Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Joyce Beattie

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Affaires indiennes et du Nord Canada

l'intimée

T’Seluq Beattie

- and -

Nikota Beattie

les parties intéressées

Décision

Membre : Edward P. Lustig

Date : Le 10 janvier 2014

Référence : 2014 TCDP 1



I.  La plainte

  • [1] Il s’agit d’une décision portant sur une plainte signée par Joyce Beattie (la plaignante) le 18 janvier 2011 et reçue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 19 janvier 2011. Cette plainte a été modifiée le 8 décembre 2011.

  • [2] Dans la plainte, la plaignante allègue qu’Affaires indiennes et du Nord Canada (aujourd’hui appelé Affaires autochtones et Développement du Nord Canada et ci-après, l’intimé) a fait preuve de discrimination à son égard [Traduction] « lors de la fourniture d’un service qui est destiné au public et que l’intimé est tenu, suivant les paragraphes 5(3) et 9(3) de la Loi sur les Indiens, de fournir à toute personne. Plus particulièrement, l’intimé a sommairement refusé, sur le seul fondement d’un motif de distinction illicite, soit la situation de famille, d’examiner avec suffisamment d’attention les faits et les règles de droit qui lui ont été présentés en vue d’établir le droit de la plaignante d’être inscrite au registre des Indiens et de devenir membre d’une bande conformément aux alinéas 6(1)c) et 11(1)c) de la Loi sur les Indiens. La plainte vise à empêcher une violation continue de la Loi canadienne sur les droits de la personne de la part de l’intimée dans l’exécution des obligations que cette loi lui impose relativement à la demande présentée par la plaignante le 2 juin 2010 pour que soient apportées les corrections nécessaires concernant son inscription au registre des Indiens et son appartenance à une bande ». Dans sa plainte, la plaignante allègue en outre que [Traduction] « les documents et la demande de modification de sa catégorie d’inscription pour celle prévue à [l’al.] 6(1)c), ce qui lui confère le droit de réintégrer la bande Gwichya Gwich’in à laquelle elle a appartenu et devrait appartenir, ont été remis au registraire des Indiens le 7 juin 2010. Dans une lettre datée du 7 décembre 2010, le registraire a rejeté sommairement la demande de la plaignante [...] »

  • [3] Selon ce qui est énoncé dans la plainte, l’acte ou les actes discriminatoires prétendument survenus pour des motifs de distinction illicite fondés sur l’état matrimonial et la situation de famille aux termes de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) sont ceux décrits à l’article 5 de la LCDP. Ces deux articles de la LCDP sont ainsi libellés :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu ;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

  • [4] Dans une lettre datée du 9 janvier 2012, la Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte, conformément à l’article 49 de la LCDP.

  • [5] J’ai procédé à l’audition de la plainte dans la semaine du 30 septembre 2013.

  • [6] En décembre 1949, la Loi des Indiens, L.R.C. 1927, ch. 98, comportait les dispositions suivantes :

II.  Les faits

2.  En la présente loi, à moins que le contexte ne s’y oppose, l’expression

[…]

b) « bande » signifie une tribu, une peuplade ou un groupe d’Indiens qui possède en commun une réserve ou des terres indiennes dont le titre légal est attribué à la Couronne, ou qui y est intéressé, ou qui participe également à la distribution d’annuités ou d’intérêts dont le gouvernement du Canada est responsable; et, lorsque quelque décision est prise par elle en cette qualité, signifie la bande en conseil;

c) « bande irrégulière » signifie une tribu, une peuplade ou un groupe d’individus de sang indien qui ne possède aucun intérêt dans une réserve ou des terres dont le titre légal est attribué à la Couronne, qui n’a aucun fonds commun administré par le gouvernement du Canada, et qui n’a pas de traité avec la Couronne;

[…]

e) « Indien » signifie

(i) tout individu du sexe masculin et de sang indien réputé appartenir à une bande particulière,

(ii) tout enfant de cet individu,

(iii) toute femme qui est ou a été légalement mariée à cet individu ;

f) « Indien non soumis au régime d’un traité » signifie tout individu de sang indien qui est réputé appartenir à une bande irrégulière, ou qui vit à la façon des Indiens, même s’il ne séjourne que temporairement en Canada ;

  • [7] La plaignante est née le 4 décembre 1949, dans une localité des Territoires du Nord‑Ouest appelée Tsiigehtchic (anciennement Arctic Red River). Ses parents biologiques sont James Delap Harris et Roselia (ou Roaslie) Harris (née Arruka ou Aruke).

  • [8] James Delap Harris et Roselia (ou Rosalie) Harris (née Arruka ou Aruke) se sont mariés aux environs de 1938.

  • [9] Le 8 décembre 1949 ou vers cette date, Norbert Otto Natsie et Bernadette Natsie (née Coyen) ont adopté Joyce Beattie, alors âgée de quatre jours, selon la coutume autochtone, sa mère biologique ne pouvant prendre soin d’elle en raison de problèmes de santé.

  • [10] Au moment d’adopter la plaignante selon la coutume autochtone, Norbert Otto Natsie et Bernadette Natsie (née Coyen) étaient considérés comme des Indiens en vertu des dispositions alors en vigueur de la Loi sur les Indiens et leurs noms figuraient dans la liste de paiement des annuités établie sous le régime du Traité no 11 pour la bande des Loucheaux no 6, telle qu’elle était connue à l’époque. L’intimé reconnaît que Gwichya Gwich’in est le nom contemporain de la bande des Loucheaux no 6.

  • [11] Le nom de la plaignante n’a pas été ajouté à la liste de paiement des annuités prévues dans le Traité no 11 pour la bande connue à l’époque sous le nom de Loucheaux no 6 au moment de son adoption selon la coutume autochtone.

  • [12] Le 4 septembre 1951, d’importantes modifications à la Loi sur les Indiens sont entrées en vigueur. La loi modificative, Loi sur les Indiens, L.C. 1951, ch. 29, prévoyait notamment ce qui suit :

2. (1) Dans la présente loi, l’expression

[…]

b)  « enfant » comprend un enfant indien légalement adopté ;

[...]

g)  « Indien » signifie une personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être ;

[…]

j)  « membre d’une bande » signifie une personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure ;

[...]

11. Sous réserve de l’article douze, une personne a droit d’être inscrite si

[…]

b)  elle est membre d’une bande

(i)   à l’usage et au profit communs de laquelle des terres ont été mises de côté ou, depuis le vingt-six mai mil huit cent soixante-quatorze, ont fait l’objet d’un traité les mettant de côté, ou

(ii)  que le gouverneur en conseil a déclaré une bande aux fins de la présente loi,

[...]

d)  elle est l’enfant légitime

(i) d’une personne du sexe masculin décrite à l’alinéa a) ou b).

[...]

14.  Une femme qui est membre d’une bande cesse d’en faire partie si elle épouse une personne qui n’en est pas membre, mais si elle épouse un membre d’une autre bande, elle entre dès lors dans la bande à laquelle appartient son mari. 

  • [13] L’article 5 de la Loi sur les Indiens de 1951 créait un registre des Indiens « où doit être consigné le nom de chaque personne ayant droit d’être inscrite comme Indien ». Jusque-là, il n’y avait jamais eu de registre centralisé pour l’inscription des Indiens ; au lieu de cela, l’intimé tenait, pour chaque bande, une liste de paiement des annuités prévues par le traité ou une liste des membres de la bande. À l’entrée en vigueur des modifications de 1951, les listes déjà établies pour les bandes ont été colligées pour former le registre des Indiens ; parallèlement, une liste générale a été créée afin de recevoir le nom des personnes qui avaient le droit d’être inscrites au registre, mais qui n’appartenaient pas à une bande

  • [14] Le 6 avril 1974, la plaignante a épousé Bruce Beattie, qui n’était pas inscrit au registre prévu par la Loi sur les Indiens et qui n’avait pas le droit d’y être inscrit. En raison de ce mariage, Mme Beattie a perdu tout droit éventuel d’inscription et d’appartenance à une bande conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens en vigueur à l’époque en matière de mariage avec un non-Indien. Ces dispositions s’appliquaient uniquement aux femmes.

  • [15] Le 17 mars 1975, la plaignante et Bruce Beattie ont eu un fils, T’Seluq Beattie.

  • [16] Le 1er juin 1976, la plaignante et Bruce Beattie ont eu une fille, Nikota Bangloy (née Beattie).

  • [17] Le 17 avril 1985, le Projet de loi C‑31 : Loi modifiant la Loi sur les Indiens, est entré en vigueur. En conséquence, la Loi sur les Indiens a été substantiellement modifiée. Les nouvelles dispositions prévoyaient notamment ce qui suit :

2. (1) Les dispositions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

« enfant » S’entend notamment d’un enfant indien légalement adopté.

« Indien » Personne qui, conformément à la présente loi, est inscrite à titre d’Indien ou a droit de l’être.

[…]

« membre d’une bande » Personne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure.

[…]

5. (5) Il n’est pas requis que le nom d’une personne qui a le droit d’être inscrite soit consigné dans le registre des Indiens, à moins qu’une demande à cet effet soit présentée au registraire.

11. (1) À compter du 17 avril 1985, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans une liste de bande tenue pour cette dernière au ministère si elle remplit une des conditions suivantes :

[…]

c) elle a le droit d’être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)c) et a cessé d’être un membre de cette bande en raison des circonstances prévues à cet alinéa ;

  • [18] Depuis les modifications apportées par le projet de loi C-31, ce sont les paragraphes 6(1) et (2) de la Loi sur les Indiens qui définissent quelles personnes ont le droit d’être inscrites au registre des Indiens. Au lendemain de l’entrée en vigueur des modifications du projet de loi C‑31, ces paragraphes avaient respectivement les rôles suivants :

  1. le paragraphe 6(1) établissait les catégories de personnes ayant droit à l’inscription, dont les suivantes :

toute personne qui était inscrite ou avait le droit de l’être le jour précédant l’entrée en vigueur des modifications de 1985 (al. 6(1)c)) ;

les femmes dont le nom avait été omis ou retranché d’une liste de bande (avant le 4 septembre 1951) ou du registre des Indiens (à compter du 4 septembre 1951) en raison de leur mariage avec un non-Indien (al. 6(1)c)) ;

les personnes dont les deux parents sont Indiens (al. 6(1)f) ;

  1. le paragraphe 6(2) rendait admissibles à l’inscription les personnes dont l’un des parents est Indien.

  • [19] Les personnes inscrites ou ayant le droit de l’être en vertu du paragraphe 6(1) de la Loi sur les Indiens peuvent transmettre ce droit à l’inscription aux enfants qu’ils ont avec des personnes non inscrites ou n’ayant pas le droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens. En revanche, les personnes inscrites ou ayant le droit de l’être en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens ne peuvent transmettre ce même droit aux enfants qu’ils ont avec des personnes non inscrites ou n’ayant pas le droit à l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens.

  • [20] Les modifications prévues au projet de loi C‑31 permettaient à la bande d’assumer le contrôle sur ses membres et de maintenir sa propre liste, moyennant certaines conditions (Loi sur les Indiens, article 10). Toutefois, jusqu’à ce qu’elle en assume la responsabilité, la liste de la bande est tenue au ministère par le registraire des Indiens, qui peut y ajouter ou en retrancher le nom des personnes ayant ou n’ayant pas le droit d’y figurer aux termes de la Loi (Loi sur les Indiens, article 9). Le registraire des Indiens n’est pas tenu d’ajouter un nom à la liste d’une bande à moins qu’une demande d’inscription à cet effet ne lui soit présentée (Loi sur les Indiens, paragraphe 9(5)).

  • [21] Les modifications apportées à la Loi sur les Indiens dans le cadre du projet de loi C‑31 ont modifié les droits à l’inscription au registre des parents biologiques de la plaignante. En effet, par suite de ces modifications : (i) James Delap Harris a obtenu le droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6(2) et (ii) Roselia (ou Rosalie) Harris (née Arruka ou Aruke) a obtenu ce droit en vertu de l’alinéa 6(1)c).

  • [22] Vers le 1er septembre 1985, la plaignante a fait parvenir au registraire des Indiens une demande d’inscription pour elle-même et ses enfants sous le régime de la Loi sur les Indiens.

  • [23] En 1986, l’intimé a inscrit la plaignante au registre, suivant l’al. 6(1)f), du fait de sa filiation biologique. Il a également inscrit ses enfants suivant le paragraphe 6(2), étant donné que ceux-ci avaient un parent qui était inscrit (la plaignante) et un parent qui ne l’était pas et n’avait pas droit de l’être (M. Beattie). Quelque temps après, l’intimé a ajouté les noms de la plaignante et de ses enfants à la liste de la bande de Fort Good Hope (la bande de la mère biologique de la plaignante), cette bande ayant décidé de ne pas adopter de règles propres en matière d’appartenance à ses membres.

  • [24] Dans une lettre datée du 10 mars 1986, le registraire des Indiens a informé la plaignante qu’elle et ses enfants avaient été inscrits sous le régime de la Loi sur les Indiens. Il y expliquait également (i) que si la bande de Fort Good Hope décidait, avant le 28 juin 1987, d’assumer la responsabilité de sa propre liste de bande, la plaignante devrait présenter une demande à la bande afin d’être inscrite avec ses enfants sur la liste de cette bande et (ii) que si la bande de Fort Good Hope n’assumait pas la responsabilité de sa liste avant le 28 juin 1987, la plaignante et ses enfants auraient le droit d’être inscrits comme membres de cette bande suivant l’al. 11(2)b) de la Loi sur les Indiens.

  • [25] Au 28 juin 1987, la bande de Fort Good Hope n’avait toujours pas pris le contrôle de sa liste. Par conséquent, le registraire des Indiens a ajouté le nom de la plaignante et de ses enfants, T’Seluq Beattie et Nikota Bangloy (née Beattie) à la liste de bande de Fort Good Hope en date du 28 juin 1987.

  • [26] Le 3 mars 2010, la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens (la LESIRI) a été déposée au Parlement et adoptée en première lecture. En autres choses, la LESIRI ajoutait une nouvelle disposition à la Loi sur les Indiens, l’al. 6(1)c.1), qui conférait le droit à l’inscription à l’enfant issu d’un mariage entre un homme non inscrit et n’ayant pas droit à l’inscription et une femme visée à l’alinéa 6(1)c) dont le nom a été, en raison du mariage, retranché d’une liste de bande (avant le 4 septembre 1951) ou du registre des Indiens (à partir du 4 septembre 1951), si les conditions suivantes étaient réunies : (i) l’enfant est né après la date du mariage; (ii) l’enfant a lui-même eu ou adopté un enfant avec une personne non inscrite et n’ayant pas droit à l’inscription le 4 septembre 1951 ou après cette date. La LESIRI a été adoptée en troisième lecture à la Chambre des communes le 22 novembre 2010, et au Sénat le 9 décembre 2010. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 15 décembre 2010 et la LESIRI est entrée en vigueur le 31 janvier 2011.

  • [27] Dans une lettre datée du 22 avril 1993, le sous-ministre de l’intimé a officiellement reconnu ce qui suit, conformément à un règlement intervenu avec la Couronne au sujet des annuités :

[Traduction] Les droits conférés par le Traité no 11 à Joyce Wilma Beattie, Nikota Beattie et T’Seluq Beattie ne sont pas liés au statut, mais ils pourraient être rattachés à d’autres facteurs, dont l’ascendance. En ce qui concerne Joyce Wilma Beattie, Nikota Beattie et T’Seluq Beattie, les droits à l’annuité prévue par le Traité no 11 ont été acquis à la naissance et ont continué d’exister par la suite, et il s’agit de droits issus de traités reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

  • [28] Dans une lettre adressée au registraire des Indiens en date du 2 juin 2010, la plaignante a, pour la première fois, informé l’intimé du fait qu’elle avait été adoptée selon la coutume autochtone et qu’elle avait obtenu de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest un certificat attestant la légalité de cette adoption survenue en date du 8 décembre 1949. Elle demandait dès lors ce qui suit : (i) le remplacement de sa catégorie d’inscription, soit celle prévue à l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens, par celle de l’alinéa 6(1)c), du fait de son adoption selon la coutume autochtone, et (ii) le remplacement de la bande à laquelle elle était affiliée, soit la bande à laquelle appartenait sa mère biologique (752, Good Hope), par celle à laquelle appartenaient ses parents adoptifs (753, Gwichya Gwich’in).

  • [29] Dans une lettre adressée à la plaignante en date du 7 décembre 2010, le registraire des Indiens a notamment déclaré ce qui suit : (i) l’adoption de la plaignante selon la coutume autochtone ne lui conférait pas le droit à l’inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens; (ii) [Traduction] « [à] titre indicatif, les catégories d’inscription de la personne adoptée par deux parents indiens sont prévues à l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens et celle de la personne adoptée par des parents dont l’un est Indien est prévue au paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens »; (iii) si la plaignante souhaitait modifier son affiliation afin de devenir membre de la bande de ses parents adoptifs, elle devait communiquer avec le bureau régional du MAINC situé aux Territoires du Nord-Ouest afin de demander un transfert officiel.

  • [30] Dans une lettre adressée à la plaignante en date du 16 décembre 2010, le registraire des Indiens a informé cette dernière de ce qui suit : (i) il était convaincu que la plaignante avait été adoptée selon la coutume autochtone aux Territoires du Nord-Ouest; (ii) les noms de ses parents adoptifs avaient été consignés au registre des Indiens; (iii) son inscription continuait de relever de la catégorie prévue à l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens;(iv) elle demeurait membre de la bande de Fort Good Hope suivant l’al. 11(2)b) de la Loi sur les Indiens.

  • [31] T’Seluq Beattie a eu un enfant avec Stephanie Beattie (qui n’est pas inscrite et n’a pas droit de l’être sous le régime de la Loi sur les Indiens) : Theron Beattie, né le 16 octobre 2003.

  • [32] En date du 7 février 2011, T’Seluq Beattie a présenté une demande d’inscription au nom de son enfant, Theron Beattie. Dans une lettre datée du 7 février 2012, le registraire des Indiens l’a informé que parce que lui-même, T’Seluq Beattie, était inscrit sous le régime du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et que Stephanie Beattie n’était pas considérée comme une personne inscrite ou ayant le droit de l’être, il n’avait pas pu conclure que Theron Beattie avait le droit d’être inscrit.

  • [33] Nikota Bangloy (née Beattie) a eu deux enfants avec Reynold Bangloy (qui n’est pas inscrit et n’a pas droit de l’être sous le régime de la Loi sur les Indiens) : Jreyden Bangloy, né le 18 décembre 2003, et Brodin Bangloy, né le 26 mars 2005.

  • [34] Le 11 mars 2011, Nikota Bangloy a présenté une demande d’inscription au nom de ses enfants, Jreyden et Brodin Bangloy. Dans une lettre datée du 7 février 2012, le registraire des Indiens l’a informée que parce qu’elle était inscrite sous le régime du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et que Reynold Bangloy n’était pas considéré comme une personne inscrite ou ayant le droit de l’être, il n’avait pas pu conclure que Brodin Bangloy avait le droit d’être inscrit. Le 23 février 2012, le registraire a envoyé une lettre au même effet concernant Jreyden Bangloy.

  • [35] Dans une lettre datée du 9 décembre 2012, l’avocat de l’intimé a fait savoir que l’intimé avait modifié son point de vue et qu’il était désormais disposé à reconnaître que la plaignante avait le droit d’être inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)c). Ce retournement s’expliquait par le fait que l’intimé avait modifié l’interprétation qu’elle donnait au mot « enfant » dans la Loi des Indiens de 1927. Jusque-là, selon l’interprétation qu’il en avait faite, ce terme ne visait que les enfants biologiques d’un Indien du sexe masculin. Or, comme l’a indiqué Mme McLeynachan lorsqu’elle a témoigné pour le compte de l’intimé, celui-ci avait décidé de considérer le terme [Traduction] « sous un autre angle » désormais, en élargissant la portée de sa définition aux enfants adoptés selon la coutume autochtone. Cette nouvelle interprétation a eu les conséquences suivantes :

  • la plaignante est devenue une « Indienne » le 8 décembre 1949, étant l’enfant d’un Indien du sexe masculin (son père adoptif selon la coutume autochtone) ;

  • la plaignante avait le droit d’être inscrite à titre d’Indienne en vertu de la Loi sur les Indiens de 1951 ;

  • la plaignante a perdu ce droit à l’inscription lors de son mariage avec Bruce Beattie en 1974 ;

  • il s’ensuit que la plaignante était une femme ayant perdu un droit avant le 17 avril 1985 en raison de son mariage et qu’à cette date, elle remplissait les conditions de l’alinéa 6(1)c) ;

  • ses enfants, T’Seluq Beattie et Nikota Bangloy (née Beattie), avaient le droit d’être inscrits sous le régime de l’alinéa 6(1)c.1), au lieu du paragraphe 6(2) ;

  • ses petits-enfants, Jreyden et Brodin Bangloy, et Theron Beattie, avaient désormais le droit d’être inscrits, et ce, sous le régime du paragraphe 6(2), parce que leurs parents avaient acquis le droit à l’inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)c.1) ;

  • la plaignante et ses enfants continuaient d’appartenir à la bande de Fort Good Hope ;

  • la plaignante et ses enfants pouvaient demander le transfert de leur appartenance à une autre bande de leur choix, conformément à l’article 12 de la Loi sur les Indiens.

  • [36] Le 3 janvier 2013, la plaignante a reçu une lettre du registraire l’informant, entre autres, de deux choses : (i) par suite d’un examen plus poussé, le droit à l’enregistrement de la plaignante était passé de la catégorie prévue à l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens à celle de l’alinéa 6(1)c); (ii) elle maintenait désormais son appartenance à la bande de Fort Good Hope en vertu de l’alinéa 11(1)c) de la Loi sur les Indiens.

  • [37] Vers le 3 ou le 4 janvier 2013, le registraire des Indiens a modifié les catégories d’inscription de T’Seluq Beattie et Nikota Bangloy (née Beattie) de façon à ce qu’ils soient désormais inscrits sous le régime de l’alinéa 6(1)c.1) de la Loi sur les Indiens, au lieu du paragraphe 6(2).

  • [38] Le 4 janvier 2013, le registraire des Indiens (i) a inscrit Theron Beattie et Brodin et Jreyden Bangloy sous le régime du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens ; (ii) a ajouté les noms de Theron Beattie et de Brodin et Jreyden Bangloy à la liste des membres de la bande de Fort Good Hope conformément à l’alinéa 11(2)b) de la Loi sur les Indiens.

  • [39] Dans une lettre adressée à l’administrateur de l’inscription des Indiens de la bande de Fort Good Hope en date du 4 janvier 2013, le registraire des Indiens a justifié comme suit l’inscription de Theron Beattie sous le régime du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens :

[Traduction]

Fondement :

La catégorie applicable au parent (T’Seluq Beattie) est passée de celle du paragraphe 6(2) à celle de l’alinéa 6(1)c.1) par suite des modifications apportées en 2011 à la Loi sur les Indiens par la Loi sur l’équité entre les sexes relativement au registre des Indiens. Sa mère, JOYCE WILMA BEATTIE, née HARRIS le 4 décembre 1949, s’est inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens sous le no 7520073601. Modification de l’alinéa 6(1)f) à l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens le 3 janvier 2013. Le droit initial était fondé sur le sous‑alinéa 2d)(ii) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1927, ch. 98, qui prévoit que « tout enfant » d’un individu du sexe masculin a droit d’être inscrit comme Indien. Ainsi, en tant qu’enfant adoptée par un Indien inscrit selon la coutume autochtone le 8 décembre 1949, elle aurait eu le droit d’être inscrite comme Indienne au moment de l’adoption. Elle a épousé BRUCE ALLAN BEATTIE, un non‑Indien, le 6 avril 1974.

  • [40] Même si la question de l’inscription de la plaignante est désormais réglée, l’intimé continue de refuser de modifier la bande à laquelle elle appartenait selon la loi. Les parties ont échangé d’autres précisions sur cet aspect. Dans son exposé des précisions modifié, l’intimé a reconnu que la plaignante avait droit à ce que son nom soit ajouté à la liste de la bande Gwichya Gwich’in, mais elle a précisé qu’elle ne pouvait procéder au changement puisque son nom figurait déjà dans la liste de la bande de Fort Good Hope et que le seul moyen d’obtenir qu’il soit consigné dans la liste des Gwichya Gwich’in consistait à [Traduction] « transférer son appartenance conformément à l’alinéa 12b) de la Loi sur les Indiens ».

  • [41] Dans des lettres adressées à l’avocat de l’intimé et portant les dates du 27 mars et du 18 avril 2013, le représentant de la plaignante a demandé à l’intimé de retrancher les noms de la plaignante, de Nikota Bangloy (née Beattie), de T’Seluq Beattie, de Jreyden Bangloy, de Brodin Bangloy et de Theron Beattie de la liste de la bande de Fort Good Hope.

  • [42] Dans une lettre adressée au représentant de la plaignante et datée du 29 avril 2013, le registraire des Indiens par intérim a informé ce dernier, entre autres choses, de ce qui suit : (i) les noms de la plaignante, de Nikota Bangloy (née Beattie), de T’Seluq Beattie, de Jreyden Bangloy et de Brodin Bangloy avaient été retranchés de la liste de la bande de Fort Good Hope le 29 avril 2013; (ii) le nom de Theron Beattie serait retranché de la liste de la bande de Fort Good Hope le 30 avril 2013. L’intimé avait ainsi modifié sa position précédente, selon laquelle les noms de la plaignante et de ses descendants ne pouvaient être retranchés de la liste de la bande de Fort Good Hope sans qu’il y ait « transfert » suivant l’alinéa 12d) de la Loi sur les Indiens.

  • [43] S’ils le souhaitent, la plaignante et ses descendants peuvent demander à ce que leurs noms soient ajoutés à la liste de la bande Gwichya Gwich’in. La plaignante a confirmé qu’elle ne le souhaite plus.

  • [44] La plainte soulève les questions suivantes :

III.  Les questions en litige

  • (a) L’affaire est-elle devenue théorique du fait de la modification de la catégorie d’inscription dont relève la plaignante en janvier 2013 et du retrait de son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope en avril 2013 ?

  • (b) La plaignante et la Commission se sont-elles correctement acquittées du fardeau d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille ou le sexe, en contravention de l’article 5 de la LCDP ?

  • (c) S’il y a eu discrimination à première vue, l’intimé s’est-il acquitté du fardeau de prouver que son refus de procéder aux modifications demandées concernant la catégorie d’inscription applicable à la plaignante et sa bande d’appartenance, en juin 2010, reposait sur un motif justifiable ?

  • (d) S’il y a eu discrimination à première vue sans motif justifiable, quelles seraient les mesures de réparation appropriées ?

IV.  Résumé des observations de la Commission

  • [45] Dans une lettre datée du 2 juin 2010, la plaignante a demandé à l’intimé de faire passer la catégorie d’inscription qui lui était applicable de celle prévue à l’alinéa 6(1)f) à celle de l’alinéa 6(1)c), du fait qu’elle avait été adoptée selon la coutume autochtone, et de retrancher son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope afin de l’ajouter à celui de la bande de ses parents adoptifs, la bande d’Arctic Red River (753 Gwichya Gwich’in, T.N.‑O.). La question qui se pose est de savoir si, en répondant à ces demandes, l’intimé était engagé dans la prestation de « services […] destinés au public » au sens de l’article 5 de la LCDP.

  • [46] Les « services » visés à l’article 5 s’entendent de quelque chose d’avantageux qui est offert ou mis à la disposition du public dans le cadre d’une relation publique. Comme les mesures du gouvernement sont généralement prises au profit du public, l’exigence prévue à l’article 5, suivant laquelle elles doivent être « destinées au public », est habituellement satisfaite dans les affaires se rapportant à des mesures prises par le gouvernement.

  • [47] Faire droit aux demandes de la plaignante revenait à conférer des avantages qui n’étaient pas offerts autrement.

  • [48] Lorsqu’il a traité la demande de la plaignante et a rendu sa décision concernant son droit à l’inscription et à l’ajout de son nom consigné à la liste d’une certaine bande, l’intimé fournissait des services au sens de l’article 5 de la LCDP car il a dû, dans le cadre du traitement de la demande, exercer son pouvoir discrétionnaire afin de déterminer si les critères d’inscription prévus dans la Loi sur les Indiens étaient remplis.

  • [49] Contrairement aux situations qui prévalaient dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2012 CAF 7 (« Murphy »), Matson et al. c. Indian & Northern Affairs Canada (aujourd’hui appelé Affaires autochtones et Développement du Nord Canada), 2013 CHRT 13 (« Matson ») et Andrews et al. c. Indian and Northern Affairs Canada, 2013 CHRT 21 (« Andrews »), nous avons affaire ici à un cas où l’intimé disposait, dans le cadre du traitement de la demande de la plaignante, du pouvoir discrétionnaire de décider de l’interprétation à donner au terme « enfant » dans la Loi des Indiens de 1927. En décidant dans un premier temps de donner à ce terme, dans le cadre du traitement de la demande, une définition restrictive excluant les enfants adoptés, l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire au lieu d’appliquer une disposition légale à caractère impératif. Les choix qu’il a faits à cet égard sont parfaitement susceptibles d’un contrôle en vertu de l’article 5 de la LCDP, puisqu’ils concernent la prestation de services destinés au public.

  • [50] Durant la période comprise entre la demande initiale (2 juin 2010) et le changement de la catégorie d’inscription applicable (confirmé le 3 janvier 2013), l’intimé a refusé à la plaignante le service qu’elle demandait, à savoir, l’évaluation juste et non discriminatoire de son droit à l’inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens. Il l’a ainsi privée d’un service au sens de l’alinéa 5a) de la LCDP. À titre subsidiaire, durant cette même période, l’intimé a défavorisé la plaignante à l’occasion de la fourniture de ce service. Plus précisément, en procédant à l’évaluation du droit de cette dernière d’être inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)c), l’intimé a choisi d’établir des distinctions entre enfants biologiques et enfants adoptés selon la coutume autochtone. Il s’agit d’une différence de traitement défavorable au sens de l’alinéa 5b) de la LCDP.

  • [51] L’intimé a maintenu sa décision de refuser la demande de la plaignante en matière d’inscription pendant au moins deux ans après l’entrée en vigueur de la LESIRI, le 31 janvier 2011. Le refus de modifier la catégorie d’inscription applicable a compromis la possibilité pour la plaignante de transmettre son droit à l’inscription à ses descendants pendant cette période, ainsi qu’à sa capacité de veiller à ce que les registres gouvernementaux tiennent dûment compte de son adoption selon la coutume autochtone en reconnaissant la bonne filiation.

  • [52] En l’espèce, l’intimé a admis que l’obstacle ayant initialement empêché de faire droit à la demande de modification de la catégorie d’inscription applicable à la plaignante était lié à sa situation d’enfant adoptée, de sorte qu’elle était considérée comme l’« enfant » de son père adoptif selon la Loi des Indiens de 1927 et qu’elle ne pouvait dès lors être inscrite que sous le régime de l’alinéa 6(1)f) ou du paragraphe 6(2). En ce sens, le refus de l’intimé ou la différence de traitement défavorable qu’il a établie était fondé sur la situation de la plaignante en tant qu’enfant adoptée selon la coutume autochtone, un aspect visé par le motif de distinction illicite de la « situation de famille » selon la LCDP.

  • [53] En refusant de reconnaître les effets juridiques de l’adoption effectuée selon la coutume autochtone dans le contexte du régime d’inscription, l’intimé a effectivement empêché la plaignante pendant près de deux ans et demi d’accéder à la catégorie d’inscription de l’alinéa 6(1)c), qui avait été créée en 1985 dans le but de remédier en partie à la discrimination fondée sur le sexe qui a longtemps perduré dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives au mariage avec un non-Indien. En ce sens, bien qu’il tire son origine de questions liées à la situation de famille, l’acte discriminatoire relevé par la Commission a également eu des répercussions préjudiciables croisées liées à l’identité de la plaignante en tant que femme autochtone.

  • [54] En modifiant sa position concernant l’inscription de la plaignante et son appartenance à une bande, l’intimé a effectivement reconnu que l’interprétation restrictive qu’il avait antérieurement adoptée n’était pas [Traduction] « raisonnablement nécessaire » au sens de la jurisprudence applicable et que, partant, son point de vue antérieur ne reposait pas sur un motif justifiable selon la LCDP et la jurisprudence applicable.

  • [55] La plainte ne devrait pas être rejetée au motif qu’elle est devenue théorique, car certaines questions demeurent non réglées en matière de réparation depuis que l’intimé a modifié sa position vis-à-vis de l’inscription et de l’appartenance à une bande. Pour pouvoir juger du bien‑fondé de la plainte, le Tribunal doit, entre autres choses, déterminer si l’intimé a commis un acte discriminatoire ou non.

  • [56] Le Tribunal devrait ordonner à l’intimé, en vertu de l’alinéa 53(2)a), de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables.

  • [57] La plaignante souscrit aux observations de la Commission et les fait siennes.

  • [58] La plaignante soutient qu’elle-même et ses descendants ont été privés des services administratifs auxquels ils ont droit suivant le Traité no 11, particulièrement en ce qui concerne l’appartenance à une bande visée par un traité, le versement des annuités, l’aide financière aux études et la tenue de registres.

  • [59] Par suite de la modification, en 1985, des règles de la Loi sur les Indiens régissant le droit à l’inscription (projet de loi C-31), ce droit n’est plus lié à l’appartenance à une bande établie en vertu de la loi et ne peut avoir d’incidence sur l’effectif d’une bande visée par un traité. Il s’ensuit que l’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens n’a eu aucun effet sur les droits issus de traités depuis 1982 en raison de l’édiction de la Loi constitutionnelle de 1982, de sorte que depuis 1985 au moins, les listes de paiement des annuités prévues par traité ne sont pas les mêmes que les listes des bandes établies en vertu de la loi et qu’elles ne déterminent pas l’appartenance à une bande selon la loi. Le droit d’appartenir à une bande repose sur des qualités personnelles différentes. L’appartenance à une bande visée par un traité est d’ordre constitutionnel et repose exclusivement sur la filiation biologique par rapport à un Indien qui a adhéré au traité d’origine et sur la situation de famille actuelle. L’appartenance à une bande selon la loi, quant à elle, n’a pas de caractère constitutionnel et elle dépend exclusivement, soit des règles de l’article 11, soit des règles établies par la bande en vertu du pouvoir délégué prévu à l’article 10 de la Loi sur les Indiens, et les unes comme les autres n’exigent pas forcément comme condition une preuve de filiation naturelle ou une situation de famille particulière.

  • [60] Depuis l’abrogation de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en 2008, dont la portée a été élargie en 2011 afin d’englober les plaintes déposées « à l’encontre du gouvernement d’une première nation, y compris un conseil de bande, un conseil tribal ou une autorité gouvernementale qui offre ou administre des programmes et des services sous le régime de la Loi sur les Indiens», tous les services administratifs du registre des Indiens, y compris l’inscription ordinaire sous le régime de la loi et la vérification des faits pertinents à l’établissement des droits conférés par un traité à un individu et de l’affiliation à une bande visée par un traité, sont désormais assujettis à la fois aux principes applicables en matière de droits de la personne et aux garanties constitutionnelles dont jouissent tous les droits et revendications territoriales existants, qu’ils soient ancestraux ou issus de traités. L’obligation constitutionnelle d’accorder la préséance aux droits ancestraux ou issus de traités existants lors de l’application des principes de droits de la personne à la Loi sur les Indiens est reconnue comme suit :

V.  Résumé des observations de la plaignante

1.1 Il est entendu que l’abrogation de l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne porte pas atteinte à la protection des droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada découlant de leur reconnaissance et de leur confirmation au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

  • [61] La plaignante, ses deux enfants et ses trois petits-enfants sont tous des Indiens visés par le Traité no 11, selon les clauses de ce traité, et chacun d’eux l’est depuis sa naissance, puisque le Canada a officiellement reconnu qu’ils étaient tous des descendants naturels d’un adhérent au traité d’origine et qu’ils étaient soit eux-mêmes des adhérents au Traité no 11, soit des enfants d’adhérents. Tous sont également membres de la bande des Loucheaux no 6 d’Arctic Red River visée par le Traité no 11, car c’est à cette bande que le Canada a officiellement reconnu que la plaignante appartenait du fait de son adoption selon la coutume autochtone, et ses descendants naturels ont le droit d’appartenir à cette même bande qui figure toujours dans les listes de paiement des annuités prévues par traité. Tout ce qui précède a été garanti à chacun d’eux par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 depuis le 17 avril 1982.

  • [62] Les Indiens signataires du Traité no 11 ont également le droit constitutionnel d’être correctement désignés dans tous les documents administratifs du Canada, y compris dans les listes de paiement des annuités prévues par traité et dans le registre des Indiens.

  • [63] Après le premier versement de l’annuité à un adhérent du Traité no 11, l’intimé maintient, à titre de service permanent, des registres de tous les paiements annuels postérieurs sans qu’il ne soit jamais nécessaire de renouveler l’adhésion et tous les changements survenus dans la situation de famille ou l’affiliation à une bande sont simplement consignés dans les listes de paiement au moment du versement annuel.

  • [64] Jusqu’en 2011 inclusivement, l’intimé a fourni les services administratifs requis par le Traité no 11 et a versé à la plaignante et à chacun de ses enfants l’annuité prévue au traité chaque année de leur vie depuis leur naissance. La plaignante et ses enfants ont ainsi été officiellement reconnus comme des adhérents au Traité no 11 et ont touché les annuités y prévues sur le seul fondement de leurs actes de naissance, lesquels indiquent qu’ils sont des descendants naturels d’adhérents au Traité no 11 de 1921. Depuis 1921, la seule chose que les descendants des adhérents au Traité no 11 ont eu à produire pour prouver leurs droits au titre du traité et être ajoutés à la liste de paiement des annuités relative à la bande à laquelle appartenaient leurs ancêtres est leur acte de naissance officiel, si tant est qu’ils en possédaient un.

  • [65] En 2011, les enfants de la plaignante ont fourni à l’intimé des exemplaires des actes de naissance de leurs enfants naturels et, en qualité de chefs de famille, ont demandé à ce que l’annuité prévue au Traité no 11 leur soit versée à eux-mêmes et à leurs enfants. L’intimé a refusé de verser l’annuité aux petits-enfants de la plaignante au motif qu’ils n’étaient pas inscrits sous le régime de la Loi sur les Indiens.

  • [66] La plaignante affirme que les décisions prises en 2011 par le fonctionnaire de l’intimé qui est responsable régionalement de l’administration du traité ont résulté en un refus effectif de biens (annuités prévues au traité) et de services (inclusion sur la liste de paiement des annuités), soit les seuls services offerts par l’intimé pour faciliter l’adhésion au Traité no 11, et que ce refus était fondé sur un fait non pertinent, à savoir que les petits-enfants avaient le statut d’enfants « non inscrits » selon la Loi sur les Indiens et qu’ils ont, de ce fait, été arbitrairement considérés comme n’étant pas des descendants des adhérents au Traité no 11 d’origine. La plaignante soutient que ces décisions administratives sont injustifiées, que ce soit au vu des clauses du Traité no 11 ou des dispositions de la Loi sur les Indiens, et qu’elles portent par conséquent atteinte aux droits constitutionnellement garantis qui sont issus du Traité no 11.

  • [67] En vertu de l’alinéa 53(2)b) de la LCDP, la plaignante demande au Tribunal de déclarer qu’elle-même, ses deux enfants et ses trois petits-enfants sont tous des Indiens visés par le Traité no 11 depuis leur naissance respective et qu’ils jouissent par conséquent, à titre personnel, des droits, bénéfices et privilèges existants qui sont garantis par la constitution aux Indiens visés par le Traité no 11, y compris le droit d’appartenir à la bande indienne désignée à l’origine sous le nom de Loucheaux no 6 d’Arctic Red River et visée par le Traité no 11 et d’être officiellement inscrits à ce titre dans les listes de paiement des annuités établies pour cette bande conformément au Traité no 11.

  • [68] En vertu des alinéas 53(2)c) et d) de la Loi sur les Indiens, la plaignante demande, au bénéfice de ses trois petits-enfants, que l’intimé soit tenu de payer immédiatement les arriérés des annuités qui leur sont dues en vertu du Traité no 11 pour chacune des années de leur vie ainsi que le remboursement de tous les frais de scolarité engagés jusqu’à présent pour leur instruction, frais que l’intimé s’est engagé à payer en vertu des clauses du Traité no 11, mais dont il a retenu le versement jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente plainte .

  • [69] La plaignante prétend également qu’en tant que victimes d’actes délibérés ou inconsidérés, ses deux enfants, ses trois petits-enfants et elle-même ont droit, chacun, au versement d’une indemnité spéciale de la part de l’intimé en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi sur les Indiens.

  • [70] Il ne subsiste plus de litige entre les parties en ce qui a trait au droit à l’inscription de la plaignante du fait que l’intimé est revenu sur sa position le 9 décembre 2013 et que, pour cette raison, la question litigieuse est devenue théorique.

  • [71] Il ne subsiste plus de litige entre les parties en ce qui a trait à l’appartenance à une bande selon la loi du fait que l’intimé est revenu sur sa position concernant le retranchement des noms de la plaignante et de ses descendants de la liste de la bande de Fort Good Hope le 29 avril 2013 et que la plaignante a retiré sa demande visant à faire ajouter son nom à la liste de la bande Gwichya Gwich’in. Pour ces raisons, cette question est elle aussi devenue théorique.

  • [72] La plainte vise à contester la loi, et rien de plus, exactement comme dans l’affaire Matson. La plainte traite de l’interprétation de l’article 6 de la Loi sur les Indiens et du terme « enfant » dans la Loi des Indiens de 1927.

  • [73] Le registraire a procédé à l’interprétation du terme « enfant » aux fins de l’application de l’article 6 afin de pouvoir déterminer correctement quelle catégorie s’appliquait à la plaignante en matière d’inscription à titre d’Indien et, pour ce faire, il n’a exercé aucun pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’il a réexaminé et modifié son interprétation, le registraire n’a pas non plus exercé de pouvoir discrétionnaire (l’article 6 ne confère aucun pouvoir discrétionnaire quant au traitement des enfants adoptés selon la coutume autochtone) : il a simplement rectifié l’interprétation erronée qu’il avait faite des dispositions législatives.

  • [74] La plaignante conteste non pas la manière dont sa demande d’inscription a été traitée, mais bien l’interprétation donnée par le registraire au mot « enfant » et aux règles établissant le droit à l’inscription qui sont énoncées à l’article 6 de la Loi sur les Indiens. On ne peut raisonnablement parler de « service » dans le cas de ces critères qui ont été prescrits par le Parlement en vertu de la compétence que lui confère le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle. L’élaboration de lois par le Parlement n’est pas un service.

  • [75] Le terme « service » ne vise pas la définition que donne le législateur du terme « Indien » dans la Loi sur les Indiens. Plusieurs éléments spécifiques s’opposent à une telle interprétation du terme « service » : l’obligation de prendre des mesures d’adaptation raisonnables, la notion de contrainte excessive et les facteurs « de coûts, de santé et de sécurité » dont tient compte l’analyse servant à déterminer si un motif est justifiable. La prise en compte de ces éléments démontre qu’il est impossible d’évaluer une mesure de contestation d’une loi comme la présente plainte de manière appropriée au moyen de ces mécanismes.

  • [76] Si le Tribunal conclut que la plainte vise uniquement à contester la législation, il s’ensuit qu’il n’a pas la compétence voulue pour en être saisi, conformément à ce qui a été décidé dans Murphy, Matson et Andrews, et que la plainte devrait par conséquent être rejetée. Dans l’éventualité où le Tribunal estimerait que la plainte n’est pas théorique et qu’elle relève de sa compétence, l’intimé soutient que ses actes n’étaient pas discriminatoires.

  • [77] L’intimé reconnaît que les critères applicables en matière de discrimination ne sont pas forcément les mêmes selon qu’une affaire soit régie par la Charte ou par les lois sur les droits de la personne; cependant, la Cour fédérale a appliqué à des affaires relevant de la LCDP la définition de la discrimination énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia [1989] 1 RCS 143, et formulée en ces termes par le juge McIntyre :

VI.  Résumé des observations de l’intimé

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

  • [78] Le rejet de la demande présentée par la plaignante en vue de faire passer son droit à l’inscription de la catégorie prévue à l’alinéa 6(1)f) à celle prévue à l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens n’a pas eu pour effet de lui imposer « des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres » ni de « restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société », que ce soit lors du dépôt de sa demande ou de la réception de la réponse de l’intimé.

  • [79] La seule différence objective entre le droit à l’inscription et à l’appartenance à une bande que la plaignante avait et ceux qu’elle demandait tenait au fait qu’avec les mesures correctives apportées à la Loi sur les Indiens par l’entremise de la LESIRI, entrée en vigueur le 31 janvier 2011, la possibilité pour la plaignante de s’inscrire sous le régime de l’alinéa 6(1)c) lui permettrait de transmettre son droit à l’inscription à ses petits-fils. Antérieurement, il n’y avait aucune différence entre les alinéas 6(1)f) et 6(1)c) en matière de transmission du statut. Indépendamment du statut de la plaignante sur le plan de l’inscription, ses petits-fils n’auraient pas pu être inscrits à titre d’Indiens sous le régime de la Loi sur les Indiens avant le 31 janvier 2011. De plus, suivant l’article 11 de la Loi sur les Indiens, ils ne pouvaient faire ajouter leurs noms à la liste de la bande de Fort Good Hope ou de la bande Gwichya Gwich’in.

  • [80] L’intimé soutient que les questions relatives aux droits ancestraux et issus de traités que la constitution garantit à la plaignante n’entrent pas dans le champ d’application de la présente plainte, laquelle porte sur l’inscription et l’appartenance à une bande sous le régime de la Loi sur les Indiens, et qui qu’il en soit, ces droits n’ont pas été prouvés.

  • [81] Le champ d’application de la présente plainte a trait à la demande présentée par la plaignante le 2 juin 2010 en vue de faire modifier son statut d’inscription et sa bande d’appartenance en vertu de la Loi sur les Indiens pour tenir compte du fait qu’elle a été adoptée selon la coutume autochtone. C’est pourquoi les demandes d’indemnisation et les allégations de violations antérieures à cette demande dépassent le champ d’application de la plainte.

  • [82] Le droit de se prévaloir d’avantages au titre d’un traité est lié à l’appartenance à une bande qui a signé un traité ou y a adhéré. Les petits-fils de la plaignante ne pouvaient se prévaloir d’aucun avantage prévu par le Traité no 11 jusqu’à ce qu’ils obtiennent le droit d’être membres de la bande de Fort Good Hope Band ou de la bande Gwichya Gwich’in, par suite de l’entrée en vigueur de la LESIRI.

  • [83] À supposer que le Tribunal ait compétence pour entendre la plainte, que celle-ci ne soit pas devenue théorique et que le Tribunal conclue que l’intimé a fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante, l’intimé soutient, également à titre subsidiaire, que ses actes étaient fondés sur un motif justifiable au sens de l’alinéa 15(1)g) et du paragraphe 15(2) de la LCDP.

  • [84] La demande de jugement déclaratoire présentée par la plaignante dépasse le champ d’application de la présente plainte et la compétence du Tribunal, car les alinéas 53(2)c) et d) de la LCDP ne l’autorisent pas à rendre un tel jugement. De plus, les témoignages entendus n’établissent pas que les petits-enfants de la plaignante jouissent de droits issus d’un traité depuis la naissance. La preuve montre que la bande des Loucheaux no 6 est la bande Gwichya Gwich’in et que l’intimé ne tient plus de liste de paiement des annuités prévues au traité pour la bande des Loucheaux no 6 depuis 1955.

  • [85] On ne peut qualifier les actes de l’intimé d’intentionnellement discriminatoires ou d’inconsidérés, ce qui est une condition nécessaire pour pouvoir rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP. Aucune preuve ne permet de conclure que l’intimé [Traduction] « a agi d’une manière qu’il savait – et peut-être même, qu’il voulait – discriminatoire » à l’égard de la plaignante.

  • [86] Dans l’éventualité où la plainte de discrimination serait jugée fondée et où une mesure de réparation d’intérêt public serait ordonnée, l’intimé demande à ce que six mois lui soient accordés pour élaborer et mettre en œuvre la Directive.

  • [87] Le fait qu’après son refus initial, l’intimé ait révisé sa position concernant les demandes présentées par la plaignante le 2 juin 2010 en vue d’être inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens et d’obtenir que son nom soit retranché de la liste de la bande de Fort  Good Hope et ajouté à la liste de la bande Gwichya Gwich’in, compte tenu de son adoption selon la coutume autochtone, n’a pas pour effet, à mon sens, de rendre théoriques les questions de savoir si ce refus initial de l’intimé constituait un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la LCDP et, le cas échéant, quelles mesures de réparation cet acte doit entraîner, s’il en est.

  • [88] Bien que le Tribunal ne puisse imposer les mesures de réparation prévues à l’article 53 de la LCDP que s’il conclut que la plainte est fondée, le contraire n’est pas vrai. Le Tribunal peut conclure qu’une plainte est fondée sans imposer de telles mesures. Si une personne met fin à la conduite dont le plaignant prétend qu’elle est discriminatoire avant l’instruction de la plainte, le Tribunal peut néanmoins conclure que la plainte est fondée en ce qui concerne la période précédant la cessation de la conduite, même s’il est possible qu’aucune réparation ne soit ordonnée. Par conséquent, une affaire ne devient pas théorique du seul fait que l’auteur des actes en cause décide d’y mettre fin ou qu’une ordonnance de réparation pourrait ne pas être rendue, si le Tribunal conclut que l’acte était discriminatoire pendant qu’il était perpétré et que la plainte est fondée.

  • [89] En l’espèce, non seulement la question de la responsabilité est toujours d’actualité en ce qui concerne la conduite de l’intimé avant qu’il ne révise sa position, mais la question des mesures de réparation à titre individuel comme de celles commandées par l’intérêt public continue également de se poser malgré le changement dans la position de l’intimé.

  • [90] Par ailleurs, puisque l’audience a eu lieu et que les parties ont pu débattre en profondeur, dans le cadre d’une procédure contradictoire, des questions faisant intervenir d’importants droits quasi constitutionnels, aucun argument légitime ne permet d’affirmer que des ressources judiciaires limitées seront ainsi gaspillées, etc., au vu des critères établis par la jurisprudence pour déterminer si une affaire est théorique. (Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 RCS 342.)

  • [91] Pour déterminer si la conduite adoptée par l’intimé pendant les quelque deux années et demie séparant la date des demandes et celles où il a modifié sa position constitue, selon l’article 5 de la LCDP, un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille et le sexe, ainsi que le prétend la plaignante dans sa plainte, il incombe dans un premier temps à la plaignante d’établir une preuve prima facie de discrimination selon la prépondérance des probabilités.

  • [92] Afin d’établir une telle preuve pour l’application de l’article 5 de la LCDP, il faut prouver :

VII.  Analyse

A.  L’affaire est-elle devenue théorique ?

B.  A-t-il été prouvé qu’il y a eu discrimination ?

  • (a) que l’intimé fournissait des services « destinés au public », au sens de l’article 5 de la LCDP ;

  • (b) que l’intimé a privé le plaignant d’un service ou l’a défavorisé à l’occasion de sa fourniture ;

  • (c) le refus ou la différence de traitement défavorable reposait en totalité ou en partie sur un motif de distinction illicite et/ou a eu un effet préjudiciable disproportionné sur des personnes caractérisées par un motif de distinction illicite.

  • [93] Le critère minimal à respecter pour établir une preuve prima facie de discrimination est peu exigeant. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffit à justifier un verdict favorable à la partie plaignante, en l’absence de réplique de la partie intimée. (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations c. Canada (Procureur général) 2012 CF 445 (SSEFPN))

  • [94] La Cour suprême a statué en de nombreuses occasions que les lois relatives aux droits de la personne ont un caractère quasi constitutionnel et doivent recevoir une interprétation large, libérale et téléologique de manière à garantir la pleine réalisation de ses objectifs réparateurs. Il s’ensuit que l’analyse grammaticale stricte peut se trouver subordonnée à l’objet réparateur des dispositions sur les droits de la personne de façon à ce que dernier soit renforcé plutôt qu’affaibli. (S.S.E.F.P.N., précitée ; C.N.R. c. Canada (Commission des droits de la personne), (1987) A.C.F. no 42.)

  • [95] La LCDP ne définit pas l’expression « [services] destinés au public », mais selon la jurisprudence, le terme « services » doit s’entendre, à l’article 5, de quelque chose d’avantageux qui est offert ou mis à la disposition du public dans le cadre d’une relation publique. Cela dit, il n’est pas obligatoire que le service soit accessible à tous les membres du public pour qu’il soit visé par l’article 5. Le fait qu’une partie du public puisse se prévaloir de ce service est suffisant. (Canada (Procureur général) c. Watkin, (2008) A.C.F. no 710; Canada (Procureur général) c. Rosin, (1991) 1. C.F. 391.)

  • [96] En règle générale, les services que fournit le gouvernement sont tenus comme nécessaires au public et avantageux, sans quoi il serait inutile de les fournir. Avantages et services ne sont pas forcément synonymes. Un service tel que le traitement d’une demande d’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens dont le but est de déterminer si la demande satisfait aux exigences d’inscription prévues par la loi représente une tâche nécessaire que les fonctionnaires doivent accomplir pour le compte et au profit du public (c.-à-d. l’auteur de la demande). Au final, si l’exécution de la tâche aboutit à l’approbation de la demande et à l’inscription de son auteur, celui-ci pourra dès lors obtenir certains avantages, tels que des services de santé non assurés, la possibilité de demander le financement des études postsecondaires et certaines exemptions d’impôt. Pour qu’une plainte soit fondée selon la LCDP, il faut conclure que le défaut de fournir le service à une personne d’une manière exempte de discrimination, soit parce qu’elle en a été privée, soit parce qu’elle a été défavorisée sur la based’un motif de distinction illicite, a eu sur elle un effet préjudiciable ou négatif.

  • [97] La plaignante était déjà inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens lorsqu’elle a demandé à être plutôt inscrite sous le régime de l’alinéa 6(1)c) et à modifier la bande à laquelle elle appartenait, après avoir informé l’intimé pour la première fois en juin 2010 du fait qu’elle avait été adoptée selon la coutume autochtone. Au moment où la plaignante a présenté sa demande, la LESIRI avait déjà été déposée et adoptée en première lecture, avec les dispositions mentionnées précédemment, en vertu desquelles ses petits-enfants pourraient pour la première fois être inscrits sous le régime du paragraphe 6(2), à condition que l’intimé reconnaisse son adoption selon la coutume autochtone pour les besoins de son inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)c). Ainsi, même si la plaignante touchait déjà les prestations associées à l’inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)f), l’intimé, en rejetant initialement ses demandes de modification de son inscription et de la bande à laquelle elle appartenait en raison des mauvaises interprétations auxquelles il est arrivé dans le cadre du traitement de ces demandes, lui a fait subir, ainsi qu’à ses descendants, les effets préjudiciables ou négatifs suivants :

  • i) elle n’a pas bénéficié d’une reconnaissance officielle en tant qu’enfant adoptée selon la coutume autochtone par des parents qui se sont dans les faits chargés de l’élever depuis le moment où elle a eu quatre jours. Malgré le fait que le registraire était disposé à consigner dans les dossiers de la plaignante son adoption selon la coutume autochtone en décembre 2010, il a refusé, à la même époque, de donner un effet juridique à cette adoption dans le cadre de son régime de tenue des dossiers prévu à l’article 6. Ce refus de reconnaître le caractère juridique du lien qui l’unit depuis toujours à ses parents adoptifs a eu sur elle un effet préjudiciable en portant atteinte à sa dignité en tant qu’enfant adoptée. Les tribunaux ont jugé que la reconnaissance appropriée du lien parent enfant résultant d’une adoption constituait un service pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu des lois sur les droits de la personne car elle s’inscrit dans un « processus de confirmation de la vie ». (A.A. c. Nouveau-Brunswick (Ministère des Services familiaux et communautaires), (2004) N.B.H.R.B.I.D. no 4.)

  • ii) elle n’a pas bénéficié de la possibilité de faire retrancher son nom de la liste de la bande à laquelle elle ne souhaitait plus appartenir sur simple présentation d’une demande en ce sens, ce qui a également porté atteinte à sa dignité. Le mot « transfert » ne figure ni à l’article 9, ni à l’article 12 de la Loi sur les Indiens, de sorte que la personne dont le nom apparaît dans la liste de bande et qui souhaite plutôt le voir figurer à une autre liste de bande (ou qui veut tout simplement ne figurer sur aucune liste) ne peut obtenir que son nom soit retranché de la liste de la bande dont elle ne veut plus faire partie en présentant une simple demande à cet effet, s’évitant ainsi de devoir entreprendre une démarche inutile, humiliante et chronophage afin d’obtenir le consentement des bandes concernées, comme l’a d’abord exigé l’intimé en l’espèce.

  • iii) elle n’a pas bénéficié de la possibilité de transmettre à ses enfants le statut prévu à l’alinéa 6(1)c.1) (au lieu de celui du paragraphe 6(2)) et, par le fait même, de transmettre à ses petits-enfants (qui, autrement, n’avaient pas droit à l’inscription) le statut prévu au paragraphe 6(2) au moment de l’entrée en vigueur de la LESIRI le 31 janvier 2011, ce qui a eu pour effet de priver ses enfants de l’accès aux avantages tangibles offerts aux personnes inscrites à titre qu’Indiens.

  • [98] L’adoption de la LESIRI était une réponse directe à la décision que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait rendue dans l’affaire McIvor. Ayant déclaré l’article 6 inopérant parce que contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour d’appel a reconnu que la faculté de transmettre le statut à son enfant était un avantage conféré par la Loi sur les Indiens, en prenant soin de préciser qu’elle serait encline à tirer la même conclusion quant à la faculté de transmettre son statut à ses petits-enfants. La LESIRI avait déjà été déposée au Parlement lorsque les demandes ont été présentées en juin 2010 et, à n’en pas douter, toutes les parties étaient au courant des nouvelles dispositions à cette époque. Il est, à mon sens, tout à fait compréhensible que la plaignante ait attendu à juin 2010 pour demander la modification de son statut puisqu’en l’absence de la LESIRI, l’inscription n’aurait offert à ses petits-enfants aucun avantage tangible. Par conséquent, le fait qu’elle ait attendu au mois de juin 2010 pour présenter ses demandes et le délai écoulé entre le dépôt des demandes et l’entrée en vigueur de la LESIRI ne sont ni importants, ni pertinents en l’espèce. (McIvor v. Canada (Registrar, Indian and Northern Affairs), 2009 BCCA 153.)

  • [99] Une distinction fondamentale peut être établie entre les faits de l’espèce et les affaires Murphy, Matson et Andrews en ce sens que dans ces affaires, les plaintes ne concernaient pas des actes commis par une personne exerçant un pouvoir discrétionnaire dans l’application des lois en cause. Ces plaintes étaient plutôt dirigées contre les lois en question, sans plus. Dans toutes ces affaires, l’objet véritablement poursuivi par les plaignants en invoquant la LCDP était d’obtenir que le législateur apporte des modifications aux lois mêmes et non pas à la façon dont les fonctionnaires exerçaient quelque pouvoir discrétionnaire dans l’application de ces lois. L’excellent témoin produit par l’intimé, Mme Linda McLeynachan, a en fait déclaré que les fonctionnaires de l’intimé avaient fini par réviser leur position concernant la demande d’inscription non pas parce que le libellé des dispositions en question avait été modifié par une loi fédérale, mais parce qu’ils étaient arrivés à une autre interprétation de ces dispositions après les avoir examinées [Traduction] « sous un autre angle ». L’intimé a reconnu que son interprétation initiale était erronée, et non qu’il fallait de nouvelles dispositions légales.

  • [100] Par conséquent, il ne fait aucun doute qu’en l’espèce, il était possible d’user de discrétion pour interpréter les dispositions légales dans un sens ou dans l’autre, que ce soit par rapport à la demande visant la modification de l’inscription ou à visant la suppression d’un nom de la liste des effectifs d’une bande. Au départ, l’intimé a rejeté les demandes en se fondant sur une interprétation erronée des dispositions. Toutefois, il a fini par modifier sa position sans que le législateur ne modifie la loi. Ainsi, l’intimé savait, de toute évidence, qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de réviser sa position sans qu’il soit nécessaire de faire modifier la loi, sans quoi il ne l’aurait pas fait. Vraisemblablement, ce changement de position reposait sur ce qui pourrait être qualifié d’interprétation plus [Traduction] « souple, généreuse et axée sur l’objet de la loi ». Le fait que les conseillers juridiques de l’intimé aient été appelés à fournir leur interprétation des dispositions dans cette affaire ne modifie pas la nature du travail effectué par ses fonctionnaires responsables du traitement des demandes de façon à en faire autre chose qu’un service destiné au public, et ce, même si l’intimé a fini par juger que les avis juridiques obtenus au départ étaient erronés et devaient être révisés.

  • [101] En optant, au départ, pour une interprétation restrictive du terme « enfant » figurant dans la Loi des Indiens de 1927, de façon à exclure les enfants adoptés selon la coutume autochtone, de même que pour une interprétation restrictive de l’article 12 de la Loi sur les Indiens, de façon à exclure la possibilité de retrancher, sur demande de l’intéressé, un nom figurant dans une liste de bande visée par l’article 11, l’intimé exerçait son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de la prestation de services de traitement des demandes.

  • [102] Suivant l’article 5 de la LCDP, les services destinés au public doivent être fournis sans discrimination. Lorsque le libellé d'une disposition légale comporte quelque ambiguïté susceptible de plus d'une interprétation, le ministère responsable de son application est tenu, selon la LCDP, de retenir l’interprétation la plus compatible avec les principes en matière de droits de la personne. (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4)

  • [103] La position initialement adoptée par l’intimé par rapport à la demande d’inscription présentée sous le régime de l’alinéa 6(1)c) et au retrait du nom de la plaignante de la liste des effectifs de la bande d’appartenance de ses parents biologiques reposait, dans un cas comme dans l’autre, sur des interprétations erronées de la Loi sur les Indiens qui ont causé à la plaignante et à ses descendants des effets préjudiciables qui ont duré environ deux ans et demi, comme cela a été mentionné au paragraphe 97 des présents motifs. L’intimé a dégagé ces interprétations en suivant une démarche formaliste et rigide qui : (i) ne reconnaissait pas aux enfants adoptés selon la coutume autochtone la qualité d’« enfant » au sens de la Loi des Indiens de 1927; (ii) limitait le droit à l’inscription des personnes qui avaient été adoptées selon la coutume autochtone avant le 17 avril 1985, mais qui présentaient une première demande d’inscription après cette date au régime prévu à l’alinéa 6(1)f) ou au paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens; (iii) ne permettait pas qu’un nom soit retranché de la liste d’une bande sans le consentement d’un tiers.

  • [104] L’intimé est arrivé à ces interprétations initiales erronées parce qu’il a écarté les méthodes d’interprétation larges, libérales et téléologiques mentionnées au paragraphe 94 des présents motifs et qu’il n’a pas retenu les interprétations les plus compatibles avec les principes relatifs aux droits de la personne auxquels il est fait allusion au paragraphe 102, ci-dessus. Au lieu de recourir à [Traduction] « un angle nouveau » pour modifier ultérieurement ses interprétations, l’intimé aurait dû, d’entrée de jeu, s’ouvrir les yeux sur les interprétations correctes. Cela nous aurait épargné beaucoup de temps et de labeur.

  • [105] Le refus initial de l’intimé de modifier la catégorie d’inscription de la plaignante et de l’autoriser à retirer son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope, refus qui a duré deux ans et demi et qui reposait sur des interprétations législatives erronées, revenait à priver la plaignante d’un service au sens de l’alinéa 5a) de la LCDP puisque les actes de l’intimé comportaient une évaluation irrégulière et discriminatoire de son droit à l’inscription sous le régime de l’alinéa 6(1)c) et de son droit de demander à ce que son nom soit retranché de la liste d’une bande à laquelle elle ne souhaitait plus appartenir. Les actes de l’intimé ont également défavorisé la plaignante à l’occasion de la prestation d’un service au sens de l’alinéa 5b) car ils procédaient de l’établissement d’une distinction défavorable des enfants adoptés par rapport aux enfants biologiques dans le cadre de l’interprétation de dispositions légales.

  • [106] En l’espèce, le refus ou le traitement défavorable était fondé sur l’état de la plaignante en tant que personne adoptée selon la coutume autochtone et, par conséquent, il relève du motif de distinction illicite fondé sur la « situation de famille » suivant l’article 3 de la LCDP. Le Tribunal et les tribunaux judiciaires ont statué que la situation de famille englobait la relation entre parents et enfants adoptifs et que les distinctions préjudiciables établies entre enfants adoptifs et enfants biologiques constituaient un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille qui était interdit par la LCDP. Je suis d’avis que l’enfant dont l’adoption selon la coutume autochtone a été certifiée a droit au même traitement selon la loi que l’enfant adopté légalement. (Seeley c. Canadian National Railway, 2010 TCDP 23; Canada (Procureur général) c. McKenna, (1998) 1 A.C.F. no 1501; Grismer c. Bande indienne de Squamish, 2006 CF 1088; Worthington c. Canada, 2008 CF 409.)

  • [107] Une fois que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 5 de la LCDP, il incombe à l’intimé de réfuter cette preuve, soit en démontrant que les faits allégués n’ont pas eu lieu, soit que sa conduite repose sur un motif justifiable, suivant l’alinéa 15(1)g) ou le paragraphe 15(2) de la LCDP.

  • [108] Il convient d’interpréter et d’appliquer le moyen de défense fondé sur le motif justifiable prévu par la LCDP à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, qui nous enseigne que ce moyen sera établi uniquement si, entre autres choses, la démarche que l’intimé a adoptée était « raisonnablement nécessaire » en ce sens que le fait d’y renoncer lui aurait fait subir une contrainte excessive. (Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868)

  • [109] En l’espèce, l’intimé a déjà modifié sa démarche, du moins en ce qui concerne la plaignante, puisqu’il a pris les mesures suivantes : (i) il a fait passer sa catégorie d’inscription à celle de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens; (ii) il a reconnu son droit d’être ajoutée à la liste de la bande à laquelle appartiennent ceux qui l’ont adoptée selon la coutume autochtone; (iii) il a retranché son nom de la liste de la bande de Fort Good Hope. Ces mesures reviennent dans les faits à admettre que l’approche restrictive antérieure n’était pas « raisonnablement nécessaire » au sens de la jurisprudence applicable et qu’elle ne reposait donc pas sur un motif justifiable au sens de la LCDP et de la jurisprudence applicable.

  • [110] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la plainte présentée en l’espèce est fondée.

  • [111] En matière de réparation, l’article 53 de la LCDP prévoit ce qui suit :

C.  Le moyen de défense fondé sur l’existence d’un motif justifiable peut-il être invoqué en l’espèce?

VIII.  Décision

IX.  Mesures de réparation

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

  • [112] Comme cela a été signalé aux paragraphes 67 et 68 des présents motifs, la plaignante demande, en guise de réparation pour elle-même et pour ses descendants, un jugement déclaratoire ainsi qu’une ordonnance de paiement pour la violation des droits individuels issus d’un traité, violation qui, selon elle, découle de la violation par l’intimé des droits issus du Traité no 11. Sur ce point, la plaignante a tenté d’élargir le champ d’application de la plainte pour englober davantage que ce sur quoi elle porte réellement et dont il est question au paragraphe 2 des présents motifs, à savoir le rejet par l’intimé des demandes qu’elle lui a présentées en juin  2010 en vue d’obtenir la modification de son statut d’inscription et le retrait de son nom de la liste de son ancienne bande. Je n’ai pas la compétence voulue pour rendre ce genre de décision déclaratoire ni pour ordonner de tels paiements : cela tient à la fois au fait que la plaignante n’a produit aucune preuve à l’audience afin d’étayer cet argument et que ces allégations et les réparations demandées débordent le cadre des questions en litige dans l’instance et celui des dispositions législatives applicables en matière de réparation et reproduites ci-dessus.

  • [113] La plaignante n’a pas réclamé d’indemnisation pour préjudice moral au titre de l’alinéa 53(2)e) de la Loi, et ce, en dépit du fait que j’ai explicitement interrogé son représentant à ce sujet à l’audience. Dans ces circonstances, ce serait faire preuve d’iniquité envers l’intimé que de rendre une ordonnance en vertu de cet alinéa, malgré les conclusions que j’ai tirées quant aux répercussions de ses actes discriminatoires. Cela dit, compte tenu de la preuve portée à ma connaissance, j’ai le sentiment que l’intimé a refusé les demandes de la plaignante en sachant très bien quelles seraient les conséquences de son geste pour la plaignante et ses descendants, et il a mis plus de deux ans et demi avant de revenir sur sa position. À mon avis, les interprétations pour lesquelles il a opté ultérieurement relativement aux demandes auraient dû lui apparaître clairement dès le départ, du fait de l’attitude libérale et soucieuse de l’objet de la loi qu’il convient d’adopter lorsqu’il s’agit d’interpréter des lois de cette nature dans un tel contexte. Par conséquent, j’estime qu’il s’est conduit à cet égard de manière délibérée et que ses actes tombent sous le coup des dispositions du paragraphe 53(3) susmentionné.

  • [114] De la même façon, j’estime que les réparations demandées par la Commission dans l’intérêt public sont de mise, sous réserve du fait que le délai de six mois demandé par l’intimé pour élaborer et mettre en œuvre les directives lui sera accordé. À cet égard, je me réjouis d’apprendre qu’à l’époque de l’instruction de la plainte, l’intimé avait déjà amorcé la rédaction des directives nécessaires.

  • [115] Par conséquent, le Tribunal ordonne ce qui suit :

X.  Ordonnance

  1. Que l’intimé mette fin aux actes discriminatoires suivants :

  • i) le refus de reconnaître l’enfant adoptif d’un Indien du sexe masculin comme étant l’« enfant » de cet Indien, au sens où ce terme est entendu dans la Loi des Indiens de 1927;

  • ii) le refus d’examiner les demandes visant une première inscription des enfants adoptés avant le 17 avril 1985 sous le régime de toute autre disposition que l’alinéa 6(1)f) ou le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens;

  1. Que l’intimé, dans les six mois suivant la date de la décision du Tribunal :

  • i) remette un bulletin, une directive ou un document comparable à tous les membres du personnel concernés par le traitement des demandes d’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens afin de les informer de ce qui suit : (i) le terme « enfant », au sens entendu dans la Loi des Indiens de 1927, doit être interprété de façon à inclure tant les enfants adoptifs que les enfants biologiques; (ii) les personnes qui ont été adoptées avant 1985 pourraient avoir le droit d’être inscrites à titre d’Indien en vertu d’autres dispositions que l’al. 6(1)f) ou le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, tout dépendant de la situation particulière de chacun;

  • ii) transmette à la Commission un exemplaire du bulletin, de la directive ou de tout document comparable, accompagné d’une confirmation que le bulletin a été remis à tous les membres du personnel concernés par le traitement des demandes d’inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens.

  1. Que l’intimé, dans le mois suivant la date de la décision du Tribunal, verse à la plaignante la somme de 5 000,00 $ au titre de l’indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3) de la LCDP.

Signée par

Wallace G. Craig

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 juillet 2013

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1441/6709

Intitulé de la cause : Joyce Beattie et James Louie c. Affaires indiennes et du Nord Canada

Date de la décision du tribunal : Le 5 juillet 2013

Date et lieu de l’audience : Le 20 juin 2013

Vancouver (Colombie-Britannique)

Comparutions :

Bruce Beattie, pour les plaignants

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Fiona McFarlane et Craig Cameron , pour l'intimé

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