Tribunal canadien des droits de la personne

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DÉCISION RENDUE LE 19 JANVIER 1982 D. T. 2/ 82

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée

LITIGE METTANT EN CAUSE: Michael Ward plaignant et Les Messageries du CN défendeur

DEVANT: Un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et formé de Susan Mackasey Ashley

ONT COMPARU: M. Russell Juriansz Avocat du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne M. Lawrence Band Avocat du défendeur >

- 1 Introduction

Dans la présente affaire, Michael Ward prétend que les Messageries du CN ont commis à son endroit un acte discriminatoire contraire aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne en lui refusant un emploi en raison d’un handicap physique. Sur la formule de plainte signée par M. Ward et datée du 30 juillet 1980*, on peut lire ce qui suit:

"Lorsque j’ai subi l’examen médical pour le poste de manutentionnaire, le médecin m’a averti qu’en faisant ce travail je risquais de perdre mon autre main et de mettre en danger un collègue. Il m’a suggéré de postuler un emploi de bureau. Je crois être en mesure de travailler comme manutentionnaire et n’avoir pas été engagé par les Messageries du CN parce que je n’ai ni doigts ni pouce à la main droite. A mon avis, cela constitue une infraction aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne" (pièce C- 2)

(traduction).

Tel qu’indiqué sur la formule, les passages pertinents de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont les articles 7 et 10, ainsi que l’alinéa 14a). L’alinéa 7a) de la Loi se lit comme suit:

"Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu... directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

L’article 10 stipule ce qui suit: "Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur ou l’association d’employés a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou * Notons que M. Ward avait rempli une première formule de plainte en juillet 1979 mais qu’il avait négligé de donner une description de l’acte discriminatoire dont il prétendait être victime. Il a par la suite rempli une autre formule (voir page 446 de la transcription)

> - 2 b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus."

L’article 3 stipule que le handicap physique est un motif de distinction illicite en matière d’emploi. On trouve à l’article 20 de la Loi la définition suivante du handicap physique:

"handicap physique désigne toute infirmité congénitale ou accidentelle, y compris l’épilepsie, la paralysie, l’état d’amputé, l’atonie, les troubles de la vue, de l’ouïe ou de la parole, et s’entend de la nécessité d’avoir recours à des prothèses, notamment, un fauteuil roulant ou à un chien d’aveugle."

Il est évident que le problème physique particulier de M. Ward, c’est- à- dire l’absence congénitale de doigts à la main droite, correspond à la définition du handicap physique que l’on retrouve à l’article 20 de la Loi.

Si le plaignant démontre qu’il s’agit d’un cas de discrimination basé sur le handicap physique et qui, de prime abord, paraît fondé, conformément aux dispositions de la Loi, le tribunal doit alors décider si l’employeur a le droit d’invoquer, pour justifier cet acte discriminatoire, une exigence professionnelle normale au sens de l’alinéa 14a) de la Loi, qui se lit, en partie, comme suit:

"Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils sont fondés sur des exigences professionnelles normales;"

> - 3 Selon le raisonnement du défendeur, sur lequel nous reviendrons plus loin, M. Ward n’a pas été victime de discrimination; on lui a refusé un emploi parce qu’il y allait de sa propre sécurité et de celle des autres employés (voir page 727 de la transcription). Le défendeur a allégué que si le tribunal le jugeait coupable d’un acte discriminatoire, il pourrait invoquer l’alinéa 14a) car, à son avis, le fait pour les Messageries du CN d’exiger que les manutentionnaires aient une main fonctionnelle, c’est- à- dire qu’ils aient au moins deux doigts à cette main, constitue une exigence professionnelle normale. Il s’agit de savoir si l’employeur a le droit de fixer des normes minimales de sécurité au travail pour tous les employés, même si ces normes peuvent entraîner l’exclusion de personnes souffrant de certains handicaps physiques ou infirmités.

Les faits démontrent sans contredit que M. Ward peut s’acquitter des fonctions de manutentionnaire; cependant, l’employeur a tenté de prouver qu’il ne pouvait les accomplir de façon aussi sécuritaire qu’un employé non handicapé et que, par conséquent, lui- même et ses collègues couraient plus de risques d’être blessés.

Les faits Le plaignant, Michael Ward, est né en 1959; il mesure 5 pieds 11 pouces et pèse 165 livres. On peut le décrire comme un jeune homme vigoureux ou athlétique. Il ne donne nullement l’impression d’être handicapé ou invalide.

- 4 Il a déclaré sous serment avoir rempli, le 11 avril 1979, une formule de demande d’emploi d’été en qualité de manutentionnaire au centre des Messageries du CN de London en Ontario (voir pièce R- 9). Il a rencontré M. Brodie, superviseur du centre de London et responsable de l’embauche, qui était prêt à l’engager, sous réserve qu’un médecin du CN à Toronto lui fasse subir un examen médical. Toutes les personnes qui > 4/ 1 présentent une demande d’emploi aux Messageries du CN sont soumises à ce mécanisme de pré- sélection, c’est- à- dire une entrevue personnelle et un examen médical. M. Ward a rempli certaines formules, dont la formule médicale type (voir pièce R- 6), remplie et signée d’un côté par M. Ward lui- même et de l’autre par le Dr McGeough, médecin du CN, après qu’il eut fait passer à M. Ward l’examen médical. Cette formule d’examen médical a été datée et signée par le Dr McGeough le 30 mai 1979. Sur cette formule, M. Ward a fourni des renseignements sur son état de santé général et a indiqué en cochant la case appropriée qu’il avait déjà subi des lésions aux os et aux articulations, en particulier, qu’il s’était cassé un poignet. En réponse à la question suivante: Etes- vous ou avez- vous déjà été sous le coup de restrictions en matière d’emploi, il a répondu non. Lors de l’interrogatoire et du contre- interrogatoire, M. Ward a déclare qu’il s’était fracturé le poignet droit en 1974 quand, après avoir passé dans un nid- de- poule, il avait perdu le contrôle de sa bicyclette. Il s’agit de l’unique blessure qu’il ait eu à la main ou au poignet, et il ne semble pas qu’elle soit liée a l’absence de doigts à sa main droite.

Voici le récit qu’il nous donne de l’examen médical que le médecin du CN lui a fait subir (page 448 de la transcription)

- 5 " M. Ward: Oui, elle m’a demandé de la suivre. Nous avons parcouru un corridor et j’ai pénétré dans le bureau du docteur Murray, ou plutôt du docteur McGeough, je m’excuse, qui m’a demandé ce qui m’était arrivé. J’ai compris ce qu’il voulait dire car il avait les yeux fixés sur ma main. Je lui ai dit qu’il s’agissait- là d’une malformation congénitale, et il m’a demandé si je savais que le CN avait une politique à ce sujet en vertu de laquelle je ne pourrait pas travailler pour la compagnie. Il m’a dit qu’il y était même précisé qu’il fallait un certain nombre de doigts pour pouvoir travailler > 5/ 1 pour le CN et que, pour cette raison, je ne ferais pas l’affaire et que je devrais peut- être chercher un emploi dans un plus petit entrepôt où cette restriction n’existerait pas, ou postuler un emploi dans un bureau du CN.

Je lui ai dit que je n’avais vraiment jamais eu aucun problème, que j’avais toujours été... que cela ne m’avait jamais empêché de faire quoi que ce soit auparavant et que j’étais certain de pouvoir faire ce travail. Il n’a pas nié le fait que je pourrais probablement faire le travail mais il a dit qu’il existait une politique en vertu de laquelle je ne pourrais travailler dans un entrepôt du CN.

Q. Que s’est- il passé ensuite? R. Eh bien! je lui ai proposé de soulever son bureau et il a répondu: Non, non! En souriant, il a dit qu’il ne doutait pas de mes capacités et m’a demandé d’exécuter quelques autres mouvements. Il a examiné ma main brièvement et puis je ne sais plus, je ne me rappelle plus. Je crois qu’il m’a fait tenir un crayon et qu’il a tenté de me l’enlever.

Q. A- t- il réussi à prendre le crayon?

R. Je ne me rappelle pas vraiment. Je ne pense pas. Non. Je ne pense pas qu’il ait vraiment tenté de le reprendre; il voulait simplement voir si je pouvais le tenir fermement. A vrai dire, la conversation a été très brève; elle n’a problablement pas duré plus de cinq minutes, après quoi il a signé un document. J’y ai jeté un coup d’oeil et j’ai vu qu’il m’avait juge inapte. Je lui demandé s’il allait donner par écrit la raison de ce rejet et il a dit que non, qu’il croyait qu’il fallait que j’en discute avec l’employeur. Voilà comment s’est terminé notre conversation et j’ai ensuite quitté son bureau" (traduction).

C’est à la page 2 de la formule médicale (voir pièce R- 6) que le docteur McGeough a indiqué que M. Ward était inapte, c’est- à- dire qu’il ne pouvait travailler comme manutentionnaire. En outre, il a consigné par écrit les observations suivantes:

> - 6 "- malformation congénitale à la main droite. Tous les doigts, et même le pouce, sont dépourvus de phalanges, et il n’y a que des renflements de chair molle. Chose étonnante, il peut replier le premier os métacarpien et saisir fermement un objet. Les articulations du poignet et du coude fonctionnent normalement.

-il serait sans aucun doute un candidat très sérieux pour un travail de bureau"

(traduction).

Lorsqu’il a été interrogé par M. Juriansz, M. Ward a indiqué que l’entretien avec le docteur McGeough n’avait pas duré plus de cinq minutes, et qu’en fait de tests, il n’avait eu qu’à prendre un crayon et qu’à serrer la main pendant que le docteur l’observait. Aucun test n’a été effectué pour déterminer s’il pouvait prendre ou transporter des objets ou se servir de l’équipement semblable à celui qu’on utilise à l’entrepôt. Le docteur n’a pas posé de question concernant les emplois antérieurs de M. Ward, ou les difficultés attribuables à sa main droite qu’il aurait pu connaître dans ces emplois.

Le docteur McGeough, en sa qualité de médecin régional des Chemins de fer nationaux du Canada, d’Air Canada et de VIA, a déclaré sous serment qu’il connaissait les exigences professionnelles du poste de manutentionnaire des Messageries du CN. Il a fait mention d’une lettre adressée au Docteur J. G. Hunter, médecin régional de la clinique du CN, datée du 9 mai 1979 (sans signature) (voir pièce C- 5), dans laquelle sont énumérées les fonctions d’un manutentionnaire des Messageries:

"Voici, à titre de renseignements, les fonctions d’un manutentionnaire des Messageries: a) l’employé doit charger et décharger des marchandises, ce qui occupe la majeure partie du temps d’un poste de 8 heures. Il doit à tout bout de champ se plier, lever et transporter des marchandises qui, dans bien des cas, sont lourdes ou difficiles à manoeuvrer ... > 6/ 1 b) au besoin, il doit faire fonctionner du matériel motorisé, c’est- à- dire les tracteurs de l’entrepôt, les chariots élévateurs à fourche et les balayeuses mécaniques ..."

(traduction).

- 7 L’annexe A de ce document, intitulée: Description générale des fonctions et des responsabilités des manutentionnaires des Messageries, fait état des fonctions suivantes:

  • "Au besoin, superviser (c’est- à- dire diriger) le chargement et le déchargement des marchandises, vérifier le poids de celles- ci, le nombre de colis, les adresses et les inscriptions.
  • Réparer les marchandises endommagées et tenir les dossiers nécessaires.
  • Plomber les voitures et (ou) les remorques, et l’indiquer dans un régistre.
  • Observer l’état général des marchandises et la façon dont elles ont été chargées, prendre note des exceptions et en rendre compte au moyen des formules appropriées.
  • Peser les marchandises qui doivent être expédiées et inscrire dans les régistres le poids ainsi que l’adresse exacts.
  • Vérifier le poids, l’adresse, le nombre de colis et les inscrire sur les feuilles de route et autres documents.
  • Au besoin, faire fonctionner le matériel motorisé. - Trier les marchandises et les feuilles de route, assigner un code aux voitures.
  • S’assurer que les marchandises dangereuses sont manipulées avec soin conformément aux directives et aux règlements.
  • Manipuler, charger et décharger correctement les marchandises.
  • Introduire des renseignements dans le transmetteur- récepteur à clavier et dans le terminal CRT, et en extraire au besoin.
  • Exécuter des fonctions connexes à l’extérieur de l’entrepôt.
  • Exécuter d’autres fonctions connexes au besoin." Il faut noter qu’en dépit du fait que le chargement et le déchargement des marchandises n’occupent que très peu de place dans cette description, le docteur McGeough est d’avis qu’environ 80 % du travail des manutentionnaires consiste à > 7/ 1 charger et à décharger des marchandises (voir page 352 de la transcription). Il a déclaré dans son témoignage qu’il recevait des rapports quotidiens de toutes les blessures survenues dans la région et que, par conséquent, lorsqu’il examine une personne en vue d’un poste, il tient compte non seulement de la nature et des exigences du poste en question mais aussi des accidents qui y sont reliés. Les membres du service médical examinent toutes les personnes qui présentent une demande d’emploi. Quant aux types d’accidents qui se produisent

- 8 aux Messageries du CN, le docteur McGeough a déclaré sous serment que les blessures au dos étaient les plus fréquentes, suivies des blessures aux mains. Il a donné la description suivante des tâches principales des manutentionnaires des Messageries du CN, fondée sur les descriptions d’emploi et des visites à l’entrepôt de London et d’ailleurs:

"R. Le manutentionnaire passe presque tout son temps à lever, transporter, charger, décharger des marchandises, c’est- à- dire que certains employés affectés au chargement et au déchargement des camions ou des remorques passent presque toute la journée, en fait, à transporter du matériel dont la taille, le poids, la texture et la forme varient considérablement" (page 358 de la transcription)

(traduction).

M. Band a demandé au docteur McGeough quelles étaient les qualités physiques que devaient posséder les manutentionnaires du CN (page 361 de la transcription)

"Q. Quelle est la position de la compagnie à cet égard? Je crois savoir que c’est le service médical qui est chargé d’appliquer les principes, politiques ou règlements en matière d’aptitude ou d’inaptitude à occuper un emploi. Quelle est la position du service médical des Messageries du CN quant aux normes minimales auxquelles doivent répondre les mains des aspirants manutentionnaires?

> 8/ 1 R. Là aussi nous tentons de fixer des minima mais cela est très difficile. Selon notre expérience, il est facile de s’entendre dans les cas extrêmes; il n’y a alors aucune difficulté. Il y a cependant de nombreux cas moins bien définis qui nous causent des problèmes.

Q. J’aimerais savoir quel est le minimum que vous exigez d’une personne en ce qui a trait à l’état des mains?

R. Dans le cas d’un employé des Messageries? Q. Oui. R. Je crois qu’elle doit posséder ce que j’appelle une main fonctionnelle. Q. En termes pratiques, qu’est- ce que cela signifie? - 9 -

R. Elle doit avoir des doigts opposables, c’est- à- dire un pouce et un doigt.

Q. Un manutentionnaire doit donc avoir un pouce et un doigt. R. Il s’agit là d’un minimum, oui" (traduction). En outre, à la page 362, où l’on tentait de déterminer si cette norme minimale était liée à l’emploi, figure le dialogue suivant:

"Q. Quels aspects du travail du manutentionnaire vous portent à croire qu’il doit pouvoir opposer au moins deux doigts? Quel est le travail qu’il doit accomplir? D’abord et avant tout, cette exigence est- elle liée à l’emploi?

R. Oui. Q. Cette norme est liée à l’emploi. Très bien. R. Le simple fait de manipuler des objets, comme cela a été démontré ce matin, l’exige. Prenons l’exemple d’une personne qui soulève un objet: s’il s’agit d’une boîte, elle la saisira et pourra placer, étendre les doigts, la main et le pouce de manière à équilibrer l’objet et à le stabiliser.

> 9/ 1 Q. Selon vous, la capacité de faire tenir un objet en équilibre et d’assurer sa stabilité est l’un des critères de l’emploi. C’est ce qui vous a amené à conclure qu’un manutentionnaire doit pouvoir opposer un doigt à un autre?

R. Oui..."

(traduction).

Il faut signaler que lorsqu’on exige qu’un employé ait au moins une main fonctionnelle selon l’affirmation du docteur McGeough, on suppose que l’autre main est intacte (voir page 648 de la transcription). Le docteur McGeough a ensuite fait mention des types de prises que peut exécuter une main normale - la prise de force, la prise de précision, la prise en crochet, la prise pollici- digitale, et les combinaisons de celles- ci. A son avis, pour effectuer le travail de manutentionnaire il faut maîtriser, à divers degrés, toutes

- 10 ces prises. La prise de force revêt une importance toute particulière et peut être décrite de la façon suivante: les doigts épousent la forme de l’objet et le pouce exerce une pression en sens contraire, celui- ci étant placé de façon que son coussinet ou celui de la paume appuient fermement sur l’objet en question (voir pièce R- 5). En réponse à une question concernant l’utilisation de la prise de force par les manutentionnaires des Messageries du CN, le docteur McGeough a déclaré ce qui suit (page 367 de la transcription):

"R. Lorsqu’il s’agit de transporter ou de tenir un objet, le manutentionnaire tente de fermer complètement la main sur l’objet et, même s’il ne réussit pas, il arrive ainsi à le maintenir en place; dans le cas d’un objet lourd ou encombrant, il peut placer les doigts en éventail sur les angles de l’objet afin de le tenir en équilibre, tout en se servant de la prise de base pour le maintenir en place.

Q. Vous avez parlé auparavant d’équilibre et de stabilité. Faites- vous une différence entre les deux ou sont- ils tous deux nécessaires?

> 10/ 1 R. Je crois qu’ils sont tous deux nécessaires. Si vous perdez l’équilibre vous n’êtes plus stable, naturellement. Encore une fois, la stabilité est partie intégrante. Si une personne qui tente de déplacer un objet lourd, n’a qu’un pouce et un doigt, l’équilibre de l’objet en question sera plus précaire que si elle pouvait se servir d’un autre doigt et exercer une pression opposée en un autre point, ce qui revient à dire que plus il y a de points d’équilibre plus un objet est stable.

Q. Un candidat à un poste de manutentionnaire dont une main ne compte qu’un doigt opposable au pouce satisfait- il automatiquement à la norme minimale ou devez- vous l’examiner pour déterminer s’il peut ou non accomplir ce travail?

R. Je dois l’examiner. Q. Pourquoi? R. Chaque cas est différent, même lorsqu’il s’agit d’une personne qui possède des mains normales. Q. Voulez- vous dire qu’une personne pourrait souffrir de faiblesse dans un doigt? > - 11 R. Certainement."

Le docteur McGeough a ajouté que les manutentionnaires des Messageries du CM se servaient de la prise de force pour exécuter les taches suivantes : manoeuvrer un plateau de chargement, conduire un chariot élévateur à fourche et faire fonctionner un chariot de manutention à deux poignées (voir page 368 de la transcription). Selon lui, la prise en crochet est utilisée pour transporter des articles reposant sur le sol et devant être levés a l’aide des mains ou d’autres moyens. Les prises de précision et pollici- digitale ne sont pas aussi utiles au manutentionnaire dans l’exercice de ses fonctions (voir page 371 de la transcription). Les témoins médicaux sont d’accord sur le fait que M. Ward pourrait saisir de la main droite, au moyen d’une prise pollici- digitale faisant intervenir ses deux premiers os métacarpiens, des objets dont le diamètre ne dépasserait probablement pas un pouce; il peut saisir des objets plus volumineux en se servant de la paume de sa main, de sa poitrine ou d’une autre surface d’appui. Selon le docteur Koyl, le fait qu’il ne puisse saisir solidement de la main droite des objets plus volumineux ne l’empêche pas d’effectuer le travail de manutentionnaire, étant donné que sa main gauche fonctionne normalement. En d’autres termes, M. Ward se trouve à peu près dans la même situation qu’une personne gauchère.

> 11/ 2 Après avoir examiné M. Ward, le docteur McGeough a conclu qu’il n’était pas en mesure de travailler comme manutentionnaire pour des raisons de sécurité. Quant au danger de blessure à sa bonne main, le docteur McGeough croit qu’il serait injuste de placer un employé dans une situation où il s’exposerait à des blessures. Selon ses propres termes :

- 12 "... j’estime qu’on aurait tort de placer un homme dans une situation où je sais qu’il pourrait subir une blessure. En ma qualité de médecin, je préfère le déclarer inapte à occuper ce poste et le laisser choisir, après avoir discuté avec lui de la situation et des raisons qui ont motivé ma décision, un autre emploi dans lequel je sais qu’il courra moins de risques et qu’il aura autant sinon plus de chances d’avancement" (page 381 de la transcription)

(traduction).

Lors du contre- interrogatoire mené par M. Juriansz, le docteur McGeough a précisé que l’exigence physique minimale selon laquelle un manutentionnaire doit avoir une main fonctionnelle est une politique, non pas écrite, mais qui s’est imposée peu à peu par suite des rencontres avec les candidats. Il ne s’agit pas d’une politique établie par la direction du CN, mais bien de l’évaluation individuelle du docteur compte tenu des exigences de l’emploi en question. Néanmoins, il semble que cette norme ait été généralement appliquée comme étant la norme minimale absolue en ce qui a trait aux mains.

> 12/ 1 M. Gordon Brodie, superviseur des opérations du centre de London des Messageries du CN, a déclaré que le poids moyen des colis que les manutentionnaires de cet endroit avaient dû manipuler au cours de l’année 1979 variait entre 50 et 75 livres, et qu’il n’existait aucune restriction concernant l’utilisation du matériel par les gauchers. Il a déclaré que les manutentionnaires travaillaient généralement ensemble par groupe de six pour décharger les camions. Lorsqu’il a accordé une entrevue a Michael Ward, il ne savait pas qu’il était handicapé; sinon, il lui aurait probablement conseillé de se trouver un emploi dans un bureau. Au centre de London, a- t- il affirmé, de 5 à 10 p. 100 des articles sont manipulés par plus d’un employé.

M. Brett Badington, un ami de M. Ward qui travaille l’été comme manutentionnaire au centre de London, a confirmé le fait que les articles volumineux étaient en général manipulé par

- 13 deux ou trois personnes. Connaissant M. Ward ainsi que les exigences de l’emploi en question, M. Badington croit que M. Ward peut exécuter les fonctions d’une manutentionnaire, et probablement mieux que lui- même, étant donné qu’il est plus fort sur le plan physique (voir page 100 de la transcription). Selon lui, la plupart des articles que les manutentionnaires du centre de London doivent manipuler sont légers.

> 13/ 1 Le docteur Ronald Garfat, médecin de famille de M. Ward depuis 11 ans, a aussi été appelé à témoigner. Son témoignage corrobore celui des autres témoins médicaux, à savoir que M. Ward peut exécuter de la main droite une prise pollici- digitale et prendre de petits objets, et que sa faculté de saisir des objets n’est toutefois pas aussi bonne s’il se sert de sa main droite plutôt que de sa main gauche. Le docteur Garfat a lu la description d’emploi du manutentionnaire des Messageries du CN, et il a lui- même travaillé comme manutentionnaire alors qu’il était étudiant; compte tenu de ces facteurs et de sa connaissance de la condition et des capacités physiques de Michael Ward, il croit que ce dernier peut exécuter les fonctions du poste en question. Il estime que, même si M. Ward n’a pas de doigts, cela ne signifie pas qu’il ne puisse saisir des objets volumineux étant donné qu’il peut fléchir parfaitement bien la paume de la main et le poignet.

Il a ensuite été question du rôle des doigts en matière de sensibilité, et de l’importance de ce dernier élément dans le travail du manutentionnaire. Bien que la paume de la main soit moins sensible que les doigts, le docteur Garfat a fait remarquer ce qui suit :

- 14 "étant donné que M. Ward s’est toujours servi de sa paume au lieu de ses doigts, il a probablement acquis dans cette partie de la main une sensibilité plus grande que la mienne ou la vôtre" (voir page 47 de la transcription)

(traduction).

> 14/ 1 En guise de préparation à l’audience devant le tribunal des droits de la personne, et apparemment à la requête du CN, M. Ward a vu le docteur James Murray qui lui a examiné plus attentivement la main. Le docteur Murray est un spécialiste en chirurgie à plastique et reconstructive et en chirurgie des membres. En plus de s’occuper de nombreuses autres activités professionnelles, le docteur Murray agit à titre de conseiller auprès de la commission des accidents de travail de l’Ontario, en matière de blessures aux mains. M. Ward a rendu visite au docteur Murray à Toronto le 4 mars 1981. Celui- ci a effectué des tests au moyen d’un instrument appelé manomètre de Jamar, qui sert à mesurer la force de préhension; le docteur Murray a aussi eu un entretien avec M. Ward. Selon ce dernier, la visite a duré 35 ou 40 minutes. Le rapport présenté par M. Murray au CN, en date du 25 mai 1981, constitue la pièce R- 3. Mises à part certaines observations générales formulées à la suite de sa conversation avec M. Ward, qui, comme l’admet le docteur Murray, a été brève, le rapport renferme les résultats des tests que le docteur a fait sur la main de M. Ward et dont voici une partie :

"... Mon examen n’a porté que sur les membres supérieurs. Le bras et la main gauche sont entièrement normaux a tous égards. La force du bras droit est normale, ainsi que le mouvement de l’épaule, du coude et du poignet. L’absence de pouce et de doigts constitue une anomalie flagrante et explique le fait que la circonférence de l’avant- bras droit soit d’environ 40 p. 100 moindre que celle de l’avant- bras gauche étant donné que les muscles qui se contractent et communiquent le plus de force aux doigts se trouvent dans cette région.

> - 15 L’articulation du poignet est normale et celui- ci bouge normalement. On constate la présence des cinq os métacarpiens, ces longs os tibulaires qui forment la base de la paume de la main. Dans une main normale, l’os métacarpien du pouce est séparé de ceux des autres doigts et il est mobile. Il en est ainsi dans le cas de ce jeune homme, et il y a donc un petit interstice entre l’os métacarpien du pouce et celui de l’index"

(traduction).

Après s’être reporté à un diagramme de la main de M. Ward, le docteur Murray continue ainsi :

"... Vous voyez l’interstice entre l’os métacarpien du pouce et celui de l’index. C’est dans ce petit espace qu’il peut tenir des objets d’un pouce de diamètre au maximum avec assez de force mais sans la stabilité qu’assure la présence des doigts qui retiennent l’objet contre la paume de la main.

... On a pu déterminer, grâce au manomètre de Jamar, sa force de préhension. L’instrument a été placé dans cinq positions différentes. Dans la première position, l’écart entre les poignées est de 2,50 centimètres. Petit à petit, l’écart s’élargit pour finalement atteindre, en position 5, huit centimètres. Dans le cas de la main gauche, les résultats, pour les cinq positions respectives, ont été les suivants 17, 40, 4l, 40 et 36 kilogrammes, ce qui représente une très bonne force de préhension. Dans le cas de la main droite, les résultats ont été de 9, 10, 13, 5 et 4 kilogrammes, ce qui indique que M. Ward peut saisir de la main droite de petits objets avec environ 50 p. 100 moins de force que la normale et que si les objets sont plus volumineux il ne peut les saisir qu’avec 10 p. 100 de la force normale. Ces chiffres ne tiennent compte que d’un seul aspect de la préhension. Il n’a pas du tout été question de la stabilité de la prise. Dans sa main gauche normale, M. Ward a tenu fermement l’instrument en se servant simplement de sa main gauche et a pu tourner le poignet dans toutes les directions en effectuant les tests. Il a cependant dû tenir l’instrument de sa main droite et ce, même si l’instrument d’épreuve pèse moins de deux livres. Le fait qu’il ne puisse assurer la stabilité d’un objet qu’il tient dans la main

> - 16 droite s’explique de la façon suivante; n’ayant pas de doigts, M. Ward ne peut soutenir et retenir un objet, et il n’a pas non plus la faculté importante de percevoir au moyen de ses sens les trois dimensions de l’objet en question.

... Il se sert extrêmement bien de sa main droite, cependant. Il s’en sert d’abord et avant tout pour maintenir fermement sur une table des objets sur lesquels il travaille de sa main gauche normale. Il s’en sert dans bien des activités pour lesquelles il faut deux mains, comme par exemple jouer aux cartes. Il tient les cartes en les appuyant contre son torse et il les distribue de sa main normale. Il s’en sert pour soulever des objets grâce à la puissance des muscles qui font fléchir le poignet. Les jeunes gens qui sont nés avec des malformations de la main sont tous extrêmement motivés et, étant donné que ce handicap est congénital, ils apprennent à se servir de leur main d’une manière qui compense leur handicap. Il n’en reste pas moins cependant que ces patients sont incapables de saisir normalement des objets des deux mains et d’en assurer vraiment la stabilité, et que, même s’ils peuvent se livrer à de nombreuses activités, ils ne peuvent les exécuter aussi efficacement qu’une personne qui possède deux mains normales"

(traduction).

Le docteur Murray parle ensuite de sa visite à l’entrepôt de London des Messageries du CN, où il a pu observer le déroulement normal des activités. En guise de conclusion, il déclare ce qui suit :

"A force de détermination, je crois qu’il est probable que Michael Ward pourrait exécuter la plupart, sinon toutes, les tâches qu’on exige d’un manutentionnaire de l’entrepôt du CN. A mon avis, il ne fait aucun doute qu’il ne saurait le faire aussi efficacement qu’un autre manutentionnaire mais, chose beaucoup plus importante, son handicap le rendrait plus vulnérable tout en accroissant le risque de blessures pour ses collègues de travail. S’il se blessait à la main gauche, son incapacité serait telle qu’il ne pourrait > 16/ 1 assurer son hygiène personnelle... Tout bien considéré, du point de vue de sa propre sécurité et de celle de ses collègues de travail, Michael Ward ne devrait pas travailler comme manutentionnaire à l’entrepôt du CN..."

(traduction).

De l’avis du docteur Murray, le moins qu’on puisse exiger d’un manutentionnaire des Messageries du CN pour qu’il puisse effectuer le travail en toute sécurité, c’est qu’il possède :

"Un pouce et au moins un doigt qui lui soit opposable afin de pouvoir exercer une pression, et une paume intacte afin d’assurer la stabilité des objets qu’il - 17 manipule. Deux doigts permettent d’exercer une pression. En se servant de la paume de la main et de deux doigts, on peut assurer la stabilité d’un objet. Sans doigts, cela est impossible" (page 301 de la transcription)

(traduction).

Le docteur Murray a déclaré lors du contre- interrogatoire (voir page 317) que Michael Ward pourrait probablement occuper cet emploi pendant un été sans se blesser mais, selon ses propres termes, si tous les manutentionnaires de cet entrepôt souffraient de la même malformation que Michael, croyez- vous qu’ils pourraient effectuer leur travail sans courir plus de risques de blessures ? (traduction).

M. Ward a parlé de ce qu’il avait réussi à faire dans des emplois antérieurs, y compris conduire une motocyclette dont l’accélérateur à main et le frein étaient tous deux placés du côté droit. Il possède un permis pour conduire une motocyclette

> 17/ 1 et une automobile et, de fait, il conduit une voiture de série avec commande de changement de vitesse au plancher. Il a déclaré s’être déjà servi d’une bonne partie du matériel qu’on utilisait à l’entrepôt de London. Lorsqu’il travaillait comme préposé à l’entretien chez Woolco, il a conduit un chariot de manutention et un chariot élévateur à fourche à commande hydraulique, apparemment sans difficulté (voir page 469 de la transcription). Son témoignage a été confirmé par M. Jacob Tarnowski, chef de service au magasin Woolco de London. M. Tarnowski est le chef du rayon des biens de consommation durables, et il a témoigné du fait que M. Ward avait travaillé sous sa direction comme préposé à l’entretien. Entre autres fonctions, il devait s’assurer que les planchers étaient propres, ramasser les déchets, transporter des marchandises, décharger des camions et descendre des boîtes et des marchandises volumineuses dans les réserves. Pour ce faire, il devait charger les articles sur des chariots à plate- forme qu’il tirait tout au long du corridor jusque dans l’ascenseur et qu’il sortait ensuite pour les décharger. Le préposé à l’entretien devait aussi faire fonctionner un chariot élévateur à fourche manuel à commande hydraulique. Il lui fallait tirer et soulever toutes sortes de marchandises, depuis des boîtes dont le poids pouvait atteindre 60 livres, jusqu’à des meubles de forme et de taille diverses. Il devait soulever ces objets seul ou avec d’autres personnes. De temps en temps, le préposé à l’entretien devait aussi assembler des meubles. M. Ward savait faire fonctionner

> - 18 le plateau de chargement qu’on place entre les camions et le quai de déchargement. M. Tarnowski a déclaré que M. Ward accomplissait ces tâches d’une façon très satisfaisante, et que la compagnie avait apprécié à tel point son rendement qu’elle l’avait promu au poste de vendeur (voir page 55 de la transcription). M. Tarnowski a exprimé l’avis que le travail que M. Ward effectuait chez Woolco est en partie semblable à celui d’un manutentionnaire. Il a en outre déclaré qu’en sa qualité de président d’une société de copropriété, il avait employé M. Ward comme peintre. M. Ward travaillait alors pour l’entreprise College Pro Painters. Lui et ses collègues ont ainsi peint la surface extérieure des immeubles en grimpant dans des échelles : ils ont également dû enlever et remplacer d’anciennes contre- fenêtres. M. Tarnowski a exprimé l’avis, fondé sur son expérience personnelle en tant que manutentionnaire et sur ce qu’il connaissait de Michael Ward, que ce dernier pouvait travailler comme manutentionnaire pour les Messageries du CM, sans que son handicap ne le désavantage.

M. Ward n’a jamais conduit de chariot élévateur à fourche motorisé du genre de celui qu’utilise le CN, mais il a déjà conduit un tracteur équipé d’une faucheuse pour raser des taillis épais. Ce tracteur avait, du côté droit, deux leviers à main verticalement parallèles se déplaçant indépendamment vers l’arrière et vers l’avant et commandant la pelle mécanique à l’avant et la faucheuse à l’arrière. M. Ward devait aussi se servir > - 19 de l’embrayage, des freins, de la commande de changement de vitesse et de l’accélérateur. Selon lui, ce tracteur était bien plus difficile à conduire qu’un chariot élévateur à fourche motorisé (voir page 472 de la transcription).

M. Ronald Hodgkinson, président de la compagnie A & R Food Services Limited de London, a expliqué que M. Ward avait travaillé pour lui au cours de l’été 1978. Il se spécialise dans l’exploitation de comptoirs de rafraîchissements, de manèges et de bateaux fluviaux et dans la vente d’articles cadeaux et de souvenirs à Springbank Park à London. Lorsqu’il travaillait pour lui, M. Ward devait faire fonctionner des bateaux a pédales et, avec l’aide de trois ou quatre autres personnes, soulever ces bateaux pour les mettre à l’eau ou les en sortir. Il devait aussi piloter un bateau fluvial pouvant accueillir de 30 à 55 passagers. Selon les propres termes de M. Hodgkinson (page 9 de la transcription) :

"... C’est lui qui pilotait le bateau, assurant son départ du quai et en ayant la responsabilité tout au long de la croisière sur le fleuve, pour enfin le ramener à quai.

Q. : Est- ce qu’il est très difficile de faire accoster l’un de ces bateaux ?

R. : Oui, c’est assez difficile. Cela dépend du courant. En outre, lorsqu’il arrive à quai et que le bateau a ralenti, le pilote doit être capable de débarquer et d’amarrer le bateau"

(traduction).

> - 20 M. Ward devait mettre les bateaux à roues à l’eau au début de la saison et les en retirer une lois celle- ci terminée. Au début de l’été, les bateaux sont sortis de l’entrepôt, installés sur une remorque et amenés jusqu’au parc. Là, des hommes les transportent depuis la remorque jusqu’à l’eau (sur une distance de 20 à 30 pieds). Ils se mettent à deux, à trois ou à quatre pour transporter ainsi 50 bateaux. Chacun de ces bateaux pèse environ 250 livres. Il ressort du témoignage de M. Hodgkinson qu’il a été très satisfait du travail de M. Ward, qu’il savait que ce dernier n’avait pas de doigts à la main droite et que cela ne l’a pas empêché de faire le travail (voir page 10 de la transcription).

Lorsqu’il a travaillé, au cours de l’été de 1979, pour la compagnie London Free Press, M. Ward chargeait régulièrement sur un camion plate- forme des boîtes d’environ un pied carré pesant de 10 à 15 livres. Ni M. Ward ni ses collègues de travail n’ont jamais subi de blessures à cause de son handicap; en fait, ses superviseurs chez Woolco et chez A & R Foods se sont tous deux déclaré extrêmement satisfaits de son travail.

> 20/ 1 M. Ward a aussi parlé de ses intérêts sportifs; il a été membre d’une équipe senior de football à l’école secondaire et il a déjà effectué des sauts en parachute. Il a aussi mentionné qu’il avait aidé des amis à déménager, allant à jusqu’à monter et descendre un piano dans un escalier avec une autre personne. Il est évident que M. Ward est un jeune homme fort et athlétique, qui n’a apparemment pas peur de prendre des risques. De surcroît, il ne semble pas que sa malformation congénitale ait vraiment constitué pour lui un obstacle.

> - 21 - Michael Ward a également été testé par le Dr Leon F. Koyl, médecin dont l’une des fonctions consiste à faire office d’expert- conseil auprès de DeHavilland Aviation du Canada Ltée. Spécialiste en évaluation des emplois, il a entrepris une étude des emplois chez DeHavilland afin d’établir un profil des compétences minimales acceptables pour chaque poste. Il est également expert- conseil auprès d’Impco Health Services Limited, une filiale d’Imperial Life. Il a exécuté des évaluations d’emplois dans plusieurs domaines et a déjà témoigné à titre d’expert en matière de techniques d’évaluation des emplois.

Il se sert du système GULHEMP pour l’évaluation des emplois. Ce test mesure les caractéristiques suivantes : le physique en général (G), les extrémités supérieures (U) et inférieures (L), l’ouïe (H), les stimulus visuels (E), l’intelligence (M) et la personnalité (P). Les personnes sont évaluées sur une échelle de 1 à 5 pour chacun de ces facteurs. Le niveau 1 est celui de Surhomme, le niveau 2 est moyen, les niveaux 3 et 4 sont inférieurs à la moyenne et le niveau 5 est attribué à la personne qui peut être en convalescence à la suite d’une blessure. Le Dr Koyl a affirmé dans son témoignage que la fonction de manutentionnaire chez DeHavilland avait été évaluée à l’aide du système GULHEMP. Les niveaux minimaux acceptables pour le manutentionnaire chez DeHavilland ont été fixés comme suit : 2 pour le physique en général; 3 pour les extrémités > - 22 supérieures; 2 pour les extrémités inférieures; 4 pour l’ouïe; 3 pour l’acuité visuelle; 4 pour l’intelligence et 4 pour la personnalité. Ainsi, selon l’évaluation du Dr Koyl des fonctions de manutentionnaire chez DeHavilland, la norme minimale applicable aux extrémités supérieures (ce qui comprend les bras, les mains et les doigts) serait inférieure a la normale, et M. Ward s’y conformerait (voir p. 240 de la transcription). Bien que cette évaluation n’ait visé directement que la seule fonction de manutentionnaire chez DeHavilland, le Dr Koyl estimait que les activités d’entreposage, d’expédition et de réception y étaient plus variées que dans les centres de messageries, puisque chez DeHavilland on traite à la fois des marchandises brutes et des marchandises emballées, tandis qu’aux Messageries du CN on ne manipule que des marchandises emballées. Le Dr Koyl a étudié la description d’emploi du manutentionnaire travaillant pour le CN et il estime, à titre d’expert, que M. Ward pourrait faire l’affaire, sans aucun danger pour lui- même ou pour les autres employés.

Son examen de M. Ward constitue la pièce C- 9, présentée sous la forme d’une lettre à l’intention de M. Juriansz. On peut y lire, en partie, ce qui suit :

"... Il est né sans phalanges à la main droite, dont les cinq os métacarpiens sont toutefois recouverts de cals et de coussinets bien formés. Il peut opposer > - 22/ 1 - le premier et le cinquième os métacarpiens avec assez de puissance pour y retenir mon doigt. La puissance de sa prise de la main droite est de 10 kg, par rapport à 50 kg pour sa main gauche intacte. La différence est entièrement attribuable à l’action des doigts. J’ai noté avec intérêt qu’il réussit très bien à faire des mouvements subtils avec sa main droite. Ainsi, il arrive à boutonner et déboutonner sans difficulté une manchette à deux boutons sur son bras gauche.

Je dirais donc en résumé que M. Ward est un jeune homme très sain et costaud. En bonne santé physique, il est du genre à pouvoir passer huit heures par jour se plier, lever des poids et se tortiller mieux que tout autre type de jeune personne grâce à son expérience de joueur de football qui a pu éviter les blessures.

- 23 Il est né sans aucun doigt à la main droite, mais cela ne constitue pas vraiment une incapacité car il peut utiliser sa main droite pour faire des mouvements subtils et pour prendre des objets, les soulever et les tenir... Je ne vois rien dans la description d’emploi ni dans la note de service interne à l’intention de la clinique médicale qui puisse laisser croire que ce jeune homme n’est pas capable de faire le travail de manutentionnaire dans un centre de messageries..."

Il faut noter que ni dans son rapport ni dans son témoignage le Dr Koyl n’a abordé la question de la stabilité qui, selon le Dr Murray, pourrait être moindre chez M. Ward à cause de l’absence de doigts. Le témoignage du Dr Koyl diffère également un peu de celui du Dr Murray en ce qui a trait aux indications du manomètre relatives à la force de la main droite de M. Ward, mais cela pourrait être attribuable à divers facteurs. Les deux médecins conviennent cependant que sa main droite est beaucoup moins forte que la gauche.

> - 23/ 1 Le Dr Koyl a déclaré que M. Ward aurait été engagé comme manutentionnaire chez DeHavilland, en dépit de son incapacité (page 246 de la transcription) :

"Q. : Donc, si vous aviez examiné Michael pour un poste de manutentionnaire chez DeHavilland, quel aurait été votre opinion, à titre de médecin, au sujet de son aptitude à faire le travail ?

R. : J’aurais recommandé qu’il soit engagé en me fondant sur le fait que son incapacité est stationnaire et qu’elle n’a pratiquement pas d’effet parce qu’il a su s’y ajuster, ce qui lui permettrait de faire le travail sans restrictions..."

En réponse à une question du tribunal, le Dr Koyl a affirmé ce qui suit :

"... une partie de l’examen préalable à l’emploi de candidats comme M. Ward consiste à les amener sur les lieux du travail et à les surveiller pour déterminer s’ils peuvent faire le travail avec soin. Dans l’affirmative, nous pouvons tirer profit de cette - 24 information. Si le candidat échoue à la première tentative, nous devons alors déterminer si cet échec est dû à un manque de connaissances ou un manque d’aptitudes.

Mme la Présidente : Vous le testeriez donc d’abord en situation de travail ?

Le témoin : En situation de travail, oui." (page 244 de la transcription)

Le défendeur a produit des témoins pour tenter de démontrer que le poste de manutentionnaire était dangereux aux Messageries

> - 24/ 1 du CN et que l’on y dénombrait plus de blessures aux mains qu’ailleurs. M. John Zadowsky est Superviseur - Statistiques Prévention des accidents pour le compte de l’administration centrale du CN Rail à Montréal. Il reçoit à ce titre les statistiques du CN Rail et du service des Messageries au sujet des accidents survenus dans les diverses régions et il en fait la compilation à des fins précises. M. Zadowsky a produit à l’intention du tribunal des statistiques relatives aux taux d’accidents des Messageries du CN de 1979 à juillet 1981.

Les statistiques de M. Zadowsky, présentées à titre de pièces R- 7 et R- 8, ne m’ont pas été très utiles. Il faut d’abord souligner que la définition d’ invalidité utilisée par M. Zadowsky diffère considérablement du sens d’ invalidité dans la Loi. Selon M. Zadowsky, il y a invalidité dans le cas d’une blessure obligeant un employé à manquer au moins une journée à la suite de l’accident (transcription page 426). Les statistiques qu’il a fournies ne comparaient pas les taux d’accidents des Messageries du CN avec celles d’autres industries ou de l’industrie en général, mais seulement avec celles du CN Rail. La seule conclusion qu’on peut en tirer est que le travail aux Messageries du CN est plus ou moins dangereux, d’une manière générale ou pour ce qui est des blessures aux mains, qu’au CN Rail. Il ne s’agit pas nécessairement d’une comparaison utile ou même pertinente.

> - 25 Le Dr James Fisher, psychologue industriel, estimait que l’on pouvait tirer la conclusion suivante de ces statistiques :

"... lorsque vous examinez les statistiques originales, c’est- à- dire les taux d’accidents par million d’heures- hommes, vous constatez que le taux d’accidents entrainant des blessures aux mains est extrêmement élevé aux Messageries du CN, dépassant celui du CN Rail dans une proportion de trois pour un. Le service des Messageries du CN est donc un endroit de travail beaucoup plus dangereux en ce qui a trait aux blessures aux mains" (transcription page 623).

Il a affirmé que le taux général d’accidents aux Messageries du CN pour une année donnée était de 55.59 accidents par million d’heures- hommes, comparativement à 43.2 pour l’ensemble de l’industrie minière de l’Ontario, 14.50 pour le commerce de gros et de détail, et 4 pour la finance, l’assurance et l’immobilier. Il a conclu que pour ce qui est du taux général d’accidents, le service des Messageries du CN est une exploitation très dangereuse, tout particulièrement au chapitre des blessures aux mains (pages 630), même s’il convenait qu’en proportion, il y a plus de blessures de types autres que les blessures aux mains au service des Messageries du CN (page 636). Le taux d’accidents par million d’heures- hommes pour toutes les industries du secteur privé est de 19, et 22 p. 100 de toutes les blessures sont des blessures aux mains. Toutefois, aux Messageries du CN, > - 26 la proportion de blessures dites d’incapacité qui sont des blessures aux mains est de 12.21 p. 100 (page 638). Le Dr Koyl estimait que le taux d’accidents relatifs aux extrémités à supérieures aux Messageries du CN était inférieur à la moyenne indiquée par la Commission des accidents de travail (transcription page 247).

Le défendeur a fait valoir le témoignage du Dr Peter Moon, un autre psychologue industriel, qui a exécuté une évaluation d’emploi pour les Messageries du CN et s’est rendu à l’entrepôt de London. Dans ce type d’évaluation, un employé et un superviseur sur les lieux du travail, de concert avec l’analyste des emplois, attribuent des cotes à un grand nombre d’activités et d’exigences du poste visé. L’analyse est effectuée au moyen d’un questionnaire comprenant plusieurs éléments distincts d’information; les réponses sont analysées par ordinateur en Utah, ce qui permet d’obtenir des informations sous une forme qui peut être ensuite évaluée. Ce système d’évaluation des emplois est appelé méthode PAQ, pour Position Analysis Questionnaire (questionnaire d’analyse de poste). Les analystes observent le travail effectué et attribuent une cote à l’emploi en se fondant sur le nombre d’activités exécutées ainsi que sur les exigences physiques et autres du travail. Il ne s’agit pas de déterminer dans quelle mesure l’employé fait bien le travail, mais tout simplement de répartir les composantes de l’emploi en tâches précises.

> - 26/ 1 M. Ward n’a pas été lui- même l’objet d’une observation; en fait, le Dr Moon n’avait jamais rencontré M. Ward.

Après l’analyse électronique, les résultats du questionnaire PAQ établissent la cote d’aptitude requise pour chaque tâche précise. Le Dr Moon a affirmé que les deux points les plus hautement cotés ont été l’interprétation de ce qui est senti, c’est- à- dire la perception des conditions du milieu, et le travail fourni, c’est- à- dire l’utilisation de machines et de - 27 procédés faisant appel à diverses pièces d’équipement; l’exécution de tâches, la manipulation d’objets, et des activités connexes, ainsi que le travail dans des conditions dangereuses.

Les aptitudes requises pour certaines fonctions sont exprimées en scores centiles. Par exemple, la force statique, qui désigne la force corporelle, incluant les muscles, les bras, les mains et les doigts, obtient une cote de 90 p. 100 (transcription page 575). En réponse à la question de M. Band qui désirait savoir s’il croyait, en se fondant sur son analyse des fonctions de l’emploi et des résultats du PAQ, que la stabilité de la prise était une partie importante du travail de manutentionnaire, il a répondu (transcription page 576) :

"R. : Vous savez, en me fondant surtout sur ce que j’ai observé moi- même, lorsqu’il s’agit de prendre un appareil de télévision de 100 livres > - 27/ 1 sur le --- d’une hauteur d’environ 8 pieds, on peut affirmer que la fermeté de la prise est certainement importante."

Il estimait que la fermeté de la prise serait très importante pour la manipulation et le déplacement d’objets pesants, de grandes dimensions, ou peu maniables.

M. Band a tenté de faire confirmer par le Dr Moon que la norme minimale du CN était liée à l’emploi (transcription page 578) :

"Q. : Compte tenu de vos observations, de vos propres éléments de preuve, de vos connaissances et de votre expérience, et compte tenu de la nature du travail dont vous avez fait la description, à savoir tenir, transporter et soulever des objets, que pensez- vous du bien- fondé de cette exigence par rapport à l’emploi ou, plus fondamentalement, s’agit- il bien d’une exigence liée à l’emploi ?

R. Je crois qu’il s’agit d’une exigence liée à l’emploi.

Q. Oui ? R. Je n’ai pas eu le privilège d’entendre le témoignage déposé à ce sujet, mais je croirais d’après ma propre expérience qu’il s’agit d’une norme absolument minimale et qu’en appliquant une pareille ligne de conduite, ils ont peut- être l’intention de fixer des conditions optimales de travail."

> - 28 Et, quant à savoir s’il faut absolument avoir deux mains entièrement développées pour effectuer le travail :

"Q. : A votre avis, et compte tenu de votre expérience, des tests que vous avez effectués, à et des méthodes que vous avez suivies, la main ou les deux mains d’une personne doivent- elles être en mesure de remplir certaines fonctions pour lui permettre de transporter ces objets et de les déposer ?

R. : Disons simplement que ce type d’activités serait dangereux pour n’importe qui."

La stabilité n’a pas été le seul facteur à obtenir un score centile élevé dans le cadre du questionnaire d’analyse de poste. Ce fut aussi le cas de la coordination de la vue et du geste, et de la coordination entre la main, l’oeil et le pied. Il estimait par exemple qu’il était nécessaire de faire preuve de coordination de la vue et du geste, autant que de force, pour manoeuvrer des colis placés à une certaine hauteur. Il estimait que la prise était importante pour manipuler des objets, les charger et les décharger, les transporter et les mettre en place, de même que pour envoyer des informations tactiles au cerveau. La prise de force et la prise en crochet étaient importantes toutes les deux pour effectuer le travail. M. Band a demandé (transcription page 583) :

"Q. : Est- il nécessaire de pouvoir effectuer une prise de force des deux mains ou d’une seule main ? Le type de travail que vous avez vu peut- il être effectué avec une prise de force des deux mains ou d’une seule main ?

> - 29 R. : Je crois que pour effectuer le travail avec facilité et en toute sécurité, l’idéal serait de pouvoir exécuter une prise de force des deux mains, particulièrement pour les objets plus pesants et d’une forme difficile à saisir.

Q. : Donc, quel est le problème avec -- vous parlez de stabilité. Si une main ne peut exécuter de prise de force ou ne le peut que de façon limitée, y a- t- il un problème ou pourrait- il y avoir un problème de sécurité ?

R. : Je crois que cela pourrait être le cas."

Il estimait également que le risque de blessure serait plus élevé si un objet de grande dimensions était transporté par deux personnes dont l’une n’aurait pas de doigts à une main. A titre de spécialiste de l’ élément humain, le docteur James Fisher a expliqué que les machines ont évolué en fonction des besoins de l’usager moyen et qu’elles sont donc conçues pour être prises avec les doigts et les mains. Il estimait de ce fait que la norme minimale des Messageries du CN était raisonnable puisqu’elle reconnaissait la symétrie des mains et le fait que les machines et les véhicules utilisés étaient conçus en fonction de celle- ci :

"Donc, pour ce qui est d’exiger au moins un doigt et un pouce, j’estime, à la fois à titre personnel et à titre de professionnel, qu’il s’agit d’une exigence minimale puisque, nonobstant le niveau de motivation ou de compétence d’une personne, il se pourrait même qu’un doigt et un pouce ne puissent toujours compenser entièrement la symétrie fondamentale des deux mains d’une personne. D’où la possibilité d’un problème de stabilité qui pourrait entraîner une perte d’efficacité, voire constituer un danger" (transcription page 632).

> - 30 Discrimination aux termes des articles 7 et 10 Il faut d’abord décider si le plaignant a démontré qu’il s’agit à première vue d’un cas de discrimination aux termes des à articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C’est à lui qu’il incombe de prouver qu’il y a eu discrimination, et ce n’est que s’il y réussit que nous nous occuperons de déterminer si le défendeur avait raison, aux termes de l’article 14, d’invoquer une exigence professionnelle normale pour faire preuve de discrimination. Si le plaignant établit qu’il s’agit à première vue d’un cas de discrimination, le fardeau de la preuve incombe alors au défendeur. La Loi permet au défendeur de démontrer que la ligne de conduite discriminatoire était justifiée du fait qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle fondée sur la réalité pratique du monde du travail et de la vie quotidienne 1 (traduction).

La Loi canadienne sur les droits de la personne ne protège les droits des handicapés physiques qu’en matière d’emploi. Par exemple, les handicapés ne sont pas protégés contre les traitements injustes dans la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public (article 5) ni dans la fourniture de locaux commerciaux ou de logements (article 6).

1. Cosgrove v. The Corporation for the City of North Bay, 21 O. R. (2d) 607 (Ont. C. A.)

> - 30/ 1 J’estime qu’en leur accordant expressément le droit de travailler dans un milieu non discriminatoire, le législateur du Canada a reconnu le fait que les personnes handicapées, en tant que groupe, sont capables et désireuses d’occuper bien des postes dont elles ont peut- être déjà été exclues par le passé à cause de l’attitude discriminatoire et des lignes de conduite de nombre d’employeurs et du grand public. Grâce à la protection maintenant accordée par la Loi canadienne sur les droits de la personne, les anciennes suppositions relatives à l’aptitude, ou au manque d’aptitude, des personnes handicapées à exécuter certaines fonctions ne seront plus tolérées sans preuve de la diminution de la capacité d’une - 31 personne handicapée d’exécuter une tâche précise. La tendance à tenir compte des besoins spéciaux des handicapés en matière d’emploi est certainement de bon augure - non seulement pour les handicapés eux- mêmes qui occupent maintenant des postes inaccessibles par le passé, mais également pour le grand public qui, en voyant plus de personnes handicapées en milieu de travail, se rend compte que ces dernières sont maintenant en voie d’occuper la place qui leur revient dans la vie économique du pays.

Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (et des lois provinciales similaires), de même que la publicité qui a entouré l’" Année des personnes handicapées en 1981, ont rendu la société plus consciente des personnes handicapées

> - 31/ 1 et ont beaucoup contribué à la suppression de certains obstacles qui les empêchaient d’occuper la place qui leur revenait dans la population active.

La Loi canadienne sur les droits de la personne n’oblige cependant pas les employeurs à engager toutes les personnes handicapées qui postulent des postes précis. Il existe certainement des fonctions que les handicapés ne peuvent exécuter, à cause de la nature de leur handicap et des exigences particulières de l’emploi. Par exemple, s’il peut être établi que le travail est dangereux, et qu’il existe un certain rapport entre le handicap du candidat et le risque de blessure, l’employeur pourrait être en mesure de justifier une exigence professionnelle fixant une certaine norme minimale d’aptitude physique. Toutefois, il faut signaler que le seul fait que les handicapés ont maintenant le droit, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de s’élever contre la discrimination en matière d’emploi démontre clairement que les suppositions des employeurs, au sujet de ce qu’ils croient être les aptitudes des handicapés, ne suffisent plus à parer à une accusation de discrimination en vertu de la Loi. Nous allons étudier ci- après la question de savoir ce qui constitue vraiment une exigence professionnelle normale en matière d’emploi dans la présente affaire, > - 32 Comme les droits donnés aux handicapés en vertu de la Loi sont assez récents et plutôt limités quant à la portée générale de la Loi, nous devons nous pencher sur l’interprétation de ces droits.

La Loi est un texte législatif réparateur, et la Loi d’interprétation (S. R. 1970, I- 23, art. 11) stipule qu’un tel texte doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets. L’alinéa 2 a) établit l’objet de la Loi :

"La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, aux principes suivants :

a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée ou, en matière d’emploi, de leurs handicaps physiques; ..."

A la lumière de l’objet déclaré de la Loi et de l’orientation donnée par la Loi d’interprétation, il est claire que le Parlement désire que les droits des handicapés en matière d’emploi soient interprétés de façon large.

> - 33 L’avocat du défendeur a laissé entendre que l’alinéa 14 a) ne constitue pas une réelle exception à la Loi et qu’il expose tout simplement une situation dans laquelle n’est pas jugée discriminatoire une ligne de conduite qui l’aurait été dans une autre (transcription page 752). Il considère que puisqu’il ne s’agit pas d’une exception, il faudrait lui donner l’interprétation juste, large et libérale normalement accordée aux lois. Les exceptions prévues dans les lois sont en général interprétées rigoureusement. Je ne partage pas son avis quant à l’article 14. Bien que la note en marge de l’article 14 de la Loi qualifie celui- ci d’ Exceptions, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une partie de la Loi, même si elle peut constituer une indication de la teneur de la Loi et une aide visuelle pour en faciliter la compréhension. (Voir Driedger, The Construction of Statutes, 1974, Butterworths, page 109.) Comme les lois doivent être lues dans leur ensemble, c’est ce que j’ai fait, et j’ai décidé, en tenant également compte des décisions déjà rendues relativement à l’article 14, d’interpréter rigoureusement cet article comme on le fait normalement dans le cas de toutes les exceptions prévues par les lois.

Il importe, en matière de droits des handicapés, de se demander si l’employeur avait l’intention de faire de la discrimination. Comme l’a souligné l’avocat du défendeur, le CN compte parmi ses employés un grand nombre de handicapés, > - 34 et il fait réellement un effort pour s’adapter à leurs besoins dans les postes qui relèvent de sa compétence. Toutefois, les faits de la présente affaire démontrent qu’en fixant une norme physique minimale pour le poste de manutentionnaire, l’employeur a effectivement empêché un certain type d’employés handicapés d’occuper ce poste. L’employeur prétend ici, en fait, que le droit d’un candidat handicapé d’exécuter un travail particulier n’est pas absolu, et qu’il incombe à l’employeur d’éviter toute nouvelle blessure au candidat handicapé et de protéger les autres employés et le grand public des blessures qui pourraient résulter de la façon de travailler du candidat handicapé. On a fait valoir que l’obligation qui incombe à l’employeur d’établir le bien- fondé d’une exigence professionnelle est allégée dans le cas où l’aptitude limitée d’un employé augmente le risque pour le grand public ou pour les autres employés.

Il semble bien clair que les Messageries du CN n’avaient pas l’intention d’agir d’une manière discriminatoire envers M. Ward dans la présente affaire. Il est également clair, à la lumière de plusieurs autres cas relatifs aux lois sur les droits de la personne, qu’il n’est pas absolument nécessaire de faire la preuve de l’intention d’exercer une discrimination pour établir qu’il y a eu discrimination au sens de la Loi (voir Attorney General for Alberta and Gares et al (1976), 67 D. L. R. 635 > - 34/ 1 ( Alta. S. C.), et Foster v. B. C. Forest Products Ltd. 1980 2 W. W. R. 289 (B. C. S. C.), entre autres). Ce qui importe, c’est le fait que la ligne de conduite de l’employeur a entraîné de la discrimination envers un employé ou une catégorie d’employés. Donc, même si le CN se préoccupait principalement de la sécurité dans la présente affaire, sa ligne de conduite pourrait tout de même être jugée discriminatoire si elle a eu pour résultat d’empêcher M. Ward, un employé handicapé, d’occuper le poste en question, à moins qu’il ne s’agisse d’un cas d’exception prévu par l’article 14.

- 35 Il est important dans des causes semblables d’essayer de mettre en équilibre les droits des handicapés et les droits et obligations des employeurs. Il existe maints droits qui ne sont pas absolus. Dans l’affaire Black United Front v. Bramhill (Commission d’enquête de la Nouvelle- Écosse, 2 C. H. R. R. D 249), le doyen Charles a affirmé que le droit du défendeur à la liberté de parole n’est pas absolu. En effet, ce droit passe en second lieu lorsqu’il empiète sur le droit d’une autre personne d’être libre de discrimination fondée sur un motif proscrit en vertu d’une loi sur les droits de la personne. De même, une personne dont l’acuité visuelle est diminuée n’aurait pas un droit absolu d’être engagée, par exemple, comme pilote d’avion. Il faut considérer les exigences réelles du poste, de façon

> - 35/ 1 à tenir en équilibre les droits du candidat et les besoins de l’employeur pour le poste en question.

L’obligation de l’employeur de fournir un milieu de travail sécuritaire pour ses employés est importante et devrait être prise au sérieux par les employeurs. La tendance actuelle qui consiste à établir de meilleures normes professionnelles de santé et de sécurité pour les employés est absolument nécessaire. Toutefois, la Loi canadienne sur les droits de la personne entre en jeu lorsque les normes physiques minimales établies pour les employés occupant certains postes ont pour effet d’exclure les employés handicapés, même si elles sont appliquées dans l’intention très louable d’améliorer la sécurité au travail. La norme requise doit être directement liée aux besoins du poste, et - 36 il faudrait pouvoir prouver que le candidat handicapé, en ne satisfaisant pas aux exigences physiques minimales, est incapable d’exécuter le travail aussi bien qu’un employé sans handicap. Toute mesure moindre aurait pour effet de permettre aux employeurs de supposer qu’un employé est incapable, du fait de son handicap, d’exécuter un travail donné, en se fondant peut- être sur rien d’autre que sur les préjugés ou les attitudes démodés de l’employeur quant à ce qu’un handicapé peut, ou ne peut pas, faire. Par exemple, il a été déjà établi dans certaines causes relatives aux droits de la personne que les exigences minimales > - 36/ 1 qui, en matière de taille et de poids, ont pour effet d’exclure pratiquement toutes les femmes d’un emploi, constituent de la discrimination fondée sur le sexe. Le tribunal a rejeté les allégations de l’employeur qui prétendait que les restrictions relatives à la taille et au poids constituaient une exigence professionnelle normale, notamment parce qu’il n’y avait pas de corrélation entre les normes minimales et les fonctions de l’emploi. (Colfer v. Ottawa Board of Commissioners of Police, Commission d’enquête de l’Ontario, 1979).

Le plaignant a tenté de démontrer qu’il s’agissait à première vue d’un cas de discrimination fondée sur un handicap physique aux termes des articles 7 et 10 de la Loi, exposés précédemment. Le motif de distinction illicite auquel il est fait allusion à l’article 7 fait intervenir l’article 3, où le handicap physique en matière d’emploi figure parmi les motifs de distinction illicite. Il est clair que la malformation congénitale de la main de M. Ward est conforme à la définition du handicap physique.

> - 37 Malgré le fait que l’employeur n’avait aucunement l’intention de faire de discrimination à l’égard de M. Ward, j’estime qu’il a été établi qu’il s’agissant à première vue d’un cas de discrimination fondé en ce sens que la politique du CN exigeant que les candidats au poste de manutentionnaire possèdent au moins une main intacte et au moins deux doigts à l’autre main, c’est- à- dire une main fonctionnelle, a eu pour effet d’exclure M. Ward, un candidat autrement acceptable, du poste en question à cause de son handicap physique. Exigence professionnelle normale - Article 1 Comme il a été établi qu’il s’agissait à première vue d’un cas de discrimination fondé, il incombe maintenant à l’employeur de prouver que l’acte discriminatoire était fondé sur une exigence professionnelle normale. Ce qui constitue une exigence professionnelle normale, et la portée du fardeau de la preuve nécessaire pour établir le bien- fondé d’une telle exigence, sont deux questions d’une grande importance.

Les dictionnaires juridiques conviennent en général que l’expression bona fide (traduit en français par normale) signifie honnêtement et de bonne foi. Dans le cas qui nous intéresse, cette définition, à elle seule, n’est pas particulièrement utile. Le Stroud’s Judicial Dictionary (3e édition, 1952) fournit une définition complète de ce terme. Il serait juste de dire, par exemple, qu’une conviction bona fide doit être non seulement honnête et de bonne foi, mais aussi véritable, réelle, authentique et sérieuse.

> - 38 Le test fréquemment employé pour déterminer ce qu’est une exigence professionnelle normale est exposé dans l’affaire Cosgrove v. The Corporation for the City of North Bay (Commission d’enquête de l’Ontario, 1976, 21 O. R. (2d) 607 (Ontario C. A.).

"... Le mot clé est bona fide (qui est traduit en français par normale). Dans les dictionnaires réputés, soit généraux (comme l’Oxford ou le Webster), soit juridiques (comme le Black), cette expression est généralement définie par au moins un des termes suivants: honnêtement, de bonne fois, sincère, sans imposture ou tromperie, réel, sans simulation ou feinte, véritable. Ces mots connotent un motif et une norme subjective. Ainsi il est possible de croire sincèrement qu’une chose est correcte ou bonne même si, objectivement, cette conviction est totalement déraisonnable et dépourvue de fondement.

... Toutefois, la question n’est pas close car il ne s’agit pas de la seule définition de l’expression bona fide; autrement, les normes seraient trop éphémères et varieraient selon l’opinion que chaque employeur se ferait en toute honnêteté des exigences des emplois (et selon les préjugés qu’il entretiendrait à ce propos), peu importe que cette opinion soit déraisonnable ou sans fondement. Ainsi, une compagnie de transport aérien pourrait estimer, de bonne foi, que ses hôtesses de l’air ne devraient pas être âgées de plus de 25 ans. Toutefois, si elle imposait cette restriction comme condition d’emploi ou de continuation d’emploi, je suis certain qu’elle ne serait pas acceptée comme condition ou exigence professionnelle normale aux termes du paragraphe 4( 6) de la Loi qui a trait aux cas d’exception. En effet, à mon avis, ce genre de restriction est dépourvu de toute base objective en réalité ou en fait. En d’autres mots, s’il est nécessaire que toute restriction soit imposée de bonne foi ou avec de bonnes intentions, il faut en outre qu’elle soit appuyée par des faits et par une logique fondée sur la réalité du travail et de la vie de tous les jours."

(Traduction)

Le dernier bout de phrase - fondée sur la réalité du travail et de la vie de tous les jours - est devenu le test d’une exigence professionnelle normale. Selon ce test, l’exigence en question

> - 39 doit avoir une base objective dans la réalité ou dans les faits. Il ne suffit pas à un employeur de supposer que, parce qu’un candidat ou un employé est handicapé, il ne fera pas l’affaire.

Dans le cas qui nous intéresse, une exigence professionnelle normale doit être honnête, authentique, réelle et sérieuse. Ce n’est pas l’opinion de l’employeur concernant l’exigence de l’emploi qui doit avoir ces caractéristiques, mais bien l’exigence elle- même. Ainsi, l’analyse subjective de l’emploi par l’employeur, son opinion sur le type de personne que l’emploi appelle, ne suffisent pas. Il doit faire une analyse objective de l’emploi et des exigences nécessaires pour en assurer l’accomplissement. Pour reprendre l’analogie de l’affaire Cosgrove, il ne suffit pas que la compagnie de transport aérien croie honnêtement et subjectivement que ses hôtesses doivent être âgées de moins de 25 ans. A moins qu’il n’y ait un lien quelconque entre cette exigence et les fonctions réelles de l’emploi, elle ne pourra pas être considérée comme étant une exception valable.

Pour déterminer le sens véritable de l’article 14, nous devons nous pencher sur les règles d’interprétation des lois. Dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le critère d’interprétation des lois, établi par Driedger dans son ouvrage, The Construction of Statutes, est accepté :

"Aujourd’hui, il n’existe qu’un principe ou une méthode d’interprétation des lois : il faut lire les mots de la loi en fonction de leur contexte général, dans leur sens grammatical et ordinaire, en établissant le lien avec le but de la loi et l’intention du Parlement"

(traduction).

> - 40 Le fait d’interpréter l’article 14 en laissant de côté le fondement objectif des exigences en question irait à l’encontre de l’objet global de la Loi, énoncé à l’article 2, qui est de protéger les gens contre certains types de discrimination.

Il incombe à l’employeur de prouver au tribunal que l’exigence professionnelle qui a pour effet d’exclure un candidate d’un emploi quelconque est normale. Il s’agit non pas de satisfaire aux normes raisonnables du tribunal mais bien de démontrer que, dans le cas dont est saisi le tribunal, les exigences établis sont raisonnables, et qu’elles sont objectivement justifiables.

Bon nombre de causes ont déjà porté sur les normes physiques minimales imposées pour un emploi donné et sur la question de savoir si elles constituaient des exigences professionnelles normales. Ainsi, dans l’affaire Shack v. London Driv- Ur- Self (Commission d’enquête de l’Ontario, 1974), la plaignante s’était vu refuser un emploi à cause de son sexe. Le poste en question l’aurait appelée à conduire et à préparer des camions lourds pour la location. L’employeur avait supposé que les femmes seraient incapables d’accomplir de telles tâches. Or, la plaignante avait de l’expérience dans ce domaine et, en fait, avait démontré ses capacités à la commission. Cette dernière a conclu que le défendeur n’était pas autorisé à se prévaloir de la clause d’exception relative aux exigences professionnelles normales.

> - 41 Dans l’affaire Hawkes c. Brown’s Ornamental Iron Works, (Commission d’enquête de l’Ontario, 1977), il a été établi que le défendeur avait supposé que Mme Hawkes ne pourrait exécuter les fonctions du poste parce qu’elle était âgée de 51 ans. En réalité, elle avait suivi des cours de soudeur afin d’acquérir une compétence dans un domaine offrant des débouchés. La commission a déclaré ce qui suit relativement à la question de l’exigence professionnelle normale :

"... Pour donner effet à cette disposition (c’est- à- dire l’exigence professionnelle normale), le défendeur doit établir la classification du poste et la description des fonctions qui s’y rattachent, et prouver qu’il y a des motifs suffisants pour croire de bonne foi à la validité de la condition. Plusieurs décisions ont maintenant été rendues à ce sujet, et il semble clairement établi que le paragraphe 4( 6) ne peut être invoqué pour justifier un acte discriminatoire fondé sur l’âge que lorsque le défendeur a convaincu la Commission qu’il avait de bonnes raisons d’imposer la condition"

(traduction).

Cette décision est fondée sur la Loi sur les droits de la personne de l’Ontario, dont la disposition pertinente est semblable à celle contenue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La mention de l’âge peut certainement être étendue à d’autres types de discrimination interdits par la Loi, comme la discrimination fondée sur le handicap physique.

Dans bon nombre de cas, il a été souligné que l’obligation pour l’employeur de justifier une exigence professionnelle quelconque est beaucoup moins contraignante si ce dernier peut prouver qu’il y va de la sécurité de l’employé en question ou de ses compagnons de travail, ou encore du grand public. Toutefois,

> - 42 bien que le fardeau de la preuve soit moins lourd lorsque la sécurité entre en ligne de compte ou lorsque l’emploi comporte des risques, l’exigence professionnelle normale doit tout de même être strictement interprétée.

L’affaire Cosgrove avait trait à une exigence professionnelle normale voulant que les agents de prévention des incendies prennent leur retraite à 60 ans. La Commission, qui s’était beaucoup appuyée sur quatre témoignages, avait décidé qu’en raison des risques inhérents à ce genre d’emploi et de la nécessité pour les agents de prévention des incendies d’avoir de l’endurance et des réflexes rapides, la retraite à 60 ans constituait effectivement une exigence professionnelle normale. C’est dans ce jugement que le test de l’exigence professionnelle normale a été établi. La Cour divisionnaire avait refusé d’infirmer la décision parce qu’il avait été établi que la retraite à 60 ans pour cet emploi en particulier constituait une exigence professionnelle normale. La Cour d’appel avait rejeté la demande d’autorisation d’appel car elle souscrivait au test établi par la commission d’enquête.

Une autre cause présentant des faits similaires a pourtant eu une conclusion différente. (Hall and Gray v. I. A. F. F. and Etobicoke Fire Dept., (Commission d’enquête de l’Ontario, 1977); (1980), 26 O. R. (2d) 308, (décision confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, autorisation accordée d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada)). Dans cette cause- là, la commission d’enquête avait jugé que le défendeur n’avait pas réussi à justifier la retraite à 60 ans pour les pompiers. La commission a déclaré (à la page 314 de la décision de la Cour divisionnaire) :

> - 43 "... La définition de bona fide (traduit en français par normale) qui semble la plus compatible avec cet objectif est réelle ou véritable, c’est- à- dire qu’il existe une raison valable pour imposer une limite d’âge, et qu’il incombe au défendeur de prouver, comme il l’affirme, que cette discrimination est justifiée. La commission conclut donc que, dans le cas présent, les preuves sont insuffisantes pour justifier l’exigence professionnelle voulant que les pompiers prennent leur retraite au plus tard à 60 ans"

(traduction).

Cette décision a été infirmée par la Cour divisionnaire de l’Ontario, qui estimait que le fait d’exiger des preuves du bien- fondé d’une exigence dépassait les limites du test de bona fides énoncé dans le cas Cosgrove. Selon un membre dissident de la Cour divisionnaire, le juge O’Leary, l’examen approfondi des raisons de la commission d’enquête révèle que celle- ci n’a pas exigé de données scientifiques ou statistiques contraignantes et qu’elle a utilisé un test semblable à celui établi dans l’affaire Cosgrove. A la page 322, le juge O’Leary déclare :

"... la conclusion de la commission d’enquête indique clairement que dans le cas qui nous intéresse, les preuves fournies n’ont pas permis d’établir que la limite d’âge constituait une exigence professionnelle normale"

(traduction).

La Cour suprême du Canada étudie actuellement la question de la portée des preuves nécessaires pour établir qu’une exigence professionnelle est normale.

La décision rendue récemment dans l’affaire Bhinder c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne, septembre 1981) fournit un bon résumé des causes relatives aux exigence professionnelles sur lesquelles il a été statué dans les sphères de compétence fédérale et provinciale. On y affirme que lesdites causes soulève généralement la question de l’importance du risque

> - 44 lié au travail en cause et de la possibilité d’évaluer les candidats d’une manière, c’est- à- dire selon leurs aptitudes réelles plutôt qu’en fonction d’une supposition rapide ayant trait à une caractéristique particulière (page 88). La responsabilité de l’employeur de justifier ce qui serait autrement une exigence professionnelle discriminatoire peut varier selon le risque encouru et la nécessité de l’exigence en question.

Dans l’affaire Bhinder, on a jugé que le défendeur avait commis un acte discriminatoire en exigeant que le plaignant respecte sa politique relative au port du casque protecteur dans la gare de triage de Toronto, portant ainsi atteinte au droit de M. Bhinder de se conformer à ses croyances religieuses selon lesquelles il lui est interdit de porter autre chose sur la tête qu’un turban. Quant à savoir si l’employeur a le droit d’établir des normes visant à protéger les employés contre les blessures, le tribunal a déclaré ce qui suit (page 93) :

"... même s’il y a un accroissement du risque pour l’employé qui ne satisfait pas une exigence professionnelle, la décision de s’exposer ou non à ce risque doit, dans la mesure du possible, lui revenir si l’exigence en question a pour lui un effet discriminatoire. Il est en effet conforme à l’objet général de la législation sur les droits de la personne que les décisions concernant les individus soient prises sur une base individuelle et non en fonction de caractéristiques qui entraînent l’exclusion massive de certaines personnes"

(traduction).

Bien que les faits de l’affaire Bhinder se distinguent de ceux de la cause à l’étude ici, ma conclusion serait la même, à la différence qu’ici, la discrimination est fondée sur le handicap plutôt que sur la religion. En outre, le cas Bhinder ne mettait pas en jeu la sécurité d’autres employés.

> - 45 Il faut souligner qu’en droit commun, l’employeur était tenu de prendre des mesures raisonnables pour assurer la sécurité de ses employés. Un aspect de cette responsabilité était l’organisation d’une équipe d’employés compétents. Cependant, il n’était pas tenu d’assurer la sécurité des conditions de travail des employés, car il suffisait à ces derniers d’être prudents et de se servir de leurs compétences. Ces droits et responsabilités de droit commun ont été en grande partie abolis par les lois provinciales relatives aux accidents du travail, de sorte que la loi de l’Ontario stipule que les dispositions de la Loi remplacent tous droits d’action qui auraient pu exister contre l’employeur.

A partir des preuves fournies, il est facile de conclure que M. Ward était capable d’exécuter le travail de manutentionnaire pour les Messageries du CN. Les témoins médicaux n’ont pas contesté le fait que M. Ward, en raison de sa force physique et de son adaptation à son invalidité, pouvait accomplir ce genre de travail dur. Toutefois, pourrions- nous également conclure qu’étant donné que M. Ward n’a pas de doigts à la main droite et que les blessures aux mains sont le second type le plus commun de blessures aux Messageries du CN, que M. Ward présente un risque pour ses compagnons de travail, malgré le fait qu’il a déjà occupé des postes semblables, sans incidents, qu’il compense > - 45/ 1 pour son invalidité depuis sa naissance et qu’il est peut- être encore plus fort que certains employés non handicapés ? Des preuves ont été présentées selon lesquelles l’inattention est la principale cause d’accidents; il est évident que tous les - 46 employés présentent des risques éventuels pour la sécurité de leurs compagnons, dans la mesure où ils sont sujets à des périodes d’inattention. N’importe qui peut avoir un accident, et le simple fait qu’une personne handicapée ait un accident ne signifie pas forcément que l’invalidité en question y était pour quelque chose. Par exemple, il est possible que ces accidents aient été causées par des employés nerveux ou excitables qui avaient bu trop de café ou qui se remettaient de la gueule de bois. Si les statistiques indiquent que les accidents qui ont lieu au travail sont nombreux, on pourrait conclure non pas que l’emploi est particulièrement dangereux, mais plutôt que les cours de formation en matière de sécurité sont peut- être inadéquats.

Dans son témoignage, M. Brodie, superviseur du centre de London, a déclare qu’environ 5 à 10 p. 100 du travail se fait par équipes de deux personnes ou plus. En fait, M. Ward a déjà travaillé de cette façon et n’a jamais eu d’accident ni subi de blessure au travail. De toute manière, il semble que le travail en équipe constitue une si petite partie du travail qu’il serait > - 46/ 1 injuste de refuser un emploi à une personne handicapée à cause de cet aspect. D’ailleurs, il a été prouvé que certains employés n’exécutent pas certaines fonctions pour une raison ou pour une autre et qu’en pareil cas, la fonction en question est exécutée par d’autres employés.

Il revient à l’employeur de prouver que ses exigences physiques sont raisonnables et non pas fondées sur des suppositions ou des stéréotypes injustifiés, c’est- à- dire que ses exigences sont fondées sur les faits et la raison. J’ai conclu que l’employeur avait supposé que les candidats à qui il manquait des doigts à une main seraient incapables d’accomplir les tâches de l’emploi et que cette politique ne tenait pas compte du candidat exceptionnel, comme Michael Ward, qui a prouvé qu’il est capable de faire le travail malgré son handicap. D’après les preuves qui m’ont été présentées, je suis incapable de conclure que, si l’on avait accordé un emploi à M. Ward aux Messageries du CN, il aurait présenté un risque pour la sécurité de ses compagnons de travail.

Il est peut- être vrai que bon nombre de personnes à qui il manque des doigts à une main seraient incapables de faire ce travail. Mais Michael Ward a prouvé (par son ancien emploi et son expérience), qu’il a suffisamment de compétences, de

> - 47 motivation, de force physique, et d’adresse dans les deux mains, pour faire ce que ces autres personnes sont incapables de faire. En fait, des normes physiques minimales constituent un bon guide pour les employeurs. Néanmoins, il ne faut pas exclure automatiquement les personnes qui ne satisfont pas à ce minimum. Dans son témoignage, le docteur McGeough a déclaré qu’un candidat qui remplit l’exigence minimale, c’est- à- dire qui possède deux doigts à une main et l’autre main complète, subirait des tests individuels, étant donné que différentes personnes ont différentes fonctions manuelles, même avec une main normale. Il a ajouté que cette personne handicapée pourrait être incapable d’accomplir les fonctions de l’emploi, même si elle satisfait à l’exigence minimale. De même, une personne qui ne satisfait pas à l’exigence minimale devrait avoir l’occasion de prouver qu’elle peut faire le travail malgré son handicap.

L’avocat de la défense a affirmé ce qui suit :

"... Une exigence professionnelle établit une norme d’application générale. Il n’est opportun de démontrer que des individus peuvent exécuter le travail que si l’on exclut un grand nombre de personnes de l’emploi en question, ou encore s’il y a moyen d’administrer des tests individuels" (transcription, page 711)

(traduction).

> - 48 Je suis d’avis qu’il est opportun de démontrer qu’un individu est capable de faire un travail quand il s’agit d’une norme d’application générale, et qu’il ne devrait pas être nécessaire d’établir qu’un grand nombre de candidats sont exclus à cause de l’exigence. Bien qu’il n’existe aucun test pour mesurer l’aspect sécuritaire d’un employé, on ne peut prétendre qu’il est impossible d’administrer des tests individuels. En fait, tout candidat à un emploi quelconque est tenu de subir un examen médical par un médecin du CN. Pour ce faire, certains candidats doivent parcourir de longues distances et s’en trouvent quelque peu incommodés. Bon nombre d’emplois exigent que l’employé subisse une période de probation, au cours de laquelle on décidera s’il fait l’affaire. De toute évidence, il s’agit là d’une forme de test individuel. Cela ne veut toutefois pas dire que tous les candidats devraient avoir droit à une période de probation. Par exemple, l’emploi en question exigeant que le titulaire soit en bonne forme physique, les personnes qui ne seraient pas en forme seraient automatiquement exclues. Cependant, quelqu’un comme M. Ward, qui possède l’expérience de ce type de travail, et dont les anciens employeurs peuvent témoigner de sa compétence, qui possède une force physique supérieure à la moyenne, qui n’a eu aucun accident, soit personnel soit relié au travail et qui, grâce à son adaptation a un handicap stable, en éprouve peu de désavantages, devrait > - 48/ 1 avoir la possibilité de prouver que les craintes de l’employeur ne sont pas fondées, et qu’elles ne sont basées ni sur la réalité ni sur les faits.

En conclusion, je suis d’avis qu’il n’a pas été prouvé que l’exigence en matière de forme physique imposée par les Messageries du CN représente une exigence professionnelle normale justifiant la discrimination exerçée à l’égard de M. Ward en raison de son handicap physique.

- 49 L’avocat du plaignant et de la Commission a vivement fait valoir devant le tribunal que les normes anatomiques constituent une présomption absolue que les personnes handicapées ne peuvent satisfaire, et que l’article 14 de la Loi doit être interprété comme interdisant ces présomptions absolues. Cette proposition est tirée du droit américain. Je ne pense pas que les normes anatomiques constituent nécessairement une infraction à la règle des exigences professionnelles normales. Si les normes ont trait aux compétences nécessaires pour faire un travail particulier, elles peuvent bien être justifiables. De toute manière, je ne crois pas que, dans le contexte du cas qui nous intéresse, le tribunal devrait élargir l’interprétation de l’article 14 de façon à interdire les présomptions absolues.

> - 49/ 1 Il n’est pas non plus nécessaire, dans le cas présent, d’inclure dans la définition de la discrimination le fait que l’on n’a pas tenu compte des employés handicapés. M. Juriansz a soutenu que, si le tribunal jugeait que M. Ward était incapable d’accomplir certaines des tâches de l’emploi, par exemple faire fonctionner l’élévateur à fourche motorisé et le plateau de chargement, il devrait déclarer que lorsqu’il s’agit de fonctions périphériques à l’emploi et lorsque le candidat handicapé peut accomplir la majorité des fonctions, l’employeur devrait tenir compte de sa demande (transcription, page 667). Cette idée se fonde également sur le droit américain et sur une analogie avec les cas de discrimination fondée sur la religion. Il n’est point besoin d’examiner cette question dans le cas qui nous intéresse, car il a été établi que M. Ward serait capable de faire fonctionner ces machines.

Puisqu’il y a eu infraction à la Loi, il reste à examiner la question des dommages. Le plaignant a demandé une somme représentant le salaire perdu au cours de l’été 1979, ainsi qu’une indemnité pour préjudice moral subi.

> - 50 Le pouvoir d’adjuger des dommages et intérêts pour le salaire perdu est accordée à l’alinéa 41( 2) c) de la Loi. La somme demandée représente ce que M. Ward aurait gagné au cours de l’été 1979 s’il avait été employé au centre des Messageries du CN de London. Au cours de la période allant du 2 juin au 31 août, la somme se serait élevée à $3 440, soit 13 semaines à un salaire hebdomadaire de $264.65. De cette somme, il faut toutefois soustraire le salaire que le plaignant a touché au cours de cet été, soit $1 384 au London Free Press et $610 au magasin Woolco. Le salaire total perdu s’élève donc à $1 446. J’estime cette somme justifiée.

Le tribunal est autorisé à accorder des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi, en vertu de l’alinéa 41( 3) b), qui se lit comme suit :

Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

... b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de $5 000.

Il n’est pas nécessaire de prouver que la discrimination était volontaire pour adjuger des dommages et intérêts en vertu de

> - 51 ce paragraphe. La Loi ne donne aucune précision sur les éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il faut adjuger des dommages et intérêts, ni sur l’importance du préjudice moral que doit souffrir la victime pour qu’on lui accorde une somme à titre de dommages.

M. Ward et sa mère, Mme Joan Ward, ont tous deux parlé, dans leurs témoignages, des effets de cette discrimination sur le plaignant. C’était apparemment la première fois qu’on traitait M. Ward de personne handicapée, et ça lui a fait un choc. A la page 194 de la transcription, Mme Ward décrit ce qui est arrivé après que son fils eut obtenu les résultats de son examen médical à Toronto :

"Je me souviens très bien lorsque Mike est allé à Toronto, parce qu’il m’a appelée pour me dire qu’il était de retour. Je lui ai demandé s’il avait obtenu l’emploi, et il m’a répondu qu’il m’en parlerait plus tard. Lorsque je suis allée le chercher en auto, je lui ai demandé comment ça s’était passé et il m’a répondu qu’on l’avait traité de handicapé. J’ai dit : Voyons donc !, et il m’a répondu : C’est vrai, c’est ce qu’ils m’ont dit. Il était très fâché.

... Lorsqu’il est arrivé à la maison, il m’a annoncé qu’il avait l’intention d’enlever la peinture ou le vernis d’une vieille chaise de bureau qui a environ 100 ans, à quoi je lui ai répondu : Tu n’y touchera pas, mon gars !. Mais je lui ai signalé qu’il y avait une vieille table au sous- sol et qu’il pouvait s’en servir pour se défouler. Et c’est exactement ce qu’il a fait. Il est sorti dans la cour arrière, il a mis du décapant sur la table et il s’est mis au boulot, je suppose que c’était pour se défouler.

> - 51/ 1 ... Je crois que son attitude était très bonne à l’égard de sa main. Je crois qu’il se rendait compte du problème, il ne sentait pas le besoin de le cacher. Il est capable de faire bien des choses avec ses deux mains comme elles sont.

... Et j’estime que c’était un vrai coup de pied au derrière que de le faire aller jusque là pour que quelqu’un lui dise qu’il est handicapé. Je crois d’ailleurs que c’est ça qui l’a frappé, vous savez. De se faire dire ça par quelqu’un.

Q. : Vous aviez commencé à nous raconter comment l’incident l’avait affecté. Vous aviez mentionné qu’il n’était pas conscient de sa main...

- 52 R. : Je disais que je crois qu’il ne s’en faisait pas avec sa main et que, comme m’a dit un de ses amis, il est devenu plus conscient de sa difformité depuis. En fait, il parait qu’une cousine qu’il a visitée à Banff, avant qu’elle ne s’en aille, aurait dit à ses parents : Je ne crois pas que Joan et Bob se rendent compte de l’effet que cet incident a eu sur Mike..." (traduction).

Dans son témoignage, à la page 453, M. Ward déclarait : Je ne crois pas avoir jamais été aussi bouleversé par quelque chose. Ça m’a vraiment dérangé (traduction). D’autres indications sont fournies aux pages 488 et 491 sur l’effet que cet incident a eu sur M. Ward. Michael et Joan Ward ont tous deux été des témoins francs et honnêtes, et je trouve leurs témoignages sur cette affaire faciles à croire. > - 52/ 1 Peu de décisions rendues par des tribunaux nommés en vertu de la Loi traitent des dommages pour préjudices moraux. Dans l’affaire Phalen c. le Solliciteur général du Canada (2 C. H. R. R. D/ 433), la somme de $2 500 avait été accordée pour préjudice moral, à cause de la colère et de l’embarras de la victime à la suite de l’incident discriminatoire. La décision dans l’affaire Phalen était fondée sur celle du tribunal d’appel dans le cas de Foreman et al c. VIA Rail (1 C. H. R. R. D/ 233), selon laquelle :

"... l’indemnité à laquelle il est fait allusion au paragraphe 41( 3) devrait, comme celle du paragraphe 41( 2), être accordée automatiquement lorsque les circonstances invoquées existent vraiment, à moins qu’il y ait de bonnes raisons pour la refuser. Il est vrai que le Parlement a jugé bon de traiter de ce genre d’indemnité dans un autre article... Cela ne veut tout de même pas dire qu’il s’agit d’un remède singulier qui ne doit être accordé que dans des circonstances exceptionnelles"

(traduction).

Je suis d’avis que les circonstances justifient l’adjudication de dommages et intérêts en vertu du paragraphe 41( 3), et qu’il n’y a aucune bonne raison de refuser cette indemnité. Par conséquent, j’accorde la somme de $2 000 à titre d’indemnité pour préjudice moral souffert par M. Ward.

> - 53 Le plaignant a demandé que si la plainte s’avère fondée, le tribunal ordonne, entre autres choses, à l’employeur d’offrir un emploi d’été à M. Ward au cours de l’été 1982, si ce dernier est intéressé.

Décision et ordonnance 1. Les Messageries des chemins de fer nationaux du Canada ont fait de la discrimination à l’égard de M. Michael Ward en refusant de l’engager à cause de son handicap physique. Cette discrimination n’était pas justifiée par une exigence professionnelle normale en vertu de l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

2. Les Messageries des chemins de fer nationaux du Canada doivent verser à Michael Ward la somme de $3 446, représentant $1 446 en salaire perdu et $2 000 à titre d’indemnité pour préjudice moral souffert.

3. Le défendeur offrira à Michael Ward un poste de manutentionnaire pour l’été 1982, s’il s’en libère un.

Fait à Halifax (Nouvelle- Écosse), le 11 janvier 1982. Susan Mackasey Ashley Tribunal

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