10 années qui suivent s'établit à 30 p. 100, ce risque varie d'un patient à l'autre et peut être atténué considérablement si l'on abaisse les niveaux de cholestérol en prenant des médicaments. Les FAC soutiennent que les médicaments permettent de réduire de 10 p. 100 le taux de morbidité, ramenant celui-ci à environ 20 p. 100, et que ce taux constitue encore un risque important. C'est peut-être le cas, mais il n'existe guère de preuves indiquant que les FAC ont effectué une telle analyse à l'époque qui nous intéresse. Comme l'a souligné la Commission, tous les militaires qui avaient subi une crise cardiaque étaient exposés au même risque; cependant, les FAC ont gardé à leur service certains d'entre eux. Il incombait aux FAC d'expliquer pourquoi elles n'ont pas gardé M. Irvine, contrairement à d'autres militaires ayant survécu à des crises cardiaques. En outre, le fait à mon avis de s'appuyer sur de telles statistiques ne soustrait pas les FAC à leur obligation d'examiner et d'évaluer toutes les autres données disponibles qui influeraient sur la fiabilité d'un pronostic de morbidité et de mortalité.

[145] Dans le cas qui nous occupe, il y avait deux principaux indicateurs quant à la probabilité d'un autre accident cardiaque. L'un d'eux était la fraction d'éjection. Il est étonnant de constater que ni le Comité de la coronaropathie ni le Conseil de révision des carrières ne s'est enquis et n'a par conséquent tenu compte de la fraction d'éjection de M. Irvine au moment de décider de sa libération pour le motif qu'il risquait fort de subir une autre attaque qui pourrait être fatale. En fait, la fraction d'éjection de M. Irvine, telle qu'établie à la faveur d'une angiographie médicalement nécessaire, s'établissait à 49 p. 100 en avril 1994. Il était facile de trouver ce renseignement dans les dossiers médicaux de M. Irvine. S'il avait été examiné à la lueur du fait que deux vaisseaux étaient pathologiques, ce résultat, qui indiquait une bonne fonction ventriculaire, aurait permis de conclure que le risque prévisible de mortalité au cours des trois années à venir s'établissait à 10 p. 100.

[146] En outre, la fraction d'éjection, jumelée aux résultats de l'épreuve d'effort sur tapis roulant et du test d'effort Mibi avec injection de radioisotopes, aurait aidé à pousser plus loin le diagnostic de mortalité et de morbidité. Il aurait été facile de s'enquérir de la fraction d'éjection. En omettant de le faire, les FAC ont renoncé à la possibilité de faire ces évaluations. Le Dr Kafka avait même nettement envisagé de soumettre M. Irvine à un test d'effort Mibi. Toutefois, ce test ne lui a pas été administré.

[147] Le deuxième indicateur important quant à la probabilité que survienne un autre accident cardiaque était l'étendue de la coronaropathie. Le Comité de la coronaropathie et le Conseil de révision des carrières étaient en possession de données indiquant que M. Irvine était atteint d'une coronaropathie moyenne. Toutefois, les FAC n'ont présenté aucune évaluation objective faite par ces organismes à l'époque quant à l'étendue de cette maladie. Les FAC ont soutenu que deux des vaisseaux de M. Irvine étaient affectés plutôt qu'un seul. Cependant, ce n'est pas là le seul indicateur de l'étendue de la coronaropathie. Les signes d'ischémie et l'occlusion du pontage veineux constituaient d'autres indicateurs pathologiques mentionnés expressément dans les lignes de conduite de septembre 1995 (55). On ne pouvait se fier à une évaluation subjective sans dûment analyser tous les facteurs pertinents du point de vue scientifique. À mon avis, on s'en est trop remis à l'attitude ancrée à l'égard des facteurs de risque que reflétaient les politiques transitoires. Cela va à l'encontre de la raison d'être d'une évaluation individuelle, qui a pour objet de tenir davantage compte des aptitudes et caractéristiques d'un individu qu'une norme générale qui s'applique à tous les membres d'un groupe.

[148] Les FAC n'ont même pas présenté suffisamment de preuves démontrant que l'un ou l'autre des organismes a fait une évaluation individuelle minutieuse des facteurs de risque. Elles n'ont pas prouvé que le Comité de la coronaropathie n'avait pas simplement rendu une décision générale, fondée sur des impressions, voulant que M. Irvine présente encore des facteurs de risque élevé et souffre d'une affection cardiaque risquant fort d'entraîner une crise qui pourrait lui être fatale. M. Irvine présentait certes certains facteurs de risque (fait qu'il avait subi une crise cardiaque, antécédents familiaux de coronaropathie, appartenance au sexe masculin, âge, niveaux de cholestérol élevés, etc.). La prise de médicaments aurait permis de réduire vraiment ses niveaux de cholestérol élevés. Les FAC ont soutenu que les facteurs de risque demeuraient élevés pendant les 15 mois qui suivent une crise cardiaque; par conséquent, les FAC ont donné à M. Irvine suffisamment de temps pour maîtriser ses facteurs de risque. Elles ont fait valoir que le temps a un effet tonifiant. Elles ont soutenu qu'il leur était raisonnablement impossible de retarder davantage l'évaluation de M. Irvine par le Comité de la coronaropathie. À mon avis, il est impossible d'évaluer le facteur temps sans tenir compte du fait que les médicaments contribuaient considérablement à réduire le facteur de risque que les niveaux élevés de cholestérol représentent généralement pour tous les patients et dans le cas de M. Irvine en particulier. Le fait que M. Irvine ait réagi de façon excellente et rapide au Zocor après sa libération démontre que le Comité de la coronaropathie et le Conseil de révision des carrières lui ont tous deux attribué prématurément une cote permanente inférieure. À mon avis, les FAC avaient l'obligation d'attendre aussi longtemps que cela était raisonnablement possible pour permettre à M. Irvine de stabiliser son état de santé et de recourir à tous les médicaments raisonnablement disponibles et scientifiquement acceptables avant de lui attribuer une cote permanente. Les FAC ont soutenu que M. Irvine était à blâmer parce qu'il avait cessé de prendre du Lipidil et qu'il n'avait pas fait sérieusement l'essai du médicament. À mon avis, cet argument n'est pas convaincant car, que M. Irvine ait cessé ou non de prendre du Lipidil, les médecins des FAC lui avaient prescrit ce médicament en novembre 1994. Les médecins des FAC ont attendu jusqu'en mars 1996 pour lui prescrire un autre médicament susceptible d'abaisser ses niveaux de cholestérol. Ce délai de 15 mois avant de faire l'essai d'un nouveau médicament contraste nettement avec la période d'attente de six à huit semaines du Dr Gregson avant de prescrire un autre médicament. En novembre 1996, le Dr Gregson a d'abord doublé la dose de Lescol. Comme cela ne produisait pas les résultats escomptés, il a aussitôt prescrit un nouveau médicament. Il ne s'agit pas en l'espèce d'attribuer un blâme à l'une ou l'autre des parties; cependant, je crois que, compte tenu de la période d'essai de 15 mois du Lipidil, les FAC auraient dû se montrer plus patientes vis-à-vis du Lescol et faire l'essai de tous les médicaments raisonnablement appropriés pour le cas où un médicament particulier s'avérerait inefficace, avant de libérer M. Irvine.

3. Attentes proportionnées et mesurées à l'égard des personnes atteintes d'une déficience

[149] Les FAC ont négligé d'établir que les tests individuels effectués en l'occurrence n'ont pas eu d'effet discriminatoire sur M. Irvine et qu'on a tenu compte dans l'administration de ces tests de la nécessité de ne pas exercer une discrimination fondée sur la déficience. L'administration par les FAC de leur évaluation individuelle présente des difficultés à divers points de vue. D'abord, il semble que les tests individuels aient été appliqués plus rigoureusement de façon à exclure M. Irvine des FAC lorsqu'il était atteint d'une déficience que le test EXPRES l'a été lorsqu'il était physiquement apte. Étant donné que le test EXPRES comportait à l'époque -- comme encore aujourd'hui -- un faible seuil d'aptitude physique pour ceux qui n'étaient pas atteints de déficiences, seule une norme médicale ou autre proportionnée et mesurée peut être appliquée pour exclure des militaires des FAC une fois qu'ils sont atteints d'une déficience. Lorsqu'il était physiquement apte, M. Irvine, pour démontrer son aptitude physique et assurer son maintien en poste, devait se classer entre les 20e et 25e centiles. Après sa crise cardiaque, la norme a semblé beaucoup plus exigeante. Il est discriminatoire d'évaluer les militaires en santé au moyen d'une norme indulgente et d'évaluer les militaires atteints d'une déficience en fonction d'une norme rigide. La barre devrait être mise plus haut uniquement dans le cas des militaires en santé.

[150] Ensuite, le militaire qui aujourd'hui réussit le test EXPRES satisfait au principe d'universalité du service. Dans le cas de M. Irvine, les FAC lui ont administré le test EXPRES tout au cours de sa carrière jusqu'au moment où il a subi sa crise cardiaque. Par la suite, on ne lui a plus administré de tests EXPRES. Rien n'indique clairement pourquoi on l'a excusé de l'obligation de subir le test EXPRES. Les FAC n'ont pas présenté d'arguments sur ce point. Il se peut fort bien que les FAC se souciaient d'empêcher que M. Irvine subisse d'autres accidents cardiaques. Il reste cependant que M. Irvine a subi de manière sûre, après sa crise cardiaque, d'autres tests d'effort sur tapis roulant, un des éléments du test EXPRES, et qu'il a obtenu de bons résultats. Il aurait pu subir le test EXPRES sous surveillance médicale en portant un moniteur de fréquence cardiaque. Cependant, les FAC ont négligé de fournir à M. Irvine une autre occasion de subir un nouveau test EXPRES, l'empêchant ainsi de respecter les normes imposées à l'ensemble des membres des FAC. Les FAC avaient l'obligation de permettre à M. Irvine de subir le test EXPRES avant de le libérer. Selon la meilleure preuve dont dispose ce Tribunal, M. Irvine aurait fort bien pu respecter cette norme : il a obtenu des résultats étonnants lors d'autres tests d'aptitude physique après sa crise cardiaque, notamment à l'occasion du test d'effort sur tapis roulant avec le protocole de Bruce. La réussite par M. Irvine d'un tel test EXPRES et d'un test d'effort Mibi avec injection de radioisotopes aurait fourni aux FAC de plus amples preuves quant à son aptitude physique et aux risques de mortalité et de morbidité. Cela aurait été un autre important élément pour déterminer les risques du point de vue de la sûreté.

[151] Enfin, tous les membres devraient avoir l'occasion, avant leur libération, de démontrer qu'ils sont aptes à servir dans les FAC en exécutant les tâches militaires prescrites. En l'espèce, M. Irvine ne s'est pas vu offrir l'occasion de démontrer sa capacité d'exécuter les tâches militaires générales ou les tâches militaires propres à son GPM.

4. Nature subjective de l'attribution des restrictions et cotes

[152] Outre les difficultés dont j'ai fait mention en ce qui concerne les évaluations médicales, je suis d'avis que la procédure d'attribution des restrictions et cotes professionnelles fondées sur l'état de santé de M. Irvine, tel qu'évalué, était trop imprécise pour justifier sa libération des FAC. Les FAC admettent que la description des restrictions et l'attribution des cotes médicales est une procédure qui, en soi, est inexacte (56) et subjective. À mon avis, les FAC ont omis de présenter suffisamment de preuves pour justifier la cote G4 attribuée à M. Irvine et les restrictions dont elle était assortie (G4 : doit pouvoir recourir aux services d'un médecin; inapte au service en mer ou en campagne, dans une mission des Nations Unies ou dans un poste isolé) plutôt que la cote G3, qui était décernée aux militaires aptes à servir au sein des éléments des FAC en cause pendant des périodes d'au plus six mois et(ou) et qui étaient considérés comme inaptes à servir dans seulement un élément des FAC.

[153] Les préoccupations à l'égard des modalités d'attribution des cotes en vertu des politiques de septembre 1995 s'appliquent également aux décisions prises aux termes de celles-ci.

5. Imposition de conditions sur le plan médical

[154] En outre, je suis d'avis que si une évaluation médicale est subordonnée à l'adoption de mesures particulières par un militaire, comme c'était le cas en l'espèce, vu les exigences du Dr Kafka (meilleur contrôle par M. Irvine de son régime alimentaire et abaissement de son taux de cholestérol grâce à des médicaments), la condition imposée doit également constituer une restriction minimale. Il faut certes que la condition en question soit transparente pour le militaire et qu'elle soit appliquée de façon cohérente à tous les militaires en tenant dûment compte des circonstances dans chaque cas. Compte tenu du déséquilibre observé dans le cas de M. Irvine au niveau des connaissances et des ressources entre les FAC et les médecins militaires, ces derniers avaient l'obligation de communiquer à M. Irvine à l'époque les données scientifiques et de recherche les plus à jour en ce qui concerne son état pathologique. À cette audience, les FAC ont présenté beaucoup de résultats de recherche, d'études, de pièces et d'explications au sujet de la cardiologie, des maladies cardiaques et de leur prévention et des facteurs de risque. Il y a lieu de féliciter le Dr Fisher de son examen approfondi de la documentation. À mon avis, c'est le type et la qualité d'information médicale qu'il faut partager avec les militaires dès le début, c'est-à-dire dès qu'on peut raisonnablement envisager de prendre une décision en matière de cessation d'emploi ou de leur imposer des restrictions professionnelles susceptibles d'entraîner leur libération.

6. Accommodement des militaires inaptes

[155] Enfin, même si elles ont démontré que M. Irvine n'était pas suffisamment apte à répondre à leurs critères d'aptitude à l'emploi et de déployabilité, les FAC ont à mon avis omis de produire suffisamment de preuves qu'elles ne pouvaient composer avec M. Irvine sans subir une contrainte excessive. Tel qu'indiqué dans Meiorin, il faut songer à des mesures d'accommodement innovatrices mais pratiques.

7. Accommodement des militaires ayant un taux d'employabilité de 80 p. 100

[156] On a jugé que M. Irvine était en mesure d'occuper 86 p. 100 des postes faisant partie de son GPM. En vertu d'une politique antérieure à 1985, qui a été en vigueur jusque dans les années 90, les FAC composaient avec les militaires qui ne satisfaisaient pas à la norme médicale applicable à leur GPM mais qui pouvaient occuper 80 p. 100 des postes permanents pertinents. Les FAC pouvaient les garder à leur service sans limitation de carrière. Il appartenait aux FAC d'expliquer pourquoi il leur était possible de composer avec des militaires en vertu de cette politique antérieure, mais non par la suite. Les FAC n'ont pas fourni suffisamment d'explications à ce sujet.

8. Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction

[157] Le Conseil de révision des carrières a appliqué les Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction et jugé que celles-ci ne permettaient pas aux FAC de composer avec M. Irvine. À mon avis, ces politiques n'assuraient pas aux militaires un accommodement jusqu'à la limite de la contrainte excessive. L'examen de décembre 1999 et les politiques de 2000 en matière d'universalité du service prévoient de meilleures possibilités d'accommodement que les lignes de conduite de 1994 par rapport à la satisfaction des critères énoncés dans l'arrêt Meiorin. Les Lignes de conduite de 1994 pour le maintien en fonction ne sont guère souples et offrent des possibilités limitées en matière d'accommodement. Cela devient évident lorsqu'on les compare aux politiques de novembre 2000 qui prônent un accommodement raisonnable par les FAC. Les militaires peuvent désormais continuer de servir aussi longtemps qu'ils peuvent occuper pleinement un poste permanent correspondant à leur grade et à leur GPM. M. Irvine faisait partie de cette catégorie. Ses commandants ont confirmé qu'il pouvait remplir les tâches générales et particulières d'un technicien en aéronautique de son grade. En vertu des politiques de novembre 2000, même les militaires qui ne peuvent être déployés dans les théâtres d'opérations à haut risque continueront de servir ou seront réaffectés au sein de leur GPM à un autre poste dont ils pourront remplir toutes les fonctions normales. De plus, les militaires peuvent occuper des postes qui n'impliquent pas directement l'exécution d'une des tâches ou conditions de travail visées par le principe d'universalité du service. M. Irvine n'a pas bénéficié d'une révision de son cas dans une optique d'accommodement, conformément aux exigences des politiques de 2000.

9. Coûts relatifs à l'accommodement -- Accès aux services d'un médecin dans les postes isolés

[158] À mon avis, les FAC n'ont pas justifié leur décision en se fondant sur des coûts excessifs. Elles ont fait indirectement état du coût de l'accès de M. Irvine aux services d'un médecin dans des postes à l'étranger. Elles ont soutenu que son escadron pouvait être déployé en Amérique centrale, en Somalie et en Bosnie, où il est difficile d'avoir accès à des médecins. Elles ont fait valoir que M. Irvine n'était pas [Traduction] apte à aller, sans préavis ou moyennant un court préavis, à de tels endroits - c.-à-d. qu'il ne pouvait pas être déployé là-bas. Un tel argument exigeait que les FAC abordent de façon non équivoque la possibilité que M. Irvine, compte tenu des circonstances entourant son cas, puisse raisonnablement être affecté à une unité à l'étranger. À cet égard, le colonel et le commandant de M. Irvine ont souligné qu'il ne lui restait que sept années à faire avant sa retraite et qu'il demeurerait probablement au poste d'adjudant-maître à Halifax jusqu'à ce moment. À ce titre, il était très peu probable qu'il soit obligé de servir en campagne ou en mer, dans une mission des Nations Unies ou dans des postes isolés. Ils ont fortement recommandé qu'il soit maintenu dans le poste d'adjudant-maître sans limitation de carrière. Cette recommandation était conforme au fait que M. Irvine était préposé à l'entretien des avions Aurora, qui patrouillaient au-dessus de la mer Adriatique et étaient déployés à la base de l'OTAN à Sigonella, en Italie. Il était [Traduction] apte à aller travailler dans cette importante base militaire située dans un pays occidental. Les FAC avaient l'obligation d'évaluer dûment la probabilité que M. Irvine soit affecté à certains postes à l'étranger, compte tenu de l'interchangeabilité du personnel, avant d'appliquer ce critère dans leur décision de le libérer.

[159] En outre, la preuve que les FAC ont présentée quant à la nécessité d'avoir accès aux services d'un médecin dans ces postes à l'étranger reposait sur des données non scientifiques et des impressions. Les FAC n'ont pas soumis de preuve forte relativement aux coûts afférents à l'accès de M. Irvine à des médecins dans un poste particulier à l'étranger. L'opinion courante du Dr Leach voulant qu'il soit encore plus difficile d'adopter un style de vie sain pour le cœur dans le cadre d'une mission militaire isolée et stressante n'a pas été étayée par une évaluation concrète des postes particuliers où M. Irvine aurait pu être affecté à l'époque.

[160] Enfin, je reconnais que les FAC faisaient face en 1994-1995 à d'importantes restrictions budgétaires. Toutefois, les FAC ont produit une preuve de nature générale reposant sur des données non scientifiques relativement à la réduction des effectifs militaires; elles n'ont pas présenté de preuve forte et d'analyse claire quant aux coûts réels de l'accommodement de M. Irvine en particulier et à la façon dont ces coûts constituaient pour elles une contrainte excessive.

10. Maintien dans un poste n'exigeant pas un déploiement

[161] L'arrêt Meiorin exige que les FAC gardent à leur service les militaires atteints d'une déficience aussi longtemps qu'il n'en résulte pas pour elles une contrainte excessive. Les Lignes de conduite pour le maintien en fonction des militaires qui ont une limitation d'emploi (décembre 1994), lesquelles comportaient des dispositions minimales en matière d'accommodement, ne satisfaisaient pas à cette norme. M. Irvine aurait certes pu continuer de servir à Halifax, où il aurait eu accès à des médecins. Il aurait même pu être déployé à Sigonella, en Italie; les FAC n'ont pas présenté de preuve démontrant qu'il n'aurait pas eu accès là-bas à des médecins.

[162] De plus, les FAC ont elles-mêmes reconnu à l'occasion de l'examen de décembre 1999 qu'elles avaient une certaine capacité empirique d'accommodement dans le cas des membres occupant des postes militaires non essentiels (57). À mon avis, l'obligation d'accommodement exige d'évaluer la capacité des FAC de garder à leur service des membres occupant de tels postes avant de mettre fin à leur emploi. Dans le cas de M. Irvine, on n'a pas procédé à une telle évaluation (58).

[163] Autrement dit, on aurait dû, dans le cas de M. Irvine, prendre soigneusement en compte sa responsabilité d'encadrement et la probabilité qu'il soit appelé à titre d'adjudant-maître à exécuter des tâches militaires spécifiques. En ce qui concerne la conclusion du Conseil de révision des carrières à savoir qu'il ne pouvait remplir aucune obligation de service légitime et qu'il n'avait pas la capacité d'exécuter l'éventail complet des tâches militaires générales dans un théâtre d'opérations, les FAC ont reconnu dans leur politique de 1999 l'argument que les normes minimales d'aptitude physique devraient être adaptées au grade et à la probabilité d'avoir à exécuter des tâches militaires générales ou à prendre part à des activités physiquement exigeantes. Malheureusement, les FAC ont rejeté cet argument pour le motif qu'elles devaient préserver leur crédibilité auprès de la Commission des droits de la personne. Les FAC ont donc reconnu implicitement qu'elles avaient la capacité de composer ainsi avec M. Irvine.

V. CONCLUSION

[164] Eu égard à tous les motifs mentionnés, les FAC ont à mon avis défavorisé en cours d'emploi M. Irvine, en raison de sa déficience, dans le cadre de plusieurs des politiques mentionnées qui s'appliquaient à lui à titre de militaire atteint de coronaropathie, ainsi que dans ses évaluations médicales relatives à son état et dans l'attribution de ses restrictions à l'emploi. Les FAC ont omis de prouver, comme l'exigeaient les arrêts Grismer et Meiorin, l'existence d'une EPJ les empêchant de composer, sans subir une contrainte excessive, avec M. Irvine dans le cadre de leurs politiques et décisions en vertu desquelles celui-ci, une fois atteint d'une déficience, a été soumis à un traitement et des normes différents. Elles ont omis d'établir que leur décision de mettre fin à son emploi en raison de sa déficience était justifiée par une EPJ.

VI. MESURES DE REDRESSEMENT

[165] À la demande des parties, je m'abstiens d'aborder la question des dommages-intérêts, mais je conserve ma compétence pour entendre une preuve à ce sujet si les parties ne peuvent parvenir à un consensus. J'estime qu'il était raisonnable que M. Irvine déménage à Halifax et qu'il s'attende à recevoir, une fois la question de sa cote médicale réglée, la rémunération rétroactive correspondant aux fonctions d'adjudant-maître. N'eut été de la décision du Conseil de révision des carrières de le libérer, M. Irvine aurait probablement pu servir dans les FAC jusqu'à sa retraite en 2003 à titre au moins d'adjudant-maître. En l'absence de cette décision, M. Irvine n'aurait pas opté pour une retraite anticipée. Sauf imprévu, M. Irvine aurait conservé son titre, son grade, son poste et ses avantages au sein des FAC et il aurait eu la possibilité d'obtenir d'autres promotions.

Originale signée par


Shirish P. Chotalia

Edmonton (Alberta)

Le 23 novembre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T584/4200

INTITULÉ DE LA CAUSE : Raymond Irvine c. Forces armées canadiennes

LIEU DE L'AUDIENCE : Edmonton (Alberta) : les 2, 3, 4, 5 et 6 avril 2001;

Ottawa (Ontario) : les 9, 10, 11 et 12 avril 2001;

les 15, 16, 17 et 18 mai 2001;

Edmonton (Alberta) : les 4, 5, 6, 8, 14 et 15 juin 2001

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 23 novembre 2001

ONT COMPARU :

Raymond Irvine en son propre nom

Patrick O'Rourke et Carla Qualtrough au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Sanderson A. Graham au nom des Forces armées canadiennes

1. 1 Pièce R-35, onglet 14, 13 février 1976, Ordonnance administrative des FAC -- Conseil médical de révision des carrières (OAFC 34-26).

2. 2 Pièce R-35, onglet 4, A-MD-154-000/FP-000, chap. 3, pp. 3-1 à 3-4.

3. 3 Pièce R-37 : OAFC-26-01 - Chap. 45 - 1988-04-08.

4. 4 Pièce R-35 : Normes médicales applicables aux Forces armées canadiennes, A-MD-154-000/FP-000, ministère de la Défense nationale, sept. 1995.

5. 5 Ces tâches étaient définies dans l'Énoncé de tâches communes -- Tous les membres des FC, pièce R-35, appendice 1, annexe D des Normes médicales applicables aux Forces canadiennes, 15 sept. 1995.

6. 6 Bien qu'elles aient été révisées en juin 1997, ces 17 exigences sont demeurées des normes de facto en matière d'universalité du service jusqu'en 1999.

7. 7 Autres définitions : la capacité d'exécuter les tâches militaires de base n'importe où dans le monde; l'exigence voulant que les membres des FAC puissent en tout temps et dans n'importe quelle circonstance remplir leur rôle opérationnel respectif; les multiples exigences pour ce qui est d'exécuter des tâches en dehors des occupations habituelles, et ce dans n'importe quel genre de condition de vie ou de travail où que ce soit dans le monde, de pouvoir effectuer ces tâches sans préavis et de servir à des endroits où le soutien médical est limité ou inexistant; le devoir de remplir d'abord son rôle de marin, soldat ou aviateur, et l'obligation d'être suffisamment en forme et en bonne santé pour accomplir un ensemble élémentaire de tâches militaires à divers endroits de la planète. Voir la pièce HR-38 -- Examen du principe d'universalité du service et de son application, Direction de l'analyse et du développement des politiques des FAC, déc. 1999, Quartier général de la Défense nationale, Ottawa, Canada, pp. 12 et 13.

8. 8 En outre, les juges ont obscurci davantage le sens du principe d'universalité du service en inférant l'obligation pour tous les militaires de participer aux tâches de combat, alors que rien dans cet article [art. 33 de la Loi sur la défense nationale, R.C.S. 1985, ch. N-5] ne fait directement ou indirectement allusion au combat. Ibid., p. 13, par. 20.

9. 9 Pièce HR-38 : Examen du principe d'universalité du service et de son application, Direction de l'analyse et du développement des politiques des FAC, déc. 1999, Quartier général, Ottawa, Canada, p. 19.

10. 10 Ibid., déc. 1999, p. 20.

11. 11 Ibid., pp. 24 et 25.

12. 12 Ibid., p. 25.

13. 13 Pièce R-34, onglet 3, déc. 1994, Lignes directrices : Maintien des membres ayant des restrictions à l'emploi.

14. 14 Politique de décembre 1999, p. 3.

15. 15 Pièce R-35 : Note sur le calcul par le CMRC du pourcentage d'aptitude à l'emploi, 15 janv. 1996.

16. 16 Ibid., p. 6.

17. 17 Ibid., p. 38.

18. 18 Pièce R-35, onglet 11, note de service concernant les modifications à l'application du principe de l'universalité du service (nov. 2000)

19. 19 Ibid., p. 2/4.

20. 20 Ou tous les deux ans dans le cas des membres âgés de plus de 40 ans.

21. 21 Ibid., p. ii.

22. 22 Politique de décembre 1999 sur l'universalité du service, p. ii.

23. 23 Ibid., p. 34.

24. 24 Pièce R-2, onglet 18, Harrison's Principles of Internal Medicine, 1994, vol. 1, pp. 1079 et 1080.

25. 25 Le MET est l'équivalent métabolique servant à mesurer la consommation d'oxygène par kilogramme de poids corporel par minute. Les principaux équivalents métaboliques significatifs du point de vue clinique par rapport à l'effort maximum sont les suivants : 1 MET -- au repos; 2 METS -- pour la marche en terrain plat à un rythme de 2 mi/h; 10 METS -- bon pronostic pour une thérapie médicale comme un pontage aortocoronarien (point limite); 13 METS -- excellent pronostic, peu importe les autres réactions à l'exercice; 29 METS -- athlètes de niveau international : pièce R-2, onglet 12. AHA Medical /Scientific Statement, pp. 580 et 581.

26. 26 Le poste d'adjudant-maître de la cellule/unité où il travaillait à Halifax.

27. 27 Voir plus loin pour les détails.

28. 28 Pièce R-31, Cholesterol Agonistics, J. LaRosa 1996 American College of Physicians (tiré des Annals of Internal Medicine, 1er mars 1996), p. 519.

29. 29 R-2, onglet 2, Optimal Risk Factor Management in the Patient After Coronary Re-vascularization, Pearson, T. et coll., p. 3127.

30. 30 Ibid., p. 10 : Les données de l'ACSS révèlent que le taux de survie sur cinq ans des sujets qui n'ont atteint que le 1er palier (ou qui n'ont pas atteint ce palier) de l'épreuve d'effort sur tapis roulant avec le protocole de Bruce et qui affichaient un abaissement de plus de 1 mm du segment ST s'établissait à 72 p. 100, comparativement à 95 p. 100 dans le cas de ceux ayant atteint le 3e palier ou un palier supérieur et pour lesquels l'abaissement du segment ST était inférieur à 1 mm.

31. 31 Pièce R-2, onglet 11, p. 10 -- Diagramme prévisionnel de Hammermeiser.

32. 32 L'abaissement du segment ST représente un creux entre certaines ondes S et T de l'ECG ou du bilan électrologique. C'est une indication qui traduit un dysfonctionnement cardiaque.

33. 33 Pièce R-2, onglet 18, Harrison's Principles of Internal Medicine, 1994, vol. 1, p. 1110 (description des facteurs de risque).

34. 34 Ibid. Il n'y avait pas de définition quantitative absolue. Page 1110.

35. 35 Pièce R-2, onglet 3.8, Regular Physical Exercise and Low-Fat Diet Effects on Progression of Coronary Artery Disease, G. Schuler et coll., p. 1.

36. 36 Les taux d'occlusion étaient de l'ordre de 5 à 15 p. 100 par anastomose distale, un mois après l'intervention; de l'ordre de 15 à 25 p. 100 après 12 mois; de l'ordre de 50 p. 100 après 10 ans. Pièce R-2, onglet 2 Optimal Risk Factor Management in Patient After Coronary Re-vascularization.

37. 37 Robinson [1994] 3 C.F. 228 (C.A.F.), Husband [1994] 3 C.F. 1888 (C.A.F.) St. Thomas (1993) 162 N.R. 228 (C.A.F.).

38. 38 Juge en chef Isaac, p. 233, St. Thomas.

39. 39 [1999] 3 R.C.S. 3.

40. 40 [1999] 3 R.C.S. 868.

41. 41 À cet égard, l'arrêt Meiorin est conforme à la décision rendue dans Central Okanagan School District c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

42. 42 Grismer, précitée, par. 32.

43. 43 Grismer, précitée, par. 42.

44. 44 Grismer, précitée, par. 41

45. 45 Grismer, précitée, par. 41 et 42.

46. 46 Meiorin, précitée, par. 63. Voir aussi Chambly c. Bergevin [1994] 2 R.C.S. 525, p. 546.

47. 47 Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095. Lorsque l'arbitre conclut que le congédiement était justifié au moment où il a été ordonné, il ne peut pas, sans excéder sa compétence, l'annuler pour le seul motif que des événements subséquents rendent cette annulation juste et équitable. Dans un tel cas, l'arbitre excéderait sa compétence en se fondant sur une preuve d'événements subséquents pour annuler le congédiement.

48. 48 Farber c. Royal Trust Co. [1997] 1 R.C.S. 846 : la Cour a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en admettant une preuve ex post facto alors que sa pertinence n'avait pas été démontrée, et que l'admission de cette preuve avait porté préjudice à l'appelant, étant donné qu'elle avait, de l'avis de la Cour, faussé l'analyse du juge de première instance.

49. 49 Conte c. Rogers Cablesystems Ltd. (1999) 36 C.H.R.R. D/403 (TCDP).

50. 50 Conseil de l'éducation de la cité de Toronto c. F.E.E.E.S.O., district 15 [1997] 1 R.C.S. 487.

51. 51 Voir Gallant v. Labrador City-Schefferville (diocèse) (2001) 200 D.L.R. (4e) 643 (C.A. T.-N.).

52. 52 Meiorin, p. 878.

53. 53 50 O.R. (3d) 18 (C.A. Ont.).

54. 54 Voir Oster c. International Longshoreman's and Warehouseman's Union (Section maritime), Section locale 400, D.T. 4/00 (TCDP) et Vlug c. Société Radio-Canada, D.T. 6/00 (TCDP).

55. 55 En 1994, on croyait comprendre qu'un pontage aortocoronarien ne semblait pas réduire l'incidence de futures crises cardiaques chez les patients souffrant d'ischémie coronarienne chronique.

56. 56 Normes médicales des FAC de septembre 1995.

57. 57 Politique de décembre 1999, pp. 38 et 39.

58. 58 Ibid., décembre 1999

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